Bonjour !

Je vous avais dit max six mois sans nouvelles ? Eh bien voilà, j'ai tenu ma promesse, ça fait six mois Mais réjouissons vous, je reviens et ça va durer !
Installez vous une minute tranquillement pour lire mon blabla d'auteure, ça pourrait contenir des infos intéressantes.
Déjà, merci d'être là. Si vous êtes des fidèles au poste, merci de revenir me hanter, moi et ce fandom désert, ça fait chaud au coeur. J'espère ne pas vous décevoir. Si vous êtes nouveaux/lles, échoué/es là par hasard, entrez, vous inquiétez pas, je ne mords pas. Par contre, je décline toute responsabilité si vous pleurez à la fin (et un peu au milieu).

La dernière fois, je vous avais dit que je disparaissais des radars le temps d'avancer un gros projet, eh bien voilà, j'en ai enfin accouché, du moins suffisamment pour vous le présenter, il est temps ! Donc :

Infos sur l'histoire : ceci est un GROS bébé. À l'heure actuelle, j'ai écrit deux parties sur trois, pour un total de 51 chapitres (25 dans la partie I, 26 dans la partie II). Chaque partie fait entre 275 et 300 pages, et 150 000 mots. C'est pensé comme une longue fic fleuve, sur plusieurs années/décennies. C'est assez différent de ce que j'ai fait ces derniers temps. Ça tend plus vers "Crabe", pour les anciens qui survivraient encore.
De plus, c'est ancré dans le réel. La partie I se déroule de fin septembre 1995 à décembre 1996. Autant que faire se peut, je suis la réalité des évènements afin d'ancrer le récit de le réel. Cependant, j'improvise sans doute beaucoup de choses (exemple : l'organisation des cours de médecine) ou en invente selon les besoins de l'histoire. Également, si les personnages vont pouvoir avoir des réflexions de ces années là (Metoo n'existe pas, et le mariage homosexuel est interdit, je vous rappelle, par exemple), ils sont globalement BEAUCOUP plus ouverts d'esprit, tolérants etc., que devaient réellement l'être les gens à cette époque.
Dernier warning : c'est pas une fic mignonne. C'est pas non plus une fic horrible. C'est une fic qui raconte des gens qui vivent, tout simplement ;) (et la vie, parfois, c'est lent. Je préfère prévenir)

Rating : Y'a encore des gens qui se posent la question de si je peux écrire autre chose que du M ? Spoiler, la réponse est non. M'enfin globalement, ça va concerner une poignée de chapitres sur la masse, cela dit. Le reste du temps, on est en T.

Rythme de publication : C'est là où vous n'allez pas être content : toutes les deux semaines, les mercredis. Ainsi, ça veut dire que j'ai 102 semaines (soit un tout petit moins que deux ans) devant moi pour écrire 150k (soit, à mon rythme d'écriture quotidien, six mois et vingt jours). Ça vous paraît absurde, de partir sur deux ans de publication alors que je n'ai besoin "que" de six mois pour écrire ? On pourrait le croire, mais en fait non. Ça ne l'est pas. Parce que parfois, j'écris d'autres trucs. Parce que parfois, je dois tout relire du début pour vérifier des trucs et éliminer les incohérences. Parce qu'ensuite, il faudra tout relire, corriger, uploader.
Par contre, je ne suis pas un monstre : dès que la partie III est finie et prête, j'accélèrerai la publication.
Mais en attendant... bah on est partis sur deux ans. J'vous avais dit, c'est un gros bébé ^^

Bêta : Mon Elie, pour la partie I. Juste mes pauvres petits yeux pour la partie II. D'avance, pardon pour les fautes.

Disclaimer : Les personnages de Sherlock Holmes et cie appartiennent à Sir Arthur Conan Doyle, l'adaptation pour la BBC appartient à MM Steven Moffat et Mark Gatiss. Merci à eux de me laisser m'amuser avec leurs jouets, que je rends rarement en bon état... ;p Je possède en revanche l'histoire, et tous les personnages originaux (en six cents pages, y'en a un paquet) qui viendraient faire leur apparition.
Arthur, Merlin et Mordred appartiennent aux légendes arthuriennes, et à la bande des J de la BBC (Julian Jones, Julian Murphy, Johnny Capps, Jake Michie) pour l'adaptation moderne. Pas d'inquiétude, ce n'est pas un cross over, inutile d'avoir vu la série Merlin pour comprendre, c'est principalement un délire (assez long) entre moi et moi en partie II, mais ça n'entache en rien la compréhension de la fic.
Je ne réalise aucun profit avec ce texte, mais vous pouvez me faire parvenir vos mots d'amour par le biais des reviews. Ça fonctionne très bien.

