Chapitre 7 - Celui qui faisait sauter un chaudron

La première semaine de cours fut des plus éprouvantes. Les journées s'enchaînaient à une telle allure qu'il me semblait n'entendre que le réveil du petit matin.

Les professeurs réclamèrent les devoirs faits pendant les vacances et Doug récolta quelques points en moins en constatant qu'il les avait tous oubliés chez lui. Dépité, il me demanda de bien vouloir écrire à sa mère afin qu'elle lui envoie ses parchemins. «Si je le fais, tu peux être sûr que le hibou se perdra en chemin», soupira-t-il.

J'avais grande hâte d'être en week-end. Le soleil avait enfin fait son apparition et Finn nous proposa une baignade dans le lac noir avant l'arrivée des premières fraîcheurs de l'automne. Hélas! un incident de potion en décida autrement.

Les cours présidés par le professeur Slughorn faisaient partis de mes matières préférées. Les copains aimaient se moquer de moi en clamant que j'étais le chouchou du professeur et qu'il ne faisait aucun doute que je serais invité l'année prochaine au Club de Slug. Bien qu'au début, je me rebiffais (triste constat, le «même pas vrai d'abord!» agrémenté d'une langue tirée n'a jamais été une plaidoirie des plus fructueuses), j'avais fini par hausser les épaules. Grand bien me fasse si je posais un orteil dans le club très select de Slughorn! C'était le tremplin assuré pour ma carrière d'alchimiste…

Toujours est-il que j'étais content de retrouver le chemin des cachots en ce jeudi matin, pour un double cours avec les Gryffondors.

Slughorn m'adressa un joyeux sourire tandis que je rejoignais ma paillasse en compagnie de Finn. Le professeur échangea quelques paroles aimables avec certains élèves, ignorant d'autres (triste vérité, Slughorn marquait sa préférence). Lorsque le silence se fit, il nous souhaita la bienvenue à son cours et nous indiqua la recette pour composer une potion à hérisser les cheveux.

Toute la classe travailla presque dans le silence. À mes côtés, Finn ne cessa de ricaner tandis qu'il découpait une tranche de chou péteur et deux Gryffondors s'essayèrent au duel avec leurs cuillères en bois.

Penché au-dessus de mon Manuel avancé de préparation de potions, je suivis à la lettre la recette. Je pilonnai deux mesures d'orties avec trois yeux de poissons jusqu'à obtenir une poudre que je m'empressai de plonger dans mon chaudron. Bien évidemment, je dus supporter les commentaires de Libatius, qui ne cessa de critiquer chacun de mes gestes.

«Deux pieds, tes yeux de poissons ne sont pas frais là! Tu veux empoissonner (1) ton buveur ou quoi? Doucement, les queues-de-rat, sinon ton chaudron va nous péter à la tronche!».

Une vingtaine de minutes plus tard, ma potion prit la délicate couleur verte qu'elle était censée arborer à ma plus grande satisfaction. Slughorn me félicita — un peu trop bruyamment, j'en convins — lorsqu'il passa près de ma table.

—Excellent, Monsieur Witty, comme toujours! s'exclama-t-il en m'accordant au passage cinq points.

«Ouais, bah c'est pas fini! La partie la plus délicate arrive. Va falloir lancer un sortilège de durcissement maintenant».

Je déglutis péniblement. En général, je trouvais la parade avec Finn: je l'aidais dans la préparation de sa potion, et lui jetait les sortilèges sur mon chaudron lorsque j'en avais besoin.

«Deux pieds, va falloir te grouiller si tu veux pas que ta potion tourne!»

Finn était occupé à ranger les queues-de-rat dans les grandes étagères de l'autre côté du cachot. Je pris alors ma baguette, bien décidé à lancer ce maudit sortilège.

«Tu peux le faire, deux pieds».

Mes mains tremblaient et une pellicule de sueur froide me couvrit le front. Je pris une profonde inspiration, pointai ma baguette au-dessus du breuvage et…

Duro!

La potion commença à bouillonner de manière inquiétante et des bulles de plus en plus grosses éclatèrent à la surface. Avant que je ne puisse réagir, un bruit sourd retentit et la potion m'explosa à la figure, projetant des éclaboussures multicolores un peu partout.

