tw : emétophobie au début du chapitre (POV d'Hermione)

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Drago


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Drago était sur le point de retourner au dortoir. Toutes les lumières des fenêtres de la façade du Château étaient éteintes depuis longtemps et il commençait à avoir vraiment froid. Il allait pour se lever quand il aperçut un mouvement un peu plus loin, près des portes du Château.

Au début, il ne vit rien, parce qu'il faisait trop nuit. Il plissa les yeux pour voir à travers ala pénombre, espérant que ce n'était pas un professeur ou un préfet. Il n'avait aucune idée de l'heure qu'il était, mais il savait que c'était bien après le couvre-feu.

Très lentement, la silhouette se rapprocha. Ce n'était pas un professeur. On aurait dit que la personne avait du mal à marcher. Il attendit encore quelques secondes, se demandant s'il ne devait pas aller se cacher derrière un arbre pour ne pas récolter une retenue, quand il reconnut la fille qui s'approchait.

Granger.

Il ouvrit la bouche de stupéfaction. Elle portait un t-shirt et sa jupe de Gryffondor, une tenue absolument pas appropriée pour sortir dans le froid du mois de Février.

"Bonsoir Drago !" lança-t-elle joyeusement.

Elle se plaça en face de lui, un grand sourire aux lèvres. Drago se demanda si ce n'était pas un rêve. Il se leva pour être sûr qu'il n'était pas en train d'halluciner.

"Granger, qu'est-ce que tu fous ici à cette heure ?!" demanda-t-il, abasourdi.

"Pourquoi, quelle heure il est ?" répondit-elle distraitement.

Drago n'en croyait pas ses yeux. Il n'aurait jamais pensé que Granger puisse venir à cette heure-là sur le banc. En plus, ses collants étaient déchirés, ce qui ne lui ressemblait absolument pas. Et sa voix était bizarre, comme cassée. Peut-être à cause de l'eau du Lac de tout à l'heure.

"D'où tu sors ? Tu devrais dormir." dit-il d'une voix surprise.

"Et toi, alors ? Qu'est-ce que tu fais là… à cette heure… là ?" dit-elle en bégayant un peu.

Drago fronça les sourcils en considérant la Granger bizarre qui se tenait devant lui. Elle dansait d'un pied sur l'autre, mais pas de froid, elle avait l'air simplement contente. Elle souriait bêtement. On aurait dit quelqu'un qui s'était déguisé en elle et essayait de l'imiter sans y arriver.

"Granger ? Tu es malade ?" tenta-t-il en s'approchant d'elle pour l'observer plus attentivement. "C'est l'effet du sort de Sommeil qui te rend comme ça ?"

"Comme ça quoi ?" demanda-t-elle avec un rire.

Soudain, il comprit. Peut-être parce qu'il venait seulement de voir ses joues rouges, ou sa voix plus traînante que d'habitude.

"Granger, est-ce que tu es bourrée ?!"

Elle ne répondit pas, se contenta seulement de glousser. Maintenant, Drago en était sûr. Ses yeux n'arrivaient pas à se fixer sur un point précis. Elle essaya de tourner sur elle-même mais trébucha un peu et il s'élança en avant pour la rattraper.

"Merlin, Granger, t'es complètement morte !" s'exclama Drago en l'aidant à s'asseoir sur le banc.

"Nooooon, nooon !" dit-elle en secouant la tête exagérément. "J'ai rien bu !"

Drago n'avait jamais entendu un mensonge aussi peu convaincant. Il s'assit à côté d'elle sur le banc et détailla sa tenue. Sans vraiment savoir, il sentit une colère monter en lui.

"Tu n'as pas froid ? T'étais où ? Personne ne t'as vue venir dans les couloirs ?! Qui t'as fait boire comme ça ?"

"Oulaaa !" dit Granger en levant les yeux au ciel. "C'est quoi cet inter-interro-interrogatoire ?"

Sa voix était cassée et traînante, comme si elle peinait à aligner deux mots correctement. Tous ses gestes étaient lents. C'était tellement étrange de la voir comme ça, Drago n'aurait jamais pensé pouvoir voir un jour Hermione Granger saoule. Il se passa une main dans les cheveux et essaya de retenir l'élan de colère en lui.

"Je suis juste surpris." dit-il pour ne pas la contrarier. "Tu as fait la fête ?"

"Ouais, dans la Salle Commune !" approuva-t-elle en montrant une fenêtre du doigt, bien que ce n'était absolument pas la bonne. "Pour célébr… célébr… célébrer Harry !"

Elle eut un hoquet. Drago sentit une haine incontrôlable prendre contrôle de lui : comment Weasley et Potter pouvaient la laisser boire comme ça ?! Et la laisser gambader dans le Château en plein milieu de la nuit dans cet état ?

"Qui t'as fait boire comme ça ? Pourquoi personne ne t'as arrêtée ?" demanda-t-il d'un ton cassant.

Granger se tourna vers lui et posa ses yeux chocolat sur lui, toujours aussi amusée.

"Heeeyyy ! Je ne suis pas descendue pour voir Mr. Grognon !"

Il fut interrompu dans sa colère contre Potter et Weasley instantanément en entendant ce surnom. Il ne put s'empêcher de sourire.

"Mr. Grognon ?" répéta-t-il.

"Oui, Mr. Grognon, celui qui a les sourcils tout froncés et qui s'énerve tout le temps !"

Elle le pointa du doigt en riant.

"À quoi tu t'attendais en descendant en plein milieu de la nuit ?" demanda-t-il, bien qu'il était un petit peu moins énervé qu'avant.

"Je voulais voir le Drago gentil !" piailla-t-elle.

Il sentit sa poitrine se réchauffer en l'entendant parler de lui comme ça.

"D'accord, alors si je suis Drago gentil, tu voudras bien répondre à mes questions ?" demanda-t-il.

"Pourquoi tu veux toujours tout savoir ?" se lamenta Granger, et Drago dû se retenir de ne pas rire en entendant cette remarque culottée.

"La dernière fois tu as dit que tu voulais avoir le droit de poser des questions illimitées. Si on est amis, j'ai le droit aussi, non ?"

Granger sembla réfléchir quelques secondes, les sourcils froncés, avant de finalement hocher la tête.

"Bon, d'accord." céda-t-elle. "Alors… Non, je n'ai pas froid, je meurs de chaud parce que j'ai tellement dan-dansé ! Dans la Salle Commune ! Euh… Non, personne ne m'a vue dans les couloirs. Pas même le pré-préfet. Et euh… Qui m'as fait boire… Personne, parce que je l'ai décidé toute seule ! J'avais bien le droit ! J'ai aidé Harry, j'ai le droit de… de célébrer sa victoire… avec lui !" dit-elle dans un mélange de bégaiements et de hoquets qui rendaient ses phrases très compliquées à comprendre. "Mais Fred et George… Ils n'ont pas arrêté de me donner des… bières."

C'était beaucoup d'informations d'un coup. Granger, qui dansait dans la Salle Commune ? Drago inspira rapidement, soudain envahi d'images de Granger qui dansait de la même manière que Pansy pendant les fêtes. Et les jumeaux Weasley qui la resservait… Drago était à la fois profondément énervé et amusé.

"Qu'est-ce que tu as bu ?" demanda-t-il en essayant de garder sa voix calme et posée, comme si c'était une conversation tout à fait banale.

Il pensa à la liqueur à la pomme qu'il prenait pendant les fêtes, ou à l'hydromel, ou même le Whisky Pur Feu de Blaise…

"Des Bièraubeurres." dit-elle fièrement.

Drago ne réussit pas à s'en empêcher : il éclata de rire.

"Quoiii ?" demanda-t-elle, vexée. "J'en ai bu… beau-beaucoup !"

"Granger, personne ne peut être bourrée avec des Bièraubeurres." dit Drago entre deux fous rires. "C'est une boisson d'enfant. J'en buvais avant d'arriver à Poudlard !"

"En tout cas, c'est ce que j'ai bu." dit Granger en croisant les bras sur sa poitrine. "Je ne suis peut-être pas si ivre que ça, alors ?"

Elle l'était. C'était tellement flagrant : Hermione Granger n'avait jamais fourché sur autant de mots. Drago pouvait sentir le caramel de la Bièraubeurre dans son haleine. Il secoua la tête :

"Oh, tu es bien bourrée, Granger. Crois-moi, tu vas le sentir demain."

"Pourquoi tu ne m'appelles jamais Hermione ?" demanda-t-elle, les yeux plissés.

Il fut pris de court par cette question. Il détourna le regard pour éviter de la regarder dans les yeux.

"Euh… Je…" commença-t-il maladroitement.

"Tu m'appelles toujours Granger." dit-elle, plus à elle-même qu'à Drago. "Alors que moi, je t'appelle Drago, des fois."

"Et j'aime bien quand tu le fais." admit-il, en espérant que l'alcool effaçerait cette confession de sa mémoire.

"Je t'appelle Malefoy quand tu es… Malefoy." expliqua-t-elle, même si ça n'avait pas trop de sens. "Je t'appelle Drago quand tu es… Drago. Le Drago de la Bibliothèque."

