Drago
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Drago raccompagna Granger jusqu'à sa Salle Commune en lui faisant répéter à chaque marche d'escalier sa promesse de dormir un peu et de prendre des forces pour le voyage de demain, mais il était sûr qu'elle n'en ferait rien. Bornée comme elle était, elle allait probablement passer la nuit à se remémorer les événements de la veille jusqu'à s'en rendre malade.
Il lui fit un rapide baiser sur la joue pour lui dire au revoir, laissant ses lèvres une ou deux secondes de plus que nécessaire pour profiter du contact de sa peau rougie contre la sienne. Il la regarda prononcer le mot de passe au tableau endormi de la femme et s'engouffrer dans le passage. Puis, elle disparut, laissant à Drago un goût amer sur la langue.
Il croisa Goldstein sur le chemin du retour, qui prit un plaisir fou à lui retirer vingt points. Drago ne contesta même pas la sanction, même s'il était à peu près sûr que les préfets ne pouvaient pas retirer de points aux autres préfets. Il était bien trop épuisé pour se battre avec lui dans le Hall du Château.
Quand Drago entra dans la Salle Commune, il fut surpris de voir qu'une "fête" était en cours. Par fête, il entendait plusieurs regroupements d'élèves timides qui n'osaient pas danser sur la musique étrange qui sortait des gramophones et dont les tables manquaient cruellement de bouteilles d'alcool. Drago eut un rictus en réalisant à quel point les Serpentards étaient incapables d'organiser la moindre soirée décente sans l'aide de Pansy. Elle méritait vraiment son rôle d'animatrice officielle.
Drago repéra Crabbe et Goyle, affalés dans des canapés et l'air profondément ennuyés. Drago fila vers les dortoirs avant que l'un des deux ne remarque sa présence et l'incite à rester un peu. Dans cette ambiance et sans alcool, Drago n'était pas sûr de pouvoir.
Quand il arriva dans le dortoir, il fut tout de suite accueilli par la vision de Blaise, assis sur son lit, en train de manger le sandwich que lui avait apporté Théo. Il paraissait en bien meilleure forme qu'en début de journée. L'idée de la potion de Théo avait porté ses fruits.
"Hey." lança-t-il en rentrant dans la pièce.
Théo tourna la tête de son roman une seconde et posa son regard sur Drago, et il prit une expression d'horreur copiée de Pansy.
"Mon Dieu, Drago tu es trempé !"
Pansy, qui était allongée en travers du lit de Drago en train de lire Sorcière-Hebdo, claqua sa langue contre son palais :
"Et à quel Dieu tu réfères, exactement ?"
"Au Dieu de la neige ?" demanda Blaise avec un petit rire.
"Ça va, c'est juste une expression…" grommela Théo.
"Une expression moldue." précisa Pansy du même ton désapprobateur. Eris, à côté d'elle, aboya en agrément.
Drago enleva son pull et l'essora juste au-dessus de la tête de Théo, qui bondit du fauteuil avec un cri d'horreur.
"VA TE FAIRE FOUTRE MALEFOY !" hurla-t-il en secouant sa tignasse, aspergeant Drago d'eau glacée en le faisant.
"Ah, c'est mieux comme ça, on te reconnaît mieux." lança sarcastiquement Blaise qui attaquait maintenant sa part de tarte aux pommes, son dessert préféré.
"Je vais prendre une douche." lança joyeusement Drago, qui réussit à éviter de justesse le roman mouillé que lui jeta Théo à la figure. "Comment tu te sens Blaise ?"
Le garçon lui fit un sourire rassurant :
"Beaucoup mieux."
"Tu as eu… des nouvelles ?"
"De ma mère ?" demanda Blaise tandis que Drago esquivait un autre projectile de Théo. "Non, mais elle est en Nouvelle-Zélande en ce moment, je ne m'attendais pas à ce que mon hibou lui parvienne avant au moins Noël."
Théo, qui n'avait pas réussi à atteindre Drago, alla chercher un oreiller sur son lit et pointa sa baguette dessus :
"Gelida Aguamenti ! T'es mort, Malefoy !"
Avec l'oreiller trempé et glacé dans les mains, Théo se mit à poursuivre Drago dans le dortoir pour essayer de lui lancer son oreiller, mais Drago était aussi rapide que lui. Ils firent plusieurs fois le tour des lits, Drago hilare et Théo furieux, devant un Blaise amusé et une Pansy franchement agacée. Quand Drago glissa sur le sol en prenant un virage serré, Théo mit l'oreiller derrière sa tête pour viser avec le plus d'élan possible. Juste avant qu'il ne le lance, Drago se servit du pilier du lit pour bifurquer à la dernière seconde. L'oreiller vola à travers la pièce et alla s'écraser en plein milieu du visage de Pansy.
"Oh… Putain." gémit Théo avec horreur en réalisant ce qu'il venait de faire. "Pansy, je suis…"
Pansy, le visage tellement rouge de colère que Drago s'attendait presque à voir de la fumée sortir de ses narines, empoigna l'oreiller de toutes ses forces en fixant Théo d'un air furibond.
"THÉODORE NOTT JUNIOR." hurla-t-elle, et Théo se ratatina sur lui-même en entendant son nom complet prononcé de la sorte.
"C'est pas moi, c'est Drago, c'est lui qui a…"
"C'EST BIEN TOI QUI VIENT DE ME LANCER L'OREILLER À LA GUEULE, NON ?"
Drago ricana malicieusement en voyant le visage déconfit de Théo et contourna son lit pour aller dans la salle de bains.
Il prit une longue douche très chaude pour se débarrasser de la raideur de ses muscles après avoir passé tant de temps dehors. Il pouvait entendre les hurlements indignés de Pansy à travers le mur fin de la pièce et les réponses craintives de Théo. Au bout d'un moment, la dispute cessa et Drago sortit de la douche avec un sourire aux lèvres. Il se brossa les dents et enfila son pyjama.
Quand il revint au dortoir, l'ambiance était tendue. Pansy n'avait toujours pas décoléré, Théo était assis sur son fauteuil dans une position clairement boudeuse, et Eris mâchouillait l'oreiller qu'avait jeté Théo, en pensant sûrement que c'était un jouet. La seule personne qui n'avait pas l'air dérangée par le changement brutal d'atmosphère était Blaise, comme d'habitude, qui mangeait toujours sa tarte.
"Est-ce que je peux au moins récupérer mon oreiller, s'il te plaît ?" demanda Théo d'un ton agacé en regardant Eris le percer avec ses petites dents.
"Non." répondit froidement Pansy, qui feuilletait toujours son magazine. "Il a le droit d'attaquer les projectiles qu'on lance sur sa maîtresse."
Elle tapota la tête de son chien, qui ronronna, et Théo émit un sifflement courroucé entre ses dents.
Drago rangea ses affaires dans sa malle et se mit au lit.
"Tu sais, les Serpentards sont complètement perdus sans toi." lança-t-il à Pansy.
Cette dernière tourna la tête de la page de son magazine, remplie de capes brodées et de chaussures à talons, pour le scruter :
"Comment ça ?"
"Ils sont incapables d'organiser une fête à peu près décente." expliqua Drago avec un rire moqueur. "Je suis passé en arrivant ici, l'ambiance m'a fait froid dans le dos."
"Vraiment ?" demanda-t-elle, les yeux brillants de satisfaction.
"Ouais, c'était ridicule, j'ai même vu Crabbe et Goyle, ils…"
Mais la phrase de Drago fut coupée brutalement par un bruit de détonation à l'autre bout de la pièce. Tout le monde sursauta, surtout Théo qui envoya valser son roman en manquant de tomber de son fauteuil. Sa boîte de chocolats tomba par terre, et Eris aboya d'affolement.
Drago mit du temps à identifier la source du bruit. Au bout du lit de Blaise, une lumière blanche, brillante éclairait le visage du garçon. Drago aperçut une forme translucide en forme de félin. La silhouette se pencha en avant, comme pour saluer Blaise, puis releva sa tête. Un Patronus. Eris s'agita furieusement en aperçevant le gros chat filamenteux.
Mais plus Drago le regardait, plus il crut reconnaître l'animal, comme un gros chat sauvage, ou un guépard, ou… un puma. C'était définitivement un puma.
Il n'avait aucune idée d'à qui appartenait ce Patronus, mais il n'eut pas besoin de poser la question à voix haute, parce que le puma ouvrit sa gueule et délivra son message dans la reproduction parfaite de la voix de la mère de Blaise :
"Je pars à l'instant. Rentre à la maison et restes-y, ne panique pas, je serai là très vite."
Puis, le Patronus disparut dans un éclat de fumée.
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Hermione
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Hermione avait encore les muscles engourdis par le froid dehors quand elle se fit réveillée. Elle ne se rappelait pas vraiment s'être endormie, elle s'était simplement allongée dans le canapé de la Salle Commune à ressasser ses malheurs, mais quand une voix s'insinua dans ses rêves et qu'une main lui secoua vigoureusement l'épaule, elle dût ouvrir péniblement un oeil.
La Salle était plongée dans la pénombre. Le feu était éteint, et il faisait encore nuit dehors. Hermione concentra sa vision floutée sur le visage penché au-dessus d'elle : un chignon sévère, des traits ridés, et des lunettes rectangulaires…
"Miss Granger ?"
