Chapitre 27 - Flashback 2
Mars 2002
Hermione se penchait sur les livres qu'elle avait achetés chaque minute du temps libre qu'elle avait. Elle les avait métamorphosés pour qu'ils ressemblent à des textes sur l'arithmancie, les runes anciennes et la guérison, et personne ne cilla de la trouver plongée pendant qu'elle fabriquait des potions, pendant les moments calmes à l'hôpital ou pendant les repas.
Elle ne savait pas si certaines de ces informations se révéleraient réellement utiles, mais elle ne connaissait pas d'autres façons de se préparer. Les livres étaient la seule ressource qu'elle avait. Alors elle lut, fit des brain-storming, se rongea les sangs et se surprit à répondre aux gens sur la défensive.
"Je suis désolée, Fred," dit-elle en grimaçant alors qu'il s'était arrêté pour rendre visite à George. Il avait essayé d'alléger l'atmosphère en lui recommandant de fournir des soins d'infirmière coquine à son frère. Hermione, se rendant abruptement compte que le sujet était sensible, avait explosé devant lui et l'avait presque giflé.
Elle détourna les yeux. "Je n'ai juste… je n'ai pas beaucoup dormi ces derniers temps."
C'était une excuse pathétique.
Personne ne dormait plus, ni ne l'avait fait depuis un long moment.
Peu importait la planque, il y avait toujours quelques personnes debout à toute heure ; jouant aux cartes, fumant, ou faisant quelque chose d'autre pour faire passer les longues heures de la nuit.
Harry était presque toujours parmi les insomniaques. Il semblait vivre sur une quantité impossiblement insuffisante de sommeil. Il ne savait même plus si les cauchemars venaient de Voldemort ou juste de son propre stress et sa propre culpabilité. Quand il commençait à rentrer dans les murs et à rester debout à regarder dans le vide, Hermione le traînait jusqu'à la salle d'hôpital et lui administrait une potion de Sommeil sans rêves.
Hermione avait ses propres cauchemars, le plus souvent de Harry et Ron qui mouraient pendant qu'elle essayait de les sauver sans y arriver.
Les visages des morts la hantaient aussi.
Tous les gens qu'elle n'avait pas été assez rapide ; pas été assez intelligente ; pas été assez douée pour sauver.
Colin Crivey apparaissait souvent dans ses rêves.
Colin avait été la première personne à mourir sous les soins d'Hermione. C'était un peu après que Voldemort ait pris le contrôle du Ministère, avant que l'Ordre n'ait été forcé d'abandonner Poudlard. Madame Pomfresh était sortie pour acheter de nouvelles potions quand Colin était arrivé. Harry avait été là, tenant compagnie à Hermione pendant ce qui avait été une après-midi calme.
Colin avait été frappé par un sort d'écorchement. Il n'y avait pas de contre-sort pour ça.
Hermione ne pouvait pas endormir Colin.
Le sort le forçait à rester conscient. Stupéfix, Sommeil sans rêve, même la Goutte du mort vivant. Rien n'avait fonctionné. Le sort le découpait et le gardait conscient. Hermione avait essayé tout ce qui lui avait traversé l'esprit pour l'inverser. Le ralentir. Le faire s'arrêter. La peau avait continué de s'éplucher. Colin avait crié tout le long. Si elle restaurait la peau à un endroit, elle s'écorchait de nouveau. Si elle ne remplaçait pas la peau, le sort coupait plus profond. Dans les muscles et les tissus.
Le sort ne s'était pas arrêté avant d'atteindre ses os.
Colin Crivey était mort entouré par un tas de fines couches de sa chair, dans une mare de sang, alors qu'Hermione sanglotait et essayait de faire tout ce qu'elle pouvait pour le sauver.
Il ne restait de lui qu'un squelette parfaitement nettoyé quand Madame Pomfresh était revenue.
Hermione ne s'en était jamais remise.
