Hey !

Et voilà un autre chapitre ! On part sur de l'introspection, cette fois. Et sur le dernier arc de la fanfic qui est enfin pleinement lancé. (Il y aura encore un peu de drama. Oups.)

Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture à vous !


L'assurance et le doute

Asra

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Les commandes. Les bijoux. Les projets à lancer, les patrons à dessiner, le site à mettre à jour. Les étiquettes imprimées à coller avant de tout envoyer. Et la bourre qu'iel doit racheter, pour caler les colis. Il faut qu'iel passe commande cet après-midi. À moins qu'iel puisse en récupérer en magasin, comme pour certains de ses cartons ? Et ses cartes de visite ? Sa boite est encore à moitié pleine, mais c'est gérable. Et Instagram ? Iel s'est relaché·e avec les vacances, mais iel doit s'y remettre activement, sans attendre. L'attention du public n'est ni due, ni éternelle. Et iel doit mettre ses nouveaux produits en valeur. Iel doit faire des photos. Non, les reels, ça marche mieux. Iel n'est pas doué pour les vidéos, mais comme le reste, ça s'apprend. Alors iel va s'y mettre.

Quand enfin la journée arrive à son terme, Asra a l'impression de ne pas avoir touché terre depuis son réveil. Ses muscles tirent. Iel a même oublié son thé à moitié bu sur une étagère. Faust l'observe depuis son lit, enroulée comme la gardienne de ces lieux, et iel lui adresse un regard désolé. Désolé de quoi ?

Oh, ce n'est pas pour Faust qu'iel est désolé·e.

Soupirant, Asra disparaît dans sa cuisine. Iel jette tout un tas de légumes dans un plat qu'il met au four, avant de se laisser tomber contre le rebord de la fenêtre. D'ici, iel peut voir un bout de ville, des rues et des toits. Son immeuble n'est pas très haut. La vieille structure en bois qui compose l'entrée et son bout de balcon l'a immédiatement séduit·e, quand iel a visité cet endroit. Iel s'en souvient. Ça fait plusieurs années, maintenant. Iel a vu le lierre grimpant, la balustrade en fer et le contour brun des fenêtres. Son cœur s'est agréablement serré. Ce petit appartement, autrefois la pièce d'une plus grande maison que quelqu'un a redécoupée, l'a transporté. Iel s'y est senti·e comme dans un nid d'oiseau. À l'étroit, mais chez iel. Iel aime la vue dont iel profite, et l'impression que cette fenêtre lui permet d'observer le monde sans être vu·e.

Alors que Faust s'approche pour lui siffler dessus, Asra soupire.

— Oui ma belle, je sais.

Son portable. Ses parents ont essayé de lea contacter. Ils passent dans le coin d'ici quelques jours, pour une conférence que sa mère doit donner. Ce n'est pas comme s'ils manquaient d'occasion de se voir, Asra n'habite pas loin de la ville qui l'a vu·e grandir. Mais il a tellement évité ses parents, cette année... Et pourtant, le Noël qu'iel a passé avec eux lui semble trop proche.

— Tu crois que je devrais dire oui ?

S'iel accepte de les voir maintenant, iel pourra plus simplement refuser leurs prochaines invitations. C'est horrible de penser comme ça. Mais pour l'instant, s'éloigner de sa famille lui fait du bien. Iel respire mieux ici qu'auprès d'eux.

— Je verrai ça après le repas, conclut-iel.

Fort de cette fuite, iel attrape son carnet et ses croquis. Sur l'une des pages, un dessin d'homme oiseau qu'iel a commencé la semaine dernière l'attend. C'est un homme corbeau, plus précisément. Au plumage noir enserré de cordages. Au bec aussi sombre que le reste de son corps. Est-ce qu'Asra le représentera entièrement couverts de plume, ou est-ce qu'iel lui laissera de la peau ? Bêtement, iel pense qu'il ne sait pas de quelle couleur est celle des corbeaux.

Mais ce n'est pas à un oiseau qu'iel pense, en poursuivant ce dessin. Cette corde, c'est la reproduction presque exacte d'une de celles qu'Ilya a dans son armoire. Et c'est de sa carrure qu'Asra s'est inspiré·e pour faire son croquis du Pendu. Fixant le dessin, iel se replie doucement. Six ans, presque sept maintenant, qu'ils se sont séparés. Sept ans aussi, qu'iel associe cette carte à son petit ami. Et soudain, iel a eu envie de reprendre ce dessin. Ce vieux projet de tarot. Comme par hasard, Julian lui a offert un nouvel oracle. Quelle coïncidence.

Le cadeau lui a fait plaisir, vraiment. Peu de personnes connaissent si bien les goûts d'Asra. Alors pourquoi est-ce qu'iel n'arrive pas à l'ouvrir depuis ce rendez-vous sous la nuit ?

Le four échappe un bip frénétique. Faust vient taper sa tête contre sa cuisse.

— C'est bon, c'est bon. J'y vais.

Iel se lève et laisse sa partenaire s'enrouler autour de ses épaules. Iel rit alors qu'elle lui siffle dans l'oreille, puis iel sort son repas de fortune et s'en remplit un bol. L'odeur lui ouvre le ventre. Iel se mord la lèvre. Ça va aller. C'est juste un plat. Iel doit manger avant de dormir. Manger correctement. Et dormir. Garder un rythme de vie correct. Iel y est arrivé·e, ces dernières années. Pourtant, depuis quelque temps...

