Hello tout le monde! Désolée pour le retard, le site était down et j'ai dû remettre en page chaque italique de mon chapitre parce que la nouvelle mise en page ne les prend pas compte, ça me prend un temps fou! Mais le voici, tout beau tout propre, alors je vous souhaite une bonne lecture et je vous remercie encore une fois pour votre soutien sans faille!
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Drago
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Drago passa le reste de la nuit parfaitement éveillé, les yeux rivés sur son rideau au-dessus de sa tête. Il savait que Pansy faisait la même chose et qu'elle serait incapable de dormir après ce qu'il venait de se passer. Il pouvait voir sa main pâle caresser lentement le pelage d'Eris, peut-être pour se rassurer.
Blaise n'était toujours pas revenu. Drago n'avait aucune idée d'où il pouvait être. Théo avait suggéré qu'il était allé à l'infirmerie, mais Drago doutait sérieusement qu'il puisse vraiment y être. Il n'avait rarement, voire jamais, sollicité l'aide d'un adulte de Poudlard. Quand il y avait un problème, c'était lui qui s'en chargeait, toujours. Quand Léo Hills avait traité Pansy de camée, c'était lui qui lui avait disloqué la mâchoire. Quand Théo était arrivé chez lui ensanglanté et évanoui, c'était lui qui l'avait soigné et recueilli chez lui. Quand les Mangemorts avaient envahi le pré pendant la Coupe du Monde de Quidditch, c'était lui qui s'était interposé devant Théo et Drago pour les protéger de Nott Sr.
Quand il y avait un problème, tout le monde se tournait automatiquement vers Blaise, le plus sage et courageux des quatre.
Mais quand Blaise avait un problème, vers qui se tournait-il ?
Drago réalisa avec amertume qu'il n'en avait pas la moindre idée. Cette pensée lui parasita la tête, tellement qu'il en oublia sa bonne humeur après le date avec Granger sur la Tour d'Astronomie. Même après des heures, il pouvait encore sentir l'adrénaline de son réveil parcourir ses veines, les hurlements de Blaise contre ses tympans, comme des échos dans le dortoir silencieux. Sa paume de main était toujours brûlante, malgré le fait qu'il l'avait laissée sous le robinet d'eau froide pendant une vingtaine de minutes et jeté tous les sorts de Refroidissement qu'il connaissait dessus.
Quand ce fut l'heure du petit-déjeuner, il était évident qu'aucun des trois n'avait réussi à se rendormir. Théo avait les yeux rouges de fatigue et Drago dût détourner le regard, parce que ça lui rappelait les pupilles noires et éteintes de Blaise.
Aucun des trois ne parla pendant le petit-déjeuner. Drago mâchouillait des bouts de pomme mais son estomac était trop comprimé pour qu'il puisse avaler quoique ce soit de consistant. Pour la première fois en cinq ans, Théo ne se servit pas de verre de lait.
Quand l'hibou de Blaise se posa sur la table en cherchant son maître, Pansy lui donna une pièce et rangea le journal dans son sac sans un mot.
"Potter n'est pas là."
Drago releva brusquement la tête en entendant la voix de Crabbe et inspecta la table des Gryffondors. Ça devait vraiment être la fin du monde si Crabbe et Goyle faisaient un meilleur travail d'observation que lui.
Potter n'était effectivement pas là, mais ce n'était pas le seul absent : il n'y avait aucune tête rousse, ce qui formait un trou étrange en plein milieu de la table rouge et or. Les Gryffondors qui étaient bien là avaient l'air d'avoir passé la même nuit que Drago, ils étaient tous atrocement pâles et la tête de Londubat qu'il faisait tenir gauchement contre sa paume valsa et faillit plonger dans son bol de céréales.
Drago chercha Granger du regard, et la trouva tout au bout de la table, la tête baissée. Il ne pouvait pas vraiment la voir de là où il était, mais il avait l'impression qu'elle avait pleuré. Ses épaules étaient voûtées, son dos courbé, comme si elle portait l'intégralité des problèmes du monde et peinait à en supporter le poids. La voir seule de la sorte était une vision très étrange, d'habitude, elle était entourée par une dizaine de personnes en permanence qui discutaient joyeusement autour d'elle. Ça lui rappela la première année, quand Granger n'avait pas encore beaucoup d'amis et qu'elle déjeunait seule, avec un manuel devant elle pour s'occuper.
Le cerveau de Drago était bien trop embrumé de fatigue pour comprendre le sens de cette scène, si bien qu'il mit du temps à se souvenir de la conversation qu'il avait entendu dans les couloirs, entre McGonagall et Ombrage. Il ne se rappelait pas des détails, simplement que Potter avait été envoyé dans le bureau de Dumbledore, sans qu'il sache pourquoi…
Il tourna la tête vers la table des professeurs et tomba sur Ombrage, dont le visage boursouflé était crispé de colère. Elle fulminait. Ses yeux vicieux étaient rivés à l'endroit vide de la table des Gryffondors, comme si elle espérait que Potter ne débarque d'en-dessous et qu'elle puisse lui lancer un maléfice. McGonagall, six places plus loin, n'affichait rien de plus qu'une expression blasée. Elle lisait le journal, et ne paraissait pas inquiète de l'absence de Potter et la troupe de rouquins avec laquelle il était constamment flanqué.
Drago voulut poser les questions qui lui tournaient dans la tête à haute voix (Où était Potter ? Est-ce que ça avait un lien avec la discussion qu'il avait surprise la veille ? Est-ce que Granger allait bien ?) Mais avant qu'il puisse décider laquelle demander en premier, Blaise s'assit à côté de lui. Pansy, Théo et Drago arrachèrent immédiatement leurs regards de la table des Gryffondors pour les poser sur leur meilleur ami.
"Blaise ?" appela Pansy d'une voix craintive, comme si elle avait peur qu'il se remette à convulser au beau milieu de la Grande Salle.
Malgré le fait qu'il s'était démené comme un forcené quelques heures plus tôt, l'apparence de Blaise ne laissait rien voir. Il s'était changé, il portait maintenant son uniforme parfaitement ajusté, et il agissait normalement, posé, calme. Mais Drago le connaissait par cœur. Il pouvait voir que ses paupières étaient plus gonflées que d'habitude, et que sa main tremblait quand il se servit un café. Il pouvait voir qu'il fuyait leurs regards. Il pouvait même apercevoir une trace de brûlure en bas de son cou, cachée par le col de sa cape, la même que celle sur la paume de la main de Drago.
"Tout va bien ?" demanda Théo à voix basse.
Crabbe et Goyle se penchèrent pour écouter. Blaise intercepta leurs regards et marmonna :
"Plus tard."
Le silence était insoutenable. Normalement, Drago adorait le fait que Blaise était silencieux. Avec lui, il n'y avait jamais eu besoin de combler les blancs, et c'était reposant. Mais ce jour-là, Drago n'aimait pas du tout son silence. Ça laissait ses pensées vagabonder et il avait l'impression de se noyer d'angoisse. Il se demanda si c'était ça que Granger ressentait tout le temps. Si c'était pour ça qu'elle parlait sans arrêt.
Au bout d'un long moment où la pomme de Drago n'était plus qu'un tas de morceaux ramollis entre ses doigts, Blaise se leva. Drago, Théo et Pansy sautèrent du banc pour l'accompagner, et Crabbe et Goyle les regardèrent partir sans comprendre. Ils traversèrent la Grande Salle et Drago ne put se retenir, il jeta un bref regard vers elle, et de là, il put clairement voir la tristesse accrochée sur chacun de ses traits, comme si elle était gravée sur son visage. Elle non plus n'avait pas beaucoup mangé : son porridge était intact, et la tasse de café qu'elle tenait entre ses mains avait l'air froide. Son regard était perdu quelque part entre le sol et le banc en face d'elle. Elle était méconnaissable, à tel point que Drago eut l'impression que leur escapade en balai remontait à des semaines, et non pas à la veille. Que lui était-il arrivé depuis ? Peut-être que Potter avait eu le même cauchemar que Blaise.
Ils arrivèrent dans la cour de Métamorphose et Drago sut que la situation était sérieuse quand Théo ne fit aucune remarque sur la neige qui tombait. La fontaine avait gelé, et les bancs étaient tous givrés. Ils s'installèrent donc tous les quatre sous l'arbre préféré de Blaise, et Pansy lança un sortilège de Chaleur autour d'eux. Drago était sûr que c'était pour Théo.
"Alors ?" demanda ce dernier à peine fut-il assis sur la neige fondue.
Blaise se passa une main sur le visage, et Drago vit à cet instant à quel point il avait l'air épuisé. Comme s'il portait un masque jusqu'alors, et qu'il se laissait enfin aller à ses émotions.
"J'ai écrit à ma mère." annonça-t-il d'une voix grave et chargée de fatigue.
Pansy et Théo hochèrent la tête. Drago, lui, sursauta légèrement en entendant ça.
Il n'avait jamais compris la relation entre Blaise et sa mère.
Il savait qu'ils étaient proches, bien plus proches que n'importe quel Serpentard pouvait l'être avec ses parents. Il savait qu'ils communiquaient beaucoup, parce que Blaise leur donnait fréquemment des nouvelles, du style "ma mère est en Italie", ou "ma mère a écrit un roman", ou encore "ma mère est allée au concert de Carson the Clover la semaine dernière." Mais pourtant, Drago ne l'avait jamais vu lire une de ses lettres. Quand son hibou apportait le courrier tous les matins, il n'y avait que la Gazette, ou ses abonnements à tous les magazines de Quidditch du monde. Jamais d'enveloppe scellée. Jamais de colis avec des confiseries à l'intérieur. Jamais rien qui aurait pu montrer qu'ils s'écrivaient souvent.
Drago n'arrivait pas à imaginer demander conseil à sa mère s'il avait un problème. Ça ne lui aurait jamais traversé l'esprit. Peut-être parce qu'il reliait trop sa mère à son père, qu'il aurait peur qu'elle lui montre sa lettre. Il ne pouvait pas lui parler de ses faiblesses sans craindre que ça se retourne contre lui.
"Qu'est-ce que tu lui as dit ?" demanda Théo.
Blaise soupira et tourna la tête vers la volière. Drago pouvait apercevoir les contours de la tour se détacher à peine du brouillard hivernal, et quelques hiboux entrer et sortir. Il comprit que c'était là que Blaise était allé cette nuit sans même avoir besoin de le lui demander.
"J'ai écrit que j'avais besoin d'elle." répondit-il, accablé. "Je ne pouvais pas vraiment entrer dans les détails, au cas où la lettre serait interceptée par Ombrage ou quelqu'un d'autre… Je lui ai juste dit que j'avais eu…"
Il se tut maladroitement et plongea ses mains dans la neige pour les occuper.
"Que tu avais eu quoi ?" demanda Pansy, avec une gentillesse inattendue.
"Une vision." termina Blaise, et il leva la tête pour regarder ses amis, comme s'il les défiait de se moquer de lui. Aucun ne le fit. "Parce que ce n'était pas qu'un cauchemar." dit-il, presque implorant. "Je sais que ça en avait l'air, mais je n'ai pas rêvé. Je dormais, et d'un coup, j'ai eu… j'étais là-bas. Mon corps est peut-être resté dans le dortoir, mais je vous jure que j'y étais. Je… j'étais entouré de flammes."
Il dût réaliser à quel point ce qu'il disait n'avait pas de sens parce qu'il baissa la tête.
"J'étais là-bas." marmonna-t-il, autant à lui-même qu'aux autres. "Je vous jure, j'étais là-bas."
Drago sentait ses entrailles se serrer. Il savait, au fond de lui, que Blaise n'avait pas eu un simple cauchemar. Ses pupilles, sa peau enflammée, ses convulsions… Drago avait souffert de terreurs nocturnes toute sa vie, mais il n'avait jamais eu ça.
Théo échangea un regard avec lui et il comprit qu'ils pensaient la même chose. Que si ce n'était pas un cauchemar que Blaise avait eu cette nuit, c'était forcément quelque chose de bien plus grave, bien plus sombre.
Drago frissonna.
Blaise avait été victime de magie noire.