Elle ne fumait pas, ne buvait pas, ne partait pas se battre, ne couchait pas avec désinvolture. Elle ne faisait que travailler plus dur et plus longtemps. Elle n'avait pas le temps pour le chagrin ou les regrets. Il y avait toujours un nouveau corps qu'on lui apportait et elle n'avait pas le temps de se poser de question.
Elle dormait quand elle était trop épuisée pour rêver.
Elle leva les yeux vers Fred. "C'est juste une mauvaise journée."
Il lui fit un petit sourire. "Ce n'est rien, Mione, tu as le droit d'en avoir comme nous tous. Honnêtement, je n'arrive pas à comprendre comment tu fais pour continuer à faire ça."
Hermione se retourna et regarda autour d'elle, se sentant impuissante.
"Si je ne le fais pas, qui le fera ?"
L'Ordre comptait sur elle pour être présente.
Ce n'était pas un sentiment né d'une haute opinion d'elle-même. C'était simplement un fait. À ce stade de la guerre, Hermione était plus spécialisée dans la guérison de la magie noire et des sorts que n'importe qui en Grande-Bretagne.
Quand Voldemort avait pris le contrôle du Ministère de la Magie, l'Ordre avait été forcé d'arrêter d'aller à Sainte Mangouste. Tout membre de la Résistance envoyé à l'hôpital était immédiatement arrêté pour terrorisme et disparaissait ensuite dans les prisons de Voldemort.
La prise du Ministère avait été soigneusement calculée. La première loi à passer avait été l'acte d'enregistrement des nés Moldus. Voldemort avait compris le rôle vital que la guérison jouait dans une guerre, donc Sainte Mangouste avait été le premier endroit à avoir été purgé sous la nouvelle loi. Tous les nés-Moldus et les sang-mêlés avaient rapidement été arrêtés et s'étaient vu briser leur baguette avant qu'ils ne puissent fuir vers l'Ordre.
Poppy Pomfresh était soudain devenue l'une des guérisseuses les plus expérimentées de la Résistance. Hermione avait été son apprentie et avait étudié intensément depuis la mort de Dumbledore. Quand les guérisseurs européens sympathisants de la cause de la Résistance les avaient secrètement contactés pour leur offrir une formation, Hermione avait été la seule personne dont l'Ordre pouvait se permettre de se passer avec assez de connaissances sur la guérison pour se qualifier.
Elle avait laissé tout le monde derrière elle. Avait dit au revoir et avait été clandestinement passée en Europe d'hôpital en hôpital pour apprendre autant de magie de guérison avancée qu'elle le pouvait. Elle était revenue après presque deux ans quand leur hôpital avait été compromis lors d'une bataille et que tous les guérisseurs qu'ils avaient recrutés avaient été tués, ainsi qu'Horace Slughorn. Severus avait formé Hermione aux potions jusqu'à ce qu'elle parte et elle avait continué ses études pendant sa formation à travers l'Europe car elles étaient liées à la guérison. Quand elle était revenue, Hermione était à la fois pleinement formée comme guérisseuse des urgences et potionniste médicale. Sa spécialité était la déconstruction de sorts dans le but de créer des contre-sorts.
Le premier contre-sort qu'elle avait inventé était pour le sort d'écorchement.
Avec la division de développement de sorts qui créait constamment de nouveaux sorts expérimentaux à chaque bataille, ils avaient désespérément besoin d'elle.
Hermione avait formé autant de membres de la Résistance à la guérison qu'il y avait de volontaires. Malheureusement, la magie de la guérison était un art précis et subtil. Il requerrait une attention et une dévotion sans faille pour être pratiqué avec succès. L'Ordre avait essayé d'inclure au moins une personne avec des capacités de guérison à chaque escarmouche afin d'essayer de garder les combattants en vie assez longtemps pour pouvoir les ramener à l'hôpital. Mais, à cause de la grande demande de mobilisation, les guérisseurs du terrain étaient surchargés et avaient le taux de mortalité le plus élevé de l'Ordre.
