MERCI pour tous vos commentaires! Je suis super reconnaissante de l'ampleur que prend cette fic chaque semaine, les statistiques s'accélèrent de plus en plus et j'ai toujours du mal à réaliser le nombre de personnes qui sont investies dans mon histoire. J'adore vous lire dans les commentaires, c'est la meilleure des récompenses! Et pour ceux qui viennent d'arriver et qui ont rattrapé les chapitres, bienvenue! N'hésitez pas à laisser un petit message en dessous, j'y répondrai avec plaisir!

En tout cas, je prends toujours autant de plaisir à écrire cette Dramione, j'ai des idées qui me viennent en tête tous les jours et j'ai toujours hâte de les écrire le soir, je crois qu'on est pas prêts d'avancer vers la sixième année hahaha

Merci encore je vous aime tous très fort!

Il y a une interaction Dramione dans ce chapitre, enfin, mais il y a encore de nombreuses tensions à régler dans les prochains...

notes:

- les phrases en italique sont en français dans le texte, c'est-à-dire que les personnages parlent en français (au lieu de l'anglais qu'ils sont censés parler...) je sais pas si c'est clair?
- tw : émétophobie (à la fin du premier POV de Drago)

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Drago


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"Allez… Allez, Eris, s'il te plaît…"

Drago soupira pour la vingtième fois, pile en même temps que Blaise. Ce dernier tenait la laisse d'Eris du bout des doigts, et ils s'étaient enfoncés assez profondément dans le parc de Poudlard pour que personne ne puisse les voir depuis le Château.

"Allez, Eris…" marmonna Blaise.

Le "chien" (parce que Drago n'était pas encore convaincu que c'en était vraiment un), les regarda tranquillement, la tête penchée sur le côté, assis dans l'herbe. Il faisait tellement sombre que ça aurait été facile de le perdre, si son pelage n'avait pas été aussi blanc.

"Allez, satané chien de merde…" siffla Blaise entre ses dents, en remuant la laisse pour faire bouger la bête, qui ne broncha pas.

"Pourquoi t'as acheté ça, déjà ?" demanda Drago avec une pointe de sarcasme à peine dissimulée.

"Pour faire plaisir à Pansy."

"Et pourquoi est-ce que je dois me taper le spectacle de lui qui pisse par terre ?"

"En l'occurrence, il ne pisse pas par terre, c'est tout le problème." grogna Blaise. "Allez, Eris !"

"Je rentre." déclara Drago en faisant un pas en avant.

"Non !" s'écria Blaise. "Attends-moi."

"Quoi, tu as peur du noir ?" demanda Drago avec un petit rire moqueur.

"Non, j'ai peur des créatures beaucoup trop dangereuses pour être à côté d'une école d'élèves mineurs juste à quelques mètres de nous." dit Blaise en pointant du doigt la lisière sombre de la Forêt Interdite. "Attends cinq minutes, il va bien finir par pisser…"

"Il y a de grandes chances que je meurs de froid avant."

"Tu ressembles à Théo."

Drago grommela dans sa barbe et contempla les fenêtres allumées du Château pour ne pas regarder le chien par terre. Il entendit Blaise murmurer quelques paroles d'encouragement et il se retint de lever les yeux au ciel.

"Et pourquoi est-ce que Pansy ne le promène pas, au juste ?" demanda Drago après plusieurs minutes de silence.

"Elle termine son essai de Botanique en urgence avec Théo." expliqua Blaise. "Je lui ai proposé de le faire pour ne pas qu'elle ait à sortir."

Putain de Blaise et ses manières de gentleman en toutes circonstances. Drago fourra ses mains dans ses poches pour tenter de réchauffer ses doigts et frappa le sol avec son pied pour faire décoller la neige.

"Tu crois qu'il a froid ?" demanda Blaise en regardant le chien avec appréhension. "C'est peut-être pour ça qu'il n'a pas envie de pisser là."

Drago regarda ses pattes enfoncées dans la couche de poudreuse et arqua un sourcil :

"Ouais, peut-être."

Blaise prit la bête dans ses bras et l'emmena un peu plus loin, sur une couche de terre intacte. Le chien reprit la même position, en les regardant tous les deux sans esquisser le moindre mouvement.

"C'est un chien option sans cervelle que vous avez acheté ?" demanda Drago, récoltant un petit rire de la part de son meilleur ami.

"Pansy l'aime, et il l'aime. C'est le principal." répondit-il, toujours sage et posé.

Même si Drago ne voulait pas l'admettre, Blaise avait raison. C'était difficile de ne pas remarquer le changement drastique d'humeur de Pansy entre avant son anniversaire et après. Eris n'avait pas seulement apporté une tonne de poils blancs sur leurs vêtements, il avait également donné une nouvelle raison de vivre à Pansy, qui s'améliorait de jour en jour à vue d'œil. Elle souriait plus, et elle n'avait plus l'air constamment malade, ou en gueule de bois. Dès qu'elle pouvait, elle était avec Eris. Elle passait son temps à le peigner, à le chouchouter, et à le prendre sur ses genoux. Et il lui rendait la pareille, en jappant gaiement dès qu'elle rentrait dans la même pièce que lui, ou en lui léchant le visage de long en large. Et pour la première fois de sa vie, Pansy n'en avait rien à faire que ça ruine son maquillage. Quand c'était Eris, ça lui était égal.

Alors, même si Drago ne comprenait pas vraiment, il était obligé de se rendre à l'évidence : Théo et Blaise avaient eu une idée géniale en lui offrant ce cadeau. Même si ça voulait dire que Drago devait sortir dans la neige pour le regarder pisser.

"Au fait, j'ai réussi à récupérer une vieille bouteille de Whisky Pur-Feu pour la fête de ce soir." dit Blaise d'un ton plus enjoué. "1713, goût réglisse. Tu voudras goûter ?"

"Je peux pas, j'ai la ronde des préfets." répondit Drago.

"Ah, c'est vrai." dit Blaise, un peu déçu. "Avec Granger, c'est ça ?"

Drago hocha la tête et se mordit la langue de stress en pensant à elle. Il savait que Granger l'ignorerait probablement, mais même s'ils ne se parlaient pas de la soirée, ça sera tout de même la première fois depuis le match qu'ils seraient aussi proches l'un de l'autre. Depuis qu'il l'avait embrassée. Comment était-il supposé vadrouiller dans le Château avec elle, comme si de rien n'était ?

En constatant son silence, Blaise demanda :

"Nerveux ?"

"Moi ? Pourquoi je serais nerveux ?" demanda Drago, prétextant le détachement du mieux qu'il pouvait.

Blaise eut un petit rire, envoyant un nuage de buée glacée dans l'air :

"Merlin, je serais terrifié si je devais passer deux heures consécutives avec Granger."

Drago sentit ses entrailles se serrer en entendant ça. La connaissant, il savait qu'elle serait capable de l'enfermer dans une jarre et le jeter dans un parc de Londres si l'envie lui prenait.

Pourquoi Merlin l'avait-il embrassée ?

"Pas moi." dit Drago. "Je m'en fous d'elle."

Blaise ne répondit rien, et Drago se demanda à quel point son meilleur ami savait à quel point c'était un mensonge.

"Allez, Eris, dépêche-toi…" continua Blaise à l'adresse du chien, qui n'avait pas bougé d'un poil.

"Peut-être qu'il faut que tu lui parles comme Pansy lui parle." proposa Drago.

Blaise tourna la tête vers lui, légèrement horrifié.

"Tu veux dire…?"

"Ouais. Peut-être que c'est que comme ça que ça marche."

"Fais-le, toi." ordonna Blaise.

"Hors de question." répondit Drago. "Je préfère me faire dévorer par une créature mystérieuse de la Forêt plutôt que de parler à cette chose."

Blaise leva les yeux au ciel, et se pencha vers Eris et sa langue pendue.

"Allez, Eris… Petit… Petite boule de poils d'amour, fais pipi s'il te plait… Mon… Mon coeur sucré…"

Drago éclata de rire en entendant la voix si grave de Blaise prononcer ces mots, mais il avait raison, parce qu'Eris aboya et leva sa patte arrière pour faire ses besoins. Dès que ce fut fait, Blaise s'écria :

"Bravo, bon chien-chien !"

Et Drago fut persuadé qu'il l'avait dit à voix-haute sans le vouloir.

Blaise ramassa ensuite le chien qu'il posa sur son avant bras et Drago le recouvrit du carré de cape d'invisibilité de Zunko pour le faire disparaître, puis ils rentrèrent au Château.

Pansy et Théo avaient vraisemblablement terminé l'essai de Botanique, parce qu'ils avaient maintenant un échiquier entre eux et semblaient être en pleine partie. Théo observait la planche avec une concentration tellement extrême que c'en était presque comique : Drago pouvait voir la veine de son front ressortir. Pansy, elle, était à moitié allongée dans le canapé et avait l'air profondément désintéressée, jusqu'à ce qu'elle aperçoive Blaise et Drago passer la porte de la Salle Commune :

"Ils sont là !" dit-elle en se relevant. "Où est mon bébé ?"

Blaise s'approcha de Pansy dans le canapé et libéra le chien de la cape. Aussitôt, Eris se précipita sur sa maîtresse et cette dernière lui fit un énorme câlin, comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des années, alors que ça faisait à peine une demi-heure.

"Oh, mon amour, tu m'as manqué ! Que tu es beau et tout propre ! Tu as bien fait pipi ? Tu t'es bien amusé, avec tonton Blaise et tonton Drago ?"

Blaise sourit mais Drago grimaça dans son dos en entendant un tel surnom.

"Oh, mon bébé d'amour, tu m'as manqué, oui oui oui…"

Les mots de Pansy se transformèrent très vite en couinements incompréhensibles. Drago prit place dans son fauteuil et consulta l'heure avec appréhension. Il lui restait encore vingt minutes avant le début de la ronde. Après que Blaise ait fait un rapport complet à Pansy sur "la sortie d'Eris", il s'assit dans son fauteuil préféré et sortit un livre, peu intéressé par la partie en cours.

Drago, quant à lui, se perdit dans la contemplation des tréfonds du Lac Noir par la fenêtre en pensant à la ronde ce soir. Il savait que Granger lui en voulait, mais il ne savait pas si c'était à cause du baiser en lui-même, ou de sa réaction après l'avoir fait. Maintenant, elle l'ignorait autant que lui. Il savait qu'elle attendait qu'il fasse le premier pas, mais il n'arrivait pas à trouver le courage de lui en parler.

Il était plongé dans ses propres réflexions quand Théo lui demanda :

"Drago, qu'est-ce que tu me conseilles de faire ?"

Il tourna la tête vers son meilleur ami, qui contemplait toujours l'échiquier avec intensité.

Depuis la deuxième année, Théo et Drago avaient trouvé un excellent moyen de se parler sans que personne d'autre autour d'eux ne comprenne ce qu'ils étaient en train de se dire : en parlant en français. Pansy n'avait jamais écouté le moindre cours préparatoire de langue étrangère avant Poudlard, et Blaise n'avait appris que l'italien. Alors, dès qu'ils avaient compris que l'autre pouvait parler français, ils l'avaient tout de suite utilisé comme un langage secret. La plupart du temps, Théo l'utilisait pour insulter Crabbe et Goyle devant eux, et Drago pour se moquer de Pansy, qui ne supportait pas quand ils parlaient français devant elle.

Cette fois-ci, Théo voulait attirer son attention sur la partie. Drago regarda la planche d'un œil las et analysa les pièces blanches de Théo.

"Tu ne veux pas prendre son Fou ?" demanda-t-il.

"Hé, c'est de la triche !" s'écria Pansy en leur lançant un regard noir. "Vous n'avez pas le droit de faire ça !"

"Faire quoi ?" questionna Théo en feignant de ne pas comprendre. "Je ne peux pas, son Cavalier va prendre ma Reine si je fais ça."

"Demander à Drago de l'aide pour la partie !" piailla Pansy.

"On ne parle pas des échecs." répondit le brun en haussant les épaules.

"Tu devrais ouvrir le jeu sur la gauche avec tes pions." conseilla Drago.

"Je n'ai peut-être pas suivi les cours particuliers, mais je sais ce que Cavalier veut dire, Théodore Nott !" s'indigna Pansy, faisant remuer Eris de protestation sur ses genoux.

"Ce n'est pas interdit, à ce que je sache ?" dit Théo. "Rien ne t'empêche de demander à Blaise des conseils en italien. Je sacrifie mon Fou pour détourner son attention ?" ajouta-t-il à l'adresse de Drago, dans un accent français parfait.

Pansy leva les yeux au ciel. Elle avait quelques bases en italien, mais pas assez du tout pour demander l'avis de Blaise sur un sujet aussi spécifique. Ce dernier lisait d'ailleurs toujours son livre, et ne leur prêtait pas la moindre attention, même lorsqu'il entendit son prénom.

"Non, pas la peine." répondit Drago en s'adossant contre le dossier du fauteuil. "Ouvre le jeu et elle sortira son Roi d'elle-même."

"C'est de la triche." marmonna Pansy avec une mine écoeurée.

"Non, c'est de la stratégie." contredit Théo en avançant son pion, comme Drago l'avait suggéré.

Pansy regarda l'échiquier, les lèvres pincées. Et comme il l'avait prédit, elle sortit son Roi pour contrer Théo. Drago eut un petit sourire en coin en constatant à quel point il la connaissait même s'il n'avait jamais joué contre elle.

Théo, pour la première fois depuis des semaines, réussit à faire échec et mat. Dès que le Roi de Pansy fit tomber son épée sur les carreaux poussiéreux, Pansy se ratatina contre le canapé avec mauvaise humeur :

"C'est pas juste, tu as demandé de l'aide à Drago." dit-elle avec une moue boudeuse.

Théo afficha un grand sourire victorieux et remit les pièces en place.

"Drago, petite partie ?" proposa-t-il.

"Je peux pas, j'ai la ronde de préfets." répondit le concerné en se levant. "À tout à l'heure."

Théo et Pansy le saluèrent de la main, et Drago entendit dans son dos Théo demander si Blaise voulait jouer. Il sortit dans le couloir des cachots et frissonna sous son pull. Il était un peu en avance, mais il savait que Granger le serait aussi.

Sur le chemin vers la Grande Salle, Drago essaya d'Occluder, sans grand succès. Il n'avait pas réussi à fermer son esprit correctement depuis des jours, et plusieurs livres de sa bibliothèque mentale étaient encore tombés par terre sans qu'il ne passe les ranger. Il n'arrivait pas à se résoudre à ouvrir les portes et se faire agresser par le souvenir de son baiser avec Granger.

Cette dernière l'attendait près des portes de la Grande Salle. Au moins, l'avantage, c'était qu'elle n'avait pas besoin de faire semblant de le détester devant les autres pour créer une couverture ce soir. On aurait dit qu'elle le haïssait comme les premières années, ce qui était une vision extrêmement dérangeante. Il avait du mal à reconnaître la fille déguisée en ange sur leur banc.

Elle ne lui dit même pas bonsoir quand il arriva à son niveau et partit à une vitesse impressionnante en direction des escaliers pour commencer à patrouiller. Drago la suivit, les mains dans les poches, la tête baissée vers le sol pour éviter de regarder les lèvres de la fille en face de lui qui hantaient ses nuits depuis des jours.

Ils commencèrent la ronde au premier étage, puis au deuxième, puis au troisième. Quand ils arrivèrent au quatrième, la cloche sonna dans le Château pour indiquer le début du couvre-feu général, et tous les derniers élèves encore dans les couloirs rejoignirent leurs Salles Communes. Certains passèrent devant eux, sans leur prêter la moindre attention.

