Vous savez quoi ? Même moi je commence à trouver frustrant de ne publier qu'un chapitre tous les quinze jours. Principalement parce qu'il y a un sacré décalage entre ce que vous découvrez (la version jeune-et-mignonne de John et Sherlock, si choupi dans leur début de relation, leur innocence et leur jeunesse) et ce que j'écris (à savoir les versions adultes, à moitié flingués, complètement névrosés, bref, des adultes en bonne et due forme xD), je trouve ça à la fois marrant et frustrant, j'aimerais que vous en soyez au même niveau que moi.

Maiiiiiis... soyons lucides. Après l'été (ou j'écris bcp sans me relire parce que je suis pas chez moi, j'écris pour écrire), j'ai mis 17 jours à relire les 130 pages déjà écrites de la partie 3 pour revérifier la cohérence, prendre des notes, et m'assurer qu'on allait dans le bon sens (étonnamment, la réponse est oui, contrairement à d'habitude où mes personnages n'en font qu'à leur tête. Mais on y va plus lentement que prévu. Je serais pas surprise que la partie 3 soit plus longue que prévue). Donc clairement, je dois être sage. je veux pas griller mon avance pour être sûre de vous offrir une régularité de lecture jusqu'à la fin. Mais j'avance, promis !

Pardon pour la longueur de mon blabla que personne ne lit !


RaR anonyme : Ju

Eh bien, merci pour ton enthousiasme, ça fait très plaisir de lire ! Je me souviens effectivement de toi comme lectrice sur un Calendrier (voire peut être deux), cela me réjouit de penser qu'on puisse prendre comme bonne résolution de me laisser des reviews *coeur coeur*. Next step : créer un compte pour que je puisse te répondre pluis facilement xD La vie de Sherlock va rester un peu secrète pendant quelques temps, le garçon n'est pas facilement domesticable, même si John fait des progrès incroyables ;) (John est le petit Prince. Sherlock est le renard. New achievement unlock : avoir envie de pondre une réécriture du petit prince Johnlockienne). Bref, profite du cute. ça ne durera pas... *sourire angélique*. Encore merci, j'espère que ce nouveau chapitre te plaira ! :)


Bonne lecture !


Chapitre 7

Mais ce que John aimait par-dessus tout faire avec Sherlock, c'était se balader avec lui dans la ville, de nuit. Pour ça, ils avaient de la chance, la nuit tombait tôt, et elle se mettait à briller des lumières en prévision de Noël et de tous les lampadaires, ce qui lui conféraient une dimension féérique. Sherlock connaissait absolument toutes les rues de la ville.

— J'ai appris le plan par cœur, avoua-t-il un jour en haussant les épaules. Ça m'a paru nécessaire.

John ne demanda pas nécessaire pour quoi, il se contenta d'apprécier. Un jour, il avait mis Sherlock au défi de retrouver son chemin sans se tromper une seule fois. Ils avaient pris le métro, Sherlock les yeux bandés, ils avaient fait plusieurs changements sans logique, John l'avait fait tourner sur lui-même pour qu'il perde ses repères, ils avaient suivi un trajet aléatoire, puis étaient ressorti à une station au hasard. John avait encore un peu fait marcher son ami les yeux bandés, puis ensuite l'avait libéré. Sherlock avait observé longuement les bâtiments, les noms des rues. Il avait interdiction de savoir à proximité de quelle station de métro ils se trouvaient, mais c'était tout. Il avait engrangé toutes les informations utiles, les panneaux, les bâtiments, les magasins, les rues, puis il avait décrété simplement :

— Ok.

Et il s'était mis en route, John sur ses talons.


Une heure plus tard, sans la moindre hésitation, ils étaient de retour à l'Imperial. À force de marcher aussi longtemps à travers la ville, John fatiguait moins, et il avait applaudi Sherlock avec joie. Ça avait été un excellent samedi de pause dans ses révisions, avant de mieux reprendre le lendemain.

Le dernier plan en date de Sherlock consistait à apprendre par cœur le vaste plan des transports en communs, underground et overground qui allait jusqu'en banlieue.

— Parce que tu ne le connais pas encore ? s'étonna John. Je suis assez déçu.

Sherlock lui sourit en retour. Il apprenait de mieux en mieux à détecter quand John faisait des blagues et maniait l'ironie. Les rares fois où il parlait à d'autres personnes, il semblait avoir du mal, mais quand c'était John, ça ne lui posait plus aucun problème.

— Le plan du pur métro underground, bien sûr que si. Je peux te citer toutes les stations de la Central Line sans problème. J'ai quelques difficultés pour certaines lignes de l'overground. Beaucoup de banlieues. Mais je ne sais pas encore par cœur les changements.

John se redressa et fronça les sourcils.

— Attends... tu veux dire, ne pas simplement savoir où deux lignes se croisent, mais être capable, les yeux fermés, d'effectuer les changements, savoir où aller, tourner et se déplacer dans une station pour aller d'un quai à un autre lors d'un changement ?

— C'est l'idée.

Certaines stations étaient immenses, profondes, avec plusieurs sorties, de nombreux couloirs, différents trajets possibles. Et pour celles qui comptaient plus de deux lignes de métro, cela était encore plus compliqué : À Oxford Circus, on ne passait pas de la même manière de de la Bakerloo à la Victoria Line, que de la Victoria à la Central, et pas non plus pareil de la Central à la Bakerloo.

