Chapitre 35 - Flashback 10
Juillet 2002
Hermione eut l'impression d'être paranoïaque le mardi suivant pendant sa récolte, mais le périple se déroula encore sans incident. Ce matin là, quand elle arriva à la masure, Drago était déjà là à attendre.
"Alors, le duel," dit-il, faisant tourner sa baguette dans sa main droite alors qu'elle passait la porte.
Hermione se figea et pâlit légèrement.
Elle s'y était préparée… s'était rappelée à répétition que Drago lui ferait probablement quelque chose d'incroyablement méchant dès qu'il commencerait à se sentir mieux. C'était apparemment sa méthode par défaut pour maintenir une distance entre eux.
Elle l'avait soigné considérablement suite à cette punition qu'après son combat avec un loup-garou. S'il trouvait qu'elle avait dépassé les limites dernièrement avec la façon dont elle l'avait touché… si la distance entre eux s'était réellement réduite… elle s'était répété qu'il pourrait finalement faire quelque chose de terriblement cruel pour l'agrandir de nouveau.
Elle l'avait su…
Mais se retrouver face au fait lui donnait quand même l'impression de se faire étriper.
Elle baissa les yeux, et força son expression à ne pas changer.
L'expression de Drago était froide et calculatrice alors qu'il la regardait depuis l'autre côté de la pièce.
"Je veux voir si ton esquive s'est améliorée, mais je n'ai pas envie de te réanimer toutes les deux minutes…"
Hermione tressaillit légèrement.
"Ne touche juste pas mes mains," l'interrompit-elle. "Je ne peux pas travailler… si tu touches encore mes mains."
Ses yeux se plissèrent d'agacement.
"Va te faire foutre, Granger, je n'ai pas l'intention de te lancer des maléfices," dit-il brusquement. Il agita vivement sa baguette vers elle et elle sentit… du liquide.
Elle baissa les yeux et vit de grosses gouttes d'eau éparpillées sur le dessus de sa main.
"Je réalise que tu me considères comme un monstre absolu," dit-il platement, "mais j'ai pour habitude de tenir mes promesses. Je présume que l'eau ne t'offensera pas."
Hermion regardait toujours sa main avec étonnement. Finalement, elle leva les yeux vers lui et rougit.
"Désolée," marmonna-elle.
"Bien." Son expression était guindée. "Donc… je vais d'abord m'intéresser à la façon dont tu bouges. Cependant, essayes de me toucher avec un maléfice, si tu en es capable."
Il prit une pose de duel absolument pas engageante, et attendit qu'elle en fasse de même.
Elle le fit, puis pencha légèrement la tête pour le saluer avant d'envoyer un maléfice de Jambencoton vers lui. Il le bloqua d'un minuscule mouvement de sa main droite.
Il envoya une douzaine de gouttes d'eau dans sa direction et elles les bloqua facilement avec un bouclier informulé.
Elle envoya une série de stupéfix et il les bloqua sans bouger.
"Pourquoi es-tu si inquiet de ma façon de bouger alors que tu ne bouges jamais ?" s'enquit-elle alors qu'elle envoyait plusieurs bloque-jambe et Jambencoton vers ses pieds.
"Je ne me bats pas en duel," dit-il, lui faisant un petit sourire alors qu'il bloquait ses sorts et touchait les pieds d'Hermione de plusieurs gouttes d'eau. "Ton bouclier n'est pas complet. Arrête le le maintenir et esquive, ou assure-toi qu'il couvre tout ton corps."
Elle rougit et esquiva physiquement les vingts gouttes d'eau suivantes tout en lançant plusieurs petits maléfices dans sa direction.
"Tu n'essaies même pas de me toucher," dit-il en fronçant les sourcils. "Tu réalises que mon métier est de me battre en duel. Je combats des loup-garous, ton Ordre, des Mangemorts… Surtout en ce moment, tout le monde dans les rangs du Seigneur des Ténèbres pense que ma blessure est une invitation ouverte à essayer de me voler ma place."
Hermione faillit trébucher et le regarda avec horreur.
"Quoi ?" dit-elle avec une exclamation horrifiée. Si ça avait été Harry ou Ron elle lui aurait donné une tape derrière la tête.