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Pansy et Théo insistèrent toute la matinée que Blaise sèche les cours pour aller se recoucher, mais Blaise répétait qu'il n'en avait pas besoin. Pourtant, Drago pouvait voir qu'il se retenait de fermer les yeux en cours de Sortilèges. Toutes les cinq minutes, il se redressait brutalement sur son siège et faisait tourner sa baguette dans sa main pour faire semblant de travailler.
"Ils ont raison, tu sais." chuchota Drago quand Blaise se réveilla une nouvelle fois en sursaut à leur pupitre de Défense Contre les Forces du Mal. Ombrage était à son bureau et observait les élèves avec un sourire sadique sur ses lèvres fines. "Tu devrais sécher, aller à l'infirmerie. T'as pas l'air en forme."
C'était l'euphémisme de l'année. Blaise était dans un tel état de fatigue que Drago ne serait pas étonné qu'il s'évanouisse avant le déjeuner. C'était pire qu'après les séances d'Occlumancie. Son cauchemar, ou sa vision, comme il voulait l'appeler, l'avait drainé de toute son énergie.
"Non, ça va." mentit Blaise. "Au fait, on sait pourquoi Potter et les Weasley ne sont pas là aujourd'hui ?"
Drago fut étonné par la question, il n'aurait jamais pensé que Blaise aurait pu remarquer ça vu son état. Mais il fallait dire que leur absence était flagrante. Ne pas entendre les remarques insolentes de Potter pendant un cours d'Ombrage était une toute nouvelle expérience.
"Euh, non, pas vraiment." répondit Drago.
Pile à cet instant, la voix mielleuse d'Ombrage brisa le silence concentré de la salle de classe :
"Miss Granger ?"
La concernée releva la tête du manuel. Elle était assise à côté de Londubat, qui se redressa pas très subtilement sur sa chaise en voyant qu'Ombrage regardait dans leur direction.
"Oui, Professeure ?" répondit Granger d'une voix dénuée d'émotions.
"Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que ça fait précisément dix-sept minutes que vous n'avez pas tourné la page de votre manuel." dit doucement Ombrage avec un sourire qu'elle devait imaginer maternel, mais qui s'avérait ressembler à un tic nerveux. Elle tapota doucement le tableau avec sa baguette. "Je croyais pourtant vous avoir demandé de finir le chapitre vingt-huit ?"
Drago et Blaise se penchèrent simultanément pour jeter un regard à Crabbe et Goyle, qui dormaient à poings fermés sur leurs pupitres. Ombrage n'avait même pas la décence de faire semblant de ne pas faire de favoritisme.
"Je l'ai terminé, Professeure." répondit Granger. "Comme je vous l'ai déjà dit, j'ai terminé le livre entier. Deux fois."
"Dans ce cas, je vous propose de réécrire le chapitre sur un parchemin. Mot pour mot." dit Ombrage d'une voix douceureuse.
En entendant ça, les élèves de Gryffondors se penchèrent pour faire semblant de lire. Granger, elle, haussa les épaules et sortit un parchemin, trempa sa plume, et commença à écrire paresseusement. Ombrage avait beau être dans l'école depuis trois mois, elle ne l'avait vraisemblablement pas encore bien cernée. Cette fille était capable d'écrire des essais en quelques heures sans la moindre crampe au poignet, réecrire un chapitre entier d'un manuel était un jeu d'enfant.
En voyant la réaction détachée de la Gryffondor, Ombrage ajouta :
"Oh, et bien sûr, vous transmettrez mes sincères désolations à votre ami, Miss Granger."
Un silence de plomb tomba dans la salle, tellement fort que Drago pouvait presque le sentir contre ses épaules, l'enfonçant dans son siège.
Le visage de Granger se transforma alors complètement, passant d'un vague désintérêt à une expression haineuse que Drago n'avait jamais vu sur ses traits jusqu'alors, et pourtant, il pensait détenir le record de celui qui avait le plus énervé Granger dans sa vie. Elle regardait Ombrage comme si elle pensait à toutes les manières de l'assassiner sur le champ, et Drago était sûre qu'elle avait beaucoup d'idées qui défilaient dans son cerveau bien trop vif.
Drago ne comprit pas l'insinuation. De quoi Potter avait-il bien souffert pour mériter la pitié de cette vipère d'Ombrage ?
Pendant une minute entière, les deux femmes se regardèrent : l'une furibonde, l'autre passablement enjouée. Enfin, Granger marmonna entre ses dents serrées :
"Bien sûr, Professeure. Je lui transmettrai."
Ombrage fit un petit bruit satisfait avec sa langue qui fit crisper la main de Drago. Le reste de la classe se déroula comme d'habitude, c'est-à-dire dans de longues minutes à faire semblant de lire un texte, puis Ombrage congédia la classe pour le déjeuner.
Dans la Grande Salle, Blaise avait grand peine à garder sa tête suffisamment droite pour manger quelque chose. Après sa cinquième tentative à essayer de mettre un morceau de tarte dans sa bouche, Pansy déclara :
"Ça suffit. Blaise, va te recoucher."
"Je ne peux pas." grommela-t-il.
"Mais si tu peux !" intervint Théo d'un ton agacé. "Tu as Divination et Potions cette après-midi, tu sautes toujours la Divination et Rogue ne dira rien, tu le sais très bien."
"Non." maugréa Blaise sans les regarder. "Je ne peux pas."
Et soudain, Drago comprit.
"Oh." souffla-t-il à voix basse. "Tu ne peux pas dormir."
Blaise soupira et hocha la tête.
"Tu as peur que ça recommence, c'est ça ? Ton… ta vision ?" demanda-t-il.
Blaise acquiesça une seconde fois. Drago vit qu'il avait du mal à déglutir, et il se demanda s'il allait se mettre à pleurer. Il ne pensait pas avoir vu Blaise pleurer une seule fois dans sa vie, même quand ils étaient petits.
"Fallait le dire plus tôt !" s'exclama Théo en se levant subitement de la table. "Viens."
Il ne parlait qu'à Blaise, mais Drago et Pansy le suivirent aussi. Ils sortirent de la Grande Salle, descendirent les escaliers, puis Théo s'arrêta devant le cabinet de potions de Rogue et regarda des deux côtés du couloir des cachots.
"Pansy, fais le guet de ce côté-là, Drago, mets-toi devant son bureau." ordonna-t-il en sortant sa baguette de la poche de sa cape.
"Tu vas voler dans sa réserve ?" demanda Blaise, avec une lenteur démonstrative de sa fatigue.
"Je vais lui emprunter quelque chose de sa réserve." rectifia Théo. "Promis, je lui rendrai après les vacances. Ανοιξε τον εαυτο σας !"
La porte de la réserve s'ouvrit dans un petit "clic !" Théo s'empressa de l'ouvrir, ignorant les trois regards interloqués de ses amis dans sa direction.
"C'était quoi ce sort ?!" demanda Drago, estomaqué.
"C'est le contre-sort de l'incantation que Rogue a inventé pour protéger sa réserve, bien entendu." répondit le garçon, la tête cachée par les bocaux sur les étagères. "Je pense qu'il a mal pris le fait que tout le monde se servait dedans l'année dernière, alors il a inventé un sortilège de verrouillage plus puissant que Colloportus."
Il trouva la potion qu'il cherchait, une petite fiole de couleur pourpre que Drago reconnut tout de suite comme celle de Potion-Sans-Rêve, qu'il avait utilisé à maintes reprises lors de ses cauchemars.
"Et comment Merlin as-tu réussi à trouver le contre-sort ?" demanda Blaise.
"Facile." dit Théo avec un haussement d'épaules que beaucoup aurait trouvé prétentieux, mais qui n'était rien de plus qu'une explication banale pour lui. "Il a juste traduit le sort de Verrouillage en grec. σκάσε !"
La porte se verrouilla. Ni vu ni connu.
"Et depuis quand tu parles grec, toi ?" demanda Pansy, à la fois impressionnée et offensée de ne pas être au courant.
Théo lui lança un drôle de regard :
"Ben, depuis toujours. Vous n'avez pas eu de cours particuliers de grec, vous ?"
Il marcha vers la Salle Commune avant d'obtenir une réponse, mais Drago entendit Pansy marmonner un "euh, non" dans son dos.
La marche vers les dortoirs fut lente et douloureuse pour Blaise, c'était comme si chaque geste tirait dans ses dernières forces. Quand il s'allongea enfin dans son lit, il poussa un râle d'agonie qui fit frissonner Pansy.
"Tiens, bois ça." dit Théo en lui tendant la fiole. "À Noël, je t'en préparerai d'autres, d'accord ?"
"Merci, Théo." siffla Blaise en prenant la potion. Il tilta sa tête en arrière et but une grosse gorgée, puis s'allongea plus confortablement. "Merci à vous trois. Je vous…"
Mais ils n'eurent pas le temps de savoir ce que Blaise voulait dire, parce qu'il s'endormit en un claquement de doigt. Quand sa tête se posa sur l'oreiller, ses traits étaient plus détendus qu'ils ne l'avaient été depuis la veille. Pansy et Théo eurent le même soupir de soulagement.
"Je vais rester avec lui." décida Théo, et Drago se demanda dans quel monde étrange il était tombé où Crabbe et Goyle étaient observateurs et où Théodore Nott séchait un cours.
"Je peux rester, si tu veux aller en Arithmantique." proposa Pansy.
Et un monde étrange où Pansy Parkinson voulait bien sauter la Divination. Où Drago avait-il atterri ?
"Arithmancie." corrigea Théo, et Pansy roula des yeux. "Non, ça sera suspicieux si tu n'y es pas, et Drago pourra dire au Professeure Vector que j'ai attrapé un rhume."
"Ou alors, je reste et tu y vas." dit Drago en prenant place sur son lit, avec une vue parfaite sur celui de Blaise qui dormait à poings fermés. "Je sais à quel point tu ne veux pas manquer de classe…"
"... mais rester auprès de lui est plus important." déclara fermement Théo. "Allez-y, ne vous en faites pas pour nous. Blaise va dormir comme un bébé et je lirai un roman."
La cloche de la reprise des classes retentit dans la Salle Commune et Théo leur montra la porte d'un geste de la main. Drago regarda une seconde Blaise, puis Théo, puis Pansy, et capitula. Il se leva et laissa passer Pansy devant lui, mais juste avant qu'il ne passe le pas de la porte, Théo appela d'une petite voix :
"Drago ?"
"Ouais ?"
"C'est quel sort déjà, que t'as utilisé ? Pour le… tu sais, le réveiller ?"
Son cœur se serra douloureusement à ce souvenir. Il eut un flash de ses pupilles noires, de corps convulsé, de sa propre peur de savoir qu'il était en train de perdre son meilleur ami.
"Aguamenti." répondit-il d'une voix égale.
"C'est ça. Bon Arithmantique. Et prends des notes !"
Drago eut un pâle sourire et ferma la porte.
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Hermione
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Le père de Ron a été attaqué par un serpent.
Le père de Ron a été attaqué par un serpent.
Le père de Ron a été attaqué par un serpent.
Hermione ne dormit pas de la nuit, ou du moins, le reste de la nuit. Elle vit le soleil se lever lentement à travers la fenêtre de la Salle Commune en retournant cette phrase dans sa tête encore et encore.
Le père de Ron a été attaqué par un serpent.
Personne ne vint la rejoindre sur le canapé. Elle s'attendait presque à entendre les bruits de pas d'Harry dans les escaliers. Qu'il s'assoit à côté d'elle en bâillant et qu'il se plaigne d'une énième insomnie. Elle crut entendre les jumeaux Weasley en train de comploter quelque chose et s'arrêter net en la voyant. Ils partageraient sûrement un thé devant la cheminée. Hermione reconnut presque la voix chargée de sommeil de Ron se plaindre de l'heure, même s'il descendait toujours quand même, juste pour vérifier que tout allait bien. Hermione imagina les pas de Ginny s'approcher d'elle, Pattenrond dans un bras, sa radio sorcière de l'autre en train de diffuser une musique de rock bien trop forte pour l'heure tardive.