— C'est impossible, commenta John.

— Ton manque de confiance en moi me déçoit, John, ricana-t-il. Ça va juste prendre du temps.

John l'avait regardé intensément, et il n'en avait pas douté. Impossible n'était pas Sherlock. Tout ce qu'il décidait, il le réalisait. Son esprit ne semblait connaître absolument aucune limite, et il était assurément la personne le plus brillante que John n'avait jamais rencontrée au cours de son existence.

Ce jour-là, il était tard, il faisait nuit, et ils observaient la ville briller sous leurs pieds.

Parmi les choses que Sherlock adorait, il y avait crocheter des serrures et se rendre dans des endroits interdits. John s'était montré bon élève. Il n'y arrivait pas aussi vite que Sherlock, et pas avec le même doigté, mais à sa grande surprise, il était doué.

— Tu seras un bon chirurgien, lui avait prédit Sherlock. Tu as les mains sûres et le doigt fin.

Que Sherlock ait deviné ses ambitions ne l'avait même pas surpris. Et le compliment l'avait fait rougir.

Depuis, ils forçaient régulièrement les cadenas des chantiers de construction, ou des immeubles abandonnés pour démolition future, quand la nuit tombait et qu'il n'y avait plus personne, les deux garçons s'introduisaient sur les lieux, montaient toutes les marches pour aller le plus haut possible, puis cherchait le moyen d'atteindre le toit.

Et quand, enfin, ils l'atteignaient, ils s'installaient parfois très au bord et regardaient la nuit et la ville illuminée pendant des heures.

C'était les moments préférés de John. Il crevait de froid, parfois, et s'emmitouflait le plus possible dans son manteau, plaçant ses mains gantées dans ses poches, resserrant son écharpe autour de son cou, essayant de laisser le moins de prises au vent possible.

Mais il ne pouvait pas regretter ces instants-là. Il ne savait pas pourquoi, mais il y avait quelque chose de magique dans le silence de la nuit londonienne en compagnie de Sherlock. Il détestait briser ces moments.

— Désolé, annonça-t-il après un instant de silence. Mes partiels commencent demain, pour toute la semaine. Ça va être intense.

Il enchaînait les examens, QCM et autres partiels pendant cinq jours, et ensuite, c'était les vacances de Noël. Il aurait sans doute eu beaucoup mieux à faire le dimanche de la veille des examens les plus importants de sa vie que de suivre Sherlock en haut d'un toit, mais quand il l'avait vu le vendredi à l'Imperial, et qu'il lui avait donné rendez-vous pour le dimanche après-midi, il n'avait pas su dire non. De toute manière, réviser à la dernière minute ne servait à rien. Il avait déjà tout appris depuis longtemps, et il se sentait bizarrement serein et prêt. Ça ne l'empêchait pas de vouloir dormir suffisamment pour être à l'Imperial à huit heures en pleine forme demain. Heureusement, ils n'étaient pas très loin de chez lui.

— Tu vas très bien t'en sortir, répliqua Sherlock avec un ton d'évidence.

John sourit.

— Petite leçon d'humanité : dans ce genre de situations, les gens s'attendent à ce que tu dises « Bon courage, je crois en toi », même s'ils n'ont aucune idée de si tu es prêt pour ça ou de si tu as des chances de réussir.

Sherlock le regarda bizarrement.

— Ça n'a pas de sens.

— Pourquoi ?

— Parce qu'il ne s'agit pas de croire en toi comme si le fait de croire t'investissait d'une force supplémentaire te permettant de réussir, il s'agit d'une appréciation objective de tes capacités par rapport à la difficulté attendue. En l'espèce, je connais tes capacités pour les avoir forgées, et je connais la difficulté des sujets des partiels. Je sais que tu vas réussir, je n'ai pas besoin d'y croire, et tu n'as nettement pas besoin de courage, simplement de faire comme d'habitude.

— Tu aurais pu voler les sujets d'examen en douce ? demanda John.

Il passait tellement de temps à des endroits pas franchement autorisées à faire des choses pas franchement légales que tout lui semblait possible.

— Qui te dit que je ne l'ai pas fait ? s'amusa Sherlock.

— Oh, tu t'en serais tellement vanté si tu avais réussi ! Tu m'aurais interdit de tricher, de voir les sujets en avance, mais tu l'aurais dit haut et fort, en crânant.

Sherlock rit, comme cela lui arrivait de plus en plus souvent. C'était à chaque fois merveilleux et fantastique. John riait souvent quand il était en sa compagnie, mais l'inverse n'était pas vrai. Faire rire, réellement rire, Sherlock était un exploit et John aimait le réussir.

— C'est entièrement vrai ! Mais j'avoue n'avoir même pas essayé ! J'y penserai pour ton deuxième semestre !

— Bien noté ! Et en attendant, note que les gens veulent entendre bon courage et qu'on croit en eux, même si ça te paraît dépourvu de sens ! Moi j'y vais !

— Bien noté ! Tu connais le chemin ?

John hocha la tête. Il n'était pas un génie ayant avalé une carte détaillée de Londres, mais il retrouvait son chemin assez facilement quand il avait fait le trajet dans un sens, il savait faire le retour.