Hermione se redressa d'un coup en reconnaissant McGonagall.
"Professeure ? Tout va bien ? C'est Ron, son père ? Que s'est-il passé ?" demanda-t-elle, d'un ton à la fois saccadé et ralenti par le sommeil.
"Nous n'avons pas de nouvelle pour le moment." murmura McGonagall.
Hermione remarqua qu'elle tenait un chandelier dans la main, qui projetait suffisamment de lumière pour qu'elle puisse la distinguer dans l'obscurité mais pas pour éclairer toute la pièce. Elle se frotta les paupières pour essayer de chasser les dernières traces de sommeil.
"Professeure, je…"
"Miss Granger, nous devons y aller." coupa McGonagall, le calme doucement remplacé par un ton ferme qui réveilla Hermione d'un coup.
McGonagall posa sa main qui ne tenait pas le chandelier sur le bras d'Hermione et cette dernière se dégagea de la couverture et se leva fébrilement.
"Vous devez préparer vos affaires de toute urgence." asséna la Professeure en la dirigeant vers les dortoirs. "Vous avez cinq minutes. Prenez le strict nécessaire pour les trois semaines de vacances."
"Professeure ?" demanda Hermione d'une petite voix, la tête encore trop embrouillée par le sommeil pour comprendre ce que McGonagall insinuait.
"Vous allez à Londres, Miss Granger." expliqua McGonagall de but en blanc. "Mr. Weasley est toujours à Ste Mangouste, nous n'avons pas de nouvelle sur son état de santé, mais il est en vie. Molly y est actuellement, et Mr. Potter et la famille Weasley vont la rejoindre d'ici peu. Je leur ai fait parvenir votre demande de venir et Molly a accepté immédiatement, mais je dois vous faire partir sans qu'Ombrage remarque votre absence, donc vous devez être très discrète, c'est compris ? Personne ne doit savoir que vous avez rejoint les Weasley pendant ces vacances, y compris vos voisines de chambre."
Hermione hocha la tête. C'était un secret qu'elle pouvait aisément garder auprès de Lavande et Parvati, elles n'étaient pas du genre à fouiner dans la vie d'Hermione de la sorte. Drago, en revanche… Hermione essaya de garder une expression neutre en pensant au fait qu'elle avait dévoilé une information extrêmement confidentielle au fils d'un Mangemort. Elle espérait que les compétences d'Occlumancie de Drago étaient aussi hautes qu'il le prétendait, elle n'osait même pas imaginer ce qui pourrait se passer si ça s'apprenait.
"Rassemblez vos affaires avant que les autres ne se réveillent." ordonna McGonagall. "Je vous attends ici."
Hermione monta les marches du dortoir à toute vitesse et entra dans le dortoir en essayant de faire le moins de bruit possible. Elle ouvrit sa malle et y déposa des vêtements au hasard, quelques bouquins, son pyjama, sa trousse de toilettes, ses cadeaux de Noël, puis elle prit la cage vide de Pattenrond et descendit le plus vite possible. Son chat dormait sur le fauteuil devant la cheminée, elle l'enferma sous le regard aiguisé de McGonagall, qui ne fit pas de commentaire quand Pattenrond poussa un miaulement horrifié.
"Je suis prête, Professeure." dit Hermione, un peu essoufflée.
"Très bien, allons-y."
Elles sortirent par le tableau et longèrent les couloirs vides du Château jusqu'au bureau de McGonagall. Il n'y avait pas de bruit, mais McGonagall tenait tout de même son chandelier à bout de bras, comme si elle s'attendait à tomber sur quelqu'un à tout instant. Probablement Ombrage, Hermione ne serait pas surprise de la voir rôder autour du bureau de Dumbledore ou de Rusard pour essayer d'incriminer le plus de monde.
Hermione n'avait aucune idée de l'heure qu'il était. Elle ne remarqua qu'à cet instant que McGonagall ne portait pas son habituelle cape émeraude, mais une robe de chambre avec un motif quadrillé écossais, et qu'elle avait retiré son chapeau pointu. Hermione ressentit un certain malaise à l'idée d'avoir pu réveiller sa directrice de Maison au beau milieu de la nuit, mais sa volonté de retrouver Ron et Harry était bien trop forte pour s'en soucier davantage.
"Avez-vous prévenu vos parents, Miss Granger ?" demanda subitement McGonagall quand elles descendirent les escaliers.
Une boule d'angoisse remonta dans sa gorge quand elle réalisa qu'elle n'avait pas du tout pensé à eux depuis la veille.
"Hum… non." répondit-elle piteusement.
"Ce n'est pas grave, nous les préviendrons dès que nous arriverons dans mon bureau. J'ai relié votre cheminée au réseau des Cheminées temporairement hier, pour que vous puissiez les prévenir de votre changement de programme de dernière minute et ne pas attendre qu'ils recoivent une lettre."
"Mais Professeure, je croyais qu'Ombrage contrôlait l'intégralité des cheminées de Poudlard ?" demanda Hermione, en ne prenant même pas la peine d'ajouter le "Professeure" avant son nom de famille.
Le visage de McGonagall s'assombrit à la lueur du chandelier qu'elle portait.
"Pour le moment, elle n'a pas encore accès à la mienne. Mais ça ne saurait tarder."
Hermione pouvait clairement entendre l'amertume dans sa voix.
Elles arrivèrent dans le bureau au moment où les torches du Château s'allumèrent magicalement, signe de la fin du couvre-feu. McGonagall ferma la porte de son bureau à clé et pointa sa baguette sur le bois mort de la cheminée. Elle envoya une gerbe de flammes qui réchauffa le visage d'Hermione et alluma l'antre en une seconde.
McGonagall prit un petit pot posé sur le manteau de sa cheminée et le tendit à Hermione :
"Jetez une poignée de poudre dans l'antre et prononcez votre adresse."
Hermione hocha la tête et s'agenouilla devant la cheminée de McGonagall, et contempla les flammes qui faisaient crépir le bois. Hermione plaçait une foi inconditionnelle envers sa professeure, mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une petite peur à l'idée de mettre son visage là-dedans.
Elle prit une poignée de poudre et la jeta dans l'âtre. Aussitôt, les flammes prirent une couleur verte et s'élevèrent encore plus haut, comme si elle avait mis de l'huile.
"8 Heathgate, Hampstead Garden, Londres !" annonça-t-elle d'une voix claire, en essayant de ne pas avaler le nuage de cendres projeté sur sa figure.
Hermione inspira, et plongea sa tête dans les flammes. Elle fut surprise de constater qu'elles étaient à peine tièdes contre sa peau, comme une brise estivale. Heureusement qu'elle avait déjà vu Sirius le faire, sinon elle se sentirait parfaitement idiote.
Un tourbillon violent la secoua et elle ferma les yeux avec un glapissement. Sa tête se faisait aspirer en avant, mais ses mains et ses jambes étaient toujours posées sur le parquet du bureau de McGonagall. C'était une sensation extrêmement étrange, qui lui donna instanstanément le mal de mer. Pendant quelques secondes, Hermione sentait sa tête valdinguer à cause de la force du tourbillon et fut sur le point de reculer, quand ça s'arrêta aussi brusquement que ça avait commencé. Quand elle osa ouvrir les yeux, elle fut choquée de voir son salon plongé dans l'obscurité. Elle pouvait voir les pieds de la table basse, le canapé, et même un bout de sa banquette sous la fenêtre.
"Papa ?" appela-t-elle hasardeusement. "Maman ? Papa ? Vous êtes là ?"
La lumière du couloir s'alluma et son père, vêtu de sa robe de chambre bordeaux, entra dans le salon avec un air de profonde incompréhension sur ses traits.
"Papa ? C'est moi, c'est Hermione !"
Son père regarda tout autour de lui sans comprendre.
"Hermione ?" appela-t-il, du même ton qu'Hermione quand elle s'était faite réveillée par McGonagall quelques minutes plus tôt. "Est-ce que je t'entends vraiment ou est-ce que c'est un rêve ?"
"Non, c'est moi papa, je suis là, dans la cheminée !"
Il baissa les yeux sur l'âtre et fit un bond en arrière en l'apercevant.
"MON DIEU, HERMIONE !" hurla-t-il.
"Papa, tout va bien, tout va bien !" couina Hermione pour couvrir son cri d'horreur. "C'est la poudre de Cheminette, une manière de communiquer chez les sorciers, tout va bien !"
"Tout va bien ?" répéta son père avec un petit rire faible, une main sur son coeur. "La tête de ma fille me parle dans ma cheminée, je suis censé deviner que c'est normal ? Et pourquoi notre cheminée fait ça, on est pas des sorciers !"
"C'est la Professeure McGonagall qui vous a relié le temps d'une journée pour que je puisse vous parler." expliqua Hermione.
Il sembla se détendre un peu en entendant la mention de McGonagall.
"Seigneur, Hermione, ne me fais plus jamais ça." croissa-t-il. "Je suis trop vieux pour ça."
Il s'approcha précautionneusement de la cheminée et s'agenouilla devant elle en détaillant attentivement son visage.
"Où est maman ?" demanda Hermione.