Mais personne ne vint. Neville, Seamus et Dean étaient retournés se coucher quand McGonagall n'était pas revenu donner de nouvelles. Toute la Salle s'était vidée, et personne ne redescendit, personne ne vint rejoindre Hermione qui attendait dans le canapé. Attendait quoi, elle n'en savait rien.
Le père de Ron a été attaqué par un serpent.
Hermione avait beau retourné cette phrase dans sa tête, elle n'en comprenait pas vraiment le sens. Comment le père de Ron avait-il pu être attaqué par un serpent ? C'était forcément pendant une mission de l'Ordre du Phénix, elle ne voyait pas comment ça avait pu se faire autre part. Qui avait envoyé le serpent ? Pourquoi ? Gardait-il quelque chose ? S'était-il retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment ?
Mais une question plus pressante envahissait le cerveau d'Hermione sans qu'elle puisse s'en débarrasser. Comment Harry avait-il pu le savoir ?
"Harry était très malade, il a dit qu'il avait fait un cauchemar, qu'il avait vu…" avait dit Seamus quand elle était rentrée.
Est-ce qu'Harry avait eu une vision ? Avait-il été possédé ? Est-ce qu'il avait fait un rêve prémonitoire ? Il disait qu'il souffrait de cauchemars où il revoyait le cimetière, où il revoyait Cédric mourir sans pouvoir l'arrêter. Comment avait-il pu voir un événement du futur ? Ou plutôt, un événement du présent, qui se déroulait au moment-même du rêve ?
Une autre question, plus tenace, plus pénible encore que celles sur le rêve d'Harry remonta à la surface, et un sentiment de culpabilité, le même qui la rongeait depuis l'été dernier, agrippa ses tripes et la fit presque vomir son thé.
"Et où étais-tu, quand il a eu son cauchemar ?"
Elle n'avait pas été là. Ron, Ginny et les jumeaux avaient appris que leur père avait été attaqué, blessé, entre la vie et la mort, et elle n'avait pas été là pour les consoler, pour les soutenir. Ils avaient peut-être perdu leur père, et elle n'avait pas été là. Harry avait eu une vision, un cauchemar, il avait été possédé, et Hermione n'avait pas été là. Elle ne l'avait pas accompagnée au bureau de Dumbledore, elle ne l'avait pas rassuré.
Parce qu'elle était sur un balai, loin de tout, dans sa bulle avec Drago.
Elle ne savait pas si c'était Dieu, Merlin, ou une force de l'Univers, mais elle détestait ce petit tacle personnel. Comme une punition divine pour lui rappeler que ce qu'elle faisait n'était pas bien. Elle se sentait bête, et déloyale. Elle n'arrêtait pas de se demander si elle avait pu voir quelque chose dans le comportement d'Harry, quelque chose d'anormal, quelque chose qu'elle aurait pu guérir ? Avant qu'il ne subisse cette… vision ? Avait-elle été si éprise de Drago qu'elle n'avait pas vu que son meilleur ami souffrait ? Elle essaya de se souvenir de leur conversation de la veille… Cho l'avait embrassé, il avait été… perdu, déboussolé, mais au fond, heureux, non ? Y avait-il eu des signes qu'elle n'avait pas vu ?
Hermione était assise dans la Grande Salle sans même se rappeler être descendue de la Tour des Gryffondors. Elle se servit un bol de porridge qu'elle ne mangerait pas. Il n'y avait pas Ginny en face d'elle. Il n'y avait pas Fred et George de part et d'autre de leur sœur. Harry et Ron ne vinrent pas s'asseoir à côté d'elle en se moquant d'elle pour être descendue aussi tôt.
Où étaient-ils ? Comment allait Arthur ? Toutes ces questions sans réponse lui donnaient mal à la tête.
"Hey."
Hermione leva la tête, prête à envoyer une réplique cinglante à la personne qui osait s'asseoir en face d'elle, mais fut prise de court quand elle vit Luna Lovegood.
Elle s'assit tranquillement sur le banc et prit une banane d'un des saladiers.
"Hey." répondit Hermione, avec un peu de retard. "Désolée, je…"
"Oh, ne t'en fais pas. Pas besoin de faire la conversation si tu n'en as pas envie. Je voulais juste m'asseoir là." dit Luna, de sa voix flottante qui énervait souvent Hermione, mais qui était un excellent remède à son mal de tête qui tambourinaient ses tempes ce matin. Elle regarda Luna découper délicatement sa banane en petits morceaux.
"En fait, je voulais m'excuser auprès de toi." lâcha Hermione sans réfléchir. Elle avait désespérément besoin de parler, d'entendre de nouveau la voix flottante de Luna. "Tu as dit une fois que tu allais dire bonjour aux Sombrals, et je t'ai dit qu'ils n'y en avait pas à Poudlard, et… Hagrid a fait un cours sur eux, la dernière fois, et tu avais raison, je ne peux pas les voir. Je suis désolée d'avoir douté, tu peux manifestement les voir, alors…" Elle baissa la tête vers son porridge, rouge de honte en réalisant ce qu'elle était en train d'impliquer. "Je suis désolée, c'était insensible de ma part, je ne voulais pas…"
"Ce n'est pas grave." répondit Luna, balayant le malaise d'Hermione d'un geste de la main. "Je ne t'en voulais pas de douter de leur existence. Mon père dit toujours que le doute est la force d'un sorcier, parce que le doute est temporaire, contrairement à l'intolérance, qui est éternelle."
Elle jeta un regard vers la table des professeurs et Hermione réalisa qu'elle regardait Ombrage.
"Ton père a raison." répondit Hermione. "Mais c'était insensible de ma part, je n'aurais pas dû…"
"Le fait que t'excuses auprès de moi est une preuve suffisante de ta bonté d'âme, Hermione." dit Luna en plongeant ses morceaux de banane dans son yaourt. "Peu de gens le font. Tu ne pouvais pas voir les Sombrals, alors ?"
"Non." répondit Hermione à voix basse.
"C'est une espèce très incomprise, les Sombrals." dit Luna. "Je pense qu'ils sont mal vus par les sorciers qui peuvent les voir à cause de leur apparence, ou de leur comportement. Pourtant, ils sont très intéressants. Je me suis lié d'amitié avec ceux d'Hagrid, et ils sont très gentils avec moi. Je pense juste qu'ils sont différents. Un thé ?"
Elle tendit une tasse à Hermione qui la prit en la remerciant doucement. Elle ne put s'empêcher de ressentir une pointe de compassion à l'égard de Luna. Sa description des Sombrals ressemblait à celle que les autres élèves disaient d'elle : bizarre, différente, loufoque.
"Je les vois à cause de ma mère." expliqua Luna, d'une voix détachée. "Elle est morte quand j'avais neuf ans. C'était une sorcière exceptionnelle. Mon père m'a dit qu'elle aimait créer des sorts, qu'elle faisait toutes sortes d'expériences chez nous pour les tester. Un jour, un de ses sorts a dégénéré, et ça l'a tuée sur le coup."
"Oh, Luna, je suis désolée."
"Merci." répondit-elle tranquillement. "Je suis toujours très triste pour elle, mais ce n'est pas comme si je n'allais jamais la revoir. Elle vient souvent me rendre visite sous la forme des lapins de la Forêt."
Elle sourit tendrement et Hermione l'imita, touchée par ce récit.
"Harry peut voir les Sombrals aussi." commenta Luna. "Il est venu leur rendre visite la dernière fois, pendant que je les nourrissais. Je lui ai dit qu'on le croyait, Papa et moi. À propos de Tu-Sais-Qui, et du Ministère qui essaye de le piéger."
"C'est gentil." dit Hermione. "Je pense qu'Harry a besoin d'entendre ça."
"Je pense aussi. Je ne le connais pas très bien, mais j'avais l'impression qu'il se sentait seul."
Hermione ressentit l'intemporelle culpabilité s'accrocher à elle. Elle but une gorgée de thé pour la chasser. Jasmin. Elle savoura le parfum, mais la culpabilité pesait toujours au fond de son ventre.
"Je lui ai dit qu'il ne l'était pas." poursuivit Luna, qui n'avait pas remarqué le mal-être d'Hermione. "Qu'il avait plein de gens sur qui compter, mais qu'il n'y pensait pas parce que c'était ce que Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom voulait. Le rendre seul. Isolé. Tu ne crois pas ?"
Hermione hocha la tête. C'était la même analyse que celle de Ron de début d'année, quand il lui avait dit qu'Harry allait sûrement s'éloigner d'eux parce qu'il allait se sentir exclu. Elle ressentit l'envie prenante de parler avec Harry, de le rassurer. C'était horriblement frustrant de le savoir à Londres avec les Weasley et qu'elle soit obligée de rester confinée dans le Château sans nouvelle. Elle détestait ça, ne pas savoir.
"Il n'est pas là ce matin." pointa Luna, sans tourner la tête vers l'endroit du banc qu'Harry occupait habituellement. "Comment va-t-il ?"
Étant la meilleure amie du célèbre Harry Potter, Hermione avait très souvent le droit aux questions. "Comment a-t-il fait ça ?" "Où est-il ?" "Est-ce qu'il t'as raconté ce qu'il s'était passé ?" "Est-ce qu'il dit vrai ?" Hermione avait appris à les ignorer, à les rembarrer. Personne ne posait ces questions pour le bien d'Harry, c'était seulement par intérêt, de la curiosité mal placée.
Elle ne savait pas vraiment si c'était le fait que Luna lui faisait un peu penser à lui, ou qu'Hermione avait juste très envie de se confier à quelqu'un, mais elle s'entendit répondre :
"Pas très bien, je crois."
Luna n'afficha aucune surprise. Elle écouta silencieusement Hermione, qui se prit la tête entre les mains en manquant de renverser son thé.
"Le père de Ron, il a été… attaqué hier soir, il est gravement blessé, et je… je n'étais pas là pour les aider, pour les soutenir, j'étais… absente. J'aurais dû être là, je me sens terriblement mal…"
Sa voix se brisa et Hermione dût se retenir de pleurer avec difficulté. Elle avait toujours la tête entre les mains, les yeux fixés sur le bois de la table, quand la voix rêveuse de Luna coupa court à son désarroi :
"Ce n'est pas de ta faute, Hermione."
La concernée releva la tête, les yeux tellement embués de larmes que le visage de la Serdaigle était tout flou.
"Qu-quoi ?"
"Tu ne devrais pas te sentir mal d'avoir été absente. Je suis sûre qu'Harry et Ron ne t'en voudront pas. Ce n'est pas toi qui a attaqué le père de Ron, ton absence était simplement un concours de circonstances. L'important, c'est que tu sois là pour eux quand ils en auront besoin."
Le ton de Luna était paisible, presque chantonant, et ça apaisa Hermione bien plus qu'elle n'aurait aimé l'avouer.
"Qu'est-ce-que tu veux dire ?" demanda-t-elle, sa question tremblante.
"Quand ma mère est morte, je m'en fichais éperdument de qui était là." expliqua Luna calmement, à l'opposé de la gravité de ses propos. "Je m'en fichais du malheur des autres, ou de leur présence. Je n'y pensais pas. C'est après que j'ai eu besoin d'eux. De mon père. J'avais besoin que quelqu'un soit là, pas nécessairement pour m'aider ou me consoler, mais pour me soutenir. Me croire. Et je pense que c'est ça dont Harry et Ron auront besoin. Mais ne t'en veux pas de ne pas avoir été là au moment où ils l'ont appris. Sois-la quand ils en auront besoin."
Pour la première fois depuis que Neville avait prononcé cette phrase, celle qui était incrustée dans la tête d'Hermione et qui ne voulait pas partir, la culpabilité s'en alla. Juste un peu, mais assez pour qu'elle puisse voir la situation d'un point de vue plus pragmatique.
Harry avait eu une vision du père de Ron qui avait été attaqué.
Le plus important n'était pas de s'appitoyer sur sa présence au moment des faits.
Le plus important était de les rejoindre. Maintenant.
"Luna, tu… tu as raison, je vais… Je vais parler à Dumbledore, je dois…" bredouilla Hermione en se levant du banc.
Luna lui fit un sourire :
"D'accord, à plus tard Hermione. Salue Harry, Ron et Ginny de ma part."
