Cela faisait maintenant quatre jours que Richard et Paul étaient de retour à Berlin. Bien que cette courte période d'intimité les avait comblés et rapprochés, Richard s'était abstenu de parler à Paul d'un fait urgent et sur lequel il avait pourtant été averti. Cela s'était manifesté dans les deux premiers jours. Le guitariste s'était mis à recevoir des messages de plus en plus rapprochés, et pas pour rien. Émetteur et destinataire recevant chacun la notification d'envoie et de réception, le fait que cela ne survienne immédiatement avait annoncé à Loria le retour de Richard au pays. Elle ne s'était pas faite prier et depuis, elle en profitait comme avant. Le fait de ne recevoir aucune réponse ne la décourageait en rien car elle ne voulait que lui procurer de l'angoisse. Mais le cinquième jour, alors que Richard devait aller à son appartement afin de récupérer des affaires, il ne revint pas.

Perspicace, Landers avait parfaitement remarqué cette misanthropie depuis leur retour alors qu'il aurait du s'en sentir mieux, surtout avec les derniers mots de Till à son égard. Alors que lui arrivait-il pour s'attarder autant ? Paul savait d'ores et déjà que son groupe Emigrate n'avait rien à voir là-dedans, étant donné le repos "forcé" dû à l'absence de moyens musicaux. Alors quoi d'autre ? Avait-il besoin de réfléchir seul dans son coin ? Un ami ou plus l'avaient-ils rejoint et ils bavardaient ? Paul tenta de le joindre cinq fois de suite, mais sans réponse. Cependant, il reçut un message vraiment douteux quelques minutes plus tard : "Salut mon pote, tu vas bien ? Je n'ai plus rien à fumer alors je cherche partout. Je suis de mauvaise humeur sans clopes alors je t'appellerai une fois que j'en aurai. À plus tard". Ce message le rendit suspicieux car trop amical, expéditif et sans la moindre intimité. Richard ne l'avait pas écrit du tout et Paul s'inquiéta immédiatement. Sachant que Richard avait effacé tous ses messages après que Till les avait lus, il s'agissait là d'une personne se faisant passer pour lui mais ignorant tout de leur relation amoureuse. L'espace d'un instant, Landers l'imagina être allé voir ailleurs. Peut-être que sa "conquête" se serait permise de prendre son portable à son insu ! Exaspéré de l'imaginer encore en train de le tromper, il attendit de savoir quel serait le prochain message dès que Richard s'apercevrait de la naïveté de celui-ci. Malheureusement, l'heure passa et aucun message ne suivit. Décidé, Paul se rendit chez lui afin d'être sûr qu'il allait bien, espérant surtout qu'il y serait... et seul.

Il ne le lui avait jamais dit, mais il détestait l'endroit dans lequel vivait Kruspe. Bien sûr, Richard avait toujours la maison familiale dans laquelle il avait tant de souvenirs avec ses enfants, y compris Margaux et d'autres femmes ayant partagé sa vie. Mais il n'y était sûrement pas en ce moment, car le bruit courait qu'il n'aimait pas y rester seul. Il y avait d'ailleurs une autre rumeur, selon laquelle il chercherait à la vendre. Mais les affaires dont sa créativité dépendait en période de travail se trouvaient ailleurs. Il avait un appartement secondaire qui était situé loin des quartiers à risques. Il s'y rendait lorsqu'il avait besoin d'isolement pour écrire. C'était un immeuble sécurisé et dont chacun des quatre étages était réservé à un seul locataire. L'idéal pour être tranquille !

ooOOoo

Paul connaissait le trafic, alors il savait quand passer dans quelle rue pour ne pas être vu. Il arriva vite à destination sans croiser quiconque. Il regarda autour de lui avant de taper le code d'entrée, que son petit ami n'avait pas changé depuis deux ans malgré ses conseils. Puis il sentit le froid de la cage d'escalier s'abattre sur lui. Il détestait les ascenseurs depuis que le sien s'était bloqué, l'enfermant avec un voisin des plus détestables. "Au moins, ça va me muscler les jambes" pensa t-il avant de franchir les marches.

Ce n'était pas sa première venue ici mais il savait à quel point Kruspe était regardant sur la sécurité. Pour cette raison, il fut stupéfait en arrivant au palier du dernier étage, lorsqu'il constata que la porte d'entrée était légèrement entrouverte. Une bande avait-elle pénétré chez lui pour le cambrioler ou l'agresser ? Était-il préoccupé au point d'en négliger sa propre sécurité ? Ou encore était-il sur le point de ressortir ? Paul s'approcha de la porte avec prudence et tendit l'oreille. Alors que toutes ses pensées les plus sombres allaient vers son compagnon, il entendit soudain un cri de femme. "Rick ? Qu'est-ce que... " pensa t-il avec peur. Un second cri le poussa à entrer. Trouvant rapidement la source en pénétrant dans la chambre, Landers déglutit en voyant le plus jeune sur son lit, serrant la gorge d'une femme qui se débattait pendant qu'il la prenait méchamment.

Atterré, l'aîné marmonna pour lui-même :

- Mais il est en train de...

Pourtant peu sûr de lui, il resta figé à observer et écouter, sursautant lorsque la main de Richard s'abattit brutalement sur le visage de la jeune femme en danger. Paul ouvrit la bouche, submergé par un frisson d'horreur alors que le cauchemar sous ses yeux lui dévoilait un aspect terrifiant de l'homme qu'il aimait. Terrifiant car cela allait bien au-delà de ce que lui-même avait subi, ayant pourtant pardonné ce vice à Richard pour mieux le tuer dans l'œuf.

- RICHARD !

Alors qu'il fonça dans leur direction en hurlant de nouveau, il fut soulagé que l'autre guitariste ne tourne la tête vers lui au son de sa voix et n'arrête immédiatement. S'asseyant près d'eux, toutes ses pensées se mélangèrent lorsqu'il regarda Richard dans les yeux. Kruspe était étrange : paniqué, en sueur et en apparence somnolent.

- Richard ! Qu'est-ce que tu fous, bon sang ?