"Le Drago gentil ?" demanda-t-il avec un rictus.

"Le Drago de la Bibliothèque est toujours gentil."

Elle sourit.

"Et Malefoy ?" demanda-t-il.

"Le Malefoy, c'est le garçon en dehors de la Bibliothèque. Celui qui insulte tout le monde. Et qui peut être sacrément méchant quand il le veut."

Elle fit une grimace, pour montrer qu'elle n'approuvait pas du tout ce comportement. Elle s'assit sur le banc en tailleur, se rapprochant un peu de Drago sans le vouloir, qui pouvait percevoir la chaleur qu'émanait de son corps. Il déglutit.

"Tu n'as pas froid ?" demanda-t-il.

"Pourquoi tu ne m'appelles jamais Hermione ?" répéta-t-elle.

Il soupira en essayant de ne pas sourire.

"Même bourrée, tu es trop curieuse, Granger." dit-il. "Si je te le dis, tu me diras si tu as froid ?"

Elle approuva d'un hochement de tête.

"J'appelle tout le monde par leurs noms de famille." dit-il, espérant que ça suffise comme explication.

"Ce n'est pas vrai." contesta-t-elle immédiatement. "Tu n'appelles jamais Nott par son nom de famille, ou Parkinson, ou Zabini."

"Parce que ce sont mes amis !"

"Et je t'ai dit que je vou-voulais qu'on soit amis !" répondit Granger du tac au tac.

Drago soupira et se passa une nouvelle fois une main dans les cheveux. Il n'aurait jamais pensé avoir ce genre de discussion ce soir avec elle. Et le fait que son comportement soit si peu ordinaire ne l'aidait pas à y voir clair.

"Disons que j'aime être le seul à t'appeler Granger." finit-il par admettre. "Tous les autres t'appellent par ton prénom, ou par des surnoms, ou Herrrmion…"

Elle lui tapa légèrement le bras en entendant son imitation de Krum.

"Moi, je suis le seul à t'appeler Granger. Juste… Granger." continua-t-il plus doucement. "Tu dis qu'il y a Drago, et il y a Malefoy. Pour moi, tu seras toujours Granger, la même. Celle qui défend les elfes de maison et qui aide Potter à survivre au Tournoi, mais aussi celle qui étudie en secret avec moi à la Bibliothèque."

Il haussa les épaules, comme s'il ne voulait pas montrer à quel point il était sincère. Il était terrifié de se rendre compte à quel point c'était facile de se confier à elle quand elle était si proche de lui, à l'écouter. S'il tournait la tête, il pouvait voir ses boucles brunes tomber sur ses épaules et ses yeux le scruter sans gêne.

Il y eut un petit silence qui contracta les tripes de Drago. Puis, Granger répondit dans un murmure noyé par le vent :

"J'aime bien quand tu m'appelles Granger."

Il se tourna vers elle et vit qu'elle avait un petit sourire timide aux lèvres. Pendant une seconde, il oublia à quel point elle était alcoolisée.

"Est-ce que tu as froid ?" demanda-t-il pour dissiper la tension.

Elle regarda ses jambes, comme si elle venait seulement de s'apercevoir qu'elle ne portait rien d'autre que des collants troués.

"Un petit peu." dit-elle.

Drago sortit sa baguette de sa poche et lança un sortilège de Chaleur sur elle. Aussitôt, elle eut une expiration de plaisir et s'enfonça un peu plus contre le dossier du banc.

"Merci, ça fait du bi-bien."

"Tu sais que j'ai envie de tuer Weasley et Potter de t'avoir laissé dans cet état ?" dit Drago, pour être sûr qu'elle sache qu'il était toujours un peu énervé.

"Pourquoi ? C'est drôle, non ? On s'amuse bien." dit-elle, en toute légèreté.

"Peut-être, mais demain…"

Elle balaya son avertissement d'un geste impatient de la main.

"On s'en fiche de demain. Je veux juste profiter de cet état encore un peu."

"Tu avais déjà été bourrée, avant ?" demanda Drago, même s'il savait déjà la réponse.

"Non, jamais. Mes parents m'ont fait boire du vin en France, et j'ai déjà bu quelques Bièraubeurres, mais je n'ai jamais été… comme ça."

Elle ferma les yeux quelques secondes. Drago était tenté de se pencher vers elle pour lui mettre une mèche de cheveux derrière son oreille, mais il se retint de peur de la déranger.

"Et toi ?" demanda-t-elle.

"Quoi, moi ?"

"Tu as déjà été… ivre ?"

Elle prononça le dernier mot comme si c'était interdit. Drago eut un petit rire.

"Oui, quelques fois."

Elle hocha la tête mais n'insista pas. Drago en fut soulagé : il n'avait aucune envie de lui raconter les soirées des Serpentards maintenant. Une image de lui, avachi dans le canapé et à moitié inconscient lui vint en tête et il grimaça.

Granger referma les yeux et posa l'arrière de sa tête contre le dossier du banc. Ses joues étaient toujours aussi rouges. Drago connaissait cet état : après l'adrénaline de l'alcool, elle devait se sentir ensommeillée, comme si toutes les émotions étaient brusquement retombées. Le brouillard ambiant du mois de Février, ajouté à l'obscurité, les enveloppait dans une bulle plongée dans le silence.

Drago finit par tourner la tête pour la regarder. Il adorait l'observer quand elle ne le savait pas. Elle était naturellement belle : la plupart des gens auraient eu une tête horrible après avoir dansé et trop bu (même si ce n'était que des Bièraubeurres), mais elle était toujours aussi jolie, si ce n'est un peu décoiffée. Elle leva inconsciemment son bras pour se frotter la paupière quand Drago vit quelque chose sur son bras qui l'interrompit dans sa contemplation :

"Qu'est-ce que tu as, là ?"

Il prit son bras sans réfléchir et Granger ouvrit les yeux, qu'elle posa sur l'intérieur de son poignet.

"Oh non, ça s'est rouvert…" dit-elle en essayant de se dégager de l'emprise de Drago.

"Rouvert ? Comment tu t'es ouvert en premier lieu ?" demanda-t-il en tournant son bras pour observer sa blessure.

Il y avait une entaille dans son bras, gonflée et tuméfiée. Sur l'une des extrémités, elle était plus profonde et du sang coulait le long de sa peau. Drago lâcha une exclamation étouffée.

"Merlin, Granger, d'où ça vient ?"

"Ce n'est rien." dit-elle en reprenant son bras. Elle remit sa manche par-dessus.

"Comment ça, rien ? Tu t'es ouvert l'avant bras. Tu es tombée ?" questionna-t-il.

"Non. C'était pendant l'épreuve." dit-elle, soudain plus penaude.

Drago repensa au moment atroce qu'il avait passé, un peu plus tôt dans la journée, à attendre que Granger sorte de l'eau. Il n'avait pas souvenir qu'elle eut été blessée.

"Comment…" commença-t-il.

"C'est Viktor." dit-elle avec un petit hoquet. "Il a mal visé et m'a mordue le bras avec ses crocs de requin en essayant de me dé-détacher."

Drago vit rouge. Il prit une inspiration mais avant de pouvoir déverser sa colère, Granger l'interrompit :

"S'il te plaît, ne dis rien. Si le jury apprend qu'il m'a blessée, il pourrait perdre des points, et je ne veux pas que ça arrive."

"Je m'en fiche des points !" s'énerva Drago en se levant subitement du banc. "Pourquoi a-t-il eu l'idée de se transformer en ça ?! Il aurait pas pu choisir autre chose ? Il t'as déchiqueté le bras !"

"Ce n'est rien, à peine une égratignure !" se défendit Granger en se levant à son tour, en montrant son bras. "Je n'ai même pas eu mal !"

"Tu peux avoir une cicatrice !"

"Non, ce n'est même pas profond…"

"Si, ça l'est." grommela Drago.

Il prit le bras de Granger entre ses doigts. Sa peau était brûlante, soit à cause de l'alcool, soit à cause de son sort de Chaleur. Il alluma sa baguette et inspecta la blessure de plus près. Puis, il pointa sa baguette dessus, vérifia d'un regard qu'elle était d'accord, et quand elle hocha la tête, il murmura :

"Conferrumino pellis."

Le saignement s'arrêta et la plaie se referma un peu plus. Drago laissa sa main autour de son poignet.

"Ton petit ami n'a jamais appris ce sort ?" demanda-t-il entre ses dents.

"Ce n'est pas mon petit ami." couina Granger, bien qu'elle était redevenue encore plus rouge en disant ça.

Puis, elle se calma un peu et referma sa main, frôlant ainsi celle de Drago avec ses doigts :

"Merci, Drago."

Il ignora le sentiment de chaleur que cette phrase lui procura et continua, les sourcils froncés :

"Il te faudra de l'Essence de Dictame dessus. Tu en as ?"

"Non, mais je vais en trouver."

Il leva les yeux au ciel.