Un silence pesant s'abattit sur la classe et je sentis sur ma nuque les regards de mes camarades, dont celui de Finn qui laissa échapper un «pfiou, je l'ai échappé bel!».

La bonne nouvelle, c'était que la potion fonctionnait, mes cheveux étaient tout hérissés sur le sommet de mon crâne. La mauvaise nouvelle était que mon chaudron était désormais fiché au plafond, des gouttelettes dégoulinant lentement sur ma table de travail.

C'était un désastre complet.

Quelques rires étouffés s'élevèrent tandis que le professeur Slughorn s'avançait jusqu'à ma table. Ses yeux allèrent vers le chaudron avant de se poser sur mes cheveux, et un sourire amusé se dessina brièvement sur ses lèvres, cependant bien vite remplacé par une expression plus pensive.

—Eh bien, eh bien! dit-il en secouant la tête. Cela ne s'est pas déroulé comme prévu, n'est-ce pas MrWitty? Même si vous avez atteint l'effet désiré de manière… spectaculaire, si je peux dire.

Son ton oscillait entre l'amusement et la déception. Il porta la main à son élégante montre à gousset suspendue à son gilet et indiqua à la classe qu'il restait dix minutes avant la fin du cours et qu'il attendait les échantillons sur son bureau.

Un soupir s'échappa de mes lèvres en songeant à la mauvaise note que j'allais recevoir. Dépité, j'attrapai un chiffon et essuyai les éclaboussures qui recouvraient ma table. Je sentis sur moi le regard désolé de Finn.

—Ne dis rien, marmonnai-je, la mâchoire crispée.

Sans un mot, il leva sa baguette pour faire descendre le chaudron qui atterrit en douceur devant moi. Il était fendu d'un côté, et j'étais bon à envoyer un hibou à mon grand-père afin qu'il m'en envoie un neuf.

L'horloge sonna la fin du cours lorsque les dernières gouttes de ma potion ratée disparurent. Slughorn leva la voix pour se faire entendre par-dessus le chahut et donna à la classe dix centimètres à rendre pour le prochain cours sur les effets des queues-de-rat sur les élixirs, avant de nous libérer.

—Sauf vous, Mr Witty, j'ai à vous parler, dit-il.

Le cœur serré, je rangeai mes affaires dans mon sac, soulagé de ne plus entendre les commentaires désobligeants de Libatius, quand Finn me tapota l'épaule.

—J'ai une idée, dit-il avec un sourire ravi.

—Je ne suis pas d'humeur, O'Mahony, grondai-je.

Sans que je m'y attende, il brandit sa baguette et coupa une mèche de ma chevelure hérissée qu'il glissa dans une petite fiole.

—Apporte ça à Slughorn, souffla-t-il, le regard pétillant de malice. Le connaissant, il va apprécier. On se voit au dîner!

Et il quitta le cachot, son sac pendant sur son épaule.

D'un pas traînant, je rejoignis le bureau du professeur Slughorn, me préparant à recevoir un blâme. Refusant de croiser son regard, je triturais un fil dépassant de ma manche, terriblement gêné.

Slughorn eut un soupir.

—Je ne peux nier que vous avez un certain talent, MrWitty. Vos connaissances en théorie magique sont admirables, et vous êtes sans doute le seul élève que je n'ai pas envie d'ensorceler en corrigeant la copie… Cependant, la théorie ne fait pas tout. Même si votre potion a fonctionné, vous n'avez pas su maîtriser le sortilège.

Chaque mot que Slughorn prononçait ne faisait qu'amplifier mon sentiment d'échec et raviver les braises d'un intense mal-être. Mes doigts se crispèrent autour de la petite fiole donnée par Finn quelques instants plus tôt. Toutes mes années à Poudlard à tenter d'apprendre puis à apprivoiser ma magie me conduisaient à une impasse, et je continuais à trébucher à chacun de mes sortilèges, là où les autres progressaient presque sans effort.

Un mélange de frustration et d'angoisse bouillonna en moi, mais je fis tout pour ne rien laisser paraître.

Voyant que je ne répondrais pas, Slughorn poursuivit:

—Il serait dommage qu'un tel potentiel soit gâché, n'est-ce pas?