À la grande surprise de Landers, ce fut plutôt la victime qui lui parut beaucoup trop sereine alors que Richard était toujours au-dessus d'elle, une main plaquée sur sa bouche. Portant juste un t-shirt collé par la sueur, il n'avait jamais respiré aussi vite et manqua de s'écrouler sur elle mais Paul le retint.

- Pitié, Paul, aide-moi !

Sans comprendre le pourquoi de cette imploration, Landers demanda en fronçant les sourcils :

- Quoi ?

Il le regarda de plus près encore, mais avec une attention différente. Ses yeux étaient étranges, à la fois vides et tristes, et ses pupilles étaient dilatées. Landers vérifia autour du lit sans rien comprendre, mais l'état de son compagnon lui faisait peur.

- Aide-moi...

Face à ce murmure, Paul lui prit le dessous du visage sans comprendre. Mais le guitariste remua brutalement son corps et Paul aperçut le détail qui changea sa vision de la situation. Il sut à cet instant pourquoi l'autre homme ne faisait aucun geste pour se relever depuis le début. Il était en incapacité car sa main droite était menottée au bord du lit, ensanglantée. Elle avait juste été dissimulée par un des oreillers.

- C'est quoi ce bordel ? demanda t-il sous le choc.

Alors que Paul l'avait cru en train d'agresser cette femme, c'était Richard qui l'appelait à l'aide. Paul n'eut guère le temps de le questionner sur le sujet puisque la "victime" perdit patience.

- Vous avez bientôt fini ? J'sais pas si vous avez remarqué, mais j'ai pas peur de lui. On fait juste semblant, c'est de la baise.

"Semblant" pensa Paul. Extrêmement énervé, il se remémora les confessions difficiles de son amant tout en détaillant la posture de cette femme. Elle n'était pas attachée, et certaines parties du corps de Kruspe était recouvert de griffures sanglantes et cruellement infligées. Il s'agissait là de maltraitance et probablement de séquestration, en plus d'abus sexuel car Richard n'était pas sobre.

- Putain ! C'est vous Loria, hein ?

Son identité dévoilée avec une telle fureur ne laissa aucune porte de sortie à cette femme. Paul en savait assez sur elle afin d'imaginer dans quel état de vulnérabilité elle avait du laisser son amant autrefois et là, elle avait recommencé. Il sortit son propre portable, comptant bien y mettre fin.

- J'appelle les flics.

- NON !

- Donnez-moi la clé de ces putains de menottes !

Alors qu'elle tenta de se lever avec le corps de Richard au-dessus, Landers la repoussa violemment afin qu'elle reste allongée et la surveilla, serrant le poing en lui crachant sa haine du regard.

- Vous êtes un monstre pervers. Essayez de vous lever et vous serez le première femme au monde sur qui je lèverai la main.

Richard lui agrippa le t-shirt avec un air suppliant.

- Fais pas ça !

Paul aurait du s'en douter, Richard était contre lui aussi malgré son état défaillant. Changeant de plan alors qu'il passait son appel, Loria se tourna vers Richard qui venait de vomir sur le côté du lit, engendrant des grimaces de dégoût chez l'aîné, et saisit l'opportunité de se servir de lui une fois de plus.

- Débarrasse-toi de lui et je te détacherai, c'est promis.

L'espace d'un instant, Landers délaissa son téléphone et la fusilla du regard. Physiquement, Richard ne pouvait rien faire alors elle semblait compter sur la persuasion verbale.

- Justement, espèce de folle, vous l'avez attaché. On se demande qui est drogué ici ! Ça va aller, Rick, je suis là.

Les yeux de Kruspe s'embuèrent lorsque Loria réitéra sa demande... qui devint un ordre. Paul craignit de le voir céder vu son état, mais son amant se montra fort et demeura au-dessus d'elle afin de l'immobiliser le temps que Paul ne donne les détails aux forces de l'ordre. Malheureusement, Richard commençait à avoir du mal à lutter contre l'épuisement. Paul termina son appel en lui massant le dos, puis se pencha vers lui avant de voir un verre renversé sur la moquette.

- Qu'est-ce qu'il a pris comme drogue ? Les flics vont arriver alors c'est le moment d'ouvrir votre gueule ! cracha Paul.

Ricanant en se croyant supérieure, Loria avoua sans honte :

- Je lui ai filé un peu de GHB pour le booster, rien de plus.

- Espèce de folle, putain de tarée obsédée ! Et... ta main, Richard, ton poignet est plein de sang. Tu paniques à cause de la contention, alors arrête de tirer.

La suite s'avéra pénible pour Paul, qui força Loria à avouer dans les moindres détails tout en l'enregistrant à son insu. Lui qui croyait avoir tout vu et entendu dans les faits divers... Non seulement la criminelle n'avait aucun remord et parlait avec une facilité malaisante, mais en plus de ça elle souriait en regardant Richard. Lui était en larmes, désemparé et humilié. Néanmoins, Loria tenta d'alléger l'impact de ce que Landers avait lui-même été témoin. Elle reconnut ses torts à propos de la paire de menottes, de la séquestration et de la drogue, mais elle tenta de lui faire croire que Richard l'avait "volontairement baisée". Paul n'en crut pas un mot car le brun n'aurait jamais rien accepté comme drogue, surtout venant d'elle. De même qu'il ne l'aurait jamais allongée après tout ce qu'elle lui avait fait subir.

Après sept minutes de calvaire auditif, Paul entendit la police s'annoncer à voix haute depuis l'entrée. Il s'agissait de la patrouille la plus proche, envoyée sur place le temps qu'un officier supérieur n'arrive. Mais à son grand malheur, Paul eut l'impression que le plus jeune officier les avait reconnus à la façon dont sa bouche s'était ouverte en les voyant. Il ne put en être sûr car ce dernier garda le silence et fit son devoir, faisant appel à une ambulance avec du matériel mobile, ce qui acheva la pensée de Paul. Il tenait présentement à préserver leur anonymat en leur évitant tout battage médiatique. De toute façon, même si Richard était défoncé, il serait devenu fou s'il avait du aller à l'hôpital et aurait probablement attaqué tout le monde.