La plupart des combattants préféraient passer leur temps libre à s'exercer à la magie défensive plutôt que de croire qu'ils auraient besoin de plus que le kit magique de premier secours basique. L'optimisme borné que cela révélait faisait trembler Hermione de frustration quand elle s'autorisait à y penser.
L'Ordre n'avait tout simplement pas assez de gens pour utiliser la plupart d'entre eux correctement. Les échecs des dirigeants avaient des répercussions qui affectaient toute la Résistance.
Ils n'avaient pas été préparés pour la guerre. La mort de Dumbledore leur avait efficacement coupé les jambes et ils avaient lutté pour survivre depuis lors.
Malefoy avait fait ça.
Son assassinat de Dumbledore les avait estropiés. Condamnés.
Maintenant, il essayait d'apparaître comme un drôle de sauveur, disposé à panser la blessure qu'il avait ouverte.
Hermione le haïssait. Plus qu'elle haïssait quiconque, sauf Voldemort. Antonin Dolohov, à la tête de la division du développement des sorts, suivait en troisième position.
Malefoy avait commencé la guerre, causé tout le mal, et maintenant on lui demandait de ravaler toute sa haine et d'être…
…consentante.
La terreur depuis sa conversation initiale avec Maugrey l'avalait déjà.
Elle ne savait pas comment arrêter de haïr Malefoy. Elle ne pensait pas être assez bonne actrice pour être capable de le prétendre. La pensée d'être dans la même pièce que lui sans essayer de lui jeter un sort… de le punir pour tout ce dont il était responsable… elle ne savait pas si elle avait cette maîtrise d'elle-même.
Hermione serra les dents et pressa son front contre une vitre alors qu'elle essayait de réfléchir, essayait de se forcer à respirer et de ne pas casser quelque chose ou commencer à pleurer.
Elle ne pouvait pas craquer. Elle devait compartimentaliser. Elle devait forcer toute sa haine pour Malefoy dans une boîte et la garder dans un endroit où ça ne pourrait pas fuir et teinter ses interactions avec lui. Elle ne pouvait pas penser clairement si elle était constamment bouillonnante de rage.
Elle devait adopter une perspective plus large.
Utiliser son espionnage était plus important que la satisfaction à court-terme de le détester.
Ils avaient besoin de lui.
Pourtant, une part d'elle-même voulait le faire souffrir. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'espérer qu'une fois qu'ils auraient obtenu ce qu'ils voulaient de lui, elle pourrait lui faire payer.
Mais… s'ils gagnaient la guerre à ce stade, la victoire serait grâce à lui. Hermione avait accepté d'en être le prix. Aussi fort qu'elle le détestait, s'il les sauvait tous, elle savait qu'elle se sentirait obligée de tenir sa part du marché.
Peu importait ce qu'il avait l'intention de lui faire.
Elle se sentit soudain nauséeuse. Elle tremblait, ayant à la fois froid et chaud.
Elle enleva son front de la fenêtre.
Son souffle avait fait un cercle de condensation sur la vitre.
Après un moment, elle tendit le doigt et dessina la rune thurisaz : la force de la destruction et la défense, les épreuves, l'introspection et la concentration. À côté, elle dessina son opposé. Sa merkstave : pour le danger, la trahison, le mal, la malveillance, la haine, le tourment et le dépit.
Elle-même.
Malefoy.
Elle regarda les runes disparaître alors que la condensation s'évaporait.
Elle se retourna vers ses livres.
Maugrey vint la trouver ce soir-là. "Nous avons une heure et un endroit."
"Où ?"
"Forêt de Dean. Vendredi. Vingt heures. J'irai en éclaireur et te ferai transplaner à l'adresse la première fois."