Il commença à s'éloigner, puis, arrivé à la porte qui menait aux escaliers qui le ramèneraient au sol, il hésita. Il se retourna. Sherlock était toujours assis au bord du toit, silhouette noire et indistincte. Le cœur de John se serra. Ça faisait un bon mois qu'il connaissait et fréquentait Sherlock ainsi, et il avait l'impression que cela faisait une éternité. C'était pourtant si court.

Il revint lentement sur ses pas.

— Sherlock ? appela-t-il doucement.

Ce dernier se retourna, surpris de le trouver encore là. En temps normal, John se serait félicité d'être capable de l'étonner.

— Toute la semaine prochaine, je vais être occupé en partiels. Et puis après... ce sont les vacances. Les vacances de Noël. Je... Je ne serai pas... On ne pourra pas se croiser sur le campus, et...

Il balbutiait, incapable de formuler sa pensée : comment on va faire pour se voir ? Est-ce qu'on va pouvoir se voir au moins ? Est-ce que tu seras à Londres ? Est-ce que tu rentres chez tes parents ? Est-ce que tu es là pour le nouvel an ? Est-ce que tu vas m'oublier pendant deux semaines ? Quel est ton planning ? Comment on va faire pour se voir, si tu ne peux pas apparaître n'importe où sur le campus pour qu'on aille se balader, réviser ensemble, si je ne pas m'introduire chez toi, si tu ne m'ordonnes pas des points de rendez-vous à travers la ville, si on ne fracture pas des cadenas pour aller n'importe où, si on ne va pas dîner chez Leandro ?

Il ne savait pas dire tout ça. Il se faisait l'effet d'un imbécile d'avoir tant d'inquiétudes et de mots coincés dans sa poitrine sans savoir comment les sortir, et pourtant avoir l'impression que Sherlock les lisait les uns après les autres sur son visage dévoré par l'angoisse. John aurait voulu être fort, pas aussi pathétique et désespéré.

— On se voit vendredi soir. Je serai là quand tu finiras tes examens, indiqua Sherlock.

Pour lui, cela sonnait comme une évidence, et John aurait en toute logique dû sauter sur l'occasion. En temps normal, John avait tendance à toujours tout laisser tomber pour Sherlock. Comme ils étaient dans une période de révisions intenses, ses camarades étaient trop occupés pour s'en rendre compte, parce que John n'était pas le seul à affirmer préférer réviser seul. Ainsi, il n'avait pas passé trop de temps avec ses amis de médecine, mais ce n'était pas grave. Il savait aussi qu'à la rentrée, ils seraient peut-être plus suspicieux, qu'ils se demanderaient plus fréquemment pourquoi John ne passait presque plus de temps avec eux, et il faudrait soit que John invente une bonne excuse, soit qu'il équilibre davantage le temps passé avec Sherlock et les autres. Et il avait conscience, à son grand désarroi, qu'il n'était pas capable de dire non à Sherlock.

Du moins, jusqu'à aujourd'hui.

— Je ne suis pas dispo, vendredi, avoua-t-il en tordant ses mains, gêné.

Sherlock se redressa brusquement, si vivement que John eut peur qu'il bascule dans le vide. Cette mauvaise habitude de s'installer vraiment le plus possible au bord du toit était flippante, parfois.

— De quoi ? demanda Sherlock.

John eut envie de mentir. Il avait même l'excuse parfaite : la soirée de Noël post-partiels. Il avait été convié, comme une grande partie de la promo. En fait de soirée, c'en était plusieurs, à vrai dire. Des élèves avaient décidé de fêter la fin de l'année et de leur premier semestre de médecine décemment, et ils avaient organisé des soirées qui promettaient pour la plupart d'être mémorables. Ou pas, vu la quantité d'alcool prévue. Mike faisait partie de ces organisateurs, chez lui. John avait appris à cette occasion à quel point c'était un gosse de riche. Il avait une grosse maison, et des parents pas regardants qui finançaient la murge organisée de leur fils et ses amis. Même si John n'avait pas eu autre chose à faire, il n'aurait eu aucune envie d'y aller, mais il se serait forcé pour faire acte de présence, et ensuite, quand tout le monde aurait été trop bourré pour se rendre compte de son absence, il aurait cherché à rejoindre Sherlock. C'était son plan initial. Puis, tout avait été bouleversé.

Il aurait pu servir cette excuse à Sherlock, mais il savait que son ami saurait immédiatement qu'il mentait.

— Je suis pas dispo, répéta-t-il. J'ai quelque chose de prévu.

Sherlock haussa un sourcil qui voulait clairement dire « quelque chose de plus important que moi ? » et John n'avait pas envie de répondre réellement à cette question, alors il préférait que Sherlock ne la pose pas à voix haute.

— Je... j'ai rendez-vous. Avec Neil.

C'était l'unique raison qui avait fait changer d'avis ses copains sur sa présence à la fête. Ils avaient conclu avec force sifflements et sous-entendus qu'aller draguer une jolie fille plus âgée était plus important que se mettre une mine. Une soirée de beuverie en médecine, il n'y aurait pas qu'une. John pourrait se rattraper. Mais il était hors de question qu'il laisse passer sa chance avec une fille.