Hermione hocha la tête mécaniquement et sortit de la Grande Salle. Elle monta les escaliers en sautant une marche sur deux, comme le faisait Ron, et arriva en bas de la Tour d'Astronomie. En essayant de ne pas penser aux souvenirs qui habitaient les murs de la cage d'escalier ou de la plateforme, elle monta jusqu'à l'entrée du bureau de Dumbledore.
Quand elle arriva devant la gargouille, cependant, Hermione s'arrêta brutalement. Elle n'avait pas le mot de passe. Elle regarda la sculpture, un immense griffon en pierre avec les ailes déployées et le bec relevé, comme s'il inspectait la personne qui voulait rentrer de haut. Hermione se rappelait qu'Harry lui avait dit que les mots de passe de Dumbledore étaient toujours un nom de confiserie, alors elle énuméra ceux qu'elle les connaissait à la suite :
"Hum… Chocogrenouille ? Crème Canari ? Plume en Sucre ? Suçacide ? Fondants du Chaudron ? Fizwizbiz ? Patacitrouille ?"
Soudain, la gargouille s'anima et se mit à tourner sur-elle même dans un grand bruit, faisant sursauter Hermione qui eut à peine le temps de sauter sur la première marche avant que l'escalier ne monte jusqu'au bureau.
Quand elle se retrouva devant la porte massive, Hermione réalisa qu'elle n'était en fait jamais allée dans le bureau du directeur. Elle ne savait même pas s'il était là. Elle avait été tellement préoccupée qu'elle n'avait même pas pensé à vérifier à la table des professeurs de la Grande Salle. Peut-être que Dumbledore mangeait tranquillement son petit-déjeuner et qu'elle se tenait comme une idiote devant la porte de son bureau ?
Elle se tourna vers les escaliers, hésitante, et elle crut alors apercevoir la tête de la gargouille montrer la porte avec son bec. Elle cligna des yeux plusieurs fois, certaine d'avoir imaginé. La fatigue lui montait peut-être à la tête. La porte s'ouvrit à la volée et Hermione se retrouva soudain nez à nez avec le professeur Rogue.
"Miss Granger ?" dit-il, étonné de la voir là. "Qu'est-ce-que…"
"Laissez-nous, Severus." ordonna la voix de Dumbledore derrière lui.
Rogue ne parut pas ravi par cette demande, mais il s'exécuta. Il prit les escaliers en sens inverse, non sans lancer un regard peu amène à Hermione en passant, et disparut de sa vue.
"Entrez, je vous en prie." dit Dumbledore depuis son bureau.
Hermione passa timidement le pas de la porte. Pendant une seconde, elle fut happée par la beauté de la pièce. Le bureau de Dumbledore était de la même forme que la plateforme d'Astronomie, avec des étagères posées le long des murs remplis de livres, de globes, et d'instruments en argent qu'Hermione n'avait jamais vu. Ses doigts picotèrent à l'idée de feuilleter les livres anciens. Son regard fut attiré par le Choixpeau, posé sur la plus grande étagère, et sur le magnifique phénix dont Harry et Ron lui avaient parlé, Fumseck. Il était perché sur un immense perchoir en or, juste à côté du bureau du directeur, et ses plumes rouges écarlates montraient qu'il était dans la fleur de l'âge.
Dumbledore était assis à son bureau, vêtu d'une longue cape d'un bleu nuit profond. Derrière lui, des dizaines de portraits d'hommes et de femmes âgées les observaient, ou dormaient profondément dans leurs cadres. Hermione devina qu'il s'agissait des anciens directeurs et directrices de Poudlard et se redressa instinctivement.
"Je me doutais que j'aurai le plaisir de votre compagnie ce matin, Miss Granger." dit Dumbledore avec un sourire dissimulé par son épaisse barbe blanche. "Asseyez-vous."
Hermione obéit et prit place sur la chaise.
"Un caramel ?" proposa le Directeur en lui tendant une immense coupe en or. "Ils ne sont pas piégés, n'ayez crainte."
Hermione refusa. Dumbledore reposa la coupe sans quitter Hermione des yeux. Son regard bleu ciel était transperçant, elle eut l'impression qu'il pouvait lire en elle comme un livre sur ses étagères.
"Je suis désolé, Miss Granger, de ne pas avoir pu vous informer plus tôt des événements d'hier." annonça Dumbledore de sa voix posée. "Je devais rester discret pour ne pas que Professeure Ombrage trouve quelque chose de suspect dans mon comportement. Je suppose que vous êtes venue pour obtenir des nouvelles de vos amis, Mr. Weasley et Mr. Potter ?"
En entendant leurs noms, Hermione oublia qu'elle était intimidée et se pencha sur la chaise pour demander :
"Comment vont-ils ? Comment va Mr. Weasley ? Sont-ils repartis à Londres ? Est-ce que…"
Elle coupa court en voyant son débit de paroles bien trop effréné, mais Dumbledore ne sembla pas gêné.
"Mr. Potter et la famille Weasley vont bien, au vu des circonstances. D'après ce que je sais, Arthur a été sauvé de justesse. Il a été pris en charge à Ste Mangouste et Molly y est à l'heure où nous parlons. Si les Médicomages parviennent à retirer le venin, il vivra."
Hermione ne put retenir le soupir de soulagement qui passa ses lèvres en entendant ça. Il n'était pas encore sorti d'affaires, mais au moins, il était vivant. Sauvé de justesse.
"J'ai bel et bien envoyé Mr. Potter et les Weasley à Londres en Portoloin." poursuivit Dumbledore. "Ils sont au quartier général avec Sirius. Ils attendent des nouvelles."
"Et comment va Harry ?" demanda Hermione avec une pointe de panique.
Un éclair de quelque chose passa dans les yeux de Dumbledore, mais Hermione aurait été incapable de dire ce que c'était. Une lueur d'intérêt, peut-être ? En tout cas, le directeur posa son menton sur ses mains jointes et analysa Hermione comme si elle venait de lui réciter une énigme particulièrement ardue.
"Vous êtes donc au courant de l'implication de Mr. Potter dans cet événement ?" demanda-t-il.
"Oui, Seamus et Neville m'ont dit…" commença Hermione, incertaine de comment former sa phrase. "Qu'il avait été malade, qu'il avait vu… que c'était lui qui avait prévenu tout le monde de l'attaque de Mr. Weasley."
"Hmm." dit Dumbledore, ses yeux perçants toujours fixés sur Hermione qui sentit des rougeurs envahir ses joues. "Est-ce que, à votre connaissance, Mr. Potter a déjà… subi, ce genre de vision ?"
Son cerveau lui lança une alerte en entendant cette question, une alerte qui ressemblait étrangement à la voix de Maugrey Fol'Oeil qui lui hurlait dans l'oreille "vigilance constante !" Pendant une seconde, elle hésita presque à dire ce qu'elle savait. Elle pensa à Drago, qui disait que Dumbledore ne devait pas être digne de confiance. Elle pensa à Théo qui avait grimacé quand elle lui avait parlé de l'armée qu'ils avaient crée en son honneur.
Mais Hermione se fit violence. Elle pouvait tout confier à Dumbledore, c'était lui qui avait fondé l'Ordre du Phénix, le sorcier le plus puissant du monde, qui battait les ténèbres pour faire régner la lumière. Il avait toujours eu les intérêts d'Harry à cœur, elle en était certaine.
"Oui." répondit-elle finalement. "Oui, en cours de Divination l'année dernière, il a… rêvé que Celui-Dont-... euh, Voldemort, torturait Pettigrow qui avait failli à sa tâche…"
Dumbledore eut un petit sourire en l'entendant prononcer le nom maudit, et Hermione ressentit une vague de fierté à l'idée d'avoir pu impressionner Albus Dumbledore.
"Connaissez-vous d'autres visions dont je ne serai pas au courant ?"
"Hum, et bien, il souffre aussi d'insomnies, il revoit des scènes… il revoit Cédric Diggory mourir, dans le cimetière…"
Dumbledore hocha la tête, et Hermione se fit la réflexion qu'il ne semblait pas inquiet par ses terreurs nocturnes. Pourtant, quand Harry les lui racontait à Hermione dans la semi-pénombre de la Salle Commune, elle en avait presque la nausée.
"Je vois. Et quelles sont vos théories sur ces visions, Miss Granger ?"
Hermione se retint d'écarquiller les yeux :
"Me-mes théories ?"
"Oui, vos théories." répéta Dumbledore, comme si c'était une conversation tout à fait banale autour d'un thé. "Je n'entends que du bien de vous, Miss Granger. Que ce soit académiquement parlant, de la part de nombreux de vos professeurs, mais aussi d'un point de vue humain. Je crois savoir que vous êtes particulièrement proche de Mr. Potter, n'est-ce-pas ?"
"Oui." répondit Hermione d'une toute petite voix un peu couinante. "Oui, c'est mon meilleur ami."
"J'imagine que vous avez déjà théorisé sur ces visions. Après tout, cela reste un mystère, et je crois savoir que vous aimez élucider des mystères. Je serais très intéressé de connaître votre opinion sur la question."
Sa tête toujours posée sur ses mains, Dumbledore contempla Hermione posément, manifestement dans l'attente d'une réponse. Hermione se concentra sur la question, en se demandant vaguement comment il avait pu passer de la condition d'Arthur aux visions d'Harry aussi vite.
"Et bien… Je pense qu'il ne s'agit pas de cauchemars, ou des prédictions de Divination semblables à celles que la Professeure Trelawney pourrait faire. Je pense qu'il s'agit d'un lien unique, qui relierait Voldemort à Harry… Qu'il pourrait presque le… posséder ? Sûrement par le biais d'un transfert magique qui aurait eu lieu ce soir-là, quand les parents d'Harry…"
Hermione eut soudain la gorge serrée et elle s'arrêta là, par peur de fondre en larmes au milieu du bureau du directeur.
"Excellent, Miss Granger, excellent…" marmonna Dumbledore après plusieurs secondes, comme si elle avait répondu à une question en classe. "Oui, vraiment excellent… Nous partageons le même avis… Et le professeur Rogue également…"
Hermione haussa les sourcils, surprise de savoir que Rogue avait un avis sur la question. Le regard de Dumbledore se posa sur un cabinet fermé, et pendant de longues secondes, aucun des deux ne parla.
"Hum… Professeur Dumbledore ?" appela Hermione quand le silence s'étira.
"Oui, Miss Granger ?" répondit le directeur, les yeux toujours lointains, perdu dans ses pensées.
"Serait-il possible que j'aille rejoindre les autres au Square Grimmaurd ? Si Mrs. Weasley et Sirius sont d'accord, bien entendu."
Dumbledore se tourna de nouveau vers elle.
"Oh, et bien, je n'y vois pas d'inconvénient, bien au contraire. Je ne connais pas Mr. Potter aussi bien que vous, mais je présume qu'il se sentira… coupable d'avoir pu assister à une telle scène. Je pense que votre présence à ses côtés ne pourra lui faire que le plus grand bien. J'en informerai Mrs. Weasley une fois qu'elle sera rentrée auprès de ses enfants."
"Merci, Monsieur le Directeur." dit Hermione avec sincérité.
"Je ne peux malheureusement pas vous y conduire maintenant, cependant." continua-t-il, prédisant sa future question avant même qu'elle ne la pose. "Le départ abrupt de Mr. Potter et des Weasley a déjà fait suffisamment de bruit, je ne voudrais pas attirer les soupçons. Je demanderai au Professeure McGonagall de vous y emmener le plus discrètement possible au plus vite. Pour le reste de l'école, vous devrez être avec vos parents, c'est entendu ?"
"Entendu." répondit Hermione.
Dumbledore se leva soudainement de sa chaise pour se mettre dos à elle. Pendant un instant, Hermione crut qu'il allait s'entretenir avec les tableaux, mais il n'en fit rien. Après plusieurs secondes, Hermione réalisa qu'il était en train de regarder le ciel par la fenêtre. Elle comprit que l'entretien était terminé et se leva maladroitement de sa chaise, avec l'impression d'avoir répondu à plus de questions qu'elle n'en avait posé.
"Merci de m'avoir reçue, Professeur." dit Hermione en se dirigeant vers la porte à reculons.