"Je vais te ramener à ton dortoir." dit-il, sur un ton qui n'appellait pas à la discussion. Évidemment, Granger ouvrit tout de suite la bouche pour refuser. Il continua sans l'écouter : "Ça ne sert à rien d'essayer, je vais le faire. Tu as beaucoup de chance de ne croiser personne à l'allée dans cet état. Si tu t'étais faite attrapée par un préfet, aussi tard et aussi bourrée, tu aurais pu avoir des gros problèmes."

Il savait que cette menace marcherait quand il vit les yeux écarquillés de Granger. Rien que l'idée qu'elle puisse avoir une retenue l'effrayait.

"Je… Je n'avais pas…" bégaya-t-elle.

"Je vais te ramener." dit-il pour la rassurer. "Mais avant, on doit passer aux cachots. C'est non négociable. Et j'ai besoin que tu sois très silencieuse, d'accord ?"

"D'accord." dit-elle dans un murmure.

Drago la tira doucement par le bras pour la guider. Ils ne passèrent pas par la porte principale du Château, mais plutôt par la porte dissimulée sur le côté droit que Rusard oubliait toujours de refermer. Heureusement pour eux, elle s'ouvrit sans un bruit, et ils glissèrent à l'intérieur du Château beaucoup plus réchauffé. Ils descendirent les marches, en faisant attention à ce que Granger ne trébuche pas.

La perspective de se faire attraper par un professeur l'avait considérablement dessoûlée, mais Drago pouvait toujours percevoir les différences entre la Granger normale et la Granger alcoolisée. Elle ne marchait pas de la même manière, elle était beaucoup plus lente, ou alors il était simplement habitué à son esprit vif. Ses paupières semblaient lourdes, comme si elle avait du mal à rester éveillée, même lorsqu'elle marchait.

Drago ne retira pas sa main de son poignet. Et le contact avec sa peau le faisait frémir.

Ils arrivèrent dans le couloir des cachots déserts. Drago se cacha avec Granger derrière un pilier pour vérifier qu'il n'y avait personne, puis s'aventura un peu plus loin et arriva devant la réserve du professeur Rogue. Il regarda des deux côtés que la voie était libre et sortit sa baguette.

"Drago !" murmura Granger d'un ton un peu affolé.

"Je fais vite." dit-il, sans la lâcher. "Vérifie qu'il n'y a personne."

Elle obéit sans perdre son air paniqué. Il murmura un Alohomora, ouvrit la porte et chercha parmi les petites fioles poussiéreuses ce qui l'intéressait, en veillant à ne pas trépasser le seuil de peur que Rogue puisse avoir mis une alarme. Il finit par trouver la potion qu'il cherchait et pointa sa baguette dessus :

"Accio."

La fiole vola jusqu'à sa paume ouverte. Il emmena Granger de l'autre côté du couloir, dans les toilettes. Ils se retrouvèrent dans la pièce sombre avec plein de lavabos sur les côtés.

Granger retroussa elle-même sa manche et Drago l'éclaira avec un Lumos. Quand il ouvrit la petite potion, elle murmura :

"Essence de Dictam ?"

Il n'y avait que Granger pour deviner une potion en ayant autant d'alcool dans le sang. Drago hocha la tête :

"Ça va piquer un peu."

Il appliqua quelques gouttes sur la blessure, et une petite fumée verte s'échappa lorsque la potion entra en contact avec la peau de Granger. Elle ne ferma pas les yeux, et observa avec intérêt sa blessure se refermer toute seule, ne devenant plus qu'une toute petite cicatrice pâle. Drago essaya de ne pas penser à la fois où Pansy l'avait appliqué sur le torse de Théo.

"C'est mieux comme ça." murmura-t-il en observant la plaie guérie.

Granger approuva d'un signe de tête. Sans se contrôler, il passa ses doigts sur la peau fine de son poignet, pour adoucir les picotements qu'elle devait ressentir. Elle frissonna un peu et leva la tête pour plonger ses yeux dans les siens. Drago contempla les lèvres pleines et rosées de Granger, légèrement entrouvertes, et pendant une seconde de folie, il songea à l'embrasser. Il s'imagina se pencher en avant pour capturer sa bouche en entourant sa taille avec son autre bras.

Puis, il se souvint brutalement de l'état dans lequel elle se trouvait. Il n'avait certainement pas envie de l'embrasser au beau milieu des toilettes des cachots alors qu'elle était ivre. Il se redressa donc.

"Allez, viens, je te ramène." dit-il dans un murmure en la guidant vers la sortie.

Elle se laissa porter. Drago reposa la fiole d'Essence de Dictame là où elle était, puis retourna vers les escaliers. Ils montèrent prudemment, et à chaque étage, ils devaient vérifier que personne n'était là pour les surprendre. Drago tendait l'oreille pour essayer d'entendre le miaulement croassant de Miss Teigne.

Au quatrième étage, ils durent s'arrêter brutalement et se réfugier derrière une porte en entendant des pas, un peu plus loin. Quand la personne s'éloigna, ils reprirent leur route à toute vitesse. Ils montèrent les marches jusqu'au septième étage, et se retrouvèrent dans le couloir des Gryffondors.

Drago n'était jamais venu dans cette partie du Château. C'était un couloir de pierre blanche, avec des alcôves sculptées pour s'asseoir, ou pour loger des statues. Ils étaient entourés de tableaux : heureusement, ils dormaient tous profondément. Drago se tourna vers Granger et fut surpris de voir qu'elle était légèrement penchée en avant.

"Granger…?"

"J'ai la nausée." dit-elle en fronçant le nez.

Ses yeux étaient en effet plus vitreux. Drago lui caressa inconsciemment l'intérieur du poignet.

"On est montés trop vite." murmura-t-il. "Va t'allonger, ça ira mieux demain."

C'était un mensonge effronté, Drago ne savait que trop bien les effets de la gueule de bois. Mais il ne voulait pas l'effrayer. Granger hocha doucement la tête :

"Merci de m'avoir raccompagnée, Drago."

"Pas la peine de me remercier, Granger."

Elle eut un sourire. Il enleva sa main de son bras, et ressentit une traînée de frissons lui parcourir la paume de la main quand il s'en détacha.

Granger observa ce geste curieusement, puis s'éloigna de quelques pas vers sa Salle Commune.

"Bonne nuit Drago." lança-t-elle par-dessus son épaule.

"Bonne nuit Hermione." dit-il sans réfléchir.

Il se rendit compte de son erreur une seconde trop tard. Elle s'arrêta net :

"Comment tu m'as appelée ?" demanda-t-elle en se retournant vers lui, un grand sourire aux lèvres.

"Je…"

"J'ai bien entendu, alors." dit-elle. "Bonne nuit !"

Et elle s'éloigna, la démarche un peu plus sûre que lorsqu'elle était arrivée au banc. Il la regarda prononcer son mot de passe plusieurs fois à un tableau d'une femme endormie, avant que cette dernière ne remue dans son sommeil en grommelant et en ouvrant le passage. Granger s'y engouffra et Drago se retrouva seul dans le couloir.

Drago tourna les talons plusieurs minutes après. Il rebroussa chemin en descendant rapidement les marches jusqu'aux cachots. Il était toujours aux aguets, mais quelque peu déconcentré tout de même. Il l'avait appelée Hermione.

Il arriva devant la Salle Commune des Serpentards après ce qu'il sembla être des heures et entra sans faire de bruit. Quelques élèves dormaient dans les canapés, et des gobelets verts étaient posés un peu partout. Tout l'alcool avait disparu, probablement dissimulé pour ne pas se les faire confisquer si un adulte entrait dans la Salle. Drago crut apercevoir un elfe de maison nettoyer avant que ce dernier ne transplane.

Drago entra dans son dortoir le plus doucement possible. Blaise dormait profondément, Drago pouvait entendre ses respirations à travers le rideau de son lit. Il jeta un coup d'œil à son réveil sur sa table de nuit et constata qu'il était presque 3h du matin. Il ébaucha un sourire en imaginant la réaction de Granger à l'heure qu'il était. Il doutait qu'elle se soit déjà couchée aussi tard de toute sa vie.

Il fit discrètement sa toilette et s'allongea dans son lit. Les rideaux de son lit à baldaquins n'étaient pas complètement tirés, il pouvait apercevoir les eaux profondes du Lac Noir à travers la fenêtre du dortoir. L'eau était calme, sombre, et le son qu'elle procurait contre la fenêtre le berçait un peu. C'était difficile de croire qu'un spectacle aussi apaisant puisse l'avoir autant angoissé le matin-même.

Sans qu'il s'en aperçoive, ses pensées basculèrent sur Granger, et sur leur discussion de ce soir. Il repensa à la manière qu'elle avait prononcé son prénom, ou comment elle avait ri, dévoilant ses dents blanches et toutes courtes. Il serra son oreiller contre lui en se rappelant du moment où il avait voulu l'embrasser. Il n'avait jamais ressenti cet embrasement, cette fièvre en étant si proche d'elle. C'était encore plus fort que lorsque la colère montait en lui, plus enivrant encore.