"Elle dort, pardi ! Il est bien trop tôt, surtout pour avoir une conversation avec quelqu'un dans sa cheminée ! Mon Dieu, je ne m'habituerai jamais à la magie."
Hermione sourit malgré elle. Elle non plus, si elle était honnête.
"Est-ce que tout va bien ?" demanda-t-il, soudain soucieux. "Qu'est-ce que tu voulais me dire qui ne pouvait pas attendre une lettre ?"
Hermione sentit son cœur pulser contre le bout de ses doigts d'appréhension. Elle détestait ça. Mentir. Mais elle n'avait pas le choix. Elle détourna légèrement le regard du visage soucieux de son père et lui dit d'une traite :
"J'ai réalisé que j'ai encore énormément de travail à faire ici, et je ne pense pas que ça serait raisonnable de rentrer pendant les vacances. Tout le monde reste à Poudlard ici, et avec les BUSES qui approchent, je pense que je ferai mieux de faire de même, pour réviser… Tu comprends ?"
Les traits de son père s'affaissèrent à vue d'œil en entendant ça.
"Oh, mais… Tu pourrais prendre tes manuels dans les Alpes. Personne ne te verra dans le chalet, tu pourras même sortir ton chaudron et tes manuels, et on pourra peut-être te faire réviser, ta mère et moi ?"
Hermione aurait pu jurer sentir son coeur se gonfler en entendant ça.
"J'aurais adoré, papa, et je sais que vous attendiez les vacances de ski avec impatience, mais… J'ai besoin de la magie pour travailler, et quand je sors de Poudlard je ne peux pas pratiquer… Je détesterais rater mes BUSES à cause de ça."
Le pli soucieux entre les deux sourcils de son père s'effaça et il secoua la tête :
"Non, effectivement, tu as raison. Il vaut mieux que tu travailles à ton rythme. Je sais que tu prends tes études à cœur et je n'aimerais pas que tu gâches tes vacances à angoisser pour tes révisions. Il y aura plein d'autres voyages au ski, d'accord ? Ne te préoccupe pas pour ça."
"D'accord." dit Hermione, qui se retenait à grand peine de ne pas fondre en larmes. "Merci, papa."
"Toujours, Mimi. J'en connais un qui va être déçu de ne pas venir te chercher à la gare, par contre."
Hermione n'avait pas besoin de l'entendre dire son prénom pour deviner de qui parlait son père.
"Je lui écrirai une lettre pour m'excuser." dit-elle, le plus sincèrement possible. "Je suis vraiment désolée, papa. Je vous enverrai vos cadeaux de Noël au plus vite."
Son père eut un sourire triste :
"C'est toi qui va nous manquer, Mimi. Pas tes cadeaux de Noël."
Hermione fut sur le point de s'excuser une nouvelle fois mais son père ajouta :
"Enfin, si tu m'envoies ces délicieux chocolats de Pré-Au-Lard, je te pardonnerai plus vite."
Hermione eut un petit rire et le sourire de son père s'élargit.
"Alors, tout va bien là-bas ?" demanda-t-il. "Mon Dieu, ça me sidère que je suis en train de te parler dans la cheminée. Ta mère ne va jamais me croire quand je vais lui raconter."
"Tout va bien." répondit Hermione, la gorge serrée par le mensonge.
"Harry et Ron vont bien ? Tu continues toujours l'herbier avec Neville ?"
Hermione hocha la tête et sentit les bûches frôler son menton.
"Oui, parfaitement bien. Ils ont beaucoup de retard dans leurs révisions, ils sont bien contents que je reste pour que je puisse les aider. Et on a presque terminé l'herbier avec Neville, il nous manque juste quelques fleurs qui ne poussent qu'au printemps, comme la moly ou la narcisse."
"Parfait, super…"
Son père bâilla soudain et Hermione leva la tête par réflexe pour essayer de regarder l'heure mais sa vision était trop limitée pour apercevoir l'horloge.
"Pourquoi étais-tu réveillé si tôt ?" demanda-t-elle.
"Oh, j'avais juste un petit creux, je comptais aller me recoucher, c'est un bon hasard que tu… appelles à ce moment-là." dit son père, incertain du mot à employer pour un tel phénomène.
"Une orangette ?" demanda Hermione avec un sourire, les larmes menaçant sérieusement de couler en pensant à son père, en train de manger une orangette et un thé, seul à la table de la cuisine.
"Non, un biscuit au gingembre." dit-il, lui aussi un peu ému. "Les orangettes, c'est que nous deux."
Hermione sentit une larme couler et elle espéra que son père ne pouvait pas la voir avec la cendre.
Après lui avoir promis de le tenir au courant par lettres, et lui avoir souhaité un bon séjour au ski, Hermione recula enfin de la cheminée. Ses genoux étaient endoloris et son cou lui faisait mal à cause de la position étrange. Elle se releva avec difficulté, et se retourna. McGonagall se tenait derrière son bureau, juste à côté de la cage de Pattenrond qu'Hermione avait posée là. Elles se regardèrent une seconde, et Hermione savait qu'elle venait d'entendre toute la conversation. Elle savait qu'elle avait menti, qu'elle ne comptait pas rester à Poudlard pour réviser. Qu'Harry et Ron n'allaient pas bien. Mais la Professeure ne fit pas de commentaire.
"Êtes-vous prête ?" demanda-t-elle plutôt.
"Oui, prête."
Elle reprit sa malle et son chat, qui affichait un air de pur outrage à l'idée de s'être fait réveillé de la sorte, et elles sortirent du bureau. Il n'y avait personne au premier étage, mais le Château n'était pas aussi inanimé qu'avant : Hermione pouvait entendre des bruits de pas au-dessus de leurs têtes et des éclats de voix provenant sans doute de la Grande Salle. McGonagall prit une porte dérobée derrière une statue et elles se retrouvèrent dans la cour de Poudlard. Elles marchèrent en silence jusqu'à la grille de l'école. Hermione pouvait sentir le froid s'insinuer dans les mailles de son pull et se retint de lever la tête pour contempler le ciel, là où Drago l'avait embrassée sur son balai. Comment est-ce que ça ne pouvait faire qu'une journée ? Hermione avait l'impression que ça faisait des semaines.
Les grilles s'ouvrirent magicalement à leur passage et McGonagall l'emmena un peu plus loin, là où les calèches s'arrêtaient généralement pour déposer les élèves. Hermione s'attendait à ce que l'une d'entre elles sorte de la pénombre, mais McGonagall répondit à sa question en brandissant sa baguette dans l'air. En à peine une minute, un appel d'air puissant fit reculer Hermione. Pattenrond feula dans sa cage.
Le Magicobus était garé devant elles.
McGonagall, dont l'apparence n'avait pas changé alors que les cheveux d'Hermione avaient probablement triplé de volume à cause de la bourrasque, rangea sa baguette et s'approcha du bus. Stan Rocade, le contrôleur, sortit par la porte arrière et récita d'une voix forte :
"Bienvenue à bord du Magicobus, transport d'urgence pour sorcières et sorciers en perdition. Faites un signe avec votre baguette magique et montez, montez, nous vous…"
"Ça va, ça va, Mr. Rocade !" interrompit McGonagall d'une voix irritée.
Dès qu'il entendit la Professeure, Stan s'arrêta dans un bégaiement craintif et son visage prit une teinte rouge vif.
"Oh, bon-... bonjour, Professeure McGonagall. Comment…"
"Très bien, je vous remercie." coupa-t-elle sèchement. "Je vous confie Miss Granger. Elle a besoin de se rendre à Londres."
Stan ne lâcha pas McGonagall du regard et hocha la tête comme si elle venait de lui attribuer un devoir de Métamorphose.
"Combien coûte le ticket ?" demanda McGonagall.
"Onze Mornilles, mais pour vous, c'est gratuit, Professeure."
McGonagall haussa les sourcils.
"Oh, merci Mr. Rocade, c'est très aimable de votre part."
Hermione se demanda si elle n'avait pas prévu de se faire offrir le ticket, étant donné qu'elle n'avait rien d'autre que sa baguette, mais elle feignait si bien la surprise que c'était difficile d'en être sûre.
McGonagall se tourna vers Hermione et lui offrit un de ses rares sourires :
"Bien, alors, je vous souhaite d'excellentes vacances Miss Granger. Profitez bien de vos parents et revenez-nous en forme. Et n'oubliez pas de leur transmettre mes sincères amitiés."
Elle devina le message caché sans la moindre difficulté. Hermione acquiesça et remercia sa Professeure tandis que Stan montait sa malle dans le bus.
Quand elle monta à bord du Magicobus, Hermione fut surprise de constater à quel point il était plein par rapport à la dernière fois qu'elle l'avait pris. Tout l'étage du bas était occupé.
Stan monta sa malle dans les escaliers et Hermione le suivit en naviguant difficilement entre les sièges occupés par des voyageurs plus ou moins malades. Le deuxième étage était moins rempli, mais Stan monta jusqu'au troisième où seulement trois sièges étaient occupés, l'un d'entre eux par une sorcière assoupie entourée de dix cages d'hiboux.
"Il y a pas mal de monde aujourd'hui, avec les fêtes et tout ça." dit Stan en posant la valise sur le siège de devant. "Hé, mais je me rappelle de toi !" s'exclama-t-il en voyant le visage d'Hermione pour la première fois depuis qu'il était arrivé. "Tu es déjà venue, non ?"