Il la toucha carrément entre les deux yeux avec une goutte d'eau.
"Concentre-toi !" aboya-il, avant de poser sa main sur son front en signe de désespoir tout en bloquant le maléfice bloque-jambe qu'elle avait envoyé. "Tu es désespérante. Merlin. C'est pour ça que vous êtes en train de perdre."
"Je suis une guérisseuse," dit-elle brusquement, sur la défensive. "Si tu veux que j'essaie vraiment de te toucher tu aurais dû me dire à quel point tu aimes tuer des chatons Fléreurs."
"Tous les soirs avant de me coucher," dit-il impassiblement alors qu'il emplissait l'air de gouttes d'eau filantes. Le sol était couvert de flaques.
"Est-ce que tu te bats réellement en duel ?" demanda Hermione. Elle arrêta d'essayer de le toucher et resta simplement à le fixer avec outrage pendant qu'elle détournait toute l'eau qu'il envoyait vers elle.
Drago leva les yeux au ciel.
"Tu devrais te rappeler que je suis un Mangemort," dit-il. "Je suis estomaqué de voir à quel point ça te surprend."
"Tu es blessé ! Je supposais qu'il y avait des principes basiques de décence humaine même parmi les Mangemorts." Elle bouillonnait.
"Hé bien, tu avais tort. Malgré ses origines moldues, le Seigneur des Ténèbres croit fermement en la loi du plus fort. D'où son projet d'asservir tous les Moldus. Si mon… châtiment… me laisse vulnérable à un renversement alors je l'aurais ostensiblement mérité."
"Alors quoi ? Ils vont juste t'attaquer quand ils en ont envie ?" dit-elle avec colère, continuant à se protéger de la pluie qu'il lui envoyait. Le sol entier était couvert d'eau.
"Bien sûr que non," dit-il, ses lèvres se courbant avec condescendance, "les luttes intestines constantes affaiblissent la cohésion militaire. Il y a un temps dédié chaque semaine devant le Seigneur des Ténèbres, où les challenges sont autorisés. Et il y a généralement des restrictions pour ne pas tuer, ou faire quoi que ce soit qui pourrait endommager de façon permanente notre… utilité."
"C'est vil."
"L'homme civilisé n'est autre qu'un sauvage de plus d'expérience et de plus de sagesse," dit Drago.
Hermione le regarda avec confusion.
"Comment peux-tu connaître Darwin et Thoreau ?"
"Oh, tu sais. 'Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux'" dit-il avec un petit rictus. "Nous les sauvages de Mangemorts savons lire. Le Seigneur des Ténèbres ne se soucie pas de ce que je fais tant que je continue à lui apporter des victoires."
Il soupira brusquement et arrêta de lui envoyer de l'eau.
"Tu vas réellement ne pas essayer de me jeter un maléfice, n'est-ce pas ?" demanda-il avec irritation, alors qu'il faisait disparaître la piscine d'eau dans laquelle ils se tenaient tous les deux.
Hermione rougit légèrement.
"J'ai passé beaucoup de temps à te soigner. Je ne veux pas te faire tomber," admit-elle à contrecœur.
"Espèce de putain d'imbécile," dit-il, la regardant. "Est-ce que tu t'attends à ce que les Mangemorts aient la même courtoisie envers toi ? Si tu es blessée au sol, te jeter un sort en plus serait une façon de s'amuser."
"Je pense qu'il est généralement admis que je ferais un piètre Mangemort," dit-elle brusquement.
"À l'évidence. Mais j'espérais que tu serais assez pragmatique pour te battre correctement."
"Je peux être pragmatique. Quand ça dépasse les limites, je ne rechigne pas. Mais… je ne peux pas essayer de te blesser là maintenant."
Elle se mordit la lèvre et détourna les yeux.
"Tu…" commença-elle, "tu as sauvé plusieurs centaines de gens à présent. Il y a une chance pour que personne ne le sache jamais. Et tu as été puni pour ça. Alors… je ne vais pas essayer de te faire du mal. Pas quand tu es déjà blessé."
Elle resta là, gênée. Il soupira et la fixa. Son expression était froide et calculatrice alors qu'il se tenait là à la considérer. Il y eut un long silence.