Félicitations à tout ceux qui auraient lu jusque là, merci à tous les lecteurs qui reviendraient hanter cette fic, et surtout, bonne lecture à tous !


Partie 1 - Avant

Chapitre 1

— Hydrophile. Pas hydrophobe, crétin.

— Pardon ?

John releva les yeux du cours qu'il prenait religieusement, à s'en faire mal au poignet, pour contempler son voisin, qui venait de lâcher une phrase qu'il avait mal entendue.

— Mais quel crétin. Comment un imbécile pareil peut être prof ?

John en avait arrêté d'écrire, et c'était déjà foutu. Les cours de médecine de première année n'étaient pas le bon endroit pour se payer le luxe d'un peu de repos de la main. Il fallait écrire, encore et toujours, à la chaîne, juste pour écrire des litanies de concepts et de connaissances qu'il fallait ingurgiter en un temps record, à la virgule près. John adorait ça. Cette ambiance, cette émulation, cet épuisement de fin de journée. Il en redemandait. Il avait déjà hâte de l'internat de médecine, des gardes de trente-six heures, d'être épuisé au point de ne plus savoir comment il s'appelait. Depuis presque deux mois que les cours avaient commencés, certains de ses camarades avaient déjà abandonnés.

Sans aucune pitié, les profs avaient commenté que ceux-là n'étaient pas faits pour être médecins. Et de toute manière, parmi ceux qui restaient, nombreux encore échoueraient car pas faits pour ce métier. Alors que la plupart des étudiants avaient contesté à voix basse ce despotisme esclavagiste, John y avait agréé de toutes ses forces.

Peut-être était-il timbré, c'était une option à ne pas exclure. Mais il voulait faire ça depuis tout petit, et il ne laisserait jamais rien ni personne se mettre au travers du chemin entre lui et son rêve.

Et puis, s'il était timbré, il l'était forcément moins que l'espèce de cinglé assis à côté de lui, qui continuait de marmonner. John abandonna l'idée de prendre en note le cours. Il le copierait sur un camarade plus tard. Le cours serait terminé bientôt, dans dix minutes environ. Il n'aurait pas perdu trop de choses.

Comme il était libéré de son obligation implicite de prendre en note chaque syllabe de son professeur, John en profita pour mieux observer, à la dérobée, son camarade. Il ne l'avait encore jamais vu. En soi, ce n'était pas si étonnant. L'Imperial College of London comptait des milliers et des milliers d'étudiants, et le cursus de médecine y était très réputé. Il était impossible de connaître tous ses camarades, dans les plusieurs centaines que comptait leur promo de première année. Néanmoins, le jeune homme se targuait d'avoir une bonne mémoire visuelle. Et c'était toujours plus ou moins les mêmes qui s'installaient aux mêmes endroits. John, dans les rangs de devant mais un peu excentrés, était à sa place. Il y retrouvait régulièrement les mêmes têtes, et à force, sans jamais s'être réellement adressé la parole (à part pour des « t'as pas un stylo ? » de temps à autre), ils se saluaient d'un hochement de tête, épisodiquement.

Celui-là, John était sûr de ne jamais l'avoir vu. Il était difficile à oublier. Il y avait quelque chose, dans l'harmonie de ses traits, dans son visage, dans son expression, qui le rendait inqualifiable.

— Je m'appelle Sherlock.

John sursauta, gêné. Il avait fait de son mieux pour ne pas dévisager ouvertement son camarade, et il pensait avoir été discret, jusque-là. Mais l'autre, d'un mouvement imperceptible, s'était tourné vers lui pour lui dire son nom.

— J-John, bafouilla John, écarlate.

Il n'était pas dans ses habitudes de faire ce genre de choses.

— Chut ! leur reprocha-t-on sur le banc derrière eux, et John s'efforça de poser son regard exclusivement sur sa copie, qu'il avait arrêté de noircir. Il n'écoutait même plus la longue litanie de son professeur.

