Hey !
A ce stade, je pense qu'on ne peut même plus parler de retard. On va dire que les chapitres arriveront quand ils arriveront, même si on est très très proche de la fin. Voilà.
(C'est la seconde fanfic la plus longue que j'ai jamais écrite. Je l'aime d'amour, mais j'ai hâte d'arriver à la fin)
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !
Désolé pour tout
Asra
.
Injuste. C'est le mot qu'Asra se répète, depuis plusieurs jours. C'est injuste. Et douloureux. Plus qu'iel ne l'imaginait. C'est comme une poigne dans son ventre. Une vieille fatigue qu'iel traîne même au réveil. C'est lourd et diffus, ça l'accompagne partout. Où qu'iel pose ses yeux, ça lui revient. C'est là. Les écorces brunes comme les boucles de Julian. Son sourire goguenard qu'iel a l'impression de retrouver sur les autres bouches. Et ses yeux. Le ciel gris, le bitume sale. Son rire. Tous ces détails qui reviennent alors qu'iel serre son sac de courses contre lui, montant l'escalier qui mène à l'étage. Une fois dans son appartement, le froid de l'hiver lea frappe. Oh. Iel est parti·e en laissant une fenêtre ouverte. Quel idiot·e. Iel se précipite pour la fermer et revient à la cuisine, ranger ses affaires. Mécaniquement. Et quand tout est rangé, quand même le sac de course est plié dans un placard...
Asra pense.
Et sa gorge se noue. Iel ne va pas pleurer, non, ce n'est pas ce genre d'émotion qui l'anime. Mais c'est là. Cette lourdeur. Et le fantôme d'Ilya. Alors iel attrape son téléphone.
. . .
— Désolé. Je n'arrive pas à me faire à manger, en ce moment.
Muriel hausse les épaules. Il caresse brièvement son poignet, puis il pose devant lui le plat qu'il a préparé. L'odeur alléchante envoie des étincelles sur le palet d'Asra. Iel n'a toujours pas envie de se nourrir, mais ce sera sans doute plus simple comme ça. Manger avec l'idée qu'on profite d'un cadeau. D'une attention. Iel a honte, mais iel a envie qu'on prenne soin d'iel, là. Et il n'y a qu'auprès de Muriel qu'iel peut se laisser aller. Nadia est au travail, et quand bien même, iel ne lui a jamais clairement parlé de ses problèmes de… Enfin, de ce petit souci qui l'empêche de manger, quand sa vie déraille.
— Il s'est passé quelque chose ? demande le géant, après qu'iel ait fini son assiette.
— Rien de grave.
— Quoi ?
Asra déglutit. Oh, à quoi bon mentir ? Son ami est loin d'être idiot, et certainement pas au point de ne pas remarquer une rupture.
— On s'est séparés, avoue Asra. Avec Ilya.
L'autre n'a pas l'air surpris. Il hausse les épaules, comme s'il s'y attendait.
— Il t'a quitté en face, cette fois ?
Iel se mord la lèvre. Qui a quitté qui, dans cette histoire ? Iel ne saurait même pas le dire. Mais il lui semble que la faute est de son côté. Enfin, non, pas la faute, c'est... La décision. La décision finale, c'est iel qui l'a prise. En annonçant à Ilya qu'iel ne pouvait pas lui apporter ce qu'il voulait.
Iel ne veut pas repenser à cette dispute. Mais l'absence de Julian la lui rappelle constamment.
— C'est moi.
Cette fois, Muriel ouvre de grands yeux surpris. Si verts. Et Asra se sent incroyablement petit devant cet étonnement sincère.
— C'est moi qui l'ai quitté, reprend-iel.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
Beaucoup de choses. Et pas tant que ça. Il a fallu trois jours, et des années de rancœur. Une erreur de la part d'Ilya et... Est-ce que c'était si grave ? Non. Mais Asra ne supporte pas l'idée qu'on ait voulu franchir ses barrières. Sa confiance est retrouvée au sol, en milliers de morceaux. Il a suffi d'une phrase pour la briser. Une seule.
— Tu crois qu'on pourrait faire du thé ? demande-t-iel.