— Qui est Neil ? demanda Sherlock, interloqué.

— Euh. Tu sais, la fille à qui tu avais demandé de m'apporter un message, une fois ? C'est elle.

Sherlock semblait à peine de savoir de qui il parlait. Il se souvenait avoir confié un message pour John, oui, il y avait de cela plusieurs semaines, au début de leur relation. Ils avaient un système de communication différent, désormais. Mais il ne se souvenait pas de la personne en question. Elle avait été quantité négligeable et supprimée de sa mémoire aussitôt. Et ça n'expliquait absolument pas pourquoi il ne pouvait pas passer sa soirée avec John.

— Tu ne t'en souviens pas, hein ? comprit John.

— Supprimé, répliqua le jeune génie.

John soupira.

— Tu crois qu'un jour, je comprendrais vraiment comment tu fais ça ?

— Probablement pas. Pourquoi tu la vois ?

La voix de Sherlock était glaciale. John, debout à côté de lui, fut plus transpercé par le froid de sa voix que par le vent qui soufflait fort autour de lui. Ils s'asseyaient généralement pour avoir moins froid, offrir moins de prises au vent de leur corps.

Soupirant derechef, John se rassit à côté de son ami.

— Je ne sais pas comment t'expliquer ça, Sherlock... C'est pas la leçon d'humanité la plus facile à te donner...

Parfois, Sherlock était vraiment surprenant, dans le mauvais sens du terme. Il apprenait à déduire les gens, et il était terriblement bon à ça. Il devinait les liaisons, les relations entre les personnes sans aucun souci. Mais il était nul pour comprendre la drague, les sentiments naissants, les relations balbutiantes entre deux êtres. Peter et Caitlin, selon lui, se détestaient réellement. John avait essayé de lui faire comprendre qu'au contraire, ils passaient leur temps à se disputer parce qu'ils s'aimaient un peu trop bien, l'un et l'autre, sans être capables de le dire, et n'avaient trouvé que cette manière de s'assurer de l'attention de l'autre. Sherlock n'avait pas trouvé cela logique du tout.

Et John n'avait pas vraiment envie de lui expliquer ça en l'appliquant à sa propre personne et Neil.

Tout s'était fait par hasard, en réalité. Il avait recroisé la jeune femme à plusieurs reprises sur le campus. Sa chevelure rousse flamboyante et bouclée était difficile à louper, clairement. Mais elle était toujours accompagnée de ses amis, et John n'avait pas eu le courage d'aller l'aborder, se sentant trop jeune et ridicule pour cela. En retour, la jeune femme ne l'avait pas abordé non plus, et il s'était fait à l'idée qu'une brève conversation amicale ne changeait rien, et qu'il s'était fait des films.

Sauf qu'une fois, elle l'avait vu, et sans la moindre incertitude, avait foncé vers lui, délaissant les personnes avec lesquelles elle se trouvait un instant plus tôt.

Ils avaient discuté avec joie, John surpris qu'elle s'intéresse encore à lui. Ils avaient principalement parlé médecine et révisions, mais cela avait été agréable. Ils avaient convenu d'un café, trois jours plus tard. John avait pris grand soin de le lui proposer à un moment où il était sûr que Sherlock ne débarquerait pas par hasard.

Le café pris ensemble s'était très bien passé. Ils avaient convenu de se revoir, mais les partiels approchaient trop, pour elle comme pour lui.

— Après les examens ? avait proposé John.

— Avec joie, avait-elle répondu en souriant.

Quelques jours plus tard, elle lui avait annoncé qu'elle rentrait chez ses parents pour Noël, dans le nord du pays, à plusieurs heures de route. Elle n'avait pas le choix que de partir le samedi, alors qu'elle avait espéré passer le week-end à Londres.

— Il ne nous reste que le vendredi soir, alors ! avait décréta John.

— Et rater la plus grosse soirée post-partiels de ta vie ? l'avait taquiné Neil. Crois-moi, je me souviens encore de la mienne, c'est quelque chose !

— C'est pas trop mon truc. Et je préfère passer du temps avec toi...

Elle avait rosi. Et accepté. Et John se retrouvait à devoir expliquer à son meilleur ami le pourquoi du comment il voulait passer une soirée avec une fille.

— Explique-moi ! exigea Sherlock.

— C'est un rencard ! répliqua John sur le même ton. Tu comprends ça, non ? Un rencard !

Le génie fronça les sourcils. Il ramena ses jambes, qui jusqu'alors pendaient dans le vide au bord, contre lui, et le mouvement fit de nouveau peur à John. D'autant que la poitrine de Sherlock semblait bouger de manière spasmodique d'avant en arrière. C'était léger, mais c'était bien là, et John était terrifié à l'idée qu'il chute. Ils étaient dans un bâtiment d'une huitaine d'étages. La chute serait fatale. De plus, il tremblait. Et John savait que ce n'était pas le froid. La température ne semblait pas avoir de prise sur lui.

— Non, répondit Sherlock d'une voix atone, si bien que John ne savait pas trop s'il répondait à sa question ou s'il déniait purement et simplement le rencard de John.

— Elle... me plaît bien. Je pense lui plaire aussi. Du coup, on sort tous les deux pour...