Avec un léger coup d'œil, John regarda de nouveau son voisin de gauche. Il levait les yeux au ciel à intervalles réguliers en commentant, toujours dans sa barbe, les dires de leur enseignant. John n'osait pas trop le regarder, mais il eut le temps de noter qu'il avait les yeux les plus bleus qu'il lui avait été donné de voir dans sa vie. Et pourtant, la combinaison yeux bleus-cheveux blonds-joueur de rugby de John en avait fait chavirer des cœurs, au lycée ! Mais ce drôle d'énergumène, c'était différent. Il dégageait inexplicablement une impression de froideur arrogante, facilitée par la beauté de son profil taillé dans du marbre.

L'autre élément que John ne put s'empêcher de noter, c'était qu'il avait l'air jeune. Très jeune. John n'avait pas la prétention de se croire adulte. Il avait dix-huit ans et faisait sa rentrée à Londres, entrait enfin dans les études supérieures, mais il n'était encore qu'un gosse. S'il y avait bien une leçon que John avait apprise de son enfance, c'était de savoir et reconnaître qu'il ne savait rien. La maturité de reconnaître cette humilité avait joué dans la balance de son admission en médecine et le caractère de boursier qu'il avait. Il devait désormais mériter sa bourse, au demeurant.

Mais si lui, majeur et vacciné, étudiant en médecine, était jeune, dans à peu près la même tranche d'âge que le reste de ses condisciples, le camarade assis à côté de lui paraissait l'être beaucoup plus. Sans qu'il puisse réellement lui donner un âge. Il s'habillait pourtant avec une tenue que John aurait volontiers porté à un mariage, avant de se plaindre en fin de journée que ses chaussures lui faisaient mal.

Mais l'inconnu — non, il n'était pas inconnu, il avait donné son prénom. Mais John ne l'avait pas retenu, juste qu'il était totalement incongru — dégageait cette impression de gamin qui veut jouer au plus grand. Sa chemise était parfaite, ses boutons de manchette aussi, mais on ne pouvait s'empêcher de lire sur son visage toute la candeur qui était encore la sienne.

Cela n'avait cependant rien à voir avec sa taille. Il était déjà plus grand que John, plus fin également, presque maigre.

— Je ne suis pas certain que cela ait un quelconque intérêt pour toi de me regarder, pour information. Cela dit, je conçois que tu n'écoutes plus ce vieil incompétent valétudinaire. Son discours est totalement dépassé, comme lui.

Cette fois, il n'avait même pas daigné se tourner pour adresser la parole à John, et il semblait parfaitement capable d'à la fois écouter l'exposé professoral, remarquer que John le regardait, et lui faire la conversation. Le jeune homme était incapable d'un tel exploit.

— Pardon, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, chuchota John, conscient qu'il risquait de s'attirer les foudres de ses camarades s'il les empêchait d'écouter le cours.

L'autre semblait n'en avoir rien à faire.

— Mal à l'aise ? Je ne vois pas pourquoi.

La réponse laissa John assez perplexe. Il semblait froidement et totalement honnête, en disant cela, comme s'il ne voyait pas le malaise ou la gêne que cela pouvait causer. Pourtant, ne pas dévisager les inconnus était une norme sociale assez basique, sans que John ne puisse réellement l'expliquer avec des mots. Ça ne se faisait tout simplement pas. Il cherchait encore quoi répondre quand la cloche se mit à sonner avec force, marquant la fin du cours. Le professeur acheva sa phrase, les étudiants leur prise de note, et dans un grand mouvement bruyant, commencèrent à quitter la pièce.

— Mince, lança John à voix haute en voyant ses camarades directs quitter les lieux. Je dois demander une copie du cours à quelqu'un !

Il rangeait précipitamment ses affaires pour espérer rattraper un camarade conciliant qui accepterait de faire une photocopie de ses dernières notes (John devrait la payer, et ça ne l'arrangeait pas, d'ailleurs), quand son voisin, qui n'avait pas bougé, le scia sur place.

— Pourquoi ? Pourquoi tu veux récupérer les inepties que cet idiot a déblatéré et que ces crétins ont scrupuleusement noté ? Il s'est trompé à plusieurs reprises. Tu ne devrais pas l'écouter.

John hésita. Si ce gamin n'était réellement pas majeur, et qu'il était en médecine, c'était probablement un génie. Au vu de ses capacités à faire plusieurs choses à la fois sans paraître en souffrir, John était plutôt partisan de cette hypothèse. Peut-être qu'il y avait réellement une erreur dans le cours de son professeur. C'était une possibilité.

Mais pas une que John était prêt à explorer en cet instant.

