Hermione


.

.

Trois jours avant Noël, les Weasley, Harry et Hermione se firent escorter par Lupin et Fol'Oeil jusqu'à Ste Mangouste pour rendre visite à Arthur. Hermione n'était jamais allée dans l'hôpital sorcier. Elle s'attendait donc à énormément de choses, mais certainement pas à une vitrine de magasin délabrée avec de vieux mannequins cassés, en plein centre de Londres. Mais quand Lupin se pencha vers la vitre et qu'il murmura "bonjour, nous venons rendre visite à un malade", Hermione ne fut même pas surprise de voir le mannequin lever la main pour les inviter à s'avancer.

"Viens, Mione." dit Ron en lui prenant le bras.

Harry, Ron et Hermione franchirent la vitrine ensemble, exactement comme la plateforme 9 . L'intérieur n'avait rien à voir avec le magasin fermé auquel Hermione aurait pu s'attendre. C'était un immense hall d'attente, où des rangs de chaises vertes s'étendaient à perte de vue, occupées par des malades plus ou moins graves et des Médicomages qui marchaient de long en large dans des blouses couleur vert menthe. Hermione eut le temps de repérer une sorcière avec un nez de la taille d'un ballon de baudruche, un homme affreusement pâle qui se cachait les yeux du soleil qui filtraient par l'immense fenêtre, et un enfant dont la peau et les cheveux avaient pris une teinte jaune poussin.

"C'est au premier étage." indiqua Ron à Hermione quand il la vit observer les alentours avec émerveillement.

Tout le monde se dirigea vers les escaliers et Hermione les suivit en s'attardant quelques secondes sur les tableaux des Médicomages le long des murs de l'hôpital. Chacun d'entre eux portaient un petit écriteau avec l'invention ou l'exploit pour lesquels ils étaient célèbres en dessous. Hermione reconnaissait plusieurs noms de ses lectures, et elle regretta amèrement d'avoir laissé sa caméra sorcière à Poudlard.

La chambre de Mr. Weasley était relativement petite, avec une seule fenêtre qui donnait sur la cour de l'hôpital. La seule source de lumière provenait des globes accrochés au plafond, qui éclairait les trois lits. Ron l'avait prévenu que l'homme à côté de son père avait été mordu par un loup-garou, mais elle l'aurait probablement deviné rien qu'en voyant son teint verdâtre et ses veines qui ressortaient sous ses yeux.

Le père des Weasley occupait le lit le plus proche de la fenêtre. Il avait un plateau de repas sur les genoux, et plusieurs bandages recouvraient son torse, ses bras, et son cou. Plusieurs flacons de potions avaient été posés sur sa table de nuit, certains à moitié vides.

Ron, Fred, George et Ginny firent un câlin à leur père chacun leur tour, puis Hermione et Harry s'approchèrent du lit :

"Bonjour Mr. Weasley." salua amicalement Hermione, en veillant à ne pas regarder les pansements. "Nous vous apportons un cadeau de rétablissement de la part d'Harry et moi."

"Oh, comme c'est adorable !" s'écria Arthur avec joie.

Elle lui tendit le paquet qu'il ouvrit avidement, et ses yeux s'écarquillèrent de bonheur en voyant le contenu :

"Oh, c'est absolument magnifique !"

Il sortit chacun des tournevis et les fusibles pour les admirer tandis qu'Harry et Hermione échangeaient un regard gêné. Ron lui offrit des magazines moldus qu'il avait achetés sur la route, et qui enchantèrent son père qui lui promit de les lire dès le jour-même. Molly se rapprocha alors du lit, les yeux fendus par la méfiance :

"Arthur ? Ton pansement a été changé. Pourquoi l'a-t-on changé un jour plus tôt que prévu, Arthur ? Ils m'avaient pourtant assuré qu'ils ne le feraient que demain."

Le sourire de Mr. Weasley fondit de son visage.

"Quoi ? Non, non… ce n'est rien… c'est… je…"

En voyant le regard furibond de sa femme, il céda avec un soupir et s'expliqua d'une voix penaude :

"Bon… Ne te mets pas en colère, Molly, mais Augustus Pye a eu une idée… C'est un guérisseur stagiaire, un garçon adorable et très intéressé par… euh… la médecine d'appoint… Je veux dire, certains remèdes moldus… ça s'appelle des points de suture, Molly, et c'est très efficace pour les… les blessures moldues…"

Mrs. Weasley laissa échapper un sifflement furieux qui n'augurait rien de bon. Comme un signal d'alerte, tout le monde s'écarta du lit : Lupin alla discuter avec le loup-garou, et Fred et George marmonnèrent quelque chose à propos d'une tasse de thé.

"Est-ce que tu essayes de me faire comprendre par là…" dit Mrs Weasley, sa voix augmentant de volume à chaque mot, "que tu as fait l'idiot avec des remèdes moldus ?"

"Pas fait l'idiot, Molly chérie…" répondit Mr Weasley d'un ton implorant. "C'était simplement… simplement quelque chose que Pye et moi, nous voulions essayer… Seulement voilà, il se trouve que par malheur… ce genre de blessures… enfin, ça n'a pas marché aussi bien que nous l'avions espéré…"

"Ce qui veut dire ?"

"Eh bien… euh… J'ignore si tu sais ce que sont des points de suture ?"

Hermione grimaça en comprenant soudain ce qu'il avait fait.

"Apparemment, ça signifie que tu as essayé de te recoudre la peau ?" répondit Mrs Weasley avec une sorte de rire sans joie. "Mais enfin, Arthur, même toi, tu ne serais pas aussi stupide…"

"Je crois que je prendrais bien une tasse de thé, moi aussi !" s'écria soudain Harry en se levant d'un bond.

Hermione, Ron et Ginny l'accompagnèrent en courant presque vers la sortie. Lorsque la porte de la salle se referma derrière eux, ils entendirent Mrs Weasley hurler :

"QU'EST-CE QUE TU VEUX DIRE PAR : "C'EST L'IDÉE GÉNÉRALE" ?"

"Typique de papa." commenta Ginny en hochant la tête tandis qu'ils s'éloignaient dans le couloir. "Des points de suture… N'importe quoi…"

"Tu sais, ça marche très bien sur les blessures non magiques." dit Hermione, qui avait toujours le réflexe de défendre les techniques moldues, même si elles étaient moins efficaces. "Il doit y avoir dans le venin de ce serpent quelque chose qui dissout les fils ou je ne sais quoi. Je me demande où est le salon de thé."

"Cinquième étage." répondit Harry.

Ils montèrent les escaliers, où étaient accrochés des dizaines de tableaux de Médicomages. Contrairement à ceux de l'accueil, ils étaient plus petits, et parlaient. À chaque étage, ils recevaient chacun une dizaine de diagnostics pour des maladies étranges dont Hermione n'avait jamais entendu parler. Au quatrième étage, un sorcier moyenâgeux avec un monocle cria à Ron qu'il était sûrement atteint d'une forme très grave d'éclabouille. Ses oreilles prirent tout de suite une teinte rouge vif.

"C'est quoi, ça ?" demanda-t-il avec colère.

Le sorcier traversa tous les tableaux pour essayer de suivre son rythme :

"Il s'agit, mon jeune monsieur, d'une très grave affection de la peau qui vous laissera le teint grêlé et vous fera paraître encore plus abominable que vous ne l'êtes déjà… Voyez ces marques disgracieuses sur votre figure…"

"Ce sont des taches de rousseur !" répliqua Ron, furieux.

Hermione avait du mal à se retenir de rire, si bien qu'elle mit du temps à voir la raison pour laquelle Harry s'était soudainement arrêté. Elle suivit son regard vers la petite fenêtre découpée dans la double porte qui marquait l'entrée du service de PATHOLOGIE DES SORTILÈGES. Un homme les observait, le nez collé contre la vitre, les cheveux blonds soigneusement coiffés, d'un regard bleu vitreux et vide. Il souriait de toutes ses dents, un sourire qui lui avait valu…

"Oh, mon Dieu !" hurla Hermione en reconnaissant l'homme. "Professeur Lockhart !"