Pour quoi, au juste ? John ne savait pas comment l'expliquer. Ils iraient au ciné, peut-être au resto. Dans une routine bien établie par des années d'expérience de drague, ils s'embrasseraient si tout se passait bien. En toute logique, elle ne voudrait pas de plus. Les filles ne couchaient pas le premier soir, non ? John non plus, au demeurant. Il n'était pas sûr d'en avoir envie. Mike, Peter et Alec semblaient être persuadés que John était puceau, et le poussait ainsi à conclure avec la jolie (et probablement plus expérimentée, vu qu'elle était plus âgée) Neil. Sauf que John n'était peut-être plus vierge, mais pas assez expérimenté pour jouer les gros bras et avoir envie de finir la nuit au lit avec elle dès le premier soir.

— Sherlock, je ne t'abandonne pas ! s'exclama-t-il quand il vit les tremblements et les mouvements s'intensifiaient.

Il n'y eut aucune réponse verbale. Mais le regard de Sherlock, vitreux et qui semblait ne plus le voir, était transpercé de souffrance.

La raison et la logique auraient voulu que John soit terrifié. Terrifié que Sherlock soit aussi attaché à lui, après seulement quelques semaines, deux mois depuis leur première rencontre surréaliste dans un amphi bondé. Terrifié que le jeune génie ne sache pas le verbaliser, au point qu'il en tremblait. Terrifié que Sherlock soit si possessif que l'idée que John bouleverse les plans établis le fasse trembler.

John aurait dû être terrifié, car rien de tout cela n'était sain, et pourtant il était incapable de ressentir autre chose qu'un sentiment dévorant de protection à l'égard de Sherlock. L'idée que son ami souffre lui était intolérable. Ça lui faisait mal, physiquement mal, de le voir trembler.

Sans réfléchir, oubliant où ils étaient, il se jeta sur lui et l'enserra de ses bras. Il ne savait pas vraiment de quelle autre manière il pouvait apaiser la crise de panique de Sherlock. Sa position était délicate, presque douloureuse, ses jambes faisaient un drôle d'angle, un de ses genoux râpait contre le béton glacé du toit, et ils étaient toujours au bord du vide. Et pourtant, il ne le lâcha pas.

Sherlock détestait être touché. John l'avait admis il y avait longtemps de cela, presque immédiatement après leurs premiers échanges. Cela s'était confirmé par la suite. Il avait toujours pris grand soin de ne pas toucher Sherlock en retour. Même les gestes anodins, comme poser une main sur un bras, une épaule en s'approchant pour lire le même livre lors des révisions, ou pour attraper quelque chose posé devant lui, ou n'importe quoi de ce genre que John faisait sans difficulté avec ses amis, il pensait systématiquement à les réprimer pour Sherlock.

Ce dernier ne l'avait jamais verbalisé — pour quelqu'un qui pouvait parler sans s'arrêter pendant des heures, parfois, il ne verbalisait pas grand-chose — mais John savait qu'il était reconnaissant des efforts que son ami faisait. Alors il redoublait de vigilance. Et faisait semblant de rien quand Sherlock initiait, maladroit et gêné, un contact. C'était rare. Une main attrapée pour courir, loin, s'enfuir d'un endroit interdit où ils avaient été surpris. Une main posée sur les siennes pour lui prendre son stylo quand il écrivait n'importe quoi, pour lui corriger ses mouvements quand il lui apprenait à crocheter une serrure.

Sherlock faisait toujours cela de la même manière : à l'instinct. Puis il regardait leurs mains jointes, leur peau en contact d'un air étonné, comme s'il n'avait pas prévu de faire ça, et qu'il trouvait ça bizarre en tant que tel, et encore plus bizarre que cela ne le choque pas autant que ça n'aurait dû. Puis il faisait semblant de rien, John non plus, et quand il avait fini de lui montrer ce qu'il voulait, ou s'il n'en pouvait plus, il le lâchait, tout simplement, et aucun des deux ne commentaient.

John s'attendait donc que Sherlock le repousse, se sente étouffé dans ce câlin, cette étreinte, mais c'était la seule solution qu'il avait trouvée. Et, à sa grande surprise, cela fonctionna, sans réaction de rejet. Il se laissa totalement aller dans les bras de John, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils, et au bout de quelques instants, son poids plume pesant si lourd entre les bras de John, il se calma lentement. Sa respiration s'accéléra brutalement, et John crut que le rejet allait arriver. Il s'apprêtait à le lâcher, et s'excuser, mais Sherlock l'agrippa et le serra, alors il raffermit son étreinte. Puis le jeune génie obligea sa respiration à se calmer, à s'approfondir, au fur et à mesure que la crise de panique s'éloignait.

— Désolé, marmonna-t-il en détournant le regard.

— N'essaye même pas de t'excuser, je ne veux pas l'entendre, répliqua John.

Sherlock ne semblait pas vouloir bouger, et John n'avait aucune envie de le laisser partir non plus. Mais il commençait à avoir mal partout, et il continuait de trouver cela beaucoup trop dangereux. Au moindre faux mouvement, ils basculeraient tous les deux dans le vide, sans possibilité de se retenir. Il essaya de bouger sa jambe, modifier sa position, soulager ses crampes, mais ça ne servait à rien.