Granger continua d'avancer devant lui sans se retourner. Cette attitude lui faisait penser à celle qu'elle avait eu avant le Bal, et tout comme ce moment-là, Drago n'arrivait pas à trouver le courage de lui parler en premier. En l'embrassant, il avait rompu quelque chose qui s'était installé entre eux deux, il avait agi sous ses sentiments, ceux qu'il essayait désespérément de mettre de côté dans son esprit. Maintenant, l'air autour d'eux n'était plus seulement chargé d'électricité, il était chargé d'autre chose, un passif, un moment qu'ils avaient partagé, et c'était impossible de l'effacer.

Il s'en voulait de l'avoir embrassée, et il ne savait pas comment lui dire, parce qu'il n'avait jamais été doué pour communiquer. Ce n'était pas comme avec Pansy. Ils s'étaient disputés des centaines de fois depuis qu'ils étaient enfants, et Drago avait vécu des longs jours atroces après l'avoir embrassée sans qu'elle le veuille, mais elle avait fini par le pardonner, comme toujours. Il n'avait pas eu besoin de faire un long discours plein de confessions et d'excuses. Pansy lisait en lui.

Pour Granger, c'était différent. Il avait beau la connaître après tout ce temps passé avec elle, il n'avait aucune idée de comment elle pouvait réagir. Il ne savait pas ce qu'elle ressentait, ou la raison de son ignorance des dernières semaines. Et il détestait ne pas savoir. En voyant la manière dont elle le traitait pendant cette ronde, c'est-à-dire en agissant comme s'il n'existait pas, il comprit qu'elle avait opté pour l'attente. L'attente qu'il se décide à lui reparler.

Ils se reparleraient, il en était sûr. Il irait probablement sur le banc un soir, et ils pourraient faire comme si rien ne s'était passé. Ils pourraient continuer à réviser ensemble à la Bibliothèque et oublier que ce baiser avait eu lieu. Il était capable de faire ça. Ils avaient simplement besoin de temps pour pouvoir mettre ça derrière eux, et aller de l'avant.

Drago s'était pratiquement persuadé lui-même de cette probabilité, quand Granger se retourna soudain, lui empoigna le col de sa chemise, et ouvrit la porte de la salle à leur droite pour le jeter violemment à l'intérieur.

Drago trébucha à moitié et se retrouva plaqué contre le mur de l'entrée. C'était une grande classe vide, les pupitres en bois avaient été empilés sur les côtés, tout comme le tableau noir et la corbeille à papier, qui étaient recouverts d'une épaisse couche de poussière. Les fenêtres en vitrail projetaient une faible lumière qui se répercutait sur le sol dans des carrés en mosaïque blancs. Mais Drago eut à peine le temps de distinguer quelque chose de l'endroit, avant que Granger ne se plante devant lui, ses boucles sauvages entourant son visage imprégné de colère.

"Tu n'es qu'un lâche, Drago Malefoy !" s'écria-t-elle de sa voix haut-perchée.

Et juste comme ça, Drago comprit qu'il avait eu complètement tort.

"Quoi ?" bredouilla-t-il, bien trop surpris par ce qu'elle venait de faire pour s'indigner par ses mots.

"Pourquoi est-ce que tu m'ignores ?" demanda-t-elle, en plongeant son regard éclatant dans le sien.

"Je ne…"

"Si, tu m'ignores." répliqua Granger sèchement en croisant les bras sur sa poitrine. "Je veux savoir pourquoi. Ou mieux, à quoi tu t'attendais ? Tu m'embrasses, tu t'enfuis, tu ne m'adresses plus la parole ensuite, puis quoi ? Et tu t'attendais à quoi, Malefoy ? À ce que j'attende sagement que tu te décides à revenir vers moi ? Explique-moi !"

Drago sentit ses paumes devenir moites.

"Je sais pas, Granger, j'ai…"

"Tu ne sais pas ?!" répéta-t-elle d'une voix perçante, qui crispa Drago tant elle était redoutable. "Sérieusement ? Tu as oublié ? Tu m'as oubliée ?!" Elle posa un index sur sa poitrine et le fit reculer contre le mur avec hargne. "Ça t'arrive tellement souvent d'embrasser des filles avec qui tu discutes tous les jours que tu as oublié mon existence, c'est ça ?"

Drago fit un pas en avant en essayant de la contredire, mais elle parlait beaucoup plus fort que lui :

"Et bien moi, je n'ai pas oublié, Malefoy ! Je t'ai attendu sur le banc toute la semaine, et sur la table de la Bibliothèque, et tu n'es pas venu, tu m'as ignorée, comme si c'était de ma faute ! Je suis furieuse contre toi, et tu n'as même pas le courage de venir me parler ? Après ce que tu as fait ? Tu n'es qu'un lâche !"

Elle enfonça son index un peu plus contre son thorax à chaque mot, comme pour accentuer sa colère, et Drago n'eut pas d'autre choix que de reculer et de la laisser continuer sa tirade sans l'interrompre :

"Cette fois-ci, tu n'as aucune excuse, Malefoy !" dit-elle, sa voix inhabituellement pleine de venin. "Tu ne peux pas utiliser ton père, ou ta colère, ou que sais-je. Tu m'as embrassée, et tu as fui, comme un lâche, sans aucune explication, et tu t'attendais vraiment à ce que je laisse passer ça ? Que je fasse semblant qu'il ne se soit rien passé pour que tu puisses encore une fois fuir tes responsabilités ?"

"Hé !" s'écria Drago, piqué dans son égo. "Ça n'a rien à voir avec ça, c'est juste que…"

Pour toute réponse, Granger poignarda encore une fois sa poitrine avec son index :

"Non, ça suffit ! Je ne veux rien entendre de ta bouche ! Tu avais toute la semaine dernière pour le faire, maintenant, c'est terminé, j'en ai marre, marre d'attendre que tu viennes ! Et j'en ai plus que marre que ce soit toi qui décide de tout entre nous. Tu me dis que tu es amoureux de moi, mais tu m'interdit d'en reparler, comme si j'étais censée ignorer cette, cette… cette bombe que t'as lâché sans prévenir, et dès que j'ai le malheur d'essayer de le faire, tu me rembarres. Et maintenant, tu m'embrasses, et tu me mets de côté, sans même savoir ce que j'en pense ! Parce que tu t'en fiches pas mal de ce que j'en pense, pas vrai ? Tu es tellement focalisé sur ta famille, tes valeurs de Malefoy, l'opinion des autres, que tu t'en fiches complètement de ce que je peux ressentir ! C'est ça ?"

"Ce n'est pas vrai, Granger…"

"Si ce n'est pas vrai, pourquoi tu n'es pas venue m'en parler ?" demanda-elle férocement. "Pourquoi tu n'es pas venu sur le banc pour qu'on puisse en discuter ensemble ?"

"Parce que j'avais peur de ta réaction !" répondit Drago d'une voix forte en dégageant son index accusateur. "J'avais peur que tu te sois remise à me haïr, que tu ne veuilles plus jamais me voir après ce que j'ai fait ! J'ai pensé que… que tu l'avais mal pris, et je ne… je ne voulais pas t'entendre me rejeter, ça aurait été trop douloureux…"

"Alors, tu as préféré m'ignorer jusqu'à ce que je sois obligée de te traîner dans une salle de classe vide pour te hurler dessus, c'est ça ?" demanda Granger, pleine de sarcasme.

"Non !" répliqua aussitôt Drago, qui avait du mal à trouver ses mots quand elle le regardait avec autant de furie. "J'avais peur, Granger ! J'avais peur qu'après avoir… avoir fait ce que j'ai fait, tu ne veuilles plus jamais me parler, ou que tu m'en veuilles ! Je n'aurais jamais dû faire ça, je me sentais mal, je croyais que… je croyais que tu ne voulais plus jamais me parler, qu'il te fallait du temps pour me revoir, pour…"

Granger leva gravement les yeux au ciel, comme s'il venait de dire la chose la plus absurde qu'elle ait pu entendre dans sa vie.

"Pour quelqu'un qui aime tant se vanter en permanence, Malefoy, tu es la personne qui arrive le moins bien à communiquer que j'ai pu rencontrer."

"Arrête de m'appeler comme ça." demanda Drago d'une voix étranglée.

"Non, parce que c'est exactement qui tu es depuis une semaine." répondit sèchement Granger. Son ton avait baissé, mais elle portait toujours les traces de rage sur chacun des traits de son visage. "Malefoy. L'inexpressif, odieux, insupportable Malefoy. Pourquoi tu n'es pas venu sur le banc ?"

"J'avais peur." avoua Drago, en la regardant dans les yeux pour qu'elle y voit sa sincérité, contrairement à ses propos qu'il avait du mal à rendre clairs. "J'avais peur que tout change après t'avoir embrassée. J'avais peur de ta réaction, j'avais peur que tu m'en veuilles, ou que tu me demandes de ne plus jamais t'approcher, et ça me terrifiait, Granger."

"Donc, tu as préféré t'éloigner et ne plus me parler plutôt que de m'entendre dire de le faire ?" demanda-t-elle, les sourcils haussés pour montrer à quel point elle trouvait cette pensée ridicule.

"Oui, je crois." admit Drago. "Je ne savais pas comment… Je ne savais pas comment m'excuser. J'ai préféré ignorer tous mes problèmes plutôt que d'y faire face."

Granger leva les yeux au ciel une seconde fois, au bord de l'exaspération.

"Et bien c'était stupide." décréta-t-elle. "Parce que si tu avais pris tes responsabilités en main pour une fois dans ta vie, j'aurais pu te dire que moi, je ne regrette rien."

Drago avait ouvert la bouche mais il la referma en entendant la fin de sa phrase. Elle vit son expression de surprise et continua d'un ton encore plus dur :

"C'était inattendu, et je ne devrais pas être contente que ça soit arrivé parce que tu venais de te battre avec Harry et George, mais c'est le cas. Si tu étais venu sur ce banc, j'aurais pu te dire tout ça, mais tu as préféré fuir ! Je n'ai fait que t'attendre comme une idiote sur ce banc pendant des jours, et attendre ton arrivée dans la Bibliothèque, et je déteste ça !" Granger tapa son pied par terre pour montrer son exaspération. "Je déteste être cette fille qui t'attend, qui ne pense qu'à ça, à toi, à ton baiser ! Je ne suis pas comme ça, je n'ai jamais été comme ça !" Elle s'approcha soudain de lui, et Drago ne savait pas si elle voulait le frapper, ou pleurer. "Je suis censée être une fille réfléchie, sensée, logique, rationnelle, mais tu as tout chamboulé depuis que tu m'as annoncé que tu m'aimais !"

Drago serra les poings en l'entendant dire ça.

"Et tu as tout chamboulé depuis que tu as posé un pied dans ce putain de Château !" hurla-t-il en avançant d'un pas. "J'étais censé être un Sang-Pur respectable, et trouver une femme de Sang-Pur respectable, et vivre dans l'ombre de mon père et de ses valeurs respectables, mais tu es arrivée, et tu m'as montré que tout n'était pas blanc ou noir, tu as réussi à t'imprégner en moi, à changer tout ce que je croyais depuis que je suis né, et je suis tombé amoureux de toi ! Tu crois vraiment que j'ai la moindre idée de ce que je fais ? Tu crois que j'avais prévu de t'embrasser ? Je ne comprends même pas ce que je ressens moi-même la plupart du temps ! Je suis constamment en colère, sauf quand tu es là, et je ne sais même pas pourquoi ! C'est comme si tu m'ensorcelais, comme si tu avais la capacité de me changer en un claquement de doigt, et tu sais le pire dans cette histoire ? C'est que j'en ai rien à foutre ! Je suis addict à ça, à toi ! Pendant longtemps, j'ai cru que la Bibliothèque m'aidait à respirer, mais ce n'est pas la Bibliothèque, Granger, c'est toi !"

Drago était si proche d'elle qu'il pouvait voir les larmes perler dans le coin de ses yeux. Ses prunelles chocolat étaient accrochées aux siennes.

Il y eut quelques secondes de silence où Drago fit les cent pas devant elle pour calmer sa respiration, et Granger essuya ses larmes de rage.

"Pourquoi tu ne m'as pas dit tout ça après m'avoir embrassée, Drago ?" demanda-t-elle, sans aucune douceur dans sa voix.

Il s'arrêta de marcher et se mit devant elle. Proche. Trop proche. Il pouvait sentir la fraise dans ses cheveux.

"Parce que je ne peux pas te dire ça." répondit-il, tout aussi bas. "Je ne peux pas te raconter tout ça, parce que je suis terrifié à l'idée que tu tombes amoureuse de moi, et que je sois obligé de te briser le cœur. Et de briser le mien, au passage."

Il porta une main pour essuyer la larme qui s'était échappée de ses cils pour rouler le long de sa joue. Granger eut alors un petit rire qui fit trembler sa lèvre inférieure :

"C'est trop tard, Drago."

Il arrêta son mouvement et la regarda sans comprendre.

"Trop tard pour te briser le coeur ?" demanda-t-il.

"Non." dit Granger, sans le lâcher des yeux. "Trop tard pour ne pas tomber amoureuse de toi."

Le cœur de Drago dégringola dans sa poitrine. Il recula d'un pas par réflexe.

"Ne dis pas ça." gronda-t-il, presque menaçant.

Mais Granger, bornée comme elle était, secoua la tête.

"Si, je vais le dire. Tu refuses d'admettre tes sentiments parce que tu as peur que je les partage. Mais c'est le cas, Drago. Je les partage."

"Tu ne penses pas ce que tu dis." dit-il résolument, refusant de croire qu'elle puisse réellement prononcer ces mots à cet instant.

"Si, je le pense." affirma Granger avec une fermeté qui lui ressemblait peu. Elle ne rougissait même pas.

Drago Occluda.

"C'est le baiser, ça t'es monté à la tête." souffla-t-il, et il ne savait pas vraiment s'il essayait de la convaincre elle, ou lui. "Tu dis ça parce que tu es confuse, c'est tout. Tu n'es pas amoureuse de moi, tu es amoureuse de Weasley."

Les traits de Granger se durcirent et elle recula comme s'il l'avait physiquement repoussée.

"Arrête de parler à ma place !" cria-t-elle de sa voix haut perchée. "Tu ne sais rien de ce que je ressens ! Je ne suis pas amoureuse de Ron, je suis amoureuse de to…"

"Non !" coupa Drago, qui ne savait pas s'il était en colère ou terrifié. "Ne dis pas ça, Granger, ne le dis pas, s'il te plaît."

"Mais pourquoi ?" demanda-t-elle, la colère transperçant chacune de ses syllabes. "Pourquoi est-ce que tu ne veux pas l'entendre ? Pourquoi est-ce que tu m'empêches de le dire, pourquoi est-ce que tu refuses de parler de tes sentiments ?"

Drago se prit les cheveux entre les doigts et tira dessus.

"Parce qu'on ne peut pas, Granger !" dit-il. "On ne peut pas, c'est trop dangereux ! Tu sais ce que tu risques si ça s'apprend ?"

Granger laissa échapper un son entre le sanglot et le rire :

"Oui, je sais ! Tu es le fils de Lucius Malefoy et je suis la meilleure amie d'Harry Potter, je suis une Gryffondor et tu es un Serpentard, tu es un Sang-Pur et je suis une née-Moldue ! Je sais tout ça ! Tu me le répètes sans cesse depuis des mois !"

Ses yeux étaient tellement flamboyants que Drago pouvait sentir son regard transpercer sa carapace d'Occlumancie.

Quand Granger reparla, ce fut d'un ton beaucoup plus assuré :

"Je voulais juste te le dire pour… pour que tu comprennes les enjeux. Tu n'es plus tout seul là-dedans, Drago. Je suis amoureuse de toi aussi, et il faudra faire avec."

