Hermione


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Hermione était en train de piler ses scarabées sans les regarder, trop occupée à réfléchir aux stratégies de Skeeter. Comment faisait-elle pour connaître tous les secrets de Poudlard en étant bannie du lieu ? Elle avait vraisemblablement entendu Krum confesser ses sentiments sur l'estrade de la seconde Tâche, mais Hermione n'avait aucun souvenir d'avoir vu la journaliste là-bas.

"Il y a quand même quelque chose de bizarre." finit-elle par dire à voix haute, pour qu'Harry et Ron l'entende. "Comment Rita Skeeter a-t-elle fait pour savoir ?"

"Pour savoir quoi ?" demanda Ron. "Tu n'as quand même pas fabriqué de philtre d'amour, non ?"

"Ne dis pas de bêtises." dit Hermione, agacée. "Je me demande simplement comment elle a pu savoir que Viktor m'avait invitée à venir le voir cet été."

En entendant le bruit du pilon de Ron qui tomba contre son bol, elle réalisa qu'il allait sûrement mal prendre cette nouvelle. Elle se sentit rougir.

"Quoi ?" s'écria-t-il, scandalisé.

"Il me l'a proposé juste après m'avoir sortie du lac." marmonna Hermione, bien décidée à ne pas regarder Ron en racontant ça. "Quand il a été débarrassé de sa tête de requin, Madame Pomfresh nous a donné des couvertures à tous les deux et là, il m'a entraînée un peu à l'écart et il m'a dit que, si je ne faisais rien de spécial l'été prochain, il aimerait bien que…"

"Et qu'est-ce que tu lui as répondu ?"

Hermione aurait dû se douter que Ron serait plus intéressé par sa conversation avec Krum que par Rita Skeeter. Elle refocalisa ses pensées :

"Et en plus, il a vraiment dit qu'il n'avait jamais ressenti quelque chose d'aussi fort pour une autre fille." dit-elle dans un murmure, essayant de se souvenir. "Mais comment Rita Skeeter a-t-elle pu l'entendre ? Elle n'était pas là... Ou alors peut-être qu'elle y était quand même ? Peut-être qu'elle a aussi une cape d'invisibilité et qu'elle a réussi à se faufiler dans le parc pour assister à la deuxième Tâche…"

Comment savoir si Skeeter avait une cape d'invisibilité ? Est-ce que Dumbledore l'aurait remarquée ? Et il y avait beaucoup de monde sur cette estrade, elle n'aurait pas pu se faufiler aussi aisément à cause de tous les gens… Peut-être qu'elle pourrait demander à Fol'Oeil pour savoir s'il ne l'avait pas aperçue avec son œil de verre…

"Et qu'est-ce que tu lui as répondu ?" insista Ron, et Hermione revint soudain sur Terre.

"Oh, j'étais beaucoup trop occupée à regarder si Harry allait enfin te sortir du Lac pour…"

Une voix gutturale s'éleva juste derrière elle, et la phrase d'Hermione fut brutalement interrompue :

"Je ne doute pas que votre vie personnelle soit absolument passionnante, Miss Granger," dit Rogue, "mais je vous demanderai de ne pas choisir mon cours pour en faire bénéficier vos voisins. Dix points de moins à Gryffondor."

Hermione sentit ses rougeurs s'accentuer davantage. Tous les élèves de la classe s'étaient tus. Quand elle tourna la tête, Hermione vit que Drago regardait aussi, mais il ne souriait pas méchamment comme il le faisait d'habitude. En fait, il avait même l'air un peu paniqué.

"Ah, tiens... vous lisez des magazines en cachette, maintenant." ajouta Rogue en prenant l'exemplaire de Sorcière-Hebdo posé sur la chaise, au grand désarroi d'Hermione. "Dix autres points de moins à Gryffondor... Oh, mais bien sûr... Je comprends... Potter doit mettre à jour son dossier de presse…"

Rogue eut un rire amer et Harry se ratatina contre le tabouret, la tête baissée. D'une voix lente et théâtrale, Rogue s'amusa alors à lire l'article au complet, sous les rires acerbes des Serpentards qui prenaient un malin plaisir à se moquer d'Harry et d'Hermione. Cette dernière essayait tant bien que mal de ne pas pleurer de honte.

"Les admiratrices de Harry Potter devront espérer qu'à l'avenir il saura mieux choisir l'élue de son cœur. Voilà qui est très émouvant." dit Rogue en refermant le magazine. "Je crois que je ferais bien de vous séparer, tous les trois, pour que vous puissiez vous concentrer sur vos potions plutôt que sur la complexité de votre vie sentimentale. Weasley, vous restez ici, Miss Granger, vous allez là-bas, à côté de Miss Parkinson et vous, Potter, à la table qui se trouve devant mon bureau. Allez, dépêchez-vous."

Hermione aurait préféré s'asseoir n'importe où plutôt qu'à côté de Pansy Parkinson. Elle eut un hoquet de surprise étranglé et regarda de biais le pupitre de la Serpentard. D'habitude, Parkinson s'asseyait toujours à côté de Blaise Zabini, à droite de Drago. Mais cette fois-ci, Zabini s'était mis avec Daphné Greengrass, et elle était seule à travailler sur sa potion. Quand Rogue cita son nom, Parkinson leva les yeux au ciel, exaspérée.

Hermione voulut protester, mais en croisant les yeux noirs et sans chaleur de Rogue, elle fut obligée de s'y contraindre. Elle ramassa son cahier et sa plume et alla s'asseoir à côté de Pansy Parkinson à contre-coeur.

Cette dernière ne lui prêta aucune attention. Hermione aurait pu être une saleté sous sa chaussure que Parkinson aurait eu la même réaction quand elle s'approcha. Elle ne lui adressa même pas un regard. Hermione reprit sa préparation là où elle en était.

Au bout d'une dizaine de minutes de préparation silencieuse, Hermione releva la tête. Harry était en face de Rogue et ils discutaient à voix basse. Rogue contemplait Harry avec un sourire plein de haine, et Harry semblait sur le point d'exploser de colère. Drago, qui était à côté de son pupitre, levait fréquemment la tête mais ne s'attardait jamais sur Hermione et Parkinson.

Hermione versa la poudre de scarabée dans le chaudron et attendit que la potion frémisse pour ajouter des morceaux de tiges de valériane, tourna la mixture dans le sens des aiguilles d'une montre douze fois, puis s'appliqua à extraire une dizaine de yeux de scarabées dans un bocal.

Elle risqua un coup d'œil vers sa voisine. Parkinson était en train de peser la quantité d'eau d'amyris à verser ensuite dans la potion avec des gestes précis et calculés.

Harry avait dit une fois à Hermione qu'il trouvait que Parkinson était horrible. Hermione n'était pas d'accord. Même si elle détestait l'admettre, Hermione la trouvait même très jolie. Parkinson avait une sorte de beauté froide, avec des traits du visage ancrés, qui ressortaient de sa peau pâle. Ses yeux étaient noirs, tout comme ses cheveux qui étaient toujours parfaitement peignés. Et elle faisait toujours attention à son apparence, ce qu'Hermione ne faisait pas du tout. Parkinson dégageait une aura assez captivante, elle était mystérieuse et avait l'air d'avoir beaucoup confiance en elle, et Hermione la jalousait un peu pour ça.

Ce jour-là, comme très souvent, Parkinson portait du rouge à lèvres noir qui rappelait la couleur de ses cheveux. De temps en temps, elle humidifiait un peu ses lèvres avec sa langue en étant concentrée. Hermione comprenait pourquoi tant de gens pensaient que Drago et elle sortaient ensemble, parce qu'ils avaient un peu cette même énergie énigmatique.

Soudain, Pansy tourna la tête vers Hermione et cette dernière fit semblant d'avoir observé le chaudron pendant tout ce temps. Elle retourna à sa sélection de yeux de scarabée quand Parkinson parla, pour la première fois du cours :

"Il faut ajouter l'eau d'amyris avant ou après les yeux de scarabée ?"

Hermione fut tellement surprise qu'elle ne répondit pas tout de suite. C'était la première fois que Pansy Parkinson lui parlait aussi directement sans être méchante. Elle se tourna vers elle et balbutia :

"Euh, après."

"D'accord. J'attends, alors."