Lochkart poussa les doubles portes et vint à leur rencontre, vêtu de sa longue robe de chambre lilas. Hermione sentit les rougeurs lui monter aux joues rien qu'en le voyant.

"Bonjour !" salua-t-il joyeusement. "J'imagine que vous voulez mon autographe ?"

"Il n'a pas beaucoup changé." marmonna Harry à Ginny.

"Euh… Comment allez-vous, Professeur ?" demanda Ron d'une petite voix.

"Je vais très bien, merci !" répondit Lockhart avec exubérance, en sortant de sa poche une plume de paon qui avait connu des jours meilleurs. "Combien d'autographes désirez-vous ? Maintenant j'arrive à attacher les lettres entre elles, vous savez ?"

"Euh… nous n'avons pas besoin d'autographes pour le moment, merci." répondit Ron.

Hermione regarda Lochkart avec stupéfaction. Il n'y avait rien, dans son attitude, qui aurait pu montrer qu'il en voulait à Harry ou Ron pour lui avoir lancé un sort pendant leur deuxième année. Hermione avait été pétrifiée à ce moment-là, mais Ron lui avait raconté qu'il l'avait rendu inconscient, il s'était même vanté d'avoir produit un exploit magique encore jamais découvert. Elle commençait à sérieusement douter de cette version de l'histoire.

"Professeur, est-il bien prudent que vous vous promeniez dans les couloirs ? Vous devriez peut-être rentrer dans votre chambre ?" proposa gentiment Harry en jetant un coup d'œil vers la fenêtre.

Le sourire de Lockhart s'effaça lentement. Pendant quelques instants, il fixa Harry.

"Nous nous sommes déjà rencontrés, non ?" dit-il.

Hermione lança un regard interloqué à Ginny.

"Euh… oui, en effet." répondit Harry très lentement. "Vous nous donniez des cours à Poudlard, vous vous souvenez ?"

"Des cours ?" répéta Lockhart, un peu déconcerté. "Moi ? Vous êtes sûr ? J'ai dû vous apprendre tout ce que vous savez, j'imagine ? Alors, ces autographes ? On n'a qu'à dire une douzaine, vous les donnerez à vos amis comme ça tout le monde sera content !"

Mais à cet instant, les portes s'ouvrit et une Médicomage en blouse verte passa sa tête :

"Gilderoy, vilain garçon, qu'est-ce que tu fais ici ?"

"Je donne des autographes !" s'écria Lockhart avec un nouveau sourire étincelant. "Ils en veulent plein et ils insistent ! J'espère au moins qu'on a suffisamment de photos !"

"Oh, Gilderoy, tu as des visiteurs ! Mais c'est merveilleux et le jour de Noël, en plus ! Vous savez, il n'a jamais de visites, le pauvre petit agneau, et je ne comprends pas pourquoi, il est tellement mignon, n'est-ce pas que tu es mignon ?"

La Médicomage le prit par le bras, le visage radieux, comme s'il s'agissait d'un enfant de deux ans particulièrement précoce.

"Il était assez connu, il y a quelques années, on espère beaucoup que ce goût pour les autographes est un signe que sa mémoire commence à revenir." expliqua-t-elle au groupe de "visiteurs." "Vous voulez bien venir par là ? Il est dans une salle spéciale, vous savez, toujours fermée à clé, il a dû s'échapper… D'habitude, la porte reste verrouillée… Non pas qu'il soit dangereux ! Mais, il est un peu dangereux pour lui-même, le pauvre… Il ne sait pas qui il est, il va se promener au hasard et n'arrive plus à retrouver son chemin… C'est vraiment gentil à vous d'être venus le voir."

Elle ouvrit les portes pour les laisser passer et aucun d'entre eux n'osa lui dire qu'ils n'étaient pas là pour Lockhart du tout. Quand ils entrèrent dans la salle, Ginny eut un petit rire en voyant qu'Hermione était rouge tomate et elle lui donna un coup de coude dans les côtes. Si elle faisait le moindre commentaire, elle allait mourir de honte.

La Médicomage conduisit Lochkart jusqu'au fauteuil le plus proche, puis désigna la salle pratiquement vide autour d'eux :

"C'est là que sont réunis nos résidents de longue durée." expliqua-t-elle à voix basse. "Ceux qui sont atteints de maladies incurables consécutives à des sortilèges. Oh, bien sûr, avec des potions intensives, quelques charmes thérapeutiques et un peu de chance, nous arrivons à obtenir des progrès. Gilderoy semble reprendre un peu conscience de lui-même et nous avons constaté une très nette amélioration chez Mr. Moroz, il retrouve peu à peu l'usage de la parole, bien que nous ne comprenions pas la langue qu'il utilise."

Elle montra un autre lit où était allongé un homme aux cheveux noirs. Il ne bougea pas la tête lorsqu'il entendit son prénom. Malgré les nombreuses décorations de Noël, il y avait une ambiance morose qui régnait dans la salle, que même les sourires exubérants des docteurs et infirmiers n'arrivait pas à égayer. Le peu de lits étaient occupés par des patients silencieux, qui contemplaient le plafond ou la petite fenêtre, profondément ennuyés. Le fond de la salle était caché par un rideau, probablement pour conserver une certaine intimité à ceux qui ne recevaient pas de visiteurs.

"Bon, je vous laisse bavarder tranquillement." dit la femme avec un grand sourire.

Lockhart commença à signer des photos qu'il jetait aléatoirement à Harry, Ron, Ginny et elle. Hermione fut la seule à en glisser une dans son sac discrètement. C'était simplement pour l'offrir à Lavande et Parvati. Peut-être pourrait-elle l'accrocher dans le dortoir. Juste pour la blague, bien entendu.

"Ah, Mrs Londubat, vous partez déjà ?" demanda la Médicomage dans leur dos.

Hermione se retourna en reconnaissant le nom. Le rideau au fond de la salle avait été ouvert, dévoilant deux lits où étaient assis deux patients qu'Hermione ne pouvait pas bien voir, parce qu'ils étaient cachés par la silhouette imposante d'une femme âgée qui portait une longue robe verte, une fourrure de renard mangée aux mites et un chapeau orné d'un vautour empaillé. À côté d'elle marchait Neville d'un pas morne, la tête baissée.

"Neville !" appela Ron. "C'est nous, Neville ! Regarde ! Lockhart est ici ! Et toi, qui est-ce que tu venais voir ?"

Neville sursauta violemment, et quand il reconnut le petit groupe attroupé autour de Lockhart, ses épaules se voûtèrent comme si quelqu'un l'avait enfoncé dans le sol.

"Ce sont des amis à toi, mon chéri ?" demanda ce qu'Hermione imaginait être la grand-mère de Neville d'un ton aimable en se dirigeant vers eux.

Neville était extrêmement gêné. Il fuyait le regard de tout le monde et semblait vouloir disparaître à tout prix, se dérobant pratiquement derrière sa grand-mère qui tendit sa main vers Harry en premier :

"Ah oui, oui, je sais qui vous êtes, bien sûr. Neville me dit toujours le plus grand bien de vous."

"Merci." répondit Harry en lui serrant la main. Lui aussi avait l'air embarrassé, bien qu'Hermione ne comprenait pas du tout pourquoi.

"Et vous deux, vous êtes les Weasley." poursuivit Mrs Londubat en tendant la main à Ron, puis à Ginny. "Oui, je connais vos parents, ce sont des gens charmants… Et vous, vous devez être Hermione Granger ? Oui, Neville m'a parlé de vous. Vous l'avez aidé à se tirer de quelques mauvais pas, si j'ai bien compris ?"

Le cœur d'Hermione se serra quand elle réalisa que Neville lui avait parlé d'elle. Elle serra la main de sa grand-mère avec un sourire poli.