Peu après, les secours étaient là et Paul angoissait de ne pouvoir approcher Richard pour le serrer dans ses bras. Regardant les ambulanciers lui faire un lavage d'estomac en urgence, il jeta un regard à la coupable menottée. "Je crève d'envie de te refaire la façade, sale putain" pensa t-il. Il savait que Richard allait lui en vouloir de l'avoir exposé à la justice même si c'était en tant que victime, mais cette femme dangereuse ne devait en aucun cas rester en liberté.

- Vous voyez ces menottes, monsieur ?

Tiré brusquement de ses pensées, il se tourna vers le jeune officier.

- Elles ne sont pas à mon ami, la drogue non plus. Je sais que vous devez avoir l'habitude de ce genre de discours, alors ne m'en faites pas un en retour.

Le policier savait bien qu'il avait répondu de peur d'avoir affaire à une accusation.

- Je vous crois, parce que c'est le modèle qu'on utilise chez nous. Ah chef !

Se creusant les méninges sans comprendre, Paul vit arriver un autre homme avec un long manteau. Sa prestance lui donnait un charisme impressionnant sans même qu'il n'ait à s'exprimer, son regard faisant le reste du travail. Il s'arrêta devant eux avant d'examiner lesdites menottes, puis l'officier s'en approcha totalement avant qu'ils ne commencent à parler à voix basse. Landers vit un bref sourire apparaître sur leurs lèvres l'espace d'un instant, avant d'entendre Loria les appeler rien que pour leur faire un doigt d'honneur, après qu'ils ne l'eurent désignée. Celui qui semblait être le plus gradé passa un coup de fil au capitaine de la police, puis vint ensuite s'adresser à Paul en se présentant comme l'inspecteur Martin.

- Vous nous rendez un gros service, monsieur. Ça fait très longtemps que nous sommes sur ses traces. Votre ami n'est pas le premier à se faire avoir par elle, la liste est longue. Je crois d'ailleurs qu'elle ignore qui il est vraiment, sinon elle aurait cherché à en profiter depuis bien longtemps. Son vrai nom est Cornelia Dietrich. Elle change beaucoup d'identité alors c'est un coup de maître que vous ayez pu nous permettre de la coincer. Ses méthodes sont la drague, le mensonge, et l'accusation de viol avant le chantage. Soit pour l'argent, soit pour le plaisir de manipuler. Elle aime que les hommes soient à sa merci. Elle utilise le GHB si la victime refuse de passer à l'acte, comme elle l'a fait là. Quant aux menottes, avait-il des marques ces derniers jours sur les poignets ?

Tournant en rond, Paul hocha la tête.

- Non, rien.

- Alors il a été suffisamment costaud ce soir pour combattre les effets de la drogue. C'est superficiel mais il faut les soigner. La victime qui a précédé votre ami ici présent, se trouve être un de mes hommes. Elle l'a séduit un soir et lui a fait le coup de ses fantasmes dégoûtants, avant de l'accuser de viol. Il ne s'est pas laissé faire et a eu assez confiance pour venir nous en parler avant qu'elle n'aille trop loin. Mais quand on a essayé de la coincer, elle avait pris la fuite. Elle lui a volé ses menottes sans savoir que la police avait son propre modèle. Vous et votre ami venez de confirmer l'innocence d'un policier, et de faire arrêter une criminelle.

Il s'était abstenu du mot "violeuse" de peur que Richard ne l'entende. L'inspecteur se tourna vers les ambulanciers, qui lui firent un signe positif de la main. Richard récupérait ses facultés mentales et psychologiques.

- Malheureusement, monsieur va devoir nous suivre pour faire une déposition. Il y a très peu de monde à une heure pareille, je ne peux que vous conseiller d'agir maintenant, tant que tout est frais dans sa mémoire. Dès qu'ils auront fini avec lui...

Paul accepta difficilement, sachant que plus vite Richard en aurait fini et plus vite il oublierait ce jour. D'autant qu'il risquait de refuser plus tard s'il laissait trop le temps passer. Il prépara tout de même de quoi masquer suffisamment leurs identités.

Poste de police

Lorsque le plus difficile fut passé, après de nombreux silences embarrassés et une crise de nerfs, l'inspecteur raccompagna Richard auprès de Paul. Toujours nerveux de ne pouvoir le serrer contre lui, ce dernier tremblait et ne demandait qu'à partir pour enfin pouvoir le calmer à sa manière. Ils étaient assis dans la salle d'attente où se trouvaient deux autres personnes, dont la fatigue se lisait sur le visage. Voyant l'inspecteur, Paul tapota l'épaule de Richard mais fut stupéfait de le voir sursauter. Fatigué et choqué, Richard baissa la tête après un regard désolé. Martin croisa le regard de Paul puis parla de façon audible.

- Acceptez toutes nos excuses, Tobias, vous êtes libre de partir.

Sous sa casquette, Paul haussa les sourcils bien qu'il garda la tête baissée. Il devina qu'il s'agissait d'une ruse afin de dissimuler l'identité de Richard au cas où des regards se tourneraient vers lui, ce qui fut le cas. Martin les mena dans le couloir au bout duquel se trouvait une sortie verrouillée, afin d'être certain que personne ne les ennuierait. Ils durent pour ça passer devant la salle d'interrogatoire où se trouvait la dénommée Cornelia. La criminelle fixa Richard alors que celui-ci passait. Il s'arrêta pour en faire autant, la questionnant d'un seul regard.

- Désolée, mon amour. Ce n'était pas personnel entre nous. Peut-être qu'on se reverra, qui sait ?

- Alors ça ma grande, ça m'étonnerait ! intervint Martin.

Sans doute la certitude du policier concernant son avenir la rendit nerveuse, mais elle le provoqua ouvertement.

- Je pourrais très bien sortir demain. Tout est possible de nos jours.

- Si tu envisages de coucher avec la juge, je te souhaite bonne chance.

Sans en rajouter, Cornelia lança un regard indifférent à Kruspe et leva de peu sa main menottée à la table pour le "saluer".

- Au revoir, Richard chéri !