Hermione hocha la tête, croisant le regard de Maugrey. Il y avait une part amère d'elle-même qui voulait qu'il se souvienne de ce moment. Qu'il grave dans sa mémoire ce à quoi elle ressemblait… avant.
Il sembla hésiter avant que son expression ne se durcisse. "Tu dois garder son intérêt aussi longtemps que tu le pourras."
La bouche d'Hermione tressaillit mais elle hocha la tête.
"Je l'avais compris," dit-elle, faisant courir un doigt le long de la tranche de son livre jusqu'à ce qu'elle sente que les pages neuves étaient sur le point de la couper. "Je ne sais pas si je peux, mais je ferai de mon mieux. Y-a-t'il une chance que je puisse parler à Severus d'ici vendredi ? J'ai des questions à lui poser."
"Je vais organiser ça," dit Maugrey. Puis il se tourna et sortit.
Vendredi.
Deux jours plus tard.
Si peu de temps pour se préparer.
Mais tant de temps pour appréhender.
Elle n'avait pas mangé depuis sa première conversation avec Maugrey. Elle n'y arrivait pas. À chaque fois qu'elle essayait de prendre une bouchée, sa gorge s'obstruait. Elle se nourrissait de thé.
Hermione ferma les yeux et se força à respirer régulièrement.
Elle ferma le livre qu'elle tenait et se concentra sur son occlumancie.
Selon Severus, elle avait un talent pour ça.
Elle glissa à travers ses propres souvenirs et pensées, les triant et les organisant. Elle renforça les murs autour des réunions de l'Ordre importantes. Les Horcruxes. Puis elle envoya au loin les souvenirs auxquels elle essayait de ne pas penser.
Il y avait tant de souvenirs de gens qui mouraient dans sa tête.
Elle les poussa au fond de son esprit et essaya de les écraser pour qu'elle ne puisse plus entendre les hurlements d'agonie dont ils étaient remplis.
Elle filtra sa haine pour Malefoy et la rangea soigneusement dans un coin où elle ne pourrait pas la distraire ou la submerger.
Pratiquer l'occlumancie était la chose la plus proche de la paix mentale qu'elle pouvait trouver.
C'était une des choses qui faisaient qu'elle était une guérisseuse talentueuse. Elle pouvait enfermer sa sympathie et son empathie pour simplement se concentrer sur le processus et la procédure de guérison.
Il semblait que c'était un trait commun parmi les guérisseurs.
Un jour, quand la guerre serait finie, peut-être qu'Hermione pourrait mener une étude sur le nombre d'occlumens nés dans le domaine de la guérison.
Elle suspectait que la plupart des guérisseurs de blessures avaient au moins une petite inclinaison inconsciente vers la discipline. L'occlumancie était rarement enseignée, la plupart des gens ne se rendaient souvent pas compte qu'ils l'utilisaient. Hermione ne s'en était pas rendu compte.
Pendant longtemps, elle avait juste pensé qu'elle était froide. Alors que les années de la guerre étaient passé, sa tendance grandissante à éteindre ses émotions et à être simplement rationnelle était d'un contraste saisissant avec les pulsions émotionnelles de Harry et Ron.
Elle n'était pas insensible - elle ressentait les choses. Mais les émotions étaient additionnelles. Elles ne décidaient pas des choses pour elle.
C'était toujours sa tête d'abord, le cœur ensuite.
Cela avait commencé après la mort de Colin. Elle ne pouvait pas être comme Harry. La mort était devenue un moment déterminant pour chacun d'entre eux.
Après avoir vu Hermione essayer de sauver Colin, Harry avait été profondément convaincu de la pure malfaisance de la magie noire. Il était convaincu que ce qu'il ressentait était la vérité ; la façon dont il pensait que les choses étaient censées être.