— Désolé. J'en ai besoin, c'est tout. Bonne journée !

Et ce faisant, il bondit dans les traverses de l'amphi, pour rattraper un élève qu'il connaissait de vue, et dont le nom lui échappait présentement. Mike ou Mitch, un nom comme ça. Il abandonna sans un remord le jeune escogriffe bizarre qui l'avait accompagné sur la fin du cours.

Au moment de franchir la porte, John ne put cependant s'empêcher de se retourner. L'autre n'avait pas bougé, toujours assis sur le banc. Et il fixait John d'un regard impénétrable.

John l'ignorait encore, mais il venait de rencontrer Sherlock Holmes et d'ainsi faire basculer toute sa vie.


John ne repensa pas immédiatement à sa rencontre surréaliste avec un autre étudiant. Sans doute aurait-il pu, s'il l'avait recroisé sur le campus, mais ce ne fut pas le cas. L'Imperial déversait des milliers d'étudiants sur son passage, et John était trop concentré sur ses cours, et sa réussite, pour se focaliser. Il avait réussi à obtenir de l'autre étudiant (qui s'appelait bien Mike, et qui était somme toute fort sympathique) le morceau de cours qu'il avait raté et ça lui suffisait.

Pendant les jours à venir, il ne rata pas de cours, n'eut pas de ratés dans sa prise de note. Au contraire, il accepta même de fournir ses cours à d'autres de ses condisciples, qui avaient perdu le fil à leur tour. En tout état de cause, il n'aimait pas donner son travail à quelqu'un d'autre, mais dans ce genre de moments, il pouvait se faire payer pour la photocopie de ses notes, et John était du genre à compter ses sous. Et le moindre centime comptait, s'il voulait avoir une chance de finir le mois en ayant quelque chose dans l'estomac au moins deux fois par jour.

Ce fut plus d'une semaine après que le jeune homme revit le très jeune étudiant. Quelques secondes avant qu'un nouveau cours magistral en amphi commence, il s'assit brutalement à côté de John.

— Bonjour, John.

John lui jeta un coup d'œil, surpris par cette apparition vaguement surréaliste. Il avait plus ou moins oublié jusqu'à son existence, avant qu'il ne réapparaisse, et se demanda un bref instant si son cerveau n'avait pas déjà plongé dans le burn-out et inventé la personne assise à côté de lui.

— Euh. Bonjour.

Il pouvait être très doué pour sociabiliser, quand il en avait besoin, ou simplement par contact humain. Mais face à ce drôle d'énergumène, il ne savait pas quoi dire. Et surtout, il n'en avait pas vraiment le temps. Le cours allait commencer, et il était hors de question qu'il loupe le coche du début, ou il serait fichu pour les trois heures à venir.

— Mesdames, messieurs, allons-y, déclama le professeur d'un ton emphatique. La dernière fois nous en étions restés...

John déboucha son stylo, le prépara au-dessus de sa feuille, et attendit. Le marathon commença.

Il fallut presque quarante minutes pour que son voisin ne se rappelle à son bon souvenir. John lui jeta un regard par-dessus sa feuille, sans s'arrêter d'écrire. Son cerveau n'assimilait pas la moitié de ce qu'il notait, et sa main fonctionnait plus en pilote automatique qu'autre chose, aussi eut-il le loisir de penser que le drôle d'oiseau à ses côtés était vraiment bizarre. Il jouait avec un stylo entre ses mains, sans prendre la moindre note. Il n'avait pas de bloc, pas de classeur, pas de feuilles. D'ailleurs, rien que le stylo qu'il tenait semblait appartenir à John.

Pourtant, on ne pouvait pas nier qu'il écoutait attentivement, sans doute bien plus que John qui se contentait de noter absolument tous les mots de son enseignant : son visage était étonnamment mobile et expressif. Ce n'étaient pas seulement ses yeux (qui roulaient régulièrement dans leurs orbites ou se levaient au ciel), c'était tout son visage qui se peignait de mimiques, de ses lèvres mordillées et pincées à ses ailettes de nez frémissantes, en passant par ses pommettes ciselées au couteau qui paraissaient avoir une personnalité propre.

— Abruti, commenta-t-il au bout d'un moment, sans que John ne puisse réellement déterminer de quoi il parlait.

Puis, toujours sans prévenir, il attrapa la feuille que John avait posée, après avoir fini de la noircir consciencieusement des paroles (d'évangile ou presque) du prof, et la survola à toute vitesse.

