Hermione


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"Parler ?" répéta Hermione, incrédule. "Euh, oui bien sûr."

Viktor hocha la tête et tourna dans le couloir. Son visage était marqué par une expression sérieuse qui l'inquiétait un peu. Hermione le suivit en fixant l'arrière de ses chaussures, soudain un peu stressée.

Viktor s'arrêta vers l'une des alcôves blanches du couloir des Gryffondors. De là, ils étaient cachés de la vue des élèves qui pouvaient entrer ou sortir du tableau, et placés à quelques mètres seulement de l'endroit où Viktor l'avait embrassée. Hermione ressentit un petit malaise en se souvenant de ce moment. Comme s'il lisait dans ses pensées, Krum jeta un regard furtif vers l'alcôve en question, avant de revenir vers elle.

"Comment tu te sens ?" finit-il par demander.

Hermione arracha distraitement un fil de son pull pour éviter de regarder Viktor dans les yeux. Son visage fermé et abîmé par les cicatrices était soudain plus effrayant que d'habitude.

"Bien." répondit-elle honnêtement. "Je me prépare pour les examens, donc assez débordée."

"Et est-ce que tu… tu ne m'éviterrrais pas, parrr hasarrrd ?" demanda piteusement Viktor.

Hermione le faisait. Définitivement. Elle prenait toujours place à sa table avant lui à la Bibliothèque, pour ne pas qu'il l'intercepte et lui demande de s'asseoir avec elle. Elle évitait son regard quand il la cherchait dans les couloirs, ou dans la Grande Salle. Et elle passait tout son temps avec Harry, Ron et… Drago.

Pourtant, elle répondit :

"Non ! Pas du tout !"

Elle savait qu'elle mentait très mal, mais Viktor ne devait pas assez bien la connaître pour le réaliser. Il soupira et se passa une main dans ses cheveux rasés courts :

"Je dois t'avouer que je ne comprrrends pas trrrès bien, Herrrmion…" expliqua-t-il. "Tu avais l'airrr parrrrtante, l'autrrre soirrr."

"Je l'étais ! Je suis simplement…" Hermione lutta quelques secondes pour trouver les bons mots. "Trop occupée par le travail pour y penser."

Il l'observa, les sourcils légèrement froncés.

"Tu rrregrrrettes, c'est ça ? Qu'on se soit embrrrassés."

Hermione releva la tête vivement.

"Non, absolument pas." dit Hermione, sûre d'elle, cette fois-ci. "J'ai beaucoup apprécié. Et j'aime passer du temps avec toi, c'est juste que c'est compliqué de tout gérer en même temps, entre le travail, mes amis…"

"Quand tu dis "ami"," interrompit Viktor sèchement, "tu parles d'Harrrry Potterrr ?"

"Oui." répondit-elle sans hésiter. "Je suis désolée si tu le prends mal, mais je ne vais pas arrêter de voir Harry. C'est mon meilleur ami, c'est comme mon frère pour moi."

"Je ne comprrrends pas trrrès bien." avoua Viktor.

"Quoi donc ?" demanda Hermione.

"Vous n'avez pas les mêmes… Manièrrres, que nous." admit Viktor en faisant soudain les cent pas devant elle. "J'en ai parrrlé avec un ami à moi, de Dumstrrrrang, et il a dit que les anglais étaient différrrents de nous, qu'ils voyaient les rrrrelations différrrement… En Bulgarrrie, un homme doit courrrtiser une femme, et si elle accepte ses avances, ils se marrrient."

Hermione fit une petite grimace que Viktor intercepta.

"Ne t'en fais pas, je ne comptais pas te demander en marrriage." dit-il avec un léger sourire. "Je dis simplement qu'on a pas les mêmes coutumes que vous, et j'ai du mal à comprrrendre… où on se situe."

"Hum…" commença Hermione en trépignant d'un pied sur l'autre. "Je ne sais pas trop non plus, je n'ai jamais fait ça."

Ils se regardèrent en silence plusieurs secondes, tous les deux un peu perdus. Hermione brisa le silence, embarrassée :

"Ici, on ne se courtise pas. Enfin, le garçon fait des avances, et la fille accepte, ou non. Ils passent du temps ensemble, des rendez-vous, avant de sortir officiellement ensemble."

"Et combien de prrrrétendants as-tu ?" demanda-t-il, curieux.

"Je n'ai pas de- je n'ai pas de prétendants !" dit-elle dans un glapissement aiguë.

"Mais tu passes du temps avec Potterrr, et le rrrouquin, et le garçon au visage rrrond de Grrryffondorrr, et le blond, Malefoy…" commença à énumérer le bulgare.

"Ça n'a rien à voir ! Ce sont mes amis, ce ne sont pas des rendez-vous, je passe simplement mes journées avec eux ! Tu as des amis à Durmstrang, non ?" demanda Hermione.

"Des amis garrrçons." corrigea Krum, toujours dubitatif.

Hermione prit une grande inspiration. Elle comprenait que Viktor soit un peu perdu, mais elle avait du mal à expliquer les bases de l'amitié et de l'amour sans rougir.

"Les garçons que tu as cité sont mes amis." expliqua-t-elle doucement. "Je les connais depuis longtemps."

"Et nous ?" demanda Viktor. "On est amis ?"

Hermione dansait tellement d'un pied sur l'autre qu'elle faillit vaciller en entendant cette question. Son cœur remonta soudainement dans sa gorge. Elle détourna le regard :

"Non, pas vraiment."

Viktor eut l'air encouragé par cette réponse. Ses sourcils se détendirent et il afficha une mine plus heureuse.

"Alors, je dois te prrroposer des rrrendez-vous ?" demanda-t-il, la voix teintée d'excitation.

"Tu peux, mais il y a de fortes chances que je ne sois pas disponible tout le temps. Avec les examens…"

"Je comprrrends, Herrrmion." répondit-il gentiment. "Tu es une fille brrrillante, je sais que tu dois te focaliser sur tes études."

"Tu aimes les classes à Poudlard ?" demanda-t-elle, curieuse et aussi avide de changer de sujet.

Viktor haussa les épaules.

"Pas vrrraiment. Je connais déjà ma carrrièrrre."

Hermione hocha la tête, même si elle trouvait ça dommage.

Ils discutèrent encore un peu de Poudlard, puis Viktor lui proposa de la raccompagner devant le tableau. Elle accepta. Une fois qu'ils furent devant, elle fut soudain gênée : devait-elle l'embrasser ? Mais il coupa court à ses interrogations intérieures en lui faisant simplement un baiser sur la joue.

"Bonne nuit, Herrrmion."

"Bonne nuit Viktor !"

Elle murmura le mot de passe et le tableau s'ouvrit. À l'intérieur, tous les élèves étaient dispersés dans les canapés et fauteuils. Le feu était éteint, mais l'odeur de bois brûlé embaumait toujours la pièce ronde, une odeur qu'Hermione associait au confort et au calme.

Harry était assis à une table, tout seul, penché sur des devoirs. Elle s'approcha de lui et il sourit en levant la tête vers elle.

"Hermione, hey ! Où étais-tu ?"

"À la Bibliothèque." répondit-elle, comme depuis quatre ans. Puis, elle vérifia que Ron n'était pas aux alentours, avant de chuchoter à Harry : "Et… Viktor m'a raccompagnée."

"Viktor ?" demanda Harry, à moitié trop focalisé sur ses devoirs pour l'écouter vraiment.

"Viktor Krum."

Ce nom sortit complètement Harry de sa lecture. Il l'observa, ses yeux ronds derrière ses lunettes.

"Oh." répondit-il. "Oh. Vous êtes… Je veux dire… Viktor ?"

"Oui, Viktor." dit-elle en soupirant.

"Vous… Qu'est-ce qu'il se passe, entre vous ?" continua Harry, clairement hésitant.