Je hochai la tête, les mots refusant toujours de sortir de ma bouche. Il eut un nouveau soupir avant de me faire signe d'y aller.

Je glissai d'une main timide la petite fiole contenant une mèche de mes cheveux sur son bureau, ce qui eut le mérite de le faire rire.

—Allons, je ne serais pas trop dur avec vous pour cette fois-ci! reprit-il avec bienveillance.

—Merci, Monsieur, marmonnai-je dans un filet de voix avant de déguerpir.

Le moral au fond du chaudron, je fis l'impasse sur le thé et les petits gâteaux pour trouver refuge dans mon jardin secret après les cours.

C'était à la lisière de la Forêt Interdite que je cultivais mon potager, dans un endroit assez reculé pour que personne ne le trouve, sans pour autant empiéter sur la Forêt.

Agenouillé sur le sol, les mains et les ongles pleins de terre noire et grasse, je plantai les graines d'Hellébore noir qu'Arthur m'avait offert durant l'été. J'avais bien l'intention d'en étudier la pousse et ses propriétés, notant déjà sur un carnet que je gardais dans mon sac la date de plantation.

—Tiens! Mais c'est le petit Witty! rugit une grosse voix par-dessus mon épaule.

Je me retournai vivement: «Hagrid!» lançai-je, ravi de la présence du garde-chasse.

Il était le seul à connaître l'emplacement exact de mon petit lopin de terre, découvert par hasard trois ans auparavant alors qu'il chassait d'immondes limaces responsables de l'anéantissement de ses cultures de citrouilles. Depuis, il venait volontiers voir mes boutures et n'hésitait pas à me prodiguer certains conseils pour améliorer la pousse.

À l'abri sous mon arbre à Pipaillons dont les branches se balançaient sous le vent léger, nous échangeâmes les dernières nouvelles: nos vacances respectives, la douceur de ce mois de septembre, la reprise des cours et l'atterrissage spectaculaire de l'Hypérion.

—Alors, que fais-tu pousser de beau cette fois-ci? me demanda Hagrid tout en s'intéressant aux quelques graines racornies que je tenais encore dans la main.

—De l'Hellébore noir, dis-je avec un sourire. J'ai hâte de voir sa floraison, c'est prévu pour décembre! Vous saviez qu'on les appelait aussi les Roses de Noël?

Hagrid ne partagea pas mon enthousiasme. Il me rappela que cette fleur était couramment utilisée pour les élixirs peu recommandables, dont certaines avaient des propriétés, disons… récréatives (2).

—Je veux juste étudier sa floraison, c'est tout, marmonnai-je en rougissant.

—Et je peux savoir comment tu les as eus?

Comme je ne pouvais pas dire que c'était Arthur qui les avait chipés dans les réserves de ses cousins d'Amérique, je mentis en annonçant que je les avais trouvés dans la boutique de mon grand-père. Hagrid eut l'air de se contenter de cette information et changea de sujet.

—J'allais oublier! Un troupeau de Veaudelunes a élu domicile à l'orée de la Forêt interdite, tout près de la trouée des Chaporouges. Si ça t'intéresse, je pourrais t'emmener aller les voir un soir!

Et pas qu'un peu! Je lui donnai rendez-vous le dimanche après le dîner devant sa cabane afin d'aller voir au plus près ces animaux absolument fantastiques.

Je m'en frottai les mains d'avance. En plus d'être particulièrement rare à étudier, j'espérais aussi pouvoir récupérer un peu de leurs crottes afin de mener quelques expérimentations sur mon pied de Bubobulb afin d'accroître la qualité de son pus…

—J'AI ÉTÉ PRIS!

Je sursautai si violemment que mon bol de soupe se déversa à moitié sur mes genoux. Je jetai un regard noir à Finn qui, couvert de boue et sa robe de sorcier dégoulinant encore de pluie, souriait tellement qu'l semblait avoir avalé sa baguette magique.

—Qu'est-ce que tu racontes? demanda Arthur en essuyant le jus de citrouille qui avait coulé sur son menton.

Finn posa son balai sur la table des Poufsouffles, faisant fi de l'hygiène, avant d'enjamber le banc pour s'asseoir au côté de Doug, nous éclaboussant de pluie au passage.