John captait, de regard en coups d'œil, ce que cet énergumène faisait sans jamais pour autant perdre son rythme d'écriture.

Et il fut soudain frappé par la réalisation que l'autre ne lisait pas ses notes, mais cherchait rapidement du regard un endroit précis, sans jamais arrêter d'écouter le professeur. Quand soudain, il y parvint, il déboucha le stylo qu'il tenait — rouge — et annota sans la moindre gêne la prise de notes de John.

Il barra des mots, rajouta des précisions, fit des liens à grands renforts de traits. Pourtant, ça restait bizarrement harmonieux et lisible. John ne distinguait pas les mots (mais s'il essayait de les lire, il serait incapable de continuer à prendre en note ce que disait le maître de conférences), mais il trouvait la graphie jolie. De toute manière, ses feuilles de notes étaient couvertes d'écriture noire et serrée et ce n'était pas un peu de couleur et mots en plus qui changeraient quoi que ce soit à la donne.

L'autre reboucha son stylo, satisfait, et son regard se perdit de nouveau en avant, jouant machinalement avec le stylo entre ses longs doigts fins. John poursuivit sa prise de note assidûment.

L'évènement exceptionnel eut lieu plusieurs minutes plus tard. John entassait consciencieusement sur un coin de table les papiers recouverts de son écriture serrée, et l'autre corrigeait et annotait consciencieusement ce que John avait écrit.

Toute indication supplémentaire était bonne à prendre, et John le laissait faire. S'il doutait de ce que l'autre rajoutait ou corrigeait, il n'aurait qu'à conserver uniquement ses notes, un point c'est tout.

Mais ce fut quand, à l'occasion d'un coup d'œil machinal, il constata que l'autre était en train d'annoter la partie que John écrivait quand il avait commencé à corriger qu'il réalisa que c'était bizarre.

Parce que cela voulait dire qu'il avait été capable d'écouter les mots du professeur, les retenir sans aucun soutien autre que sa mémoire, ET écrire dans le même temps quelque chose de complètement différent, qui avait eu lieu dix ou vingt minutes plus tôt ? C'était absurde, déraisonné. John avait une excellente mémoire, grandement basée sur l'audition. Au contraire de certains de ses camarades, qui préféraient lire un polycopié de 400 pages et l'apprendre presque par cœur, lui aimait aller en cours magistral pour entendre les professeurs lire et expliquer lesdits polycopiés. Même s'il ne semblait pas écouter, et aurait été incapable de réciter ce que disait l'enseignant, son inconscient l'absorbait mille fois mieux, et le restituait très bien quand il révisait.

Mais aussi doué soit-il avec sa mémoire auditive, John était parfaitement incapable d'écouter quelque chose et de noter autre chose dans le même laps de temps, et encore moins, a fortiori, de restituer par écrit ce qu'il avait écouté et seulement écouté vingt minutes plus tôt.

Le garçon à côté de lui lui rappelait l'effet de ces comptines qu'on chantait en canon : si on se mettait à écouter les autres, qui chantaient la même chose que soi mais avec le texte en décalé, on se perdait, se mélangeait, et tout finissait dans une joyeuse cacophonie.

L'autre écoutait le cours en canon, absorbant d'une oreille à un instant T tout en écrivant sur la prise de note de John ce qu'il avait entendu à T- vingt ou trente minutes.

John était abasourdi. Il ignorait même que ce genre de choses existaient.


Tout le reste du cours se déroula de la même manière. À l'issue des trois heures, John avait noirci plus d'une quinzaine de feuilles, et l'autre les avait toutes corrigées et annotées, à l'exception de la dernière, sur laquelle John écrivait encore.

— Fin du cours, annonça le professeur dans son micro. À la semaine prochaine, bon courage.

Après le silence du cours magistral où on entendait que le bruissement du papier et le grattement des mines de stylo posés dessus, un brouhaha assourdissant résonna soudain, tandis que toute la pression retombait. Tous les étudiants, John comme les autres, posa son stylo avec reconnaissance et se massa le poignet malmené par des heures d'écriture aussi intense. Sans aucune pression, son condisciple lui prit la dernière feuille et entama de la survoler et l'annoter.

Autour d'eux, tous les étudiants ramassaient leurs affaires et s'apprêtaient à partir, et John se sentait stupide à attendre qu'un de ses pairs lui rende ses notes et son stylo.

— Comment tu fais ça ? demanda-t-il à voix basse.