Drago s'endormit en se laissant porter par ses pensées somnolentes, dans un monde où Granger était à lui, et que c'était lui qui devait la secourir des êtres de l'eau.

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Hermione


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Le lendemain, Hermione se réveilla avec un mal de tête, un estomac retourné, et une douleur lancinante dans la jambe droite. Elle ouvrit péniblement les yeux en grognant et sentit quelque chose lui écraser la partie droite de son corps. Pendant un instant, elle n'eut aucune idée de l'endroit où elle se trouvait.

Hermione se passa une main sur le visage, en enlevant les cheveux qui s'étaient collés à son front, puis inspecta les environs. Elle n'était pas dans son dortoir. Elle fit descendre son regard sur le lit et sursauta en voyant quelqu'un. Et des cheveux longs, roux, cachés par la couverture. Hermione soupira de soulagement en reconnaissant Ginny.

Elle dormait à poings fermés, enroulée dans une couverture improvisée. Sa jambe écrasait celle d'Hermione, probablement parce que cette dernière s'était allongée en travers du lit. Hermione tenta de s'extirper sans réveiller Ginny, mais ce fut peine perdue, parce que la rouquine ouvrit un oeil fatigué :

"Ça va ?" demanda-t-elle dans une voix teintée de sommeil.

"Oui." dit Hermione, et elle fut surprise de constater que sa voix était presque éteinte. Elle toussa, produisant un son pathétique. Sa gorge était en feu.

"Qu'est-ce que je fais ici ?" demanda Hermione. Sa voix était toujours aussi enrouée.

"Tu m'as réveillée, hier." expliqua Ginny en la regardant bizarrement. "Je m'étais endormie dans le canapé de la Salle Commune… Et on est montées dans mon dortoir, tu as dit que tu voulais vérifier que j'allais bien -alors que, très honnêtement, c'était plutôt toi qui avait besoin d'aide- et on s'est endormies dans mon lit. Tu ne te souviens de rien ?!"

Hermione grimaça en entendant ça. Son cerveau était encore tout cotonneux, comme si elle était encore en train de dormir. Elle n'avait aucun souvenir d'avoir réveillé Ginny en rentrant…

En rentrant de…

"Il y avait Dra-... Malefoy, non ?" demanda Hermione sans réfléchir.

Ginny se releva maladroitement, ses cheveux tout aplatis d'un côté de sa tête. Elle se frotta les paupières en répondant :

"Malefoy, dans la Salle Commune ? Non, certainement pas. Pourquoi cette question ?"

Après une demie-seconde de réflexion, Ginny fit tomber brusquement sa main et regarda Hermione avec de grands yeux écarquillés. Elle lui demanda d'une voix stridente :

"Oh, Hermione, tu es allé le voir hier ?!"

"Non… Enfin, je ne sais plus." admit Hermione en se massant les tempes. "Je ne me souviens plus… J'ai un mal de tête…"

"Tu as beaucoup bu, hier soir." dit Ginny, un fait plutôt qu'une accusation. "Tu as enchaîné les bières, j'ai eu du mal à suivre."

En entendant la mention de bière, la bile d'Hermione remonta dans sa gorge, un goût de caramel écoeurant, et son ventre se contracta. Elle porta une main à sa bouche et se leva précipitamment, emportant à moitié la couette avec elle, et se réfugia dans la salle de bains pour aller vomir.

Ginny arriva derrière elle aussitôt, et lui tint les cheveux pendant qu'Hermione vidait le contenu de son estomac dans les toilettes. Puis, elle se passa de l'eau fraîche sur le visage dans l'espoir de dissiper son mal de tête, mais c'était peine perdue. Ginny avait une tête compatissante dans le reflet du miroir.

"Comment tu te sens ?" demanda-t-elle après qu'Hermione ait fini de s'asperger.

"Terriblement mal." avoua la brune.

"Tu as besoin de manger." asséna Ginny en la reconduisant au dortoir.

Hermione fut soulagée de constater qu'aucune colocataire de Ginny était là.

"Quelle heure est-il ?" demanda Hermione en toussotant pour essayer de retrouver une voix normale.

"10h du matin." dit Ginny. "Viens, on va voir Fred et George, ils auront sûrement un moyen de te remettre en forme."

Hermione lâcha une petite exclamation, aussi bien pour l'heure tardive que pour la suggestion.

"Je ne veux pas que Fred et George me voient dans cet état !" protesta Hermione, mais sa voix cassée la rendait peu convaincante.

"Relax, on leur dira que tu es malade…" dit Ginny qui était en train de sortir des affaires de son placard. "Tiens, mets ça, on s'habille et on descend."

Les filles s'habillèrent, l'une beaucoup plus vite que l'autre. La jambe d'Hermione était toujours endolorie et la faisait grimacer à chaque fois qu'elle s'appuyait dessus. Elle enfila le pull que Ginny lui avait prêté, qui était un peu trop petit pour elle. Puis, elle tenta désespérément de dompter ses cheveux, mais en voyant l'état dans lequel ils étaient, elle préféra les attacher avec une pince.

La Salle Commune était pleine, comme souvent les dimanches. Harry et Ron étaient en train de discuter mais s'arrêtèrent en la voyant descendre les escaliers, surpris.

"Hermione ?" appela Harry. "On croyait que tu étais à la Bibliothèque, on ne t'as pas vue ce matin."

"Elle est malade." mentit Ginny.

Hermione approuva d'un hochement de tête.

"Oh non, qu'est-ce que tu as ?" demanda Ron en s'approchant des deux filles.

"J'ai attrapé un rhume." répondit-elle, la voix cassée. "Je vais à l'infirmerie pour demander à Pomfresh un peu de Pimentine."

"Je t'accompagne." décréta Harry en commençant à marcher vers la sortie.

"Non, pas la peine." coupa Ginny. "Je m'en charge."

Hermione était étonnée que Ginny parle à Harry sans rougir, elle qui n'arrivait pas à être dans la même pièce que lui l'année précédente. Harry fronça les sourcils mais n'insista pas.

Quand elles se retrouvèrent dans le couloir, Ginny ne prit pas la direction de l'infirmerie, mais de la Grande Salle. Le petit-déjeuner était terminé, et la table des Gryffondors était pratiquement vide à l'exception de Fred et George, qui complotaient à voix basse, leurs têtes penchées sur quelque chose qu'elles ne pouvaient pas voir. Quand Ginny arriva derrière eux, ils relevèrent brusquement la tête dans un geste synchronisé, et arrachèrent le papier qu'ils étaient en train de lire, qui disparut en une seconde.

"Ah, c'est toi !" s'exclama George en constatant qui avait interrompu leurs murmures. "Et Hermione ! On ne vous a pas vues au petit déjeuner."

"On a fait une grasse matinée." dit Ginny en passant une jambe par-dessus le banc pour s'asseoir. Hermione fit de même, mais avec un manque de dextérité effarant comparé à Ginny.

"Ah oui ?" demanda malicieusement Fred. Il posa ses yeux sur Hermione et eut un petit sourire. "Et toi, Mione, en forme ?"

"Pas vraiment." dit-elle de sa voix éteinte avec un soupir. "Je suis malade…"

"Je me demande à quoi ça peut être dû…" dit George en faisant semblant de réfléchir. "Qu'est-ce qui aurait pu te mettre dans cet état… Je me demande… Quelque chose que tu as fait hier, peut-être ?"

Hermione se prit la tête entre les mains en grognant.

"Je crois t'avoir vue boire quelques bières…" continua Fred sur le même ton mystérieux que son jumeau. "Une dizaine… Ou plus… Et après, tu as dansé au milieu de la pièce je crois…"

"N'importe quoi !" contesta Hermione en relevant la tête un peu trop vite.

Fred et George éclatèrent de rire. Hermione vit Ginny se mordre la lèvre :

"Euh… Hermione, ce n'est pas faux. Tu as dansé… Et tu as même demandé à Neville de danser avec toi, tu te souviens…?"

Hermione eut soudain envie de descendre sous terre, de s'enterrer et de ne plus jamais ressortir. Elle était persuadée que ses joues étaient cramoisies.

"Non…" murmura-t-elle. "Mon Dieu, quelle honte…"

Elle remit sa tête entre ses bras. George s'arrêta de rire :

"Quelle honte ? C'était excellent ! Tout le monde a adoré, Mione, je te jure ! Et tu as très bien dansé, tu as mis à profit les leçons de danse du Bal !"

Hermione grommela quelque chose, mais sa voix était trop brisée pour que ses paroles parviennent aux Weasley autour de la table.

"Tu ne te souviens vraiment de rien ?" demanda Ginny en lui caressant le dos, du ton le plus doux possible.

Hermione secoua la tête. Elle avait des bribes, des souvenirs flous qui remontaient dans sa mémoire au fil des minutes, mais étant donné que la plupart contenaient des pupilles grises, elle préféra ne pas les partager.

"Tu as besoin de manger." répéta Ginny. "Fred, George…?"