—Vous avez devant vous le nouveau batteur de l'équipe de Quidditch des Gryffondors!

Et sur cette annonce fracassante, il se servit allégrement de ragoût.

—Mais c'est une super nouvelle! s'exclama Doug en lui donnant une grande tape dans le dos.

—Toutes mes félicitations, renchérit Arthur tout en inclinant légèrement la tête en signe d'approbation.

Mais son plus grand sourire, Finn le réservait pour moi.

—Tu ne pourras pas te défiler, Witty, tu as désormais l'obligation d'assister à tous mes matchs pour me soutenir! Tu me l'as promis!

Je grimaçai. Le Quidditch n'était pas du tout ma tasse de thé et je regrettai amèrement d'avoir conclu ce pacte en première année.

C'était le hasard qui nous avait liés lors des premières semaines à Poudlard, au gré des cours et des rencontres fortuites.

Mon premier ami avait été Arthur alors que nous partagions un compartiment du Poudlard express, et il m'avait paru aussitôt sympathique sous ses airs réservés. Durant ce voyage, nous avions partagé nos espoirs, nos rêves et nos craintes, et nous nous étions aussitôt bien entendus. Le fait qu'il soit un Rookwood et réparti à Serpentard n'avait rien changé à notre entente, et nous nous étions retrouvés le lendemain matin à reprendre notre discussion de la veille lors d'un cours commun de sortilèges. Après tout, une légende tenace disait que les amitiés nées dans le Poudlard express étaient destinées à durer toute la vie.

C'était à la Bibliothèque que j'avais rencontré Doug, alors qu'il cherchait un exemplaire de l'Encyclopédie des créatures invisibles du néant qui n'existe pas. La crise de nerfs avait bien failli avoir raison du Poufsouffle, et je m'étais porté à son secours. Il ne m'avait guère fallu de temps pour comprendre qu'il s'agissait d'une plaisanterie fomentée par des élèves de septième année, et que l'encyclopédie en question n'existait pas… J'avais eu cependant l'envie de rendre à ces farceurs le Gallion de leur pièce, et mon don si particulier m'avait permis de demander à un ami de Chester, Chapelier de son état et personnage tout aussi excentrique, de créer pour moi cette Encyclopédie absurde qui changeait à chaque fois qu'on le lisait. Les Poufsouffles farceurs en avaient eu pour leurs frais et n'avaient plus jamais osé embêter Doug après cet épisode…(3).

Quant à Finn, c'était à la suite d'un cours de métamorphose.

J'avais bien sûr tenté de me lier d'amitié avec les quatre autres Serdaigle de ma promotion, mais ils partageaient une passion pour le Quidditch que je n'avais pas. Aussi, lorsqu'ils m'avaient demandé quelle équipe je soutenais, force avait été de leur avouer que le Noble Sport ne m'intéressait pas. Le garçon roux de Gryffondor qui me précédait avait alors pilé net devant moi et je m'étais cogné contre lui. «Comment ça, tu n'aimes pas le Quidditch?» s'était-il écrié, et il avait passé le quart d'heure suivant à tenter de me convertir, ce qui n'avait pas franchement plu au professeur McGonagall qui nous avait menacés tous les deux d'une retenue avant de retourner à son tableau. Le garçon s'était alors tourné vers moi avec un grand sourire: «Je m'appelle Finn», m'avait-il murmuré avant de reporter son attention sur la leçon (4).

Ces trois-là étaient mes meilleurs amis et pour rien au monde je n'aurais voulu en avoir d'autres.

Comme Finn me regardait avec intensité, je finis par lui promettre d'assister à tous ses matchs — au détriment de ceux de ma propre maison, que je prenais soin d'éviter de toute façon.

—Une chance qu'il ne nous demande pas de porter les couleurs de Gryffondor, me souffla Arthur à l'oreille tandis que Finn racontait ses essais à un Doug émerveillé par ses exploits.

Je regagnai mon dortoir afin de mettre la main sur mon devoir de botanique à rendre pour le lendemain.

—Tu en as mis du temps! marmotta Chester en me voyant.

—Désolé, Finn nous a retenu. Il a été sélectionné au poste de batteur, m'excusai-je tout en fouillant mon bureau.