— Ça quoi ?

Sa voix était à l'image de son propriétaire, froide et lisse, comme sa peau.

— Écouter et écrire en même temps, précisa John.

L'autre se retourna vers lui avec une telle expression de mépris et de supériorité que John se sentit soudainement débile par rapport à lui. Il rougit, se fustigea de se sentir rabaissé par un gosse qui semblait beaucoup plus jeune que lui, et réalisa la portée de la bêtise de la question. Évidemment qu'écouter et écrire, c'était faisable. C'était d'ailleurs ce que lui faisait en prenant ses notes.

— Mais pas la même chose, précisa-t-il en se faisait l'effet d'être un imbécile.

Le simple fait que l'autre ne prit pas la peine de lui répondre et se détourne de lui ne fit que le conforter dans cette opinion.

— Comment tu t'appelles ? insista John.

— Je te l'ai dit la dernière fois, répliqua l'autre.

— Eh bien je ne m'en souviens pas ! lui renvoya John avec humeur. Abruti, ajouta-t-il entre ses dents.

L'amphi s'était presque vidé, désormais, et John eut la surprise de voir son camarade se tourner de nouveau vers lui, intrigué. L'expression dans ses yeux était surprenante, comme s'il le regardait pour la première fois, et triste à la fois, comme si ce qu'il voyait était habituel. John se demanda s'il l'avait entendu l'insulter. Et s'il avait l'habitude qu'on l'insulte.

Ce qui, au demeurant, ne serait pas franchement surprenant. Son air arrogant devait donner des envies de meurtre à bien des gens, surtout quand il ouvrait la bouche et renvoyait ses interlocuteurs dans leur nullité, comme il l'avait fait avec John en même pas dix mots, juste avec les expressions de son visage.

— Je m'appelle Sherlock, consentit-il à répondre.

— Eh bien, Sherlock, reprit John en insistant sur le prénom absurde, je te demandais comment tu faisais pour écrire sur ma copie ce que tu avais entendu vingt minutes avant, tout en continuant d'écouter et de retenir à la perfection ce que dit le prof ? Comment tu peux écrire et écouter deux trucs différents à la fois ?

Il aurait voulu être agacé, mais il ne parvint qu'à avoir un ton impressionné.

Il se faisait l'effet d'être l'abruti, désormais. Le visage de Sherlock se peignit d'incompréhension. John était surpris de voir à quel point il était expressif.

— Comment ça ? C'est facile. J'écoute et je note.

— Non.

— Bien sûr que si.

— Bien sûr que non. Les gens normaux ne peuvent pas faire ça. Avoir leur attention divisée en deux comme ça. Ou, admettons qu'ils en soient capables avec de gros efforts, ça tiendrait dix minutes. Tu as fait ça pendant plus de deux heures.

Sherlock leva un sourcil, un seul. John était incapable d'une telle mimique. Il avait toujours pensé que ce genre de choses ne pouvait que rendre ridicule le propriétaire du visage en question, mais il avait tort. Rien qu'avec un sourcil, il se sentait insulté par quelqu'un de plus intelligent que lui dans une pose aristocratique savamment étudiée. John avait l'impression de converser avec un lord, impression amplifiée par les vêtements qu'il portait, et d'être renvoyé à la fange dont il était issu, lui le pauvre bouseux des quartiers nord de Londres.

— Les gens sont stupides, déclama le jeune homme. C'est facile.

— Eh bien le monde n'est pas toi qui sembles être un putain de génie ! répliqua John.

Il était agacé, mais également très impressionné au fond de lui. Il ne répondit rien, et John ne savait plus vraiment quoi dire. La salle était vide, désormais, et l'immense amphithéâtre lui paraissait écrasant pour seulement deux personnes au premier rang.

Fort heureusement, John n'avait pas de cours immédiatement après. En temps normal, il aurait dû rentrer, déjeuner brièvement, et commencer ses révisions intensives de la journée. Il ne savait pas trop ce qui le poussait à rester là, dans le silence de la pièce, sous le regard inquisiteur bien trop bleu d'un quasi inconnu.

Inconnu qui avait quand même annoté l'ensemble de ses cours sans rien prendre en notes pour lui-même. John réalisa soudain qu'il ne savait pas pourquoi il avait fait ça... et que l'étudiant ne l'avait même pas remercié en retour. Rangeant son ego et son agacement dans sa poche, il se racla la gorge pour reprendre la parole.