"Compte sur nous." dirent les jumeaux en chœur.

Hermione sentit le banc bouger quand ils se levèrent tous les deux. Au bout de plusieurs minutes de lamentation silencieuse, Ginny pressa un peu la brune :

"Allez, viens, on va manger un peu dehors. Ça va te faire du bien de prendre l'air."

Hermione consentit, et la proposition fit écho à sa propre volonté de la veille.

Ginny et elle sortirent dans la cour extérieure, où il faisait bon. Quelques élèves jouaient ensemble, et certains lisaient au pied de l'immense fontaine. Elles prirent place sur un banc à l'avant de la cour, et Fred et George revinrent quelques minutes après, les bras chargés de nourriture.

Hermione se força à manger le plus possible pour faire partir la nausée, en essayant de ne pas penser au fait que c'étaient les elfes qui avaient préparé tout ça. Fred et George restèrent avec elles pour discuter, mais ils n'abordèrent plus le sujet de la fête (probablement à cause d'un regard noir de Ginny.)

Après avoir mangé, et bu un gros thé avec du miel, Hermione se sentit légèrement mieux. Elle n'avait plus envie de vomir et elle commençait à se rappeler de la soirée de la veille plus clairement. À chaque souvenir qui revenait, elle avait la soudaine envie de se gifler elle-même. Elle se souvint des danses, et de ce qu'elle avait dit, et se trouvait parfaitement stupide.

Par contre, Hermione avait du mal à visualiser le "après". Elle savait qu'elle était allée sur leur banc, que Drago était là, et qu'il l'avait aidée… Elle souleva discrètement la manche du pull que Ginny lui avait prêté et constata que sa blessure avait disparue. Elle fronça les sourcils en essayant de se souvenir comment il avait fait.

Fred et George finirent par repartir en lui souhaitant un "bon rétablissement", en insistant bien sur le terme avec deux gros clins d'œil. Ginny resta en compagnie d'une Hermione pensive et mal en point, et essaya de faire la conversation sans paraître insistante, ce qui était très difficile.

"Bonjour Ginevra." dit une voix qu'Hermione ne connaissait pas.

La brune releva la tête, et détailla discrètement la personne qui venait d'arriver en face d'elles. Elle avait des grands yeux bleus, un peu exorbités, et des longs cheveux blonds de couleur paille. Sa tenue, cependant, était ce qui attira surtout le regard d'Hermione : un pantalon jaune éclatant, un haut vert brodé, et un gilet rose tricoté. Autour de son cou, la jeune fille portait un collier de bouchons de Bièraubeurres qui donna un haut-le-cœur à Hermione.

"Oh, bonjour Luna !" salua Ginny sans faire attention à la tenue que portait la fille étrange. "Hermione, je te présente Luna Lovegood. Luna, voici Hermione Granger."

"Hermione, comme l'animal ?" demanda Luna d'une voix rêveuse.

"Euh…" Hermione essaya de visualiser de quoi elle parlait, mais ses grands yeux bleus scrutateurs la décontenançait trop. "Oui, peut-être."

"Luna est en troisième année, comme moi, mais à Serdaigle." expliqua Ginny à l'adresse d'Hermione. "On a sympathisé en cours partagé de Botanique, parce qu'on devait s'occuper du même Champifleur…"

"C'est d'ailleurs pour ça que je suis venue te voir." dit soudain Luna. "Nous devons rendre le compte-rendu en cours demain et nous n'avions pas terminé…"

"Mince !" dit Ginny en jetant un coup d'œil inquiet en direction des serres, puis elle revint sur Hermione. "Hermione, si tu veux que je reste, je peux le faire plus tard…"

"Non, ne t'en fais pas, je vais aller à la Bibliothèque pour travailler un peu aussi." dit Hermione en se levant, malgré sa jambe endolorie.

"Tu es sûre ?" demanda Ginny un peu plus bas. "Tu as l'air vraiment malade…"

"Ne t'en fais pas, je vais me reposer." la rassura Hermione. "Bon courage pour votre devoir, et à bientôt Luna !"

La jeune fille ne répondit pas, lui lançant simplement un regard blême. Hermione se fit la réflexion que c'était l'une des rencontres les plus étranges qu'elle avait vécues.

Hermione monta jusqu'au dortoir pour aller chercher ses affaires. Elle n'avait pas spécialement envie d'aller à la Bibliothèque, mais elle préférait ça plutôt que de devoir expliquer à Ron et Harry qu'elle souffrait en fait de la gueule de bois. S'ils l'apprenaient, ils prendraient un malin plaisir à se moquer d'elle tout le temps. Et pire encore, elle ne voulait surtout pas croiser Neville.

Alors, elle grimpa rapidement au dortoir, récupéra ses livres et du parchemin, caressa un peu Pattenrond et redescendit avant que quelqu'un ne l'interpelle.

Hermione redescendit les étages jusqu'au premier. Au moment où allait tourner dans le couloir de la Bibliothèque, cependant, elle tomba nez à nez avec Harry qui était en train de remonter les escaliers.

"Hermione, attends !" appela-t-il.

La concernée s'arrêta à contre-coeur. Elle essaya de ne pas paraître suspecte.

"Hey, Harry." dit-elle du ton le plus "normal" possible, mais qui s'avéra être un couinement aigü.

"Comment vas-tu ?" demanda Harry en arrivant à sa hauteur. "Tu as eu de la Pimentine ?"

Hermione voulut répondre que oui, mais elle était incapable de mentir à son meilleur ami. Elle bégaya en essayant de trouver une explication, quand la bouche d'Harry s'étira dans un sourire entendu. Elle se tut et soupira :

"Tu sais, n'est-ce-pas ?"

"Hermione, je t'ai vue danser dans la Salle Commune en criant toute la soirée avec une Bièraubeurre à la main." dit Harry sans cesser de sourire. "Ce matin, tu marches de travers, tu es pâle comme un fantôme et tu as la même voix que Dobby. Je te connais suffisamment pour comprendre ce qu'il s'est passé, oui."

Hermione maugréa entre ses mains. Elle sentait les rougeurs monter à ses joues.

C'était la dernière fois qu'elle buvait autant de Bièraubeurres.

"Je suis tellement gênée !" piailla-t-elle.

Harry eut un petit rire et enleva les mains d'Hermione de son visage :

"Ne t'en fais pas, tout le monde était bien trop surexcité pour s'en rendre compte. Je suis sûr que tout le monde a oublié. Enfin, sauf peut-être Neville…"

Hermione ferma les yeux en gémissant de honte de nouveau.

"Et Ron ?" demanda-t-elle.

Harry eut un rire amer en agitant la main :

"Ron ? Il a passé la soirée à raconter à Parvati et Lavande comment il s'était battu avec les êtres de l'eau pour se libérer. À la fin, il a carrément dit que je m'étais évanoui et qu'il m'avait secouru. Il ne t'as pas vue danser, ne t'en fais pas."

Hermione fut un petit peu soulagée en entendant ça. Au moins, c'était un témoin de moins face à son humiliation totale.

Elle discuta un peu avec Harry dans le couloir. Il était en meilleure forme, visiblement soulagé d'avoir mis la seconde épreuve derrière lui. Ses yeux verts émeraudes étaient rieurs et elle ne pouvait être que aux anges de le voir si détendu, même si la cause de sa joie était sa propre honte de la veille.

Ils finirent par se dire au revoir, et Hermione se rendit à la Bibliothèque aussi hâtivement et furtivement que possible. Elle fut ravie de constater que la table habituelle de Krum n'était pas occupée. Madame Pince était en train d'épousseter un rayon en hauteur de la Bibliothèque et ne la remarqua pas entrer.

Hermione se dirigea parmi les rayons et son cœur sauta douloureusement dans sa poitrine quand elle réalisa que Drago était sûrement déjà assis à la table. Elle avait été tellement focalisée sur les réactions d'Harry, Ron, Ginny, Fred, George et Neville qu'elle avait momentanément oublié qu'elle avait passé la moitié de la nuit avec Drago.

Elle appréhenda tellement de lui parler qu'elle préféra s'asseoir à la table du milieu de la Bibliothèque, à la vue de tout le monde. Elle regrettait de ne pas avoir demandé à Harry de l'accompagner. Hermione était dans un état beaucoup trop agité pour travailler, alors elle sortit ses travaux sur la S.A.L.E, qu'elle avait un peu délaissé à cause du Tournoi, et essaya de se concentrer.

Au bout d'une dizaine de minutes, alors qu'elle était en train de lire un paragraphe sur un procès d'un elfe de maison suspecté d'avoir brûlé les doigts de sa maîtresse par inadvertance en repassant, Hermione sursauta en voyant un avion en papier voleter jusqu'à elle. Il se posa délicatement à côté de son livre. Quand elle l'ouvrit, elle reconnut tout de suite l'écriture soignée, un peu en italique, de Drago :

"Pourquoi tu t'assois à cette table ?"