"Savais-tu," dit Drago d'un ton léger après une minute, "que j'étais là quand la famille Crivey a été tirée hors de sa cachette ?"
Hermione n'aurait pas été plus assommée s'il s'était juste avancé pour la gifler. Elle leva vivement les yeux vers lui alors qu'il continuait.
"Deux nés-Moldus dans la même famille. Plutôt anormal. Ils étaient vus comme une grande priorité. Le Seigneur des Ténèbres voulait que leur mort soit spectaculaire."
"Tu…" s'étrangla Hermione. Les mots moururent dans sa gorge, avalés par son horreur grandissante.
"Tu aurais dû entendre comme les Moldus ont hurlé. Cette chère tante Bella a un tel amour du Doloris. Tu te souviens comment elle a rendu les Londubat fous ? Elle a considéré les Crivey comme un rappel. Les garçons ont essayé de s'enfuir. De bons petits coureurs. Assez intelligents pour savoir qu'ils ne pouvaient pas sauver leurs parents."
Hermione avait l'impression d'avoir été frappée. À répétition. Elle essaya de respirer, mais ses poumons ne fonctionnaient pas. Elle avait l'impression que quelque chose s'était refermé autour de sa gorge.
Drago continua d'une voix implacable. "Bien sûr, l'Ordre a fini par venir, mais ils étaient plutôt en retard. Le père a mordu sa langue et s'est noyé dans son sang. Bella a amputé l'utérus de la mère, juste au cas où la femme était encore assez consciente pour comprendre pourquoi on la punissait. Pendant qu'ils éparpillaient ses organes dans le salon, j'ai été envoyé à la poursuite des garçons. C'était facile, puisqu'ils chialaient et essayaient de rester ensemble. Les cacher dans la campagne à des kilomètres d'autres fermes était une erreur pour deux sorciers qui ne savent pas transplaner. Puis le plus petit a trébuché sur un terrier de blaireau et s'est cassé la jambe. ll a commencé à ramper dans l'herbe. Une cible facile pour un sort de mort. La deuxième personne que j'aie touché dans le dos."
Le poignet d'Hermione cingla en avant sans qu'elle y réfléchisse alors qu'elle lui lançait un maléfice de découpe. Il frôla la joue de Malefoy. Il ne bougea pas alors que le sang coulait de la fine coupure sur son visage. Il avança vers elle.
"Tu sais…" dit-il doucement, "le sort de mort. Ça te prend quelque chose. Ce n'est pas quelque chose que n'importe qui peut utiliser. Pas à répétition. Colin aurait pu continuer à courir. S'il l'avait fait, il serait peut-être encore en vie aujourd'hui. Mais il s'est arrêté. Pour son frère mort, il s'est arrêté et est revenu sur ses pas, essayant de tirer le corps avec lui."
"As-tu…" croassa Hermione, ayant l'impression qu'elle pourrait mourir de l'horreur qui enflait en elle à ce moment. "Es-tu…"
Malefoy arqua un sourcil et lui sourit froidement.
"Est-ce que tu veux savoir si c'est moi le responsable de ce cauchemar dans ta tête ?"
Hermione avait l'impression que si elle ouvrait de nouveau la bouche, elle pourrait vomir. Sa main tremblait entre ses doigts, et elle se sentait déchirée entre le désir de hurler et de sangloter. Elle ne s'était jamais trouvée capable de jeter un Doloris à quelqu'un, mais alors que Malefoy s'approchait d'elle, ses yeux gris brillant, elle était certaine de le pouvoir.
"Non," dit-il doucement, et Hermione sursauta légèrement. "C'était Dolohov. Il venait de l'inventer. Il était venu avec le désir spécifique de l'essayer ce jour-là. Mais il est difficile de viser correctement avec. Inutile à distance. Tu dois être à trente centimètres de la cible. Si Colin s'était juste enfui… il n'en aurait pas été la cible.
Hermione plaque les mains sur sa bouche et s'écroula sur le sol avec un sanglot étouffé.
Malefoy s'agenouilla, la força à lever le menton, et regarda froidement dans ses yeux.