Le directeur émit un "hmm" qu'elle imagina être une invitation à prendre congé.
Mais quand elle prit la poignée de la porte, le directeur dit doucement dans son dos :
"Il a de la chance de vous avoir, en tout cas."
Hermione se retourna pour observer Dumbledore, qui n'avait pas changé de position : il regardait toujours le ciel, et Hermione eut l'étrange impression qu'il ne parlait pas d'Harry.
.
Pendant tout le reste de la journée, Hermione se sentit… détachée. Flottante. Elle était en classe, elle prenait des notes, elle marchait dans les couloirs, mais c'était comme si quelqu'un d'autre avait pris possession de son corps et qu'elle regardait les heures défiler de l'extérieur. Toutes ses pensées étaient dirigées vers Harry et Ron, en grande partie parce qu'elle était inquiète pour eux, mais aussi pour éloigner Drago Malefoy de sa tête. Elle ne voulait pas penser au date de la veille. Elle ne pouvait pas ressentir de la joie alors qu'en ce moment-même, Ginny, Fred, George et Ron étaient peut-être en train de perdre leur père.
Elle arriva en retard en cours de Sortilèges après son entretien avec le directeur, mais Flitwick ne lui fit aucune remarque. Hermione ne participa pas, mais personne ne lui en tint rigueur. En plus, c'était une séance de révision sur le sortilège d'Allégresse, et non seulement Hermione était largement capable de le lancer, mais elle n'avait surtout aucune envie de ressentir la moindre allégresse.
Le cours de Défense Contre les Forces du Mal ne fut pas aussi indulgent. Quand elle s'assit au pupitre qu'elle partageait toujours avec Ron ou Harry, elle dût se retenir de ne pas partir en courant jusqu'aux dortoirs pour aller pleurer dans son lit.
Heureusement, Neville comprit son malheur sans même qu'elle n'ait besoin de lui dire. Il s'assit à côté d'elle sans un mot.
Ombrage, bien entendu, nota tout de suite son manque d'investissement. Quand elle lui reprocha, Hermione n'eut même pas la force d'argumenter. Harry l'aurait fait. Il ne supportait pas quand elle le provoquait. Mais Hermione était de marbre. Quand Ombrage lui demanda de réecrire le chapitre du manuel, Hermione obéit.
Mais quand elle prononça de sa voix sifflotante :
"Oh, et bien sûr, vous transmettrez mes sincères désolations à votre ami, Miss Granger."
La colère monta d'un coup, l'aveuglant à moitié. Ses ongles s'enfoncèrent dans le bois du pupitre. Elle pouvait sentir le goût du sang contre sa langue. Elle fixa Ombrage, pensa à toutes les manières dont elle pourrait l'assassiner, là, au beau milieu de la salle de classe. Elle pourrait lancer un Diffindo sur la chaîne qui retenait l'immense squelette de dinosaure au-dessus de sa tête, le voir s'écraser sur elle, l'entendre lâcher un dernier glapissement de terreur avant qu'elle ne se fasse briser le crâne par…
"Mione." appela Dean dans un souffle, juste derrière elle.
Elle cligna des yeux. Ombrage attendait une réponse, son sourire presque obscène aux lèvres. Elle jubilait de la voir en colère. Alors, Hermione remit son masque, celui qu'elle avait emprunté à Drago, et elle répondit le plus calmement possible :
"Bien sûr, Professeure. Je lui transmettrai."
.
Hermione passa le déjeuner avec Hagrid. Elle n'avait pas envie de rester assise à cette table où les espaces vides sur les bancs représentaient ses amis qui étaient loin. Hagrid lui demanda brièvement ce qu'il s'était passé, mais en voyant sa réaction, il comprit rapidement qu'elle n'avait pas envie d'en parler. Il lui servit un grand thé à la cannelle et éplucha des carottes à côté d'elle en silence, et Hermione fut tellement reconnaissante de sa présence qu'elle sourit presque dans sa tasse.
L'après-midi, Hermione passa les cours d'Etude de Runes et d'Arithmancie les plus longs depuis qu'elle était à Poudlard. Ce fut sur le chemin vers le cours de Potions qu'elle réalisa quelque chose. À chaque fois qu'elle pensait au visage livide de Ron, à la terreur d'Harry, à l'inquiétude de Ginny, à la colère de Fred et George, la boule de culpabilité, qui était constamment logée dans le fond de son estomac depuis qu'elle passait du temps avec Drago, grandissait un peu plus à chaque fois depuis le matin-même. Maintenant, elle était dans sa gorge. Elle avait beau tousser, boire, prendre de grandes inspirations, elle restait là, pressant contre son oesophage et l'empêchant de respirer.
L'humidité des cachots n'aida pas à la déloger. À la fin du cours de Potions, après avoir réalisé une Potion de babillage franchement médiocre, Hermione était haletante.
Elle sauta le dîner et alla se coucher toute habillée. Elle avait haï le Square Grimmaurd pendant l'été, mais aujourd'hui, elle désirait plus que tout au monde y être. Elle détestait être loin, éloignée de tout le monde, elle avait l'impression d'être ignorante et la culpabilité montait, montait, montait. Hermione se sentait seule, et terrorisée, et surtout exclue. Ça lui rappelait l'été, quand elle revenait dans le monde des Moldus, coupée du monde, coupée des nouvelles, coupée de la guerre. Ironique, quand elle était à Poudlard et qu'ils étaient tous à Londres.
Elle avait peur pour Ron. Elle avait peur pour Ginny, pour les jumeaux, pour Molly. Si Arthur mourait, comment Harry arriverait-il à s'en remettre ? Comment allait-il se pardonner d'avoir prévenu "trop tard", de ne pas avoir été à temps ? Ron ne serait plus jamais le Ron qu'elle connaissait. Il serait éteint. Il n'aurait plus de fou rire, il n'aurait plus cette innocence presque naïve, souvent agaçante, mais surtout attachante.
Hermione resta longtemps dans son lit à se retourner encore et encore, le ventre tiraillé par la faim qu'elle ignorait. Elle crut entendre Lavande et Parvati venir et repartir à un moment, mais elle ne leva pas la tête pour vérifier. La culpabilité continuait de grossir, comme une tumeur dans sa gorge. Elle voyait sans cesse les visages de Ron, d'Harry, de Ginny. Les phrases rassurantes de Luna étaient loin derrière elle, le confort de la hutte d'Hagrid oublié. Elle n'entendait que sa propre voix qui lui susurrait à quel point elle était une mauvaise amie, qu'elle ne pensait qu'à elle, qu'elle ne méritait personne.
Elle avait déjà ressenti ça, cet été, après avoir été tellement onubilée par les lettres de Drago qu'elle en avait oublié Harry, seul dans cette maison qu'il haïssait. Elle avait déjà ressenti cette culpabilité, et elle s'était promis de ne plus mettre l'amour avant l'amitié, mais sa promesse avait été balayée, effacée à l'instant où Drago lui avait reparlé. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même, désormais.
Idiote, se répétait-elle. Idiote, idiote, idiote.
Elle avait passé sa nuit à profiter du garçon dont elle était amoureuse, à essayer de le convaincre de redevenir comme avant, de s'aimer comme s'il n'y avait pas de conséquences, mais les conséquences revenaient toujours, comme une gifle.
Hermione ne savait pas ce qu'elle attendait dans ce lit. Au fond d'elle, elle espérait voir arriver McGonagall qui la conduirait à la cheminée la plus proche pour l'emmener au Square Grimmaurd. Ou mieux encore, voir apparaître sa maman, qui pourrait la bercer et lui dire que tout allait bien. C'était des voeux absurdes, évidemment. Personne ne venait la chercher.
La culpabilité était tellement énorme qu'elle pouvait la sentir frôler le fond de sa langue. Hermione était pantelante, sa respiration était hachée, entrecoupée par des halètements courts et douloureux. Sa tête était vaporeuse. Sa peau la brûlait, elle se grattait par-dessus la manche de son pull comme un tic, elle avait des fourmis dans les jambes. Quand elle ouvrit le rideau de son lit, elle vit que le ciel était noir. Parvati dormait.
Sans réaliser ce qu'elle faisait, Hermione se leva et sortit du dortoir.
Il lui fallait de l'air.
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Drago
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Blaise dormait toujours après le dîner. Drago prit le relais de Théo pour qu'il aille manger, et Pansy alla promener Eris dehors.
Drago avait une dizaine de devoirs en retard, mais il passa l'heure à fixer Blaise en train de dormir, les doigts enroulés autour de sa baguette, prêt à la dégainer au moindre tremblement. Mais Blaise ne bougea pas. Il dormait paisiblement, sa poitrine se soulevant à intervales réguliers, sans le moindre signe d'inconfort sur ses traits.
Quand Théo revint, il rapporta avec lui un grand plateau-repas concocté spécialement par les elfes de la cuisine pour Blaise à son réveil. Il le déposa sur la table de nuit et lança un sort dessus, probablement pour que la nourriture ne refroidisse pas, puis s'assit sur son fauteuil, les jambes par-dessus l'accoudoir dans sa posture habituelle de lecture. Pansy revint une dizaine de minutes plus tard, les cheveux couverts de neige mais le pelage d'Eris intact. Elle lui enleva son pull-over et le chien sauta sur le lit de Blaise pour se rouler en boule sur sa poitrine.
"Je vais faire un tour." annonça Drago
Il se leva pour s'étirer, et Pansy murmura :
"Tu devrais aller dans le parc de Poudlard. Prendre l'air."
Drago arqua un sourcil dans sa direction.
"Pourquoi ?"
"Juste… comme ça." répondit-elle en haussant les épaules.
"Tu veux qu'il crève de froid ?" demanda Théo, plongé dans son bouquin.
Drago était trop fatigué pour décrypter les paroles de Pansy, alors il sortit de la Salle Commune sans but particulier.
Pour une fois, Drago n'avait pas vraiment de plan prévu pour voir Granger en douce. Pourtant, il en mourrait d'envie. Il voulait à tout prix savoir ce qui la tracassait autant. Elle avait gardé la même attitude au petit-déjeuner toute la journée, une sorte de tristesse constante, tordant ses traits dans une expression coupable qu'il ne comprenait pas. À chaque fois qu'il avait posé le regard sur elle, Drago avait eu mal au cœur. Il détestait la voir comme ça, et encore plus ne pas connaître la raison de son malheur. Et le fait de ne pas savoir pendant encore trois semaines le rendait fou.
Il passa à la Bibliothèque pour voir si elle était à la table reculée, mais elle était vide. Il repartit directement, recevant un regard suspicieux de la part de Madame Pince en sortant. Drago attendit ensuite que les derniers élèves rentrent à l'heure du couvre-feu pour aller dehors. Il se demandait vaguement si elle n'était pas allée chez Hagrid, quand il la vit. Il reconnut ses cheveux dans la pénombre. Elle marchait autour du banc, l'air agitée, et Drago sourit en s'approchant. Ça faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas croisés là. Peut-être qu'elle l'attendait ?
Mais quand il arriva sur le chemin qui menait vers la cour, son sourire s'évanouit.
Quelque chose n'allait pas. Il ne savait pas comment il le savait, il ne pouvait même pas voir son visage de là où il était, mais il le vit tout de suite. Granger n'était pas dans son état normal. Elle s'agitait, plus que d'habitude, elle faisait le tour du banc sans s'arrêter, les mains sur son front, ses cheveux ébouriffés par le vent.
Ce ne fut que quand Drago n'était plus qu'à quelques pas qu'il vit qu'elle pleurait. Il s'arrêta net. Une image apparut mentalement, peut-être d'un des livres de sa bibliothèque, peut-être un souvenir qui ressurgissait. Une image de Granger, plus jeune, en première année. Ses cheveux étaient plus courts, ses traits plus enfantins. Elle était assise sur le même banc, en train de pleurer à chaudes larmes à cause d'une connerie que lui avait balancée Weasley. Il se souvint de ses yeux rouges et de sa voix chevrotante, de sa propre colère quand elle l'avait repoussé. Il avait été tellement pris de court en tombant sur elle en train de pleurer qu'il avait préféré fuir plutôt que de lui demander ce qui n'allait pas.