—Excellent choix, ronronna mon chat d'un air satisfait. Sais-tu que Gryffondor a remporté soixante-cinq pour cent de ses matchs au cours de ces cinq dernières années? Une nouvelle recrue peut parfois faire la différence. J'ai hâte de le voir en action.

—Ah bon? marmonnai-je. Bon sang, où ai-je fichu ce devoir?

—Ici, me répondit Chester en désignant du bout de sa patte un rouleau traînant sur mon lit. Je l'ai lu. Excellent, comme d'habitude. Au fait, n'aurais-tu pas voulu toi aussi rejoindre l'équipe de Serdaigle?

—Non merci! lançai-je en déroulant le parchemin. Je ne tiens pas à me ridiculiser sur un balai ni à finir à l'infirmerie à chaque match.

Chester soupira.

—Tu manques trop de confiance en toi, Eugène, me sermonna-t-il.

—Peut-être, mais il n'empêche que même si j'étais un as du pilotage de balai de course, je ne voudrais pas faire partie de l'équipe!

—Et pourquoi donc?

—Je ne peux qu'imaginer la pression que va subir ce pauvre Finn durant les prochains mois! Les autres joueurs vont compter sur lui et la moindre faute, même minime, retombera sur sa personne. Et puis, je n'ai jamais rien compris aux règles du Quidditch, et moins je participe à des matchs, mieux je me porte! (5)

Chester ricana.

—Si tu me cherches, je suis dans la Salle commune à recopier mes cours.

—Je t'accompagne, me proposa-t-il en sautant gracieusement sur le tapis.

Toutes les tables étaient prises, aussi m'installai-je sur la longue banquette sous les grandes fenêtres. Je me calai contre un épais coussin bleu, utilisai mon manuel d'astronomie comme support et, coinçant ma plume entre mes dents, je dévissai délicatement le couvercle de mon petit pot d'encre. Chester se cala tout contre moi, et je sentis le souffle régulier de sa respiration.

Je recopiai ainsi en silence mon devoir de botanique, seulement entouré par le murmure feutré des conversations qui se mêlait au bruissement des pages tournées et au grattement des plumes sur le papier.

Un léger battement d'ailes attira mon attention. Je levai les yeux pour apercevoir un petit oiseau de parchemin voleter jusqu'à moi. Chester se redressa légèrement, ses yeux mi-clos fixant la missive d'un air curieux. L'oiseau se posa sur les abords de mon livre et ses ailes s'immobilisèrent avant de se déplier lentement, dévoilant un message qui m'était destiné.

Cher Monsieur Witty,

J'ai récemment pris connaissance, par l'entremise du professeur Horace Slughorn, de vos difficultés en magie, et j'aimerais en discuter avec vous afin d'explorer ensemble d'éventuelles solutions.

Je vous propose de nous rencontrer demain à mon bureau à 17h.

Dans l'attente,

Isabel O'Dea, professeur de théorie magique.

—Il ne manquait plus que ça, marmonnai-je.

—Elle te propose son aide, c'est tout, dit Chester qui avait lui aussi pris connaissance du message. Je pense que tu devrais accepter.

—Je suppose marmonnai-je. C'est juste que je n'ai pas très envie d'y aller.

Chester s'étira de tout son long avant de poser sa tête sur mon bras. «Mieux vaut affronter cela aujourd'hui que de rester dans l'incertitude demain», philosopha-t-il.

Je fixai un moment le message. L'idée de me rendre à cet entretien me déplaisait fortement, mais Chester avait raison. Et puis, le professeur Slughorn ne serait sans doute pas ravi d'apprendre que je m'étais défilé.

Je soupirai avant de reprendre la retranscription de mon cours de botanique tandis que Chester se rendormait, ronronnant telle une locomotive.,

Je me retrouvai donc le lendemain à l'heure dite devant la porte menant au bureau du professeur O'Dea, le cœur battant, et déchirant d'un geste nerveux le message qu'elle m'avait envoyé.

Je levai la main et toquai trois fois d'un air timide, espérant que le professeur serait absent; hélas! la porte s'ouvrit et une voix douce m'invita à entrer.

Je n'avais jamais eu l'occasion de suivre les cours de théorie magique, ordinairement réservés aux élèves assidus de sixième et septième année, qui se concentrait sur les fondements et les lois qui régissaient la magie, au-delà de la simple pratique des sortilèges.