Tremblant violemment, ce dernier sentit Paul lui prendre doucement le bras en lui parlant tout bas, lui recommandant de ne pas la regarder. Le policier leur murmura de l'attendre tout au bout du couloir le temps qu'il vienne leur ouvrir, puis s'avança vers la table. Il se pencha dans le but d'attira l'attention de Cornelia.

- Les personnes comme vous sont très mal vues ici, surtout quand elles ont le culot de s'en prendre à des gens pour les manipuler. Alors tenez-vous à carreau. Votre père vous a fait la même chose dans votre enfance ? Ou un autre membre de la famille ?

Comme amusée et fière de ses actes, la coupable se posa dans le fond de sa chaise en le jaugeant de façon hautaine.

- Ne cherchez pas ce que vous ne trouverez pas, on ne m'a jamais rien fait.

- Encore pire alors, parce que ces hommes que vous harceliez sont innocents.

Elle afficha un sourire victorieux.

- "Innocents", c'est vite pensé. Je vais bien me marrer avec les journalistes.

Cette fois, ce fut l'inspecteur qui se moqua de son audace.

- Si vous croyez que l'affaire sera médiatisée tout ça pour le plaisir de les humilier en public, vous pouvez toujours courir. Vous n'aurez aucune attention, j'y veille en haut lieu depuis le début déjà. Vous tomberez dans l'oubli comme la petite vomissure que vous êtes. Ces messieurs vont tranquillement partir sans plus jamais penser à vous, et ils oublieront très vite votre visage.

Il vit avec satisfaction Cornelia perdre son sang-froid. En gardant le sien, il était parvenu à la déstabiliser au point qu'elle se mit à s'agiter sur sa chaise.

- Ça non ! J'ai du laisser bien des traces, et Richard en a laissé en moi. Peut-être que je le rejoindrai après mon très court séjour en prison, il me manque déjà ! continua la jeune femme au regard noir.

- Je ne vous souhaite pas d'en sortir. Vous savez comment sont les fans quand on s'en prend à leurs idoles ? D'ailleurs ne vous vantez pas de vos exploits en prison, vous pourriez en croiser. Les fans peuvent devenir complètement fous, même très violents pour la plupart. C'est comme si la Terre cessait de tourner pour eux. Si des admirateurs ou des groupies apprennent que vous avez sexuellement agressé un homme qu'ils adulent, ils vous le feront payer très cher. Ils ont une façon de penser rien qu'à eux, ils sont dans leur propre monde. Et si ça vient à se savoir avant, vous n'aurez même pas le temps de vous en vanter une fois en prison.

Martin n'en montra aucune satisfaction, mais la crainte qu'il avait vue dans les yeux coupables le persuada de la disparition définitive de ses grands airs. Selon les révélations qui suivirent, Cornelia se fichait de qui étaient ses victimes dans la vie. Elle ignorait même qui était Richard avant qu'il ne le lui dise. Elle aimait juste avoir un contrôle total sur les hommes et se vanta d'être très douée pour ça, mais sans chercher à les humilier aux yeux du monde. Stupéfait devant la cruauté de cette personne, Martin sortit de la pièce en fermant la porte et suivit le couloir emprunté par les hommes qui l'attendaient. Paul raccrocha son téléphone en voyant le policier, et lui exprima toute sa gratitude avant que ce dernier ne leur ouvre la porte.

Une fois à l'extérieur, le policier examina la rue du regard : elle était complètement déserte. Paul voulut appeler un taxi mais Richard refusa, prétextant vouloir marcher. Bien que son appartement se trouvait à trois pâtés de maisons, Paul savait qu'il mentait sur la raison. Son amant ne voulait plus voir personne. Pourtant, Landers insista car il refusait de laisser Richard retourner chez lui après ce qu'il venait d'endurer. Il passa donc son appel et ceci fait, il se tourna vers Martin.

- Merci d'avoir agi en toute discrétion, on vous en doit une.

- Je vous ai reconnus tout de suite, vous recouvrez les murs de la chambre de mon fils. Il joue de la guitare et c'est un de vos admirateurs, vous avez eu de la chance de tomber sur moi. C'est pour ça que j'ai directement appelé mon capitaine, il est dans le même cas avec sa fille et nos ados sortent ensemble depuis deux ans. Il a usé de son influence pour que l'affaire ne s'ébruite pas.

- Merci beaucoup, vraiment !

Même s'il fut moins en état, Richard le remercia également et ils lui serrèrent la main. L'inspecteur resta avec eux par prudence le temps que le chauffeur n'arrive, puis ils se dirent au revoir après de nouveaux remerciements. Par sécurité, Martin changea de nouveau l'identité des deux hommes devant le chauffeur, qui de toute façon à une heure pareille se moquait pas mal de savoir qui il conduisait et où. En revanche, Landers donna comme repère une boulangerie proche de chez lui, car il ne voulait pas révéler son adresse au cas où ils seraient démasqués. À leur arrivée, ils payèrent le chauffeur puis attendirent que sa voiture ne disparaisse dans l'horizon nocturne pour se mettre à marcher. La maison de Landers était à moins de cent mètres et ils y parvinrent sans dérangement. Mais à partir de là, Richard ne fut plus le même.

Entre ces murs chauds, il aurait dû se sentir protégé mais il se renferma et cessa pratiquement de bouger. Paul décida alors de lui laisser du temps, sans envahir son espace ni le brusquer. Il avait probablement besoin de se rendre compte qu'il était en sécurité. Mais en dépit du silence reposant et des odeurs familières, il resta amorphe. Il avait des choses à dire, mais c'était comme s'il avait peur d'ouvrir la bouche. Paul ôta sa veste. Voulant l'aider, il le conduisit à la chambre avant de lui retirer tous ses vêtements, hormis son boxer et son jean. Le reste ne ferait que lui rappeler sa tortionnaire puisqu'il sentait le sang et la sueur.

- Je n'ai pas de vêtements à toi, j'irai t'en chercher demain. Tu vas juste garder ton pantalon pour l'instant. Allez, exprime-toi.

Mais rien ! Lorsqu'il regarda ses yeux, le plus jeune était totalement hors de la réalité.