Le Drago actuel, lui, se précipita sur elle sans hésiter.
"Granger ?! Qu'est-ce qu'il se passe ?"
Quand elle tourna la tête vers lui, il se figea une seconde fois. Ses joues étaient ruisselantes de larmes. Elle avait les mêmes cernes que Blaise sous les yeux, presque violacées, ses yeux étaient rouge sang, et Drago n'aurait su dire si c'était de la fatigue ou d'avoir tant pleuré. Son sang se glaça d'horreur.
"Hermione, qu'est-ce…"
Par réflexe, il prit son visage entre ses mains, sans même y penser, mais elle le repoussa violemment, le faisant percuter le banc derrière lui.
"Je ne… je ne devrais pas être… là." dit-elle, sa phrase entrecoupée de sanglots.
Elle le contourna pour rentrer au Château, si vite que Drago eut à peine le temps de se retourner. Il lui prit le poignet pour la retenir, un autre réflexe instinctif, qu'elle dégagea brusquement, comme si elle ne supportait pas son contact. Elle s'arrêta et pressa ses paumes contre ses paupières dans une tentative désespérée d'arrêter les larmes de couler.
"Hermione, qu'est-ce qu'il se passe ?" demanda Drago, qui essayait à tout prix de camoufler la panique dans sa question. "Raconte-moi, s'il te plaît…"
"Non !" s'écria-t-elle.
"Quelqu'un t'as fait du mal ?" demanda-t-il, et sa propre interrogation lui envoya une traînée de frissons sur les bras. Si quelqu'un avait posé sa main sur elle…
Mais Granger secoua la tête :
"Non, c'est moi, je ne… je ne peux pas, c'est trop… c'est de ma faute, j'ai…"
Elle se prit la gorge comme si elle était en train de s'étouffer et sa phrase mourut sur sa langue. Drago s'approcha d'elle, mais elle recula d'un pas en tendant le bras vers lui, comme pour mettre une distance entre eux :
"Arrête !" cria-t-elle.
Drago dû s'accrocher au dossier du banc pour se forcer à ne pas avancer. Granger évitait son regard, elle se mit dos à lui et pleura dans la paume de sa main, pas de simples larmes, mais de véritables sanglots qui lui déchiraient la gorge et transperçaient la poitrine de Drago. Ses pleurs résonnaient tout autour d'eux. Drago pouvait sentir les battements de son cœur s'accélérer de panique.
"Granger, dis-moi…"
"Je ne peux pas !" hurla-t-elle. Elle pleurait tellement fort qu'il ne comprenait même pas la moitié des mots qu'elle disait. "Je ne suis pas censée être là, je n'aurais… je n'aurais pas dû, c'est de ma faute, j'étais avec toi et j'ai… j'ai…"
Elle s'arrêta et émit un gémissement plein d'agonie. Il ne savait pas quoi faire. Granger était dos à lui et elle pleurait et il ne pouvait pas la toucher et il ne savait pas quoi faire.
"Parle-moi, Granger, qu'est-ce qui est de ta faute ?" questionna-t-il en essayant de recoller les morceaux de son récit incohérent.
Granger eut un rire sans humour, froid, qui hérissa les poils de la nuque de Drago.
"Tout !" Elle écarta ses deux bras pour montrer l'étendue de la cour de Poudlard. "Tout est de ma faute ! Harry, Ron, Ginny, Fred, George, c'est de ma faute, et de ta faute !"
"Ma faute ?" répéta Drago, complètement perdu.
"Oui, ta faute ! Pourquoi les as-tu insultés ? Comment as-tu osé faire une chose pareille, comment as-tu pu faire ça, alors que tu ne connais rien d'eux ? Ce sont les… les personnes les plus braves que j'ai rencontré, ils aiment sans compter, malgré les difficultés, malgré la guerre, malgré les pertes qu'ils ont traversé, ils m'aiment, et ils aiment… Harry, et ils nous accueillent chez eux comme des membres de leur famille, et je me sens à ma place, ta famille n'aurait jamais pu faire ça, elle ne m'aurait jamais acceptée à cause de mon… sang impur et de ma famille et de mon héritage mais les Weasley n'ont jamais, jamais remis en cause mon appartenance à ce monde, à Poudlard !"
Drago n'avait aucune idée de quoi elle parlait, mais il n'osa pas la couper de peur qu'elle s'énerve et parte en courant. Elle parlait en faisant le tour du banc, encore et encore, sans s'arrêter, les yeux rivés sur le sol :
"Tous les jours ils mettent leur vie en péril pour nous protéger, pour me protéger, pour te protéger, et toi, tu les insultes ! Ils se battent pour ta sécurité et tu les insultes ! Il s'est fait attaquer, et Harry, Harry n'a rien pu… Et je passe ma soirée avec toi, et j'étais tellement captivée par toi, tes mots, ton amour, et je n'ai même pas pensé à… je n'étais même pas là..."
Granger s'étrangla sur ses larmes et porta une main à sa bouche et l'autre en travers de son ventre. Drago brisa sa résolution et s'approcha d'elle, précautionneusement, comme si c'était un animal apeuré, et lui prit doucement le bras :
"Assieds-toi, s'il te plaît…"
Elle se laissa faire et pleura contre ses mains. Son dos était secoué par des soubresauts violents, chaque inspiration semblait pénible. Drago essaya de ne pas se laisser partir dans l'angoisse qui essayait d'emprisonner sa tête.
"Respire, respire pour moi, s'il te plaît…"
Mais elle pleurait trop, elle n'arrivait pas à prendre des grandes goulées d'air sans s'étouffer. Son visage prenait une inquiétante couleur rouge à mesure que les minutes s'étiraient, et ses sanglots retentissaient tout autour d'eux. Il s'assit à côté d'elle et passa une main dans ses cheveux parsemés de neige pour essayer de la calmer. Elle ne repoussa pas sa main, mais ses pleurs redoublèrent.
Drago était perdu. Il glissa du banc sans le réaliser et se mit face à elle, à genoux.
"Hermione, je t'en supplie, explique-moi…"
Il posa une main sur sa cuisse et constata à quel point elle était frigorifiée. Merlin, depuis combien de temps était-elle là ? Depuis combien de temps pleurait-elle ?
Granger passa la manche de son pull sur son visage et baissa les yeux pour regarder Drago. Ils étaient imbibés de sang. Quand elle prit la parole, sa voix était enrouée.
"Le père de Ron a été attaqué la nuit dernière, il est… il est entre la vie et la mort."
Sa phrase lui fit l'effet d'une douche glacée. Il se cramponna au banc pour ne pas perdre l'équilibre.
"Oh." dit-il, incapable de trouver quoi répondre à une telle nouvelle.
"Et tu… tu t'es moqué de lui, tellement de fois, et moi je… je reste avec toi…" glapit-elle.
Elle se reprit la gorge. Drago ne comprenait pas pourquoi elle faisait ça, on aurait dit qu'elle voulait retenir des paroles, comme si elle avait peur de trop en dévoiler. Soudain, elle se releva du banc, si brusquement que Drago eut l'impression que le bois l'avait brûlé, et s'éloigna de quelques pas :
"Je ne devrais pas être là !" dit-elle en se prenant la tête entre les mains. "Je ne… Harry a besoin de moi, c'est avec Harry que je devrais être, et Ron, et les Weasley, et je te parle à toi alors que tu les as insultés c'est… injuste ! TU LES AS INSULTÉS, ET MAINTENANT IL VA MOURIR !"
Drago se releva craintivement :
"Hermione calme-toi, s'il te plaît, j'ai besoin que tu respires s'il te plaît…"
"Je ne peux pas respirer !" hurla-t-elle, si fort que Drago jeta un regard vers le Château, s'attendant à moitié à voir Rusard débarquer dans l'obscurité. "Je suis… Ma gorge, je ne… la culpabilité m'étrangle, je n'arrive plus à respirer !"
Elle agrippa deux poignées de cheveux dans ses mains tremblantes, la tête baissée, et produisit un bruit rauque, plein de déséspoir et de chagrin.
"Ok, Hermione, tu es en train de faire une crise de panique." dit Drago en essayant d'adopter le ton le plus calme possible pour ne pas l'effrayer. "Focalise-toi sur ta respiration, d'accord, tu peux faire ça pour moi ? Un, deux, trois."
Drago prit une inspiration et elle le mima, mais elle toussa à la moitié et reposa automatiquement ses mains autour de sa gorge, comme si quelque chose la gênait et qu'elle était en train de s'étouffer. Il pouvait voir les veines de son cou. Ses jambes tremblaient. Sa respiration était devenue une série d'halètements saccadés. Drago sentit la panique monter. La première solution qui lui vint à l'esprit fut d'appeler Pansy. Elle savait toujours quoi faire dans ces situations, elle avait toujours un conseil à donner, toujours un moyen de détourner…
L'idée le frappa.
"Viens." dit-il en lui attrapant le bras. "On va regarder les étoiles."
"Pa-pardon ?" gémit Granger, surprise.
"C'est Pansy qui m'a appris ça." expliqua-t-il en l'emmenant gentiment vers une parcelle d'herbe enneigée. "Quand je faisais des crises d'angoisse, elle me disait toujours de m'allonger et de regarder les étoiles, et ça marche à chaque fois, tu penses à autre chose et tu arrives à mieux respirer. Calefacere !" lança-t-il vers le sol.
"Je ne vais pas m'allonger par terre pour regarder les étoiles." dit Granger, d'une voix qui aurait été haut perchée si elle n'avait pas été camouflée par ses sanglots. "C'est… c'est stupide."
"Essaye, au moins. S'il te plaît."
"Non, c'est stupide !" répéta-t-elle dans un halètement.
"Hermione Granger, si tu n'es pas allongée par terre dans les dix prochaines secondes, je te jure que je t'emmène à l'infirmerie, même si ça veut dire que je dois te porter sur mon épaule jusque là bas !" avertit-il.
Elle le fusilla du regard, mais Drago était complètement sérieux. Il n'hésiterait pas une seconde à la balancer sur son épaule et l'emmener voir Pomfresh. Granger devait le savoir aussi, parce qu'elle finit par soupirer difficilement et s'allonger par terre avec réticence.
Drago s'allongea à côté d'elle et pointa une constellation du doigt au hasard :
"C'est laquelle, celle-là ?"
Mais elle ne regardait pas le ciel, elle le fixait lui, d'un air presque blasé. Elle avait une main posée sur sa gorge et une main sur sa poitrine.
"Drago, je ne suis pas là pour réviser mon Astronomie, au cas-où si tu ne l'a pas remarqué, je suis en pleine crise de…"
"Je sais, Granger, c'est justement pour ça que je détourne ton attention !" cria-t-il, sa voix partant dans des aigüs incontrôlés. "Maintenant, dis-moi quelle est cette putain de constellation !"
Elle soupira de nouveau, pas aussi majestueusement que d'habitude, et jeta un rapide coup d'œil dans la direction qu'il indiquait.
"Circinus." répondit-elle aussitôt. "La constellation du Compas."
"Du Compas ? C'est quoi ?" demanda-t-il, feignant la curiosité.
"Drago, je ne…"
"C'est quoi un compas ?" coupa-t-il.
Granger soupira de nouveau et tourna la tête vers le ciel pour de bon.
"C'est un mot français. Ça représente l'objet pour tracer des cercles."
"Mais encore ?"
"Je n'ai rien d'autre." dit-elle, le souffle toujours entrecoupé par des sanglots nerveux.
"Menteuse." répliqua Drago. "Tu connais plus de choses sur cette constellation que Sinistra en personne."
"N'importe quoi." dit vivement Granger. "On ne l'a même pas encore… étudiée. Je sais juste que son étoile principale est Alpha Circini, et qu'elle est entourée de Centaurus, Musca, Alpus, Triangulum… Australe, Norma et Lupus."
Drago sourit très légèrement en entendant une explication aussi détaillée sur une étoile dont elle n'était censée rien connaître. Il tourna la tête vers elle pour la regarder de profil : il pouvait voir les larmes rouler sur ses joues et tomber dans la neige.
"Centaurus, c'est laquelle ?" demanda-t-il, plus doucement.
