Hey !
Encore un chapitre de plus. Je poste en coup de vent, bonne lecture !
Merci à Ya pour sa relecture !
Et tout éclate
Julian
.
— Tu m'as utilisée pour surveiller Asra ?
— Ce n'est pas exactement comme ça que je voyais les choses, mais...
— Ilyushka !
Le dénommé se mord la lèvre. D'accord, Pasha a entièrement raison. Et elle a eu la décence d'attendre qu'ils rentrent du cinéma – la séance était terriblement tendue, il n'a rien retenu des images qui défilaient à l'écran – pour le lui faire remarquer. C'est... Il a été idiot, il le reconnait. Plus qu'idiot. C'était naze de sa part. Mais il n'a pas pu s'en empêcher.
— Iel m'a dit qu'iel voyait quelqu'un.
— Et plutôt que de lui demander directement qui c'était, tu l'a suivi en douce ? Et tu m'as menti, au passage ?
— J'ai…
Il a eu peur qu'Asra lui mente. Qu'iel évite le sujet. Peur que la réponse lui déplaise ou qu'elle confirme ses craintes. En somme, il a paniqué. Comme toujours. Et comme toujours quand il panique, il a fait n'importe quoi. Enfin, cette fois au moins, il n'a pas ruiné sa relation. Il a juste... Tant qu'Asra croit que leur rencontre était une coïncidence, ça devrait le faire, non ?
— Pourquoi, pour une fois que tout se passe bien avec quelqu'un, tu ne peux pas lui parler au lieu de monter des plans foireux ? fulmine Pasha.
— Je pensais qu'iel était avec un de ses autres partenaires.
— Et tu comptais le surprendre avec ? En plein milieu d'un café ?
— Err... Surprendre n'est pas vraiment le mot, puisqu'Asra ne fait techniquement rien de mal.
Vu le regard que sa sœur lui jette, il a intérêt à se rattraper mieux que ça.
— Mais iel ne parle jamais d'iel. Je sais rien de sa vie en dehors de ce qu'on partage. Je voyais pas comment aborder le sujet sans qu'iel trouve le moyen d'en changer, avoue-t-il.
Et encore. S'il avait su qu'Asra le présenterait à ses parents comme un ami... Merde, iel a été honnête sur ce sujet. Oui, iel ne lui a jamais vendu d'amour au grand jour ni de mariage – ce n'est pas comme si Julian en voulait, mais d'entendre ce petit mot, ami, dans sa bouche, alors qu'iel le désignait à sa famille... Ilya s'est senti brusquement diminué. Montagne réduite à l'état de poussière. Comme si tout l'amour qu'il éprouve pour Asra n'avait plus le droit d'exister.
Pourquoi est-ce que saon partenaire n'a même pas pris la peine de lui dire qu'iel voyait ses parents aujourd'hui ? Ilya aurait compris, il n'aurait pas insisté pour les voir. Est-ce que c'est ce qu'Asra a craint ? Alors c'est cette image que sa sorcière a de lui ? Un partenaire collant qui gratte désespérément une place auprès de sa famille ? C'est ridicule.
Et pourtant, après deux relations, est-ce que ce ne serait pas légitime ? Déjà, à l'époque, Asra ne lui a pas présenté ses parents. C'est Ilya qui l'invitait chez sa tante. Lui qui avait droit aux souvenirs ridicules racontés autour de la table et à la honte des vieilles photos exposées au grand jour. Asra a toujours préservé sa vie privée. Même dans l'intimité.
— Et tu m'as entraînée là-dedans sans m'en parler ? lui reproche Pasha.
— Je voulais pas y aller seul.
C'était égoïste. Mais il aurait eu l'air de quoi, posé à la table du café préféré d'Asra, sans excuse ? Saon petit ami l'aurait grillé.
— Je pensais que pour une fois, on pourrait passer un moment cool ensemble. Un vrai truc entre frère et sœur. Tu t'es pas dit que si Asra était vraiment avec un de ses partenaires, j'aurais pas envie de me retrouver en plein milieu de vos histoires. Que ce serait, je sais pas, horriblement gênant pour moi ?
— Je n'ai pas pensé...
— Mais c'est ça le problème avec toi, Ilya ! Tu penses jamais !
Aie.
— Tu fonces tête baissée et tu réfléchis après avoir merdé ! Tu te plains d'à quel point la vie est dure et injuste, mais tu fais rien pour l'arranger ! Chaque fois que tu peux prendre la pire décision possible, tu le fais et tu reviens pleurer sur ton sort.
— Pasha...
— J'ai pas de travail à vingt-six ans, j'ai raté mes études, tous mes mecs me quittent, la vie est horrible et le poids du monde que personne ne m'a demandé de porter me broie les épaules, le singe-t-elle. Mais bon sang Ilya, tu fais quoi pour que ça s'améliore ? Quand t'as enfin l'occasion d'avoir une relation cool et de te poser avec quelqu'un qui te respecte, pourquoi est-ce que tu manigances dans son dos pour essayer de le coincer au lieu de lui parler ? Ok Asra était avec sa famille, et ? Qu'est-ce que tu aurais fait, si tu l'avais trouvé·e avec un de ses partenaires ?
Il ne sait pas. Parce que ce n'est pas l'idée de la relation libre qui le dérange. Asra peut bien avoir d'autres amants, qu'importe. Mais iel n'en parle jamais, et ça... Ils en ont parlé une fois, une seule. Et depuis, c'est comme si ce sujet n'existait pas. Ilya ne sait même pas si saon propre petit·e ami·e a des relations plus importantes que lui, dans sa vie.