Pour Hermione, c'était le contraire. Elle avait réalisé l'impossible avantage que les Mangemorts avaient sur l'Ordre. C'était sa prise de conscience sur le prix de l'échec. Elle avait été convaincue que presque tous les moyens étaient justifiés pour arrêter Voldemort. Le prix du choix de s'accrocher aux idéaux moraux et de la défaite était trop élevé. C'était simplement la conclusion logique. Au plus la guerre durait, au plus les gens bons et innocents souffriraient et mourraient.
La différence de conclusion avait créé un schisme entre Harry et elle.
La magie noire était responsable de l'avoir privé de ses parents, de Sirius, de Dumbledore, de Colin… ils lui avaient tous été volés par la magie noire. Que la solution d'Hermione soit de se battre oeil pour oeil était impensable pour Harry.
Harry était déterminé : ils ne deviendraient pas des meurtriers. L'Ordre ne deviendrait pas comme ça. L'amour avait vaincu le sort de mort auparavant. Il vaincrait Voldemort.
Les membres de l'Ordre cyniques et pragmatiques avaient été simplement réduits au silence par tous les autres. Même alors que la guerre empirait, les convictions ne faisaient que se raffermir avec chaque nouvelle vie perdue.
Ceux qui croyaient en la Lumière ne pouvaient abandonner leur position parce que ça les forcerait à admettre que toutes ces morts avaient été inutiles. Qu'ils avaient demandé aux gens de mourir pour un idéal qui avait ensuite échoué.
Plutôt que de faire face à une réalité aussi amère, ils étaient devenus de plus en plus convaincus que les sacrifices et les pertes étaient si énormes que ça devait en valoir le coup. Que l'équilibre de la balance entre le bien et le mal basculerait bientôt en leur faveur, simplement parce qu'ille devait.
Hermione quittait les réunions de l'Ordre sur le point de pleurer de frustration. Elle en était même venue à préparer une présentation qui expliquait l'erreur de coût irrécupérable, l'escalade irrationnelle de l'engagement et la théorie de l'autojustification. Quand elle avait essayé d'expliquer la psychologie moldue, elle avait été mise de côté, et quand elle avait essayé de pousser on l'avait traitée comme si elle était une sorte de monstre lâche ; essayant d'utiliser la psychologie pour légitimer le meurtre.
Elle avait passé treize heures à l'infirmerie à minutieusement reconstruire les poumons du Professeur Flitwick. Quand elle avait été appelée pour une réunion de l'Ordre immédiatement après elle y était allée épuisée, et avait abordé le sujet de la magie noire avec une fureur renouvellée. Elle avait été informée avec colère par un Ron aussi furieux et épuisé qu'elle était une garce et qu'elle ne semblait même pas comprendre le but de l'Ordre.
Plusieurs autres membres avaient hoché la tête. Harry n'en faisait pas partie, mais il avait refusé de la regarder, et il avait donné une accolade à Ron en quittant la réunion.
Elle avait pleuré après.
Severus l'avait trouvée dans un placard, en crise émotionnelle. Après avoir alterné entre l'insulter vaguement et insulter grossièrement le reste de l'Ordre pendant quelques minutes, il avait réussi à lui faire retrouver une contenance.
La flatterie par moyen de retenue.
Quand il était revenu pour la réunion de l'Ordre suivante, il lui avait donné un livre sur l'occlumancie. Il n'avait pas eu le temps de l'entraîner, mais Hermione n'avait pas eu besoin d'entraînement. Juste lire les concepts lui avait permis d'internaliser la technique.
Severus lui avait dit plus tard qu'il l'avait suspecté. Elle était une occlumens née. C'était en partie pour ça qu'elle avait du talent pour la guérison et les potions. Elle avait la capacité de complètement compartimentaliser quand elle en avait besoin.
Après cinq ans de guerre, Hermione avait l'impression que sa vie entière avait été progressivement séquestrée dans différentes petites boîtes. Sa relation éternellement tendue avec Ron et Harry avait été soigneusement enterrée dans un coin où elle ne pouvait pas la sentir. La plupart de ses relations semblaient mises de côté. Au centre d'elle-même, dans la place énorme que son amitié avec Harry et Ron avait longtemps remplie, se trouvait maintenant un gouffre qu'elle occupait consciencieusement avec son travail.