Autant dire que mon nom était inscrit tout en haut de la liste pour l'année prochaine.

J'entrai donc dans le bureau, à la fois inquiet et curieux, et je fus aussitôt frappé par l'austérité qui régnait dans la pièce. Une bibliothèque occupait un pan entier du mur et était remplie de livres anciens sans qu'un seul dépasse. Dans l'âtre de la grande cheminée, sur laquelle avaient été sculptées les armoiries de Poudlard, pétillait un feu qui diffusait une chaleur agréable. Au centre trônait un grand bureau en bois massif sur lequel étaient disposés un encrier en argent, une plume de phénix rouge et or, un sablier en cristal ouvragé qui se retournait lorsque le dernier grain s'était écoulé et un cadre photo qui représentait un jardin verdoyant. On y voyait un grand chêne dont les branches se balançaient doucement sous la brise ainsi qu'une balançoire accrochée.

Aucun grimoire ne traînait, aucun parchemin ne dépassait, chaque objet semblait être à sa place.

Et, derrière ce même bureau, assise sur un fauteuil en cuir noir, se tenait la professeure Isabel O'Dea.

—Bonsoir, MrWitty, dit-elle avec un charmant sourire.

C'était une belle femme, à n'en pas douter, mais d'une élégance froide. Sa peau était pâle, ses traits aussi fins qu'une statue de marbre. Ses cheveux blonds, coupés au carré, étaient ondulés sur l'un des côtés de sa tête et ses yeux, d'un bleu perçant presque glacial, semblaient vouloir lire au plus profond de mon âme. Elle portait une robe ajustée aux teintes sobres, qui accentuait sa grande taille et son allure sévère.

Elle se leva, sans se départir de son sourire, et m'invita à prendre place sur l'un des fauteuils qui encadraient une table basse. Elle agita sa baguette magique pour fermer la porte derrière moi dans un claquement sec et j'eus la sensation d'être pris au piège.

Je pris place sur l'un des deux fauteuils, le dos raide et le corps tendu, prêt à bondir pour prendre la fuite. Mes mains s'égarèrent un instant sur les accoudoirs, mais je les retirai aussitôt pour les poser sur mes genoux, triturant d'un geste nerveux l'ourlet de ma robe de sorcier.

—Souhaitez-vous du thé? me proposa le professeur.

Je secouai la tête, incapable d'avaler quoi que ce soit, même ma propre salive. De nouveau, elle agita sa baguette et un service à thé vola à travers la pièce pour se poser sur un guéridon. Elle se renfonça confortablement dans son fauteuil et laissa le soin à la théière de lui servir une tasse.

—Le professeur Slughorn m'a raconté votre petit incident en cours de potion. Il m'a dit que ce n'était pas la première fois qu'une telle situation se produisait. Je me suis permise de demander à vos autres professeurs vos antécédents, et ils m'ont raconté peu ou prou la même chose… J'ai cru comprendre que depuis votre première année, vous rencontrez quelques difficultés avec votre magie…

Je hochai la tête, habité par un sentiment de honte immense.

—MrWitty, je suis là pour vous aider. J'ai déjà rencontré des sorciers rencontrant des difficultés comme les vôtres. Avez-vous déjà consulté un psychomage?

—Non, dis-je dans un filet de voix.

—Il arrive parfois qu'un évènement tragique survenu durant l'enfance inhibe la magie et l'empêche de s'épanouir pleinement. Le professeur Flitwick m'a indiqué que vous viviez chez votre oncle. Qu'est-il arrivé à vos parents?

Voyant que je ne disais rien et que je fuyais son regard, elle poussa un soupir.

—Comme je vous l'ai dit, je peux vous aider, reprit-elle en se penchant un peu plus en avant. Je ne suis pas là pour vous juger. Ne souhaitez-vous pas produire un sortilège réussi avec votre baguette magique?

Je hochai la tête, mais mes lèvres étaient scellées. Mon oncle m'aurait dit d'une voix sentencieuse que je n'étais pas très poli, mais je ne connaissais pas cette dame, et je n'avais pas envie de lui exposer mon passé et mes peurs.