Hermione s'assit à côté d'Harry en se massant les tempes.

"J'ai passé les vingt dernières minutes à lui expliquer ce qu'était "un ami", je ne veux pas refaire cette conversation avec toi." dit-elle avec un sourire, ce qui rassura Harry. "Disons simplement qu'on passe du temps ensemble."

"Cette réponse me va très bien." dit Harry, soulagé ne pas avoir à prolonger cette conversation plus longtemps.

"Pas à Ron, par contre." dit Hermione en jetant un coup d'œil au rouquin, assis près de la cheminée. "Est-ce que tu pourrais…?"

"Je ne lui dirai rien, Hermione." dit Harry avant même qu'elle finisse sa phrase.

C'est pour ça qu'Harry était son meilleur ami. Il la connaissait tellement bien.

Elle sourit et se pencha sur le parchemin plein de ratures et de tâches d'encre d'Harry :

"Métamorphose ?"

Il confirma d'un hochement de tête fatigué.

"Tu veux de l'aide ?" proposa-t-elle.

"Je t'épouserai." répondit Harry du tac au tac, en décalant son manuel pour qu'Hermione puisse lire.

"Ne le dis pas à Viktor, alors. Il ne comprendrait plus rien." dit-elle avec un rire.

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Hermione avait toujours été très assidue à l'école.

Ron et Harry lui rappelaient suffisamment souvent pour qu'elle le sache. Elle révisait plus que les autres élèves, et obtenait toujours de meilleures notes. Elle travaillait sans relâche pendant de nombreuses heures à la Bibliothèque. Elle connaissait les matières sur le bout des doigts.

Alors, elle était persuadée que la période de révisions des examens serait pareille que les années précédentes : difficile, longue, studieuse.

Mais il y avait un léger détail qui changea tous ses plans lors de la semaine après les vacances de printemps.

Drago Malefoy.

Elle s'était habituée à sa présence à la Bibliothèque, à leurs entrevues secrètes après les cours. Elle appréciait passer ses soirées de révisions avec lui, de parler de tout et de rien, de découvrir une nouvelle facette de ce garçon énigmatique.

Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était de développer une nouvelle passion qu'Hermione Granger n'avait jamais considéré auparavant.

Ça avait commencé pendant le cours d'Arithmancie du lundi de la rentrée. Hermione s'était assise à sa place habituelle, au premier rang de la rangée de gauche, sur un pupitre à elle toute seule où elle pouvait étaler ses livres à sa guise.

Elle était en avance sur le programme, si bien qu'elle connaissait déjà la leçon du jour. Elle avait déjà refait le diagramme numérique que la professeure Vector avait demandé aux élèves de reproduire sur leurs parchemins. Alors, Hermione posa son menton sur la paume de sa main et observa les alentours en attendant la fin de l'exercice.

Ses yeux se posèrent naturellement sur la table à sa droite, occupée par Drago Malefoy et Théodore Nott. Ce dernier était plongé dans son diagramme, murmurant les nombres qu'il copiait. Ses cheveux bouclés lui tombaient un peu devant les yeux, couvrant son front et ses oreilles, et sa cravate de Serpentard était un peu de travers.

Drago Malefoy, lui, ne ressemblait en rien à son voisin. Il se tenait, comme toujours, parfaitement droit, le visage empreint de sa dureté naturelle, la mâchoire contractée, les yeux scannant son livre en face de lui. Ses cheveux étaient parfaitement peignés, lisses, avec une pointe de gel qui les plaçaient avec soin sur son front. Il ne les touchait pas, contrairement à Théodore qui ne cessait de passer sa main dedans lorsqu'il était bloqué sur un nombre du diagramme.

Drago portait son uniforme de la manière la plus stricte qu'il soit : son col et sa cravate étaient repassés et droits. Sa chemise était rentrée dans son pantalon d'uniforme et sa robe de sorcier verte tombait gracieusement autour de lui. Ses mains, blanches et longues, étaient posées sur la table, et il n'esquissait pas le moindre mouvement, excepté pour tourner les pages de son manuel.

Lorsqu'il lisait de la sorte, il ressemblait à une statue. Une statue de marbre blanche, aux traits sculptés, harmonieux.

Hermione fut étonnée de constater qu'il ne ressemblait en rien aux gens qu'elle côtoyait. Elle n'avait jamais réalisé cette différence. Viktor avait des traits durs, presque menaçants. Les Weasley avaient tous des visages ronds et joviaux, qui inspiraient la confiance. Le visage d'Harry était fuyant, si on ne regardait pas ses yeux verts d'un profond émeraude.

Drago était différent, comme si son visage était copié d'un personnage de livre.

Hermione constata, pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, que Drago Malefoy était doté d'une beauté absurde.

Elle l'avait toujours trouvé blafard et crispé. Mais maintenant qu'elle s'attardait sur lui, elle percevait une beauté qu'elle n'avait jamais capté avant. Depuis quand avait-il cessé de mettre ses cheveux blonds en arrière ? Depuis quand sa mâchoire était-elle si contractée ?

Drago tourna brusquement la tête vers elle à cet instant, et Hermione ne put que prendre une respiration saccadée. Ses yeux. Elle n'avait jamais vu quelqu'un avec des yeux gris avant de le rencontrer. Parfois, quand ils étaient en pleine lumière, ils prenaient une teinte bleutée limpide. Elle fut instantanément aspirée par son regard captivant.

Il eut un petit sourire rapide avant de retourner la tête vers son livre. Hermione rougit. Prise la main dans le sac.

Cela ne l'empêcha pas d'observer Drago plus que nécessaire. À chaque classe qu'ils partageaient ensemble, Hermione se retrouvait à observer discrètement le blond. Elle le regardait parler à Parkinson, ou sourire avec Zabini, elle le regardait écrire ses leçons, ou s'entraîner avec sa baguette. Elle était souvent happée par ses contemplations, tellement qu'elle devait s'arracher de sa vision pour travailler.

Elle attendait avec impatience ses soirées à la Bibliothèque. Elle s'imaginait leurs conversations du soir-même, se créant des dialogues dans la tête pendant les cours. Elle l'imaginait rire, ou se moquer d'elle gentiment, et son ventre se tordait d'anticipation. Elle se souvenait de la manière qu'il s'était approchée d'elle pendant le Bal, quand ils s'étaient hurlés dessus dans une classe vide, et qu'Hermione avait eu l'envie soudaine de l'embrasser. Elle y repensait avant de dormir et souriait dans l'obscurité.

Hermione n'en parla pas à Ginny, trop embarrassée pour le faire. Elle n'avait pas envie de dévoiler cette nouveauté, trop fraîche encore pour qu'elle puisse la comprendre elle-même. Elle essayait de se convaincre que ce n'était qu'une phase. Mais elle devait admettre qu'elle n'avait jamais pensé à Ron comme ça. Elle ne l'avait jamais observé de la sorte en classe.

Ron et Harry ne réalisèrent ce changement d'humeur qu'au milieu du mois de Mai.

"Tu es pressée ?" demanda Ron en la voyant manger son dîner sans mâcher, à toute vitesse.

"Non." dit-elle, la bouche pleine de tarte à la crème.

"Tu as l'air, pourtant." fit remarquer Harry.

"Je vais juste à la Bibliothèque." dit-elle après avoir avalé correctement son dessert. "Je dois absolument finir mes révisions du chapitre sept de Défense Contre les Forces du Mal."

Harry et Ron eurent un roulement des yeux simultané. S'ils se mettaient à lui parler de "doses de travail" ou de "surmenage", Hermione était prête à sortir son planning de révisions pour qu'ils la laissent tranquille. Ils avaient toujours détesté ce planning et cédaient toujours en le voyant. Heureusement, ils ne dirent rien et reprirent leur conversation tandis qu'Hermione s'échappait discrètement.