Drago reçut ces derniers mots comme un coup de poing dans sa poitrine : il expira tout l'air de ses poumons brutalement. C'était encore plus violent que ce que Potter et Weasley lui avaient fait après le match, une explosion de joie et de peur combinées qui le frappa de plein fouet, violemment. Il avait presque envie de se boucher les oreilles pour ne pas entendre ce que Granger disait, mais c'était trop tard : elle l'avait dit. Maintenant, ils ne pouvaient plus revenir en arrière. Elle avait prononcé les mots qu'il voulait entendre depuis des années, mais qu'il redoutait tout autant.

Le visage cireux de Lucius apparut dans sa tête, comme un rappel mesquin, et Drago devint nauséeux instantanément.

"Tu ne peux pas… Granger…" murmura-t-il, la tête entre les mains et le corps pratiquement plié en avant.

Elle se redressa, comme pour le dominer par sa taille, et elle dit en pesant chacun de ses mots :

"Je peux, et je le fais."

Drago releva la tête pour pouvoir la regarder et ne fut pas étonné d'y trouver la flamme de détermination dans ses prunelles de Gryffondor trop butée.

"C'est impossible, Granger !" s'écria Drago en se retournant soudain pour faire face au mur. Tout plutôt que de voir l'espoir dessiné sur le visage de la fille en face de lui. "On ne peut pas ! C'est trop risqué ! Si ma famille l'apprend, si les Serpentards…"

Visiblement, ce n'était pas la bonne chose à dire. L'espoir de Granger se transforma subitement en colère, son cou fut envahi de petits taches rouges et sa bouche se tordit dans une grimace de répulsion :

"Ah, c'est donc ça !" dit-elle d'une voix acerbe qui ne lui ressemblait pas du tout. "Tu as peur que tes amis découvrent que tu es amoureux de moi, c'est ça ? Tu as peur que ta précieuse Parkinson se rende compte de ce que tu ressens pour une née-Moldue comme moi ? Ou de comment réagirait Zabini s'il apprenait que tu traînais tous les soirs avec une Sang-de-Bourbe ?!"

Drago se propulsa en avant pour l'empêcher de prononcer l'insulte, mais il n'eut pas le temps de la faire taire : le mot se répercuta contre les murs en pierre de la salle, et elle était tellement vide qu'il résonna comme un écho.

"Non, pas du tout !" s'écria-t-il, horrifié qu'elle puisse en être arrivée à cette conclusion aussi hâtivement. "Ça n'a rien à voir avec ça, Granger !"

Elle le repoussa avec ses deux mains pour l'éloigner d'elle et étrangement, l'impact fut encore plus brutal que lorsque Fred Weasley l'avait fait une semaine plus tôt.

"Tu crois que je ne connais pas les risques ?!" poursuivit-elle, le corps tremblant de fureur. "Tu penses vraiment être le seul qui perdrait tout si ça s'apprenait ? Je te rappelle que je suis la meilleure amie d'Harry Potter, ton ennemi juré ! S'il savait que j'étais amoureuse de toi, il le prendrait comme une trahison, et je perdrai tout ! Comment crois-tu que je vis depuis que tu t'es assis à la table de la Bibliothèque ?" C'était une question rhétorique, mais Drago ne connaissait pas la réponse : elle n'avait jamais parlé de ça auparavant. "Je vis tous les jours avec la peur qu'ils comprennent avec qui je passe mes soirées, et dès que je rentre, la culpabilité me ronge, et m'empêche de dormir ! Et après ce que tu as fait pendant le match, après ce que tu as dit, comment je suis censée pouvoir te défendre ? Quand même moi, je ne sais pas si tu mérites mon pardon ? Tu crois que je te dis tout ça à la légère, que c'est juste un crush éphémère ? Tu penses sincèrement, Drago, que je risquerai les deux plus belles amitiés que j'ai pour toi volontairement ?"

"C'est justement pour ça que je ne veux pas entendre ce que tu m'as dit !" contra Drago, si fort qu'il eut soudain peur que les portraits derrière la porte puissent entendre leurs hurlements. "Je veux te protéger, Granger ! J'en ai rien à foutre que mes amis apprennent ce que je ressens pour toi, j'ai peur parce que si ça remonte aux oreilles de mon père, ce ne sera pas seulement moi qui serai puni, mais toi ! Et tu ne sais pas de quoi ils sont capables, ils peuvent te détruire, tu ne perdras pas seulement tes Weasley et ton Potter, tu perdras ta réputation, ta famille, peut-être même ta vie, et Merlin, il est hors de question que je te perde !"

D'autres larmes de colère coulaient sur les joues de Granger, et Drago crut sentir les mêmes sur son propre visage, mais ne fit rien pour les essuyer. Il ne comprenait pas les frissons qui parcouraient ses bras : était-ce de la colère, de la peur, ou l'envie de s'approcher d'elle pour l'embrasser ?

"Mais tu me perds déjà, Drago !" dit Granger dans un cri étranglé.

"Je préfère te perdre en avance plutôt que de te voir brisée quand ça sera trop tard." dit-il, les mots sortant de sa bouche avant même qu'il ne puisse les analyser. "Je préfère te libérer, plutôt que de te condamner à un futur désastreux." Il baissa la voix. "Je fais ça pour ton bien, Hermione. Je fais ça pour ne pas te voir souffrir à cause de ce que j'ai fait. Je prends mes responsabilités, pour une fois dans ma vie."

Un sanglot éclata dans le fond de la gorge de Granger et Drago dut se retenir au mur pour ne pas la prendre dans ses bras.

"Alors, tu termines tout avant même d'avoir commencé ?" demanda-t-elle en baissant la tête pour ne pas qu'il voit ses larmes. "Tu ne me laisses même pas le choix ? Je n'ai même pas le droit de décider de ce que je veux ?"

"Non." dit Drago doucement. Les frissons sur ses bras s'atténuèrent, sa tête était vide, sa gorge sèche, son cœur brisé. "Je fais ça pour te protéger."

"Mais je ne veux pas être protégée !" dit-elle obstinément. "Je veux qu'on redevienne comme avant, je veux que tu redeviennes Drago, mon Drago…" Puis, elle ajouta dans un souffle : "Tu me manques."

La maigre tentative d'Occlumancie de Drago s'écroula dès qu'il entendit ça. Il éprouva l'envie contradictoire et dévorante de traverser les quelques mètres qui les séparaient pour l'embrasser de nouveau. Comme si c'était l'unique moyen de savoir si elle était sincère.

"Tu me manques aussi." admit-il, parce que c'était vrai.

"Alors, reviens." dit Granger, mi-ordre, mi-supplique.

"Je ne peux pas." répondit Drago avec un petit sourire peiné. "On ne peut pas être ensemble, Granger. Merlin sait que j'en rêve, mais on ne peut pas. Et ça n'a rien à voir avec Pansy, ou Blaise, ou Théo." Il s'approcha d'elle et, sans même le réaliser, porta sa main à sa joue pour la caresser doucement, comme pour attenuer la dureté des mots qu'il s'apprêtait à prononcer. "Tu devrais être avec quelqu'un qui te correspond, Granger, pas un garçon au destin damné, déjà condamné par sa famille qui supporte le régime que tu haïs. Tu mérites d'être amoureuse de quelqu'un de bien. Comme… Comme Weasley." cracha-t-il malgré lui. "Ou Goldstein, ou Londubat, ou même le Moldu Poufsouffle. Tu devrais être avec quelqu'un qui soutient tes combats, pas quelqu'un qui menace ton existence juste en osant te tenir la main. Tu devrais être avec quelqu'un de doux, et de gentil, pas quelqu'un qui détruit tout dès qu'il ressent la moindre contrariété. J'ai été égoïste à penser qu'on pouvait être amis, parce que je t'ai emporté avec moi dans des chemins bien trop obscurs pour que tu puisses t'y engouffrer. Je suis désolé, Granger."

Drago n'avait aucune idée de comment il avait pu sortir ce discours sans que sa voix ne tremble, ou qu'il se sente physiquement malade après l'avoir prononcé. Il resta droit, et osa même plonger son regard dans le sien. Sans aucune Occlumancie. Dénudé. Sincère. Granger secoua la tête, avec un peu moins de force.

"Tu es amoureuse de Weasley." chuchota Drago, une affirmation. "C'est avec lui que tu devrais être."

Ils se regardèrent longuement. Il pouvait voir toute sa détermination fondre et se dissiper, pour devenir un masque de profonde frustration. Les larmes stagnaient maintenant sur la bordure de ses paupières, et elle s'essuya les joues une dernière fois avec la manche de son uniforme, puis déclara :

"Très bien. Puisque c'est ce que tu veux."

Sa voix était blanche et éteinte, méconnaissable et opposée à son habituel timbre haut-perché qu'il aimait tant. Et juste comme ça, avant même qu'il ne puisse lui dire que ce n'était pas ce qu'il voulait, mais plutôt ce qu'il était contraint de faire, Granger tourna les talons et sortit de la salle de classe vide.

Drago attendit une minute entière, peut-être dans l'espoir qu'elle revienne. Mais Granger ne se remontra pas, alors Drago ouvrit la porte, prit le couloir, le traversa en quelques enjambées, entra dans les toilettes, et vomit tout le contenu de son estomac, comme pour se laver de ce qu'il venait de dire.

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Hermione


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Hermione pleura rageusement sur tout le chemin retour vers sa Salle Commune. Pour la première fois de sa vie, elle manqua à son devoir de préfète et sauta la fin de la ronde pour rentrer plus tôt, incapable de patrouiller dans le Château après sa dispute avec Drago.

Elle fut reconnaissante de voir qu'Harry et Ron étaient déjà allés se coucher. Elle n'était pas sûre d'être capable de mentir pour expliquer ses larmes à cet instant. Hermione se précipita vers les dortoirs avant de se faire interpeller par un Gryffondor et monta les marches quatre à quatre vers celui de Ginny.

Elle ne frappa même pas à la porte pour entrer dans la pièce ronde et se rua sur le lit fermé de sa meilleure amie. Elle entendit vaguement les bruits de la douche qu'une colocataire de Ginny devait être en train d'utiliser avant qu'Hermione n'ouvre le rideau du lit. Ginny y était allongée, les jambes croisées sur sa couette, sa radio sorcière en train de diffuser une musique de rock en fond, en train de lire une revue de Quidditch abîmée. Elle ne sembla pas surprise de voir Hermione, mais fronça les sourcils en voyant son état.

"Mione ?" appela-t-elle gentiment en fermant son magazine. "Qu'est-ce qu'il s'est passé ?"

Hermione s'allongea à côté de Ginny, ferma les rideaux d'un coup de baguette, puis insonorisa autour d'elles. Il y eut un silence, où Hermione fixa le plafond et Ginny fixait son profil en attendant qu'elle s'explique.

"Drago Malefoy est un gros con." déclara-t-elle finalement.

Ginny eut le mérite de ne pas ciller. Pourtant, Hermione n'employait jamais de mot vulgaire.

"Oui, on peut dire ça." concéda sa meilleure amie. "Mais il n'est pas censé l'être avec toi. Qu'est-ce qu'il a fait, encore ?"

"On s'est disputés." dit Hermione avec un soupir agacé.

"Encore ?"

"Oui, encore, parce qu'il est tout simplement insupportable !" expliqua Hermione d'une voix proche du couinement. "Il décide de tout, et je n'ai pas mon mot à dire, même sur un sujet qui me concerne ! À l'entendre, on dirait que je suis une petite fille qui ne comprend rien à la vie et qui n'est pas capable de prendre ses propres décisions, c'est, c'est… c'est tellement frustrant ! Il est suffoquant, voilà ce qu'il est ! Il ne me laisse pas en placer une et je finis toujours par pleurer, et il s'enfuit avant que je puisse donner mon opinion !"

"Il a fui votre dispute ?" demanda Ginny, les sourcils rapprochés, clairement en train d'essayer de déchiffrer l'explication bancale d'Hermione.

"Non, c'est moi qui suis partie cette fois." répondit-elle. "Mais il m'avait énervée !"

Ginny se plaça en tailleur devant Hermione, sur la couverture.

"Ok, Mione, il va falloir que tu m'expliques tout ça plus clairement." dit-elle très sérieusement.

Alors, Hermione prit une grande inspiration, et lui raconta tout. Sans épargner le moindre détail : du match des Gryffondors jusqu'à la dispute dans la salle de classe vide, en passant par le baiser dans la cage d'escaliers qui fit chauffer ses joues. Ginny écouta son récit sans l'interrompre, mais ouvrit grand la bouche quand elle entendit que Drago l'avait embrassée.

Quand Hermione en arriva à sa tentative de confession, sa meilleure amie la coupa pour la première fois :

"Tu es amoureuse de lui ?"

Hermione fut soudain embarrassée : bizarrement, faire cet aveu était encore plus difficile que de dire qu'ils s'étaient embrassés.

"Oui, je crois." répondit-elle dans un murmure.

"Depuis quand ?!"

"Je n'en sais rien." admit la brune. "Ça s'est fait progressivement…"

"Et tu lui as dit comme ça, d'un coup ?" demanda Ginny avec une pointe d'admiration.

"J'ai essayé, du moins !" s'écria Hermione. "Mais il n'a rien voulu entendre ! Il n'arrêtait pas de me répéter qu'on ne pouvait pas, que c'était trop risqué…"

Elle sentit les larmes monter de nouveau et renifla. Ginny, sans aucun jugement dans son ton, dit doucement :

"Il n'a pas tort, Mione. C'est dangereux. Si ça venait à s'apprendre…"

"Je sais ça. Mais… Sa réaction était… Il ne s'est même pas excusé pour ce qu'il a dit à Harry et tes frères après le match, il préfère… briser ce qu'on a plutôt que de le faire. C'est un lâche, un égoïste, et un gros con."

Ginny hocha la tête, pensive.

"Il a peur." chuchota-t-elle au bout d'un moment.

Hermione leva la tête vers sa meilleure amie, étonnée. Elle n'aurait pas pensé que Ginny prendrait sa défense maintenant.

"Je ne dis pas que c'est une raison pour ce qu'il a fait." continua la rouquine. "Quand George m'a dit ce qu'il a dit ce jour-là, je peux t'assurer que j'avais envie d'arracher la tête de cette fouine. Mais, quand je l'entends de ton point de vue… Je pense qu'il est terrifié par la proportion des sentiments qu'il a pour toi."

"Il m'a dit que je devrais plutôt être amoureuse de Ron."

Ginny fit une grimace :

"Comme s'il pouvait choisir de qui tu étais tombée amoureuse."

"C'est exactement ce que je lui ai dit !" s'indigna Hermione, qui prit un coussin à sa gauche pour le serrer contre sa poitrine. "Et maintenant, je ne sais pas quoi faire. Je n'ai aucune idée de ce que je suis censée faire. Je n'ai jamais lu de roman comme ça. Un roman dans lequel la fille se ferait rejeter par le garçon, non pas parce qu'il ne l'aime pas, mais parce que c'est impossible qu'ils soient ensemble… Et qu'elle devrait être amoureuse de son meilleure ami à la place."

Ginny eut un petit sourire amusé :

"Il n'y a pas vraiment de mode d'emploi pour ça. C'est justement pour ça que c'est beau."

"Peu importe." dit Hermione avec un soupir. "En tout cas, je ne veux pas abandonner, pas tout de suite. J'en ai marre que ce soit lui qui décide tout le temps. Moi aussi je veux avoir mon mot à dire !"

Les deux filles arrêtèrent de parler quand la colocataire de Ginny sortit de la salle de bains en fredonnant une chanson. Elle prit un certain temps à ranger ses affaires et se mettre au lit, et quand elle tira enfin ses rideaux, Ginny était plongée dans une réflexion profonde en fixant la couverture bordeaux.