Quelques minutes plus tard, ils sont installés dans le canapé, Inanna à leurs pieds. La brave louve somnole, et le thé est chaud entre les mains d'Asra. Une tasse fumante comme il aime. Source de réconfort, comme l'épaule de Muriel contre la sienne. Iel n'est pas seul·e. Iel ne le sera plus jamais.
Et pourtant, Muriel ne peut pas partager les émotions qui lea bousculent. C'est à iel de les démêler.
— On s'est disputé, commence Asra.
Et il remonte lentement le fil. Ilya, chez lui. Les plats sur la table, les questions qu'il a commencé à lui poser. Cette phrase qui lui a échappé et la dispute qui a suivi. Tout ce qu'Ilya lui a dit. C'est... C'est injuste. Asra a toujours joué franc jeu, de mémoire. Une vie scindée, proprement rangée. Même au sein de ses relations, iel ne veut pas mêler Muriel au reste de sa vie – plus par respect pour ses angoisses sociales que par pure volonté de le garder pour iel. Iel ne parle pas beaucoup, et alors ? Ses émotions, ses problèmes, ses doutes lui appartiennent. Iel n'a de compte à rendre à personne.
Alors pourquoi est-ce qu'iel s'est senti·e acculé·e comme ça ?
— Il est parti ? termine Muriel.
— Oui.
— Il t'a recontacté, depuis ?
— Non. Et moi non plus.
C'est fini, Asra essaie de se le rentrer dans le crâne. Fini. Iel doit prendre de la distance avec Ilya. Pour ne pas finir embourbé·e dans ce miasme gluant où on ne sait plus ni ce qu'on ressent, ni ce qu'on doit faire. Pas qu'Asra ait envie de cloîtrer ses relations dans des cases fixes, il y a des amitiés et des amours qui n'ont pas de limites claires. Mais iel sait que Julian ne marche pas comme ça. Pour lui, ils sont ensemble ou ils ne le sont plus. Et puis qu'ils ne le sont plus, autant prendre les mesures qui s'imposent.
Même si ça lui fait bizarre, à Asra, de surveiller son téléphone comme si Ilya allait encore lui envoyer un de ces gif ridicules avant d'aller dormir.
— Je ne compte pas revenir avec lui, se justifie-t-iel aussitôt.
— Comme tu voudras.
Là-dessus, iel sait que Muriel n'insistera pas pour les rabibocher. Il sera sans doute ravi de ne plus entendre parler d'Ilya. Asra ne pensait pas que cette idée pourrait autant lea soulager.
Mais ce qui le tracasse, ce sont les mots d'Ilya..
C'est comme si tu n'avais aucune place pour moi dans ta vie.
Asra les a déjà entendus. Et iel revoit le regard, grand, désolé, de Yel qui lea quitte sur le pas de la porte. Son ventre se noue.
— Muriel ?
Iel a besoin d'être rassuré·e.
— Est-ce que tu me trouves… distant·e ?
Encore une fois, la surprise étire les traits de Muriel. Il se détourne et contemple sa tasse. Asra se mord la lèvre. Ça veut dire quoi, ça ? Il hésite ? Est-ce que… Ilya exagérait. Forcément. Hein ? Iel ne s'ouvre pas beaucoup. Mais iel ne laisse pas les gens hors de sa vie. Pas ceux qu'iel aime.
— Tu es solitaire, lâche Muriel.
Venant de lui, le mot sonne comme une claque. C'est Muriel, Muriel qui ne quitte jamais son appartement, sinon pour promener Inanna, qui lui dit ça ?
— Je sors souvent, fait-iel remarquer. Même avec le travail…
— Ce n'est pas ce que je veux dire.
Le large corps de Muriel se replie. Un mouvement imperceptible qui trahit sa gêne. C'est comme de voir une montagne essayer de se cacher.
— Dès que quelque chose ne va pas, tu te renfermes sur toi.
— C'est faux, se défend Asra. Je suis venu·e te voir, aujourd'hui.
— Seulement aujourd'hui.
Le géant joue avec ses grandes mains.
— Ça fait plusieurs jours que vous vous êtes séparés Ilya et toi.
— Oui, mais…
— Tu l'as dit à Nadia ?
Non. Bien sûr que non. Iel s'est enfermé·e dans son travail. Iel avait des commandes à envoyer, de toute façon, des modèles à réaliser.