Elle arriva dans son couloir préféré, celui de la Bibliothèque. Même de l'extérieur, Hermione avait l'impression de pouvoir sentir les livres, comme si l'immense pièce n'était pas suffisamment grande pour contenir cette odeur de vieux papier. Hermione entra, inspira cette odeur qu'elle aimait tant, salua Madame Pince d'un signe de la tête, puis alla s'installer au fond de la salle. Elle longea quelques étagères, qui étaient bien plus poussiéreuses que celles au centre de la pièce tant les élèves n'approchaient pas cette section, et retrouva sa table préférée.

Drago était déjà assis là, immobile, concentré sur un manuel. Quand il la vit arriver, ses yeux gris s'éclairèrent une brève seconde :

"Ah, te voilà ! J'ai justement besoin de toi !" lança-t-il.

"Ah ?" répondit-elle, son cœur battant anormalement plus fort.

Hermione s'installa à sa chaise habituelle, et sortit ses affaires, son mug vert offert par Harry en dernier, dans lequel elle versa de l'eau brûlante et y plongea un sachet de thé. Puis, elle s'affaissa contre le dossier de la chaise et profita des secondes de relaxation que lui procurait cette routine, celle juste avant de bien étudier.

"Sur quoi tu travailles ?" demanda-t-elle finalement à Drago.

"Défense Contre les Forces du Mal."

"C'est justement ce que je comptais étudier aussi !" dit-elle.

Hermione sortit son planning et consulta ce qu'elle avait prévu pour ce soir, barra quelques consignes qu'elle avait déjà fait, et reporta certaines matières à d'autres jours. Pendant ce temps-là, Drago regarda le planning avec un air indéchiffrable sur le visage, comme s'il essayait de lire son écriture, ou son sens de l'organisation incompréhensible.

"Alors ? Qu'est-ce que tu révises ?" demanda-t-elle en regardant finalement dans sa direction.

Drago se pencha en avant pour lire l'incantation qu'il voulait réaliser. Hermione en profita pour détailler sa tenue rapidement : un tee-shirt noir à manches longues, qui contrastait avec sa peau pâle. Elle regarda ses longs doigts et les bagues qui les ornaient, avant de revenir précipitamment sur son visage pour ne pas qu'il la voit.

"Fumos." dit-il finalement en relevant la tête.

"Oh. Nous l'avons déjà étudié aussi."

"Tu t'es entraînée ?" demanda Drago, intéressé.

"Oui, avec Ron." dit-elle, puis sourit en se souvenant de ce moment. "Nous l'avons fait dans la Salle Commune, ce qui n'avait pas été une très bonne idée parce que la Salle s'est enfumée complètement et tout le monde s'est mis à tousser. Tout le monde a pensé que c'était une farce de Fred et George. Les dortoirs ont senti la fumée pendant une semaine, après ça."

"Alors, je suppose que je ne devrais pas le tester dans la Bibliothèque." dit Drago en rangeant sa baguette.

"Bonne idée. On peut le tester dehors, si tu veux."

Drago accepta et ils se mirent à travailler un peu. Hermione rédigea sa fiche de révisions du chapitre sept en essayant de ne pas jeter des regards vers Drago. Elle n'avait jamais eu de problème pour se concentrer à cette table avant, mais depuis quelque temps, elle avait pris la fâcheuse habitude d'observer Drago plus qu'avant. C'était une distraction qu'elle essayait d'éviter.

Après avoir terminé sa fiche, elle la relut plusieurs fois, en tentant d'imprimer les noms des créatures magiques et des sorts de défense, mais le garçon en face d'elle l'interrompait sans cesse dans son apprentissage mental, sans qu'il ne fasse rien pour la déconcentrer. Hermione finit par capituler, but son thé tiède d'une traite et proposa :

"On y va ?"

Drago accepta et ils rangèrent leurs affaires. D'habitude, ils sortaient toujours à la fermeture, quand la Bibliothèque était pratiquement vide. Cette fois-ci, ils durent se séparer pour ne pas attirer les regards des derniers travailleurs. Drago prit l'aile de Divination, et Hermione sortit par la grande pièce principale, celle où le fan-club de Krum était toujours aux aguets.

Viktor était assis à sa place habituelle. Quand il la vit, il lui fit signe de s'approcher.

"Herrrrmion, je te cherrrrchais." murmura-t-il quand elle fut près de sa table. "Je voulais savoirrr si tu voulais bien te prrromener autourrr du Lac avec moi, demain."

Hermione ne répondit pas tout de suite, surprise par cette proposition. Viktor lui avait déjà proposé de se voir, mais jamais sous forme de rendez-vous organisé. En plus, se balader autour du Lac était une balade qu'elle faisait habituellement avec Harry.

Elle hocha tout de même la tête.

"D'accord. Je termine mon cours d'Études de Runes à 16h, demain."

"Je serrrai là." promit Viktor avec un sourire.

Ils se dirent au revoir et Hermione quitta la Bibliothèque. Drago l'attendait devant, adossé contre un pilier du couloir, son humeur plus maussade que quelques minutes plus tôt.

"Qu'est-ce qu'il te voulait, Krum ?" demanda-t-il, droit au but.

"Oh, rien de particulier." mentit Hermione.

Ils n'avaient jamais vraiment reparlé de Viktor, depuis le Bal, ils n'avaient fait que mentionner son nom au détour de conversations, tout comme Ron. Drago alterna son regard sombre entre Hermione et l'intérieur de la Bibliothèque, où il pouvait sûrement apercevoir l'arrière de la tête du bulgare, avant de reprendre sa marche. Il n'insista pas, heureusement.

Ils arrivèrent sur leur banc et Hermione s'installa confortablement. La brise était chaude. Hermione n'avait plus besoin de sortir sa jarre de confiture pour se réchauffer au mois de Mai. Elle observa les arbres aux alentours, encore illuminés par les derniers rayons de soleil à l'horizon. Drago s'installa à côté d'elle et elle ignora la sensation de chaleur que ce contact lui procura, le mettant sur le compte du soleil.

"Tiens, regarde ce que j'ai pris." dit Drago, soudain de meilleure humeur.

Il sortit de son sac une boîte de chocolats, qu'il ouvrit et posa sur le banc, entre eux deux.

"Ohhh. Est-ce que c'est le même chocolat que ta mère t'avait envoyé pour Pâques ?" demanda Hermione en prenant l'un des petits carrés.

Drago avait réussi à se procurer deux œufs de plus pendant les vacances, qu'il avait partagé avec Hermione.

"Certains sont à la praline, oui, mais il y en a d'autres à la framboise, je crois." expliqua-t-il.

Ils picorèrent des chocolats pendant que Drago lui racontait comment il avait réussi à les prendre sous le nez de Théodore sans qu'il le remarque, pendant qu'il lisait. Il expliqua que c'était Blaise qui lui avait demandé de le faire pour éviter à Théodore d'avoir une perforation de l'estomac, ce qui fit rire Hermione autant qu'elle eut de la peine pour le pauvre Théodore qui allait se demander où était passé son chocolat.

Ils mangèrent jusqu'à ce qu'Hermione se sente rassassiée, même si c'était difficile de ne pas reprendre de ce chocolat délicieux. Puis, Drago s'entraîna à faire le sort de fumée. Il se leva et se plaça en face d'elle, puis pointa sa baguette vers le banc et répéta plusieurs fois :

"Fumos !"

"Non, il faut que tu formes un cercle plus grand avec ta baguette." expliqua Hermione.

"Montre-moi." dit Drago.

Elle mima le geste avec sa main. Drago secoua la tête :

"Viens me montrer." précisa-t-il.

Hermione se leva et s'approcha de lui, puis posa ses doigts sur les siens, ceux qui tenaient fermement sa baguette. Elle le guida pour réaliser le sort plusieurs fois. Elle avait rarement été aussi proche de lui physiquement, elle pouvait sentir son odeur caractéristique de menthe et de pomme caramélisée émaner de ses vêtements. Elle l'inspira bien plus que nécessaire.