"Oh, c'est un gentil garçon." dit-elle en se retournant pour fixer Neville. "Mais il n'a pas le talent de son père, il faut bien le reconnaître."

Elle montra les deux lits du bout de la salle d'un mouvement de tête si brusque que le vautour empaillé de son chapeau se mit à osciller dangereusement. Le souffle d'Hermione se coupa quand elle comprit. Neville n'était pas seulement gêné de présenter sa grand-mère à ses amis. Il était gêné, parce que ses parents étaient là.

Hermione savait que Neville vivait chez sa grand-mère. Elle avait toujours pensé que ses parents étaient morts pendant la guerre, et n'avait jamais osé aborder le sujet. Jamais elle aurait pu penser qu'ils étaient malades. Le visage du pauvre Neville avait pris la même teinte que celle d'Hermione quand elle avait revu Lockhart.

"Quoi ?" dit Ron, abasourdi. Hermione eut l'envie irrépressible de lui écraser le pied pour le faire taire. "C'est ton père qui est là-bas ?"

La grand-mère de Neville fronça sévèrement les sourcils et regarda son petit fils :

"Qu'est-ce que ça signifie ? Tu n'as donc pas parlé de tes parents à tes amis, Neville ?"

Neville prit une grande inspiration en fixant le plafond et secoua lentement la tête, l'air de retenir difficilement ses larmes. Hermione avait rarement ressenti autant d'empathie pour quelqu'un, elle voulait désespérement s'approcher pour le serrer dans ses bras.

"Il n'y a pas de quoi en avoir honte !" poursuivit Mrs Londubat avec colère. "Tu devrais au contraire être fier, Neville, tu m'entends ? Fier ! Ils n'ont pas sacrifié leur santé et leur équilibre mental pour que leur fils unique ait honte d'eux !"

"Je n'ai pas honte." répondit Neville d'une toute petite voix, en évitant toujours de les regarder.

Ron se dressa sur la pointe des pieds pour essayer d'apercevoir les parents de Neville par-dessus l'épaule de sa grand-mère.

"Eh bien, tu as une drôle de façon de le montrer !" répliqua sèchement Mrs Londubat, insensible à l'embarras de son petit-fils. Elle se tourna vers eux et dit, d'une voix chargée de gravité : "Mon fils et son épouse ont été torturés jusqu'à en perdre la raison par les partisans de Vous-Savez-Qui."

Hermione plaqua une main sur sa bouche en même temps que Ginny. Ron retomba bruyamment sur la plante des pieds. Ils étaient tous les trois mortifiés, mais Harry n'avait pas l'air surpris par cette révélation, il se grattait la tête en regardant partout, sauf dans la direction de Neville.

"C'étaient des Aurors, voyez-vous." reprit Mrs Londubat. "Très respectés dans la communauté des sorciers. Très doués tous les deux. Je… Oui, Alice, ma chérie, qu'est-ce qu'il y a ?"

La grand-mère de Neville se retourna et Hermione sursauta quand elle vit une femme frêle, habillée d'une longue chemise de nuit blanche se tenir derrière elle. Ses joues étaient creusées, et ses yeux étaient si grands qu'ils prenaient pratiquement la moitié de son visage. Ses cheveux étaient courts et ternes, presque blancs. Pourtant, Hermione reconnaissait un peu de Neville dans ses traits usés. Ils avaient la même couleur de yeux et les mêmes pomettes. La femme ouvrit un peu la bouche, mais aucun son n'en sortit. Elle tendit quelque chose à Neville.

"Encore ?" dit Mrs Londubat, un peu lasse. "Très bien, Alice, ma chérie, très bien… Neville, je ne sais pas ce que c'est, mais prends-le."

Neville avait déjà tendu la main, dans laquelle sa mère laissa tomber un papier vide de Ballongomme du Bullard.

"C'est très gentil, ma chérie." dit Mrs Londubat d'une voix faussement enjouée en tapotant l'épaule de sa belle-fille.

"Merci, maman." dit Neville à voix basse.

Hermione avait l'impression de s'être pris un Stupefix, parce que ses jambes étaient figées par la scène auquelle elle avait le malheur d'assister. C'était aussi attendrissant que bouleversant. La mère de Neville retourna vers son lit d'un pas chancelant, et Neville lança à Ron et Harry un regard provocant, comme s'il s'attendait à ce qu'ils éclatent de rire, alors qu'Hermione pensait sincèrement que c'était la vision la plus triste qu'ils aient vu de leur vie.

"Bon, il est temps de rentrer." soupira Mrs Londubat en enfilant de longs gants verts, loin d'être troublée par l'apparition de Mrs. Londubat. "J'ai été très heureuse de faire votre connaissance à tous. Neville, va mettre ce papier dans la corbeille, elle a dû t'en donner déjà suffisamment pour tapisser les murs de ta chambre."

Neville leur fit un petit signe timide de la tête et suivit sa grand-mère vers la sortie. Avant de sortir, il glissa le papier de chewing-gum dans sa poche d'une main tremblante.

Hermione avait les larmes aux yeux.

"Je ne savais pas." murmura-t-elle d'une voix blanche.

"Moi non plus." dirent Ron et Ginny sur le même ton, les yeux toujours posés sur la porte que Neville venait de refermer.

"Moi, je le savais." confessa Harry, visiblement peu enclin à partager ce secret.

Les trois se tournèrent vers lui.

"Dumbledore me l'avait dit mais il m'avait fait promettre de ne le répéter à personne… C'est pour ça que Bellatrix Lestrange a été envoyée à Azkaban, parce qu'elle a fait usage du sortilège de Doloris sur les parents de Neville jusqu'à ce qu'ils perdent la raison."

Hermione sentit un terrible frisson remonter le long de sa colonne vertébrale.

"Bellatrix Lestrange a fait ça ?" murmura Hermione, horrifiée. "Cette femme dont Kreattur garde la photo dans sa tanière ?"

Elle tourna la tête vers les lits du fond, et quelques larmes roulèrent sur ses joues quand elle aperçut la mère de Neville, assise au bord du lit, en train de contempler la version miniature d'une Mimbulus Mimbletonia que Neville lui avait offert pour Noël.

..
.

"Et voilà, Arthur…"

Molly poussa son mari, assis en fauteuil roulant, jusqu'au bout de la table de la cuisine de Square Grimmaurd. Il avait toujours ses bandages autour du cou et aux bras, mais il semblait en bien meilleure forme. Il portait un chapeau de Noël et un grand sourire destiné à chacun de ses enfants autour de la table.

"Papa est rentré !" annonça officiellement Mrs. Weasley.

Tout le monde applaudit. Plusieurs fées volaient autour de lui, faisant tomber de la neige sur ses épaules et ses cheveux, et la lumière des guirlandes que Sirius avait accrochées au sapin derrière lui se réflétaient sur ses cheveux roux.

"Asseyez-vous, asseyez-vous !" lança joyeusement Molly, et Hermione prit place à la grande table, entre George et Ginny. Un petit tas de cadeaux avait été posé au centre de la table et Molly piocha dedans gaiement :

"Ron, c'est pour toi, et Ginny, voici le tien… Attendez avant d'ouvrir, je veux voir vos têtes ! Arthur, le tien, Hermione… Fred, c'est toi ?"

"Non, moi c'est George, enchanté." répondit le jumeau à côté d'elle.

"Oh, George, pardon !"

Elle lui tendit un paquet où était inscrit un gros G en lettre rouge.

"Allez, ouvrez !"

Hermione souleva le couvercle de la boîte et y trouva un pull en maille violet avec la lettre H dessus, et échangea un regard complice avec Harry qui avait reçu le même en bleu. S'échanger leurs pulls de Noël pendant l'année était devenu une sorte de tradition tacite entre eux. Il y avait aussi des biscuits à la noisette, et des pelottes de laine pour qu'elle s'entraîne à tricoter.