Iel n'a pas mangé hier. Après une longue journée de travail, iel s'est tout simplement lové·e dans son lit pour dormir, malgré les protestations de Faust. Mais c'était la faute à la fatigue. Il était tard, et le travail de la journée pesait lourd sur ses épaules. Alors que ce soir...

Allez, iel attrape un bout de courge entre ses dents.

— Voilà, déclare-t-iel.

Faust le fixe. Iel se sent ridicule. Iel n'a rien à prouver à personne. Ce n'est pas pour faire plaisir à son petit serpent qu'iel doit faire attention à ses repas et à ses nuits, mais pour préserver sa propre santé. Parce qu'iel est capable de s'occuper d'iel, et qu'iel tient à son indépendance. Cette solitude choisie.

Solitude.

Brusquement, Muriel lui manque. Iel voudrait aller passer la nuit chez lui, lui parler et essayer de faire sortir cette boule qui prend toute la place à l'intérieur depuis plusieurs jours. Mais Muriel dort sans doute, à cette heure. Il se couche et se lève avec le soleil. Nadia a bien assez à faire avec Lucio. Et Ilya...

Ilya, justement, est au centre de ses problèmes. Et Asra ne comprend pas ça.

Je t'aime.

Iel aurait dû se sentir tellement heureuxse d'entendre ces mots.

Tu es la meilleure chose qui me soit arrivée.

L'Asra du lycée aurait tué pour qu'Ilya lui dise ce qu'il lui a dit, allongé sous un plaid, entre les murmures du parc et l'inconfort de la terre. Mais tout ce qu'iel a ressenti, c'est une panique brusque et froide. Comme si quelqu'un venait de lui arracher l'intestin.

Mal à l'aise, iel pose sa main contre son ventre. Avant de mordre un autre légume. De faire glisser le jus du plat dans sa cuillère. C'est salé. Iel aime. Peut-être qu'iel aurait dû se contenter d'un paquet de chips pour le repas, iel les aurait plus facilement avalées. Mais son portable qui sonne coupe court à ses pensées. D'un coup d'œil, iel vérifie qui cherche à lea contacter. S'attend à reconnaître le nom de ses parents. Aperçoit celui d'Ilya. Iel se décompose. Repose son bol.

Répondre. Il devrait attraper cet appareil et le poser contre son oreille. S'iel se concentre assez fort, iel peut imaginer la chaleur des bras d'Ilya qui lui manque. Iel sait qu'iel en a envie. De ça. De lui.

Et pourtant, la peur qui remonte avale tout ce qu'iel croit éprouver. Iel laisse passer l'appel tout en se répétant Plus tard. Plus tard, je rappellerai. Après. Après quoi ? Aucune idée. Dix longues minutes passent alors qu'iel regarde par la fenêtre. Iel se fait chauffer une tisane et iel remet ses légumes à même le plat. Le plat à même le four. Tout est rangé, à sa place. Iel inspire. Retourne s'asseoir près du radiateur allumé, à même le sol, entourant ses jambes d'un plaid où Faust vient s'enrouler. Elle vient toujours faire un petit poids sur son corps quand elle lea sent stressé·e.

Je t'aime.

Asra repense à ces mots.

Je t'aime.

Est-ce qu'iel aime Ilya ? C'est dur à dire. Iel pensait être amoureuxse, mais si cette petite phrase a suffit à souffler toutes les bougies en iel... Asra aime sa présence. Sa voix, son rire. Sa maladresse et ses joues rouges. Sa bouche sur la sienne. Dormir près de lui. Marcher en lui tenant la main.

Et pourtant aucune de ces options ne lui semble plus supportable. Qu'est-ce qu'il lui arrive ?

Peut-être qu'iel s'est trompé·e. Qu'Ilya... Qu'est-ce qu'Ilya espère trouver dans cette relation ? Quelque chose qu'Asra pourra lui donner ? Et si ce n'était pas le cas ? Et s'ils fonçaient droit dans le mur ? C'est peut-être ça qui lea terrifie. Le pressentiment d'une attente qui ne correspond pas à la sienne. La pression qui en découle.

Asra ne comprend pas ce qu'iel ressent. Mais iel sait que c'est profondément désagréable, comme une blessure. Et iel déteste ça. Iel voudrait gratter et s'ouvrir la peau. Arrêter de respirer, comme si l'air dans ses poumons nourrissait ce sentiment. S'endormir. Iel ne pense pas quand iel dort. Oui.

Se serrant un peu plus près du radiateur, iel récupère son carnet. Iel tourne la page et, observant l'étendue blanche sous ses yeux, iel commence à griffonner. Pas un corbeau. Autre chose. Une tour, grande. La Tour n'est jamais un symbole positif. Mais ce soir, elle est ce dont iel a besoin. Un creux où tout déverser d'iel. Alors iel gribouille, sans se soucier de la qualité de son dessin. Iel trace et retrace, attrape des couleurs. Jusqu'à ce qu'au milieu de ces traits, ses pensées s'effacent et laissent place à la mécanique créative qui lea coupe du monde.