"Et maintenant, tu prononces la formule." dit-elle en lâchant sa prise autour de sa main, à contrecœur.

"Fumos." énonça-t-il clairement.

La fumée jaillit de sa baguette, toujours pointée vers le banc. La fumée n'était pas aussi opaque qu'elle devrait être, et était inodore, mais c'était une bonne avancée. Hermione le félicita et retourna s'asseoir sur le banc, et Drago fit de même.

Ils étaient entourés d'un nuage de fumée. Ce n'était pas désagréable, les volutes grises étaient presque hypnotisantes à observer. La fumée était de la même couleur que les yeux de Drago.

Quand elle tourna la tête vers lui pour le confirmer, il la regardait déjà. Hermione se demanda s'il l'observait autant qu'elle le faisait pour lui.

Son cerveau lui hurlait de retrouver la raison. De ne pas s'attarder sur ce genre de sentiments stupides. Ron était celui pour lequel elle éprouvait quelque chose. Il était censé être le garçon qui occupait toutes ses pensées. Pourquoi ce n'était pas le cas ? Pourquoi préférait-elle rester sur ce banc, plutôt qu'en haut avec ses amis ?

Elle rangea ces pensées dans un coin de sa tête pour le moment. Elle profita simplement du moment, égoïstement. Elle préféra plonger ses yeux dans les pupilles grisâtres du Serpentard et d'analyser les nuances de gris et de bleus qui se superposaient dedans.

Ils ne parlèrent pas, entourés dans leur bulle, littéralement. Le nuage de fumée ne se dissipait pas et ils ne parlaient pas, profitant simplement de l'autre dans le silence. C'était une sensation agréable. Ça calmait le stress d'Hermione, les battements frénétiques de son cœur qui ne s'apaisaient jamais vraiment.

Quand Drago tendit la main vers l'espace entre eux, Hermione pensa qu'il voulait un chocolat. Mais au lieu de prendre la boîte, Drago posa doucement sa main contre celle d'Hermione, ne la lâchant pas du regard, et la prit dans la sienne, sans un mot.

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Drago


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Contre toute attente, Drago se mit à apprécier sincèrement la méditation.

Il n'avait jamais vraiment cru à la Divination comme Pansy le faisait, mais il devait avouer que les bienfaits de la méditation étaient réels. Drago se sentait plus calme, plus reposé. Il dormait mieux et avait moins de cauchemars, et quand certains arrivaient à se manifester malgré tout, Drago ne se réveillait plus en sursaut.

Apparemment, le fait de pratiquer cet exercice n'était pas choquant pour les autres. Ses amis devaient être habitués à le trouver immobile, plongé dans ses propres pensées. Parfois, il émergeait de ses contemplations mentales et réalisait que tout le monde était autour de lui, sans qu'il sache depuis combien de temps ils étaient arrivés. Il reprenait simplement le fil de la conversation, comme si de rien n'était.

La faculté de reposer et de vider son esprit l'aidait beaucoup pour ses leçons d'Occlumancie. Quand les cours reprirent après les vacances, Drago alla dans le bureau de son professeur de potions tous les lundis et jeudis soirs, avant le dîner. Vers le milieu du mois de Mai, Rogue l'invita à s'asseoir à son bureau avant de débuter leur session.

"Vous arrivez à me repousser, désormais." annonça Rogue sans préambule. "Je n'arrive plus à atteindre votre esprit, ce qui démontre votre capacité mentale à utiliser votre tête à bon escient."

Drago fut surpris de ses mots. Il pensait que Rogue avait simplement diminué l'intensité de ses intrusions, pour l'entraîner. Il ressentit un bref sentiment de fierté.

"J'ai voulu vous apprendre à me repousser pour que vous soyez en contrôle de votre esprit." continua Rogue. "La méditation vous aide à prendre conscience de vos atouts. Cependant, un Legilimens -un bon, du moins-, ne se contentera pas de rentrer dans votre esprit. Il fouillera, vous poussera jusqu'à vos limites pour trouver ce qu'il cherche."

Drago eut un léger frisson en s'imaginant une scène pareille et son sourire fier disparut aussitôt.

"C'est pour cela que la première qualité d'un bon Occlumens est de ne pas l'être." expliqua Rogue.

Drago fronça les sourcils :

"Professeur, je suis désolé, mais j'ai du mal à comprendre."

"Réfléchissez, Drago." répondit Rogue en se penchant légèrement sur son bureau, les doigts entrelacés. Ses longs cheveux noirs tombèrent comme un voile. "Si un Legilimens entre dans votre tête et qu'il voit que vous le repoussez, que vous cachez une partie précise de vos souvenirs, quelle sera sa réaction ?"

"D'insister." supposa Drago, toujours un peu confus. "De me fatiguer jusqu'à ce que je cède et qu'il puisse accéder à mes souvenirs."

Il repensa au moment où il s'était évanoui, quand toute sa force mentale s'était épuisée à cause des intrusions trop fortes.

"Exactement." dit Rogue, ses yeux noirs fixés sur le garçon. "Alors, ce que vous devez faire, c'est faire croire que vous n'êtes pas un Occlumens. Vous devez placer des souvenirs délibérément, choisis par vos soins, pour que le Legilimens ne soupçonne rien."

"Vous voulez dire que je peux… sélectionner des souvenirs et des pensées ? Les déplacer dans ma tête ?" demanda Drago, abasourdi.

"C'est précisément ce que je vous dis. Maintenant que vous avez conscience de votre esprit et de comment l'utiliser pour repousser une attaque, vous pouvez le contrôler."

Drago prit du temps pour réfléchir à cette alternative attrayante, sous le regard aiguisé de Rogue qui attendait une réaction.

S'il pouvait non seulement cacher Granger et ses souvenirs avec elle, mais aussi les remplacer par des faux, il était sûr de pouvoir protéger ses pensées confidentielles d'un potentiel intrus. Pour la première fois depuis le mois de Mars, Drago comprit l'intérêt des leçons d'Occlumancie. Maintenant qu'il était en pleine possession de son propre esprit, il pouvait le façonner à sa manière.

Un sourire dût se dessiner sur ses lèvres, parce que Rogue hocha la tête et se leva, le prenant comme une confirmation. Drago se leva prudemment à son tour et se plaça devant son professeur, aux aguets. Il n'avait aucune idée de ce qu'il allait se passer.

"Fermez les yeux." ordonna Rogue, et Drago le fit avec réticence, les doigts serrés autour de sa baguette.

Il se passa quelques secondes où Drago entendit les battements de son cœur contre ses tympans, anxieux. Il ne savait pas que ce Rogue s'apprêtait à faire. Il avait l'impression d'être un animal sur le point d'être tué. Il attendait sa sentence, agonisant de plus en plus à chaque seconde de silence étiré.

Il eut envie d'entrouvrir un œil, juste pour voir ce que Rogue voulait faire. Pointait-il sa baguette vers lui ? Allait-il s'évanouir de nouveau sous la force de l'assaut ?

Puis, Drago réalisa que Rogue voulait en fait qu'il médite. Il lui fallut toute sa détermination pour se calmer. Il vida son esprit, comme il le faisait chaque soir depuis deux mois. Il régularisa sa respiration. Il détendit ses épaules, sa mâchoire.

L'esprit de Drago était clair, vidé. Une fois qu'il fut calmé, ce fut plus facile d'anticiper l'attaque de Rogue. Comme s'il était préparé. Mais au lieu de la familière aiguille de Légilimancie à laquelle il s'attendait, ce fut une voix lointaine et gutturale qui parla :

"Chaque Occlumens a une manière personnelle de trier ses souvenirs." expliqua Rogue. "Certains imaginent des boîtes, des arbres, des vagues… Personnellement, j'imagine des rangées de fioles de potions, dans lesquelles je fais couler mes pensées. À vous de choisir dans quoi vous voulez ranger les vôtres."