— Hum, merci quand même au fait, hein. Qu'est-ce que tu corrigeais au juste sur mes cours ? Y'a tant de trucs que ça que j'ai mal noté ?

C'était, au final, la seule possibilité sensée qu'il avait trouvée. Que ses capacités ne soient pas aussi bonnes qu'il le pensait, et qu'il ait oublié des mots de-ci de-là, ou une négation dont l'absence pouvait faire basculer le sens d'une phrase.

— Bien sûr que non, s'outra Sherlock sans le remercier de ses remerciements, qu'il ne semblait pas vraiment attendre au demeurant. Mais tu notes stricto sensu ce que dit ce vieil abruti, et il n'est pas à jour de la moitié des termes et des méthodes. Il raconte n'importe quoi. Je ne peux pas laisser passer ça.

John sentit sa bouche s'arrondir de surprise. D'accord, son professeur était un peu âgé — doux euphémisme. Mais il était l'un des médecins les plus réputés d'Angleterre, qui avait accepté une chaire de professeur d'université quand ses mains noueuses et ses yeux fatigués n'avaient plus pu opérer en toute sécurité.

Il leur enseignait l'anatomie, et John avait toute confiance en lui pour connaître les différents organes du corps humain. Il avait été chirurgien pendant des années !

— Mais... bafouilla-t-il.

— Oh s'il te plaît, s'agaça Sherlock. Il vient du siècle dernier ! Il n'est pas capable de faire un cours construit, alors il se base sur ce qu'il sait, mais la nomenclature de certains termes a évolué depuis longtemps, et comme tous les abrutis de son espèce, il est peut-être compétent, mais il continue d'appliquer ce qu'il a toujours fait, sans réellement se mettre à jour ! C'est le genre à opérer selon des techniques d'un autre temps ! Qu'il maîtrise à la perfection, mais qui peuvent être plus lentes que d'autres plus récentes !

John, jusqu'à cet instant, avait beaucoup de respect pour son professeur, et une bonne dose pour Sherlock, qui paraissait sacrément impressionnant. Désormais, John respectait toujours son enseignant, mais plus du tout son condisciple. Il trouvait beaucoup trop insultant ce qu'il venait de dire.

— Non mais ça va, oui ? T'as fini de dire des conneries pareilles ? T'es médecin toi peut-être ?

Sherlock émit un son étranglé, une sorte de rire bizarre, comme si l'idée qu'il puisse être médecin était risible, mais pas pour les bonnes raisons. Pas parce qu'il était trop jeune pour ça, mais parce qu'être médecin ne semblait ni noble ni intéressant ni valorisant ni difficile ni quoi que ce soit d'autre.

— Quelle idée. Bien sûr que non. Mais je sais ce que je dis. Et j'ai raison. J'ai toujours raison.

Sa phrase puait l'arrogance à trois kilomètres, et John avait envie de le tuer à mains nues. Il avait perdu suffisamment de temps comme ça avec un tel abruti. Pourtant, son ton était si calme, comme s'il ne doutait pas une seule seconde de ce qu'il venait de dire. Il ne se vantait pas, il l'énonçait comme un fait certain.

— Grand bien te fasse ! asséna John. Tu m'excuseras, mais j'ai mieux à faire que d'écouter un gosse qui se prend pour plus intelligent qu'il ne l'est raconter n'importe quoi ! Bonne journée !

Il fourra toutes ses affaires dans son sac à coups de grands mouvements agacés, le refermant rapidement. Il commençait à s'éloigner quand la voix de Sherlock résonna dans son dos. Le jeune garçon n'avait pas bougé.

— Je ne me prends pas pour plus intelligent. Je le sais, c'est tout. Bonne journée, John Watson.

John s'immobilisa une seconde, glacé. Il n'avait pas donné son nom complet à cet énergumène. De lui, il ne connaissait que le prénom en retour. Une sensation désagréable lui picotait la nuque, trouvant étrange qu'il connaisse son nom de famille.

Puis il tenta de se rationaliser. Ça devait être écrit quelque part sur ses affaires, l'autre l'avait lu, tout simplement. Il ne se retourna pas, ne prononça pas un mot, et quitta la pièce à grands pas rageurs.

Il avança dans les couloirs, ralentissant au fur et à mesure que sa colère retombait en même temps qu'il s'éloignait de Sherlock. Ses pas le menèrent inconsciemment à la bibliothèque universitaire. Il hésita. Il n'avait jamais pensé à remettre en cause les enseignements de ses profs. Pour l'instant, il n'avait pas besoin de faire autre chose que noter, noter, noter et apprendre par cœur ses notes.