Sa voix était mélodieuse, contrairement à celle d'Hermione qui partait toujours dans les aigües. En les entendant "discuter", Drago se tourna vers elles avec un sourcil arqué par l'inquiétude. Pansy le vit et soupira assez bruyamment pour qu'il l'entende :

"Ne t'inquiète pas Drago, je ne vais pas la manger !" dit-elle dans un souffle irrité.

Hermione ne dit rien, comme si elle n'était pas censée avoir assisté à cette scène. Elle avait l'impression d'être exclue d'un secret, et elle n'aimait pas ça du tout. Elle déposa les yeux de scarabée dans le chaudron un par un et regarda Pansy verser l'eau qu'elle venait de mesurer. Hermione lut la suite de la recette et constata qu'elles devaient encore mettre une queue de rat, des graines de pissenlit et attendre que la potion prenne une teinte légèrement laiteuse pour pouvoir la rendre.

En voyant le prochain ingrédient, Pansy plissa le nez de dégoût.

"Hors de question que je touche ces trucs." dit-elle en montrant les queues de rat sur la table. "Fais-le, toi."

Hermione leva les yeux au ciel mais le fit quand même. Elle voulait avoir une bonne note, et se battre avec la Serpentard ne l'aiderait pas à l'obtenir. Pendant qu'elle la mettait dans le chaudron, elle se demanda comment Parkinson aurait fait si elle ne l'avait pas rejointe.

Parkinson décortiqua les pissenlits pour en extraire les graines, un travail méticuleux qu'elle réussit étonnamment très bien. Hermione la regarda faire, n'ayant aucune autre tâche à accomplir.

"Il n'arrête pas de te regarder." commenta Parkinson après plusieurs minutes.

Hermione leva la tête pour vérifier qu'elle lui parlait bien à elle. Elle regardait toujours ses graines, tellement concentrée qu'Hermione se demanda même si elle n'avait pas rêvé. Pourtant, quand Hermione ne répondit rien, Parkinson pointa Drago d'un mouvement de tête. En effet, il la regardait discrètement, et arrêta à l'instant où elle se tourna vers lui.

"Qu'est-ce que tu veux dire ?" demanda Hermione.

Pansy leva les yeux au ciel avec un profond soupir.

"Tu es aussi stupide que lui, si tu ne le vois pas. Tu n'es pas censée être la sorcière la plus intelligente de notre génération, ou un truc comme ça ?"

C'était censé être un compliment, mais de la bouche de Parkinson, cette phrase ressemblait à une insulte. Hermione sentit ses rougeurs monter dans son cou, encore une fois.

"Je ne vois pas de quoi tu parles."

"Drago est mon meilleur ami, Granger." dit Pansy, tellement bas qu'Hermione dû se pencher pour entendre ce qu'elle disait. "Je le connais mieux que personne."

Hermione fronça les sourcils, pas certaine de comprendre pourquoi elle lui parlait de ça. Parkinson ne lui avait jamais adressé la parole, en dehors de son groupe de filles hilares qui se moquaient toujours de ses cheveux.

"Je sais que vous passez du temps tous les deux à la Bibliothèque." continua Parkinson doucement, toujours en prélevant les graines de pissenlit.

Cette phrase coupa le souffle d'Hermione. Quand Parkinson n'entendit pas de réponse, elle leva la tête vers sa voisine et afficha un rictus mauvais en voyant son visage stupéfait :

"Quoi ? Tu pensais sincèrement qu'on allait pas le remarquer ? Tous les soirs à la Bibliothèque, alors qu'il n'y foutait jamais les pieds avant. Il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre qui il rejoignait là-bas."

"Pourtant, je ne comprends toujours pas comment c'est possible." avoua sincèrement Hermione.

"Merlin, Granger, comment une fille aussi studieuse peut-être aussi stupide ?" demanda Pansy dans un soupir agacé. "Je ne comprends vraiment pas ce que Drago te trouve."

Parkinson finit de trier les graines de pissenlit, puis les versa dans la potion qui prit une teinte verdâtre. Hermione la mélangea doucement, la tête remplie de questions. Au bout d'un moment, le visage pâle de Parkinson s'anima d'un sourire méchant :

"Vu ta réaction, ça avait l'air d'être un secret de ton côté aussi. Je suppose qu'il ne devrait pas l'apprendre, j'ai raison ?"

Elle pointa Ron du doigt, un petit plus loin. Il était concentré sur sa potion qui avait une teinte rose. Le cœur d'Hermione pulsa un peu trop fort contre sa cage thoracique. Si Ron l'apprenait, ça serait probablement la fin de leur amitié. Il détestait beaucoup trop Drago pour la pardonner de le voir en secret. En plus, vu sa jalousie envers Viktor…

Hermione n'avait aucun doute que Parkinson était capable de lui balancer son secret pour la faire souffrir. C'était une Serpentard, après tout, et elle n'aurait certainement aucun remord à briser leur amitié pour sauver la sienne. Hermione se retourna vers elle, prête à la supplier de ne rien dire à Ron, mais elle fut interrompue par un rire amer :

"Relax, Granger. Je ne lui dirai rien."

"Merci." répondit-elle dans un soupir de soulagement.

"Ne crois pas que je le fais pour toi. Je ne t'aime pas." dit Parkinson d'un ton neutre.

Hermione eut un petit rire.

"Crois-moi, ça, je l'ai remarqué."

"Arrête de faire ta victime, Granger. Je respecte juste les règles du jeu." murmura Parkinson, les yeux brillants d'une lueur malveillante. "J'ai toujours dit que je ne t'aimais pas. Je ne sais pas quand ça a changé pour Drago, mais moi, ça sera toujours le cas. Mais je ne te déteste pas. C'est un rôle. Je suis obligée d'agir comme ça, parce que moi, je tiens à ma réputation."

"Ça n'avait pas l'air d'être un jeu, tout à l'heure." dit Hermione en montrant le magazine du doigt.

Parkinson haussa les épaules en détachant son regard d'Hermione pour le poser sur la potion qui devenait de plus en plus pâle.

"Tu n'es pas obligée de me croire. Mais il faut que tu saches une chose, Granger. Je peux être vraiment méchante. Mais je protège les miens. Tout ce que je fais, c'est pour protéger Drago. Je ne veux pas qu'il lui arrive quelque chose de mal. Et si je dois faire un choix, je choisirai toujours lui. C'est clair ?"

"Excuse-moi, mais je ne comprends pas très bien pourquoi je suis censée savoir ça."

Parkinson eut de nouveau un rire froid, amer, faux. Hermione réalisa à quel point Drago et elle étaient similaires, parfois. Elle se demanda si Parkinson avait aussi le droit au Drago gentil de la Bibliothèque. Son Drago gentil.

"Parce que c'est de ta faute, Granger." répondit-elle simplement.

Hermione voulut en demander davantage, mais Rogue annonça la fin du cours à cet instant. Parkinson sauta du tabouret dès que les élèves furent autorisés à sortir et rejoignit Blaise Zabini, qui lui passa un bras sur l'épaule en sortant de la classe. Ce fut donc Hermione qui se chargea de remplir une fiole de la potion, qu'elle déposa sur le bureau et retrouva Harry et Ron.

Elle s'attendait à ce que Rogue lâche une dernière pique à l'adresse d'Harry, mais ce dernier était en train de parler avec Karkaroff. Hermione n'avait même pas remarqué que le directeur de Durmstrang était entré dans la salle de classe, trop absorbée par sa conversation avec Parkinson. Dès qu'ils se retrouvèrent dans le couloir, Harry se mit à leur raconter la conversation qu'il avait interceptée entre Rogue et Karkaroff, et les garçons établirent toutes sortes d'hypothèses sur la raison pour laquelle Karkaroff lui avait montré son avant-bras.

Mais Hermione n'arrivait pas à se concentrer là-dessus. Elle chercha Drago du regard, mais il était en grande conversation avec Blaise Zabini, et n'avait même pas remarqué qu'Hermione était juste derrière lui.

Ils allèrent dîner, et Hermione essaya vraiment de s'impliquer dans la conversation de la table des Gryffondors. Fred et George étaient en train de raconter une histoire drôle qui leur était arrivée le matin-même, et Hermione essayait d'écouter. Mais elle passa tout son repas à observer discrètement la table des Serpentards.