Drago n'eut pas besoin de réfléchir. Une image surgit dès la fin de la phrase de Rogue. Des étagères poussiéreuses, pleines de livres abîmés de toutes les couleurs. Au centre de ses étagères, lorsqu'on s'aventurait profondément dans les entrailles de la Bibliothèque, on pouvait trouver une table pour deux personnes, ronde, avec une tasse de thé, des manuels, des plumes, et une fille aux cheveux bouclés.

"Avez-vous trouvé ?" demanda Rogue.

Drago hocha la tête sans parler.

"Maintenant, je veux que vous preniez un souvenir, n'importe lequel."

Sans savoir pourquoi, le cerveau de Drago fusa avec une image précise : Blaise, étalé sur son lit du dortoir, endormi contre la page de son magazine de Quidditch préféré. Ce souvenir datait de la veille, quand Drago était entré dans le dortoir et avait trouvé Blaise comme ça.

"Souvenez-vous de l'endroit où vous vous trouviez. De la position dans laquelle vous étiez. De vos pensées quand vous avez vécu ce moment. Les odeurs, les sons." continua la voix de Rogue, qui semblait de plus en plus loin.

Drago détailla le souvenir mentalement : il était debout, la main sur la poignée de la porte, la tête tournée vers sa droite, là où se trouvait le lit de Blaise. Son lit était, comme d'habitude, complètement défait, la couverture verte tombant à moitié par terre. Drago pouvait seulement entendre l'eau du Lac Noir qui clapotait contre la fenêtre, et les profondes respirations de Blaise. Sa joue était collée contre la page du magazine de Quidditch, celle… celle des derniers résultats des matchs anglais. Quand Drago s'était approché de lui, il pouvait sentir l'odeur de la pierre froide et humide du dortoir, et celle de Blaise, une odeur ambrée et fraîche.

"Maintenant que vous l'avez imaginé dans son entièreté, je veux que vous preniez ce souvenir et que vous le rangiez dans la forme que vous aviez choisi."

Drago imagina la bibliothèque. Il choisit l'étagère sur sa gauche, celle qui contenait le plus de livres. Il en choisit un épais, à la couverture orangée. Le titre du livre était écrit au centre de la couverture : Blaise.

Il ouvrit le livre. Les pages étaient vierges. Drago feuilleta l'épais volume jusqu'à l'une des dernières, et il y écrit rapidement le souvenir comme il l'avait décrit intérieurement. Puis, il referma le livre et le replaça sur l'étagère, au milieu d'une rangée.

Quand Drago rouvrit les yeux, le bureau était beaucoup plus sombre. Rogue s'était rassis à son bureau et l'observait sans expression sur son visage.

"Je l'ai rangé." dit simplement Drago. Sa voix était rauque. Il n'avait aucune idée du temps qu'il avait pris pour ranger son souvenir.

"Bien." dit Rogue. "Continuez cet exercice dès que vous le pouvez. Rangez les souvenirs que vous avez et que vous ne voulez pas que les autres voient. Les plus compromettants doivent être les plus enfouis dans votre esprit."

Par "compromettants", Drago comprit que Rogue faisait allusion à Granger. Il hocha la tête et sortit du bureau en murmurant un au revoir. Le couloir était plongé dans le noir. Drago se hâta de retourner dans la Salle Commune, la tête étrangement vaporeuse.

Quand il entra, il ne fut pas surpris de trouver un petit groupe d'élèves en train de faire la fête. Pansy, comme à son habitude, se tenait au centre, un verre à la main. Elle discutait avec une fille, sans avoir remarqué que Drago était entré dans la pièce. Elle agita distraitement sa baguette pour changer de musique.

Blaise était sur un bord de canapé, sirotant lui aussi un verre. Il était en pleine discussion avec Daphné, comme souvent ces derniers temps.

Drago préféra aller directement au dortoir. Quand il entra, les mêmes odeurs que dans son souvenir l'accueillirent. Mais ce n'était pas Blaise allongé dans son lit, c'était Théo, allongé dans celui à gauche de celui de Blaise. Il était assis contre sa tête de lit, en train de lire, une boîte de chocolats entamée à côté de lui.

Quand Drago entra, Théo releva furtivement les yeux vers lui, avant de retourner à sa page.

"Tu reviens de ton cours particulier ?" demanda-t-il, plein de sarcasme dans sa voix.

"Ouais." répondit Drago en s'asseyant sur son lit à son tour.

Théo fit un drôle de son, comme un raclement de gorge. Il ne regarda pas Drago et continua de lire. Puis, il dit sur un ton de reproche :

"Blaise t'a pris à manger. C'est sur le bureau, mais c'est sûrement froid."

Drago trouva une petite assiette avec du blanc de poulet et des pommes de terre. Il la mangea sans appétit, juste pour avoir quelque chose dans le ventre. Il vit avec stupeur qu'il était presque minuit.

Théo ferma son livre sèchement et le rangea dans sa petite bibliothèque improvisée, avec la boîte de chocolats pratiquement terminée. Puis, il s'assit en tailleur et fixa Drago depuis l'autre bout de la pièce :

"Tu vas enfin me dire ce que tu foutais ?" demanda-t-il froidement.

"Non, désolé. Je ne peux pas. Mais j'ai bientôt…"

Le rire sans joie de Théo interrompit sa phrase. Il était clairement énervé. Il se leva et s'enferma dans la salle de bains. Quand il en ressortit, son visage était encore plus hostile qu'avant.

Théo ne dit pas bonne nuit et ferma les rideaux de son lit d'un coup de baguette. Drago ne dit rien, parce qu'il savait que peu importe ce qu'il disait, ça ne ferait que redoubler sa colère. La perspective de savoir qu'il pouvait le protéger l'aidait à se réconforter.

Blaise et Pansy étaient toujours curieux de savoir ce que Drago faisait les jeudis, et maintenant les lundis, après les cours, mais ils ne le questionnaient plus. Ils connaissaient assez Drago pour savoir qu'il ne dirait rien tant qu'il le décidait. Théo avait plus de mal avec cette idée. Il voulait à tout prix savoir pour être intégré dans le secret.

Drago fit sa toilette rapidement et s'allongea dans son lit en fermant les rideaux. Mais, lui, ne comptait pas dormir tout de suite. Il s'assit et ferma les yeux.

Il médita longuement, mettant en pratique les conseils de Rogue. Il pouvait presque entendre sa voix grave lui donner les instructions. Il retourna à sa bibliothèque et analysa les étagères. Il en choisit une, tout à droite, remplie de livres bleus.

Il décida de commencer par Théo. Comme si le fait de trier ses souvenirs délicats liés à lui excusait un peu son comportement des derniers mois. Il sélectionna chaque moment, chaque secret, chaque expression. Il captura tous ses instants avec son meilleur ami qu'il voulait garder pour lui.

Ses livres moldus, ses goûts différents, la manière dont il parlait de Pansy quand elle faisait quelque chose de pas bien, le moment où il l'avait aidé à rédiger sa lettre pour son père, leurs câlins, leurs secrets chuchotés dans le dortoir pendant la nuit, ses larmes, les quelques fois où il avait évoqué son père.

Le moment où il était arrivé ensanglanté par la cheminée de Blaise fut le plus difficile. Drago était sans cesse tiré vers le présent à cause des larmes qui menaçaient de couler. Il se remémora avec horreur chaque détail de ce souvenir terrifiant. La peur sur le visage de Pansy, le sang, l'odeur infecte de l'Essence de Dictame au contact de sa peau, les longues traces blanches le long de son torse, ses yeux rouges à cause de la fumée. Il dût se rappeler de sa propre terreur de voir son ami mourir sous ses yeux. Puis, il prit le souvenir et le rangea dans un livre à part, à la couverture la plus bleue profonde, et le rangea le plus loin possible dans l'étagère.