Hermione retroussa les lèvres et replia le mot qu'elle cala entre deux pages de son cahier. Elle savait qu'il était à la table reculée, située derrière elle, cachée par les étagères. S'il penchait la tête suffisamment, il pouvait la voir. Elle essaya d'adopter une posture décontractée et reprit sa lecture.

Un second avion en papier atterrit à côté d'elle une minute plus tard.

"Tu as ta séance de révisions avec Londubat ?"

Elle fut étonnée de voir qu'il connaissait aussi bien son emploi du temps. Ils avaient en effet annulé leur groupe de révisions la veille à cause de la seconde épreuve, et généralement, ils repoussaient au lendemain. Mais cette fois-ci, ils n'en avaient pas reparlé, probablement à cause du fait qu'Hermione l'avait supplié de la rejoindre pour danser.

Hermione referma encore le mot et se remit à travailler. Un nouvel avion en papier vola au-dessus d'elle. Elle hésita à l'ouvrir, cette fois. Mais elle était incapable de lire une phrase sans se demander ce qu'il avait écrit. Elle finit par le déplier discrètement :

"J'ai fait quelque chose de mal ?"

Ce mot lui fit mal au cœur. Parce que ce n'était pas lui qui avait fait quelque chose de mal, c'était elle. Elle était simplement trop embarrassée pour subir ses moqueries. Elle se mordit la lèvre, hésitant à lui répondre, mais finit par le chiffonner et le laisser en boule sur la table.

Il s'écoula plusieurs minutes sans nouvelle, alors Hermione pensa qu'il avait abandonné. Elle espérait qu'il ne culpabilisait pas trop. Elle ne voulait pas que Drago se sente coupable de la veille. Il lui fallait juste un peu de temps pour pouvoir se montrer sans rougir devant lui.

Finalement, un nouvel avion en papier arriva, un peu plus brutalement cette fois.

"Est-ce que tu aurais au moins l'obligeance de venir m'expliquer ce qui ne va pas ? Ou tu préfères que je vienne à ta table pour te le demander devant tout le monde ?"

Elle pouvait voir que son écriture était plus hachée. Drago Malefoy et son impatience ! Hermione soupira, cala tous les avions en papier dans son livre, et se leva rapidement.

En se dirigeant vers la table reculée, Hermione se dit qu'elle aurait mieux fait d'aller chez Hagrid.

Elle arriva devant la table ronde et reculée. Drago était là, habillé tout en noir, les cheveux blonds un peu plus décoiffés que d'habitude, les sourcils froncés. En la voyant, il eut une ombre d'un sourire soulagé, avant de revêtir ses traits nonchalants habituels.

Hermione resta plantée devant la table. Elle avait du mal à le regarder dans les yeux. Il ouvrit la bouche pour parler, mais Hermione le fit avant qu'il puisse émettre le moindre mot :

"Je ne veux pas en parler. Hier était un accident. Je ne me souviens pas de tout. J'ai des souvenirs vagues de… De ma soirée. Je sais que j'étais ivre, et que tu m'as aidée à soigner mon bras. Euh, merci, d'ailleurs." ajouta-t-elle en risquant un regard vers le blond, qui l'écoutait avec une vague expression surprise. "Mais je ne me souviens pas exactement de comment je suis retournée au dortoir, ou de tout ce dont on a parlé. Je suis désolée si j'ai été lourde avec toi, ou insistante, ou peu importe. En tout cas, je ne veux pas en parler, d'accord ?"

Elle s'assit sur sa chaise, les joues en feu, la gorge brûlante d'avoir tant parlé, et les yeux baissés. Il ne dit, d'abord, rien, au grand soulagement d'Hermione qui l'imaginait hilare, ou moqueur. Au bout de ce qu'il sembla une éternité de silence, il lui dit dans un murmure :

"C'est moi qui t'ai raccompagné au dortoir. Et tu n'as pas été lourde, ou insistante."

Elle hocha la tête, toujours sans le regarder. Elle ne voulait pas qu'il voit à quel point elle était embarrassée.

"Merci, alors." glapit-elle tout doucement.

Il ne répondit rien et continua d'écrire. Elle risqua un coup d'œil à ce qu'il faisait : il était en train d'écrire une fiche de révisions de différents sortilèges. Elle écouta le bruit rassurant de la plume contre le parchemin, puis quand ses rougeurs furent estompées, elle ouvrit son livre et se replongea dans le procès de l'elfe de maison.

Ils ne parlèrent pas, travaillant chacun de leur côté en silence. Elle se fit un thé à la cannelle pour apaiser sa voix cassée. Quand elle termina son livre, elle rangea ses affaires de l'association et écrivit une longue lettre à ses parents, en omettant bien sûr de leur raconter la fête de la veille.

Hermione était en train d'écrire sur les exploits d'Harry du Tournoi quand un souvenir particulier ressurgit soudain dans sa mémoire. Elle releva la tête, pensive, et contempla Drago qui était toujours en train de travailler sur les sorts.

"Tu m'as appelée Hermione, non ?" demanda-t-elle, brisant le silence instauré depuis des heures.

La main avec laquelle il écrivait s'arrêta brusquement. Il tiqua et sa mâchoire se contracta imperceptiblement. Quand il leva la tête pour la regarder, ses pupilles étaient complètement dilatées et il avait un petit sourire en coin :

"On a dit qu'on en parlerait plus, non ?"

Hermione hocha la tête, souriant malgré elle, et ils continuèrent de travailler en silence.

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Drago


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Granger fut souffrante pendant trois jours. Ce fut la plus longue gueule de bois de l'Histoire. Le lundi, elle était toujours aussi blafarde et faillit s'endormir en cours d'Arithmancie, ce qui choqua même Théo tant c'était inhabituel. Drago n'aurait jamais pensé que des Bièraubeurres puissent avoir cet effet. Blaise pouvait boire trois verres de whisky et paraître totalement normal le lendemain. Peut-être que Blaise et Pansy avaient appris des techniques avancées pour contrer la gueule de bois. Ou alors, peut-être que Granger avait en fait attrapé froid, et qu'elle était vraiment malade.

En tout cas, elle resta dans le même état plusieurs jours, mais continua évidemment d'aller en cours. Le soir, elle ne restait à la Bibliothèque qu'une heure avant de s'excuser et de partir.

Le jeudi, elle eut l'air d'aller mieux. Elle avait repris des couleurs et ne semblait plus constamment sur le point de vomir. Elle resta à la Bibliothèque en compagnie de Drago plusieurs heures après le dîner, et l'aida même à réaliser le Sortilège de Désillusion qu'il essayait de reproduire depuis son manuel.

Ils n'évoquèrent pas la fameuse soirée, bien qu'elle restait ancrée dans la mémoire de Drago. Il n'arrêtait pas de repenser à ses rires légers et insouciants, comme une mélodie gravée dans son cerveau qui recommençait, encore et encore. Maintenant qu'il avait vu ce côté-là de Granger, il en était encore plus intrigué. Elle était à la fois la fille la plus expressive qu'il connaissait, mais aussi la plus mystérieuse. Il n'arrivait pas encore à saisir tous les aspects de sa personnalité et ça l'obsédait.

Pour ajouter à ça, Drago avait développé une nouvelle habitude qu'il n'avait pas encore eu jusque là. Comme Pansy ne dormait plus avec lui dans son lit, Drago avait commencé, sans s'en rendre compte, à penser à Granger plus que d'habitude, et notamment avant de dormir. Il se rappelait des bouts de conversation qu'ils avaient eu, des coiffures particulières qu'elle avait. Il essaya de déterminer s'il la préférait en uniforme de Gryffondor ou en vêtements moldus. Parfois, il se surprenait à penser à elle et se sentait mal. Mais il n'arrivait plus à s'arrêter, elle occupait tout son esprit.

"Tu as l'air bien rêveur aujourd'hui." lança Blaise lorsqu'ils sortirent du cours de Métamorphose, le dernier cours du jeudi.

"Rêveur ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?" demanda Drago.

"Tu serais capable de me dire la leçon du jour en Métamorphose ?" répliqua Blaise, un sourcil arqué d'amusement.

Non, Drago en était incapable. Il n'avait pas écouté un traître mot de ce que la vieille McGonagall avait dit de tout le cours. Par contre, il aurait pu faire une description détaillée de la tenue que Granger portait aujourd'hui.

Il haussa mollement les épaules :

"Non, ce n'était pas intéressant."

"Si, ça l'était !" intervint Théo qui trottinait à côté d'eux en rangeant son manuel dans son sac en même temps. "On a étudié les formules adéquates pour les sorts de métamorphose inter-espèces !"

"Pas la peine de me refaire tout le cours, Théo." grinça Drago en descendant les escaliers vers les cachots.

Théo plissa le nez en entendant cette réponse, visiblement déçu que personne ne lui pose de questions sur le cours qu'il avait si bien compris.

"Très bien, alors tu n'as pas intérêt à me demander de t'aider pendant tes devoirs." dit Théo. "C'est sûr que les échanges inter-espèces vont tomber pendant les BUSES, en plus, alors tu viendras pas me supplier de te faire réviser."