"Oui, l'année dernière." répondit-elle.
"Je me souviens de toi." dit Stan avec un clin d'œil qu'il devait penser séducteur. "'Fin bref, on va devoir déposer pas mal de monde avant d'arriver à Londres."
Il faisait bien plus le malin quand McGonagall n'était plus là. Hermione était persuadée que si ça avait été elle à bord de son bus, elle aurait été déposée en première, mais elle n'osa pas le faire remarquer et se prépara mentalement à affronter la nausée monstrueuse qui l'attendait en restant trop longtemps ici.
"D'accord, je comprends." dit-elle en installant la cage de Pattenrond à côté d'elle.
Le bus démarra à cet instant, dans un bruit si fort qu'Hermione sursauta et faillit renverser son pauvre chat à la renverse. Stan ne sembla même pas remarquer la secousse.
"Je peux te servir quelque chose ? Chocolat chaud, thé ?"
"Non, rien, merci." dit-elle.
"Très bien, tu m'appelles si tu as besoin de quoique ce soit." proposa-t-il. "Au fait, où veux-tu aller à Londres ?"
Hermione faillit prononcer l'adresse avant de se rappeler de l'avertissement de McGonagall.
"King's Cross." répondit-elle. "J'y retrouve mes parents en début d'après-midi."
"D'accord, ça marche… Merlin, ce chat !"
Pattenrond lui lança un regard plein de haine et Stan bafouilla une excuse pour redescendre.
Hermione sortit la couverture que sa maman lui avait tricotée de sa malle et s'emmitoufla dedans. Elle ne pouvait définitivement pas lire, les turbulences que causait la vitesse du bus lui donnerait envie de vomir en moins de cinq minutes. Hermione posa sa tête sur le siège et regarda donc distraitement le paysage défiler, passant de la plage à des rues pavillonaires en quelques secondes, dans des "BANG" sonores qui faisaient sursauter le pauvre Pattenrond. Hermione pouvait entendre les voyageurs dans les étages inférieurs s'insurger, ou Stan hurler des noms de lieu à chaque arrêt. Les hiboux de la sorcière derrière Hermione hululaient dès que leur cage glissait sur le sol.
Et ce fut dans cette cacophonie qu'Hermione s'endormit profondément, épuisée par les événements des dernières heures.
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Quand Hermione se réveilla, le soleil éclairait la route et Pattenrond dormait en boule dans sa cage. Il n'y avait plus personne à son étage, la dame aux hiboux était partie. Elle n'avait aucune idée de l'heure qu'il était, de l'endroit où ils se trouvaient, ou même comment elle avait bien pu s'endormir avec toutes ces secousses. À chaque fois qu'un paysage changeait, le bus bondissait littéralement et retombait sur ses roues cabossées. Sans compter les arrêts brusques qui la propulsaient de son siège.
Hermione replia la couverture de sa mère et essaya de regarder le plus loin possible par la fenêtre pour ne pas se sentir nauséeuse. Une dizaine de minutes plus tard, Stan revint :
"Ah, tu es réveillée !" s'écria-t-il.
"J'ai dormi longtemps ?" demanda Hermione, un peu déboussolée.
"Ouais, un peu. J'ai voulu te réveiller y'a une heure mais t'avais l'air d'avoir besoin de dormir. Ne le prend pas mal."
Hermione secoua la tête et frotta ses paupières gonflées par la fatigue et ses larmes de la nuit dernière.
"On arrive à Londres dans quinze minutes, le temps de déposer Mr. Bishop à son arrêt." annonça le contrôleur.
"Très bien, merci."
Elle regarda la route en face d'elle. C'était une autoroute. Plusieurs voitures moldues roulaient à côté du bus, qui arrivait à se faufiler entre ces dernières à plus de trois-cent kilomètres heure. Stan redescendit quand le Magicobus s'arrêta dans une rue passante d'Oxford.
"OXFORD !" hurla le contrôleur.
Hermione entendit les portes s'ouvrir, une malle tomber sur le sol, les portes se refermer, puis le bus repartit dans un "BANG !" Hermione s'agrippa machinalement à l'accoudoir pour ne pas tomber.
"Londres dans cinq minutes !" avertit Stan, alors Hermione prit sa malle et Pattenrond et descendit les trois étages du bus, non sans manquer de tomber plusieurs fois. Quand Stan lui proposa de l'aider, elle refusa poliment, parce qu'elle n'avait pas très envie que ses bagages subissent le même sort que celles des autres passagers.
"LONDRES !" annonça Stan quand le bus s'arrêta enfin. "Joyeux Noël !"
"Joyeux Noël !" répondit Hermione en sortant.
Ses jambes et son cou étaient raidis par le voyage. Elle se massa l'omoplate en observant Londres autour d'elle : les voyageurs pressés qui rentraient et sortaient de King's Cross, les voitures arrêtées au feu rouge, les passants qui marchaient avec des poussettes ou des chiens en laisse. Hermione avait du mal à croire qu'elle était dans sa propre ville, mais qu'elle n'allait pas voir ses parents. Ou Danny. La pensée de leur avoir menti lui était insupportable. Mais elle savait que c'était pour une bonne raison. Ron et Harry avaient besoin d'elle.
Elle marcha vers le Square Grimmaurd en essayant de se souvenir du trajet qu'ils avaient fait avec Arthur en Septembre, et finit par retrouver son chemin. Elle se retrouva face à la maison qui portait le numéro 12, invisible des Moldus. Elle prit une grande inspiration et sonna.
Dès qu'on ouvrit la porte, Hermione fut accueillie par des hurlements stridents provenant du tableau de la mère de Sirius. Un flot d'insultes en continu lui perça les tympans et elle grimaça de surprise.
"Hermione, tu es là !" s'écria une voix féminine.
Hermione eut à peine le temps de répondre qu'un rideau de cheveux roux et que des bras étonnamment puissants l'encerclèrent avec force. Elle n'eut pas besoin de ses yeux pour deviner qui c'était, le parfum floral qui embaumait toujours les cheveux de Ginny était reconnaissable entre mille. Hermione lâcha sa malle et s'empressa de serrer sa meilleure amie dans ses bras. Elles s'étaient vues il y a deux jours, pourtant, Hermione avait la sensation que Ginny lui avait manqué depuis bien plus longtemps.
"Oh, Ginny, je suis tellement désolée…" chuchota Hermione contre son épaule.
"Désolée de quoi ? Ce n'est pas de ta faute." répliqua vivement Ginny. "Rentre, je ne veux pas qu'on t'aperçoive sur le palier."
Hermione obéit et rentra dans la maison. L'odeur de renfermé qu'Hermione avait subi tout l'été lui prit les narines et, combiné avec les cris de Mrs. Black, un mal de tête vint tout de suite se loger contre ses tempes.
"Ah, Hermione, c'est toi !" lança joyeusement Sirius en la voyant depuis le bout du couloir.
Il avait l'air de très bonne humeur. Il était vêtu d'une élégante chemise pourpre, d'une guirlande sur l'épaule et d'un grand sourire.
"Merci de m'avoir invitée pour les fêtes, Sirius." dit Hermione poliment.
"Tu plaisantes ? Tu es toujours la bienvenue, Hermione !" dit-il en parcourant les quelques mètres qui les séparaient, ignorant royalement sa mère qui continuait de prôfaner des horreurs. Il la prit dans ses bras et Hermione lui rendit l'étreinte. Quand il s'éloigna de nouveau vers la cuisine en fredonnant une musique de Noël, Hermione attira Ginny en bas des escaliers pour l'interroger :
"Alors, comment va-t-il ?"
"Lequel ?" demanda ironiquement Ginny.
Hermione fronça les sourcils :
"Lequel ? Il y a eu plusieurs attaques ?"
"Non, non." dit Ginny en se passant une main dans ses cheveux parfaitement lissés. "Désolée, je n'ai pas dormi de la nuit et je suis d'humeur fracassante. Papa va bien, du moins, assez bien pour quelqu'un qui s'est fait mordre par un serpent."
"Et Ron ? Fred, George ? Ta mère ?"
"La nuit n'a pas été facile, mais tout le monde va bien. On est allés à Ste Mangouste ce matin, papa était en forme, mais il a refusé de nous dire comment il avait pu se faire mordre par un serpent."
Une ombre de quelque chose passa sur le visage de Ginny quand elle termina sa phrase. Hermione n'eut pas le temps de déterminer si c'était de la colère ou de l'inquiétude quand des pas retentirent dans le couloir et que Ron, le visage plus blême que jamais, apparut soudain. À l'instant où il vit Hermione, ses traits contractés par l'angoisse se détendirent et il se jeta sur elle pour la prendre dans ses bras :
"Oh Mione, Merlin tu es là."
Une nuée de papillons s'envola dans son estomac en l'entendant prononcer ces mots avec tant de soulagement. Elle aurait été incapable de lui dire à quel point elle avait été inquiète pour lui depuis la veille, alors elle essaya de lui transmettre son soutien par la force de ses bras contre son cou. Ils restèrent une ou deux secondes entrelâcés l'un à l'autre et quand ils se détachèrent, Hermione nota l'expression interloquée de Ginny à côté d'eux.