"C'est à ça que ressemble la sentimentalité des Gryffondor. Toutes ces idées nobles de ne laisser personne derrière, même pas les morts ; de ne pas utiliser la magie noire ; de ne pas frapper quelqu'un parce qu'il est déjà à terre ; d'essayer d'attribuer de l'héroïsme aux gens… quand tu auras envie de croire à tout cas, souviens toi juste comment et pourquoi Colin est mort devant toi. Tu n'as pas idée de combien de tes combattants de la Résistance j'ai tué parce qu'ils croyaient au mensonge que la bonté est un avantage dans la guerre."
Il lâcha son visage et se leva.
"Si tu n'apprends pas à te battre maintenant, tu vas mourir. Le fait que tu n'aies pas déjà été tuée pendant tes récoltes n'est dû qu'à la pure bienveillance du destin. Je suis sûr que tu es trop pragmatique pour continuer à te fier à une telle chose. Si tu as le moindre bon sens, je m'attends à une vraie résolution la semaine prochaine."
Il laissa tomber un rouleau de parchemin derrière elle et transplana.
Hermione resta assise en tremblant sur le sol humide de la masure pendant un long moment.
Personne ne parlait de Colin.
Au-delà de la prévenance envers Harry et Hermione, le sujet était religieusement évité. Tout ce qui s'en approchait vaguement était traité avec la plus grande délicatesse.
Après que ça soit arrivé, Hermione avait caché le souvenir dans les tréfonds de son esprit et il avait suppuré comme une blessure. Malefoy était tombé dessus pendant qu'il lui enseignait l'occlumancie.
Le voir ressortir ce souvenir et l'utiliser ce trauma pour la réprimander était une attaque si stupéfiante qu'elle en avait l'impression de ressentir un choc physique.
Il ne restait que peu de choses sacrées pour Hermione.
Ni son corps.
Ni son âme.
Mais la mort de Colin… ça avait toujours été une telle agonie pour elle. Cela l'avait coupée de ses amis. Cela l'avait amenée à partir en Europe et à en revenir. Ça l'avait menée jusqu'à cette masure dans laquelle elle était assise. Jusqu'à Malefoy, qui l'avait utilisée pour dénigrer les dernières parties d'elle-même qui subsistaient.
Elle pressa les paumes de ses mains sur ses yeux jusqu'à ce qu'ils lui fassent mal. Essayant de se recentrer.
Elle était en retard pour sa garde dans la salle d'hôpital quand elle se leva finalement et se rendit au Square Grimmaurd.
Elle eut l'impression de flotter tout le long de la journée. Étrangement détachée. Comme s'il y avait une vitre entre son esprit et le reste du monde.
Hermione traversa les gestes de guérison puis une longue soirée de fabrication de potions.
L'Ordre avait besoin d'une grande quantité de Goutte du mort vivant. C'était leur façon de traiter les prisonniers. Ils ne voulaient pas les tuer, et n'avaient ni assez de prisons ni assez de personnes dont ils pouvaient se passer pour jouer les gardiens. Alors les Mangemorts qui étaient capturés étaient gardés dans des endroits incartables en coma artificiel. Bill Weasley et sa femme, Fleur, en étaient responsables, utilisant leurs compétences d'anciens conjureurs de sort pour élaborer des enchantements et des protections pour s'accomoder du nombre considérable de prisonniers que l'Ordre avait accumulé au cours des années.
Alors qu'elle s'asseyait pour attendre les deux minutes trente nécessaires à la potion pour se fixer, elle regarda sa montre. Il était presque vingt heures.
Elle soupira et enfouit son visage dans ses mains. Elle ne voulait pas revoir Malefoy. Si elle le voyait, elle enverrait probablement son poing dans sa figure cruelle.
Il s'attendait probablement à ce qu'elle ne vienne pas, de toute façon.
Sa baguette vibra pour indiquer que le temps était écoulé, et elle ajouta le dernier morceau de racine de valériane.
La potion vira au rose pâle.
Elle la protégea et la mit précautionneusement de côté.
Elle attrapa son pot de baume et le fit rouler dans ses mains. Elle n'avait presque plus d'essence de Dictame. Elle en avait utilisé la plupart pour soigner les runes de Malefoy. Elle essaya de ne pas calculer combien d'autres blessés elle aurait pu guérir avec si elle ne l'avait pas utilisée sur Drago ; essayant de ne pas quantifier sa valeur par rapport aux vies des autres. Combien en avait-il sauvé, combien en avait-il tué, combien de vie valaient ou non ses renseignements.