Drago était en train de dîner avec ses amis, comme d'habitude. Théodore Nott parlait, Blaise Zabini l'écoutait, Drago riait, et Pansy Parkinson était dans les bras de son petit ami, Léo Hills. Rien ne semblait anormal.

Hermione mangea son crumble, pensive. Quand ils remontèrent vers la Salle Commune, Ron dû lui répéter deux fois ce qu'il venait de dire avant qu'elle comprenne. Elle regarda Harry et Ron jouer aux échecs en caressant Pattenrond, perdue dans ses pensées.

Ce fut seulement quand elle fut seule, allongée dans son lit, protégée par les rideaux de son lit à baldaquin, qu'elle s'autorisa à se demander ce que Pansy Parkinson avait bien voulu vouloir dire par "Je ne comprends vraiment pas ce que Drago te trouve."

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Drago


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Drago savait.

Il savait que Rogue savait.

Ils le savaient tous les deux, c'était obligé. Rogue l'avait vu, il avait percé à jour son secret le plus sombre, le plus intime. Drago avait essayé de rester impassible pendant le reste du cours de Potions, mais ses mains n'avaient pas cessé de trembler. Heureusement, Rogue avait décidé d'emmerder Potter, et il n'avait pas croisé son regard sombre pendant le reste de la journée.

Pourtant, ce regard le hantait. Pendant le dîner, la soirée des Serpentards, et même dans son lit, il était hanté par le regard de Rogue. Il l'avait vu. Il avait compris. Sa plus grande peur venait de se réaliser.

Il ne dit rien à ses amis. De toute façon, personne ne connaissait son secret, à part Pansy, et il ne voulait pas lui admettre que Rogue l'avait vu en train d'observer Granger, parce que ça lui donnerait raison sur le fait qu'il n'était pas discret. Alors, il fit semblant que tout allait bien, même s'il était rongé par l'angoisse.

Il évita de regarder Rogue pendant le dîner, et Granger aussi. Il ne mangea pratiquement rien et s'allongea dans son lit le ventre vide, en sachant pertinemment qu'il ferait une insomnie. La potion de Sommeil Sans Rêve de Théo était encore sur sa table de nuit, mais Drago ne la prit pas. Peut-être qu'il voulait se punir lui-même en subissant l'angoisse qui l'habitait depuis le cours de Potions.

Qu'est-ce qui allait se passer, maintenant ? Rogue allait-il le dire à ses parents ? Serait-il renvoyé, envoyé à Durmstrang ? Condamné à étudier dans un collège lointain, éloigné de ses amis, de sa famille, et obligé de suivre les cours avec Viktor Krum, le garçon qu'il détestait le plus en ce moment ?

Il avait le tournis. Il écouta les respirations endormies de Théo et Blaise pour essayer de se calmer. Pour l'instant, il était là, dans le confort de son lit, dans son dortoir familier. Il pouvait sentir l'odeur réconfortante des cachots et entendre le bruit de l'eau qui léchait les fenêtres. Mais la peur de savoir que tout pouvait basculer le paralysait tellement sur place qu'il n'arrivait pas à en profiter.

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Le lendemain, une sortie à Pré-Au-Lard était prévue. Drago refusa d'y aller, prétextant une migraine. Il mourrait d'envie de faire une sieste, car il n'avait pas réussi à bien dormir la veille. Théo n'y alla pas non plus, peu désireux de sortir dans le froid, même si c'était le mois de Mars et que le temps était meilleur que la dernière fois. Il demanda tout de même deux boîtes de chocolats noirs à Blaise.

Blaise, Daphné et Pansy partirent donc tous les trois vers Pré-Au-Lard pendant que Drago et Théo restaient au Château. Drago passa son déjeuner du samedi à vérifier que Rogue ne le regardait pas, mais ce dernier était complètement insensible à la panique de Drago et discutait tranquillement avec la professeure Sinistra.

Granger était partie à Pré-Au-Lard également, mais de toute façon, Drago ne voulait pas aller à la Bibliothèque. Il était beaucoup trop stressé. Il s'imaginait Rogue entrer en trombe et les trouver tous les deux à la même table. Parfois, le visage de Rogue déformé par la rage était remplacé par celui de son père et Drago devait prendre des grandes inspirations pour calmer sa peur.

Il erra donc autour du Lac après le déjeuner pour regrouper ses pensées, puis décida d'aller faire une sieste. Il passa par la Salle Commune des Serpentards, qui était presque vide, puis entra dans le dortoir. Théo était assis sur son fauteuil habituel, les jambes par-dessus l'accoudoir de gauche, le dos adossé contre celui de droite, et une boîte de chocolats noirs d'Honeydukes posée en équilibre à côté de lui. Il dû s'arracher de sa lecture pour se tourner vers Drago, la bouche tâchée de chocolat :

"Je croyais que t'allais à la Bibliothèque ?" demanda-t-il en se resservant un morceau de chocolat.

"Et je croyais que t'y allais, toi." répondit Drago en s'asseyant sur son lit pour enlever ses chaussures.

"Non." dit Théo en lui montrant le livre qu'il était en train de lire, qui avait une couverture bleu marine : un livre moldu.

Théo évitait toujours d'aller à la Bibliothèque quand il lisait ce genre de livres depuis qu'un premier année lui avait demandé si lui aussi était né-moldu en voyant la couverture.

Drago hocha la tête, enleva son pantalon et se glissa sous ses draps. Il ne ferma pas ses rideaux, pour ne pas paraître impoli envers Théo.

"Tu vas faire la sieste ?" demanda Théo en retournant à son livre.

"Oui, j'ai mal à la tête." mentit Drago.

Théo ne répondit rien, probablement pour le laisser s'endormir tranquillement. Drago observa Théo depuis son lit. Il lisait à une vitesse surprenante, il tournait les pages toutes les trente secondes. Bercé par les bruits du bruissement de pages et des sachets en papier que Théo enlevait de ses chocolats, Drago sombra de plus en plus dans le sommeil.

Il regarda son meilleur ami lire à travers ses paupières à demi-fermées, ce qu'il avait fait des centaines de fois. Mais quand il réalisa que c'était peut-être la dernière fois avant qu'il se fasse renvoyer de Poudlard, Drago eut soudain la gorge serrée. Il eut une envie abrupte de pleurer.

Comme s'il était médium, Théo lui demanda gentiment :

"Tout va bien, Drago ?"

"Euh, ouais, ouais."

"Tu veux en parler ?"

Théo était dos à lui, toujours en train de lire son livre. Il avait toujours eu cette capacité à comprendre les sentiments de Drago, même quand il n'en parlait pas. Drago se rappela de la lettre de son père, et du moment où Théo lui avait fait sentir de l'Amortentia.

"On sera toujours potes, hein ?" demanda Drago d'une petite voix. "Même si je fais… Genre, si j'ai fait une grosse connerie, ou un truc comme ça. On sera toujours amis. Hein ?"

Il avait conscience que sa demande était pathétique, mais Théo ne se moquait jamais de lui. Il se tourna calmement vers Drago, les sourcils un peu froncés sous ses cheveux bouclés :

"Qu'est-ce que t'as fait ?" demanda Théo, étonné.

"Rien d'important. Je veux juste savoir. Hypothétiquement." répondit piteusement Drago.

"Bien sûr qu'on sera toujours potes, Drago." promit Théo, comme si c'était évident. "Aucune connerie que tu fais ne pourra m'empêcher d'être ami avec toi, tu le sais."

Drago hocha la tête. Théo lui fit un petit sourire, et retourna à son livre. Au bout de plusieurs minutes de silence, il demanda :

"Tu veux que je te raconte de quoi parle mon livre ?"

Drago accepta. Il voulait une distraction, quelque chose qui le sorte de ses pensées noires. Dobby avait souvent fait ça, quand il était petit, lui lire des histoires avant de dormir. Il ne lui avait jamais dit, mais Drago avait adoré. Parfois, ça lui manquait même un peu.

Théo commença à lui raconter son bouquin, qui avait l'air franchement nul. Ça parlait d'un fils de fermier qui devait reprendre l'entreprise de son père, mais lui, sa vraie passion, c'était la musique, alors il partait en secret dans des restaurants miteux pour chanter. Et un jour, un producteur d'albums le remarque et lui propose un contrat, mais le fils du fermier hésite, parce qu'il ne veut pas décevoir son père. Drago s'endormit quand Théo commença à exposer ses théories sur la fin du roman.