Sherlock, cependant, dut comprendre ce qui lui faisait mal, parce qu'il se décala, lui permit de bouger. Sans que John n'ait vraiment compris comment ils avaient fait ça, ils réussirent à se déplacer dans une position plus confortable, toujours serrés contre l'autre, Sherlock dans ses bras, et beaucoup plus loin que le vide, à une distance, sinon suffisante, au moins rassurante.

John ne savait pas quoi dire pour briser le silence entre eux, et Sherlock ne parlait pas non plus. Parler de Neil, des vacances de Noël, de leur séparation à venir, de la crise de panique, tout cela semblait proscrit, mais il ne voyait aucun autre thème à aborder sans avoir l'air ridicule de celui qui détourne la conversation de manière lourde et trop voyante.

— Ça te va ? demanda-t-il maladroitement. Que je te touche ?

C'était la pire tentative au monde pour briser la glace. Ça avait toujours fait partie des thèmes interdits entre eux. Mais juste parce que présentement, il semblait y avoir encore plus de thèmes encore plus interdits, John n'avait trouvé que cela.

— Tu n'avais pas l'air de vouloir qu'on te touche, précisa John. Alors je faisais attention.

Il était en plus en plus pathétique, assurément. Sherlock détestait qu'on profère des évidences, qu'on enfonce des portes ouvertes, qu'on lui dise ce qu'il savait déjà. Il allait trouver John ridicule, et il aurait raison.

Sauf que présentement, Sherlock était lové contre lui, contre son torse, recroquevillé comme un oisillon blessé, le visage au creux de son cou.

— Je n'aime pas ça, en effet, indiqua le jeune génie et sa voix ne tremblait presque pas. Mais bizarrement, ça ne me fait rien, là.

— Ah.

John savait qu'il devait s'en féliciter que Sherlock tolère son contact, mais une partie de lui ne put s'empêcher d'être vexé. Lui appréciait ce moment, ce corps fin entre ses bras, cette sensation étrange qui lui réchauffait les veines, lui donnait l'illusion que rien ne pouvait leur arriver en cet instant précis — surtout depuis qu'ils s'étaient éloignés du vide. Il aurait voulu que Sherlock partage ce sentiment de protection, de refuge.

— Rien de mal, précisa Sherlock.

— Ça te fait quoi, d'habitude ?

Le jeune garçon secoua la tête, se détachant légèrement de John, faisant danser ses boucles brunes trop fournies et indisciplinées autour de son crâne.

— C'est comme si tu me trempais dans un bain glacé. Mais pas seulement mon corps extérieur, aussi tout l'intérieur. J'ai froid de l'intérieur, et ma peau est glacée à l'extérieur, et mon corps lutte contre cette sensation. J'ai envie de vomir mais je suis trop gelé pour seulement bouger. Ma peau se tend, mes muscles aussi, ils essayent de se préparer à fuir. C'est assez désagréable.

Doux euphémisme. Il en parlait comme si cela n'était rien, sur un ton parfaitement neutre. Mais les mots gelaient John, pourtant avec sans doute mille fois moins d'intensité que le dégoût qu'il exprimait. John n'avait jamais rencontré quelqu'un comme ça.

Pour la première fois depuis qu'il le connaissait, il se dit que Sherlock était différent. Il n'était pas seulement spécial, très intelligent. Il était différent. D'une vraie différence. Pas anormal, John n'arrivait pas à concevoir que quiconque puisse penser que Sherlock n'était pas normal, mais il avait quelque chose, et il ne savait pas ce que c'était. Or, il était médecin. Il pourrait sans doute le trouver. Pas pour le guérir. Il n'y avait rien à réparer chez Sherlock, il n'avait pas de problème. Il voulait juste comprendre. Le comprendre, pour l'épauler mieux, pour être un meilleur ami pour lui.

— Et ça ne te fait rien de tout ça ? demanda-t-il, surpris et plutôt émerveillé.

— Non, répondit Sherlock, et il était surpris aussi. C'est même l'inverse. C'est agréable. C'est chaud. Tu sens bon.

John s'empourpra, mais Sherlock ne pouvait pas le voir, entre la nuit et leur position, et c'était tant mieux. Des leçons d'humanité compliquées, il en avait donné à Sherlock, mais celle-là d'explication, il n'avait vraiment pas envie de la dispenser.

— Je suis content que ça soit bien pour toi, alors. Surtout si ça peut apaiser tes crises. C'était la première fois que c'était si violent, mais ce n'est pas la première crise, hein ?

Sherlock ne répondit rien, un instant, et John attendit. Il avait oublié que le temps passait, qu'il devait rentrer, dormir, être prêt pour sa semaine d'examens.

— Je ne pensais pas que tu avais remarqué, finit par dire le génie.

— Si... Je te connais bien, Sherlock.

Ça n'était pas fréquent, parfois presque indécelable, mais ce n'était pas la première des crises de panique de Sherlock. Pour des raisons parfaitement futiles, parfaitement incompréhensibles à l'esprit de John, parfois Sherlock se figeait, se glaçait, ses yeux se voilaient. Ça ne durait jamais longtemps, puis il reprenait le contrôle de son corps, et la vie reprenait son cours comme si de rien n'était. Si John pouvait prendre Sherlock dans ses bras et le serrer très fort pour l'apaiser, ça pouvait être mieux.