- Reesh ?

Toujours rien ! Paul allait de nouveau se faire entendre, mais Richard sortit de sa léthargie et le plaqua violemment au mur. La peur et la surprise s'emparèrent de Paul, mais il s'efforça de ne pas le lui montrer. Richard avait juste accumulé trop d'émotions et devait faire le vide, mais il n'allait pas lui faire de mal.

- Vas-y, énerve-toi s'il le faut mais ne reste pas muet. S'il faut que tu casses tout, fais-le mais je veux t'entendre.

Il n'en pensait pas un mot mais Kruspe le terrifiait par son regard, comme s'il allait le briser. Pourtant, il était trop mal pour s'emporter car les effets de la drogue se faisaient encore sentir en lui. Pris de nausée, il relâcha doucement les bras de Paul et se rendit à la salle de bain juste à côté de la chambre. Tétanisé par sa colère, Landers resta collé au mur en l'écoutant vomir ce qu'il avait ingurgité. Comme ces derniers jours le lui avaient appris, ses sentiments étaient plus forts que sa rancœur. Il ne put rester longtemps sans aller le rejoindre. Il ouvrit la porte et, voyant son amant penché au-dessus de la cuvette, il lui massa le dos et l'empêcha de se cogner. Richard demeura ainsi plusieurs minutes à remettre ses pensées en ordre, avant de réussir à prononcer un mot sans se relever.

- Pourquoi je n'arrive pas à t'en vouloir ?

Continuant de masser son dos, Paul répondit avec compassion :

- Parce que je n'avais pas le choix.

Le plus jeune se releva enfin en tenant le bas de son dos endolori. Il tira la chasse et se rinça la bouche au lavabo, avant de désinfecter la cuvette à l'aide d'une lingette. Bien que Paul pensa lui faire remettre cela à plus tard, il savait que Richard était tatillon sur l'hygiène et aurait insisté.

- Tu as entendu les flics, elle s'en est aussi prise à un des leurs et il y en aurait eu d'autres encore après toi. Je sais que tu m'en veux, mais je t'aime et je sais que j'ai fait ce qu'il fallait. Ton nom n'existe pas pour eux, ils t'ont couvert et elle va prendre cher parce que leur collègue va parler contre elle maintenant. Elle va sûrement en dénoncer quelques autres rien que pour se vanter.

- SI ELLE N'EST PAS CONDAMNÉE, ELLE REVIENDRA ET ELLE RECOMMENCERA.

Richard se plaqua les mains sur la tête après avoir hurlé sur son amant, choqué par le ton qu'il venait de prendre.

- Ne crie pas ! Chéri, calme-toi et regarde-moi.

Avec douceur, Paul le fit pivoter et empêcha ses mains tremblantes de lui faire du mal.

- Ce n'est pas sûr. Alors que si je n'avais rien fait, elle serait forcément revenue. Elle a épié ton retour après tout ce temps, elle s'est pointée à ton appart sans que tu ne t'en aperçoives. Comment elle est entrée chez toi au fait ? Tu n'as pas regardé dans le judas avant d'ouvrir ?

Kruspe se posa au bord du lit. Le temps qu'il ne décide de lui répondre, Paul se rendit dans la salle de bain à côté et commença à faire couler l'eau pour lui préparer de quoi se nettoyer. Produits, serviette, gant de toilette, seuls les vêtements manqueraient car il n'y en avait pas ici. À son retour, leurs regards se croisèrent et le plus jeune trouva la force de s'exprimer.

- C'est moi qui l'ai laissée entrer. Elle m'a dit qu'elle avait juste envie de me parler. Rien de plus, alors j'ai eu confiance.

Paul s'abstint de le juger. Il s'assit près de lui et resta silencieux pour ne pas l'interrompre.

- Je n'ai pas sorti d'alcool, juste un peu d'eau mais... je lui ai tourné le dos pour entrouvrir la porte d'entrée. Je ne voulais pas qu'elle se sente chez elle. Je lui ai dit qu'elle devrait repartir dès qu'elle aurait fini son verre. Elle a du en profiter pour droguer le mien ! Je n'aurai pas dû me servir. Comment je vais faire, Paul ? J'en ai marre, je voulais seulement avoir de la compagnie ce soir-là. Pourquoi je l'ai rencontrée, elle ?

Paul se rendit compte que Richard avait fait tout ce qu'il fallait malgré ce qui lui était arrivé. Écœuré par le goût dans sa bouche, ce dernier saisit une brosse à dents neuve que Paul lui tendit, et alla se les brosser en jurant contre son mal de tête. Le temps qu'il ne termine, Paul lui imposa posément de prendre un bain. Cependant, une chose l'intrigua lorsqu'il proposa à son amant d'aller lui chercher des vêtements dans sa maison familiale le lendemain. Richard refusa. Paul avait choisi ce lieu afin qu'il ne retourne pas dans l'appartement où se trouvaient un verre d'eau droguée, l'odeur de la sueur et un lit en bataille avec du sang sur le drap. Richard avait néanmoins opté pour cette destination "pour la distance". Bien qu'il voulut insister, Landers se retint et accepta sa demande. Il pensa qu'éventuellement, l'autre homme cherchait à garder le dessus sur ce qui lui était arrivé afin que cela n'ait aucun impact sur son self control.

- Tu sais, j'ai beau ne pas être croyant mais mon quotidien se résume à laisser faire le karma. J'ai l'impression que ça m'arrive à cause de ce que j'ai fait à Laurence.

- Quoi ?

Stupéfait que cela ne le ramène au crime qu'il avait perpétré, Paul lui prit la main sans répondre. Il ne voulait pas influencer son imagination alors que lui-même se posait souvent des questions comme celle-ci.

- Depuis ce jour, je sens des retours de bâtons à chaque fois qu'il m'arrive quelque chose de mal. Je me demande pendant combien de temps je vais encore payer le prix de ce que j'ai fait. Si c'est toute ma vie...

La main de Paul sur sa joue lui fit du bien au point de l'arrêter dans sa diatribe, et il ferma les yeux alors que l'aîné le déshabillait.