Il sentit un soupir de soulagement s'échapper de lui quand il le fit.

Drago termina de ranger les moments avec Théo qu'il voulait garder privé. Il prit toute la sensibilité qui caractérisait si bien Théo pour l'enfermer dans un livre mental. Il ne garda que le garçon studieux, un peu réservé, différent, et parfois énervant. Quand il finit avec le dernier souvenir compromettant, celui de la lettre de son père où il annonçait qu'il était renié de la famille des Nott, Drago contempla son étagère pleine de Théo et rouvrit les yeux.

La lumière filtrait à travers son rideau. Blaise et Théo étaient en train de marcher dans la pièce pour se préparer à aller en classe. Drago se frotta les yeux et bailla, disant au revoir à sa nuit de sommeil au passage.

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Après cette nuit blanche, Drago n'avait qu'une hâte : retrouver Granger à la Bibliothèque le soir même. La journée s'étira dans une lenteur agonisante, et Drago peinait à garder les yeux ouverts pendant le cours de Sortilèges. Il dîna le plus vite possible avec Crabbe et Goyle (ils étaient toujours les premiers à la Grande Salle) en observant Granger à la table des Gryffondors.

Elle portait son cardigan rouge, celui qu'il aimait bien. Elle avait attaché quelques mèches à l'arrière de sa tête et mangeait en discutant avec Potter et Weasley, comme d'habitude. Parfois, Londubat se joignait à la conversation. Elle termina son dessert extrêmement lentement (est-ce que le monde était contre lui, ce jour-là ?) et lui jeta finalement le plus rapide des regards en se levant pour aller à la Bibliothèque.

Drago se leva en même temps qu'elle par réflexe, prêt à décamper.

"Tu vas où ?" demanda la voix graveleuse de Goyle.

"J'ai fini de manger." dit Drago. "Je vais aller dormir, je suis crevé."

"T'as fait la fête, hier ?" demanda Goyle, qui avait décidé de poser des questions le seul jour où Drago n'en voulait pas.

"Je peux finir ta panna cotta ?" intervint Crabbe en pointant du doigt la verrine intacte de Drago.

"Euh, ouais, on peut dire ça. Et oui, sers-toi…" dit Drago, en regardant toujours Granger qui sortait par la grande porte d'un pas décidé.

"On t'a pas vu, pourtant." continua Goyle.

"J'étais…" Drago se reconcentra sur les deux garçons, s'arrachant de sa vision. Goyle le regardait bizarrement, et Crabbe en était déjà à la moitié du dessert. "Je suis parti tôt de la fête."

"Oh." dit Goyle, les traits tordus par la concentration monstre que lui demandait ses réflexions. "Et… Où sont les autres ? Nott, Pansy, Blaise ?"

"Aucune idée, peut-être encore à la Salle Commune. À plus !" leur lança Drago en s'éloignant déjà de la table.

Il se précipita vers la sortie, jurant entre ses dents. Ce stupide Goyle lui avait déjà fait perdre plusieurs précieuses minutes. Pourquoi tout le monde lui demandait des comptes en ce moment ?! Théo était toujours boudeur, Pansy et Blaise lui parlaient de moins en moins, et maintenant même Goyle s'y mettait ! Il avait simplement envie d'une soirée dans sa bulle, avec Granger !

Vers le milieu de l'escalier, Drago s'arrêta pour se calmer. Il s'adossa contre la rambarde et ferma les yeux, ignorant les regards curieux des élèves qui descendaient. Pansy lui avait répété un nombre incalculable de fois qu'il était d'une humeur massacrante quand il était fatigué, et il ne voulait pas faire fuir Granger avec son moral. Il s'autorisa quelques secondes de méditation pour se remettre les idées en place.

Une fois calmé, il monta les dernières marches et tourna dans le couloir de la Bibliothèque. Il souriait presque d'anticipation. Ça faisait deux jours qu'il n'avait pas parlé à Granger, mais il avait l'impression que ça en faisait douze. Il avait tellement hâte de la voir que ça le fit accélérer le pas.

En tournant dans le couloir, cependant, il se cogna violemment contre quelqu'un, l'arrêtant brutalement dans sa marche.

"Putain ! Tu ne peux pas faire attention où tu…" commença Drago en se massant la tête.

Mais il s'arrêta net en découvrant qui il avait percuté. Il avait une silhouette imposante, voûtée, et son visage était marqué d'une contorsion sévère qui n'augurait rien de bon.

Viktor Krum.

Drago recula un peu sous le choc, toujours en se massant le crâne qu'il avait percuté de plein fouet contre Krum, dont le corps était aussi dur que le visage.

"Tu es Drrrago Malefoy, c'est ça ?" demanda Krum d'une voix bourrue à cause de son accent de l'Est qui ressortait.

"Oui, c'est moi."

En disant cela, Drago se redressa, essayant tant bien que mal d'atteindre la même hauteur que le joueur de Quidditch. Il ne l'avait jamais vu d'aussi près. Ses cicatrices étaient menaçantes, elles accentuaient ses traits déjà hargneux. Il avait vu des centaines de photos de lui depuis des années, mais il réalisa qu'à cet instant à quel point il était jeune.

La colère qui s'était emparé de lui en voyant Krum embrasser la main de Granger, ou la faire danser, ou lui parler sous l'arbre dehors, ou l'observer à la Bibliothèque revint alors d'un coup, écrasant sa tentative de méditation de quelques secondes auparavant.

"Je voulais te parrrler." annonça le bulgare, sans détendre son visage toujours aussi renfrogné.

"Je t'écoute." dit Drago d'une voix qu'il voulait calme et posée, mais qui s'avéra être l'opposé.

Krum se décala sur la droite et Drago le suivit, s'adossant contre le mur pour montrer qu'il était chez lui, et que c'était Krum qui avait envahi son Château.

"Je vais aller drrroit au but." dit Krum. "Herrr-mio-neû m'a dit que vous étiez amis."

Drago eut deux réactions : la première fut de grimacer en entendant le massacre qu'il avait fait en prononçant son prénom, et la deuxième fut un petit saut d'estomac en entendant que Granger avait parlé de lui à Krum.

"Ah ? Elle t'as dit ça ?" dit-il, feignant l'indifférence.

"Oui. Et je voudrrrais savoirrr si tu parrrrtageais ce point de vue." dit Krum en croisant les bras sur sa poitrine, attendant une réponse.

Drago fut pris de court par cette question. Il n'avait jamais parlé de ses sentiments à haute voix à quelqu'un aussi directement, et il n'avait certainement pas envie que la première personne soit Krum. Mais en même temps, il n'avait pas envie de confirmer sa théorie, pour qu'il se sente libre de sortir avec Granger. Cette pensée le fit serrer le poing.

"Qu'est-ce que ça peut te faire ?" répliqua-t-il.

Krum haussa ses sourcils épais d'étonnement : il n'était visiblement pas habitué à ce que quelqu'un lui parle sur ce ton. Mais Drago avait mis de côté son admiration pour le joueur de Quidditch, il n'était focalisé que sur le garçon qui essayait de lui prendre sa fille.

"Je veux juste vérrrifier que tu la considères comme une amie aussi. Herrrmion me dit que vous passez beaucoup de temps ensemble, et je vous vois des fois à la Bibliothèque."

"C'est le cas." dit Drago, étonné de voir que Granger lui avait dit la vérité. "Elle m'aide de temps en temps, pour mes devoirs, rien de plus."

C'était un mensonge, mais Drago n'avait pas envie de lui dévoiler son plus gros secret, au risque que l'information se répande dans Poudlard comme une traînée de poudre. Il espérait que Granger ait insisté sur le fait qu'elle et Drago n'étaient pas censés être amis.

"Pourquoi tu me demandes ça ?" demanda Drago, ne cachant plus sa colère dans sa voix.