"J'ai une idée." dit-elle après ce long silence. "Je crois savoir comment agacer suffisamment Malefoy pour qu'il change d'avis…"

"Comment ?"

"C'est parfaitement logique, en fait." dit Ginny avec un air connaisseur. "Tu n'as qu'à le rendre jaloux."

Hermione fronça les sourcils.

"Jaloux ? De Ron ?"

"Non, pas Ron, justement." coupa Ginny, sûre d'elle. "Si tu fais ça, il aura l'impression d'avoir gagné. Surprend-le. Venge-toi. Trouve un garçon qu'il déteste et drague-le devant lui."

"Il sera furieux." dit Hermione avec appréhension, en imaginant la tête de Drago si elle faisait un truc pareil.

"Et alors ?" répliqua aussitôt la rouquine. "Il l'aura bien cherché. C'est ce qu'il t'as dit de faire, non ? De trouver quelqu'un d'autre. Et je suis sûre et certaine qu'il reviendra te supplier de le reprendre au bout d'une semaine."

Hermione considéra ce plan. Elle n'avait aucune idée qui choisir pour énerver le plus Drago. Elle ne pensa même pas une seconde à Harry : elle était incapable de le draguer, même pour de faux, et en plus, Drago comprendrait que ça serait une ruse. Elle pensa à Neville, mais elle ne voulait pas lui faire de mal en lui donnant de faux espoirs. Krum lui vint à l'esprit, mais comment rendre jaloux Drago alors qu'ils ne faisaient que s'écrire des lettres de temps en temps ?

"Tu trouveras bien." dit Ginny en voyant qu'Hermione était partie dans ses pensées. "Et en attendant, ne te prends pas trop la tête avec ça, Drago Malefoy n'en mérite pas autant. Sèche tes larmes. Maman m'a toujours dit qu'on ne devait jamais pleurer pour des garçons."

Ginny lui fit un sourire compatissant et Hermione se blottit sous sa couette. Ginny se cala contre les oreillers et lui proposa de poser sa tête sur son épaule, et Hermione laissa échapper un petit soupir peiné. L'odeur des fleurs du jardin du Terrier sur la peau de Ginny l'aida à calmer ses pensées en ébullition.

Les deux filles restèrent dans cette position longuement. Ginny avait repris son magazine de Quidditch et le feuilletait à intervalles réguliers. Elle était en train de lire une page sur l'aérodynamisme des futurs Nimbus 2005 quand elle murmura tout à coup :

"Je t'envie, tu sais."

Hermione souleva légèrement la tête pour analyser l'expression faciale de Ginny.

"Qu'est-ce que tu veux dire ?" demanda-t-elle d'un ton inquiet.

Ginny ferma son magazine et regarda le plafond de son lit pour trouver ses mots :

"Je t'envie, Mione. Je veux dire… Michael est gentil, et respectueux, et je l'aime beaucoup, mais… je n'ai pas cette étincelle, tu vois ? Quand tu me décris la manière dont Malefoy t'as embrassée… Jamais personne ne m'a embrassée comme ça. Jamais personne ne m'a aimée comme ça. Et il n'y a pas que ma vie amoureuse qui est fade. Les cours sont intéressants, mais avec six frères aînés, disons que j'ai déjà étudié le programme de long en large. J'aime bien mes amies, mais j'ai l'impression qu'on parle tout le temps des mêmes choses. Il n'y a rien de nouveau. Rien… d'explosif."

Hermione sentit son cœur se serrer en entendant un tel aveu.

"Ça a peut-être l'air explosif comme ça, mais tu ne devrais pas m'envier. Regarde dans quel état je suis." dit Hermione en montrant ses joues striées de larmes séchées.

Ginny se tourna complètement vers elle :

"Oh, je ne dis pas le contraire. Je sais qu'il te fait souffrir et que tu es obligée d'endurer tout un tas de choses difficiles à cause de ça, la culpabilité, l'angoisse, la douleur… Il se comporte parfois comme un con et je sais que ça te peine, et je t'admire pour ta patience." dit Ginny en lui tapotant affectueusement la main. "Je t'envie certainement pas pour ça. Mais…. l'adrénaline, le secret, la passion… Ça, je t'envie."

Hermione ne sut quoi répondre. Elle-même ressentait trop de sentiments contradictoires pour les comprendre, mais il fallait dire que les moments qu'elle partageait avec Drago étaient tous addictifs, peu importe qu'ils se disputent ou qu'ils s'embrassent. Elle avait beau le haïr la moitié du temps à cause de son égo, de ses impulsions destructrices ou de son attitude enfantine, Hermione n'arrivait jamais à se détacher de lui. Elle revenait toujours, et lui aussi. Comme des aimants qu'on arrive pas à séparer.

"En soit, je n'ai aucune raison de me plaindre." poursuivit Ginny. "Il y a une guerre en cours, des gens meurent pour protéger le monde dans lequel on vit, et je me plains que mon copain est ennuyeux…"

Hermione se serra davantage contre Ginny pour l'étreindre à moitié :

"Je suis désolée que tu ressentes ça. J'espère qu'un garçon pourra un jour te faire ressentir ce que tu veux, sans te faire pleurer pour autant."

Il y eut un petit silence où Ginny caressa mécaniquement le dos de la main d'Hermione en pesant ses paroles. Puis, dans un murmure à peine audible, comme si elle avait peur que ses colocataires puissent l'entendre malgré le sort de silence autour de son lit, Ginny demanda :

"Il est amoureux de Cho Chang, pas vrai ?"

Hermione se raidit un peu en entendant ça. Une partie d'elle voulut instinctivement mentir, mais à quoi bon ? Ginny savait. Elle savait toujours tout. Elle avait sûrement dû intercepter ses regards pendant les dernières réunions de l'AD.

Hermione hocha donc la tête à contre-coeur.

Ginny eut un petit spasme et reprit son magazine pour feindre l'indifférence :

"Elle ne sait pas la chance qu'elle a." déclara-t-elle, d'un ton teinté d'hostilité qui ressemblait presque à celui que Drago prenait quand il parlait de Ron. "D'abord Diggory, puis Harry ? Elle est vraiment attirée par la célébrité."

Hermione hocha vivement la tête, bien qu'elle n'avait jamais vraiment pensé ça.

"Enfin, moi aussi, je suppose." dit Ginny après plusieurs secondes. "J'ai eu un crush sur Harry toute mon enfance parce que… tu sais, c'était Harry. Mais maintenant, je suis amoureuse de lui parce que c'est… Harry. Tu vois ? Notre Harry."

Hermione ne dit rien, et Ginny corrigea hâtivement :

"Pas que je suis toujours amoureuse de lui. J'ai avancé. Je suis passée à autre chose."

"Bien sûr. Je sais." confirma Hermione.

Ginny conclut la conversation par un hochement de tête déterminé, puis les deux filles firent semblant de lire le magazine de Quidditch.

Les deux colocataires de Ginny ne semblèrent pas étonnées de voir qu'Hermione dormait avec elle, parce qu'aucune des deux ne firent de commentaires quand elles la virent se brosser les dents avec le pyjama que Ginny lui avait prêté, c'est-à-dire un long t-shirt abîmé de l'équipe de Quidditch de Gryffondor qui avait appartenu à George.

Ginny s'endormit rapidement, mais Hermione n'arrivait pas à trouver le sommeil. Elle retournait encore et encore la dispute avec Drago dans sa tête. Elle avait pensé qu'en confessant ce qu'elle ressentait pour lui, il pourrait changer d'avis, peut-être même s'excuser, mais ça avait été tout le contraire. Elle n'avait pas eu affaire à Drago, ni à Malefoy, mais plutôt à une version intermédiaire étrange qu'elle n'arrivait pas bien à cerner : le Drago aux yeux gris/bleus vitreux, sans éclat, à la voix morne. Celui qui était étrangement toujours… lointain.

Hermione finit par sortir du lit pour aller prendre un thé dans la Salle Commune. Elle tricota un peu, relut ses cours du lendemain, et fut sur le point d'aller se recoucher quand elle entendit des pas familiers dans les escaliers en colimaçon derrière elle.

"Quelle heure est-il ?" demanda la voix ensommeillée d'Harry.

"Presque deux heures. Tu n'arrives pas à dormir ?" demanda-t-elle.

Il s'assit à côté d'elle avec un soupir et secoua la tête. Le feu était éteint depuis longtemps, seules quelques braises continuaient de luire dans l'antre.

"Qu'est-ce que tu fais ?" demanda Harry.

"Je tricotais en relisant mes cours." dit Hermione, parce qu'elle savait qu'Harry ne se moquerait jamais d'elle pour ça, contrairement à Ron qui l'aurait tout de suite traitée de Miss-Je-Sais-Tout. "Tu veux un thé ?"

"Pourquoi pas. Merci." dit le brun avec un sourire pâle sur ses traits fatigués.

Hermione lui servit un second thé, mais préféra ne pas lui donner celui à la cannelle, sans vraiment savoir pourquoi. Elle avait l'impression que c'était un thé à prendre avec Drago. Elle lui tendit plutôt son préféré, un Earl Grey avec une noisette de lait, et Harry le porta à sa bouche pour en prendre une gorgée. Aussitôt, ses lunettes se couvrirent d'un film de buée.

Il les enleva pour les essuyer contre son pyjama et demanda :

"Tout va bien, Mione ?"

"Oui." répondit-elle.

Il remit ses lunettes sur son nez avec un air perplexe.

"J'ai l'impression que tu vas toujours bien." expliqua Harry après plusieurs secondes de réflexion. "Tu ne dis jamais quand ça ne va pas. Tu sais toujours comment je vais, et on ne parle toujours que de moi, de Voldemort, de mes problèmes pour dormir… Mais toi, comment tu vas vraiment ?"

Hermione déglutit en pensant à sa discussion avec Drago. Peut-être pouvait-il deviner les traces de tristesse sur son visage ? Hermione se cala plus confortablement contre le dossier du canapé, dans la même position qu'Harry et regarda la fenêtre qui donnait sur le ciel noir pour lui répondre :

"Je vais bien, Harry. À vrai dire, même si les BUSES approchent, qu'une guerre est en cours, et que mon meilleur ami est la cible du plus grand Seigneur des Ténèbres de tous les temps, je vais étonnamment bien. Dans cet ordre de priorité, bien entendu."

Harry eut un petit rire, avant de redevenir sérieux :

"Mais tu dis ça depuis notre première année, Mione." insista-t-il. "Comment fais-tu pour savoir quand moi je ne vais pas bien ? J'ai l'impression que tu vois tout. Que tu sais tout, que tu devines tout."

"Je déduis, simplement." dit-elle en haussant les épaules.

"Tu as su que j'étais amoureux de Cho avant même que je me l'admette moi-même." continua Harry d'un ton presque dénonciateur. "Comment tu peux connaître mes problèmes de cœur sans même m'en parler ?"

"Parce que je te connais par coeur, Harry. Tu en doutais ?"

"Non, je n'en doutais pas." admit-il avec un sourire. "Mais parfois, j'ai l'impression que tu connais plus de choses sur moi que je n'en connais sur toi. Je veux dire, tu es comme ma soeur, et pourtant, je ne connais même pas ta couleur préférée."

Hermione sourit en entendant la détresse dans sa voix.

"Ce n'est pas parce que tu ne connais pas ma couleur préférée que tu n'es pas comme mon frère, Harry. Tu me connais bien plus que tu ne le crois."

Harry parut soulagé en entendant ça.

"Même. Je veux connaître ce genre de trucs. Tu sais toujours poser les bonnes questions. Alors, à moi de t'en poser. Hermione Granger, quelle est ta couleur préférée ?"

Elle rit en entendant sa solennité et répondit :

"Le marron."

"Comme la Bibliothèque ?" demanda Harry, avec le sourire qui formait des plis sur ses yeux et faisait remonter ses lunettes.

"Exactement. Et toi ?"

"Le vert, je crois." répondit Harry.

"Comme les Serpentards ?" demanda Hermione en pensant aux couleurs émeraudes que portaient toujours Drago et Parkinson.

"Non, comme mes yeux. Mais c'est terriblement égocentrique, donc je ne le dirai qu'à toi." ajouta Harry avec un certain embarras.

"Ça n'est pas égocentrique." dit Hermione. Elle poussa une mèche noire qui s'était posée devant ses yeux et murmura : "Tout le monde dit qu'ils sont comme ceux de ta maman."

Harry hocha la tête avec tristesse :

"Tu vois ? Tu sais déjà tout."

"Non, loin de là." assura Hermione. "Mais c'est justement ce qui est excitant, non ? Il y a encore plein de choses à découvrir."

"Une question par jour, alors." décida Harry. "Ça te va ?"

Il lui tendit la main et Hermione eut soudain une boule dans la gorge en pensant à ce geste qu'elle avait fait avec Drago plusieurs fois par le passé. Elle serra la main d'Harry et essaya de visualiser toutes les différences entre la sienne et celle de Drago : plus douce, plus chaude, plus réconfortante. Elle ne donna pas de frissons à Hermione, simplement un sentiment d'entente qui la fit sourire malgré elle.

"Je vois bien que quelque chose te tracasse." continua Harry. Hermione se crispa un peu. "Tu vis quelque chose en ce moment. Pas vrai ?"

"Tu as trop étudié la Divination." répondit Hermione pour le faire rire, pour détourner le sujet de la conversation.

Harry sourit et sembla deviner qu'elle ne voulait pas en parler. Il tourna la tête et contempla la pile de livres qu'elle avait accumulée sur la table.

"Tu n'es pas fatiguée ?" demanda-t-il.

"Terriblement." admit Hermione.

"C'est à mon tour de te lire un livre, alors. Tu lis toujours les légendes des Chevaliers de la Table Ronde, laisse moi faire la lecture un peu."

"Ron nous tuera s'il apprend qu'on a continué sans lui." dit Hermione, en repensant à l'intérêt inattendu que Ron avait dernièrement pour les histoires moldues de chevalier.

"Pas faux." dit Harry. "Tu as une idée d'autre roman qu'on pourrait lire, alors ?"

"En fait, oui !" s'exclama Hermione en pensant à un titre de livre qu'elle voulait relire depuis longtemps. "Attends-moi là !"

Elle monta en flèche dans son dortoir et récupéra le bouquin en faisant le moins de bruit possible, puis redescendit et le tendit à Harry.

"L'Odyssée ?" lut-il sur la couverture. "Oh, je m'en souviens vaguement, je crois que notre professeure de primaire en avait lu quelques chapitres en classe…"

"C'est un livre passionnant sur la mythologie grecque, et le voyage qu'entreprend Ulysse pour retrouver sa femme après la Guerre de Troie !" expliqua-t-elle avec enthousiasme.

Elle aimait le fait de parler de ce genre de choses avec Harry, parce qu'elle n'avait pas besoin d'expliquer chaque mot de la culture moldue. C'était l'un des nombreux avantages à le côtoyer : c'était rafraîchissant de passer du temps avec quelqu'un qui connaissait aussi bien les deux mondes qu'elle.

"Tu m'as convaincu." dit Harry avec un sourire, en s'allongeant dans le canapé.

Il ouvrit le roman et Hermione s'allongea de l'autre côté du canapé, ses jambes posées sur celles d'Harry et recouvertes par l'épaisse couverture rouge de la Salle Commune. Pattenrond arriva alors de nul part, et se roula en boule sur le ventre d'Hermione.

"Alors. Chapitre un…" lut Harry.

Hermione fut étonnée de constater que la voix d'Harry pouvait être aussi berçante. Très vite, elle sombra dans le sommeil, et rêva de bateaux, de cyclopes, et d'un garçon blond, qui n'avait rien à voir avec Ulysse.