- Chaton, ce qu'il s'est passé avec elle n'a rien à voir. Tu as fait quelque chose de mal, c'est vrai, mais tu n'as pas mérité ce qu'il t'est arrivé. Allez, lève bien la jambe !

- Pourquoi pas ? Un viol pour un autre !

Après avoir aidé Richard à s'étendre correctement dans la baignoire sans se cogner, Paul l'embrassa.

- S'il avait fallu que tu en paies le prix, ce serait arrivé il y a longtemps. Pourquoi le sort aurait-il attendu maintenant ?

Paul lui conseilla de se replonger dans les jours, voire les semaines qui avaient suivi ce qu'il avait fait subir à Laurence. Il dut pour cela se remémorer tout ce qui avait pu lui arriver de mal après ça. Peu enclin à se replonger dans cette période noire, Kruspe rassembla son peu de souvenirs intacts. Malheureusement, il avait de nouveau sombré dans les addictions après son crime. Il n'en avait jamais parlé à personne et Rammstein étant en période de pause, son état n'avait attiré l'attention de personne. Mais ses souvenirs étaient aussi hachés que son âme, et il abandonna très vite.

- Je... j'en sais rien.

- Réfléchis bien !

Paul voulait des réponses alors Richard soupira. Autant essayer de lui donner le peu dont il pouvait se souvenir !

- J'ai replongé après avoir fait ça, ma mémoire est noyée dans le brouillard.

- Quel lugubre poésie ! Allez mon grand, juste un élément pour y voir plus clair dans ton obscur inconscient.

- Écoute, je ne vois rien en dehors de ma mauvaise conscience de l'époque. J'étais le seul coupable, mais ce sont deux personnes heureuses qui ont subi les conséquences. Laurence est partie et Till était malheureux à en crever. Et on n'en savait rien ! Il a subi une cascade de contrecoups par ma faute. Alors tu tiens vraiment à savoir pourquoi je sens que j'en paie le prix aujourd'hui ? Parce que je ne m'étais plus senti aussi heureux depuis longtemps. J'étais très bien avec Karen, c'est sûr. Au début en tout cas. Jusqu'au jour où j'ai commencé à me comporter comme un minable.

- Elle t'en a voulu d'avoir été abusif sexuellement, mais je sais qu'elle t'aimait encore après votre rupture. Ce n'est pas pour rien qu'elle m'a demandé de veiller sur toi. Elle savait que son manque de confiance envers toi avait pesé dans la balance. C'est Loria, la cause de tout. Si elle n'était pas venu remuer la merde en inventant des salades, tu serais encore avec karen.

Richard tourna un regard fatigué et triste vers lui.

- Mais mes sentiments pour toi sont plus anciens, et beaucoup plus forts. La merde a été remuée au moment où je me sentais le plus heureux, rien que pour me faire tomber.

Landers comprit enfin où il voulait en venir. Encore groggy ou non, Richard avait un bon esprit et les pensées suffisamment en ordre pour s'exprimer clairement. Il approcha également son visage et le caressa avant de lui faire remarquer qu'il était "encore debout". Que cette tentative du karma pour le faire chuter avait échoué.

- Tu ne m'auras jamais autant mis sous la douche.

Riant, Paul lui embrassa le front en restant à ses côtés.

- Ceci une baignoire. Alors tu as tout le temps d'en profiter, et je veux que tu le fasses.

Richard n'étant pas pleinement éveillé, Paul resta à ses côtés afin d'être sûr qu'il ne vienne pas à s'endormir dans l'eau. Kruspe n'eut pas à débattre là-dessus pour accepter sa présence, et il lui prit la main avant de le voir s'asseoir près de la baignoire. Ils passèrent un tendre moment dans le silence, avant que Richard ne remarque que la position assisse de Paul avec sa tête penchée contre la sienne, lui était inconfortable. Il se rassit et l'encouragea à se redresser, avant de l'embrasser dans le cou. Sentant poindre les frissons de Paul, il murmura :

- Tu as des objets de valeur dans tes poches ?

Sans comprendre le but de sa question alors que Kruspe reprenait ses baisers, Paul plissa légèrement les yeux en tâtonnant les multiples poches de son cargo noir.

- Aucun, j'ai largué mon téléphone et mon portefeuille. Pourq...

Coupé par un baiser envahissant mais savoureux, il n'en réalisa la finalité que lorsque les bras puissants de Richard l'attirèrent dans la baignoire. Surpris et pestant à cause de ses vêtements mouillés, il se réjouit au moins d'entendre le plus jeune en rire. Les restes de la drogue semblaient se dissiper et il ne voulait pas renfrogner son partenaire après l'expérience traumatisante vécue ce soir. Néanmoins, il gesticula à cause de l'inconfort dû à ses vêtements mouillés.

- Richard, j'ai horreur de porter des vêtements trempés.

Lui tournant la tête vers lui, Richard lui adressa son plus beau sourire et malgré ses cernes, Paul ne put que céder à la tentation et prit son aise autant que possible. Il se tourna face à lui, en position mi-allongée, et ils s'embrassèrent avec passion. Alors que la température de l'eau commençait à tiédir, Paul pesta sur son t-shirt collant ainsi que son pantalon, qui commençait à renfermer une envie inopinée. Richard lui caressa le torse sous son t-shirt avant de lui faire une proposition.

- Rien ne t'empêche d'enlever tout ça maintenant. Sans compter que je vois quelque chose ici... c'est bien ce que je pensais.

Pressant une main entre les jambes de son amant, Kruspe caressa l'érection retenue par les tissus et baissa doucement la fermeture pour la libérer. Passant la main dans le cargo, il continua de faire gémir Landers dans sa bouche en caressant l'organe en profondeur. Bien que Paul lui fit suavement remarquer que le moment n'était pas aux plaisirs charnels, Richard le savait et savait ne pas être suffisamment en forme pour ça.

- Je sais, j'ai juste envie de te toucher. Je ne cache pas que ça m'excite de t'avoir avec moi dans la baignoire, mais j'ai mal à la tête de toute façon.

Paul se reprit alors, et se redressa en lui posant une main dans le cou.