Elle comprit que je ne lui dirais rien, aussi changea-t-elle de tactique.

—Le professeur Slughorn m'a aussi dit que vous excelliez en théorie magique! Il m'a fait lire votre essai sur le venin de Runespoor… Je dois admettre que j'ai été impressionné sur votre hypothèse de stabilisation du venin à basse température dans une potion de lucidité!

Je haussai les épaules. J'avais ajouté cette hypothèse sur mon parchemin simplement pour tester une idée, sans réellement penser qu'elle fonctionnerait? Le venin de Runespoor était extrêmement rare et donc coûteux, et le professeur Slughorn avait été peiné de me dire que mon hypothèse ne pourrait sans doute pas être étayée dans l'immédiat.

Le regard du professeur O'Dea se fit plus perçant. Il n'était plus question de répondre par onomatopée. Je savais qu'elle essayait de me mettre à l'aise en me couvrant de compliments bienveillants et même si cela ne m'enchantait pas, je fis l'effort de lui répondre.

—Oui, j'aime beaucoup effectuer des recherches sur des sujets variés. J'étudie en ce moment l'influence des alignements astrologiques sur la potion de Wiggenweld, marmonnai-je.

—Voilà qui est très impressionnant! s'exclama-t-elle. J'imagine que je vous verrais l'année prochaine dans ma salle de classe…

—Pour tout vous dire, je regrette ne pas commencer vos cours cette année.

Elle me regarda un instant, songeuse.

—Et si je vous proposais d'y assister?

Mes yeux s'agrandirent de stupeur, certain d'avoir mal entendu.

—P… pardon?

Elle abandonna son aspect rigide pour plier tout son corps vers moi, comme si elle voulait m'avaler tout cru. D'instinct, je reculai vivement, mon dos heurtant le dossier du fauteuil.

—Voici ce que je vous propose, dit-elle. Nous nous voyons une fois par semaine, tous les jeudis soir, et, une fois par mois, je vous autorise à suivre l'un de mes cours de théorie magique.

Je déglutis péniblement, mal à l'aise.

Elle était très maligne de m'appâter de la sorte. Mon premier réflexe fut de la remercier et de refuser. Mais je pensais au professeur Slughorn tellement déçu de ne pas me voir réussir.

Je me fis alors la réflexion qu'il était étrange que, de tous mes professeurs de Poudlard, ce soit lui dont l'opinion comptait autant à mes yeux. Je craignais toujours de décevoir Slughorn et j'avais toujours en moi ce besoin viscéral de recevoir de sa part son approbation.

—C'est d'accord, consentis-je à mi-voix.

Elle darda sur moi un regard intrigué.

—J'avais oublié que vous êtes un Serdaigle, dit-elle avant de me décocher un charmant sourire. Très bien, nous nous verrons donc jeudi prochain. Je ne vous retiens pas plus longtemps. Bonne soirée, Monsieur Witty.

—Merci, vous aussi, marmonnai-je avant de prendre la fuite.

Je pris la direction de ma Salle commune, furieux contre moi-même. Je n'aimais pas du tout l'idée de ces entretiens. Sans doute le professeur O'Dea était une spécialiste, mais je supputai qu'elle ne manquerait pas de me poser des questions gênantes, et ça, je ne le voulais pas.

—Tu peux le faire Witty, marmottai-je entre les dents pour me donner du courage. Deux ou trois sessions, elle se lassera de tes problèmes magiques…

Un gloussement soudain me fit lever la tête, et je vis la fille rousse non loin de moi me dévisager avec un large sourire sur les lèvres, visiblement amusée de me surprendre à me parler tout seul. Et, avant que je n'aie le temps de faire un geste, elle tourna les talons et déguerpit.

—Hé! Attends-moi! m'écriai-je avant de me lancer à sa poursuite, incommodé par mon sac et mes livres de cours. Je veux juste connaître ton nom!

J'aperçus sa tête rousse se ruer dans la salle des trophées et je la suivis sans réfléchir. Cette fille, je ne l'avais vu nulle part depuis le malencontreux accident du premier jour. Ni dans la Grande Salle ni à la bibliothèque et encore moins dans les couloirs de l'école.

Hélas, elle était bien plus rapide et futée que moi, car je perdis sa trace.