.

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Drago


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Drago ne savait pas si c'était qu'une impression, mais dès le lendemain de sa dispute avec Granger, elle parut beaucoup plus proche de Weasley qu'avant. Quand il lui demanda le pot de sucre au petit-déjeuner, Drago constata que le sourire qu'elle prit quand elle lui donna était beaucoup plus chaleureux que d'habitude. Quand il copia ses notes pendant la Métamorphose, elle le laissa faire sans rien dire. Et quand ils partagèrent son pot de confiture rempli de flammes bleues dans la cour, ils semblaient bien plus proches que d'habitude.

Cette constatation développa deux réactions opposées chez Drago : d'un côté, il ressentait une forme de sérénité à l'idée qu'elle l'ait écouté. Elle avait sans doute retrouvé la raison et réalisé que c'était bien plus sain de tenter avec Weasley plutôt que lui, aussi pathétique qu'il puisse être. L'autre réaction, cependant, dissipa rapidement la première : la jalousie foudroyante qui lui prenait la gorge dès qu'il les voyait ensemble. Il avait beau savoir que c'était une bonne chose, que c'était même ce qu'il avait lui-même souhaité, ce qu'il lui avait spécifiquement dit de faire, ça n'empêcha pas la jalousie de brûler chaque parcelle de sa peau. La haine qu'il avait ressenti envers Potter à la fin du match fut transférée vers Weasley. Tous les soirs de la semaine avant de dormir, Drago n'essaya pas de méditer. Il préféra s'imaginer tabasser Weasley jusqu'à l'épuisement.

Il détestait Weasley, il détestait Lucius de l'empêcher sans le savoir d'être pleinement amoureux, et il se détestait lui-même d'avoir toujours aussi peur de lui. Peut-être qu'il se faisait punir par Merlin, ou Lucius, ou même Lucifer. Peut-être qu'il payait pour tous ces moments volés avec elle, peut-être qu'ils le châtiaient pour avoir osé embrasser une née-Moldue, ou peut-être que c'était le prix à payer après avoir embrassé Pansy. C'était sa punition : devoir regarder la fille qu'il aimait tomber amoureuse petit à petit d'un autre garçon, et ne rien pouvoir faire pour l'en empêcher.

Quand le mois de Décembre arriva, McGonagall informa les préfets qu'ils devraient aider à accrocher les décorations de Noël dans le Château cette année. Alors, le premier dimanche du mois, tous les préfets se réunirent dans la Grande Salle et McGonagall se chargea de les assigner chacun à une tâche. Drago fut content quand Hannah Abbott et Ernie McMillan furent appelés pour accrocher les guirlandes à l'extérieur, parce qu'il n'avait aucune envie de passer une heure les pieds dans la neige, jusqu'à ce que McGonagall annonce :

"Miss Parkinson et Mr. Malefoy resteront dans la Grande Salle pour décorer l'un des deux sapins, et Miss Granger et Mr. Weasley s'occuperont de l'autre."

Drago contracta la mâchoire en réalisant qu'il allait passer l'après-midi entière à endurer la vision de Weasley et Granger ensemble. Finalement, il préférait largement se faire frigorifier dehors. Pansy leva les yeux au ciel, tout aussi irritée que lui.

Hagrid, le visage toujours ravagé par des hématomes et coupures, apporta deux sapins fraîchement coupés de la forêt, qu'il érigea de part et d'autre de la Grande Salle derrière la table des professeurs. Sans se concerter, les Gryffondors choisirent celui de gauche, et Drago et Pansy prirent celui de droite. Flitwick leur apporta une boîte de décorations chacun, et Drago commença donc à accrocher les boules rouges et vertes sur les branches les plus basses.

Hagrid resta en compagnie de Weasley et Granger et les aidèrent à mettre les boules les plus hautes. Drago put les entendre éclater de rire souvent, particulièrement Granger, dont le rire était reconnaissable entre mille : une mélodie bien plus belle que n'importe quel chant de Noël.

Mais Drago en profitait moins quand il n'était pas celui qui la faisait rire.

Il grinça des dents quand il l'entendit s'exclamer gaiement :

"Oh, Ron, arrête !"

Visiblement, Weasley avait jeté un sort aux boules de Noël pour qu'elles changent de couleur. Drago pensait que Granger serait indignée, mais elle était plutôt enchantée. Elle riait, et ne fit rien pour arrêter le sort. Drago regarda le sourire béat de Weasley et ne put retenir un soupir agacé.

"Tu as dit quelque chose ?" demanda Pansy, qui essayait d'accrocher une fée peu coopérative sur l'une des branches du sapin.

"Non, rien." répondit-il avec mauvaise humeur.

Maintenant, Hagrid avait apporté une échelle qu'il posa sur le mur pour permettre à Granger d'aller mettre des boules tout en haut du sapin. Manifestement, aucun des trois ne se souvenait qu'ils étaient des sorciers. Granger grimpa le long de l'échelle jusqu'au sommet et accrocha quelques décorations qu'Hagrid lui tendait. Drago surveillait la scène, prêt à bondir si Weasley osait regarder sous sa jupe.

"Tu peux m'aider ?" demanda soudain Pansy. "Je n'arrive pas à mettre l'étoile tout en haut."

Drago lui prit des mains et lança un puissant Wingardium Leviosa qui propulsa l'étoile dans les airs. Il la guida avec sa baguette pour la poser sur le sapin, et dès qu'il réussit, il tourna de nouveau la tête vers Granger.

"Ils sont stupides à le faire comme des Moldus." commenta Pansy en voyant où Drago avait reporté son attention.

"Ouais…" dit-il distraitement.

"Ron, arrête de faire bouger l'échelle !" s'écria Granger, presque amusée. "Je te rappelle que j'ai le vertige !"

"Si tu tombes, je te rattraperai !" promit Weasley avec un sourire.

"Si Hermione tombe, je suis sûr qu'elle réussira à lancer un Arresto Momentum sur elle-même avant même qu'on ne réalise ce qu'il se passe." dit Hagrid, d'une voix teintée de fierté pour la Gryffondor.

Weasley approuva d'un vigoureux hochement de tête, les yeux emplis d'adoration, et avant même qu'il ne réalise ce qu'il faisait, Drago brisa la boule de Noël qu'il avait dans la main.

"Drago !" piailla Pansy.

"Désolé." maugréa Drago.

Les morceaux de verre avaient entaillé sa paume de main. Pansy répara la boule et stoppa le saignement avec sa baguette, puis enroula un bandage tout autour. Drago ne pouvait même plus compter le nombre de fois où sa meilleure amie avait soigné ses blessures après une colère. Il la remercia et ne prit même pas la peine de trouver une excuse, il était sûr que Pansy avait compris pourquoi il avait agi comme ça.

Il s'attendait à croiser le regard inquiet de Granger, mais quand il regarda de nouveau vers le sapin voisin, elle était toujours en train d'accrocher ses décorations. Elle n'avait même pas remarqué qu'il s'était blessé. Elle riait avec Weasley et Hagrid, et Drago eut la douloureuse impression d'être invisible.

Pansy et Drago n'échangèrent plus un mot. Ils accrochèrent des boules, des fées, des rubans, et toutes les décorations du carton en silence, contraints de supporter les éclats de rire des Gryffondors à côté d'eux. Drago était dans un état tellement avancé d'agitation qu'il dût se concentrer pour réaliser un Wingardium Leviosa correct, ce qui était assez embarrassant étant donné qu'il était censé savoir le faire depuis sa première année à Poudlard. Pansy eut le mérite de faire semblant de ne rien remarquer.

Quand Granger et Weasley posèrent la dernière guirlande du sapin avec deux grands sourires stupides sur leurs visages, Granger conclut cette après-midi en lançant joyeusement :

"C'est tellement plus agréable de préparer Noël avec les gens qu'on aime."

Et tandis que Weasley montrait son approbation avec un énième sourire niais, Drago sentit son propre cœur se briser en réalisant qu'elle ne parlait pas de lui.

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Drago réalisa la semaine suivante qu'il avait probablement laissé passer sa chance.

Depuis leur dispute dans la salle de classe, Drago avait tout fait pour rejeter ce que Granger avait dit sur ses supposés sentiments pour lui. Une partie de lui, la plus grande, n'arrivait pas vraiment à y croire. Il était persuadé qu'elle avait dit ça sous le coup de la colère, ou pour le faire revenir à la Bibliothèque. Peut-être qu'elle avait confondu l'amitié qu'elle ressentait à son égard avec des sentiments amoureux, peut-être que sa propre confession l'avait troublée et qu'elle n'arrivait plus à comprendre son propre jugement.

Granger était amoureuse de Weasley. C'était un fait, et même si c'était un fait douloureux pour Drago, il s'en était rendu à l'évidence depuis longtemps. Elle l'aimait depuis toujours, il n'en avait jamais été autrement. Drago n'avait aucune chance face à ce pauvre Weasley, parce qu'il avait tout pour lui plaire, et Drago représentait son opposé. Elle ne pouvait pas être amoureuse de lui, c'était impossible.

Mais une autre partie de lui, infime, voulait croire que c'était vrai. Il s'y accrochait sans le vouloir, à cet espoir inimaginable que Granger puisse être tombée amoureuse de lui. Qu'elle puisse ressentir les mêmes choses que lui, qu'elle pense à lui avant de dormir, qu'elle l'observe discrètement dès qu'ils se croisaient dans le Château, qu'elle attende avec impatience leur prochaine séance à la Bibliothèque. Exactement comme lui.

Il ne fallait pas. Tout son corps protestait violemment dès que l'idée lui effleurait l'esprit, et il Occludait sans même le contrôler. Il ne pouvait pas penser ça. Il ne pouvait pas basculer, il ne pouvait pas oublier qui il était, qui elle était.

Mais… Et si c'était vrai ?

Son cœur tambourina sa poitrine rien qu'en y pensant.

Drago, comme le Gémeau qu'il était, était partagé.

Raison ou coeur.

Famille ou amour.

Valeurs ou sentiments.

Et plus les années passaient, plus c'était difficile de prendre le premier camp. Parce que comment un sentiment si beau, si pur, si consumant, pouvait-être mauvais ? Comment aimer Granger pouvait être un crime pour son père, alors que c'était la plus belle chose qui lui soit arrivée ?

Être amoureux d'elle était une chose, mais que ce soit réciproque en était une autre. Parce que s'il tombait, elle tombait avec lui, et ça, il ne pourrait pas le supporter. Il ne pouvait pas la protéger. Ils seraient liés par quelque chose de trop fort pour être détruit, et la seule solution possible serait de lui briser le cœur. Drago ne savait pas s'il en était capable.

Alors, il l'avait rejetée, parce que c'était la bonne chose à faire. Il le fallait. Pour la protéger.

Mais en la voyant se rapprocher de Weasley, il réalisa qu'il n'aurait sûrement plus jamais ce choix à faire. Il réalisa que ses mots avaient eu le bon impact, que Granger était bel et bien hors d'atteinte. Mais que ça impliquait ce qu'il avait toujours craint : qu'ils arrêtent définitivement de se parler.

Drago vit son futur dans un flash : marié à une Sang-Pur au visage glacé, entouré d'enfants blonds tout guindés, travaillant au Ministère dans une branche importante mais ennuyante au possible, et où son unique plaisir résiderait dans ses parties de Quidditch avec Blaise le week-end.

"Ça va ?" chuchota Pansy.

Elle lui tapota gentiment le bras pour le faire réagir et Drago se remit à mélanger le contenu de son chaudron sans entrain.

"Tu as l'air ailleurs aujourd'hui." commenta-t-elle. "Depuis quelques jours, en fait."

"Ça va, je suis juste… C'est une drôle de période." marmonna-t-il en guise d'explication.

Pansy plissa ses lèvres noires et ne dit rien de plus.

Drago était tellement épuisé par les derniers événements qu'il était incapable de produire la moindre magie lorsqu'il lançait ses Legilimens à répétition les jeudis soirs. Au début du mois de Décembre, Rogue ne prit même pas la peine de lui reprocher son manque de concentration. Il se contenta de l'inviter à s'asseoir à son bureau, et demander gravement :

"Vous voulez savoir ce qui vous empêche de lire mon esprit, Drago ?"

Drago secoua la tête, alors qu'il avait une petite idée d'où voulait en venir son professeur.

"C'est que vous ne méditez pas." dit Rogue, le visage fermé, presque dégoûté de le regarder. "Je le vois bien. Vous ne méditez pas."

"Je… Professeur, je n'ai pas le temps…"

"Vous avez jusqu'à Noël." décréta Rogue d'une voix sans expression. "Si vous n'avez toujours pas réussi à extraire la moindre pensée de mon esprit d'ici là, nous arrêterons les leçons. Je ne peux pas vous aider si vous n'y mettez pas du vôtre, Malefoy. Et je ne peux pas me permettre de perdre de mon temps précieux pour apprendre quelque chose à quelqu'un qui n'en comprend pas l'importance."

"Je comprends, Professeur !" s'indigna Drago en se levant d'un bond, mais Rogue ne cilla pas.

"Ne vous contentez pas de le dire, Drago. Agissez pour me le prouver. Méditez. Vous pouvez quitter mon bureau."

Drago sortit sans rien ajouter de plus. Il était exténué, son cerveau en bouillie. Il n'arrivait pas à penser à autre chose que ce qu'avait dit Granger dans cette salle de classe vide.

Je suis amoureuse de toi aussi, et il faudra faire avec.

Il ne réussit pas à s'endormir ce soir-là, et encore moins à méditer.

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Hermione


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Hermione passa le début de son mois de Décembre ensevelie sous les devoirs, dans un état oscillant entre la haine contre Drago et le manque.

Ron, qui choisit bien son timing, en profita pour être particulièrement adorable avec elle. Comme si, sans même le réaliser, il voulait la faire choisir lui plutôt que Drago. Il fut attentif à elle, galant, parfois même à glisser un compliment ou deux, ce qui lui ressemblait très peu. Hermione trouva le changement troublant, mais agréable. C'était toujours plaisant quand Ron était de bonne humeur. Peut-être qu'il pouvait sentir son mal-être intérieur et choisissait de la faire rire plutôt que de lui demander ce qui n'allait pas, et ça marchait. La rancœur qu'elle avait contre Drago s'attenuait quand elle était en présence de Ron. Il arrivait à faire disparaître ses soucis juste en étant là, près d'elle.

Hermione se noya donc dans le travail pour éviter d'y penser trop longtemps. Elle resta en compagnie d'Harry, Ron et Ginny près du feu, à réviser, tricoter, et essayer de ne pas penser au garçon qui la rendait complètement dingue, dans tous les sens du terme.

Un soir, Ginny profita de l'absence d'Harry et Ron qui dînaient toujours dans la Grande Salle pour lui demander subtilement :

"Alors, la jalousie ? Ça marche ?"

Hermione soupira :

"Je ne sais pas… Je crois que je le rends jaloux avec Ron sans le vouloir. Quand on a accroché les décorations de Noël dimanche dernier, il a cassé une boule et s'est ouvert la main après m'avoir vue lui parler."

Ginny haussa les sourcils :

"Légèrement dramatique, ce garçon." pointa-t-elle.

Hermione hocha la tête. Drago Malefoy était le garçon le plus dramatique de Poudlard. Et même si elle était toujours énervée contre lui pour avoir provoqué Harry et les jumeaux, et qu'elle détestait utiliser Ron pour énerver Drago, elle ne pouvait pas ne pas admettre que c'était un peu flatteur de le voir se mettre dans tous ses états dès qu'elle se rapprochait d'un autre garçon.

"Je n'aime pas trop utiliser ton frère pour rendre jaloux Drago." admit Hermione.