Il avait tué Dumbledore. Le nombre de morts dont il était responsable par cet acte était suffisant pour le damner. Il ne renverserait jamais la balance, peu importait combien de personnes il sauverait.
À moins qu'il ne les aide à gagner. S'ils gagnaient, cela pourrait être suffisant.
Elle se sourit amèrement.
Drago Malefoy était exactement la même personne que le soir précédent. La seule différence était qu'elle en savait un peu plus sur lui.
Elle ne pouvait pas le comprendre.
Pourquoi se mettre tellement en colère et devenir aussi monstrueux parce qu'elle ne voulait pas lui faire de mal alors qu'il était déjà sévèrement blessé ? Il était irraisonnablement en colère et amer. Elle avait l'impression d'avoir brisé la paix fragile entre eux.
Mais la provoquer avec la mort de Colin était un coup bas, même pour les standards de Drago.
Peut-être qu'il était réellement inquiet qu'elle puisse mourir.
Elle s'esclaffa. Si c'était le cas, c'était probablement parce qu'il ne voulait pas risquer d'avoir un non-occlumens comme contact.
Avant qu'elle ne puisse y réfléchir davantage, elle glissa le baume dans sa poche et se rendit à la masure. Elle avait quatre minutes d'avance.
Revenir ici lui paraissait épuisant.
Elle s'assit sur une chaise et sortit une photo de sa poche. Elle était de Ron, Harry et elle dans la Grande Salle, tous les trois en train de manger et levant les yeux, légèrement ennuyés d'être photographiés. Colin l'avait prise.
Elle la regardait toujours quand elle était déprimée.
Elle la remit dans sa poche et se pencha sur la table, enfouissant sa tête dans ses bras.
Peut-être qu'elle s'administrerait une potion de Sommeil sans rêve quand elle rentrerait. Elle pouvait sentir les cauchemars dans le fond de son esprit. Attendant juste une opportunité de refermer leurs griffes à la surface de sa conscience.
Elle avait déjà pris la potion huit fois ce mois-là. Elle avait toujours des cauchemars de toutes les victimes de la division de développement des sorts qui lui avaient été amenées.
Elle avait essayé. Elle avait essayé de toutes ses forces de les sauver.
Elle n'avait rien pu faire. Presque chacun d'entre eux était mort. Ceux qui n'étaient pas morts, elle les avait euthanasiés ; pour leur épargner l'agonie éternelle dans laquelle ils étaient magiquement piégés.
Si elle prenait une potion de Sommeil sans rêve, elle enfreindrait la règle qu'elle avait fixé pour tout le monde. À moins d'être blessé, personne n'avait le droit à plus de huit fioles par mois.
Personne ne le saurait. Hermione était la seule en charge de la régulation des potions. La Résistance était trop submergée pour se permettre la redondance d'un supérieur au-dessus d'elle. Même s'ils essayaient, à moins que la personne n'ait également un Master en potions, il y avait peu de chance qu'elle puisse empêcher Hermione de faire ce qu'elle voulait en catimini.
Mais enfreindre les règles était une pente glissante. Neuf fois en un mois. Il serait facile de rationaliser dix après ça. Puis onze.
Jusqu'à ce qu'elle cesse de fonctionner.
Jusqu'à ce qu'elle veuille quelque chose de plus fort.
Severus l'avait avertie. Le nombre de façons dont les maitres des potions pouvaient abuser de leurs compétences était infini.
Peut-être qu'en rentrant elle irait se défoncer avec Neville, ou voir si Charlie pouvait partager sa réserve de whiskey pur-feu.
Mais elle ne voulait pas vraiment se défoncer. Et elle n'était pas autorisée à l'être, même si elle le voulait. Elle était toujours d'astreinte au cas où il y aurait une urgence.
Elle pourrait s'enivrer. Elle gardait toujours une potion de sobriété dans son stock. Mais elle s'entendait à peine avec Charlie quand elle était sobre.
Hermione avait désespérément envie de quelqu'un avec qui parler.
Presque chaque interaction avec Malefoy ressemblait à un coup de poing émotionnel dans le ventre, et elle devait repartir et prétendre qu'ils n'étaient jamais arrivés.