— Ce n'est pas grave. Ça arrive. J'ai l'habitude.

C'était une flèche plantée en plein cœur de John. Il ne comprenait pas comment quelqu'un de si brillant et égocentrique pouvait à ce point négliger son propre bien-être, son bonheur, combien il déniait ses problèmes et ses douleurs.

— Qu'est-ce qui les provoque ? demanda John. Je voudrais t'aider.

Sherlock haussa les épaules.

— Je ne peux pas l'expliquer. Il n'y a pas forcément de dénominateur commun. C'est tout ce qui me perturbe, tout ce que mon cerveau ne sait pas gérer. Il... il freeze, se gèle, n'arrive plus à traiter l'information, et je ne sais plus comment agir, alors plus rien ne se passe, je ne respire plus.

On sentait au ton de sa voix combien cela le frustrait. Il n'avait aucun instinct. Son cerveau commandait tout, absolument à chaque seconde, de manière consciente. La plupart des gens faisaient des tas de choses inconsciemment, à commencer par respirer, ou cligner des yeux, ou même marcher d'un point A à un point B avec la force de l'habitude. Sherlock ne devait pas être comme ça. Il avait une conscience exacerbée de tout, y compris d'une micro-partie de son cerveau qui ordonnait à son corps à chaque seconde de respirer. De fait, quand il avait un problème, c'était toute la machine qui s'arrêtait. Et son corps, sans ordre conscient de son dirigeant, ne savait plus fonctionner.

— Je suis désolé, Sherlock. Je pense que je ne comprendrai absolument jamais avec certitude comment fonctionne ta tête, mais je suis tellement, tellement désolé que ça puisse être si difficile pour toi.

— Tu n'es pas responsable, répliqua le jeune homme.

— Leçon d'humanité, s'amusa John. Quand les gens disent qu'ils sont désolés pour quelqu'un dont ils ne sont pas responsables, c'est simplement de l'empathie. Ils ressentent la même chose que la personne en face. Sa colère, sa souffrance, ce que tu veux. Sans doute pas de la même manière ou avec la même intensité, mais ils la ressentent. Et quand ils disent « je suis désolé », ça veut dire qu'ils comprennent ou du moins essayent.

— Être humain paraît si fatiguant, commenta Sherlock, et John eut une irrépressible envie de rire.

— Ouais. Humain, ça craint grave, s'amusa-t-il.

Il y eut un instant de silence, avant que John ne reprenne, bravement.

— Donc... le planning de tes vacances, ça donne quoi ? On va pouvoir se voir avant Noël, même si... je ne suis pas dispo vendredi.

Il avait pulvérisé en une seule phrase tout ce qu'ils se retenaient de dire jusque-là, mais avec Sherlock serré contre lui, ça lui paraissait moins grave.

— Je rentre chez mes parents le 24 au matin, indiqua Sherlock d'une voix neutre.

John sentit son cœur se réchauffer. Le 24, c'était dimanche[1]. Ils auraient tout samedi ensemble, et il en rêvait déjà.

— Et ensuite, tu rentres quand ? Tu seras là pour le réveillon du nouvel an ? demanda-t-il joyeusement.

— Non, évidemment. Maman va vouloir que je reste à la maison jusqu'à la rentrée.

John sentit son corps s'alourdir. En début d'année, quand il avait commencé la fac de médecine, il s'était dit que les vacances de Noël serait les meilleures de sa vie, pour pouvoir enfin se reposer pendant deux semaines complètes, qu'il pourrait faire tout ce qu'il voudrait sans rendre de comptes à personne. Au final, ça s'annonçait plus sinistre qu'autre chose. Ses camarades de fac rentraient pour la plupart chez leurs parents pour les fêtes, qu'ils soient londoniens ou non. Et pour le nouvel an, ils avaient tous mentionné des fêtes à venir chez leurs amis d'enfance, des cousins, des liens forts depuis longtemps. Personne n'avait invité John, ni ne lui avait réellement demandé ce qu'il avait prévu. Et soudainement, il réalisa qu'il allait se sentir très seul.

— Ah, oui, forcément. J'imagine que tu fêtes le nouvel an avec des amis de ton village d'origine...

— Des amis ? s'étonna Sherlock. Non. Je n'ai jamais eu d'amis, je n'en ai pas au village. Papa et Maman organiseront sans doute quelque chose et convieront la famille, au moins en partie. Peut-être celle qu'on n'aura pas vue à Noël. À moins que ça soit une année à voyage, et qu'on se retrouve dans un avion pour l'Allemagne ou la France, je ne sais pas. J'ai perdu le fil. De toute manière, tout ce que je dirai ou ferai ne conviendra pas, alors ça ne change rien que j'y pense en amont.

Sherlock était horriblement sincère, et il n'avait sans doute pas eu l'intention de faire se sentir mieux John par rapport à ses vacances en solitaire, pourtant cela fonctionna. Son planning avait l'air nettement plus réjouissant que celui de Sherlock. John se demandait mentalement à quoi pouvait bien ressembler des parents qui avaient généré un tel génie, mais qui n'étaient pas capables de le respecter, juste de lui imposer des choses dont il ne voulait de toute évidence pas.

— Ta famille est très étendue ?