— Désolé, peut-être que tu te sens comme un con après aujourd'hui mais franchement, Ilya, des fois, c'est ce que t'es.
Ok. Pasha n'est pas juste agacée. Tendu comme un string enfilé après le verre de trop, Julian reste droit sur sa chaise. La cuisine de l'appartement lui semble soudain trop petite, son slim serré à lui en faire péter les cuisses et... Une clope. Il a besoin d'une clope. Il a laissé son paquet dans la poche de son manteau accroché dans l'entrée.
— Désolé, s'empresse-t-il de répondre. J'arrangerai ça avec Asra. C'était juste... J'ai merdé, mais je me rattraperai.
— Mais c'est pas le problème !
Julian n'a jamais autant regretté son mètre quatre vingt dix. Il voudrait se faire tout petit, là.
— À chaque fois que tu fais une connerie, je dois passer la soirée à faire la psy pour t'écouter te plaindre pendant des heures d'à quel tu es un horrible petit ami. Je suis toujours là quand tu as besoin de te plaindre de ton existence minable. Et pour une fois, bon sang, pour une fois que tu me proposes une sortie cool et pas une séance de larmes, c'est un plan pourri pour espionner Asra ? Sérieusement ?
Oh. Oh non. Ilya peut presque entendre son cœur se briser à la vue des yeux humides de Pasha.
— Depuis…
Elle a la lèvre qui tremble. C'est comme de voir une voiture foncer dans un mur.
— Depuis que Tasya est morte, j'ai l'impression que tu fais vraiment des efforts. Je croyais qu'on pourrait enfin avoir une vraie relation. Que je serai plus là juste pour te rappeler de manger avant d'aller te coucher.
Une voiture dont il aurait lui-même saboté les freins.
— Mais c'est toujours la même chose.
— Je suis désolé Pasha. Je…
— T'es toujours désolé. Et ça t'empêche pas de recommencer.
Toutes ces soirées qu'elle a passées à le surveiller. Ces plats qu'elle a déposés dans sa chambre, et ces surgelés Picard qu'elle enfonçait dans sa boîte aux lettres avant qu'ils n'emménagent ensemble. Tous ces sourires et ces coups d'œil inquiets. Cette affection attentionnée qu'il prenait pour acquise.
— Je vais me rattraper…
— Bah t'as intérêt. Parce que j'ai pas envie de repartir acheter des mouchoirs quand Asra t'aura quitté parce que t'as encore tout gâché.
— Je ne parlais pas d'Asra…
Mais elle ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase. Le bruit de son pas vif et de la porte de sa chambre qui claque lui noue le ventre. Il se lève avec un temps de retard, l'imite et toque à sa porte, plusieurs fois.
— Pasha ?
Mais elle ne lui répond pas. Et il n'a pas le cœur à coller son oreille contre la porte pour l'entendre pleurer. Parce qu'il sait qu'elle pleure. Il la connaît trop bien. Pasha est un petit volcan qui, parfois, explose et détruit tout un pays. Sans parents, et avec un reste de famille aussi catastrophique que la sienne, comment aurait-elle pu apprendre à gérer ses émotions autrement ?
Ilya a merdé, oui. Et pas qu'avec Asra. Pas qu'avec tous ses autres ex, des plus pourris aux quelques types respectables qui ont eu la présence d'esprit de le quitter avant qu'il ne fasse trop de dégâts.
Dépité, le rouquin retourne se poser dans la cuisine. Il ouvre le frigo, attrape un pauvre paquet de frites surgelées. Pasha aime les frites. Surtout quand elle les mange avec des sauces pleines de produits hautement déconseillés pour la santé. Mais elle préfère les gâteaux achetés à la boulangerie, et ils n'en ont pas. Est-ce que ça suffira pour qu'il se fasse pardonner ? Non, bien sûr que non. On ne rattrape pas des années d'erreurs avec des frites. Quel idiot. Pasha a raison. Il ne comprend rien. Il n'est bon qu'à s'enfermer dans ses confortables erreurs.
Mais il ne veut pas merder encore. Pas avec elle. Sa petite sœur, c'est la seule relation durable qu'il n'ai pas gâchée dans sa vie. La seule famille qu'il lui reste. Et inversement. Il faut qu'il se rachète. Qu'il fasse mieux, pour elle. Ou au moins qu'il essaie, sincèrement. Qu'il recolle les morceaux qu'il peut encore ramasser.
Maladroitement, il prépare le repas que Pasha a toujours su faire pour lui quand il en avait besoin. Elle ne partagera sans doute pas sa table, mais elle viendra manger quand il se sera lui aussi enfermé dans sa chambre. Elle ne se couchera pas le ventre vide – là-dessus, elle a un meilleur instinct de préservation que lui. Alors il s'active et il enfourne une partie des frites cuites dans un bol, avant de faire fondre du fromage dans une casserole. Il en fait couler sur ses bouts de patates. Et il part manger dans son lit, ouvrant son ordi pour lancer une énième série qu'il ne regardera qu'à moitié, le cœur partagé.
Toute bouleversée qu'elle soit, Pasha n'en a pas moins raison. Il faut qu'il parle avec Asra, sérieusement. Qu'il mette des mots sur ce qu'il ressent, avant que cette relation ne s'effondre comme toutes celles qu'il a eues avant. Alors il attrape son portable. Il déglutit en voyant comme la conversation qu'il partage avec Asra s'est amoindrie, ces derniers jours.
Léchant ses doigts pleins de sel, il commence à taper des banalités, avant de se décider pour une phrase simple.
[Notre rendez-vous de jeudi tient toujours ?]