Ron sortit une écharpe de son paquet avec un "R" orange dessus et Hermione sourit tendrement en regardant Ron se lever pour étreindre sa mère avec force.

Hermione donna ses cadeaux à son tour : deux plannings de devoirs pour Harry et Ron, qui avaient du mal à cacher leur déception, un collier avec un pendentif de nénuphar pour Ginny, deux boîtes de bonbons pour Fred et George, des aiguilles à tricoter pour Molly et une ampoule pour Arthur, qu'elle avait acheté dans la supérette du coin et qui sembla le ravir grandement : il s'amusa à l'allumer et l'éteindre en continu avec sa baguette pendant dix bonnes minutes.

Mrs. Weasley commença à servir le dîner de Noël, et Lupin et Sirius consentirent à mettre de côté leurs parchemins pleins de schémas étranges pour s'attabler avec eux. Fred et George firent exploser des crackers bien trop puissants pour ne pas être trafiqués et ils offrirent à Ginny et elle les deux peluches de lapin qu'il y avait à l'intérieur.

Avant que tout le monde se serve à manger, Arthur se leva maladroitement et leva son verre, en fixant Harry dans les yeux :

"Un toast de Noël !"

Tout le monde autour de la table se leva à leur tour en prenant leurs verres.

"À Harry." dit Arthur, la voix soudain un peu tremblante d'émotion. "Sans qui, je ne serais plus là."

Harry baissa les yeux de gêne. D'une même voix, toutes les personnes réunies autour de la table récitèrent :

"À Harry !"

Puis Hermione prit une gorgée de champagne et faillit s'étouffer en sentant les bulles éclater contre son palais. Elle ne savait pas que le champagne sorcier était plus pétillant que celui des Moldus. Ron eut un petit rire railleur en la voyant avaler de travers. Hermione vit du coin de l'œil Molly serrer Harry dans ses bras en le remerciant chaleureusement.

Hermione n'aurait jamais pensé que son repas de Noël puisse être aussi joyeux après tous les malheurs des derniers jours. Tout le monde riait, mangeait, et se regardait avec amour. Aucun autre membre de l'Ordre ne vint dîner avec eux, et c'était tant mieux. Molly, Arthur, Ron, Ginny, Fred, George, Bill, Harry, Lupin et Sirius, ça suffisait amplement à Hermione. Elle observait chacune des personnes autour de la table avec un sourire aux lèvres.

Sa famille.

Hermione profita de son repas de Noël en mangeant tout ce que Mrs. Weasley avait préparé. Sirius s'était investi dans les décorations : la maison n'avait plus rien à voir avec celle qu'ils avaient habité pendant l'été. Les couloirs étaient tapissés de guirlandes pour cacher la couleur terne des murs, il y avait une délicieuse odeur de sapin et d'orange dans l'air, et une musique grésillante de Noël sortait d'un vieux gramophone posé là. À la fin du repas, George invita Ginny à danser et Fred proposa à Hermione, alors une piste de danse fut improvisée au milieu de la cuisine et tout le monde dansa, y compris Harry, ce qui était rare. Encore une fois, Hermione regretta de ne pas avoir pris sa caméra.

Sirius s'ajouta à la danse et fit virevolter Ginny et Hermione, qui riaient tellement qu'elles en avaient mal au ventre. Arthur tapait joyeusement des mains et Molly, qui avait pourtant refusé de se joindre à eux, se fit finalement convaincre par Sirius qui dansa avec elle sur sa musique préférée de Celestina Moldubec. Ron fit tourner Hermione sur elle-même plusieurs fois, et elle fit semblant de ne pas voir le rouge s'étaler sur ses joues et son cou.

Quand la musique changea, Hermione alla boire un verre d'eau et observa George et Ginny s'entraîner à faire un porté. Ginny courut vers son frère pour qu'il la hisse au-dessus de sa tête, mais ils atterrirent dans le buffet et firent tomber plusieurs assiettes par terre. Molly leur ordonnèrent d'aller dans le salon pour avoir plus de place en lançant des Reparo consécutifs sur la vaisselle, même si Sirius insistait qu'elle était bien plus jolie quand elle était en mille morceaux.

Le "salon" était en fait une immense pièce en longueur, qu'Hermione présumait être l'ancienne salle de bal de la famille Black. Elle pouvait imaginer les couples de Sang-purs danser en ronde dans cette pièce, et réalisa qu'il devait en exister une aussi dans le Manoir des Malefoy. Drago devait être en train d'assister à la réception de sa mère en ce moment-même. Elle espérait qu'il ne se sentait pas trop seul, là-bas. Qu'il arrivait tout de même à passer un bon Noël, même si c'était pendant la réception de sa mère. ll lui avait dit une fois qu'il avait appris à danser avant Poudlard, et elle se demanda s'il était toujours obligé de mettre en pratique ses compétences de danse, même en étant plus grand. Peut-être dansait-il avec Parkinson…

Hermione était en train de boire son second verre d'hydromel maison délicieux, la tête posée sur le dossier du canapé en train de regarder Ginny sauter dans les bras de George, quand elle remarqua Lupin, assis à un fauteuil, au bout de la pièce. Il observait Sirius qui enseignait à Harry comment tourner sur lui-même sans se prendre le tapis, les paupières à peine entrouvertes, un sourire fatigué aux lèvres. Il était visiblement en train de lutter contre le sommeil.

Hermione servit un autre verre et alla à sa rencontre.

"Professeur Lupin, un verre d'hydromel ?" proposa-t-elle.

Il leva la tête vers elle et se redressa sur le fauteuil.

"Oh, volontiers, merci beaucoup." dit-il en prenant la coupe qu'elle lui tendait. "Et pour la dixième fois Hermione, appelle-moi Remus. Je ne suis plus ton professeur désormais."

"Désolée." dit Hermione avec un sourire d'excuse. "Je suis trop habituée."

Il l'invita à s'asseoir dans le fauteuil vide en face de lui, et Hermione prit place.

"Vous étiez le meilleur professeur que j'ai eu de ma vie." dit-elle avec sincérité. "Si seulement vous étiez resté, je n'aurais aucun stress à l'idée de rater mes BUSES."

Lupin eut un sourire, comme si sa phrase lui avait fait penser à une blague qu'Hermione ne connaissait pas.

"Tu me rappelles quelqu'un." expliqua Lupin.

"Oh, qui ça ?" demanda Hermione.

"Moi." répondit-il. "J'étais constamment angoissé à l'idée de rater mes examens, moi aussi. Tu peux demander à Sirius, ça le rendait malade, surtout quand j'avais une bonne note à la fin, après l'avoir tanné que j'avais raté pendant des semaines. Tu n'as aucun stress à avoir, Hermione. Même avec cette mégère d'Ombrage, je suis sûr que tu excelleras en Défense Contre les Forces du Mal."

Hermione le remercia et but son hydromel pour cacher ses joues roses. Lupin retourna à sa contemplation des danseurs.

"Comment va-t-il ?" demanda-t-il soudain.

Hermione suivit son regard vers Sirius et Harry, mais elle était incapable de dire de qui il pouvait bien parler. Elle n'eut pas besoin de lui demander de préciser, parce que Remus continua :

"Ces visions… Ça doit être très difficile à vivre."

Hermione se focalisa sur son meilleur ami, qui était tout essoufflé à force de danser avec son parrain.

"Oui." répondit-elle honnêtement. "Il se sent coupable. Il pense que c'est lui qui commet tous ses crimes à cause de son… lien, avec Voldemort."

Remus retourna la tête vers elle, un sourcil arqué de surprise :

"Tu prononces son nom ?"

"Dumbledore dit que la peur d'un nom ne fait qu'accroître la peur d'elle-même." récita Hermione automatiquement.

Remus sourit, ce qui étira les longues cicatrices blanches sur ses joues.

"C'est vrai. Alors, tu penses qu'Harry partage un lien avec Voldemort ?"