"Ron, je suis désolée pour ton père…"
"Merci, Mione, tout va bien. Il va bien, c'est le principal." dit le rouquin avec un pâle sourire. "Je suis tellement content que tu sois là."
"Moi aussi. J'avais hâte de vous retrouver, j'ai pratiquement supplié Dumbledore de m'emmener ici hier. Où est Harry ?"
Elle regarda par-dessus l'épaule de Ron, s'attendant presque à entrevoir des cheveux noirs et une cicatrice en forme d'éclair, mais il n'y avait personne. Dès qu'elle mentionna son nom, Ron retrouva son air maussade et Ginny sa mauvaise humeur.
"Il est enfermé dans le grenier avec Buck. Il refuse de sortir depuis qu'on est rentrés de Ste Mangouste." dit-elle, d'un ton clairement désapprobateur.
"Quoi ?" s'étonna Hermione. "Mais pourquoi ?"
"Tu sais qu'il a eu une vision ?" demanda Ron. "C'est Harry qui a vu le serpent attaquer papa. C'est grâce à lui qu'on a pu l'aider à temps."
"Oui, je sais, Seamus et Neville me l'ont dit." dit Hermione. "Mais alors, pourquoi refuse-t-il de descendre ?"
Une porte claqua et Ginny posa son doigt sur sa bouche pour les intimer de se taire.
"Venez." dit Ron à voix basse en les conduisant dans les escaliers.
Ils allèrent dans la chambre de Ron et d'Harry au deuxième étage. La pièce n'était habillée que d'un tableau vide avec une toile marron, de deux lits poussiéreux avec des draps verts et d'une cheminée ancienne. Ron s'assit sur le lit d'Harry et se passa une main sur le visage : il avait l'air exténué. Quand il prit la parole, on aurait dit qu'il avait de nouveau onze ans.
"Tout à l'heure, quand on est allés à Ste Mangouste pour rendre visite à papa, Fred et George ont voulu écouter la conversation qu'ils avaient tous derrière la porte, juste pour savoir ce qui était vraiment arrivé."
Hermione hocha la tête, s'attendant au pire.
"Maugrey était là, avec Tonks et maman." continua-t-il, les yeux fixés sur le parquet. "Elle a dit que Dumbledore s'était attendu à ce qu'Harry ait ce genre de vision, qu'il n'avait pas l'air très surpris. Et Maugrey a dit que ça voulait sûrement dire qu'Harry…"
Il parut réfléchir à un moyen de terminer sa phrase, mais sa soeur le fit à sa place :
"Maugrey a dit que Tu-Sais-Qui avait pris possession de lui."
Hermione fronça davantage les sourcils.
"Pris possession ?" répéta-t-elle.
"Oui, et depuis, Harry se sent coupable. Il est persuadé que c'est lui qui a attaqué papa hier soir."
"Quoi ?! Mais c'est impossible !" répondit vivement Hermione.
"On le sait bien, mais Harry en est persuadé, et il refuse de nous adresser la parole depuis ce matin." répondit Ginny, exaspérée.
La porte s'ouvrit et Hermione se retourna. Mrs. Weasley se tenait dans l'embrasure, un plateau de sandwich à la main. Ses yeux étaient bouffis et ses cheveux tout décoiffés, mais quand elle vit Hermione, son visage pâle s'anima d'un sourire chaleureux :
"Oh, je croyais bien avoir entendu ta voix, Hermione !" dit-elle en posant le plateau à côté de Ron.
Elle la prit dans ses bras et la culpabilité qui lui compressait l'oesphage depuis la veille s'atténua un peu.
"Merci de m'accueillir ici pendant les fêtes, Mrs. Weasley." dit Hermione dès que la mère de Ron s'éloigna d'elle. "Je suis désolée pour Mr. Weasley."
"Plus de peur que de mal ma chérie, mais merci, ça me fait très plaisir que tu sois là parmi nous." dit Mrs. Weasley en lui tapotant amicalement la main. "Tes parents ne sont pas trop tristes de ne pas t'avoir pour Noël ?"
"Non, ils partent au ski." répondit-elle.
"Ah, Arthur a toujours rêvé d'y aller, et j'ai toujours refusé ! Je t'en prie, ne lui mentionne pas la prochaine fois que nous irons le visiter à Ste Mangouste, il me suppliera de l'y emmener en Février…" dit-elle avec un clin d'œil.
Hermione ressentit une vague de soulagement en l'entendant parler de son mari de la sorte. Tout était revenu à la normale, Arthur n'allait pas mourir. Mrs. Weasley se tourna et donna une grande tape dans la nuque de Ron en le voyant manger la moitié des sandwichs :
"Ronald ! Ce n'est pas pour toi, c'est pour Harry !"
Ron s'étrangla sur sa bouchée et protesta :
"Mais je mange quand je suis stressé !"
"Laisse-en pour ton meilleur ami, il n'a pas mangé depuis Merlin-sait-quand et il refuse de descendre de ce grenier."
"Je vais le chercher." décréta Hermione.
"Très bien. Sirius est en train de décorer la maison pour Noël, vous pourrez descendre l'aider un peu plus tard ?"
"Oui maman." répondirent en chœur Ginny et Ron.
Mrs. Weasley hocha la tête et pointa sa baguette sur la cheminée de la chambre pour y projeter un feu, qui réchauffa immédiatement la pièce glaciale.
"Attendez-moi ici, je vais chercher Harry."
Ginny s'assit à côté de Ron et croisa ses bras sur sa poitrine. Hermione monta les escaliers jusqu'au dernier étage de la maison, le plus froid de tous, et frappa à la porte du grenier :
"Harry ?" appela-t-elle. "Je sais que tu es là. Je peux entrer ?"
Elle entendit des pas se rapprocher et la porte s'ouvrit. Harry était dans le même état que les Weasley, avec des poches sous les yeux accentués par ses lunettes et ses cheveux tellement ébouriffés qu'ils ressemblaient presque à ceux d'Hermione après un cours de Potions dans les cachots.
"Qu'est-ce que tu fais ici ?" demanda-t-il, clairement surpris de la voir. "Je croyais que tu étais partie faire du ski avec tes parents ?"
Hermione se retint de ne pas se jeter sur Harry pour l'étreindre comme Ron. Elle était tellement heureuse de le voir après avoir passé toutes ces heures à s'inquiéter pour lui… Mais elle savait qu'Harry n'était pas du genre tactile. Elle le connaissait par cœur, elle savait pertinemment qu'il s'était refugié là pour s'isoler et se morfondre.
"Pour t'avouer la vérité, je n'aime pas vraiment le ski." répondit-elle, la même confession que Drago lui avait arraché deux jours auparavant. "Alors, je suis venue passer Noël ici. Mais ne le répète pas à Ron. Je lui ai dit que le ski était un sport merveilleux parce qu'il n'arrêtait pas d'en rire. Mes parents sont un peu déçus mais je leur ai expliqué que tous ceux qui préparent sérieusement leurs examens restent à Poudlard pour travailler. Et comme ils veulent que je réussisse, ils comprendront. Bon, maintenant, allons dans ta chambre. La mère de Ron y a allumé un feu et elle a apporté des sandwiches."
À sa grande surprise, Harry la suivit. Il devait être affamé. Ils redescendirent au deuxième étage et entrèrent dans la chambre. Quand il vit Ron et Ginny assis sur le lit, il se raidit.
"Je suis arrivée par le Magicobus." dit Hermione, qui voulait diffuser la tension en lui expliquant son arrivée pour ne pas le mettre mal à l'aise. "Dumbledore m'a raconté ce qui s'est passé hier matin mais il a fallu que j'attende la fin officielle du trimestre pour pouvoir quitter Poudlard. Ombrage est déjà furieuse que vous ayez disparu sous son nez, même si Dumbledore lui a dit que Mr Weasley était à Ste Mangouste et qu'il vous avait donné la permission de partir. Bon, alors…" Elle s'assit à côté de Ginny. "Comment tu te sens ?"
Harry plissa les yeux de méfiance et contempla les trois personnes en face de lui une par une.
"Très bien." mentit-il.
"Ne mens pas, Harry." répliqua Hermione. "Ron et Ginny m'ont dit que tu te cachais de tout le monde depuis ton retour de Ste Mangouste.
"Ah, ils ont dit ça ?" demanda-t-il agressivement en regardant les deux concernés.
Ron baissa la tête, mais Ginny leva le menton avec dédain :
"En tout cas, c'est ce que tu as fait !" lança-t-elle. "Et tu ne nous regardes même plus !"
"C'est vous qui ne me regardez plus !" dit Harry avec colère.
"Peut-être que vous vous regardez à tour de rôle mais jamais en même temps." suggéra Hermione pour détendre l'atmosphère.
"Très drôle." dit Harry d'un ton sec en se détournant. Il se mit devant la fenêtre au carreau cassé et fit semblant de regarder la neige tomber.
"Arrête de jouer les incompris. Écoute, les autres m'ont raconté ce que vous avez entendu l'autre jour avec les Oreilles à rallonge…" continua Hermione.
"Ah ouais ?" grogna Harry. "Alors, comme ça, vous parlez tous de moi ? Remarquez, je commence à m'y habituer."