"Celle-ci." hoqueta Granger en pointant du doigt le groupement d'étoiles juste à côté. "Avec Centauri, l'étoile principale, juste à gauche… de la pointe du Compas."
"Je ne la vois pas."
"Quoi ? Mais si, juste là !" s'exclama Granger en braquant son doigt droit vers le ciel noir. "Là, c'est ses sabots, là c'est son épaule, et il tient une lance, à côté de Lupus, tu vois ? On l'a étudiée en deuxième année ! C'est l'une des plus grandes constellations du ciel, elle a été découverte par le sorcier astronome, Eudoxus ? Certains disent que ça représenterait Chiron, du mythe d'Achille… Ça ne te dit vraiment rien ?"
"Non, rien du tout." mentit Drago. "C'est qui, Chiron ?"
"C'est un personnage très important dans la mythologie grecque !" dit-elle, toujours en montrant la constellation du doigt, peut-être dans l'espoir qu'il voit de qui elle voulait parler juste en regardant l'étoile en question. Son ton était plein de jugement pour sa culture limitée sur la question, ça l'aurait presque fait rire s'il n'était pas aussi paralysé de peur. "C'est un Centaure, considéré comme le plus sage de tous. C'est lui qui on devrait la découverte de la botanique et la médecine par les plantes, Professeure Chourave en a parlé lorsqu'on avait travaillé les plantes médicinales, et c'est lui a tout appris à tout un tas d'héros grecs, dont Achille notamment… Tu vois qui c'est, maintenant ?"
"Je ne sais pas pour Chiron, Granger…" dit Drago en tournant la tête pour la regarder. "Mais en tout cas, tu as l'air de respirer beaucoup mieux."
Granger écarquilla les yeux et posa sa main qui pointait le ciel sur sa poitrine.
"Oh, c'est vrai, tu… ça a marché." balbuita-t-elle, choquée.
"Tu vois ? Les conseils de Pansy marchent. Cette technique m'a sauvé plusieurs fois."
Granger resta silencieuse et Drago la laissa trier ses pensées sans la déranger. Il sentait la neige fondue contre son dos, mais il n'en avait rien à faire du froid. Si Granger voulait rester là toute la nuit à regarder le ciel, il resterait volontiers allongé là.
Drago fixa le ciel avec ses milliers de points argentés. Quand il vit une étoile filante, il fit un vœu, le même que depuis ses onze ans, et qui s'était réalisé le jour où Granger lui avait dit qu'elle était amoureuse de lui.
"C'est elle qui m'a appris à tricoter." dit soudain Granger, tirant Drago de ses pensées pour se focaliser sur elle. Elle était plus tranquille, même s'il pouvait toujours voir les traces des larmes striées sur ses joues.
"Qui ça ?"
"Molly. Mrs. Weasley." répondit-elle, avec un petit sourire aux lèvres. "C'était un soir de cet été. Elle pleurait parce qu'elle avait peur. Peur de la guerre, de voir quelqu'un de sa famille mourir… Pour lui changer les idées, je lui ai demandé de m'apprendre à tricoter, et elle l'a fait. Sans hésiter. Elle m'a montré comment faire, pendant deux heures, selon les techniques sorcières et Moldues. C'est elle qui m'envoie des pulls de Noël avec mon initiale dessus. Quand je l'ai remerciée la dernière fois, elle m'a dit que c'était normal, qu'elle le faisait à tous ses enfants. Ses enfants. Elle l'a dit comme ça, sans réfléchir."
Drago fronça les sourcils. Il ne comprenait pas pourquoi elle parlait de la mère des Weasley à cet instant.
"Arthur, Mr. Weasley, c'est le premier et seul sorcier qui est allé voir mes parents pour les saluer." raconta-t-elle. "Ils étaient encore intimidés de ce monde dont ils ne connaissaient rien, dont ils ne connaissent toujours rien, d'ailleurs. Il est allé discuter avec eux, il a posé des questions sur leur vie qu'il considérait fascinante, et il les a écoutés parler pendant des heures de leur cabinet de dentiste et de ma tante qui habite près de Dijon. Quand ils ont partagé leurs doutes sur le fait de me laisser partir à Poudlard, Arthur leur a dit que j'étais trop brillante pour laisser passer cette occasion. Que j'étais trop importante. Que j'allais faire briller le monde des sorciers par ma présence."
"Granger…"
"Mr. et Mrs. Weasley m'ont accueillie chez eux pendant la Coupe du Monde de Quidditch. Tu le savais ?" demanda-t-elle, ignorant son interruption. "Ils m'ont proposé de venir chez eux pendant le reste de l'été, et ils m'ont offert mes billets, un endroit où dormir, ils m'ont fait à manger. Tu répètes sans cesse qu'ils sont pauvres, mais pourtant, ce sont les gens les plus généreux que je connaisse. Quand les Mangemorts ont attaqué, quand ton père a attaqué, Arthur m'a protégée, autant que ses enfants. Il a veillé à ma sécurité, et à celle d'Harry, autant que si ça avait été Ginny, ou Ron."
Granger tourna la tête vers lui, et ils échangèrent leur premier regard de la soirée. Le sien était éteint. Il manquait cette petite étincelle, celle qui faisait toujours pétiller ses prunelles chocolat. Son regard était vide et inexpressif et ça lui fit aussi peur que quand il avait vu celui de Blaise, la veille.
"Ce sont des gens bien, Drago." poursuivit Granger, dans un murmure saturé de larmes. "Ce ne sont pas seulement les parents de Ron que tu as insulté sur ce terrain de Quidditch. Insulter Mr. et Mrs. Weasley, c'est insulter ma famille aussi."
Drago se rappela de la mère Weasley qui étreignait Granger sur le quai de la gare à chaque retour de l'école. La piqûre désagréable de jalousie quand il avait réalisé que cette femme était plus démonstrative d'affection que sa propre mère avec lui. Il avait remarqué que les pulls qu'elle portait des pulls tricotés à la main avec son initiale dessus. Il n'avait jamais réalisé que c'était cette femme qui lui avait confectionné. Drago n'avait jamais reçu de cadeau fait main. Sa mère lui achetait toujours ses présents sur le Chemin de Traverse ou dans des boutiques de luxe à Paris.
"Quand je te dis que tu ne peux pas haïr Harry et Ron et m'aimer moi, c'est de ça que je veux parler. Tu ne peux pas insulter la mère de Ron sans me blesser, moi." dit Granger.
Drago grimaça. En vérité, il n'avait pas vraiment voulu insulter les parents Weasley, mais il avait été tellement en colère qu'il avait pris le premier truc qui pourrait les faire craquer. En y repensant, il trouvait ça parfaitement stupide.
"Je… Je suis désolé, Granger." chuchota-t-il, comme s'il était effrayé que les étoiles puissent entendre sa sincérité. "J'étais furieux, je voulais me déchaîner, et j'ai pris les parents de Weasley pour toucher un point sensible, mais je ne le pensais pas, pas vraiment. Je pense que c'est surtout de la jalousie refoulée… de voir des parents aussi aimants alors que les miens sont… froids."
Granger haussa les sourcils en entendant cette confession. C'était rare qu'il parle de ses parents, surtout pour les dévaloriser de la sorte.
"En t'entendant les décrire, je dirais presque qu'ils ont l'air… gentils." confia Drago, en regardant ailleurs pour ne pas croiser le regard scrutateur de la fille à côté de lui. "Et si tu les aime, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison. Je n'aurais pas dû les insulter, c'était méchant et bête. Pardon, Hermione."
Elle pleurait toujours, mais sa respiration avait retrouvé un rythme plus ou moins égal. Elle ne répondit pas et retourna la tête pour regarder les étoiles. Drago savait qu'elle n'était pas encore prête à le pardonner. Il savait qu'insulter Potter et Weasley et leurs familles l'avait blessée, et il savait que ça prendrait du temps avant qu'elle accepte ses excuses.
"Comment va-t-il ?" demanda Drago après plusieurs minutes de silence à contempler la constellation de Centaurus. "Le père des Weasley."
"Je n'étais pas censée te dire ça." soupira Granger en se passant une main sur les paupières. "C'était confidentiel."
"C'est pour ça que j'ai appris l'Occlumancie, Granger." dit Drago avec toute son assurance de Serpentard. "C'est pour garder tes secrets. Je ne dirai rien à personne, promis."
Granger tourna de nouveau la tête vers lui.
"J'espère. Drago, si tu dis ça à n'importe qui, je ne te parlerai plus jamais. Et ce ne sont pas des paroles en l'air, je ne t'adresserai plus jamais la parole. C'est clair ?"
Drago se retint de sourire en voyant la fougue remplacer la déprime sur ses traits. Quand il mit du temps à répondre, elle pointa un doigt accusateur vers lui, les yeux plein de défi, et Drago s'indigna :
"Est-ce que j'ai déjà révélé la moindre chose que tu m'avais confiée, Granger ? Parole de Malefoy, je ne dirai rien, Merlin."
Cette dernière soutint son regard quelques secondes supplémentaires, puis reposa son bras le long de son flanc.
"Il est à Ste Mangouste." répondit-elle d'une voix blanche. "On ne sait pas encore s'il va s'en sortir."
"Comment ça se fait que ça prenne autant de temps ?" demanda Drago, qui ne comprenait pas très bien. Avec la magie, il était possible de diagnostiquer et de déterminer la gravité des blessures en seulement quelques minutes.
"Je ne sais pas, Dumbledore ne m'a rien révélé de plus."
Drago fixa le profil de Granger et essaya de déterminer si elle mentait ou non, mais il n'arrivait pas à le savoir.
"C'est pour ça que Potter et Weasley ne sont pas là aujourd'hui ?"
"Ça te tuerait de les appeler par leurs prénoms ?" demanda-t-elle avec un soupir agacé.
Drago fut étonné de cette requête.
"Pourquoi je les appelerais par leurs prénoms alors que je t'appelle tout le temps par ton nom de famille ?"
"Tu m'as appelée Hermione ce soir. Plusieurs fois." fit-elle remarquer.
Il fut surpris de la voir ébaucher un sourire. Faible, mais un sourire tout de même.
"Tu aimes quand je t'appelle Hermione ?" demanda Drago, à la fois curieux et soulagé de la retrouver après cette crise de panique terrifiante.
Elle haussa les épaules sans quitter son sourire.
"Ça change."
Ce qui n'était pas une réponse très développée, mais Drago pouvait s'en contenter.
Le silence les enveloppa de nouveau. À chaque expiration qu'il faisait, un petit nuage de fumée glacée sortait de sa bouche, ça lui faisait penser à Pansy avec ses cigarettes. Quand il tourna la tête, Granger avait toujours les yeux rivés sur le ciel.
"Pourquoi tu as dit que c'était de ta faute ?" demanda-t-il doucement, en espérant que sa question ne déclencherait pas une nouvelle crise de larmes.
"De quoi ?" questionna-elle distraitement.
"Tout à l'heure, quand tu étais… Tu as dit que c'était de ta faute."
Le souvenir balaya son visage, comme une ombre de tristesse, et sa bouche se plissa nerveusement.
"Quand le père de Ron a été attaqué, je n'étais… je n'étais pas là." expliqua-t-elle à voix basse, comme si elle avait honte.
"Et bien, c'est normal, non ? Tu étais à Poudlard. Tu n'aurais pas pu le savoir. Tu penses sincèrement que Dumbledore s'attendait à ce que tu accoures pour le sauver ?" demanda-t-il ironiquement, bien qu'il était à moitié convaincu que le vieux aurait pu lui reprocher son absence.
"Non, bien sûr que non." dit-elle en secouant la tête. "Mais quand Ron l'a appris, Ginny, Fred et George, et… et Harry, je n'étais pas là. J'étais avec toi."
Et soudain, Drago comprit. Il avait mis du temps, sûrement à cause de sa nuit blanche qui embrumait sa tête et qui faisait tomber ses paupières contre son gré. Il avait été tellement inquiet quand il était arrivé près de Granger qu'il avait préféré la calmer plutôt que d'essayer de déchiffrer ses lamentations, mais maintenant, il comprenait mieux pourquoi elle avait cette expression sur le visage depuis le matin-même, pourquoi elle avait craqué ce soir. Elle se blâmait.