Ginny haussa les épaules, manifestement moins sensible au désarroi de son frère.

"Quel garçon vas-tu choisir, alors ?" demanda-t-elle, en passant un rapide coup d'œil autour de la Salle Commune à moitié remplie.

"Je ne sais pas trop…" dit Hermione, les joues rouges rien que d'imaginer faire ça. "Je suis nulle pour flirter, je n'ai jamais fait ça…"

"Tu n'as pas besoin de faire grand chose, tu dois juste te laisser porter." répondit Ginny avec un autre haussement d'épaules désinvolte.

Hermione n'osa pas le dire à voix haute, mais elle trouvait que c'était plus facile pour elle : Ginny était l'une des filles les plus populaires de Poudlard, et probablement la plus belle. Elle avait une dizaine de garçons à ses pieds.

"Cormac McLaggen ?" proposa Ginny quand elle s'arrêta sur un garçon blond, qui était en train de faire ses devoirs.

Hermione écarquilla grand les yeux :

"Non, jamais de la vie !" couina-t-elle. "Il a un an de plus que moi !"

Ginny la regarda d'un air blasé :

"Rappelle-moi avec qui tu as dansé au Bal de Noël l'année dernière ?"

"Ce n'est pas la même chose." dit Hermione, bien qu'elle n'aurait pas su dire pourquoi. Peut-être parce que McLaggen avait l'air d'un idiot.

"Tu vas trouver quelqu'un. Peut-être un préfet ?" proposa Ginny.

"Tu ne trouves pas que c'est un peu… Méchant ?" demanda Hermione. "Ça serait donner de faux espoirs, non ?"

Ginny repoussa cette idée d'un mouvement de la main :

"Rien ne t'oblige à faire quoique ce soit avec lui. C'est juste du flirt inoffensif. En plus, tu n'auras même pas besoin de sortir le grand jeu, Malefoy sera furieux rien qu'en te voyant discuter cordialement avec un garçon. Ça sera juste une piqûre de rappel. Et puis, le garçon que tu choisis sera déjà suffisamment heureux que la fameuse Hermione Granger ait posé son regard sur lui."

Elle hocha la tête et Hermione sentit ses oreilles brûler en entendant un tel compliment. Ginny avait un certain don pour rassurer et redonner confiance en soi en quelques phrases.

"Et toi, ça va mieux ?" demanda Hermione en se rapprochant d'elle sur le canapé.

La rouquine haussa les épaules :

"Toujours la même rengaine. Cours ennuyeux, amoureux ennuyeux, copines ennuyantes. Mis à part toi, bien entendu." ajouta Ginny avec un petit sourire dans sa direction. "Mais bon, il me reste au moins une chose qui me rend heureuse par-dessus tout."

Hermione fronça les sourcils, et Ginny s'écria d'un ton victorieux :

"Le Quidditch, bien sûr !"

C'était une réponse évidente. Hermione connaissait l'attrait de Ginny pour ce sport, et même si Hermione ne connaissait pas la moitié des règles, elle savait que sa meilleure amie était particulièrement douée.

Une idée frappa alors Hermione :

"Gin' ! Tu devrais t'inscrire !"

Ginny la regarda bizarrement.

"M'inscrire ? À quoi ?"

"À l'équipe de Quidditch des Gryffondors !" expliqua Hermione. "Avec Fred, George et Harry qui sont bannis, tu peux facilement entrer dedans maintenant !"

"Oh…" répondit-elle, un peu anxieuse. "Je ne sais pas trop, Harry est tellement doué…"

"Toi aussi tu es douée !" s'exclama Hermione avec ardeur. "Et si ça te rend heureuse, pourquoi ne pas essayer ? Tu imagines, tu n'aurais plus besoin de te lever aux aurores pour t'entraîner en secret, tu pourrais le faire avec l'équipe, et montrer ton talent à tout le monde !"

Ginny se mordit la lèvre en imaginant ce qu'Hermione lui décrivait.

"Mes frères seront furieux." dit-elle à voix basse.

Hermione arqua un sourcil :

"Ginny Weasley, n'est-ce pas toi qui m'a dit que tu voulais leur montrer de quoi tu étais capable i peine quelques semaines ? Tes frères ont pratiquement tous été dans l'équipe. Je suis sûre qu'ils seront fiers de toi quand ils sauront ce que tu es capable de faire."

Ginny sourit timidement et chassa une longue mèche rousse qui s'était posée devant ses yeux :

"Tu as raison. Merci, Mione, c'est une excellente idée."

Hermione était ravie de sa proposition, qui sembla remotiver Ginny. Elle excella lors de la réunion de l'A.D suivante, comme si la perspective de passer les essais de Quidditch avait réussi à lui remonter le moral.

Pour Hermione, cependant, rien n'avait vraiment changé. Drago était dans une attitude de mi-ignorance mi-observation. Elle pouvait sentir son regard glacé partout où elle allait, et particulièrement quand elle était en compagnie de Ron. Quand elle s'assit avec lui en Défense Contre les Forces du Mal au lieu d'Harry, elle crut même entendre un grognement agacé de la part de Drago quelques pupitres plus loin.

Un dimanche soir, alors qu'il ne s'était toujours pas montré à la Bibliothèque et qu'Hermione avait passé le dîner à l'observer rire avec Pansy Parkinson, elle décida de mettre le plan de Ginny en place et observa la Salle Commune en tricotant évasivement.

Avec qui pouvait-elle rendre Drago jaloux ?

Hermione raya Harry, Neville et Danny de sa liste mentale. Ron également, mais pas pour les mêmes raisons que les trois précédents. Hermione avait peur qu'en faisant ça, elle allait nourrir chez lui une certaine espérance qu'elle n'était pas encore sûre de pouvoir réaliser, et en plus, c'était précisément ce que Drago lui avait suggéré de faire, et elle ne voulait pour rien au monde lui donner raison.

Elle pensa à Ernie McMillan, qui était toujours très gentil avec elle, mais elle lui parlait le plus souvent lors des cours partagés avec les Poufsouffles ou les réunions de l'A.D, et Drago n'était pas présent lors de ces deux moments. Hermione opta une seconde pour Anthony Goldstein, parce qu'elle savait que ça rendrait Drago fou de rage après l'épisode de la ronde, mais elle avait le problème que pour Ernie : elle le voyait rarement en même temps que les Serpentards, et elle n'avait aucune envie de flirter avec lui si Drago n'était même pas dans les parages.

Elle imagina un moyen de lui montrer subtilement les lettres de Krum quand un explosif éclata juste à côté du canapé. Harry et Ron sursautèrent en même temps qu'elle et ils se tournèrent tous les trois vers la source du bruit. Hermione ne fut pas étonnée de voir George, les cheveux noircis sur les pointes et le visage recouvert de suie, tenant à bout portant un feu d'artifice à moitié ouvert. Fred, à côté de lui, nota quelque chose dans un calepin.

"Désolé, fausse manip !" lança George, qui chercha sa baguette pour nettoyer les dégâts.

Les Gryffondors, qui étaient tous extrêmement habitués à ce genre de vacarme soudain, replongèrent tous dans leurs occupations sans broncher. Pour Harry et Ron, cela consistait à terminer l'essai de Botanique à rendre pour le lendemain.

Hermione, elle, continua de fixer les jumeaux. Et en particulier, Fred.

Pendant une brève seconde, elle imagina rendre jaloux Drago avec Fred. Ça ne serait pas compliqué, parce que Fred flirtait avec tout le monde : il lançait des compliments à toutes les filles sans même le réaliser, Drago n'aurait qu'à passer à ce moment-là et il entendrait à tous les coups. Ou mieux encore, elle pourrait dire le plan directement à Fred. Après tout, il savait maintenant pour Drago, et elle était persuadée qu'il accepterait l'offre sur le champ et deviendrait le parfait faux petit ami.

Hermione hésita longuement, même après que Ron ait abandonné son essai pour aller se coucher. D'un côté, elle trouvait que le jumeau correspondait bien avec l'idée de Ginny. Ils étaient proches, assez pour qu'elle lui dévoile le stratagème en avance. Et ils avaient toujours eu une relation différente qu'avec George, plus… espiègle. Ils se connaissaient bien. Ça serait probablement le seul garçon qu'Hermione pourrait faire semblant de draguer sans avoir l'impression de se ridiculiser complètement.

Mais d'un autre côté, elle voulait épargner Fred de la complexité de la "relation" entre Drago et elle. Il avait déjà souffert suffisamment des retombées du match pour en rajouter une couche. En plus, elle n'était pas vraiment enthousiaste à l'idée de choisir un autre frère de Ginny. Même si elle savait qu'elle s'en ficherait probablement, Hermione ne pouvait s'empêcher de trouver ça envahissant.

Le dilemme lui donna mal à la tête, alors Hermione préféra souhaiter une bonne nuit à Harry et monter se coucher plutôt que d'y penser plus longtemps. Elle s'endormit en rêvant de cheveux blonds et roux, de bagues en argent et de tâches de rousseur.

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Le lendemain, lundi matin, alors qu'Harry et Ron étaient partis en Divination et qu'Hermione se rendait en cours d'Arithmancie toute seule, l'Univers décida de tester Hermione en la plaçant pile derrière Drago dans les escaliers, qui était accompagné de Blaise Zabini, Pansy Parkinson et Théo. Elle essaya de les contourner, mais ils prenaient trop de place à quatre pour les dépasser, et elle ne pouvait pas vraiment s'arrêter en plein milieu à cause du flux pressé des élèves derrière elle.

Hermione fut donc contrainte de rester derrière Drago, qui ne l'avait pas remarquée, et d'écouter le rire hystérique de Parkinson. Elle grinça des dents.

"Tu ne peux pas dire ça !" s'écria Parkinson, hilare à cause d'une blague que Théo venait manifestement de faire. "Mais il a vraiment pleuré quand je suis partie ce matin. Le pauvre, je crois qu'il s'est un peu attaché à moi…"

"Un peu ?" répéta Zabini d'un ton plein de sarcasme. "Tu plaisantes ? Tu ne l'as pas lâché du week-end !"

Hermione fronça un peu les sourcils en entendant ça. Est-ce que Parkinson avait un petit copain ?

"Au fait Pansy, tu ne nous as pas dit le rêve que tu avais écrit dans ton journal ?" questionna Zabini quand ils atteignèrent le quatrième étage.

Hermione roula automatiquement des yeux en entendant une question aussi stupide et Théo soupira d'agacement pile en même temps qu'elle.

"J'ai rêvé que je me faisais piquer par une abeille." expliqua Parkinson très sérieusement. "Cela symbolise…"

"Après les écureuils, les abeilles !" interrompit Théo avec un rire. "Peut-être que ça symbolise que tu veux aller au zoo ?"

Zabini ricana mais Parkinson semblait ennuyée par cette remarque :

"Arrête de parler de tes trucs de Moldus et écoute-moi !" pesta-t-elle. "J'ai lu dans mon manuel que ça pouvait symboliser trois choses. Soit j'aurai un succès d'ici quelques jours, soit ma vie amoureuse est sur le point de changer, soit je pourrai avoir une tension avec un animal. Je vais demander au Professeure Trelawney ce qu'elle en pense."

"Sûrement pas la troisième option, Eris n'est même pas un vrai animal." commenta Drago.

Cela fit rire Théo et Zabini, mais Parkinson utilisa son manuel de Divination pour lui frapper la côte. Drago se retint à la rampe pour ne pas trébucher.

"Hé ! Pourquoi quand c'est Théo qui fait des blagues sur lui tu ne dis rien, mais quand c'est moi tu t'énerves ?" demanda-t-il d'une voix forte.

"Parce que lui il est drôle, et pas toi." répondit Parkinson, comme un fait.

Hermione s'attendait à ce que Drago s'énerve en entendant un tel affront, mais il tourna simplement la tête vers elle, et elle vit un petit sourire tendre se dessiner sur ses lèvres en regardant Parkinson.

Hermione avait écouté l'entièreté de ce dialogue sans en comprendre la moitié, un sentiment qu'elle détestait, mais en voyant le sourire de profil de Drago, elle ressentit quelque chose d'autre, une émotion qu'elle n'arrivait pas à cerner. Ce n'était pas vraiment de la tristesse, ni de la frustration, ni même de la colère. Hermione n'arrivait pas à comprendre pourquoi elle serrait son poing pour décharger la tension qui s'était soudain accumulée dans son bras et sa nuque.

Ce ne fut que quand ils arrivèrent au sixième étage qu'Hermione réalisa que ce qu'elle était en train d'éprouver n'était autre que de la jalousie.

Hermione n'avait jamais été envieuse, et encore moins jalouse. La seule fois où elle avait ressenti des effets similaires avait été la fois où Ron avait bavé sur Fleur Delacour, le soir de l'arrivée des Beauxbâtons l'année précédente. Mais ce n'était rien comparé à la traînée de poudre qui parcourut son corps en voyant ce sourire destiné à Parkinson. Pourquoi avait-elle droit à un sourire, et pas elle ? Elle pensait que Drago aurait été aussi misérable qu'elle après deux semaines sans se parler, mais il n'avait pas l'air particulièrement affecté. Il souriait, riait et discutait tranquillement avec ses amis, alors que toutes les pensées d'Hermione étaient dirigées vers lui, et que son ignorance lui coûtait plusieurs insomnies.

Est-ce que c'était ça qu'il ressentait à chaque fois qu'elle parlait à Ron ? Est-ce que l'Univers essayait de la punir en lui montrant ce que ça faisait, quand on était jaloux ? Est-ce que Merlin lui envoyait le signal d'arrêter son plan avant même de l'avoir commencé ?

Une fois arrivés au septième étage, le groupe de Serpentards se sépara : Théo et Drago continuèrent dans le couloir tandis que Zabini et Parkinson s'en allèrent dans l'autre direction en leur lançant :

"Bon cours d'Arithmantique, ou je ne sais quoi !"

"Arithmancie." corrigea Théo dans un souffle, si bas qu'Hermione eut presque du mal à l'entendre.

Drago et Théo empruntèrent le couloir bondé, et Hermione resta derrière eux. Pendant qu'ils marchaient jusqu'à la porte de classe, Crabbe et Goyle arrivèrent soudainement en courant pour les rattraper. Au début, Hermione ne comprit pas pourquoi. Ils ne faisaient pas partie du cours d'Arithmancie, ils étaient bien trop bêtes pour comprendre un mot de cette classe. Elle envisageait la possibilité qu'ils se soient perdus dans le Château qu'ils fréquentaient depuis cinq ans quand Crabbe coupa court à ses théories :

"Hé, Nott, t'as notre essai d'Histoire de la Magie ?"

"Vous avez l'argent ?" répliqua Théo d'une voix acerbe, qui n'avait rien à voir avec celle qu'il prenait quand il parlait avec ses amis.

Goyle plongea sa main dans sa poche d'uniforme et en sortit des grosses pièces d'or qu'il donna au garçon :

"Tiens, cinq Gallions chacun. On rajoutera 5 si t'as réussi à nous décrocher un Acceptable."

Hermione sursauta en entendant un tel montant. Au vu du ton de Goyle, il était clair que c'était un arrangement de longue date. Drago ne fit même pas attention à l'échange.

Théo prit l'argent sans les remercier et fit coulisser son sac sur son épaule en continuant de marcher :

"J'ai fait exprès de mettre une fausse date pour l'armistice de la guerre des Géants." dit-il en prenant les parchemins de son sac. "Mais j'ai gardé la…"

Quelque chose sortit alors de son sac en même temps que le parchemin et tomba dans un grand "clap !" contre le sol en pierre. Tous les yeux des élèves du couloir se tournèrent vers la source du bruit, et Théo se retourna en même temps qu'Hermione baissa les yeux.