La froideur de sa voix était méconnaissable. Ça lui rappelait le moment où il avait hurlé sur elle et Ron après n'avoir eu aucune nouvelle d'eux pendant l'été, dans cette même pièce. Cette fois-ci, cependant, Ginny ne lui laissa pas le temps de s'énerver :
"C'est à toi qu'on voulait parler, Harry ! Mais comme tu n'arrêtes pas de te cacher depuis qu'on est rentrés…"
"Je n'avais pas envie qu'on me parle." asséna-t-il de plus en plus irrité.
"C'est quand même un peu bête de ta part." s'emporta Ginny. "La seule personne que tu connaisses qui ait jamais été possédée par Tu-Sais-Qui, c'est moi. J'aurais pu te dire quel effet ça fait."
Harry resta immobile, frappé par les paroles de Ginny. Hermione et Ron eurent le même frisson en repensant à ça. Harry se tourna sur lui-même pour la regarder en face.
"J'avais oublié." admit-il.
Hermione se retint de lever les yeux au ciel. Le champion du tact en personne.
"Tu as bien de la chance." répliqua Ginny avec véhémence.
"Je suis désolé." dit sincèrement Harry, d'une voix beaucoup plus calme. "Alors… vous pensez que je suis possédé, hein ?"
"Est-ce que tu te souviens de tout ce que tu as fait ?" demanda Ginny. "Est-ce que tu as l'impression qu'il y a de longues périodes de blanc pendant lesquelles tu ne sais plus ce qui s'est passé ?"
Harry leva les yeux vers le plafond pour réfléchir.
"Non." finit-il par dire.
"Dans ce cas, Tu-Sais-Qui ne t'a jamais possédé." répondit simplement Ginny. "Quand il a pris possession de moi, il m'arrivait de ne plus savoir ce que j'avais fait pendant plusieurs heures d'affilée. Tout d'un coup, je me retrouvais quelque part sans savoir comment j'y étais arrivée."
"Mais quand j'ai rêvé de ton père et du serpent…"
"Harry, tu as déjà eu des rêves dans ce genre-là avant." interrompit Hermione. "L'année dernière, tu voyais parfois ce que Voldemort était en train de faire."
"C'était différent. Cette fois-ci, j'étais à l'intérieur du serpent. C'est comme si c'était moi le serpent… Et si Voldemort avait réussi à me transporter à Londres ?"
"Un jour, tu te décideras peut-être à lire L'Histoire de Poudlard, et tu te souviendras alors qu'il est impossible de transplaner à Poudlard, ni pour y venir, ni pour en sortir. Même Voldemort ne parviendrait pas à t'arracher à ton dortoir, Harry."
"Tu n'as pas quitté ton lit, mon vieux." assura Ron. "Je t'ai vu t'agiter pendant au moins une minute dans ton sommeil avant qu'on arrive à te réveiller."
Harry se mit à faire les cent pas dans la pièce. Sans s'en rendre compte, il prit un des sandwichs et le fourra dans sa bouche. Hermione le vit comme un bon signe.
"Harry… Tu sais que tu n'as pas à t'isoler de la sorte quand tu as un problème." dit Hermione à voix basse.
Harry s'arrêta dans sa marche, la bouche à moitié pleine de pain.
"On est là pour toi." continua Ron avec une sincérité rare. "On ne te jugera jamais. Tu peux tout nous dire, d'accord ?"
Harry évita leur regard et s'appliqua à manger son morceau de sandwich le plus lentement possible.
"Ouais, je sais… Merci."
"Bon, allons aider Sirius." dit Ginny en se levant. "Ça ne sert à rien de ressasser les mauvais moments. C'est Noël, merde."
"Miss. Weasley, votre langage !" s'insurgea Ron et tout le monde éclata de rire en sortant de la pièce.
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Drago
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Pour la deuxième nuit consécutive, Drago dormit très mal. Son sommeil était ponctué de réveils nocturnes où il se sentait obligé de lever la tête pour vérifier que Blaise dormait toujours. Ce dernier avait laissé ses rideaux ouverts, et Drago pouvait deviner sa silhouette étalée sur le matelas, avec sa couette à moitié par terre et ses bras déployés au-dessus de sa tête.
Dès qu'il fermait les yeux, Drago voyait aussi le visage strié de larmes et les yeux rouges et larmoyants de Granger imprimés sur ses paupières. Ses rêves étaient un mélange des cris rauques et paniqués de Granger, et des râles de douleur de Blaise. Il se réveilla en sursaut tellement de fois qu'il en réveilla Pansy.
Quand Drago se fit finalement réveillé à une heure bien trop matinale par une léchouille d'Eris sur sa joue, il eut beaucoup de mal à contenir un hurlement de protestation. Il repoussa le chien le plus gentiment possible et essaya de se rendormir, en vain. Chaque inspiration que prenait Blaise mettait ses sens en alerte. Il n'arrêtait pas de penser à l'apparition du Patronus de sa mère, la veille. Si elle envoyait un tel message, c'était qu'il y avait vraiment besoin de s'inquiéter. Ce n'était pas normal. Qu'est-ce qui pouvait bien arriver à son meilleur ami ? Il n'y connaissait rien en magie noire. Son père aurait sûrement la réponse, mais comment lui demander ? Hey Père, mon meilleur ami a fait une terreur nocturne qu'il appelle "vision" où il s'est fait brûlé vivant, ça veut dire quoi ?
Drago était dans un état de mauvaise humeur suffisamment avancé ce matin-là, alors quand il arriva dans la Grande Salle et qu'il constata que Granger n'était pas assise à la table des Gryffondors, ce fut la goutte de trop. Elle aurait très bien pu être en train de dormir, sachant qu'elle s'était endormie i peine quelques heures, mais pourtant, Drago savait qu'elle n'était plus dans le Château. Il n'avait aucune idée de comment il le savait, si c'était son institution, de la paranoïa, ou simplement à cause de ses paroles de la veille, mais il savait qu'elle était déjà partie. Comment et où, il n'en savait rien. Ce qui avait le don de l'agacer.
Sa théorie se confirma quand ils arrivèrent à Pré-Au-Lard. La gare était embrumée par le brouillard d'hiver, et le Poudlard Express rouge étincelant attendait sur les rails. Les élèves riaient ensemble ou montaient chacun de leur côté dans le train pour retrouver leurs parents. Drago ne reconnut pas les cheveux de Granger. Ça ne l'empêcha pas de regarder chaque personne qui portait une cage de chat sur le quai, au cas-où.
Drago et Pansy furent contraints d'aider les premières années à prendre le train, devoir de préfets, bien que Drago pensait que s'il fallait de l'aide pour monter dans un train, c'était qu'il fallait être complètement stupide. Beaucoup de compartiments étaient vides, et Granger n'occupait aucun d'entre eux. Quand Drago retrouva sa place auprès de Blaise, Pansy et Théo, il ressentait le besoin primitif de taper dans quelque chose, juste pour défouler cette frustration.
Apparemment, ses amis avaient décidé mutuellement de ne pas parler de ce qu'il s'était passé la veille. Aucun d'entre eux n'évoquèrent le Patronus de la mère de Blaise. Drago avait l'impression que c'était plus par peur que par distraction, parce que la mère de Blaise avait toujours été impressionnante, et que Blaise avait la fâcheuse tendance à s'insurger dès que quelqu'un osait faire une remarque sur elle. Théo et Pansy évitèrent donc soigneusement le sujet, ce qui exaspérait Drago au plus haut point. Il poussa des soupirs réguliers pendant le voyage, presque tenté d'aller rejoindre Crabbe et Goyle dans l'autre wagon. Quand il regarda le paysage défiler en se demandant où Granger pouvait bien être, Blaise lui dit :
"Tu devrais dormir, Dray. T'as une tête épouvantable."
Drago leva paresseusement la tête.
"Je te retourne le compliment." dit-il sèchement.
Pansy fit un bruit indigné avec sa langue. Blaise ne semblait pas offensé. Au contraire, Drago pouvait presque voir un éclat d'amusement dans ses yeux caramel.
"Quelqu'un est de bonne humeur aujourd'hui." commenta-t-il, presque chantonnant. "Aurais-tu l'obligence de nous confier tes états d'âme ?"
Drago fut tenté de lui répliquer une remarque cinglante, méchante, visée pour faire mal. Quelque chose sur sa "vision", sur le fait qu'il devenait fou, juste que l'adrénaline de la répartie lui réchauffe les veines, juste pour faire disparaître le nuage de pensées noires qui lui embrumait la tête depuis qu'il était arrivé sur ce banc. Mais il ne le fit pas. L'amerture de sa moquerie lui brûla la langue, et il tourna la tête vers la fenêtre avec un grognement pour éviter de répondre.
Blaise abandonna et plus personne ne lui parla de tout le trajet.
Sa mère l'attendait dans la gare. Quand il la vit, il Occluda pour ne pas qu'elle voit l'angoisse ronger ses traits. Elle lui empoigna le bras en guise de retrouvailles. Il n'y avait pas de Weasley sur le quai, pas de Weasley mère qui serrait ses enfants à tour de rôle dans ses bras, et Drago se surprit à espérer que cette femme n'était pas en train de souffrir du deuil de son mari actuellement. Il secoua la tête à une pareille pensée : il devait vraiment être épuisé pour souhaiter ce genre de choses.