"Les BUSES ne sont que l'année prochaine !" dit Drago en levant les yeux au ciel.

Parfois, il avait vraiment l'impression que Théo et Granger étaient devenus la même personne. Il pouvait presque entendre la voix haut-perchée que Granger prenait pour réprimander quelqu'un quand Théo lui parlait des cours.

Ils retournèrent aux dortoirs pour déposer leurs affaires, puis Théo proposa d'aller dîner. Quand ils arrivèrent dans la Salle Commune, Blaise observa les environs :

"Où est Pansy ?" demanda-t-il en regardant les élèves éparpillés dans les canapés.

"Aucune idée, probablement avec Léo." devina Drago. "Ils sont peut-être déjà en train de manger."

Ils se rendirent donc à la table des Serpentards et furent surpris de constater que Pansy n'était pas là, mais que Léo mangeait seul. Ils s'installèrent tous les trois, et ne furent rejoints que par Crabbe et Goyle avant le dessert. Pansy était toujours absente.

"Elle va rater le dîner." dit Théo lorsque les plats furent changés par les desserts.

"Peut-être qu'elle prépare une soirée ?" dit Blaise en prenant une pomme, qu'il croqua à pleines dents.

"Elle m'a parue un peu bizarre tout à l'heure…" dit Théo, les sourcils froncés en essayant de se souvenir. "Elle m'a dit qu'elle avait quelque chose à faire, mais elle ne m'a pas dit quoi…"

Drago haussa les épaules. Si Pansy n'était pas venue dîner, c'était sûrement pour une bonne raison. Il sautait souvent des repas aussi. Et il n'avait certainement pas envie de demander à Léo Hills, au risque de le faire parler pendant deux heures sans pouvoir l'arrêter. Blaise et Théo semblaient être du même avis que lui.

Finalement, juste avant la fin du repas, Pansy finit par arriver. Quelques élèves curieux tournèrent la tête en observant la retardataire, et Pansy fit semblant de ne pas les remarquer en prenant place. Dès qu'elle s'assit en face de Drago, Léo se précipita sur elle :

"Pansy ! T'étais où ? Je me suis inquiété !"

Drago vit Théo rouler rudement des yeux en l'entendant, mais Léo ne le regardait pas. Pansy lui fit un sourire faux :

"Je n'ai pas vu l'heure passer."

"Je vois. Je t'attends dans la Salle Commune, d'accord ?" demanda Léo en lui faisant un baiser sur le front.

Pansy hocha la tête, puis s'attaqua à une tartelette à la fraise enrobée de sucre glace.

"Où étais-tu ?" demanda Blaise.

"Je ne peux pas le dire." répondit-elle fièrement.

"Quoi ? Comment ça ?" s'étonna Théo, qui détestait être exclu d'un secret.

"Je ne peux pas le dire." répéta Pansy avec un sourire qu'elle avait du mal à cacher. "Vous le saurez demain."

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Effectivement, ils comprirent où était Pansy dès le lendemain, vendredi, à la table du petit-déjeuner. Un hibou immense, bruyant et aux longues plumes crèmes se posa dans un bruissement d'ailes devant l'assiette de Pansy. Sa tête était légèrement inclinée en l'air. Drago n'avait jamais vu de hibou aussi snob. Il portait un magazine roulé entre ses deux pattes, accompagné d'une note écrite à la main. En le voyant, Pansy lâcha un cri strident.

"C'est elle ! C'est Rita Skeeter !" s'écria-t-elle en détachant la note.

L'hibou se secoua dignement les pattes et reprit son envol dans un mouvement distingué. À côté de lui, Ébène ressemblait à un pigeon.

"Merci infiniment pour votre aide dans la rédaction de cet article que vous trouverez dans le magazine Sorcière Hebdo ici-joint, à la page douze. En comptant sur votre participation prochaine, Rita Skeeter." lut Pansy, surexcitée.

"C'est là que tu étais hier ?!" demanda Théo, stupéfait. "Avec Rita Skeeter ?"

"Oui, elle m'a demandé des informations sur quelqu'un…" dit Pansy en feuilletant le magazine jusqu'à la page douze.

Elle s'arrêta et lut l'article précipitamment, ses yeux scannant rapidement la page que Drago ne pouvait pas voir. Sur la couverture, il y avait une sorcière blonde qui désignait un gâteau, avec comme titre "Quinze sortilèges d'amaigrissement qui marchent à tous les coups !". Blaise eut un soupir.

Au fil de sa lecture, cependant, le sourire de Pansy diminua de plus en plus et elle fronça les sourcils.

"Quoi ?" s'inquiéta Blaise. "Elle n'a pas écrit ce que tu as dit ?"

"Pans', c'est le job de Rita Skeeter !" continua Drago. "Elle prend ce que tu lui dis et le modifie à sa guise pour rendre le journal plus intéressant…"

"Non, ça va." dit Pansy quand elle termina sa lecture. "Elle a simplement coupé quelques trucs… Mais elle me cite, quand même."

Elle leur tendit le magazine avec un peu moins d'entrain qu'en le recevant. Drago vit qu'elle lui jeta un bref regard désolé avant de détourner les yeux. Les trois garçons se penchèrent sur le magazine, où une photo de Potter prenait la moitié de la page. C'était une vieille photo, qui datait de la deuxième année, celle où il posait avec Lockhart à Fleury et Botts, mais ils avaient coupé Lockhart de la photo.

Drago commença sa lecture :

« LA BLESSURE SECRÈTE DE HARRY POTTER LE MAL-AIMÉ.

C'est sans nul doute un garçon différent des autres — mais qui pourtant ressent comme les autres les tourments de l'adolescence, écrit Rita Skeeter. Privé d'amour depuis la disparition tragique de ses parents, Harry Potter pensait avoir trouvé à quatorze ans une consolation auprès de son amie de cœur, Hermione Granger, issue d'une famille moldue et elle aussi élève au collège Poudlard. Il était loin de se douter qu'il allait bientôt subir un nouveau choc affectif dans une vie déjà marquée par le malheur. »

Drago sentit les poils de ses bras et de sa nuque se redresser en lisant le nom de Granger là-dedans. Il leva les yeux furtivement vers Pansy mais elle prenait soin de ne pas le regarder, la bouche un peu tordue.

« Miss Granger, une jeune fille ordinaire mais ambitieuse, semble éprouver pour les sorciers célèbres une attirance particulière que Harry ne peut satisfaire à lui tout seul. Depuis l'arrivée à Poudlard de Viktor Krum, l'attrapeur de l'équipe de Quidditch de Bulgarie et héros de la dernière Coupe du Monde, Miss Granger paraît s'amuser beaucoup de l'affection que lui portent les deux garçons. Krum, qui s'est de toute évidence pris de passion pour la tortueuse Miss Granger, l'a déjà invitée à lui rendre visite en Bulgarie pendant les prochaines vacances d'été et ne cesse de lui répéter qu'il n'a « jamais ressenti quelque chose d'aussi fort pour une autre fille. »

Drago était vraiment énervé, maintenant. Il avait oublié son propre conseil concernant les propos modifiés par Skeeter, et se demanda quand est-ce que Krum avait bien pu dire ça à Granger. Il savait que la partie sur Potter était fausse, et qu'ils étaient vraiment amis. Par contre, pour Krum…

"Tu n'y es pas allé de main morte." pointa Théo avec une grimace en montrant une ligne un peu plus bas :

« Elle est vraiment laide. », n'hésite pas à affirmer Pansy Parkinson, une jeune fille vive et séduisante, élève de quatrième année. « Mais elle est très ingénieuse et serait bien capable d'avoir fabriqué un philtre d'amour. Je crois que c'est comme ça qu'elle y arrive. »

"J'ai toujours dit que je la trouvais moche." se défendit Pansy en se servant en salade de fruits.

"Peut-être, mais de là à dire ça dans un magazine… Je sais pas, Pansy, c'est peut-être un peu méchant…" dit Théo en tendant de nouveau Sorcière Hebdo vers elle.

Pansy leva les yeux au ciel, comme si c'était elle qui se faisait victimiser. Drago resta silencieux. Il n'avait pas envie de s'énerver contre Pansy, parce qu'il avait peur que ça dévoile ce qu'il pensait secrètement de Granger. Mais il était vraiment furieux contre sa meilleure amie. Il ne la regarda pas pendant le reste du petit-déjeuner en ressassant ce qu'avait dit Krum.

"Où est-ce que tu lui as parlé, d'ailleurs ?" demanda soudain Théo à Pansy.

"Ici, dans la cour du Château." dit Pansy calmement, en prenant une gorgée de café.

"À Poudlard ?" s'étonna Théo. "Je croyais qu'elle avait été bannie."

Pansy pinça les lèvres mais ne dit rien. Drago avait le sentiment qu'elle voulait éviter d'en parler devant lui.

Il regarda par-dessus l'épaule de Pansy, vers la table des Gryffondors. Granger était là, mais elle n'avait pas l'air d'avoir lu l'article, parce qu'elle était en train de parler avec Potter et Weasley en souriant. En même temps, Granger n'était certainement pas le genre de personnes abonnées à Sorcière Hebdo. Il la regarda manger son porridge de loin, en serrant les dents.