—Tu ne pourras pas fuir éternellement! m'exclamai-je.

Seul un caquètement me répondit et mon sang se glaça dans mes veines.

Peeves!

L'esprit frappeur surgit devant moi, un sourire effrayant sur son visage diabolique.

—Mais qu'avons-nous donc là? Witty le ouistiti? Qu'est-ce que tu vas encore nous inventer aujourd'hui?

Il exécuta une sorte de pirouette avant de chantonner de son horrible voix aiguë:

Des chaudrons qui pètent, des baguettes qui toussent,
Witty est là, mieux vaut qu'on se pousse
!
Des potions qui moussent, des éclairs dans les airs,
Il transforme un simple sort en désastre légendaire
!

Avec l'expérience j'avais appris qu'il ne fallait jamais contrarier l'esprit frappeur et encore moins lui répondre. Plus la victime de ses farces se rebiffait et plus il aimait ça. Je me tins donc tranquille, attendant qu'il se lasse de moi.

Notant mon manque de réaction, Peeves s'approcha un peu plus de moi, gonflant ses joues d'air qu'il expulsa sur mon visage.

—Allô, allô, il y a quelqu'un?

Ses sourcils se froncèrent tandis que je prenais un air blasé. Et, alors qu'il allait commettre je ne sais quelle pitrerie, un bruit sourd nous surprit tous les deux, suivi d'un ouille! peu gracieux.

Une armure venait de se fracasser sur le sol. À ses côtés se tenait la fille rousse qui vrilla son regard dans celui de Peeves tout en frottant ses mains l'une contre l'autre.

Toi, dit Peeves dans un grondement.

—Moi, confirma-t-elle.

Et elle lui tira la langue.

L'esprit frappeur poussa un cri terrifiant avant de se lancer à sa poursuite. J'entendis l'écho des pas dans le couloir tandis qu'elle l'appelait à tue-tête: «Peeves! Peeves!».

—C'est moi qui mets la pagaille dans les armures, tu m'entends? Moi! cria-t-il en retour.

Je restai de longues secondes sans bouger, le bruit de la cavalcade infernale s'éloignant enfin.

À mes pieds, l'armure toussota pour attirer mon attention:

—Dites, si vous avez cinq minutes, vous pourriez m'aider à me relever ?


1 Empoissoner: verbe utilisé pour désigner l'action involontaire (ou pas) de ruiner une potion en y ajoutant un ingrédient d'origine aquatique, et produisant un élixir qui a plus de chance de donner des branchies à son consommateur que l'effet désiré. A ne pas confondre avec le verbe empoisonner, bien que les deux aboutissent parfois au même résultat…

2 Oui, Eugène cultive de la drogue.

3 La légende veut même que l'Encyclopédie des créatures invisibles du néant qui n'existe pas soit toujours dans les étagères de la Salle commune des Poufsouffles.

4 Cette rencontre est très fortement inspirée de celle entre Olivier Dubois et June Tierney de la fanfiction de Owlie Wood, June Tieney's Diary, disponible sur . Si vous appréciez Olivier Dubois et le Quidditch, foncez lire cette petite merveille! C'est la meilleure des fanfictions que je n'ai jamais lu. Littéralement.

5 L'autrice aimerait remercier ici Eugène de ne pas aller voir un match de Quidditch. En effet, pour avoir déjà participer à la rédaction des affrontements pour une autre camarade de Poufsouffle, retranscrire un match est en vérité long et chiant à faire.


Note de bas de page :

Bonjour à tous !

Jusqu'ici, vous avez lu une version corrigée et améliorée des chapitres déjà publiés, avant que je ne prennes la décision de tout remanier. Mais à partir de ce chapitre, on entre en terrain inconnu (enfin, surtout pour vous, moi, je sais déjà ce qu'il va se passer !). Les prochains chapitres seront donc totalement inédit. J'espère que cette suite vous plaira autant que moi je prend plaisir à l'écrire...

Je vous donne rendez-vous le 15 février pour le chapitre 8, intitulé "Celui qui lisait un livre sur le Quidditch".

Attendez quoi? Non non non, j'avais dit que je ne voulais pas écrire sur le Quidditch !

Oh zut...

Citrouille