C'était un livre.

Un livre carré, blanc, en format foche. La couverture était magnifique : de longues tiges vertes foncées entouraient le titre, qui se terminaient par de grosses pivoines blanches sur lesquelles était inscrit le nom de l'auteur. "Les Fleurs du Mal", de Charles Baudelaire.

Il n'y avait pas besoin de connaître le titre pour comprendre que c'était un livre moldu. Aucun sorcier n'avait ce genre de format de livre, les leurs étaient tous énormes, volumineux, lourds. Aucun né-sorcier de ce couloir n'avait vu un bouquin aussi petit.

Le visage de Théo perdit instantanément toutes ses couleurs. Il fixa le livre avec un air d'horreur, la bouche grande ouverte, et serra impulsivement les deux parchemins enroulés qu'il tenait dans sa main. Puis, un rouge écarlate vif irradia sur ses joues, son cou, et même son front.

Drago regarda le livre sans savoir quoi faire, visiblement en train de débattre intérieurement entre le ramasser, ou faire comme s'il n'avait pas remarqué. Pendant trois longues secondes, un silence lourd tomba dans le couloir. Hermione pouvait sentir une vingtaine de regards se poser sur elle et Théo, qui n'étaient qu'à un mètre de distance l'un de l'autre.

"Hé, Nott !" s'écria Goyle, en pointant du doigt le recueil avec un peu de retard. "Pourquoi t'as un livre moldu dans ton sac ?"

Un groupe de jeunes Gryffondors qui se tenaient près de la fenêtre commencèrent à rire, d'autres élèves plus âgés chuchotèrent entre eux. Certains pointèrent du doigt Théo, et Hermione crut entendre : "C'est à lui !" "Théodore Nott !" "C'est un Serpentard !"

Drago essaya tant bien que mal de garder un visage fermé, mais celui de Théo les trahissait. Il était tellement rouge que même ses boucles qui tombaient sur son front n'arrivaient pas à cacher l'état de sa peau, Hermione pouvait pratiquement sentir la chaleur en émaner. Ses doigts se crispèrent contre les essais de Crabbe et Goyle qui se plièrent sous la force de ses doigts.

Hermione aurait pu les contourner et entrer dans la classe d'Arithmancie. Elle aurait même pu rire avec les Gryffondors, pointer du doigt le garçon en face d'elle et le regarder se décomposer avec un sourire mauvais. Elle aurait pu se venger de toutes les fois où les Serpentards s'étaient moqués d'elle.

Mais Hermione en était incapable. C'était physiquement impossible de ne pas ressentir la compassion monter en voyant les yeux paniqués de Théo.

"C'est toi qui lis ça ?!" continua Crabbe avec un rire gras. "Tu es un Cracmol, Nott ?"

Hermione fit alors la première chose qui lui passa par la tête.

Elle se pencha, ramassa le livre, et le serra contre sa poitrine :

"En fait, c'est à moi."

Les deux regards stupides de Crabbe et Goyle passèrent de Théo à Hermione sans comprendre.

"Je l'ai fait tomber." expliqua-t-elle d'une voix assurée.

"Non, c'était dans son sac !" s'écria Crabbe en pointant Théo du doigt. "Je l'ai vu !"

"Pas du tout, c'est le mien." contesta Hermione en essayant de contrôler l'angoisse dans son ton.

Crabbe fronça les sourcils, lui donnant un air encore plus idiot qu'avant.

"Ah oui ? Alors, de quoi ça parle ?"

Hermione considéra lui lancer une réplique cinglante. Il était tellement stupide qu'elle pourrait probablement lui dire n'importe quoi sans qu'il se doute qu'elle mente, mais quand elle regarda autour d'elle et croisa le regard des élèves qui attendaient sa réponse avec des expressions suspicieuses, elle décida d'opter pour la vérité.

"C'est un recueil français de poésies, où Baudelaire raconte son ennui et son dégoût pour le monde en essayant d'extraire tout le mal que la beauté peut nous offrir." expliqua Hermione d'une traite.

Elle remercia mentalement son père de l'avoir inscrite au club lecture quand elle était jeune. Goyle cligna des yeux plusieurs fois, n'ayant probablement pas compris un mot de ce qu'elle venait de dire. Crabbe lui arracha le livre des mains sans ménagement, puis lut silencieusement la quatrième de couverture. Cela prit une minute entière.

Théo était toujours frappé d'horreur, mais ses rougeurs avaient diminuées. Drago, lui, fixait Hermione, et c'était la première fois depuis deux semaines entières qu'elle croisa son regard glacé. Sa mâchoire était contractée, et Hermione pouvait deviner sa langue passer contre la paroi de sa joue. Il avait l'air furieux. Jaloux qu'elle puisse avoir fait une chose pareille pour Théo. Mais Hermione n'était pas intimidée. Peu importe l'émotion qu'il ressentait, elle n'était happée que par ses yeux. La dernière fois qu'ils s'étaient posés sur elle de cette manière, avec autant de fureur dans chaque nuance de gris et de bleus, il l'avait embrassée.

Ce souvenir embrasa sa peau et elle lâcha son regard pour fixer ses chaussures.

"C'est ça." grommela Crabbe, déçu.

"Évidemment que c'est ça." répondit-elle, défiante. "C'est mon livre."

Il lui lança le livre et Hermione le rattrapa de justesse, puis il s'essuya grossièrement la main contre son pantalon d'uniforme comme si tenir un objet moldu l'avait contaminé. Les élèves autour d'eux haussèrent les épaules et lâchèrent l'affaire. Certains continuèrent d'avancer tandis que d'autres marmonnaient maintenant des "Granger" et des "fille de Moldus" dans des souffles pas très discrets.

"Tu te rends compte ?" dit Goyle en donnant un coup de coude à Drago, qui sursauta un peu. "La Sang-de-Bourbe qui lit des livres de moldus."

Drago regarda Goyle avec une expression difficile à interpréter, comme s'il hésitait entre rire avec lui ou lui mettre un coup de poing dans le nez. Théo, qui n'avait pas bougé depuis que le livre était tombé par terre, tourna la tête brusquement vers Goyle en entendant l'insulte, comme s'il l'avait personnellement attaqué.

"Ouais." dit finalement Drago, d'une voix un peu plus étranglée que son habituel ton traînant. "Pathétique."

Crabbe et Goyle rièrent et Hermione sentit ses doigts trembler d'envie de prendre sa baguette et leur lancer le sort le plus douloureux possible, mais elle se contint. La brûlure à la nuque qu'ils lui avaient infligée la grattait, douloureuse trace d'un souvenir dont elle n'aimait pas se rappeler.

Crabbe tendit la main pour prendre les parchemins mais Théo les remit brutalement dans son sac.

"Hé !" contesta Goyle en voyant son précieux essai disparaître. "Qu'est-ce que t'as ? On t'as pas insulté, on parlait d'elle !"

Il la désigna avec une grimace, comme si elle était un monstre particulièrement repoussant.

"Désolé." répliqua Théo, et Hermione n'aurait jamais pensé que sa voix puisse devenir aussi menaçante. "On est en retard. Dégagez."

Et les deux Serpentards continuèrent leur marche jusqu'à la classe d'Arithmancie sans rien ajouter de plus. Crabbe et Goyle restèrent plantés là, hagards.

Hermione entra dans la pièce avec une confusion telle qu'elle mis plusieurs secondes à se souvenir où elle était assise. Elle rangea le livre dans son sac, et prit des notes du cours de Vector sans vraiment l'écouter. Drago ne la regarda pas, revenant au même état d'ignorance qu'il avait depuis des jours, mais Théo articula silencieusement un "merci", auquel elle répondit par un petit sourire.

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Quand Hermione s'assit à la table du dîner en compagnie d'Harry et Ron ce soir-là, Ginny posa tout de suite une main sur son bras et demanda d'un ton précipité :

"Tout va bien, Mione ?"

"Oui, parfaitement bien." dit Hermione, un peu surprise. "Pourquoi ?"

"J'ai entendu dire que Crabbe et Goyle t'avaient mené la vie dure ce matin…" dit Ginny.

Harry et Ron se tournèrent vers elle d'un même mouvement de tête.

"Quoi ?" s'insurgea aussitôt Ron. "Mais tu ne nous as pas dit ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?"

"Rien de bien grave." assura Hermione en voyant leurs inquiétudes. "J'ai fait tomber mon livre de poésies moldues devant la classe d'Arithmancie et ils se sont moqués de moi, rien de nouveau."

Harry et Ron eurent deux réactions relativement opposées.

"Oh, je suis désolé Mione." dit Harry, les sourcils rejoints dans un visage plein d'apitoiement.

"Quelle bande de petits cons !" s'écria Ron, en lançant un regard noir à Crabbe et Goyle trois tables plus loin.

Ils étaient bien trop occupés à manger leurs saucisses pour prêter attention à Ron, mais Hermione en fut tout de même reconnaissante.

"Tu veux qu'on leur fasse cracher des paillettes à chaque fois qu'ils ouvrent la bouche, Mione ?" proposa Fred, qui avait écouté la conversation. "C'est un effet secondaire qu'on arrive pas à identifier sur les nouveaux prototypes…"

"... mais qui peut s'avérer très utiles pour certaines situations." finit George avec une mine sombre.

"C'est très gentil, mais ça ira." dit Hermione avec un petit sourire. "Crabbe et Goyle n'ont jamais réussi à me faire ressentir autre chose que de la pitié pour leurs cerveaux pas développés."

George lui tendit sa main pour lui faire un high five.

"Qu'est-ce qu'ils faisaient devant la classe d'Arithmancie, d'ailleurs ?" demanda Ginny, la bouche tordue par l'aversion qu'elle ressentait envers les deux Serpentards en question. "Ne me dis pas qu'ils ont pris cette option ?"

"Impossible, je suis sûr qu'ils sont incapables de comprendre le nom de la classe." dit Harry en secouant fermement la tête. "Il n'y a que notre Mione qui peut déchiffrer ça."

Hermione fit un sourire reconnaissant à son meilleur ami.

"Ils sont en Divination, mais ils passent leur temps à demander à Parkinson ce qu'ils sont censés faire." dit Ron sans cacher la haine dans sa voix. "Ils sont arrivés en retard tout à l'heure, on a pensé qu'ils s'étaient encore perdus…"

"En fait, ils sont allés demander quelque chose à Théodore Nott." expliqua Hermione en se servant à manger. "C'est là qu'ils ont vu mon livre."

Ron fronça les sourcils :

"Qui ?"

"Théodore Nott, un Serpentard de notre promotion." dit Hermione, étonnée qu'il ne sache pas qui c'était. "Le meilleur ami de Malefoy."

"Oh." répondit-il, visiblement sans voir de qui elle parlait.

"C'est le garçon qui peut voir les Sombrals ?" demanda Harry.

Hermione hocha la tête. Ce souvenir lui déclencha une série de frissons désagréables le long de ses bras. Elle détestait l'idée qu'un garçon aussi pur que Théodore Nott ait pu voir quelqu'un mourir devant ses yeux. À cette pensée, Hermione leva automatiquement les yeux vers lui. C'était le seul du groupe de quatre à ne pas parler. Il avait l'air de réfléchir en piquant absentément dans son assiette sans manger, le visage barré par une vague de tristesse qu'il essayait de camoufler, en vain.

Hermione éprouvait les deux mêmes sentiments envers Théo qu'avec Harry : l'injustice et l'impuissance. Elle ne savait pas exactement qui Théo avait pu voir mourir, mais Drago lui avait parlé de son père, et elle connaissait l'enfance difficile qu'il avait vécu. Dans les deux cas, ni Harry ni Théo ne méritaient ce qu'ils avaient subi.

"Il a été méchant avec toi aussi ?" demanda Ron en s'attaquant à sa saucisse.

"Non !" dit-elle, un peu trop fort. "Non, pas du tout. Je… Nott n'a jamais été méchant avec moi. Tu sais qu'il est deuxième du classement général ?"

Ron leva les yeux au ciel en entendant une telle justification, comme si le fait d'être intelligent voulait dire qu'il n'avait rien à se reprocher.

"Et Malefoy était là aussi, j'imagine ?" devina Harry, l'inquiétude remplacée par la colère. "Il a dû sauter sur l'occasion."

"Oui." dit Hermione, sans la moindre pitié pour Drago. "Insupportable, comme d'habitude."

Harry se pencha sur son assiette pour découper sa saucisse et Fred en profita pour lui lancer un regard interloqué. Hermione secoua la tête pour montrer qu'elle ne voulait pas en parler.

À la table des Serpentards, Théo avait pris la parole et Parkinson et Zabini l'écoutaient avec une certaine agitation. Hermione comprit qu'il était en train de relater ce qu'il s'était passé le matin-même à voix basse, pour ne pas que Crabbe et Goyle, à quelques places d'eux, ne puissent entendre son récit. Drago ne parlait pas, mais Hermione vit ses doigts ornés de bagues argentées agripper la table de toutes ses forces.

Théo imita la scène, puis l'intervention d'Hermione. Zabini posa plusieurs questions pendant que Parkinson restait interdite. Drago ne dit rien. Hermione essayait de lire sur les lèvres de Théo pour comprendre cet échange silencieux, mais elle ne réussit qu'à décrypter les mots "moldu" et "sauver."

Alors, au moment où Hermione faillit détourner le regard pour reprendre la conversation que les Gryffondors avaient autour d'elle, Parkinson tourna brusquement la tête vers elle.

Pour la première fois en cinq ans, Hermione fut choquée de voir que les prunelles noires de Parkinson ne reflétaient pas l'habituelle animosité qui était constamment présente quand elle la regardait. À la place, il y avait une sorte de… reconnaissance. Et c'était tellement opposé à tout ce qu'elle connaissait de Pansy Parkinson qu'Hermione ne sut comment réagir.

Elle préféra donc détourner son attention de ce changement étrange, et discuta avec Ginny et George en terminant son dîner.

Après manger, Hermione se rendit à la Bibliothèque pour la première fois depuis des lustres, en espérant y trouver Théo pour lui rendre son livre.

Dès qu'elle passa le palier de l'immense pièce qu'elle aimait tant, elle le trouva à sa place habituelle, à côté du rayon des Cultures magiques du monde. Il avait trois pots d'encre différents autour de lui et il paraissait agité, parce qu'il se passait une main dans ses cheveux compulsivement. Drago était assis face à lui, en train de lire un livre de Potions. Hermione grimaça en voyant qu'il était là, mais avant de réfléchir plus longtemps, elle s'approcha de la table des deux Serpentards et ne s'arrêta que quand elle fut à côté d'eux.

"Tiens, ton livre, Théo." dit-elle, d'un ton un peu plus doux que d'habitude.

Les deux garçons sursautèrent en l'entendant parler. Hermione posa Les Fleurs du Mal sur la table et se mit stratégiquement dos à Drago.

"Oh !" s'écria Théo. Il prit le recueil et le serra contre sa poitrine par réflexe, exactement comme elle avait fait le matin-même, comme s'il voulait le protéger. "Merlin, merci, Hermione, tu m'as sauvé la vie."

Elle entendit distinctement la petite inspiration de colère de Drago en entendant qu'il avait utilisé son prénom, mais Hermione continua de faire comme si elle ne l'avait pas remarqué.

"C'est normal." assura-t-elle avec un sourire. "Tu aurais fait la même chose pour moi."

"Je ne sais pas, tu es bien plus courageuse que moi." répondit Théo avec un petit rire gêné. "Sérieux, je t'en dois une."

Elle hésita à lui rappeler que techniquement, il l'avait sauvé d'abord, mais elle n'osa pas le faire devant Drago.