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Drago profita de la soirée des Serpentards du samedi pour boire le plus possible. Quand il était ivre, il s'endormait plus facilement, et il ne rêvait pas. Du moins, il ne cauchemardait pas de son père qui venait le chercher à Poudlard, les yeux révulsés par la rage.

Théo, Blaise et Pansy virent probablement que Drago n'allait pas bien, mais ils eurent la décence de l'ignorer pour le moment. Vers 4h du matin, Drago s'évanouit dans le canapé, et Blaise le ramena au dortoir sans faire de réflexion. Pourtant, Drago était sûr qu'il se retenait.

Drago pensait être tiré d'affaires. Peut-être que Rogue n'avait rien remarqué. Ou peut-être qu'il avait remarqué, mais qu'il avait décidé de faire semblant de n'avoir rien vu. Drago n'était pas sûr de savoir s'il était capable de vivre avec le stress que lui procurait la seconde option. Il n'avait pas très envie de boire tous les soirs pour oublier son angoisse.

Il fut fixé dès le dimanche matin, au petit-déjeuner. Quand un hibou atterrit en face de son assiette, il s'attendait à voir Ébène, mais c'était un hibou de l'école, un petit aux plumes noires. Un bout de parchemin était accroché à ses pattes.

Drago le décrocha et l'ouvrit à l'abri des regards. Théo et Blaise étaient tous les deux en train de lire le journal et ne lui prêtaient pas d'attention. Pansy n'était pas venue au petit-déjeuner parce qu'elle évitait Léo.

Le mot était court. Dès qu'il reconnut l'écriture de son professeur de Potions, Drago pâlit.

"Cher Drago,

Vous êtes attendu dans mon bureau ce dimanche, à 18h.

Signé : Professeur Rogue."

Drago déglutit en relisant plusieurs fois la note, mais les quelques mots que Rogue avait utilisés ne permettaient pas de comprendre grand chose. Drago replia hâtivement le papier et but son jus de citrouille, comme si tout était normal, comme si ses entrailles n'étaient pas en train de se serrer douloureusement.

La journée se passa dans une lenteur insupportable.

Drago essaya de ne pas regarder Granger pendant toute la journée. En plus, comme si Merlin en personne lui en voulait personnellement, elle portait des nattes, une coiffure que Drago adorait secrètement. Il alla à la Bibliothèque avec Théo pour faire son essai de Botanique, et évita de regarder dans la direction de la table reculée, cachée par les étagères, où il était sûr que Granger était en train de lire.

Pendant toute l'après-midi, Drago se demanda ce que Rogue lui voulait. Pour la première fois, Drago réfléchit à la relation qu'il avait avec son professeur de Potions.

Rogue avait toujours favorisé les Serpentards et haï publiquement les Gryffondors, en particulier Potter, Granger, Weasley et Londubat. Il savait qu'il était proche de ses parents, sans pour autant les considérer comme des amis. Il l'avait aperçu plusieurs fois avant Poudlard dans des dîners de Sang-Purs, et Rogue s'était toujours montré comme étant parfaitement cordial, sans être très démonstratif. Et, il lui avait souvent répété qu'il avait un talent pour les Potions, ce que Drago avait toujours apprécié.

Mais depuis que Rogue avait compris son secret, Drago n'avait aucune idée de ce qu'allait advenir de leur "lien". Il ne connaissait suffisamment pas assez Rogue pour savoir ce qu'il avait derrière la tête, et ça le rendait fou d'inquiétude.

À 17h30, Drago avait épuisé toutes les possibilités de ce que Rogue lui réservait pendant cette entrevue. Il avait imaginé tous les scénarios : que Lucius se tienne à côté de lui lorsqu'il ouvrira la porte, que Granger soit convoquée aussi, ou même que Rogue le confronte en duel (peu probable, mais toujours possible).

Blaise et Théo prirent place dans les fauteuils habituels de la Salle Commune. Théo sortit un livre et Blaise se mit à discuter avec Daphné, un grand sourire aux lèvres. Drago les enviaient d'être aussi détendus. Il pouvait entendre son propre cœur battre contre sa gorge sans même vérifier. Il se tritura les mains en attendant que l'heure fatidique arrive, en observant ses deux meilleurs amis comme si c'était la dernière fois.

À 17h55, Drago se leva. Personne ne lui demanda où il allait. Il partait tellement souvent sans un mot que c'était devenu une habitude. De toute façon, il n'aurait révélé à personne où il allait.

Il sortit dans le couloir des cachots et remonta jusqu'au bureau de Rogue. Il resta immobile devant, obligé de contrôler sa respiration au risque de faire une crise de panique avant même d'entrer, puis il toqua et pria Merlin que Lucius ne soit pas dans le bureau.

"Entrez." appela la voix de Rogue à travers la porte.

Drago ouvrit et ressentit un profond soulagement en voyant que Rogue était seul. Pourtant, le regard noir de son professeur n'avait rien d'accueillant. Drago ne dit rien et alla s'asseoir sur la seule chaise en face du bureau, en évitant de le regarder dans les yeux au risque de dévoiler ses peurs.

"Bonsoir Drago." dit Rogue de sa voix profonde et grave, qui s'incrusta en Drago comme un écho.

"Bonsoir Professeur." répondit le blond, en essayant de ne pas faire trembler sa voix.

"Tout d'abord Drago, je souhaiterais vous rassurer." annonça Rogue. "Personne n'est au courant de ce rendez-vous. Je n'ai prévenu personne."

Drago relâcha une petite expiration bloquée dans ses poumons. Il évitait toujours de regarder son directeur de Maison et préféra donc fixer le bois sombre du bureau.

"Drago. Regardez-moi." dit Rogue, plus doucement cette fois.

Il consentit. Il plongea son regard dans celui de son professeur et essaya de ne rien montrer sur son visage. Le silence s'étira. Rogue observa Drago sans un mot, puis, il dit dans un murmure :

"Drago, je sais ce que vous ressentez. Pour Miss Granger."

Drago avait, depuis le vendredi, préparé tout un discours dans sa tête au cas où Rogue aurait réellement compris. Un discours tout prêt, où il jouerait un rôle faussement choqué, scandalisé que son professeur puisse penser ça de lui, où il nierait tout en bloc.

Mais au moment où Rogue prononça ses mots, le discours s'évapora de son esprit. Ça ne servait à rien de mentir. Rogue savait.

"S'il vous plaît, Professeur…" dit Drago d'une voix brisée par la nervosité. "S'il vous plaît, ne dîtes rien à personne, si mes parents l'apprennent… Je… Ils me renieraient…"

Dans un flash, il imagina le visage de sa mère, honteuse, qui ne pourrait même plus poser les yeux sur lui en apprenant son attirance pour une Sang-de-Bourbe. Un sanglot éclata au fond de sa gorge et il dû se retenir de toutes ses forces pour ne pas laisser des larmes couler.

"Ce n'est qu'une passade…" continua Drago dans un balbutiement. "Je vous le promets, je ne ressens rien pour elle, juste de la curiosité, rien de plus, si quelqu'un l'apprenait… Si mon père l'apprenait…"

Une larme coula, puis deux, puis trois. Il n'arrivait pas à croire qu'il était en train de pleurer devant son professeur de Potions. Il brisa le contact visuel pour la première fois depuis que Rogue lui avait demandé, et s'essuya rapidement les joues.

"Je ne dirai rien à personne, Drago." souffla Rogue, si bas que Drago crut rêver.

"Quoi ?"

"Je ne dirai rien à personne." répéta Rogue. "Votre secret sera gardé avec moi."

Drago ouvrit la bouche de surprise. De tous les scénarios qu'il avait imaginé depuis la lettre du matin-même, jamais celui-là n'avait été considéré. Il n'aurait jamais pensé que Rogue puisse se montrer aussi compréhensif. Il renifla et s'essuya de nouveau les yeux pour chasser ses dernières larmes :

"Vraiment ? Vous ne direz rien à mon père ?" demanda Drago.