Toute la journée, Drago ressassa amèrement le contenu de l'article. Parfois, quand il y pensait trop, ses doigts tremblaient, ce qui lui valu un reproche courroucé de la part de Chourave lorsqu'il renversa accidentellement un Bulbe sauteur au milieu de la serre.

"Miss Granger semble éprouver pour les sorciers célèbres une attirance particulière…"

Il n'écouta pas le cours de Soins aux Créatures Magiques, repris par l'imbécile d'Hagrid qui avait choisi de parler des licornes.

"Miss Granger paraît s'amuser beaucoup de l'affection que lui portent les deux garçons…"

Il faillit envoyer un oreiller à travers la fenêtre avec un Repulso trop puissant pendant le cours de Sortilèges de l'après-midi, trop focalisé sur l'article pour s'en rendre compte.

"Krum ne cesse de lui répéter qu'il n'a « jamais ressenti quelque chose d'aussi fort pour une autre fille…"

Drago attendit le bon moment pour confronter Pansy, et ce moment arriva juste avant le cours de Potions. Il profita du fait que Blaise et Théo étaient plongés dans une conversation en marchant dans les cachots pour attraper le bras de Pansy et la stopper dans sa marche. Il l'emmena un peu plus loin, la poussa doucement contre le mur et s'approcha d'elle, la colère ruminante de la journée lui parcourant la peau comme des vagues de chaleur.

"Qu'est-ce qui t'as pris de faire ça ?" lâcha-t-il entre ses dents serrées, suffisamment bas pour que personne ne les remarque. "Tu sais la réputation qu'elle va avoir, quand tout le monde aura lu cet article ? À quoi tu pensais ?"

Les yeux écarquillés de surprise de Pansy se fendirent lorsqu'elle entendit la mention sous-entendue de Granger. Sa posture changea alors radicalement, elle passa d'une position craintive à un redressement défensif. Sa bouche colorée de noir s'ouvrit à peine pour laisser passer un flot de paroles tout bas :

"Je l'ai fait pour toi, Drago." siffla-t-elle. "Je pensais à toi. J'ai brouillé les pistes. Si tout le monde la croit raide dingue de Potter, ou de Krum, ou de n'importe qui, personne ne va percer ton petit secret à jour. Parce que crois-moi, Drago, si ça se sait, tu es un homme mort."

"Et je suis censé faire quoi ? Te remercier ?" gronda-t-il.

"Non. Mais j'espère que tu réaliseras vite que ce que j'ai fait était uniquement pour te protéger, toi." répliqua sèchement Pansy sans le lâcher du regard. "Tu la harcelais, avant, tu te souviens ? Tu ne crois pas que si les autres réalisent que tu as arrêté de t'en prendre à elle publiquement, ils vont se rendre compte que quelque chose à changer ?"

"Tu as dit qu'elle était laide." cracha-t-il, si près du visage de Pansy qu'il pouvait sentir l'odeur de sa lotion.

"Tu avais l'habitude de lui dire ça une dizaine de fois par semaine, Drago." dit Pansy, les yeux perçants. "Ce qui a changé pour toi n'a rien changé pour moi. Mais je t'aide du mieux que je peux. Si tout le monde la croit amoureuse de Krum, ou de Potter, alors l'attention ne sera pas focalisée sur toi. C'est ce qui compte."

Elle termina sa phrase par un claquement de langue hautain. Ils se contemplèrent quelques secondes, le temps que Drago réunisse ses pensées embrouillées. Il était toujours furieux, mais il comprenait un peu mieux le geste de Pansy. Il était cependant incapable de la remercier, ou de s'excuser, à cet instant, alors il se recula. Elle se dégagea du mur contre lequel elle était adossée, lui jeta un regard noir et tourna les talons.

Juste avant qu'elle ne marche vers la salle de Potions, il l'attrapa une deuxième fois par le bras, plus gentiment cette fois.

"Est-ce que c'est toi qui ai ajouté la partie sur la Bulgarie ?" murmura-t-il. "Ou qu'il n'avait jamais ressenti ça pour une fille ?"

Il connaissait la tournure de la phrase par cœur désormais, à force de l'avoir répété dans sa tête toute la journée. La bouche de Pansy se tordit encore une fois dans une expression mi-désolée mi-indifférente :

"Non." dit-elle doucement. "Non, ce n'était pas moi."

Il laissa sa confession se répandre contre sa peau comme une traînée de poudre et relâcha le bras de Pansy. C'était donc bien Krum qui lui avait avoué ses sentiments. Mais quand ? Sous l'arbre, la dernière fois ? Ou un soir après la Bibliothèque ? Avaient-ils des endroits, rien qu'à eux, comme leur banc ?

"Allez, viens, on va être en retard." dit Pansy.

Il la suivit en contemplant le sol de pierre. Il avait envie de frapper quelque chose, et ce quelque chose ressemblait fortement au nez tordu de Krum.

Ils rejoignèrent les autres devant la classe de Potions. Pansy remplaça son visage impassible par une mine faussement amusée en retournant dans le cercle composé de Daphné, Tracey Davis et Millicent Bulstrode.

Quand les Gryffondors arrivèrent à leur tour, Granger, Weasley et Potter en tête, Pansy lâcha un rire strident et particulièrement agaçant en les désignant du doigt. Puis, elle jeta le magazine pour qu'il atterrisse dans les mains d'une Granger étonnée.

"Tiens Granger, il y a quelque chose qui va t'intéresser là-dedans !"

Pansy pouvait paraître vraiment mauvaise quand elle le voulait. Drago l'avait rarement vue aussi machiavélique, la jalousie dégoulinant de son visage. Il détourna le regard en serrant et desserrant les poings.

Granger ouvrit précipitamment le magazine dès qu'elle fut entrée dans la classe. Théo s'assit à côté de Drago, comme à son habitude, et Rogue commença à écrire la liste des ingrédients pour la potion du jour au tableau.

Mais Drago ne détacha pas son regard de Granger. Elle lut les lignes rapidement, entourée par Potter et Weasley qui lisaient en même temps qu'elle. Drago vit Potter faire un petit soupir agacé, probablement en se voyant lui-même sur la photo.

Dès qu'ils terminèrent l'article, Weasley ouvrit de grands yeux écarquillés et commença à parler à toute vitesse, mais Drago était trop loin pour entendre leur conversation. Il ne prêta aucune attention au tableau noir et essaya plutôt de lire sur les lèvres du trio. Granger haussa mollement les épaules en souriant. Cet article ne l'avait visiblement pas chamboulée.

Elle jeta le magazine sur la chaise vide à côté d'elle en riant, puis se tourna vers Pansy et son groupe de copines et leur fit un geste de la main. Cette insolence aurait presque fait sourire Drago, s'il n'était pas aussi tourmenté.

Les ingrédients de la potion écrits, Rogue alla s'asseoir à son bureau en demandant une fiole de potion par groupe à la fin du cours. Théo commença à allumer un feu sous le chaudron. Drago, lui, regardait Granger. Elle avait commencé à travailler aussi, mais semblait soudain plus perplexe. Elle parla à voix basse à Weasley et Potter, et plus elle s'exprimait, plus ses rougeurs gênées prenaient place sur ses joues. Elle évitait de lever la tête, comme si elle était embarrassée, ou qu'elle leur avouait un secret.

Drago se demanda s'ils parlaient de la soirée où elle avait été bourrée. Il se pencha vers la gauche subtilement pour entendre quelque chose, ne serait-ce qu'un mot qui pourrait l'aiguiller. Granger pilait ses scarabées sans faire attention à ce qu'elle faisait, trop perdue dans ses pensées pour s'en soucier. Elle était toute rouge, maintenant.

Peut-être qu'elle avait croisé Krum pendant la soirée où elle avait trop bu. Peut-être que c'était lui qui l'avait fait boire. Et qu'il l'avait blessée au bras après. Tous les scénarios passèrent dans sa tête pendant qu'il continuait de la regarder. Il contracta la mâchoire. Peut-être qu'il avait profité de son état pour lui dire toutes ces choses…

Drago ne faisait plus rien de ses mains. Il regardait la bouche de Granger se mouvoir à toute vitesse, et trop fasciné par cette vision, il en oublia le monde extérieur.

Jusqu'à ce que Théo lui frôle le bras sans faire exprès, le faisant revenir de sa transe. Il tourna la tête vers le tableau dans un réflexe, pour lire l'intitulé de la potion du jour.

Mais à la place, il tomba sur le regard sombre de Rogue, juste en face de lui.

Le professeur avait froncé les sourcils, et analysait silencieusement Drago, dont le sang s'était soudain figé.

Puis, Rogue fit glisser son regard vers Granger, et alterna entre Drago et elle, jusqu'à ce que ses lèvres fines se retroussent sévèrement.

Et ce fut à cet instant que Drago réalisa que son professeur de Potions avait compris.