"Et bien… je sais qu'Harry n'est pas… "possédé" par lui, au sens strict du terme." dit Hermione, qui se sentait bien plus à l'aise quand elle expliquait ses théories à Remus qu'à Dumbledore. "Ginny a été possédée par Tom Jedusor pendant sa première année, et ce qu'elle m'a raconté n'a rien à voir avec les visions d'Harry. Je pense que Voldemort a crée un lien avec Harry, lorsqu'il a essayé de le tuer, cette nuit-là. C'est pour ça que la cicatrice d'Harry lui fait mal, et qu'il peut apercevoir ses pensées directement, ou des scènes qui se déroulent sous ses yeux. Et… je pense que Voldemort lui-même n'est pas au courant de ce lien."

Remus ne quitta pas son air surpris.

"Je le pense aussi." admit-il, après plusieurs secondes de réflexion silencieuses. "Mais je pense que si Harry souffre de ces visions, alors Voldemort doit subir la même chose. Il peut sûrement voir ses pensées, ressentir ses émotions, peut-être même apercevoir des moments de sa vie."

Hermione réprima un frisson à l'idée que Voldemort puisse avoir accès à ça. Il avait dû voir Ron, Neville, Hagrid, Ginny, elle-même.

"Si c'est le cas, il doit être précautionneux." poursuivit Remus d'un ton plus grave. "Parce que ce genre de connexion est unique. Voldemort n'hésitera pas à s'en servir pour déstabiliser Harry."

Harry trébucha sur ses propres pieds et Sirius éclata d'un rire bruyant, comme un aboiement.

"Je veillerai à ce que ça ne soit pas le cas. Ron aussi." promit Hermione.

Et elle le pensait vraiment. Sa relation avec Drago ne devait plus jamais surpasser son amitié avec Harry. Elle ne pouvait pas se permettre de rater une nouvelle fois une vision, peu importe la raison.

Remus acquiesça, songeux, et sirota son verre d'hydromel.

Hermione aimait beaucoup parler avec Lupin, parce que contrairement à la plupart des membres de l'Ordre, il la considérait comme une adulte. Il ne l'avait jamais rabaissée, et avait l'air de prendre ses opinions avec une grande estime, ce qu'Hermione appréciait beaucoup. Ça lui rappelait sa conversation avec lui sur la S.A.L.E pendant l'été, où Remus avait été le seul à être intéressé par son avis sur le traitement des elfes de maison.

Elle regarda distraitement Ginny et Fred danser la valse dans la salle de bal, et ses pensées dérivèrent sur Drago. Elle ne se souvenait plus vraiment de lui au Bal de Noël de quatrième année : avait-il dansé ? Hermione regretta de ne pas l'avoir aperçu, parce que ça aurait été probablement sa seule occasion de le voir danser. Hermione regardait Fred faire tournoyer sa sœur et essaya d'imaginer Drago faire pareil. Il serait sûrement plus protocolaire, plus rigoureux. Il se tiendrait certainement le plus droit possible, la tête haute, ses pas précis.

Peut-être qu'avec un deal suffisamment conséquent, elle pourrait le convaincre de lui montrer à la rentrée.

Elle repensa à la Tour d'Astronomie, au moment où ils avaient volé en balai. Avec la panique qui avait suivi, Hermione n'avait pas eu le temps de profiter de ces moments. Elle avait été tellement envahie par la culpabilité d'avoir été absente pour Harry et Ron pendant ce moment crucial qu'elle n'avait pas réalisé à quel point ça l'avait rendue heureuse. Elle détestait être partagée de la sorte, entre l'amour et l'amitié. Elle détestait que Drago soit aussi controversé. Elle avait envie de partager le bonheur qu'elle ressentait à chaque minute en sa compagnie, mais elle ne pouvait pas, du moins, pas pleinement. Elle était obligée de garder Harry et Ron dans l'ombre, ou Drago loin d'elle, et elle était incapable de s'éloigner d'un des deux camps. Il fallait qu'elle trouve un équilibre.

Hermione se mordit inconsciemment la lèvre en pensant à ses escapades nocturnes qui étaient de plus en plus nombreuses. Au début, ce n'était que des moments innocents sur un banc, mais maintenant que ça devenait une habitude, il fallait absolument qu'elle couvre ses arrières. Qu'elle soit plus prudente.

Et la meilleure personne à qui demander se tenait à moins d'un mètre d'elle.

Hermione prit donc une grande inspiration, et feignit l'indifférence du mieux qu'elle pouvait pour demander :

"Remus ?"

"Oui ?"

"Comment avez-vous crée la Carte du Maraudeur ?" demanda-t-elle.

Si Lupin fut surpris par la question, il ne fit rien pour le montrer.

"Et bien, ce n'est pas seulement moi qui l'ai crée." dit-il humblement. "Je n'ai fait qu'y contribuer. Nous avons d'abord cartographier l'intégralité de Poudlard, y compris les passages secrets, que nous avons exploré grâce à la cape d'Invisibilité de James, puis nous avons jeté plusieurs sortilèges dessus afin de repérer tous ses habitants et leurs mouvements, et un autre pour la verrouiller et la déverrouiller."

"Et… quel sortilège avez-vous utilisé, pour localiser tout le monde ?"

Remus la considéra une seconde.

"Est-ce que tu me demandes ça pour trouver un moyen de te dissimuler de la carte ?"

Hermione essaya tant bien que mal de ne pas montrer sur son visage que c'était exactement son entreprise.

"En partie, oui. Je pense que la Carte, aussi brillante qu'elle soit, peut être un objet dangereux, et j'aimerais connaître ses limites, pour être sûre de la comprendre dans son entiereté. Mr. Weasley m'a dit qu'il ne fallait pas se fier à quelque chose capable d'agir et de penser tout seul si on ne voit pas où se trouve le cerveau."

Remus hocha la tête avec un petit sourire :

"C'est un bon conseil, même si dans ce cas précis, je te répondrai certainement que les cerveaux sont Sirius, James, Peter et moi-même." dit-il, une vague nostalgique passant sur ses traits à l'instant où il prononça leurs prénoms. "Mais c'est une bonne initiative. Alors, le sortilège que nous avons utilisé est le Homonculous."

Hermione fronça les sourcils :

"Je ne connais pas ce sort ?"

"C'est normal." répondit Lupin, avec une touche de fierté dans sa voix. "C'est moi qui l'ai inventé."

"Vraiment ?!" s'écria Hermione.

"Tout à fait. Une fois que nous avons terminé de cartographier la carte, nous avons eu l'idée d'ajouter toutes les personnes dans le Château à l'instant même, et Sirius a proposé ensuite de suivre leurs mouvements. Evidemment, nous étions jeunes et stupides, aujourd'hui, je vois bien tous les dangers que nous avons ignorés en produisant un tel objet. Mais à l'époque, on voulait s'approprier les lieux à notre manière, et puis, qui a envie d'avoir Miss Teigne dans les pattes en permanence ?"

"Personne." accorda Hermione.

Remus acquiesça sagement.

"Alors, Sirius a proposé de placer un sortilège de Location, mais nous avons vite réalisé que ça aurait été compliqué de placer un sort pareil sur chaque personne de Poudlard. Et puis, nous voulions que notre Carte perdure de génération en génération, et il aurait fallu localiser chaque personne qui rentre dans le Château. C'est là que James a réalisé qu'il ne fallait pas placer le sortilège sur les personnes : il fallait le placer sur le Château."

Hermione était complètement plongée dans l'histoire maintenant, son verre d'hydromel oublié et sa question volatisée. Sa tête était remplie d'images de quatre garçons hilares avec un bout de papier, une cape trop petite et un Château trop grand.

"Pendant des semaines et des semaines, nous avons essayé de périmétrer l'espace pour le retranscrire sur la carte en instantané." expliqua Remus. "Ça nous a valu de nombreuses nuits blanches à la Bibliothèque. Inutile de te décrire le moment où le dortoir des Gryffondors que nous occupions est apparu sur le papier, on aurait dit que nous venions de gagner à la loterie."