"Je veux simplement êtrrre sûrrr que les amis d'Herrrmion ne sont que des amis, pas des prrrétendants." expliqua Krum.

Drago ne put retenir un petit rire moqueur.

"Des prétendants ?" répéta-t-il.

"Oui." asséna Krum, et la froideur de ce mot coupa court le rire de Drago.

"Qui ça ?"

"Elle parrrle beaucoup d'Harrry Potterrrr par exemple." dit Krum sur un ton de défi, comme s'il voulait lui prouver que ses inquiétudes étaient fondées.

Drago fut soulagé. Il savait que Potter était hors de danger pour Granger. Il était énervé contre lui pour -beaucoup- de raisons, mais faire partie de ses "prétendants" n'en était pas une.

"Je vois. Alors, tu n'as qu'à lui demander à lui, si tu es tellement inquiet." dit Drago pour conclure cette conversation bizarre. "Tu m'excuseras, mais je dois réviser."

Il poussa légèrement Krum sur son passage. Le bulgare tourna la tête vers lui, mais ne dit rien. Drago était surpris de sa propre confiance, Krum était deux fois plus corpulent que lui. C'était probablement la rancœur qui le faisait agir ainsi.

Drago s'avança vers les portes de la Bibliothèque, mais juste avant d'entrer, il se retourna :

"Hé, Krum ?"

Le concerné se retourna, l'air confus. Drago lui lança :

"C'est Hermione." corrigea-t-il sèchement. "Pas Herrrmion, ou Herrr-mio-neû, ou je sais pas quoi. Conseil d'ami, si tu veux faire partie de ses "prétendants", apprends au moins à bien prononcer son prénom."

Et il fila vers la Bibliothèque.

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Hermione


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Drago arriva quelques minutes après elle à la table ronde de la Bibliothèque. Cela ne faisait que deux jours qu'elle ne l'avait pas vu, du moins, pas réellement vu, mais elle eut l'impression que ça faisait beaucoup plus longtemps. Elle le regarda s'asseoir avec un petit sourire aux lèvres.

Elle s'attendait à entendre son "Bonsoir Granger" habituel, mais à la place, il lui annonça de but en blanc :

"Ton petit ami s'inquiète."

Hermione fronça les sourcils :

"Pardon ?" demanda-t-elle.

Drago ne sortit pas ses affaires, il s'adossa simplement contre le dossier de sa chaise, l'air passablement irrité. Il croisa les bras et la regarda avec dédain :

"Je viens d'avoir une conversation houleuse avec ton petit ami."

"Ron ?" demanda Hermione sans réfléchir.

Cela sembla énerver encore plus Drago, qui se crispa un peu plus contre sa chaise.

"Non." cracha-t-il. "Bien que j'aimerais l'éviter aussi, si possible."

"De quoi tu parles ?"

"Krum." dit-il durement.

"Oh !"

Hermione n'avait même pas pensé à cette probabilité. Elle imagina Krum parler à Drago, mais cette image ne voulait pas venir, comme si son cerveau n'arrivait pas à envisager la possibilité que ces deux personnes si éloignées dans sa vie se soient déjà rencontrées.

Puis, l'insinuation que faisait Drago arriva enfin à son cerveau.

"Viktor n'est pas mon petit ami !" dit-elle, un peu trop fort.

"Parce que Weasley l'est ?" siffla-t-il entre ses dents.

"Non !" s'exclama-t-elle, déjà agacée à l'idée de devoir s'expliquer une nouvelle fois sur ses relations amicales. "Aucun ! Aucun d'entre eux ! Pourquoi diable Viktor est venu te parler ?"

"Apparemment, il voulait savoir si je faisais partie de "tes prétendants."" dit-il en mimant des guillemets.

"Oh non !" se lamenta Hermione. Elle sentit ses joues rougir.

"Si." dit froidement Drago, insensible à son désarroi. "Aurais-tu l'obligeance de dire à ton Viktor que nous ne sommes pas censés nous parler, que c'est secret, et dangereux, et que je risque beaucoup ? Et d'arrêter de m'intercepter dans les couloirs pour m'en parler ? Oh, et si ça ne te dérange pas, pourrais-tu arrêter de balancer à tout le monde que tu "passes beaucoup de temps avec moi à la Bibliothèque" ?!"

"Je ne lui ai rien dit, il l'a découvert tout seul !" contesta Hermione.

"Oui, parce qu'il te cherche comme un taré !" dit Drago, perdant soudain sa patience. "Il te traque ! Il te regarde tout le temps ! Il t'emmène en rendez-vous autour du Lac…"

"... Comment es-tu au courant que…"

"… Et il demande à tout ton entourage si on est tes prétendants !" continua Drago. "On est plus au 18ème siècle, Granger, il serait temps de dire à ton Viktor d'arrêter de se comporter comme un arriéré !"

"Il a simplement du mal à se faire à la culture anglaise qui est différente de la sienne !" s'énerva Hermione en fixant les yeux de gris et tourmentés en face d'elle. "Si tu n'étais pas aussi fermé d'esprit, tu pourrais le comprendre !"

"Je n'ai rien à comprendre, ce ne sont pas mes affaires !" répliqua Drago, ce qui piqua douloureusement Hermione. "Mais maintenant ça l'est, apparemment, parce que tu lui as dit que nous étions amis, alors que je t'ai dit une cinquantaine de fois que nous ne pouvions pas l'être, parce que ma famille risque de l'apprendre, et je peux me faire renier ! C'est déjà imprudent de se voir comme ça à la Bibliothèque, alors si tout Poudlard l'apprend…"

"J'ai dit à Viktor que c'était secret, il ne va rien répéter ! Et il s'en va dans moins de deux mois, il n'y a aucun risque. Je fais attention, contrairement à ce que tu insinues !"

"Si tu ne le fais pas, je vais devoir arrêter de venir, tu le sais ça, non ?" insista Drago, plus agité que jamais.

"Je lui dirai de ne plus te parler, et je lui redirai que c'est un secret, d'accord ?" conclut Hermione.

"D'accord." dit Drago, même s'il paraissait toujours aussi furieux.

Hermione soupira et but une tasse de thé pour faire passer ce moment gênant. Puis, elle posa les paumes fraîches de ses mains contre ses joues pour faire partir les rougeurs qui devaient envahir ses joues.

"Pourquoi est-ce qu'il est venu me demander ça, au fait ?" demanda Drago, encore énervé mais un peu curieux.

"Je n'en sais rien." avoua Hermione d'un ton sec.

"Il y a bien une raison." insista Drago, ce qui agaça encore plus Hermione. "Il est venu me demander si j'étais ton prétendant. Il veut que vous vous mettiez ensemble, ou quelque chose comme ça…?"

"Ce ne sont pas tes affaires."

Drago fut offensé. Il rétorqua immédiatement :

"J'estime que ce sont mes affaires quand on vient me demander des comptes au beau milieu d'un couloir…"

"Tu es jaloux ?" coupa Hermione.

"Quoi ? Non, non, jamais de la vie." dit-il, un peu trop rapidement pour qu'Hermione comprenne exactement ce qu'il venait de dire, ce qui était assez rare.

"Où vas-tu le jeudi soir ? Et pourquoi tu ne viens plus à la Bibliothèque le lundi ?" demanda Hermione.

Il arrondit les yeux, surpris par la tournure de la conversation.

"Je ne peux pas te dire ça."

"Pourtant, j'estime que ce sont mes affaires parce que nous…" commença Hermione.

"Oh, arrête !" s'exclama Drago, beaucoup trop fort pour la Bibliothèque. Hermione eut soudain la peur panique que quelqu'un vienne pour comprendre d'où venait le bruit. "Théo me fait déjà chier avec ça, ce que je fais le jeudi soir ne te concerne pas, et lui non plus, alors laissez-moi tranquille avec ça, putain !"