Après quelques minutes, elle rouvrit les yeux et reprit sa lecture. Il ne lui restait que deux jours pour se préparer.
ooo
Minerva McGonagall arriva au Square Grimmaurd à l'improviste l'après-midi suivant, alors que la garde d'Hermione à l'hôpital s'achevait. L'ancienne directrice de Poudlard quittait rarement l'Ecosse. Après que Poudlard ait été fermé, McGonagall avait entrepris de s'occuper de tous les sorciers et sorcières mineurs qui étaient devenus orphelins ou dont les parents se battaient à la guerre. Elle était retournée dans le manoir de son père dans le Caithness et après avoir abusé de charmes d'extension jusqu'à un degré absurde, l'avait rendu assez grand pour héberger plus d'une centaine d'enfants.
Elle voyait quiconque sans parents comme relevant de sa charge. Les parents d'Hermione ayant la mémoire effacée, cachés en Australie, Minerva voyait aussi Hermione comme étant sous son aile.
Elles partirent prendre le thé dans le Londres Moldu.
Quand elles se furent assises, elle regarda Hermione en silence pendant un long moment.
"J'avais espéré que tu refuserais," dit finalement Minerva.
"Pensais-tu vraiment que je refuserai ?" demanda Hermione, la voix calme alors qu'elle finissait de verser le thé.
"Non," dit Minerva avec raideur. "Mes espoirs et mes croyances sont deux choses distinctes depuis un moment maintenant. C'est pour ça que j'ai dit que c'était déraisonnable."
"L'Ordre en a besoin."
Il y eut un silence pendant lequel chaque femme étudia l'autre. La tension entre elles vibrait ; comme le sanglot d'une arche caressant les cordes d'un violon. Nette. Douloureuse. Profondément ressentie.
Après une minute, Minerva parla de nouveau.
"Tu étais l'une des élèves les plus remarquables à qui j'ai eu le privilège d'enseigner. Ton acharnement à Poudlard a toujours été quelque chose que j'admirais."
Minerva fit une pause.
"Mais…?" la pressa Hermione, se préparant pour la critique sévère qui attendait de l'autre côté du compliment.
"Mais…" Minerva reposa sa tasse sur la soucoupe avec un tintement aigü. "la façon dont tu as apporté cette tendance dans la guerre m'a troublée. Parfois je me demande où est la limite pour toi. Si tu en as une, même."
Autrefois… une telle réprimande aurait fait rougir Hermione et l'aurait fait se remettre en question. À présent, elle cilla à peine.
"Les temps désespérés appellent aux mesures désespérées," dit-elle. "Pour les maladies extrêmes, des méthodes de guérison extrêmes, comme les restrictions, sont les plus appropriées."
L'expression de Minerva se durcit, ses lèvres se pinçant.
"Et qu'en est-il de 'avant tout ne fait pas de mal' ? Ou penses-tu que le serment se s'applique pas quand le mal est fait à toi ?"
"Hippocrate n'a jamais dit ça." Hermione prit une gorgée de thé de façon plus détendue qu'elle ne l'était réellement. "Primum non nocere. Ça a été inventé au dix-septième siècle. Le Latin le révèle. De plus… je ne fais pas ça en tant que guérisseuse."
"Que Maugrey te l'ait seulement demandé le rend aussi dépravé que l'esprit puisse le concevoir." L'accent écossais de Minerva devint perceptible à cause de l'émotion dans sa voix. "J'aurais pensé qu'il y aurait des limites. Quand le prix de la victoire devient-il trop élevé ? C'est une guerre déjà payée avec le sang d'enfants. Est-ce qu'on les vend maintenant ?"