Il se laissa conduire par sa mère après avoir dit au revoir à ses amis, et ils transplanèrent au Manoir. Dès qu'ils eurent posé un pied dans le hall, sa mère détacha sa main de son bras et se précipita vers les cuisines. Drago savait qu'à cette période de l'année, avec le Bal de Noël qui approchait, sa mère était indisponible. Elle passait les jours précédant Noël à organiser la fête et les jours suivants à en discuter avec chacune de ses amies autour d'un thé. Drago ne la voyait que rarement pendant les fêtes, ce qui était assez ironique, maintenant qu'il y pensait. Noël n'était pas censé être une fête où on retrouvait sa famille ?
Il laissa sa valise là et monta lentement les marches de l'escalier jusqu'à ses appartements. Quand il entra, il ne reconnut pas l'espace autour de lui. Il ne connaissait aucun livre de la bibliothèque, il ne s'était jamais assis à cette chaise, il n'avait jamais vu le tableau au-dessus de son bureau. Son lit avait l'air d'être fait en marbre et pas du tout confortable. Il n'y avait aucun bruit dans sa chambre, si bien que les discussions du Poudlard Express de Pansy, Blaise et Théo lui manquaient déjà. À Poudlard, il était toujours entouré par un brouhaha constant, que ce soit dans la Grande Salle, en classe, ou même dans le dortoir. Il était bercé par la voix de ses amis en permanence. Là, dans le silence fulgurant de sa chambre, Drago se retrouva plus seul que jamais.
Chubby toqua timidement à la porte et Drago l'invita à entrer d'une voix faible.
"Bonsoir Maître Drago." salua l'elfe en lui faisant une révérence. "Où Chubby peut mettre votre malle, monsieur ?"
"Là, sur le lit." indiqua-t-il. "Merci, Chubby."
"Avec plaisir, Maître Drago." répondit l'elfe. Il claqua des doigts, et la malle tomba sur le lit. "Votre mère a demandé à Chubby de vous dire que vous dînerez avec elle à 19h pile."
"D'accord, très bien… Et, Chubby ?"
L'elfe se retourna :
"Oui, Maître ?"
"Est-ce que mon père est ici ?" demanda-t-il, le cœur battant.
"Non. Il ne reviendra que demain, normalement." répondit Chubby, apparemment lui aussi soulagé de savoir que Lucius était absent.
"Très bien, merci."
L'elfe transplana et Drago se retrouva seul. Il contempla la neige qui tombait par la fenêtre en se demandant où Granger pouvait bien être. Penser à elle dans cette maison était dangereux, mais Drago ne pouvait pas s'en empêcher. Elle avait passé l'été avec Sirius Black, était-elle avec lui en ce moment-même ? En cavale ? Ou était-elle seulement avec les Weasley ? Avec Ron Weasley ?
Drago passa le reste de sa soirée dans la bibliothèque du Manoir, seul, à méditer pour fortifier son Occlumancie jusqu'à l'épuisement.
..
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Les jours qui précédèrent Noël furent ennuyeux et redondants. Drago passa la majorité de son temps chez Blaise pour éviter son père, et ne revenait qu'aux dîners pour passer un peu de temps avec sa mère. Elle ne lui posa pas beaucoup de questions sur l'école contrairement aux autres années. Elle avait l'air préoccupée par quelque chose, et Drago la connaissait suffisamment pour savoir que ce n'était pas qu'à cause du Bal. En fait, il la suspectait même d'utiliser cette excuse pour penser à autre chose. Peut-être était-elle inquiète de savoir que Lucius était en mission.
Drago, lui, n'éprouvait aucun tourment à l'idée que son père puisse être en train de jouer sa vie quelque part au service du Mage Noir le plus terrifiant de tous les temps. Il était plutôt soulagé à l'idée qu'il ne soit pas dans le Manoir la plupart du temps. Quand Drago le croisa pour la première fois depuis son retour de Poudlard, ils n'échangèrent que quelques mots avant que Lucius n'aille s'enfermer dans son bureau sans en ressortir pour le reste de la nuit.
Les préparatifs du Bal étaient étouffants, entre les hurlements de sa mère sur le pauvre Chubby et les décorations qui s'accumulaient dans chaque pièce où Drago entrait. Dès qu'il le pouvait, il se réfugiait chez Blaise. Ce dernier n'avait pas fait de nouvelle terreur nocturne, même si Théo avait pris l'habitude d'attendre qu'il s'endorme avant de faire pareil, juste au cas-où. Ils n'avaient eu aucune autre nouvelle de sa mère, et Drago commençait même à se dire que ça n'avait été qu'un cauchemar. Peut-être que Blaise avait simplement eu de la fièvre à cause du rhume qui avait contaminé tout Poudlard et que Drago avait imaginé ses pupilles dilatées.
Quand il ne pouvait pas s'y rendre, Drago passait son temps dans la bibliothèque du Manoir. Personne ne le dérangeait là-bas. Il pouvait pratiquer l'Occlumancie comme bon lui semblait : il s'entraîna à parer les attaques, à fermer sa bibliothèque mentale, et tria ses souvenirs. De temps en temps, il s'autorisait à penser à Granger. Il se rémoméra leurs trois baisers en ayant du mal à réaliser qu'ils provenaient de véritables souvenirs et non pas de ses rêves honteux qu'il avait depuis des années.
Le 23 au soir, la veille du Bal de Noël des Malefoy, Drago dîna en compagnie de ses deux parents pour la première fois depuis le début des vacances. Ils étaient tous habillés pour l'occasion, malgré le fait qu'ils n'étaient que trois, et la table était remplie de mets appétissants bien trop nombreux. Drago attendit que son père mange en premier pour prendre sa première bouchée, puis ils mangèrent dans un silence de plomb. Ce ne fut que quand Drago eut terminée sa seconde assiette que sa mère prit la parole :
"Drago, je t'ai acheté un costume sur-mesure pour le Bal de demain, fait à Paris, qui va avec celui de ton père."
Drago hocha la tête, et en voyant le peu d'enthousiasme que manifestaient les deux hommes à la table, Narcissa continua d'une voix posée :
"Cette année, le thème est vert et rouge. J'ai réservé le fameux orchestre féérique que nous avons eu la chance d'écouter pendant cette réception en Italie, Lucius, tu te souviens ?"
Le père de Drago grogna vaguement en guise de réponse.
"Ça devrait être le plus beau Bal de l'année." se réjouit sa mère, sans parler à quelqu'un en particulier. "Tout le monde ne parlera que de ça pendant des mois."
"Je dois voir la liste des invités." ordonna Lucius, sa voix opposée à celle de Narcissa.
"Bien sûr, Chubby pourra te la donner."
"Tu n'as invité personne de Sang-mêlé, j'espère ?" dit Lucius, menaçant. "Je t'ai prévenu que le Seigneur des Ténèbres ne tolérera aucun filiage douteux…"
"Je n'ai invité personne d'autre que des Sangs-purs, comme chaque année, Lucius." coupa froidement sa mère, manifestement indignée à l'idée qu'il puisse contester ses choix.
"Qu-quoi ? Il sera là ?" glapit Drago avec horreur.
Ses deux parents se tournèrent vers lui sans comprendre :
"Qui ça, Drago ?" demanda Narcissa.
"Le… Le Seigneur des Ténèbres ?" demanda-t-il, incapable de ne pas bredouiller son nom.
Les lèvres de Narcissa se plissèrent dans son expression typique de mécontentement.
"Non, bien sûr que non. Il est bien trop occupé pour fêter Noël."
Drago avait la nausée. Il détestait quand ses parents parlaient de Lui comme si c'était n'importe qui, comme si ce n'était pas le monstre qui habitait les cauchemars de Drago depuis qu'il était de retour. Il ne mangea plus rien de son repas et attendit que ses parents eurent terminé le dessert et que Lucius termine son troisième verre de vin pour demander :
"Puis-je quitter la table ?"
"Oui. Salue Pansy de ma part." lança distraitement sa mère.
Drago sortit précipitamment et accueillit l'air de dehors avec plaisir sur sa peau. Il avait constamment l'impression de suffoquer dans ce Manoir. Il ne savait pas si c'était à cause de l'air glacé ou de la tension qui régnait en permanence, mais peu importe la pièce où il se trouvait, il se sentait pris au piège. Quand il marcha jusqu'à la fontaine, il eut l'impression de respirer vraiment pour la première fois de la journée.
Il s'allongea dans l'herbe et n'eut pas besoin d'attendre longtemps avant d'entendre les pas feutrés de Pansy derrière lui. Il n'avait pas neigé, mais l'herbe était trempée par la pluie. Pansy s'allongea en silence à côté de lui et observa les étoiles.
"Ton père ?" demanda-t-elle après de longues minutes.
"Oui, il était là." dit Drago, devinant ce qu'elle voulait savoir. "Il n'a pas dit grand chose. Il ne veut pas de Sang-mêlé pour le Bal. Choquant, non ?"
Il passa sous silence la partie sur le Seigneur des Ténèbres, parce qu'il ne voulait pas inquiéter Pansy. Cette dernière eut un rire sans joie.
"Très." répondit-elle. "Des nouvelles de Blaise ?"