Hermione eut un petit rire. Remus était en train de partir dans ses souvenirs petit à petit, comme s'il était transporté à cette époque rien qu'en racontant son histoire.

"Après ça, nous avons décidé de périmétrer tout le Château, en ajoutant les mouvements qui s'y déroulaient en temps réel. Ça a marché, mais pas très bien. On ne voyait que les humains, pas les fantômes, ni les animaux, ou dans le cas de James, Sirius et Peter, ni les Animagi. Alors, Peter a eu une idée. Il fallait les nommer."

"Les nommer ?" répéta Hermione.

"Oui. Nous avions passé tellement de temps à localiser chaque pièce que nous avions oublié que les pas qui seraient représentés à l'intérieur ne seraient pas seulement de l'encre. Ça serait des personnes bien réelles, avec des noms, peu importe ce qu'ils étaient. Nous avons testé notre théorie sur Nick-Quasi-Sans-Tête et Sirius en forme de chien, et leurs noms et leurs mouvements étaient bien inscrits sur la carte. C'est là que j'ai inventé le sortilège de Homonculous, qui est en fait un mélange de toutes nos idées, réunies en seul sort. Nous avons périmétré l'intégralité de Poudlard avec, et James a trouvé un moyen de verrouiller et de la déverrouiller la Carte avec une phrase, une sorte de variation d'Alohomora."

Hermione savait que la Carte du Maraudeur était une invention complexe, mais elle n'avait pas réalisé le temps que ça leur avait pris pour la créer. Elle ressentit une profonde admiration pour son ancien professeur de Défense Contre les Forces du Mal. Ce dernier but une gorgée d'hydromel, les yeux perdus dans le vide. Son costume marron élimé devenait trop grand pour lui, et ses cernes étaient violettes sous ses yeux.

"Si le sortilège de Localisation est placé sur le Château, alors comment serait-il possible de disparaître de la Carte ?" demanda Hermione.

Les bords de la bouche de Remus s'affaissèrent, et Hermione ne savait pas vraiment s'il souriait.

"Et bien, il n'est, techniquement, pas possible de disparaître de la Carte." dit-il platement.

La déception fit tomber les épaules d'Hermione, mais un mot susçita son intérêt.

""Techniquement" ?"

Cette fois-ci, Lupin sourit vraiment.

"Techniquement." répéta-t-il. "Quatre garçons de seize ans en possession d'une Carte pareille, ça devient une arme. J'étais comme toi, je voulais trouver la limite à l'invention que nous venions de créer et qui nous dépassait de plus en plus. Les sortilèges de Désillusion, d'Invisibilité, le Polynectar, la cape, les Animagi, rien n'échappe à la Carte. Nous avons donc crée une sorte de contre-sort pour pouvoir s'effacer de la Carte, le temps de quelques heures, que seuls nous connaissions."

"Lequel ?" demanda Hermione, les yeux pétillants de curiosité.

Les traits détendus de Lupin se durçirent un peu quand il demanda :

"Nous sommes tous les deux d'accord que cette conversation est toujours basée sur la protection d'Harry ?"

Elle sentit la boule de culpabilité remonter lentement dans sa gorge :

"Oui. Plus ou moins." répondit-elle vaguement.

Lupin l'inspecta et Hermione était sûre qu'il pouvait voir qu'elle était en train de mentir. Hermione avait entendu de nombreuses fois qu'elle était incapable de bien mentir, mais elle espérait qu'une année à cacher sa relation avec Drago Malefoy l'aiderait à faire semblant. Au bout d'un long moment, Lupin hocha doucement la tête :

"Je te fais confiance, Hermione. Je sais que peu importe tes intentions, elles sont bonnes et réfléchies."

Les entrailles d'Hermione se compressèrent en entendant son ton sincère. Ça lui faisait penser à McGonagall, quand elle était venue à l'infirmerie après qu'Hermione ait raté sa dose de Polynectar. Elle lui avait fait confiance, malgré son enfreint au règlement. "J'éprouve une grande confiance en vous, et je pense que Mr. Potter et Mr. Weasley doivent s'estimer heureux de vous avoir à leurs côtés."

"Nous nous étions promis de ne le revéler à personne, mais j'imagine que cette promesse a été brisée quand Peter nous a trahi." murmura Remus doucement, la douleur résonnant dans chacun de ses mots. "Et je suppose que James et Sirius ne m'en voudront pas. Je te fais confiance, Hermione. Utilise ce sort à bon escient."

Hermione ne répondit rien, parce qu'elle n'était pas sûre que ce qu'elle entreprenait de faire était une bonne chose. Elle savait que son envie de disparaître de la Carte n'avait rien à voir avec Harry. Que c'était une demande égoïste pour passer du temps avec Drago sans se faire repérer. Mais ils ne pouvaient pas s'éloigner, peu importe le nombre de fois où ils avaient essayé, ils revenaient toujours l'un vers l'autre. Avec des pardons et des deals et des promesses. Elle était incapable de fonctionner sans Drago.

Remus n'attendit pas sa confirmation. Il sortit sa baguette et la pointa sur elle :

"Peribit ex charta." prononça-t-il en articulant chaque syllabe.

Une lueur blanche sortit de la baguette de Remus et alla se poser sur le pull d'Hermione. Elle ne sentit aucun effet du sort sur elle, mais pourtant, quand elle regarda ses mains, elle fut choquée de voir que sa paume se dissipait, jusqu'à devenir pratiquement transparente, avant de revenir à sa forme normale en moins d'une minute. On aurait dit qu'elle venait de passer la cape d'Invisibilité sur sa main.

"Que…" commença Hermione, estomaquée.

"Si tu étais à Poudlard, tu serais effacée." répondit Remus avant même qu'elle ne formule proprement sa question. "Le sort dure quatre à cinq heures, je dirais."

Elle observa sa main, qui avait retrouvé son apparence normale, puis releva la tête vers lui :

"Merci, Remus." dit-elle sincèrement.

Il avait revêtu une expression grave et sévère, et pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, Hermione le trouva vieux. Il avait toujours eu l'air plus âgé qu'il ne l'était vraiment, avec ses cheveux parsemés de blanc, ses traits endurcis par la guerre et les souvenirs, et son dos courbé par les transformations. Mais là, à la lumière du chandelier de la salle de bal, Hermione eut l'impression qu'il venait de prendre dix ans.

"Je suis désolée si je t'ai importuné avec mes questions." dit-elle piteusement. "J'imagine que ça doit être difficile de fouiller dans le passé de la sorte."

"Ne le sois pas. C'est toujours plaisant de se rappeler des bons moments, même quand on connaît le futur."

Il lui sourit et Hermione l'imita.

"Hé, Mione ! Viens danser avec nous !" hurla Ginny de l'autre bout de la salle. La concernée détourna le regard de Lupin pour trouver sa meilleure amie, assise sur les épaules de George. Fred était penché sur le gramophone qu'il avait piqué de la cuisine et essayait vraisemblablement de le faire jouer autre chose que les chansons déprimantes de Celestina Moldubec.

Hermione fut sur le point de refuser, quand Fred tapota sa baguette sur l'instrument qui diffusa une musique bien plus énergique. Il s'approcha ensuite d'elle, à moitié en marchant et à moitié en dansant, et lui tendit la main :

"Me ferez-vous l'honneur ?" demanda-t-il avec un faux accent distingué.

"Allez Mione !" cria Ron, qui était à côté de l'immense piano qui trônait au fond de la pièce, la bouche couverte de confiture de cranberry.

Sirius s'était approché du gramophone en faisant bouger ses cheveux d'avant en arrière, au grand plaisir de Ginny qui riait à gorge déployée.

Hermione céda, se leva et prit la main de Fred, mais avant de partir, elle se retourna vers Lupin :

"Tu viens, Remus ?"