"Disons qu'on est quittes." dit-elle plutôt, et elle lui tendit la main pour qu'il la serre.

Théo le fit sans hésiter, et ils échangèrent un sourire sincère. Drago, lui, était livide. Hermione pouvait entendre ses bagues taper le bois de la table à répétition. Comme s'il venait de se rappeler qu'il était là, Théo se tourna vers lui et fronça soudain les sourcils, lui donnant un air de professeur sévère :

"Ça te tuerait de la remercier ?"

Drago arrêta de tambouriner la table avec ses doigts.

"Qu… Quoi ?" bégaya-t-il en contemplant son ami comme s'il était devenu complètement fou.

"Mets tes préjudices de merde de côté cinq minutes et remercie-la !" continua Théo en la montrant d'un mouvement de tête. "Tu te rends compte ce qu'il se serait passé si Crabbe et Goyle avaient réalisé que je lisais de la littérature moldue ? T'imagines les conséquences désastreuses que ça aurait pu avoir si ton père avait appris ça ? Tout ça, c'est grâce à Hermione que ce n'est pas arrivé. Alors, remercie-la pour moi, Merlin !"

Hermione sentit les commissures de ses lèvres se lever en entendant Théo le réprimander de la sorte, comme s'il s'adressait à un enfant pas sage, et encore plus quand le visage de Drago s'étira considérablement de choc.

"Je…" commença-t-il, mais Hermione l'interrompit.

"Oh, ne t'embête pas, Théo." dit-elle, en insistant bien sur son prénom et en balayant une main dans la direction de Drago. "Certaines personnes ne changent jamais, j'imagine. Drago Malefoy ne pourrait jamais s'abaisser à une telle faiblesse que de remercier une née-Moldue."

Elle connaissait assez bien Drago maintenant pour savoir que sa phrase avait touché un point sensible. Elle l'entendit se redresser brutalement contre sa chaise et répliquer d'un ton tranchant :

"Et tu comptes rester nous faire la morale encore longtemps, Granger ?"

Malgré l'intensité de sa phrase, il ne la regarda pas en la prononçant.

"Malefoy !" s'indigna Théo avec force. "Arrête de jouer le con ! Elle peut rester là autant qu'elle veut !"

Drago essaya de fusiller le garçon en face de lui du regard, mais Hermione pouvait voir qu'il était troublé. Par sa présence ou par les accusations qui étaient portées à son égard, elle n'en savait rien.

"En plein milieu de la Bibliothèque, où tout le monde peut nous voir parler avec elle ?" siffla-t-il entre ses dents, toujours sans poser son regard sur Hermione une seule fois. "Ça serait pire que tes livres moldus !"

"J'en ai rien à foutre." trancha Théo. Hermione fut surprise de l'entendre prononcer un mot si vulgaire avec autant de désinvolture. "Elle vient de me rendre un immense service, on devrait tous être reconnaissants envers elle, toi y compris. J'en ai rien à foutre que les autres me voient parler avec elle, ils ne m'ont jamais aidé comme Hermione l'a fait tout à l'heure. Si t'es pas content, t'as qu'à aller à une autre table."

Drago se renfrogna contre son siège en marmonnant quelque chose qui ressemblait fortement à une insulte, mais resta assis tout de même et continua de lire son livre de Potions.

Théo se tourna de nouveau vers Hermione et il revêtit la mine chaleureuse qu'il portait toujours avec elle :

"Merci encore, Hermione. Tu l'as lu, alors ?" demanda-t-il en désignant le livre blanc.

"Oui, quand j'étais enfant." répondit Hermione. "J'étais dans un club de lecture et il y avait tout un chapitre sur les poésies du monde, et j'avais beaucoup aimé ce recueil."

"Les Fleurs du Mal avant Poudlard ?" dit Théo avec étonnement. "C'est impressionnant."

"Je ne me souviens pas de tout, mis à part que c'était assez maussade. Tu aimes bien, toi ?" questionna Hermione.

Théo prit le livre et feuilleta les pages évasivement.

"Certains poèmes, mais pas tous. J'ai du mal avec tous ceux qui traitent de la mort en général. J'aime beaucoup les Spleens, je trouve ça fascinant de comprendre comment les Moldus font face à la vie sans magie, ou leurs manières différentes de se l'approprier."

Hermione hocha la tête et Drago recommença avec le bruit pénible de ses bagues contre la table pour montrer son impatience.

"Il faudrait que je le relise, mais je crois que mon préféré était Paysage." dit Hermione, en faisant semblant de ne pas entendre le garçon derrière elle.

Théo sourit, pas étonné par cette réponse.

"Si tu veux le relire, j'aimerais beaucoup te prêter le mien, mais il est en français originel…" dit-il sur un ton d'excuse.

"C'est très gentil de ta part." dit Hermione, touchée qu'il puisse faire ça. Pour elle, partager un livre était une grande preuve d'amitié. "Je l'achèterai peut-être cet été."

Théo sembla être sur le point de demander plus de choses sur sa vie moldue mais s'arrêta quand Drago toussa bruyamment, comme pour leur rappeler sa présence, qui était pourtant difficile à oublier. Hermione prit congé, toujours en ne s'adressant qu'à Théo :

"Je te laisse travailler. À plus tard."

Elle fut sur le point de partir quand la main de Théo jaillit en avant pour la retenir. Il lui attrapa le poignet et Drago faillit tomber de sa chaise en voyant son geste.

"Nott !" s'indigna-t-il dans un cri étouffé.

Théo l'ignora et regarda Hermione dans les yeux.

"Je voulais te dire… Je suis sincèrement désolé de ce qu'a dit cet imbécile de Goyle tout à l'heure. J'aurais dû dire quelque chose, je…"

Hermione comprit qu'il faisait référence à l'insulte sur son sang qu'il avait proféré le matin-même et rassura tout de suite le pauvre Théo qui se confondait en excuses :

"Oh, ce n'est pas grave, j'y suis habituée…"

"Si, c'est grave." asséna fermement le garçon. "Ce n'est pas normal que quelqu'un puisse utiliser ce mot dans les couloirs de l'école sans subir de punition. J'ai décidé d'arrêter de leur faire leurs devoirs, ça leur apprendra, et avec un peu de chance, ils seront virés du Château avant l'année prochaine."

"Merci, mais ne te prive pas de leur prendre de l'argent pour mon bénéfice." dit Hermione avec sincérité.

Drago avait toujours les yeux rivés sur la main de Théo autour du poignet d'Hermione, au même endroit où lui-même avait posé ses propres doigts à plusieurs reprises. Elle pouvait voir son visage fondre au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient et qu'il continuait de la toucher, mais Hermione ne se sentait pas mal. En fait, elle espérait même qu'il était jaloux. Au moins, ce n'était pas de l'ignorance.

"Travaille bien." finit-elle par dire, et Théo la relâcha gentiment.

Elle alla s'installer à la table qu'elle prenait normalement avec Harry et Ron et sortit ses devoirs d'Astronomie. Elle étala la carte du ciel sur les trois quarts de la table et s'entraîna à placer les étoiles qui seraient attendues pour les BUSES, et c'était un travail tellement prenant qu'elle en oublia la présence de Drago à quelques mètres d'elle.

Théo et lui s'en allèrent avant la fermeture de la Bibliothèque, mais Hermione resta jusqu'à ce que Madame Pince soit obligée de lui ordonner de fermer sa carte et d'aller se coucher.

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Le lendemain, Hermione passa sa soirée à réviser le dernier chapitre d'Histoire de la Magie pour se préparer aux BUSES, en prenant des notes sur les dates et les noms des traités de paix entre les géants. Ses yeux piquaient de fatigue, mais elle ne voulait pas s'arrêter tant qu'elle n'aurait pas terminé, de peur que son planning la gronde le lendemain.

Juste après la fin du dîner, Théo entra dans la Bibliothèque, cette fois-ci seul. Ils s'échangèrent un demi-sourire cordial et il se dirigea vers sa petite table habituelle.

Hermione retourna à son parchemin de notes, marqua "1808 : Bataille de Baltia" et termina son thé en une gorgée quand une ombre passa sur sa table. Elle leva spontanément la tête pour voir qui s'était approché et son souffle se coupa quand elle vit Théo, ses boucles châtaigne tombant sur son visage, un grand sourire aux lèvres et tous ses livres dans les bras.

"Hey." dit-il.

"Hey." répondit-elle automatiquement.

"Je peux m'asseoir avec toi ?" demanda Théo d'un ton joyeux.

Hermione ne put s'empêcher d'écarquiller grand les yeux.

"Te… T'asseoir, ici ? Avec moi ?" répéta-t-elle stupidement.

"Si ça ne te dérange pas ?" demanda-t-il, en pointant du doigt la chaise en face d'elle. "Je galère sur la dernière leçon d'Arithmancie et je me dis, ça fait des années qu'on tient cette compétition tacite entre nous, pourquoi ne pas abandonner pour plutôt unir nos deux savoirs et réussir nos BUSES ?"

Hermione sentit les coins de ses lèvres se lever sans son accord.

"Quelle compétition ?" demanda-t-elle innocemment.

"Oh, arrête, tu sais très bien de quoi je parle." répondit Théo avec un sourire.

"Tu me demandes ça parce que je gagne." dit Hermione.

"Oui, complètement." admit le garçon sans gêne. "Je déteste perdre. Et j'ai vraiment besoin d'aide pour ce diagramme. Je peux m'asseoir, alors ?"

Hermione jeta un regard autour d'eux. Quelques élèves occupaient des tables, et Madame Pince était assise à son bureau. La table d'Hermione était au centre de la pièce, pile en face de la grande porte.

"En plein milieu de la Bibliothèque ?" chuchota-t-elle d'une voix anxieuse. "Tu es sûr ? Tout le monde pourrait nous voir…"

Elle essaya de ne pas penser à la ressemblance de cette scène avec celle qu'elle avait vécu avec Drago l'année précédente, quand il s'était assis casuellement à côté d'elle comme s'il avait fait ça tous les jours.

Théo fronça légèrement les sourcils et il regarda autour de lui comme s'il venait de s'apercevoir qu'ils n'étaient pas seuls.

"Oh, tu ne veux pas être vu avec moi ?" demanda-t-il, surpris.

"Si, bien sûr." répondit-elle sans réfléchir. "C'est pour toi que je disais ça… Gryffondor, née-Moldue, tout ça…"

Théo leva gravement les yeux au ciel et tira la chaise pour s'y asseoir.

"J'en ai rien à faire de tout ça."

Hermione eut un sentiment profond de soulagement en entendant cette phrase, celle qu'elle attendait désespérément de Drago depuis des mois. Théo l'avait dit impulsivement, sincèrement, sans le moindre doute dans sa voix. Encore une fois, elle se sentit étrangement rassurée par sa présence.

Il s'installa et posa son manuel d'Arithmancie entre eux deux pour commencer à travailler. Hermione le regarda faire sans rien dire, trop surprise pour trouver quelque chose à dire ou faire. Soudain, il leva la tête vers elle :

"Au fait, je t'ai trouvé ça."

Il sortit un livre sous son manuel et lui tendit. C'était le même livre qu'elle avait ramassé pour le sauver, Les Fleurs du Mal, mais en anglais. Hermione admira la jolie couverture avec les tiges entrelacées autour du titre et eut une petite exclamation étouffée :

"Mon Dieu, Théo ! Il est magnifique ! Comment as-tu…"

"Je l'ai commandé avec l'hibou de Blaise hier." expliqua-t-il, soudain un peu embarrassé. "Considère ça comme un cadeau de remerciement, ou un cadeau de Noël en avance."

Hermione sentit son coeur se gonfler en voyant ses joues rosées par la gêne.

"Merci, ça me touche énormément." dit Hermione, pleine d'honnêteté. "Je vais le relire pendant les vacances."

"Tu me diras si ton poème préféré a changé." dit Théo en la regardant feuilleter le recueil.

"Quel beau cadeau de Noël." soupira Hermione en effleurant les tiges vertes qui parcouraient toutes les pages. "Maintenant, il faut que je t'en trouve un tout aussi beau."

"Et bien…" dit le garçon avec un sourire espiègle, celui qui lui donnait des fossettes dans le creux de ses joues. "En fait… Si tu pouvais m'aider à comprendre la leçon d'Arithmancie, je serais très reconnaissant."

Hermione eut un petit rire en entendant cette demande.

"Ah, les Serpentards, toujours avec vos deals…" dit-elle en prenant le manuel pour l'ouvrir à la bonne page.

"Tu as tout compris. Et je me disais…" Théo toussota un peu, à la fois gêné et amusé. "On est quittes, maintenant. Toi qui m'aide à ne pas me ridiculiser devant tout le monde, moi qui t'aide à soigner Potter avec l'Essence de Dictame sous le nez de Rogue… Peut-être que ce cadeau peut marquer la paix entre nous ? Ça serait bête qu'on se prive d'une amitié parce qu'on a pas été mis dans les mêmes Maisons quand on avait onze ans. Et je pense qu'on peut s'aider mutuellement. Enfin, surtout toi, pour l'Arithmancie." ajouta-t-il pour diffuser l'atmosphère un peu trop solennelle.

Hermione aurait difficilement pu trouver des mots plus justes que ceux-là. Depuis ce jour où Théo l'avait couverte auprès de Rogue, et peut-être même avant ça, elle avait toujours trouvé Théodore différent des autres Serpentards. Drago avait souvent répété qu'ils se ressemblaient. Hermione trouvait plutôt qu'ils se complétaient.

"Ça me va." répondit-elle en lui tendant instinctivement sa main.

Il la serra avec hâte, visiblement soulagé par sa réaction. Ils se firent un sourire, et un mouvement dans le champ visuel d'Hermione lui fit tourner la tête.

C'était Drago, qui se tenait entre les deux portes de la Bibliothèque.

Il s'était arrêté net, les yeux révulsés, fixés sur les deux mains serrées de Théo et Hermione.

Hermione essaya de se mettre à sa place, de tomber sur lui avec sa meilleure amie, sur une table de la Bibliothèque, à l'endroit même où ils étaient tombés amoureux l'un de l'autre, et ressentit une impulsion étrange, contraire à ses réactions habituelles, opposée à tout ce qu'Hermione avait l'habitude de ressentir, une impulsion très Serpentarde : du plaisir à l'idée de lui faire mal. De lui infliger de la peine, d'appuyer là où ça faisait mal. La jouissance de la vengeance.

Et Hermione réalisa à cet instant qu'elle venait de trouver le garçon parfait pour rendre Drago jaloux.

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- J'aime tellement l'amitié entre Hermione et Harry❤️

- Je ne sais pas si c'était évident, mais la pièce vide où Draco et Hermione se disputent est l'endroit où Harry a trouvé le Miroir du Rised dans le premier livre !

- Je sais que beaucoup de lecteurs sont déçus du comportement de Drago dans les derniers chapitres, avec le match et tout et ça. Je voulais juste rappeler que, même s'il évolue positivement grâce à l'influence d'Hermione et de ses amis, il n'en reste pas moins un personnage complexe et tiraillé, avec des gros problèmes de colère qu'il ne maîtrise encore pas du tout. Le Drago de ma fic n'est pas nécessairement "obscur" comme pourrait l'être celui de Manacled ou de Secrets and Masks, mais il est définitivement un peu toxique. Ce chapitre sert aussi à rappeler qu'il n'est pas le seul. Je pense que tout le monde a son côté toxique, et Hermione le montre ici : elle aussi peut être toxique envers Drago. Beaucoup diront qu'il l'a mérité, et je ne dis certainement pas le contraire. Je préfère donc prévenir que Drago ne va pas être magicalement meilleur d'un coup, ça se fait progressivement, et heureusement, sinon on s'ennuyerait un peu, non ?