Hermione soupira. "Je ne suis plus une enfant, Minerva. C'est un choix que je fais. Personne ne me force."
"Quiconque te connais sait que tu aurais dit oui. Drago Malefoy savait sans aucun doute ce que tu dirais quand la question te serais posée. Penses-tu réellement que pour quelqu'un de ta nature ça ait jamais été une question de choix ?"
"Pas plus que devenir guérisseuse ou que tout ce que j'ai fait depuis." Hermione se sentit soudain vidée. "Faire des choix difficiles… quelqu'un doit le faire. Quelqu'un doit souffrir. Je suis volontaire pour ça. Je peux l'endurer. Pourquoi forcer quelqu'un qui ne le supporterait pas à le faire ?"
"Tu es vraiment comme Alastor," dit Minerva d'un ton amer. Il apparut qu'elle avait des larmes aux yeux. "Quand il me l'a dit, je lui ai dit non. J'ai dit, jamais. Il y a des limites qui ne peuvent pas être franchies parce qu'une fois qu'on demande ces choses, nous ne valons pas mieux. Et ensuite il m'a dit qu'il ne me le disait pas pour que je donne mon avis. La décision avait déjà été prise par Kingsley et lui-même. Il me le disait simplement pour que quelqu'un qui s'inquiète pour toi soit au courant… au cas où ce que Drago Malefoy te fais…"
La voix de Minerva se brisa brusquement.
Hermione se sentit submergée par une poussée d'affection, mais elle se força à ne pas réagir. Ne pas vaciller.
"Il a tué Albus," dit Minerva après un moment, la voix tremblante d'émotion.
"Je sais. Je n'ai pas oublié."
"Il avait à peine seize ans alors. Il a tué l'un des sorciers les plus puissants de notre temps de sang froid dans un couloir plein de première année. Même Tom Jedusor était plus proche des dix-sept ans quand il a commencé à tuer, et il a commencé par une écolière, en secret, dans les toilettes. Quel genre de personne penses-tu que Drago Malefoy est à présent ? Six ans plus tard."
"Il est notre meilleure chance de changer le cours de cette guerre. Nous en avons besoin, Minerva. Tu vois les orphelins, moi je vois les cadavres. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser passer une telle opportunité à présent. Je ne vais pas refuser quelque chose qui peut donner à l'Ordre même une fraction de meilleure chance de gagner. Aucune personne ne vaut plus que toute la guerre."
"Tu ferais n'importe quoi pour mettre fin à cette guerre."
"Oui."
"James Potter avait l'habitude de dire que la guerre c'est l'enfer. J'était d'accord avec lui. Mais maintenant… je pense qu'il avait tort. La guerre est bien pire que l'enfer. Tu n'es pas une pécheresse ; ce n'est pas un sort que tu mérites. Et pourtant, il semble que tu sois déterminée à essayer de te damner si ça signifie la victoire."
"La guerre est la guerre. L'enfer est l'enfer. Et des deux, la guerre est bien pire," cita Hermione avant de sourire tristement. "Mon père disait ça. Ça vient d'une émission de télé moldue."
Hermione hésita un moment avant d'ajouter. "Tu as raison. Je suis volontaire pour tout faire pour gagner cette guerre. Je ne sais pas si je fais le bon choix, je suis sûre que la plupart des gens diraient que non. Je sais qu'il n'y aura pas de retour en arrière après ça… ni pour Harry ou Ron, même si cela nous achète la victoire à la fin. Mais… les sauver tous les deux en vaut la peine pour moi. J'ai toujours été préparée à payer le prix pour les extrémités jusqu'aux quelles je suis prête à aller. Je n'ai jamais fermé les yeux sur les conséquences."
Minerva ne répondit pas. Elle prit une gorgée de thé, et fixa Hermione comme si elle s'attendait à ne plus jamais la revoir.
Hermione croisa son regard et se demanda si elle pouvait avoir raison.