Elle vivait dans une maison bondée mais elle se sentait absolument isolée.
Il y eut le faible craquement d'un transplanage. Elle leva les yeux avec lassitude pour voir que Malefoy était arrivé. L'air froid et indolent comme toujours.
Elle avait envie de pleurer et de s'enfuir. Ou de lui envoyer un méchant maléfice et le planter là.
Elle déglutit et se leva.
Il déboutonna sa chemise et enfourcha une chaise. Elle ne dit pas un mot alors qu'elle enlevait le tissu de ses épaules et se mettait au travail.
"Je vais utiliser le sort de nettoyage maintenant," dit-elle d'une voix mécanique. Elle compta jusqu'à trois et le lança.
Puis elle réappliqua rapidement le baume. Le Dictame avait progressé dans sa neutralisation du poison. Les coupures apparaissaient presque prêtes à commencer à guérir. Elle serait probablement capable de commencer à les refermer au cours de la semaine suivante. Le processus prendrait plusieurs heures pour être fait correctement et s'assurer que le tissu cicatriciel ne serait pas raide et ne tire pas quand il bougerait ses épaules.
Elle ne voulait pas lui parler mais se força à ouvrir la bouche.
"Si tu as le temps d'ici quatre à sept jours, je peux fermer les incisions. Cela prendra probablement trois heures. Après vingt heures et avant cinq heures du matin sont les meilleurs moments pour moi. J'ai des gardes à l'hôpital et d'autres devoirs pendant la journée."
Il ne dit rien.
Elle replaça les sorts de protection et laissa tomber la chemise sur ses épaules. Puis elle se tourna et sortit de la masure sans un mot.
La soirée d'été était fraîche. Elle frissonna légèrement et descendit le chemin. Elle avait pris sa décision. Elle allait se défoncer complètement la gueule.
Elle s'arrêta devant un bar et hésita. Elle était bavarde quand elle était ivre. Elle ne pouvait pas aller dans un bar moldu et commencer à pleurer sur tous ceux qui étaient morts. Même si elle réussissait à se faire passer pour un docteur dans un service d'hospitalisation, elle mentait très mal dans une conversation.
Elle continua à avancer jusqu'à ce qu'elle trouve un supermarché et achète une bouteille de porto. Ses parents avaient toujours aimé boire du porto pendant les soirées en vacances.
Elle l'apporta au ruisseau où se trouvait sa pile de prières, et elle le fixa avec étonnement. Il y avait des roseaux qui poussaient le long de la berge qu'elle ne se souvenait pas avoir vu précédemment, et la zone paraissait légèrement plus chaude. Magiquement. Elle jeta plusieurs sorts de repousse-moldu et un charme d'intimité puis elle ouvrit la bouteille et commença à boire.
Elle se souvenait de quelqu'un qui lui avait dit qu'une personne pouvait devenir ivre plus rapidement en utilisant une paille. Elle ne savait pas si c'était vrai, mais elle en fit apparaître une longue et commença à boire avec. Elle calcula qu'elle avait plusieurs heures avant que quelqu'un ne pense à la chercher. Plus qu'assez de temps pour s'enivrer, pleurer sous un pont puis décuver un peu avant de rentrer.
Elle n'avait pas dîné ; l'alcool fit rapidement effet.
Elle fut rapidement roulée en boule parmi les roseaux à sangloter.
Elle détestait Malefoy. Comment osait-il la demander, l'isoler et lui parler de la famille Crivey ? Elle espérait qu'elle serait celle qui le tuerait.
Elle se leva et prit la pierre au sommet de sa tour puis la jeta dans le ruisseau.
Elle le fit sans faire assez attention. La tour entière vacilla légèrement avant de s'écraser dans l'eau. Elle eut une exclamation d'horreur et essaya de la reconstruire.
Empiler les cailloux requerrait plus de finesse et de mains stables qu'elle n'en avait actuellement. Après plusieurs essais elle abandonna, s'assit au milieu du ruisseau, pleura et frissonna.
Elle ne s'était pas sentie si pathétique depuis un long moment mais elle ne s'en souciait pas. Elle aurait dû acheter deux bouteilles de porto.
"Qu'est-ce que tu fous, Granger ?"