— Non. Oui. Je ne sais pas. Il n'y a toujours eu que Papa, Maman, mon frère et moi à la maison. On ne voit jamais personne. La famille de mon père est originaire d'Allemagne, et celle de ma mère de France, mais il semblerait qu'on ait aussi des gens sur le territoire britannique, mais je ne sais pas où ils vivent. Et parfois, d'un coup, on ressort des flopées de cousins, de tantes et d'oncles, des petites-nièces, des arrières-grands-cousins et d'autres liens de parentés ténus et absurdes. On ne les revoit ensuite jamais, ou alors durant les prochaines fêtes de famille, plusieurs années après. Ça ne m'intéresse pas vraiment. Tu as une grande famille ?

John fut surpris. Personne ne lui avait jamais posé la question, et Sherlock encore moins que les autres. Ce n'était pas qu'il ne s'intéressait pas à John, c'était juste qu'il savait généralement mieux que lui les réponses aux questions.

— Je sais que tu ne rentres que le jour de Noël chez toi, pour faire bonne mesure. Mais tu n'as pas d'autre famille ?

— Tu ne l'as pas déduit ? le taquina John pour faire oublier la sensation douloureuse de son estomac tordu d'angoisse en pensant à ses parents.

— Non. Je dois encore m'améliorer.

— Je plaisantais.

— Oh.

— Et non, je n'ai pas de famille. Ma mère avait une sœur, mais elle est morte quand j'étais petit. Mon père a coupé les ponts avec sa famille depuis longtemps. Je n'ai pas de grands-parents, plus aucun oncle ou tante dont je connaisse le nom, et s'il y a des cousins, j'ignore jusqu'à leur existence.

La tristesse de sa vie de famille. Personne chez qui se réfugier, personne chez qui aller pleurer, personne auprès de qui aller dire qu'il avait peur du bruit de la boucle de ceinture de son père. Il était trop jeune pour aller seul dans un commissariat dénoncer son père. Il n'était qu'un enfant, il savait vaguement que c'était mal, mais c'était habituel. Personne ne lui avait dit qu'il devait aller se plaindre, qu'il ne devait pas endurer en silence. Alors il avait enduré.

— Donc ce sera seulement tes parents et ta sœur, à Noël ? Ça ne me plaît pas.

— Pourquoi cela ? s'étonna John.

Sherlock se redressa, repoussa ses bras, le regarda droit dans les yeux.

— Parce qu'aucun d'eux ne t'a protégé du mal qu'ils t'ont fait, et qu'ils risquent de continuer à te faire. Et j'imagine que tes leçons portent leurs fruits, puisque je me sens humain : l'idée que tu souffres m'est intolérable.

Personne n'avait si frontalement évoqué les abus physiques et psychologiques de sa famille avec John.

— Je n'y vais que le jour de Noël, répliqua l'étudiant en médecine. C'est au nord de Londres, j'en ai pour plus d'une heure de trajet, mais je n'y resterai pas. Je rentrerai chez moi le soir. Ça ira très bien. Ne t'en fais pas.

Sherlock paraissait frustré, et sur le point de dire quelque chose, mais les leçons d'humanité de John avaient réellement dû porter leurs fruits, parce qu'il se retint, respectant le silence buté de John.

— On se voit samedi prochain, alors ? demanda John. Dix heures, devant l'Imperial. J'aurai ma journée pour toi.

— Très bien, répondit Sherlock, réussissant l'exploit d'avoir l'air frustré et sincère à la fois.

— Je dois rentrer. Bonne nuit, Sherlock. Prends soin de toi d'ici samedi, d'accord ? Et merci pour tout. Si je réussis mes partiels, ce sera grâce à toi.

Instinctivement, les doigts de John s'étaient levés, caressaient la joue comme ses mots caressaient Sherlock, comme son souffle caressait sa peau. La colère du jeune homme semblait retombé.

— Bien sûr que tu vas réussir. Je n'ai aucun doute là-dessus.

John lui sourit, et s'arracha définitivement à lui en se relevant pour partir pour de bon. Cette fois, il n'y eut aucun évènement l'empêchant de franchir la porte, et redescendre les escaliers. Arrivé en bas de l'immeuble, il ne put s'empêcher de lever les yeux vers le toit de l'immeuble. Il ne vit rien, évidemment. Trop loin, trop haut, trop noir. Peut-être même que Sherlock était parti aussi, ou s'apprêtait à le faire. Mais le simple fait de penser qu'il était là suffisait à faire sourire John.

Le cœur joyeux, empli de confiance en lui, il rentra chez lui rapidement. Il était tard, mais il ne se sentait pas spécialement fatigué. Au contraire.

Mais sagement, il se coucha, pelotonné au milieu de ses couvertures, et ferma les yeux en expirant lentement. Il savait que demain serait une grosse journée. Il repassa ses cours dans sa tête, ses points forts, les petits détails qu'il avait toujours du mal à retenir. L'image de Sherlock s'imprima dans son esprit, sa voix qui lui rabâchait ses erreurs sembla naître au creux de son oreille. Il sourit aux anges. Et sombra dans le sommeil.


[1] Rigoureusement exact. En 1995, le 24 décembre était un dimanche. C'est à cette date que se situent nos deux protagonistes :)


Prochain chapitre : Me 02/10. Reviews, si le cœur vous en dit ? :)