"Lucius est un homme que j'apprécie beaucoup, mais il y a des sujets sur lesquels je ne suis pas d'accord avec lui. La pureté du sang en fait partie." expliqua calmement Rogue. "Je doute que votre père se montrerait clément s'il apprenait… cette nouvelle."

Drago confirma d'un hochement de tête. "Clément" était un euphémisme, son père serait absolument fou de rage s'il apprenait que Drago avait une attirance pour cette fille.

"Est-elle au courant ?" demanda Rogue.

Drago mit du temps avant de comprendre qu'il parlait de Granger. Il fit "non" de la tête. Rogue inspira profondément et posa ses mains sur le bureau.

"Avez-vous déjà entendu parler de l'Occlumancie, Drago ?"

Drago refit "non" de la tête. Rogue se leva subitement de son bureau pour s'approcher de la cheminée, en faisant virevolter sa cape noire autour de lui. Il expliqua d'une voix grave :

"L'Occlumancie est l'art de savoir fermer son esprit d'une intrusion extérieure performée par un Legilimens, c'est-à-dire quelqu'un qui a la capacité d'entrer dans les esprits. C'est une branche de la magie complexe, obscure, qui nécessite une force mentale élevée, et un certain don que de nombreuses personnes ne possèdent pas."

Drago encaissa ses paroles sans comprendre.

"Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom est un Legilimens, peut-être même le plus fort qui n'a jamais existé. Il peut non seulement pénétrer et lire des souvenirs choisis dans l'esprit des gens, mais également modifier leurs pensées à sa guise."

La tête de Drago valsa brusquement en direction de son professeur, qui n'avait pas cillé en disant cela et se tenait toujours parfaitement droit près de la cheminée.

"Vous voulez dire que… Le Seigneur des Ténèbres est capable d'entrer dans les esprits pour voir ce qu'il veut ?" demanda Drago.

Une peur panique l'envahit immédiatement. Si le Seigneur des Ténèbres lisait dans son esprit, il pourrait facilement voir Granger. Elle occupait toutes ses pensées.

"Non ! Je ne veux pas !" contesta tout de suite Drago. "Comment je peux bloquer mes pensées ? Comment je peux apprendre l'Occlumancie ?"

Les yeux noirs de Rogue s'illuminèrent soudain d'une lueur de satisfaction, avant de redevenir fermés.

"Je peux vous aider, Drago." répondit Rogue. "Je peux vous aider à fortifier votre esprit avec l'Occlumancie. Votre secret sera gardé, ainsi que toutes les pensées indésirables que vous souhaitez enfouir dans votre cerveau. Si vous travaillez l'Occlumancie, vous serez protégé."

Drago considéra ces paroles. Il n'avait jamais entendu parler de cette branche de la magie, mais elle lui donnait envie. Il ne serait plus constamment habité par la peur de se dévoiler. Il pourrait se protéger de son père, et même du Seigneur des Ténèbres si besoin. Personne ne pourra connaître ses vrais sentiments.

"Connaissez-vous d'autres Legilimens ?" demanda Drago après plusieurs secondes de réflexion.

Rogue haussa les sourcils en entendant sa question.

"Votre père n'en est pas un, si c'est ce que vous voulez savoir." répondit-il. "Albus Dumbledore est un très grand Legilimens, tout comme l'était Salazar Serpentard. Je prétends l'être aussi, bien que mes compétences soient beaucoup plus élargies dans le cadre de l'Occlumancie. Et votre mère, également."

Drago fronça les sourcils.

"Ma mère ?" répéta-t-il.

"Oui. Cela fait partie des traditions de la famille Black, je crois, d'enseigner et d'apprendre les arts de la Légilimancie et de l'Occlumancie. Ils sont même supposés avoir un don, qui se transmettrait de génération en génération."

Un souvenir en particulier émergea alors de la mémoire de Drago. Il remontait à plusieurs années, avant qu'il soit à Poudlard. C'était un dîner au Manoir avec ses deux parents, qui se disputaient au sujet de sa future éducation. Lucius refusait qu'il aille à Poudlard, et Narcissa ne voulait pas qu'il aille à Durmstrang. Drago se souvint précisément du moment où Lucius avait brandi sa fourchette vers Narcissa en criant "arrête d'Occluder et réponds-moi, Merlin ! J'ai l'impression de parler avec un mur !"

Comme il n'avait pas parlé depuis plusieurs secondes, Rogue contourna la cheminée pour se remettre à son bureau, en face de Drago.

"Je peux vous aider, Drago. Je peux vous enseigner l'art de l'Occlumancie, et si vous le travaillez suffisamment, si vous y mettez du vôtre, vous pourrez réussir à contrer les attaques des Legilimens."

"Et qu'est-ce que vous voulez, en échange ?"

Rogue était un Serpentard, après tout. Drago avait appris à ne jamais faire de deal sans connaître toutes les conditions, et il y avait toujours des conditions, chez les Serpentards. Pourtant, Rogue parut surpris par cette demande.

"Je vous demanderai simplement de vous impliquer." répondit-il. "De faire les exercices que je vous demande. Vous viendrez un soir par semaine, le jeudi, après vos cours, pour travailler avec moi. Vous n'aurez qu'à dire que vous prenez des cours avancés de Potions."

Drago hocha la tête. Il pouvait faire ça. Il était en avance sur tous ses devoirs, et il était intrigué par cette branche de la magie rare. Si Rogue voyait du potentiel en lui, il voulait saisir cette chance.

"J'ai une dernière question." dit-il, avant d'accepter l'offre de Rogue.

"Je vous écoute."

"Est-ce que vous avez pratiqué la Légilimancie, pendant le cours de Potions de vendredi ? Pour savoir ce que j'éprouvais pour… Pour Granger ?"

Il fut terrifié de la réponse. Terrifié que Rogue puisse avoir lu ses pensées librement, en plein milieu d'un cours. Heureusement, son professeur secoua la tête :

"Non. Vous l'auriez senti. Et la Légilimancie ne consiste pas à lire les pensées qui passent dans votre esprit au moment où l'on y pénètre, c'est plutôt un moyen de trouver une pensée particulière, un sentiment, ou même un souvenir précis."

"Alors, comment l'avez vous su ?" demanda Drago.

Rogue mit du temps avant de répondre. À chaque fois qu'ils se parlaient, Drago avait l'impression de jouer une partie d'échecs compliquée. Comme si chaque phrase était pesante. Il attendit donc que Rogue choisisse ses prochains mots avec précaution.

"Je l'ai vu dans vos yeux." répondit-il finalement.

Drago eut un bref sentiment de gêne. Le fait de pouvoir être lu aussi facilement le mettait mal à l'aise. Rogue ajouta :

"Grâce à l'Occlumancie, vous serez moins facile à deviner."

"Alors, j'accepte."

Rogue eut l'ombre d'un sourire avant de se refermer complètement. Drago se demanda si ce n'était pas grâce à l'Occlumancie que le visage de Rogue ne trahissait jamais ses véritables émotions.

"Bien. Alors, nous allons commencer dès à présent, et vous reviendrez tous les jeudis à 18h tapantes pour une heure d'apprentissage. Levez-vous."

Drago se leva en se cognant les cuisses contre le bureau. Il ne s'était pas rendu compte que ses jambes tremblaient.

"Mettez-vous en face de moi." dit Rogue qui se tenait à côté du bureau.

Il obéit et se plaça à deux mètres de son professeur. Il s'attendait à ce que Rogue lui explique plus amplement la matière, mais il fut pris de court en le voyant sortir sa baguette. Il n'avait peut-être pas tort, finalement, concernant le duel.

"Fermez les yeux, concentrez-vous." ordonna Rogue d'une voix doucereuse. Drago fit ce qu'il demanda. "Videz votre esprit. Ne pensez à rien."

Drago essaya, mais se rendit compte très vite qu'il était difficile de ne penser à rien. Il était toujours stressé par le fait que Rogue savait. Dès qu'il essayait de vider son esprit, une image aléatoire apparaissait. Soudain, alors qu'il pensa à Pansy sans raison, Rogue prononça :

"Legilimens !"