"Hm ? Oh non, merci." dit-il, en s'enfonçant contre le dossier de son fauteuil. "Je suis un peu fatigué, dansez sans moi…"

Hermione fut contrainte de suivre le jumeau, et une fois dans la ronde, elle fut incapable de s'arrêter de danser : entre Sirius, Ginny et les jumeaux, l'énergie était à son comble. Hermione sentait son cœur pulser contre sa peau au bout de cinq minutes, et un film de sueur couvrir son front en moins de dix. Elle dansa avec Harry et Ron qui s'amusèrent à la faire tourner de plus en plus vite, monta sur les épaules de Fred pour bouger en même temps que Ginny, et apprit un mouvement de tête particulièrement difficile de la part de Sirius, qui n'avait sûrement rien à voir avec les valses qu'il avait dû apprendre étant enfant.

Et quand Hermione se retourna pour appeler Lupin, il dormait sur son fauteuil.

.

.


Drago


.

.

Drago se tenait à l'entrée du Manoir, là où sa mère lui avait ordonné de se mettre pour accueillir chaque invité. Il faisait froid, personne n'avait pensé à lui lancer un sortilège de Chaleur, et le costume que sa mère lui avait acheté était trop serré, et la musique de l'orchestre était assourdissante, et Drago était de très mauvaise humeur. Pour le moment, il n'avait reconnu personne. Pourtant, les invités défilaient, tellement que Drago se demanda plusieurs fois combien de familles de Sang-purs pouvaient bien exister dans le monde.

"Bonsoir, bienvenue." lança-t-il à un couple de dames qui allaient passer les deux immenses portes.

L'une des femmes, assez âgée et les cheveux magicalement teint dans une couleur rousse très foncée, le scruta sans vergogne de haut en bas.

"Salazar, ne serais-tu pas le jeune Malefoy ?" s'écria-t-elle dans un fort accent écossais.

Drago grinça des dents pour s'empêcher de répliquer une réponse sarcastique. Il se tenait à l'entrée de son Manoir et ses cheveux étaient blonds, qui d'autre pouvait-il bien être ?

"Oui, c'est moi." répondit-il plutôt, en relevant le menton inconsciemment.

"Ah, je t'ai reconnu tout de suite, tu es le portrait craché de ton père." dit la femme.

Drago se retint de grimacer. C'était la dixième fois qu'on lui disait ça ce soir.

"Hum… Merci. Je vous en prie, entrez, ne restez pas dans le froid."

… contrairement à moi, pensa-t-il. Les deux femmes le remercièrent et entrèrent dans le Manoir, où Chubby leur servit deux coupes de champagne.

Drago eut l'impression qu'il passa trois heures à faire de faux sourires crispés et de la politesse forcée. Les femmes le jugeaient et les hommes lui serraient la main trop fort en lui demandant où était son père, et ô à quel point il lui ressemblait. Certains parlaient français, d'autres des langues que Drago n'avait jamais entendu. La plupart venait dans des calèches plus impressionnantes les unes que les autres, les sorcières étaient habillées dans des robes somptueuses, vertes ou rouges.

Les paons étaient sortis. Drago était sûr que c'était son père qui avait réclamé ce point. Il aimait tellement afficher ses richesses que sortir un troupeau de paons dans le jardin correspondait parfaitement à son idée de grandeur. Les bêtes marchaient stupidement autour du chemin, effrayant plusieurs convives. Drago n'avait jamais trop aimé les paons du Manoir, il préférait donc se coller aux portes d'entrée pour éviter que l'un d'eux s'approche de lui trop près.

Drago se sentait tellement à l'étroi dans son costume qu'il dû desserrer sa cravate discrètement pour éviter de s'étouffer. Il était vaguement en train de s'imaginer la réaction de sa mère si son fils s'évanouissait sur le perron de son Manoir quand un homme s'approcha des portes.

"Bonsoir, bienve…" salua Drago pour la centième fois, mais cette fois-ci, il s'arrêta brusquement de parler en reconnaissant l'homme en face de lui.

Théodore Nott Sr.

Il avait des cheveux gris et courts, et des traits marqués par une vieillesse avancée. Ses mains étaient agitées par des tics et le blanc de ses yeux était sillonné par des veines rouges, probablement des effets de l'alcool que Drago pouvait sentir émaner de lui. Tout, chez cet homme, renvoyait chez Drago une profonde aversion. Par réflexe, il attrapa sa baguette dans sa poche, oubliant un instant qu'il n'était pas censé pratiquer la magie en dehors de Poudlard.

"Bonsoir." dit Nott Sr tranquillement, comme s'il n'avait pas remarqué le changement d'humeur de Drago. Il regarda par-dessus son épaule pour contempler l'intérieur du Manoir : "Quelle magnifique réception. Tu donneras mes compliments à ta mère, Malefoy."

Drago ne répondit rien. Toute trace de fausse politesse avait disparu. Heureusement qu'il Occludait, parce qu'il était tenté de lui lancer un Endoloris pile entre les deux yeux et de le regarder se débattre par terre. Il serra sa baguette davantage à cette pensée. C'était à cause de cet homme que Théo pleurait la nuit. C'était à cause de lui que son corps était recouvert de cicatrices.

Comment avait-il pu être invité ? Comment pouvait-il encore profiter de sa liberté après avoir fait une chose pareille ? Il devait être à Azkaban, pas dans son Manoir, en train de se pavaner.

Nott Sr regarda encore une fois derrière Drago, et ce dernier réalisa qu'il devait chercher Théo des yeux. Un frisson lui remonta dans le dos quand il imagina ce qu'il pourrait lui faire s'il l'attrapait. Le torturer pour avoir souillé la lignée, le laisser pour mort, comme la dernière fois.

Sans s'en rendre compte, Drago siffla entre ses dents :

"Votre fils n'est pas là."

L'homme détourna les yeux pour fixer Drago et un grand sourire mauvais étira son visage, révélant des dents sales et cassées. Théodore Nott Sr n'avait rien à voir avec la douceur de Théo, alors pourquoi Drago reconnaissait-il ces yeux bleus en amande ? Pourquoi avaient-ils la même couleur de yeux, alors que ceux de Théo étaient chaleureux et que ceux de son père étaient froids et sadiques ?

"Je n'ai pas de fils." répondit Nott.

Drago sentit ses poils se hérisser sous son costume et il se rapprocha d'un pas :

"Si, vous en avez un." cracha-t-il. "Et il n'est pas là. Vous ne le verrez plus jamais, et vous ne lui ferez plus jamais de mal, sale psychopathe de merde."

Sa voix était tremblante de menace, mais le père de Théo ne fut pas impressionné. Il rit, envoyant une haleine alcoolisée sur le visage de Drago qui recula avec répugnance.

"C'est ce qu'on verra." répondit-il à voix basse.

Pendant une seconde, les deux hommes se regardèrent, et le sourire de Nott envoya une décharge de fureur le long de son corps. Il sentait sa colère monter et l'aveugler, à peine diluée par son Occlumancie. Ce fut à cet instant que la mère de Drago arriva dans son dos :

"Mr. Nott, quel honneur de vous recevoir."

Elle s'approcha, suffisamment pour se mettre à côté de Drago, mais pas assez proche de Nott pour lui tendre la main. Elle portait une robe d'un vert profond avec des manches en dentelle, et un nœud rouge habillait élégamment ses cheveux. Drago ne rata pas la manière de Nott de lorgner sur elle, et sa rage s'intensifia davantage, il pouvait pratiquement la sentir bouillonner dans ses veines.

"De même, chère Narcissa." dit l'homme d'un ton doucereux, ralenti par l'ivresse. "Merci pour votre invitation. Je cherchais justement Lucius, savez-vous où il pourrait se trouver ?"

"Je crois l'avoir aperçu près du buffet tout à l'heure." indiqua-t-elle en montrant la salle de bal au fond du hall. "Entrez, je vous en prie."