"Tu n'es pas responsable de l'attaque de son père, Granger." dit-il, un fait.
"Non. Mais je n'étais pas là pour eux quand c'est arrivé. J'étais en train d'embrasser leur pire ennemi dans les étoiles."
Drago resta silencieux le temps de réfléchir à ce qu'il pourrait dire pour la consoler. Il savait qu'essayer de la convaincre que ce n'était pas de sa faute ne servirait à rien. Il ne parviendrait probablement jamais à lui enlever cette culpabilité qui l'empêchait de respirer. Drago souffrait de la même manière, sous forme de paranoïa de ses parents et du Seigneur des Ténèbres, et s'il ne savait pas comment s'en débarrasser lui-même, il ne savait pas comment enlever celle de Granger non plus.
Lui demander si elle voulait arrêter ça, eux, lui traversa l'esprit, mais il n'osa pas le demander à voix haute. Égoïstement. Il était terrifié à l'idée qu'elle dise oui.
Alors, il préféra lui proposer :
"Tu veux leur dire ? À Potter et Weasley ? Pour… nous ?"
Il ne savait pas vraiment comment appeler le lien qui les unissait. Ils étaient passés d'ennemis, à connaissances, à amis, à… Drago avait du mal à situer la catégorie où ils étaient maintenant : amoureux secrets ? couple dans l'interdit ? deux personnes particulièrement têtues qui n'arrivaient pas à s'éloigner l'un de l'autre malgré le fait que le monde entier était contre eux ?
"Je ne pense pas que ça serait une bonne idée." répondit Granger. "Ils ne me parleraient plus jamais s'ils l'apprenaient."
Drago pensa à Pansy, qui était au courant pour son lien avec Granger et qui continuait de lui parler. Si Potter et Weasley étaient si véhéments à cette idée, c'était peut-être qu'ils n'étaient pas de si bons amis que ça. Drago ne le dit pas, de peur d'énerver Granger. Et puis, Potter et Weasley avaient certainement plus de raisons de le haïr que Pansy avec Granger.
"Est-ce que tu auras le temps de rendre visite à Arthur Weasley à Ste Mangouste avant de partir aux Alpes ?" demanda-t-il.
Granger se mordit la lèvre automatiquement, ce qui intrigua grandement Drago.
"Je… je ne pense pas que je vais aller aux Alpes, finalement." confessa-t-elle.
Sa phrase envoya un petit nuage de vapeur glacée dans l'air.
"Ah bon ? Pourquoi ?"
"Je vais sûrement passer Noël avec les Weasley."
"Quoi ?"
"J'ai demandé à Dumbledore ce matin, et il m'a dit qu'il n'y voyait pas d'inconvénient. Pour que je sois avec eux pendant ce moment difficile, que je sois là pour Harry et Ron, et sa famille."
Drago fronça les sourcils. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi elle n'arrêtait pas d'inclure Potter là-dedans, ce n'était pas son père qui était à l'hôpital.
"Et tes parents ?" demanda-t-il d'un ton un peu trop accusateur.
Granger soupira, et il put entendre les trémolos de culpabilité faire trembler son souffle :
"Ils seront déçus, je suppose, mais ils comprendront. Ils ne veulent que mon bien. En plus, je n'aime pas trop le ski, tu te souviens ?"
Elle se tourna vers lui avec un petit sourire.
"Pourquoi as-tu besoin d'être là-bas pendant toutes les vacances ?" insista-t-il, parce qu'il avait l'impression qu'elle lui cachait quelque chose et il détestait ça. "Tu ne peux pas aller au Terrier, puis prendre le Magicobus une fois que tu seras sûre que Weasley père va mieux et rejoindre tes parents aux Alpes ?"
"Pourquoi as-tu tellement envie que j'aille faire du ski tout à coup ?" demanda-t-elle.
Elle posait une question pour ne pas répondre à la sienne, ce qui était extrêmement agaçant mais aussi un peu flatteur, parce qu'il était persuadé qu'elle avait pris cette habitude de lui.
"Je sais pas, je pensais que passer un peu de temps avec tes parents pourrait te faire du bien…" En voyant la culpabilité se peindre sur ses traits et ses mains s'agripper impulsivement à l'herbe enneigée, il ajouta : "Mais si tu penses que ta place est là-bas, je suis sûr qu'ils comprendront. Tu ne devrais pas te sentir mal d'être là où tu appartiens."
Elle parut rassurée par ses mots. Elle cala de nouveau sa tête pour observer les étoiles en prenant une grande inspiration. Elle ne pleurait plus, mais elle n'avait pas essuyé les larmes sur ses joues qui devaient être glacées. Drago se fit violence pour ne pas le faire lui-même.
Le sentiment de contrariété restait, cependant. Il était certain que Granger lui ommettait des éléments de son explication, probablement pour ne pas qu'il s'emporte, ou parce qu'elle ne lui faisait pas totalement confiance.
"Pourquoi est-ce que tu t'inquiètes autant pour Potter ?" demanda Drago, et il se demanda depuis quand avaient-ils échangé leurs rôles de curieux et de réponses vagues.
"Je ne peux pas te dire ça." dit-elle, ce qui eut le don de faire monter l'impatience du garçon :
"Pourquoi ? Je te l'ai dit, je ne dirai rien !"
"Ce n'est pas mon secret. C'est celui d'Harry. Et je ne peux pas raconter ses secrets au garçon qui l'insulte en permanence, quelle genre d'amie je serais si je faisais ça ?" demanda-t-elle rhétoriquement.
Drago bougonna un peu, mais il devait admettre que la réponse de Granger était prévisible. Il ne pouvait pas vraiment s'attendre à ce qu'elle lui dévoile tous les problèmes de Potter alors qu'il avait affirmé qu'il en avait rien à foutre de lui pas plus tard que la veille. Ça n'en était pas moins déplaisant pour autant.
"Je déteste ça. Ne pas savoir où tu es pendant les vacances." grinça-t-il, les yeux rivés sur Menket. "Je passe mon temps à ruminer dans mon Manoir et à me demander comment tu vas. Qu'est-ce qui me dit que tu ne vas pas te faire attaquer, toi aussi ? Est-ce que je l'apprendrai qu'à la rentrée, quand il y aura une place vide sur le banc des Gryffondors ?"
Granger tourna la tête vers lui mais il continua de fixer obstinément le ciel. Il n'avait pas envie de croiser ses yeux plein de douceur et de réconfort, il avait envie d'être irrité et qu'elle réplique avec la même intensité que lui.
"Je peux me faire attaquer n'importe où, Drago, et toi aussi." dit-elle, aussi sagement que Blaise. "Il vaut mieux que je sois avec eux, non ?"
Drago contracta la mâchoire. Il ne savait pas vraiment si elle voulait parler des Weasley, ou du côté de la guerre en général. Avec eux. Avec Dumbledore et son armée de "sang-impurs", comme disaient ses parents. Avec le dangereux Sirius Black, le loup-garou Remus Lupin, le demi-géant Hagrid ? Cette perspective ne le rassurait pas du tout.
Quand elle nota son manque de réaction, Granger soupira sans le lâcher des yeux :
"Je dois y aller, Drago. C'est là que je dois être. Tu l'as dit toi-même, c'est là où j'appartiens."
"Au Terrier ?" demanda-t-il, en réussissant presque à cacher le mépris quand il prononça le nom du lieu.
Elle haussa mollement les épaules :
"Avec les Weasley, et Harry."
Elle n'allait donc pas au Terrier. Drago voyait déjà venir les insomnies dans sa chambre à se demander où elle pouvait être et il lâcha un grognement exaspéré sans le vouloir.
"Si tu apprenais que le père de Pansy avait été attaqué, tu n'aurais pas envie d'être avec elle pour la réconforter ?" demanda-elle, d'une voix pleine d'empathie qui lui faisait penser à celle qu'on prenait pour parler avec un enfant dissipé.
Il faillit rire en entendant cet exemple douteux.
"Pas vraiment. Je ne pense pas que Pansy aurait besoin d'être réconfortée si son père se faisait attaquer, je pense qu'on trinquerait tous dans la Salle Commune. Et même si son père était décent, et que Pansy avait vraiment besoin de moi, je ne vois pas pourquoi je me sentirais obligé d'être là pour Théo ou Blaise aussi. Ce n'est pas leur père à eux. Pourquoi tu veux absolument être là pour Potter ?"
"Je vous ai vus ensemble, la dernière fois." accusa Granger, et son ton brutal réussit à distraire Drago suffisamment pour qu'il ne réalise pas qu'elle venait de changer habilement de sujet.
"Qui ça ?"
"Parkinson et toi. Là-bas."
Elle pointa du doigt les contours des serres tout au fond du parc de Poudlard. Un frisson d'appréhension parcourut la nuque de Drago quand il se souvint de la furie inscrite sur le visage de Granger ce jour-là.
"Oui, elle passe souvent du temps là-bas…"
"Et tu l'accompagnes souvent ?" siffla-t-elle.
"Qu'est-ce que ça peut faire ?" demanda-t-il, sincèrement confus.
Granger fronça les sourcils dans cette expression de colère à moitié maîtrisée et qui menaçait de déborder d'un instant à l'autre.
"Tu fumes souvent avec elle ?"
Drago fut complètement décontenancé par cette question. Il ouvrit et referma la bouche plusieurs fois stupidement. Le visage de Granger était empreint d'un dégoût peu familier, ses lèvres retroussées, un sourcil arqué, et elle lui rappela Pansy comme ça, pour la première fois de sa vie.
"Euh… Non, enfin, ça m'arrive, quand… quand j'en ai besoin, je sais pas ? Pourquoi ça te met dans cet état ?"
La lèvre supérieure de la Gryffondor se releva davantage encore.
"Je déteste les cigarettes."
"Pourquoi ?"
"Mes parents sont dentistes." rétorqua-t-elle sèchement.
Drago n'avait aucune idée du lien entre ces deux informations mais il ne préféra pas poser de questions. Un vent particulièrement violent les balayèrent, mais le sortilège de Chaleur les empêchait de le sentir complètement. Plusieurs mèches de cheveux de Granger se dispersèrent sur la neige mais elle ne fit rien pour les remettre derrière ses oreilles. Elle avait tourné la tête vers la gauche, et Drago eut peur qu'elle lui reparle des serres de Pansy, mais sa voix était bien plus douce quand elle reprit la parole après de longues minutes :
"On voit ta constellation."
Elle lui montra la partie du ciel envahie par les nuages. Drago observa l'alignement des étoiles qu'elle montrait et sa poitrine se réchauffa à l'idée qu'elle ait pu la chercher après cette conversation tumultueuse. Ça lui fit penser à l'une des phrases qu'elle avait écrite dans ses lettres et qu'il avait appris par cœur à force de les relire. "Je ne veux pas que tu me donnes ta constellation. Elle est à toi. Et je crois que c'est justement pour ça que je l'aime bien."
"Tu penseras à moi en la regardant, pendant les vacances ?" demanda-t-il doucement.
"Je ne devrais pas." répondit-elle, hésitante.
"On s'en fiche. Si ça te fait plaisir, fais-le. Une sorcière particulièrement butée mais sacrément belle m'a dit un jour qu'il ne fallait pas gâcher la plus belle chose qu'il m'arrivait pour quelque chose qui me dépassait."
Il la vit rougir en l'entendant reprendre ses propres mots.
"Tu es constamment là pour les autres, tu as le droit d'avoir tes secrets aussi, Granger." assura Drago. "Tu as le droit de profiter de ce qui te fait plaisir. Ça n'enlève en rien ta loyauté pour tes amis."
Pour toute réponse, Granger se tortilla dans la neige pour loger sa tête sur son épaule, pile contre son cou. Il pouvait sentir la fraise dans ses cheveux, malgré le vent, et il l'inspira pour essayer de la marquer le plus possible dans sa tête avant de ne plus pouvoir le faire pendant trois longues semaines.
"Tu seras toujours Drago, à la rentrée ?" chuchota-t-elle, si près de son oreille qu'il eut des frissons le long de sa mâchoire.
"Je serai toujours ton Drago, Granger." promit-il. "Parole de Malefoy."