Drago sentit une douleur dans sa tête, comme si on versait du liquide brûlant dans son cerveau. Puis, tout à coup, sa vision trembla et son esprit dévoila des images. Il vit Théo, assis sur son fauteuil de prédilection, un livre dans les mains et les traits froncés par la concentration. Il vit Blaise, qui riait en faisant un looping avec son balai, dans son jardin. Il vit Pansy, qui appliquait du rouge à lèvres noir devant le miroir de leur dortoir. Elle se tourna vers lui et sourit en agitant sa main devant ses yeux.

L'image se dissipa et Drago grimaça quand Rogue se retira de son esprit embrumé.

"Vous avez une certaine résistance." reconnut Rogue en abaissant sa baguette.

"Vous avez vu mes souvenirs ?" demanda Drago, éberlué.

"Oui. Je n'ai pas cherché à les sélectionner, j'ai simplement laissé votre esprit me montrer ce qu'il voulait. Si je cherchais un souvenir, une image ou une pensée en particulier, je devrais creuser dans les couches de votre esprit plus ou moins profondes pour le récupérer."

Drago se massa machinalement la tempe. Il avait l'impression que son cerveau avait surchauffé. Cependant, il ne se découragea pas et referma les yeux, préparé à l'intrusion cette fois.

"Très bien." flotta la voix de Rogue autour de lui. "Ne pensez à rien. Videz-vous de toute émotion."

Drago inspira pour essayer de se détendre. Quand il entendit Rogue prononcer le sort, il ne bougea pas.

Il sentit la chaleur se répandre dans sa tête. Puis, des images successives : la façade du Château pendant la nuit. Dobby qui se brûlait les oreilles après avoir mal nettoyé une assiette. Daphné Greengrass et sa sœur qui marchaient côte à côte dans le parc de Poudlard.

Il laissa les images défiler en restant calme. Au bout d'un moment, elles prirent plus de temps à défiler. Il continua d'inspirer et d'expirer lentement.

L'intrusion de Rogue fut alors plus profonde, comme si une aiguille perçait les couches de son cerveau une par une. Drago n'arrivait pas à le repousser, ni à l'empêcher de fouiller parmi les images plus privées : Pansy qui fumait à côté de la serre de Botanique, la tête penchée en arrière. Lui-même qui pleurait en boule dans son lit après que son père lui ai hurlé dessus. Granger sur le quai de la gare, avec la famille Weasley, et lui qui s'éloignait, en ressentant une profonde tristesse de ne pas la voir pendant deux mois d'été…

Soudain, la vision de Drago revint, et il vacilla légèrement. Rogue le regardait avec un mélange d'étonnement et d'admiration.

"Vous avez réussi à me repousser. Vous avez voulu faire ça ?"

"Non, enfin, je ne crois pas." bégaya Drago qui s'appuya sur le bord du bureau pour ne pas perdre l'équilibre. "Je ne voulais pas que vous alliez plus loin."

"J'ai poussé un peu en voyant votre capacité à rester calme. Jeudi prochain, vous essayerez de me repousser, et une fois que vous aurez réussi à faire ça, je vous apprendrai à enfouir les souvenirs que vous voulez garder, pour les mettre dans une partie de votre esprit plus lointaine et difficile d'accès."

"D'accord." dit Drago, légèrement essoufflé.

"Mais c'est un très bon début. J'ai rarement vu une force mentale de cette ampleur chez quelqu'un d'aussi jeune. En attendant le prochain cours, essayez de vider votre esprit de temps en temps, et méditez avant de dormir."

"Je dois méditer ?" demanda Drago, surpris par une telle requête. On aurait dit un devoir donné par la professeure de Divination de Pansy.

"Oui." confirma Rogue, qui s'assit de nouveau derrière son bureau. "Je vous verrai jeudi à 18h. Vous pouvez aller dîner."

Rogue commença à sortir un tas de parchemin et fit un geste de la main pour congédier Drago. Ce dernier remercia son professeur et quitta la pièce. Il retourna à la Salle Commune, légèrement tremblant. Il avait conscience qu'il avait raté le dîner, mais il n'avait aucune envie de manger. L'intrusion mentale du professeur Rogue l'avait rendu fiévreux.

Quand il entra dans la Salle Commune, il fut surpris de voir que la fête à laquelle il s'attendait ne ressemblait à rien à ce qu'il avait prévu. Les élèves étaient tous assis par terre ou sur les canapés, et aucun d'entre eux ne dansait. Ils étaient tous tournés vers le centre de la pièce, où Pansy était debout, son rouge à lèvres noir un peu effacé et les collants déchirés. Elle criait sur quelqu'un, et ce fut que quand Drago entra complètement dans la Salle qu'il réalisa que c'était Léo.

"Je fume si je veux ! Je bois si je veux !" criait Pansy. "Tu n'es personne pour me dire quoi faire ! Si je voulais être avec quelqu'un qui me reproche autant de choses, je sortirais avec mon père !"

"Je ne te demande pas d'arrêter, je te demande simplement de contrôler un peu !" répliqua Léo en criant, lui aussi. "Tu passes ta journée à enchaîner les cigarettes et tes soirées à boire !"

"Ça fait dix minutes qu'ils se disputent comme ça." expliqua Théo, qui s'était glissé entre les gens pour se mettre à côté de Drago. "Ça a commencé quand Léo lui a pris son gobelet des mains."

Drago haussa les sourcils. Pansy était vraiment très énervée, elle tapait même du pied de mécontentement. Ça faisait quelques jours qu'elle répétait sans cesse qu'elle n'en pouvait plus de Léo, donc Drago s'était attendu à ce qu'une dispute éclate entre eux. Il n'avait pas prévu qu'elle se déroule au beau milieu de la Salle Commune.

"Je ne me suis pas mise avec toi pour que tu me dictes quoi faire !" hurla Pansy en pointant un doigt accusateur sur la poitrine de Léo.

"Je ne te dicte rien du tout !" répliqua-t-il, tout aussi furieux. "J'essaie simplement de t'aider ! Tu ne supportes juste pas quand quelqu'un te donne des conseils, ou te tende la main, tu rejettes tout ! Je pense que tu as de sérieux problèmes, Pansy !"

En entendant ça, les traits de Pansy se déformèrent par la rage et elle se jeta sur Léo pour l'asséner de coups de poing. Heureusement, Blaise se précipita sur elle juste avant et la retint en l'encerclant avec ses bras.

"Tais-toi ! Tais-toi !" hurlait Pansy en se débattant de l'emprise de Blaise, sans succès. "C'est fini entre nous ! Je te quitte !"

"Très bien ! Je ne voulais plus être avec une camée de toute manière !"

Cette fois-ci, Blaise desserra sa prise et jeta Pansy dans les bras de Daphné pour se placer devant Léo. Il le surpassait en taille, tellement que ça rendait la scène presque comique.

"Répète un peu ça ?" menaça Blaise en posant le bout de son doigt sur le torse de Léo, pour le faire reculer. "Répète ce que tu viens de dire ?"

"J'ai dit que ta pote était une camée, et une alcoolique en plus de ça !" dit Léo en essayant de repousser Blaise.

"Oula…" commenta Théo. "Blaise ne va pas app…"

Il ne finit pas sa phrase, parce qu'elle fut interrompue par le coup de poing monumental que Blaise asséna contre la mâchoire de Léo. L'impact fut tellement brutal que le bruit qui l'accompagna résonna contre les murs de pierre. La Salle Commune éclata en un "oh !" sonore.

Léo fut projeté en arrière et tomba contre un rebord de canapé. Il se releva, et Drago grimaça en voyant que sa mâchoire était disloquée. Ça lui donnait une tête affreuse. Il eut l'intelligence de ne pas rendre le coup.

Blaise était, en apparence, calme, même si Drago pouvait facilement percevoir la colère émaner de son corps. Il était prêt à se battre, les jambes légèrement écartées pour parer les coups, comme il lui avait appris des années plus tôt. Son regard était noir et bouillonnant de colère.

Léo finit par capituler. Il jeta un regard noir à Blaise, puis à Pansy derrière lui, et se réfugia dans son dortoir en se tenant la bouche.

Tout le monde retourna vaquer à ses occupations. Pansy et Blaise finirent par s'asseoir dans le canapé derrière eux, celui qu'ils occupaient tout le temps. Quand Drago et Théo arrivèrent à leur tour, Blaise se massait les phalanges avec un air renfrogné.

"Ça va ?" demanda Théo avec inquiétude, en prenant place dans son fauteuil.