- Oui, on va rester tranquilles ce soir. Tu as le cou brûlant, il faut que tu te reposes.

Même si l'autre homme partageait son avis, il l'attira de nouveau contre lui. Lorsque ses mains se firent de nouveau baladeuses au bout de quelques secondes, Paul pensa immédiatement qu'il avait une arrière-pensée.

- C'est pas simple dans ta petite tête, hein !

- Mais je veux juste te toucher !

- Je te crois.

Ressassant une dernière fois leurs envies et retenues, ajoutés à l'entêtement de Richard, Paul déposa avec tendresse quelques baisers dans ses cheveux et ils commencèrent à se laver minutieusement. Richard ne rechigna pas à la tâche sachant que son hygiène habituellement impeccable avait été mise à rude épreuve. Il passa le double de son temps à se nettoyer, tout en savourant les étreintes prolongées avec Paul. Ce dernier termina et sortit avant lui, mais dut lui soutenir que frotter rageusement comme il le faisait ne ferait pas disparaître son souvenir. En effet, Richard insistait inutilement et sa peau était devenue rouge. Paul lui prit le cou et l'encouragea à utiliser cette volonté pour chasser sa honte, et ainsi se sentir plus fort que Loria. Chercher à oublier ne changerait rien, il devait juste prendre le dessus.

Lorsque le second guitariste sortit enfin du bain, il s'essuya si lentement que son amant se demanda s'il n'allait pas s'affaler d'une seconde à l'autre. Prévenant, il le força à garder l'esprit clair jusqu'à ce qu'ils n'atteignent le lit. Afin d'accélérer le processus, et bien que Richard n'aimait pas se sentir si faible, Paul l'aida à s'essuyer et à remettre son boxer et son t-shirt. Il aimait s'occuper de lui de cette façon, il déplorait juste le fait que Richard ne soit dans cet état second. Ils s'allongèrent en restant l'un contre l'autre, bien que Richard sentait qu'il avait un net besoin d'espace. Il avait peur de s'éloigner de celui qu'il aimait. Néanmoins gêné par les regards prolongés et analytiques de Paul, il se tourna face au mur tout en l'attirant entièrement contre lui.

- Paul !

Peu ébranlé par cette rupture visuelle, ce dernier ne s'en montra que plus compatissant et garda la main sur sa hanche.

- Oui ?

- Qu'est-ce que je vais faire pour... elle ?

Richard n'avait pas pu prononcer le prénom, détail que son amant ne souleva pas car si les rôles avaient été inversés, il n'aurait pu le faire non plus. De toute façon, le pronom "elle" était transparent pour lui.

- Le temps t'aidera à réfléchir, d'accord ?

- Pas question ! S'il faut témoigner pour la faire condamner, je ne pourrai pas. Je n'ai pas envie d'avoir à dire publiquement que je me suis fait droguer, ni...

L'aîné se colla à lui et lui passa la main sur le ventre.

- Mon vieux, il ne faut pas avoir peur. Ce genre de procès se déroulent à huis-clos. Que la victime soit une femme ou un homme, ça ne pèse pas dans la balance et ce n'est pas à elle d'avoir honte.

- Ça dépend !

Bien qu'il l'avait murmuré, Paul n'avait pas eu besoin de tendre l'oreille et il soupira. Kruspe fondit en larmes en quelques secondes, s'énervant contre lui-même en se serrant autant contre l'oreiller que contre Paul. Ce dernier remarqua d'ailleurs qu'il était en train de se recroqueviller en position fœtale sous la couverture. Paul resta silencieux, peiné et nerveux à l'idée d'ajouter le mot de trop. Il attendit que son ami ne se calme tout seul, avant que ses larmes ne se changent en un rire étrange. Landers releva légèrement la tête par dessus son épaule et attendit.

- Le violeur violé, si ce n'est pas ça le karma !

"Fallait m'y attendre" pensa Paul. Il se pencha et vit un regard froidement rivé sur le mur de la chambre.

- Je t'ai entendu, hein ! Ne dis pas ça. Tu n'as pas voulu ce que tu as fait à Laurence. Contrairement à Loria, tu as des remords.

- Mais je l'ai fait quand même ! grogna méchamment Richard.

Craignant que cela ne vire à une irrémédiable dispute, Paul coupa la conversation de façon tranchante et décisive.

- Allez, tu fermes les yeux et tu te tais.

ooOOoo

Richard se réveilla après une énième nuit au sommeil entrecoupé par les cauchemars. Il ouvrit les yeux, prêt à contempler soit le visage endormi de Paul, soit le mur. Mais il n'y avait rien à la place de celui qui aurait dû occuper la place opposée. Son petit ami était déjà réveillé, et descendu depuis longtemps car sa place était froide. Il avait très probablement voulu le laisser dormir. Pourtant il semblait encore très tôt car le ciel était sombre, et gris. Pour ne rien arranger à ce maussade début de journée, il pleuvait abondement. La pluie battait les carreaux et même si Richard pensa ne pas réussir à se rendormir, il refusa de regarder le réveil de peur de se décourager. Ce qui le réveilla davantage, ce fut une forte mais délicieuse odeur de gingembre provenant de la salle de bain, pourtant éteinte. Paul s'était occupé de son hygiène, quitte à se lever très tôt afin de le laisser dormir paisiblement.

Richard voulait vraiment se lever, mais l'idée que la chaleur ne laisse place à une brutale fraîcheur non désirée au réveil le dépita. De plus, Paul penserait que son absence en était la cause, et il ne se tromperait pas. Il tenta alors de se rendormir mais sans y arriver. Il pensait à trop de choses, y compris à Paul. Alors que le tonnerre gronda soudainement, Richard sourit. Il allait pouvoir jouir d'un de ses plaisirs gratuits. Il adorait le tonnerre et les éclairs, car l'un le berçait et l'autre l'émerveillait. Il se recouvrit correctement et fixa l'extérieur. S'il ne pouvait se rendormir, il aurait au moins cela pour se détendre. Le temps perdit toute son importance ainsi que son sommeil, mais les éclairs étant plus rares que le grondement du ciel, Richard ferma les yeux et passa le reste du temps à écouter.