Mais Sherlock avait gribouillé partout sur ses feuilles. John se persuada en entrant et en demandant la rangée des livres d'anatomie à la jeune femme à l'accueil, que c'était uniquement au cas où il n'arriverait pas à relire ses propres mots sous les corrections de Sherlock. Parce qu'il ne comptait pas prendre en compte ses corrections une seule seconde, c'était évident.

Il déambula dans les rayons, laissant ses doigts traîner le long des côtes. Certains titres, réservés aux années ultérieures, auraient pu lui faire peur, s'il n'avait pas eu aussi désespéramment envie d'en arriver là dans son cursus. Il parvint enfin aux livres d'anatomie de première année, et s'attarda cette fois sur les années de publication. Il trouva l'ouvrage le plus récent, un an plus tôt. Il était très volumineux, et John hésita. Il se sentait un peu stupide. Tout ça parce qu'un mec s'était assis à côté de lui en amphi, et avec lequel il s'était disputé.

— Bien sûr que non. Tu fais ça pour parfaire te connaissances, parce que tu travailles bien ! se convainquit-il à voix haute.

— Schhhhh ! lui répondit-on aussitôt en provenance des tables de travail, toutes occupées dans un silence religieux.

John murmura des excuses, dont tout le monde se moquait, replongé dans ses révisions. La section médecine était remplie d'étudiants plus âgés qui potassait à fond, sans relever la tête de leurs cours, livres et cahiers. Il aurait pu aller demander à quelqu'un de quatrième ou cinquième année, mais il voulait se débrouiller seul.

Il n'avait même pas faim, la conversation avec Sherlock lui avait noué l'estomac. Réviser ici ou chez lui, ça ne changeait rien. Tant pis pour l'absence de repas, il y survivrait. Il dénicha une table libre dans un coin, sortit ses cours, de quoi faire ses fiches, des stylos de toutes les couleurs, et ouvrit le bouquin d'anatomie à la table des matières pour trouver le chapitre correspondant.

Puis, il entama ses longues heures de révisions.


Il ne revit pas Sherlock pendant plus de dix jours. Il ne le cherchait pas vraiment... Mais un peu quand même. Il ne savait lui-même pas trop pourquoi. Il avait commencé à nouer de meilleures relations avec certains étudiants en première année comme lui. Mike, qui lui avait prêté ses cours une fois, était vraiment sympa. Il traînait souvent avec un garçon nommé Peter, et une fille appelée Judith. John les aimait bien. Alors, il ne cherchait pas vraiment Sherlock. Mais quand même. Il aurait voulu le revoir.

Pourtant, il ne se re-présenta pas dans un amphi d'anatomie. Et même dans l'optique où il ne se serait pas assis à la même place que la dernière fois, John avait balayé du regard la pièce lors d'une brève pause. Aucune silhouette ne ressemblait à sa haute stature, sa peau pâle et ses cheveux bouclés comme un mouton.

Ça lui parut bizarre. Qui ratait des cours de médecine de première année ?

— Tu cherches qui ? lui demanda Mike en le voyant scruter tous les gens entrant dans la pièce.

Ils étaient installés dix minutes avant le début du cours du physiologie, et John avait regardé tout le monde avec une certaine attention.

— Personne, répondit-il aussitôt. Enfin. Un mec que j'ai croisé la semaine dernière. Il m'avait rendu service. J'aurais voulu le remercier.

Sa défense était un peu faible. D'ailleurs, Mike fit une moue qui indiquait qu'il ne le croyait pas.

— On n'a pas le temps pour les filles, mec ! s'amusa-t-il. On verra ça l'année prochaine, quand on aura survécu à cette année-là d'abord !

John sourit, se détendant en comprenant ce que son ami avait compris de travers. Il préférait qu'il continue de penser que John matait les filles plutôt que cherchait réellement un garçon dans la foule. Mais Sherlock ne se présenta pas. Ni à ce cours-là, ni aux suivants.

John décréta qu'il était malade. Ça arrivait. Les gens tombaient malades. C'était même pour ça qu'il voulait faire médecine. Alors Sherlock était malade, et tout allait bien dans le meilleur des mondes.


Prochain chapitre : Me 10/07. Reviews, si le coeur vous en dit ? :)