"Ce gars en méritait un deuxième." marmonna Blaise.

Blaise avait toujours mis un point d'honneur à respecter les bonnes manières. Et insulter une femme était pour lui un outrage à ne jamais dépasser. En le voyant, Drago devina qu'il était en train de se demander s'il ne devait pas aller chercher Léo dans son dortoir pour aller lui foutre une raclée.

"Et toi Pansy, ça va ?" demanda Drago.

Pansy hocha la tête. Elle avait déjà allumé une cigarette sur laquelle elle tira longuement avant de répondre :

"Ça faisait des jours que j'attendais ça. Je ne pouvais plus me le blairer."

Elle écarta une mèche de cheveux noire avec son doigt et reprit une taffe de cigarette. Elle était parfaitement calme, rien ne trahissait qu'elle venait de hurler sur quelqu'un quelques secondes plus tôt.

Drago comprit à cet instant que cette dispute n'avait en fait rien d'anodin : Pansy avait simplement attendu le moment où elle pourrait plaquer Léo pour que tout le Château l'apprenne. Il avait toujours été une distraction, une manière de faire oublier aux gens qu'elle avait eu un crush sur Drago. Maintenant que tout le monde avait oublié, elle était libre de quitter Léo, et tout le monde ne parlerait plus que de ça pendant quelques jours.

Il trouva ce plan ingénieux. En fait, il pouvait déjà voir des filles de deuxième année chuchoter dans un coin en la pointant du doigt.

"Tant mieux, parce que je ne pouvais plus le blairer non plus." avoua Théo avec un sourire.

"Moi non plus." dit Blaise, plus sèchement.

"Moi non plus." admit Drago.

Pansy haussa les épaules en souriant :

"Alors, tant mieux. Trinquons à ça."

Elle servit cinq verres à shot, et ils trinquèrent tous ensemble en scandant "à la rupture avec Léo Hills !", puis burent le xérès d'un coup sec. Théo toussota mais but le shot en entier. Quand Blaise se resservit, probablement pour faire passer la colère, Drago fit de même.

Au bout d'une vingtaine de minutes, Théo alla se coucher. Pansy, Blaise, Drago et Daphné restèrent autour de la table basse à discuter. Drago se sentait toujours dans les vapes à cause de l'Occlumancie, mais l'alcool avait l'air d'aider. Il enchaîna quelques shots avec Pansy, qui profita de sa rupture pour se saouler le plus possible. Elle lui raconta tous les derniers ragots, et ils fumèrent une cigarette ensemble.

À la fin de la soirée, Drago se sentit beaucoup mieux. Probablement grâce au fait que Pansy avait agi exactement comme d'habitude et qu'il n'avait pas senti cette tension étrange qui s'était instaurée entre eux depuis le début de l'année. Il alla se coucher le premier, à cause d'un vrai mal de tête, cette fois.

Il ouvrit la porte du dortoir, s'attendant à ce que les rideaux de Théo soient tirés et que la chambre soit plongée dans le noir. Mais ce ne fut pas le cas : tout était encore allumé, et Théo était assis dans son lit. Au moment où Drago entra, et qu'il allait demander à Théo pourquoi il ne dormait pas encore, Drago entendit un bruit étrange, comme un soupir étranglé.

Quand il se tourna vers Théo, il réalisa qu'il était en train de pleurer.

Il était assis en tailleur sur son lit, un livre posé entre ses jambes. Il pleurait à chaudes larmes. Quand il vit Drago entrer, il n'essuya même pas ses joues.

"Oh. Salut." dit-il d'une voix enrouée.

Drago se figea, la main toujours sur la poignée de la porte. Drago n'était pas très fort pour parler de ses émotions, et encore moins de celles des autres. Il ne savait jamais quoi dire pour consoler les gens. Et le fait de voir Théo pleurer le prit totalement par surprise.

"Euh… Ça va ?" demanda-t-il, bien que la réponse était évidente.

"Ouais, ouais. C'est mon livre."

Théo essuya son nez avec la manche de son pyjama. Quand il pleurait, il ressemblait au Théo de première année. Drago n'avait jamais remarqué à quel point ses traits avaient changé en grandissant. En le voyant pleurer comme ça, il fut frappé par la différence. Il avait l'air du même petit garçon renfermé que Drago avait rencontré quatre ans plus tôt.

"Ton livre ?" répéta Drago.

Il reconnut la couverture, c'était le livre sur le fils de fermier que Théo lui avait raconté samedi dernier. Il en était presque à la fin, maintenant. Drago ne comprenait pas comment c'était possible de pleurer en lisant des pages. Surtout des pages d'un livre moldu.

"Ouais. C'est la honte, hein ?" dit Théo avec un rire qui sonna faux et creux. "Pleurer pour un livre."

Il eut un second rire qui se mêla à un sanglot et il baissa la tête. Drago voulut répondre que oui, mais ne le fit pas. Les mots se bloquèrent au niveau de sa gorge.

Théo avait toujours été plus sensible que les autres, et il n'avait jamais vraiment eu honte de pleurer. Drago avait toujours fui, cependant. Ça le mettait mal à l'aise. Finalement, il était peut-être un peu envieux. Du fait que Théo puisse être assez confiant pour pleurer quand il en avait besoin. Drago se retenait à chaque fois, pour ne pas paraître faible, pour ne pas décevoir son père, même s'il était à des centaines de kilomètres de lui.

"Tu veux que j'aille te chercher Blaise ?" proposa Drago, qui était toujours immobile.

Blaise saurait quoi faire. Il avait toujours les mots justes.

"Non, ça va." dit Théo en reniflant une dernière fois.

Il y eut un silence, et Drago repensa au samedi dernier. Quand Théo avait réussi à le consoler, sans même qu'il sache ce qui n'allait pas. Alors, Drago lâcha la poignée de la porte et entra dans la pièce, au lieu de fuir comme il l'aurait fait avant.

Théo parut surpris mais ne dit rien. Drago alla s'asseoir sur son lit pour enlever ses chaussures, en face du lit de Théo.

"Tu pleures à cause du choix du fils du fermier ?" demanda-t-il, pour faire la conversation. "Il n'a pas choisi la musique, finalement ?"

"Si, si. C'est justement ce qu'il a choisi. Il va partir pour une école de comédie musicale." dit Théo.

"Alors, pourquoi tu es triste ? C'est ce que tu voulais, non ?"

"C'est à cause du père." dit Théo, qui évitait de regarder dans la direction du lit de Drago.

"Oh." dit Drago, qui essaya d'imaginer ce qu'il pouvait se passer pour que ça fasse pleurer Théo. "Il le frappe, c'est ça ? Il ne veut pas qu'il parte ?"

"Non, au contraire." dit Théo avec un nouveau petit sanglot. "Il lui dit qu'il comprend. Et qu'il l'aime. Et que c'est le plus important. Que peu importe ce qu'il décidera de faire, il l'aimera toujours."

Théo leva ses yeux embués de larmes. Drago ne sut quoi répondre. Il ne s'était pas attendu à ça, et encore moins à ce que la phrase de Théo lui fasse un pincement au cœur. Son propre père ne lui avait jamais dit ça. Il ne lui avait jamais dit qu'il l'aimait assez pour qu'il le soutienne coûte que coûte. Et il savait que le père de Théo non plus.

Il ne pensait pas que les Moldus puissent être aussi forts pour poser des mots sur un manque qu'il ressentait.

Il déglutit et essaya de ne pas paraître secoué. C'était Théo qui avait besoin d'aide, pas l'inverse. Il voulait le consoler comme il le faisait si souvent. Mais il ne réussit pas à répondre assez vite avant que Théo lève ses mains en parlant un peu trop fort :

"Enfin, c'était stupide. Désolé de t'avoir embêté avec ça. Ça doit être la fatigue. Ce livre est vraiment bête, hein ? Je crois que je vais l'arrêter. À demain, Drago !"

Drago hocha la tête et murmura un "bonne nuit", juste avant que Théo ne ferme ses rideaux, réduisant la pièce au silence complet.

Et quand Drago eut fini sa toilette, il remarqua que Théo avait quand même pris le livre avec lui dans son lit.

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Hermione


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Le mardi matin, Hermione se réveilla de très mauvaise humeur.