— J'irai voir Nadia quand ça ira mieux, rétorque-t-il.
— C'est le problème.
Une autre claque. Asra déglutit. C'est… à quoi ça servirait, qu'iel parle à Nadia maintenant ? Elle ne pourra pas régler son problème, parce qu'il n'y a pas de problème à régler. Iel va voir les gens quand ils peuvent l'aider, comme aujourd'hui avec Muriel et ses repas. Mais si ça n'a aucune sorte d'utilité, à quoi bon les ennuyer ? Ça demande tellement d'efforts, de s'ouvrir. De se montrer. Ça l'angoisse bien plus que ça ne le soulage.
— Tu as dit à Julian que tu avais du mal à manger ?
— Non.
Iel ne veut pas parler de ça. C'est trop… Comment Ilya réagirait, s'il savait ? Il comprendrait que cette histoire durait déjà du temps où ils étaient ensemble ? Juste d'y penser, Asra a envie de disparaître.
— Tu l'aimes ? demande soudain Muriel.
— Bien sûr.
Quelle question idiote. Oui, Asra était amoureuxse. Ou iel en avait l'impression. Iel tenait à Ilya, sincèrement. Assez pour que sa brusque absence laisse un vide monstrueux.
— Tu l'aimes, mais tu ne veux pas lui faire confiance ? insiste Muriel.
— Ce n'est pas une question de confiance.
Asra se lève brusquement, la gorge nouée.
— Toi, reprend-iel, tu ne risques pas de me quitter du jour au lendemain. Je sais que tu ne m'abandonneras pas. Ilya, c'est différent.
S'iel avait vraiment compté sur lui, dans quel état serait-iel après leur rupture ? Asra a déjà été blessé·e une fois. C'était insurmontable. Iel ne veut plus jamais ressentir ça. Plus jamais.
— Si je lui avais parlé de ça, et qu'il m'avait quitté·e après…
— Si tu lui avais parlé de ça, peut-être que vous ne vous seriez pas séparés, fait remarquer Muriel.
Tu ne me dis jamais rien, Asra. Je suis là, mais c'est comme si tu n'étais pas vraiment avec moi.
La voix de Yel résonne. Brusquement, Asra se lève et serre ses bras contre son torse. Iel marche vers la baie vitrée.
C'est injuste. Iel ne cesse de le penser, ça remonte comme un raz de marée. C'est injuste qu'on lui reproche de ne pas se donner assez pour les autres alors qu'iel fait tant pour eux. Iel a tellement aimé Yel. Iel était là quand Ilya a eu besoin de soutien. Pour sa tante. Pour l'enterrement. Pour vider l'appartement. Alors quoi, ce n'est pas assez ? Qu'est ce qu'iel doit faire de plus ? Qu'est ce qu'il doit donner d'autre pour que les gens qu'iel aime ne l'abandonnent pas ? Iel pose son cœur sur la table et à chaque fois… à chaque fois…
Ses yeux se mouillent. Iel inspire et ravale les larmes qui montent. C'est injuste et ça l'étouffe. Et la main de Muriel, qui trouve son épaule, menace de lea faire s'effondrer.
— J'ai fait de mon mieux, souffle-t-iel, la gorge serrée. J'ai toujours été là quand il le fallait j'ai…
Une autre main. Puis le torse de Muriel, contre son dos. Large. Protecteur.
— Mais tu refuses toujours que les gens soient là pour toi.
Un bruit étranglé lui échappe. Asra refuse de céder. Iel ne veut pas craquer. S'iel s'effondre, iel n'est pas sûr de réussir à se relever, et iel ne peut pas se permettre de se briser à nouveau. C'était si dur, la dernière fois. Si dur de se réparer.
— Parfois, on dirait que tu n'es pas vraiment avec nous. Que tu pourrais disparaître.
Ses épaules tremblent. Iel serre ses bras plus fort contre son ventre. Avant de se tourner contre Muriel.
Dehors, la pluie commence à tomber. Elle tape contre la vitre. Asra se souvient des nuits qu'iel a passées à l'écouter, alors qu'iel n'arrivait pas à dormir. Iel attendait le lendemain. Le futur et ses promesses.
Mais les années ont passé, et la vie n'est pas devenue plus facile. Iel a simplement appris à la traverser, tant bien que mal.