"Pas vraiment. Il a refusé l'invitation de ma mère en prétextant qu'il passait Noël avec sa mère, mais il m'a dit qu'il refusait d'y aller sans Théo."
"Hmm."
C'était la première fois depuis qu'ils se connaissaient que Drago allait assister à un Bal de Noël des Malefoy sans Blaise. D'habitude, ils trouvaient toujours un moyen de s'échapper subtilement pour aller manger des bonbons dans sa chambre ou tester leurs cadeaux dans le jardin. Cette année, Blaise et Théo allaient le fêter seuls pendant que Drago et Pansy seraient obligés de rester au milieu des convives tous aussi chiants les uns que les autres.
Drago regarda les étoiles au-dessus d'eux et arrêta d'Occluder, pour la première fois qu'il était entré dans ce Manoir. Aussitôt, il pensa à Granger, allongé à côté de lui de la même manière que Pansy à cet instant. Il se rapppela de sa voix étranglée par les sanglots quand elle lui avait expliqué qui était Chiron et la fonction d'un compas. Il se rappela de ses yeux imbibés de sang et ses mains tremblantes à cause de la panique.
Il fut alors frappé par la réalisation.
"Tu le savais, n'est-ce-pas ?" demanda Drago, choqué.
Pansy tourna la tête vers lui :
"De quoi ?"
"Tu m'as dit d'aller dehors, la veille de notre départ. Je vous ai dit que j'allais faire un tour et tu m'as conseillé d'aller dehors, d'aller dans le parc de Poudlard pour prendre l'air. Tu savais que j'allais tomber sur elle, n'est-ce-pas ?"
Pansy haussa les épaules :
"Oui."
Drago fut surpris par sa sincérité, il s'était attendu à ce qu'elle fasse semblant de ne pas comprendre.
"Mais… Comment…"
"Je l'ai vue en allant promener Eris. Elle ne m'a pas remarquée, mais j'ai vu qu'elle était en train de… faire une crise d'angoisse, ou quelque chose comme ça. Je me suis dit que t'aurais probablement envie de le savoir."
"Pourquoi tu ne m'as pas dit directement qu'elle était là-bas ?"
Pansy haussa une seconde fois les épaules :
"Je ne savais pas à quel point tu voulais que j'en parle devant Théo et Blaise. Je ne sais pas à quel point ils… savent."
Dans sa panique à l'idée d'avoir trouvé Granger dans cet état, il avait oublié que Blaise et Théo n'étaient techniquement pas au courant de ses sentiments pour elle. Ça prenait tellement de place dans sa tête qu'il avait du mal à se rappeler que ce n'était pas connu de tout le monde.
"Et pourquoi tu me l'a dit ?" pressa Drago, curieux. "Je croyais que tu la haïssais."
"Je ne la hais pas. J'ai simplement été éduquée avec la perspective qu'elle était inférieure à moi." corrigea Pansy d'un ton détaché. "Et toi aussi, d'ailleurs."
"Et tu as changé d'avis ?" demanda-t-il.
"Pas vraiment. Je ne l'aime pas particulièrement, mais ce n'est plus vraiment lié à son sang, c'était plutôt sa personnalité. Je la trouve irritante, et je déteste ses fréquentations. Elle fait souvent sa Miss-Je-Sais-Tout et elle a ces… manières, ça m'insupporte. Mais… tu sais. Elle a sauvé Théo." termina Pansy, comme si ça annulait tout ce qu'elle venait de lister.
"Avec le recueil ?"
"Oui. Si elle n'était pas intervenue, Théo aurait souffert, il se serait probablement fait harcelé, et il est beaucoup trop sensible et fragile pour ça. Ça l'aurait détruit. Je suis reconnaissante envers elle d'avoir épargné mon ami de ça." dit-elle, avec une honnêteté flagrante.
"Ouais… Elle est comme ça." dit Drago en repensant à la bienveillance sans faille de Granger.
Il observa la lune cachée par un nuage et devina sa forme à travers.
"Alors…" murmura Pansy. "Tu l'aimes ?"
Drago haussa les sourcils, surpris par cette question. Pansy ne lui avait jamais demandé ça aussi frontalement. Il n'osa pas se tourner vers elle et continua d'observer le ciel comme si son cœur ne tambourinait pas contre sa poitrine à la simple évocation de son amour pour elle.
"Oui." assura-t-il, incapable de nier l'évidence. "Oui, je l'aime."
Il y eut un silence. Drago n'osa pas tourner la tête vers Pansy de peur d'y voir du dégoût.
"Tu lui as dit ?" demanda-t-elle.
Drago déglutit. Le soleil qui tapait sur ses joues, la glace qui coulait entre ses doigts, ses yeux écarquillés, des questions de sa voix haut perchée, des hurlements dans une salle de classe, ses larmes sur ses joues rouges, ses lèvres contre les siennes.
"Oui, je lui ai dit." répondit-il d'une petite voix.
Le son du clapotis de la fontaine résonna après sa confession tandis que Pansy encaissait ces nouvelles informations.
"Et comment a-t-elle réagi ?" demanda-t-elle finalement, sans aucune expression dans la voix.
Drago compta le nombre d'étoiles devant ses yeux avant de répondre. Quand il arriva à vingt, il dit :
"Elle m'a dit qu'elle m'aimait aussi."
Pansy n'eut aucune réaction sonore.
"Mais je lui ai dit qu'on ne pourrait jamais être ensemble." continua-t-il, presque penaud. "Je lui ai dit que c'était risqué, que si mon père l'apprenait… mais elle n'a rien voulu entendre. Elle est têtue."
"Tu l'as embrassée ?" questionna Pansy.
Drago se crispa. Il ne savait pas si elle lui posait une question ou si elle l'accusait. Il jeta un regard furtif vers le Manoir, craignant que Lucius ne se tienne dans l'embrasure de la porte. De toute façon, il n'aurait jamais pu entendre leurs chuchotements camouflés par le bruit de la fontaine. Il était tenté d'Occluder de nouveau.
"Tu es sûre que tu veux parler de ça ?" demanda-t-il.
"Drago, regarde-moi."
Il le fit. Quand il tourna la tête sur l'herbe froide, il s'attendait à voir des larmes, mais il ne vit que les yeux noirs charbon de sa meilleure amie, et même un petit sourire au coin de ses lèvres noires.
"Je te l'ai dit, ça fait moins mal." promit-elle d'une voix assurée. "Maintenant que je ne suis plus amoureuse de toi, ce n'est plus aussi douloureux qu'avant. Et puis, ce n'est visiblement pas un crush éphémère, tu as l'air vraiment amoureux de cette fille. Complètement obsédé par elle, d'ailleurs."
Drago ne put qu'approuver.
"Tu es mon meilleur ami, je veux savoir ce genre de choses." dit Pansy fermement. "Si tu es heureux, alors je suis heureuse."
Drago sentit un élan d'amour pour la fille à côté de lui. Pas le même que le genre qu'il ressentait en présence de Granger. Il était différent, il l'a toujours été, mais il n'en demeurait pas moins intense, il se sentait connecté à elle d'une manière unique. C'était impossible à décrire. Il regardait dans ses yeux noirs et y retrouva le réconfort qu'il ressentait toujours en sa présence.
"Merci, Pans'." dit-il, et ce fut probablement le remerciement le plus sincère qu'il ait prononcé de son existence.
"Alors ?" insista-t-elle. "Tu l'as embrassée ?"
"Oui. Trois fois." avoua-t-il.
Pansy éclata de rire :
"Merlin, Drago Malefoy, es-tu sérieusement en train de rougir ?"
"C'est le froid." dit-il en cachant son sourire.
"Menteur." renchérit-t-elle, espiègle. "C'était comment ?"
Drago fut assailli par des souvenirs, d'un baiser plein de tension à un baiser suppliant à un baiser d'amour partagé. Il était incapable de choisir lequel des trois l'avait le plus chamboulé.
"C'était… incroyable." dit-il, parce qu'aucun mot de sa langue ne pouvait véritablement décrire le tourbillon de sensations qu'il avait expérimenté dans ces moments. Embrasser Granger était comme boire de l'Amortentia, c'était enivrant, addictif. Il était persuadé que maintenant qu'il l'avait embrassée, il serait physiquement incapable de s'en passer.
Pansy sourit tendrement et détourna la tête pour contempler les étoiles.
"Tu es la seule personne à qui je l'ai dit." confessa Drago. "Et tu es la seule personne à qui j'ai eu envie de le dire."
"Vraiment ?"
"Vraiment." promit-il.
Pansy lui fit un sourire et Drago se sentit libéré d'un poids énorme, qui n'avait rien à voir avec l'Occlumancie. Pour la première fois depuis qu'il avait réalisé qu'il était amoureux de Granger, quelqu'un l'approuvait. Pansy l'approuvait. Ce n'était pas une faute grave, ce n'était pas un malheur, c'était quelque chose de bien. Étrangement, il se sentait rassuré, presque serein, malgré sa confession qui le terrifiait lui-même parfois.
"Tu mérites d'être heureux, Drago." dit Pansy, dont les yeux étaient toujours rivés sur le ciel.
"Toi aussi, Pans'."
"On mérite tous d'être heureux." rectifia-t-elle.
Drago sentit alors le petit doigt de Pansy passer sous le sien et le serrer.
Une promesse silencieuse.