La veille, elle s'était disputée avec Ron au sujet des elfes de maison maltraités de Poudlard. Ça avait commencé par une simple visite aux cuisines pour donner un cadeau à Dobby, et ils y avaient fait la rencontre de Winky, l'elfe de maison de Croupton. Elle était dans un sale état. Elle n'arrêtait pas de boire de la Bièraubeurre et de pleurer. Hermione ne comprenait pas comment les elfes pouvaient être tristes d'être libérés. Peut-être qu'elle devrait faire des recherches sur le syndrome moldu de Stockholm.

Ron et elle s'étaient alors pris la tête sur la condition désastreuse des elfes de maison. Et comme d'habitude, Ron n'avait pas voulu voir plus loin que le bout de son nez. Le bout de son nez étant les plats préparés par les elfes, qui risquaient d'être beaucoup moins bons maintenant qu'Hermione avait fait un "scandale" dans les cuisines.

En plus de ça, Drago n'était pas venu à leur table, à la Bibliothèque, depuis vendredi dernier. Il était venu la veille, mais il s'était assis avec Théodore Nott pour travailler avec lui. Hermione ne savait pas quoi penser de ça. Il savait qu'elle était assise à leur table, mais il faisait exprès de ne pas venir. Pourtant, il n'avait pas l'air énervé.

Elle était allée sur leur banc le soir, mais il n'était pas venu. Et Hermione était énervée contre elle-même d'être aussi peinée pour ça.

Elle était donc de mauvaise humeur en se levant, en s'habillant, et en essayant de brosser ses cheveux indomptables. Elle repensait à ce que Ron avait dit, deux jours auparavant, "Tu n'aurais pas pu la fermer, Hermione ? Ils ne voudront plus qu'on vienne les voir, maintenant !" et elle avait envie d'hurler de protestation. Il était tellement injuste. Même Drago, qui avait vécu avec des elfes toute sa vie, n'était pas aussi médisant.

Au petit-déjeuner, elle préféra ignorer Ron. Il avait l'air beaucoup plus enjoué qu'elle malgré leur dispute, et elle ne voulait pas embarrasser Harry en remettant ça sur le tapis. Elle préféra donc lire son livre d'un œil, et de manger ses œufs sur le plat de l'autre.

Quand les hiboux arrivèrent, Hermione fut surprise de voir que l'un d'eux se posa devant elle. Pourtant, ce n'était pas celui de la Gazette des Sorciers, ni celui que ses parents utilisait pour envoyer des lettres. Elle voulut prendre le parchemin accroché à sa patte, mais un, deux, trois et quatre autres hiboux se posèrent devant elle dans des atterrissages plus ou moins bien contrôlés.

"Euh, Hermione ? Tu as pris combien d'abonnements à la Gazette, au juste ?" demanda Harry par-dessus les cinq chouettes qui piaillaient entre eux.

"Qu'est-ce que c'est que tout ça ?" demanda Hermione en décrochant la lettre du premier hibou.

Elle l'ouvrit et écarquilla grand les yeux en lisant la seule phrase qui était écrite. La personne avait découpé des lettres du journal pour ne pas se faire reconnaître :

"EsPèCE de déVergOndée. HaRRy PottEr mérIte Mieux que toI. RetOurne cheZ les MOldUs."

Hermione tendit la lettre aux garçons, qui furent aussi surpris qu'elle. Tandis que d'autres hiboux atterrissaient, Hermione décrocha les lettres au fur et à mesure et bégaya d'incompréhension en les lisant successivement :

"Harry Potter vaut beaucoup mieux que tes semblables", "Tu mérites qu'on te fasse bouillir avec des œufs de grenouille", "Tu joues avec le coeur du garçon le plus…"

Hermione n'eut pas le temps de finir de lire la dernière, parce que du jus vert et poisseux coula soudain du papier et se versa sur ses doigts. Elle ressentit une douleur aiguë lui transpercer la main et elle glapit de douleur en lâchant la lettre.

"C'est du pus de Bubobulb !" dit Ron avec une grimace. "Et non dilué, en plus !"

"Aïe !"

Hermione regarda ses mains : ses doigts avaient triplé de volume, et étaient maintenant couverts de cloques. Elle étouffa un juron.

"Tu ferais mieux d'aller à l'infirmerie !" conseilla Harry avec un soupçon d'inquiétude dans la voix en constatant l'état des mains d'Hermione.

Hermione acquiesça et se leva rapidement. Les cloques grandissaient à chaque seconde, et leur gonflement était tellement douloureux qu'Hermione devait se mordre l'intérieur de la joue pour ne pas crier.

Elle courut jusqu'à l'infirmerie. Quand elle la vit à l'entrée, Madame Pomfresh ne cacha pas son étonnement.

"Miss Granger ! Qu'est-ce que vous faîtes là si tôt ?"

"J'ai reçu du pus de Bubobulb sur les mains…" expliqua-t-elle en lui montrant ses doigts enflés.

Madame Pomfresh lui posa des questions, et Hermione dû expliquer qu'elle l'avait reçu dans un courrier, sans trop donner de détails. L'infirmière finit par la conduire vers un lit, pour pouvoir lui appliquer une crème. Hermione se fit la réflexion qu'elle avait suffisamment vu l'intérieur de cette infirmerie pour dix ans.

Elle attendit l'infirmière, qui revint avec un pot de crème blanche qu'elle appliqua sur les mains d'Hermione jusqu'aux poignets. Le contact de la crème était frais et apaisant. Elle en rajouta une couche, pour faire dégonfler les cloques, puis elle les enveloppa de bandages.

À la fin, les mains d'Hermione étaient complètement bandées. Elle ne pouvait presque plus bouger ses doigts. Madame Pomfresh insista pour qu'elle reste un peu à l'infirmerie, et Hermione accepta, même si elle voulait déjà ressortir. Cette pièce était trop grande, trop blanche, et surtout, trop silencieuse. Et Hermione détestait le silence, sauf à la Bibliothèque. Elle ne pouvait même pas lire.

Les minutes s'écoulèrent lentement. Un des lits en face d'Hermione était fermé par des rideaux, et Hermione se demanda qui pouvait bien être à l'intérieur. Une vingtaine de minutes plus tard, Madame Pomfresh arriva avec un thé pour faire patienter Hermione. Elle était très déçue d'avoir raté le cours d'Arithmancie, mais au moins, elle pouvait faire quelque chose de ses mains en attendant. Elle le but le plus lentement possible.

Hermione regarda la grosse horloge de l'infirmerie. Le cours d'Arithmancie était terminé, et celui de Botanique avait commencé. Elle observa les environs en buvant son thé, puis le termina. Elle compta le nombre de lattes de parquet au sol. Elle regarda chaque étiquette de chaque potion qu'elle pouvait voir. Elle imagina l'histoire du patient du lit d'en face d'elle. Quand l'horloge annonça 11h, Hermione demanda :

"Je peux y aller, maintenant, Madame Pomfresh ?"

"Encore une heure." dit l'infirmière depuis l'autre pièce. "Il faut que la crème fasse effet."

Hermione ne cacha pas sa mine déçue. Elle détestait rater des classes. En plus, Ron et Harry étaient nuls pour prendre des notes. Et elle voulait vraiment assister à celui de Soins aux Créatures Magiques. Elle bouda dans son coin en tapotant sa baguette contre la tasse de thé vide, qu'elle essaya de métamorphoser en hamster. Un cours qu'ils n'étaient pas supposés avoir avant la sixième année, mais Hermione voulait essayer.

Soudain, la voix de Madame Pomfresh la fit sursauter :

"Miss Granger, vous avez un visiteur. J'ai dit que vous n'étiez pas en état, mais il insiste. Il dit qu'il a des questions sur un cours."

En voyant le visage de Madame Pomfresh, Hermione comprit qu'elle n'était pas du tout d'accord avec cette idée.

"Euh, d'accord." dit-elle, surprise.

Madame Pomfresh retourna dans la pièce principale, derrière Hermione. Elle entendit les pas de son visiteur résonner dans l'infirmerie quand il fut invité à entrer.

Elle s'attendait à voir Ron, ou Harry, peut-être Neville.

En tout cas, elle ne s'attendait certainement pas à voir Drago Malefoy entrer dans la pièce.