"Alors, arrête de me parler de ma relation avec Viktor, c'est privé !" répliqua Hermione sur le même ton.

"Très bien !" s'énerva Drago en frappant son poing contre la table.

"Très bien !" répéta Hermione, le regard noir.

Et ils se mirent à travailler en silence, ruminant tous les deux leur colère sans pouvoir se concentrer.

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Drago ne revint qu'à la Bibliothèque le mardi soir. Il avait l'air plus reposé, plus calme, mais il était toujours énervé. Il ne lui adressa qu'un "Bonsoir Granger" et travailla pendant deux heures sans un mot.

Hermione était toujours énervée aussi. Elle n'avait pas aimé la manière dont il s'était emporté contre Viktor et comptait bien lui faire la tête. Alors, ils ne se parlèrent pas non plus le mercredi. Hermione devait se retenir de ne pas tout lui déballer, mais elle n'avait pas envie de se disputer une nouvelle fois dans la Bibliothèque, alors elle garda le silence.

Les deux soirs, elle alla sur leur banc, mais il ne vint pas.

Le jeudi, Hermione observa Drago encore plus que d'habitude. Elle le mettait sur le compte de leur dispute. Il arriva au petit-déjeuner les cheveux légèrement plus décoiffés que d'habitude. Elle remarqua qu'il avait moins de cernes qu'avant. Il mangea avec ses amis sans lui adresser le moindre regard, puis se leva pour aller en cours.

Les Gryffondors ne partageaient pas de cours avec les Serpentards le jeudi matin, alors elle ne le revit qu'au déjeuner. Il le passa avec Zabini en discutant de temps à autre, puis Daphné Greengrass s'assit à côté d'eux et prit toute l'attention de Zabini pendant que Drago continuait de manger silencieusement. Ils se regardèrent qu'une seule fois, mais il détourna le regard à peine l'avait-il posé sur elle.

L'après-midi, ils partageaient les cours d'Arithmancie et de Défense Contre les Forces du Mal. Ce jour-là, Maugrey leur fit une séance de révisions du sortilège Fumos, celui que Drago avait fait autour de leur banc une semaine plus tôt. La salle de classe fut très vite enfumée. Drago ne tourna pas une seule fois la tête vers elle, alors qu'elle ne pensait qu'à lui et ses yeux couleur gris fumée, et sa main contre la sienne.

Le soir, après le dîner, Hermione avait très envie de parler avec Drago. Peut-être même de s'excuser la première, parce que c'était une dispute stupide, et qu'ils s'étaient emportés pour rien. Elle espérait que peu importe ce qu'il planifiait le jeudi soir, il l'avait annulé pour passer la soirée avec elle et faire de même.

Mais la table ronde était vide, et Hermione passa sa soirée seule à la Bibliothèque.

Elle essaya de réviser les Potions, mais chaque bruit la faisait sursauter. Elle imaginait chaque pas comme le sien. Elle voulait l'entendre dire "Bonsoir Granger". Mais il ne se montra pas.

Quelques minutes avant la fermeture de la Bibliothèque, Hermione se dirigea vers le comptoir de Madame Pince, un bout de parchemin à la main.

"Oui, Miss Granger ?" demanda la bibliothécaire en la voyant arriver, du ton le plus amical qu'elle était capable de faire.

"J'aurais besoin d'un livre pour comprendre mon cours de Potions, mais je ne le trouve pas dans les rayons." expliqua Hermione. "Il s'agit du livre "Armoise et Asphodèle.""

"Il est dans la classe de Potions." l'informa Madame Pince sans la moindre once d'hésitation. "Dans le cabinet de gauche. Si vous voulez aller le récupérer, je peux vous faire un mot d'autorisation."

Hermione hocha la tête en se demandant comment cette femme pouvait connaître la localisation exacte de ce livre. Elle prit le mot, remercia la bibliothécaire et sortit dans le couloir.

Au lieu de remonter directement à la Salle Commune des Gryffondors du septième étage, Hermione descendit donc les escaliers pour aller aux cachots. Elle avait absolument besoin de ce livre pour compléter ses révisions avant le cours de demain. Les couloirs étaient déserts, et les cachots encore plus effrayants que pendant la journée. Il y régnait une atmosphère qui faisait froid dans le dos.

Hermione ne croisa personne, à part le fantôme de Serpentard, qui ne fit pas attention à elle. Elle ouvrit la classe de Potions et alluma le bout de sa baguette pour y voir quelque chose, puis se dirigea vers le cabinet de gauche.

En cherchant le livre, Hermione se demanda ce que pouvait bien faire Drago les jeudis soirs. Il était forcément à cet étage. Peut-être que c'était un rendez-vous hebdomadaire dans sa Salle Commune, comme une activité extra-scolaire ? Ou qu'il avait des séances de révisions avec quelqu'un d'autre ? Cette pensée lui tourna le ventre.

Hermione trouva finalement le volume qu'elle cherchait et sortit discrètement de la classe. En remontant dans les cachots, elle aurait pu jurer entendre la voix de Rogue derrière l'une des portes du couloir. Sa voix caverneuse était reconnaissable entre mille. Mais Hermione n'arrivait pas à trouver d'où elle venait, ou ce qu'il disait, alors elle se dit qu'elle était sûrement fatiguée et arrêta de chercher.

Elle était presque arrivée vers les escaliers quand quelqu'un parla dans son dos.

"Hé ! Qu'est-ce que tu fous là, toi ?!"

Hermione fut tellement surprise qu'elle en lâcha son livre qui tomba par terre. Elle le ramassa et se retourna. Elle soupira d'exaspération en réalisant que la personne qui lui avait fait peur n'était autre que Crabbe, suivi de près par Goyle. Ils étaient dissimulés par la pénombre, mais Hermione pouvait voir leurs deux baguettes allumées.

"Je venais récupérer un livre." dit-elle en leur montrant l'ouvrage d'un geste impatient.

"Tu es sur notre territoire !" s'exclama Goyle.

Hermione leva les yeux au ciel :

"Il n'y a pas de "territoire", je suis simplement allée dans la classe de Potions !"

"Les cachots, ce n'est pas pour les Sangs-de-Bourbe dans ton genre !" répliqua Crabbe sans écouter sa remarque.

L'insulte hérissa les poils de sa nuque. Même si elle l'avait déjà entendue plusieurs fois, elle n'avait jamais réussi à s'habituer à cette injure, et même si Crabbe et Goyle étaient aussi bêtes que leurs pieds, elle ne put s'empêcher de ressentir une pointe de peur en entendant ça. Elle détestait le fait de se sentir inférieure juste à cause d'une insulte.

"Vous êtes vraiment aussi stupides que vous le paraissez, tous les deux." dit-elle simplement.

Elle observa la réaction des deux lourdauds, qui prirent quelques secondes avant de réaliser que ce qu'elle avait dit n'était pas un compliment, mais bien une insulte. Puis, elle se retourna et s'apprêta à monter les escaliers. Sa mère lui avait dit plusieurs fois que la meilleure réaction à un conflit était l'ennui. Elle mettait en application ce conseil.

"Tu n'aurais pas dû dire ça !" s'écria l'un des deux dans son dos. "Scalpere cutis !"

Hermione sentit le sort lui ouvrir la peau du bas de sa nuque avec une rapidité alarmante. Elle eut un cri de douleur et porta une main automatique à l'arrière de son cou, et sentit du sang couler le long de son dos.

Elle se retourna, offusquée, vers les deux garçons, mais juste avant qu'elle ne puisse leur hurler dessus, quelqu'un dans le fond du couloir s'exclama :

"Expelliarmus !"

Les baguettes de Crabbe et Goyle sautèrent de leurs mains et atterrirent dans celles du garçon qui s'approchait.

Malgré l'obscurité, Hermione reconnut Drago de loin.

Et il avait l'air furieux.