Alors qu'il était au chaud, l'esprit délassé, il lui sembla entendre la porte s'ouvrir tout doucement. Lorsqu'il tourna la tête vers elle, il vit Paul le regarder avec une mine désolée, lui qui pensait l'avoir extirpé du monde des rêves. Alors qu'il pensa à refermer la porte en s'excusant du regard, le plus jeune sortit un bras de sous la couverture pour le tendre vers lui.

- M'bébé, viens !

Paul entra après avoir trouvé sa réponse. Si Richard parlait sans contrainte, il était réveillé depuis un bon moment. Tout comme Paul, il n'était pas du tout "fréquentable" au réveil mais entre eux, c'était différent. Excepté en cas de mauvaise humeur qui sauterait aux yeux, les deux hommes n'allaient pas se sauter à la gorge et feraient juste preuve de mollesse matinale le temps que leur énergie ne soit totale.

- Pardon, j'espère que je ne t'ai pas réveillé ! dit Paul en lui prenant le bras.

Il s'assit contre lui et réajusta la couverture.

- J'ai voulu te laisser dormir. Tu n'as pas arrêté de bouger cette nuit alors je me suis levé tôt en espérant que si tu n'avais personne à boxer, ça te calmerait. Non ! Tu ne m'as pas cogné, je plaisante. Mais je voulais vraiment que tu dormes. Moi je ne pouvais plus à cause de l'orage, d'ailleurs on n'a plus de jus pour plusieurs heures au moins. Ma voisine Laura est passée vite fait pour me prévenir. Un éclair est tombé au bout de la rue il y a quelques heures, il a touché un poteau électrique au moment où son mari partait au travail. Il l'a évité de peu.

Richard vérifia cette fois le radio-réveil, qui en effet était éteint.

- J'ai pris une douche vite fait avec la lumière de mon téléphone et après j'ai bouquiné. Si tu veux, je peux nous faire du café à la cuisinière ? J'ai toujours du café soluble au cas où. J'attendais que tu te réveilles pour savoir.

D'un visage fatigué, Richard referma les yeux mais tendit les bras vers lui en pliant les doigts plusieurs fois de suite. Paul comprit immédiatement et sourit.

- Un câlin d'abord ?

Incapable de lui résister, il fondit doucement vers son corps pour se placer à califourchon dessus. Paul n'aimait pas se rallonger une fois lavé et habillé, mais il accepta de faire une exception rien que pour lui. Au moment où il commença à déposer d'innocents baisers sur sa tempe, Kruspe baissa les couvertures pour le faire passer en dessous et lui offrir la chaleur conservée. Se glissant dessous, Paul resta tranquille afin de ne pas brusquer son réveil et ils s'enlacèrent. Ce moment fut d'une telle douceur que l'un comme l'autre parvinrent à refermer les yeux sans s'en apercevoir.

À la seconde où Richard se réveilla de nouveau, il constata que la place près de lui était encore vide. La chambre était plus éclairée mais le tonnerre se faisait toujours entendre au-dessus d'eux. Il se tourna et remarqua que le courant était revenu car le radio-réveil l'informait sur les neuf heures quarante-deux. Debout devant la fenêtre, Landers fixait l'extérieur avec calme et admiration comme s'il était hypnotisé. Richard avait envie de le rejoindre mais espéra que cela n'allait pas troubler son moment de quiétude. Après l'avoir regardé pendant plusieurs minutes, il se leva et l'approcha. Il se colla doucement contre lui et souffla sur sa nuque avant d'y déposer un baiser. Paul ne sursauta pas. Au contraire, il sembla ravi de son réveil et accueillit ses bras autour de lui.

- Ça va mon cœur ? demanda t-il en continuant de regarder dehors.

Richard l'imita et lui fit profiter de sa chaleur corporelle. En étant son second réveil, il ne fut pas dérangé pour parler.

- Ça va, mais tu me manquais déjà. J'ai envie de toi en plus.

Paul eut un petit rire, mais Richard sentit qu'il s'était légèrement tendu. Son compagnon semblait toujours avoir peur de "recevoir", mais Richard ne lui en voulait pas. Il était déjà l'homme le plus heureux du monde d'avoir été pardonné par Paul... et surtout aimé par lui. Afin de le rassurer, il déposa un baiser sur son oreille gauche en murmurant :

- Je sais, je vais rester sage.

Il lui tourna la tête. Les yeux de Paul, dans lesquels se refléta un bel éclair, montrèrent un aspect à la fois terrifiant et surnaturel. Captivé, Richard l'embrassa en gardant la main sur sa joue barbue. Cela faisait quatre jours que Paul ne s'était pas rasé sous la demande de son amant, qui tenait à contempler une barbe complète chez lui rien qu'une fois. Il avait constaté avec surprise que sa pilosité faciale était aussi douce que le tissu d'un vêtement, et avait insisté pour qu'il la garde un peu.

Décidant de le remercier à sa manière pour sa patience, Paul se tourna et l'embrassa à toute vitesse. Les ravages subis par les lèvres de Richard lui donnèrent une envie furieuse. Il souleva son partenaire de toutes ses forces et sans le prévenir. Riant en voyant que Paul craignait une chute, il ricana.

- Rick, et si tu me fais tomber ?

- Je n'ai pas l'intention de te lâcher. Sauf...

Paul n'eut besoin d'aucune réponse pour s'en faire lorsque le plus jeune se rapprocha du lit pour l'y plaquer brusquement, avant de se poser sur lui sans ménagement.

- J'ai envie que tu me fasses l'amour, Paul. Je veux oublier cette pétasse alors fais-moi l'amour.

L'aîné sentit pointer son érection contre lui et sut qu'il n'allait pas tenir longtemps non plus.

- Que j'aime entendre ces mots sortir de ta bouche ! Dis-le-moi encore !

Richard le regarda de façon étrangement sérieuse, puis murmura :

- Baise-moi !

Encore plus émoustillé, Paul le renversa de toutes ses forces. Cet orage, ils n'allaient pas en voir la fin.

à suivre...