Nott baissa respectueusement la tête et passa entre Drago et sa mère, laissant dans son sillage une odeur rance qui fit plisser le nez de Drago. Il n'attendit même pas que le père de Théo se soit suffisamment éloigné pour se tourner vers elle :

"Qu'est-ce qu'il fout là ?!"

Narcissa haussa les sourcils, outrée :

"Drago !" murmura-t-elle, en regardant autour d'eux pour vérifier qu'aucun invité ne l'avait entendu. "Ne me parle pas sur ce ton !"

"J'en ai rien à faire de mon ton, je veux savoir ce que cet homme fout chez moi !" cria-t-il, en pointant du doigt l'intérieur du Manoir.

La main de Narcissa s'accrocha férocement au bras de Drago et elle le conduit dans le jardin, probablement pour éviter que tout le monde l'entende depuis l'intérieur. Quand ils atteignirent la parcelle d'herbe cachée par l'ombre d'un olivier, elle le relâcha.

"Je n'en sais rien, c'est évidemment ton père qui l'a invité." dit-elle dans un chuchotement agacé. "Tu sais très bien ce que je pense de lui, je ne suis pas plus enchantée à l'idée de l'avoir ici que toi."

Drago en doutait fort. Ce n'était pas elle qui apercevait les balafres sur les épaules de Théo à chaque fois qu'il se mettait en pyjama.

"Si Théo avait été là, tu imagines ce qui serait arrivé ?" demanda Drago, sans prendre la peine de baisser sa voix. Il était bien trop emporté pour se rappeler que les invités étaient à côté. "Il l'aurait pourchassé pour le punir ! Il l'aurait tué, Mère !"

Narcissa frissonna, mais ses yeux gris étaient durs et froids. Elle Occludait, tout comme lui, et bien mieux.

"Je ne pense pas qu'il aurait été capable de commettre un tel acte…" dit-elle, et Drago pouvait voir qu'elle n'était pas convaincue par ses propres paroles.

Cette réponse ne fit rien pour atténuer la colère qu'il ressentait à cet instant.

"Ah oui ? Et pendant la Coupe du Monde ? Quand il lui a demandé de se joindre à lui pour aller torturer des Moldus, qu'est-ce que tu penses qu'il aurait fait si Théo avait refusé ? Si Blaise n'était pas intervenu pour le protéger, dans quel état Théo serait-il aujourd'hui ?"

Il vit les effets de sa question sur le visage de glace de sa mère, comme des gouttes de pluie qui tombent sur la neige. Il savait qu'elle n'aimait pas parler de cette nuit-là. Elle fuyait le sujet à peine était-il abordé, à chaque fois, se rappelant probablement de sa peur terrible d'avoir pu perdre son fils unique. Ses pupilles se troublèrent et elle secoua fermement la tête :

"C'était différent. C'était le chaos, et il était ivre."

"Il est ivre, Mère." rétorqua sèchement Drago. "Il était ivre quand il a torturé Théo, ce n'est pas une excuse pour expliquer son comportement."

Narcissa plissa les lèvres et regarda anxieusement vers la porte du Manoir, comme si elle s'attendait à voir Nott se tenir sur le palier. Drago eut l'impression que son masque froid se brisa pour la première fois depuis des années. Ses sourcils se froncèrent.

"C'est vrai, tu as raison." dit-elle finalement.

Mais elle ne fit rien, parce qu'elle ne pouvait pas. C'était Lucius qui contrôlait cette maison, et Drago et Narcissa ne le savait que trop bien. Ils ne purent que laisser cet homme infâme passer sans rien dire.

"Je le hais." dit Drago, d'une voix presque enfantine.

"Je sais. Moi aussi." admit-elle, à sa grande surprise. Il n'aurait jamais pensé qu'elle puisse critiquer un de ses convives aussi ouvertement, qui que ce soit. Mais sa mère avait toujours aimé Théo. L'idée qu'il puisse avoir été blessé par son géniteur devait lui être insupportable.

"Et en plus, il t'a… regardée." dit Drago en désignant la robe de sa mère de la main, avec une petite grimace.

"Que veux-tu dire ?"

"Tu sais, il t'a…" Drago bredouilla, ne trouvant pas comment formuler sa phrase sans paraître indécent. "... reluquée."

Les traits de sa mère se détendirent quand elle comprit.

"Oh." s'étonna-t-elle. "Ne te préoccupe pas pour ça, Drago."

Il recula de stupeur :

"Quoi ? Comment pourrais-je ne pas m'en préoccuper ? Quelqu'un vient d'être irrespectueux envers ma mère sous mes propres yeux et je suis censé ne rien faire ?"

"Non, tu ne dois rien faire." asséna fermement Narcissa. "Je suis touchée par ta volonté de protéger mon honneur, mais ce n'est vraiment pas la peine, les hommes comme Théodore Nott Sr ne m'ont jamais fait peur."

"Ce n'est pas une raison pour qu'il puisse faire ça devant notre Maison et n'en subir aucune conséquence." dit Drago d'un ton irrité.

"Je pense que tu es aveuglé par la haine, Drago." dit doucement sa mère. "Tu n'aurais jamais été aussi indigné si ça avait été Lord Frays qui avait posé son regard sur moi de cette manière."

Drago n'avait aucune idée de qui pouvait bien être Lord Frays mais il secoua la tête tout de même :

"Peu importe la personne, je ne supporterai pas que quelqu'un te manque de respect devant moi."

Elle eut un petit sourire fier et passa ses doigts glacés contre sa joue. Drago le prit comme un remerciement silencieux. Il profita de la caresse de sa mère, si rare. Pendant une brève minute, il n'y avait plus qu'eux, le ciel noir de Noël, les paons qui se baladaient à côté d'eux. Plus d'invités, plus de bal, plus d'orchestre, plus de Théodore Nott Sr. Puis sa mère fit tomber sa main le long de son flanc et tourna de nouveau la tête vers les portes du Manoir.

"J'ai disparu trop longtemps. Je devrais y retourner."

Elle monta les marches de l'escalier et ajouta :

"Remets toi ici pour accueillir les derniers invités."

Elle arriva devant les portes en ignorant le grognement exaspéré de Drago derrière elle.

"Encore ?!"

"Oui, encore, Drago Lucius Malefoy, dépêche-toi de revenir à ta place. Tout de suite."

Drago la suivit d'un pas lent et morne :

"Oui, Mère… Mais il me faut au moins un sortilège de Chaleur, je meurs de froid ici… Mère ? Mère !"

Mais elle s'était déjà mêlée à la foule dans le hall et n'entendit pas les appels de son fils.

"Mère !" cria-t-il. "Putain…"

Il desserra sa cravate rageusement.

"Bonsoir, Mr. Malefoy."

Drago fit volte-face et se retrouva nez à nez avec le père de Pansy. Son souffle se coupa quelque part au niveau de son nœud de cravate défait.

"Oh, euh, hum, bonsoir, Mr. Parkinson." salua Drago, quelque peu décontenancé. "Bienvenue."

Le père de Pansy hocha la tête en remerciement. Drago était sûr qu'il l'avait entendu jurer quelques secondes plus tôt, mais il ne fit pas de commentaire, heureusement, ni sur ça, ni sur sa tenue.

"Je souhaitais m'entretenir avec ton père." annonça-t-il gravement. "Pourrais-tu m'indiquer où il se trouve ?"

"Désolé, je ne l'ai pas vu depuis le début de la réception." dit Drago platement.

Pourquoi tous ces gens voulaient absolument voir son père ce soir ? C'était Noël. Ne pouvaient-ils pas mettre de côté leurs réunions pour profiter de la fête que sa mère avait organisée pendant des semaines ?

"Très bien, je vais le chercher moi-même. Pardon."

Drago se décala pour le laisser entrer, et relâcha une expiration soulagée en le voyant s'éloigner. Il avait été tellement dérouté par l'apparition de Mr. Parkinson qu'il n'avait même pas remarqué sa fille derrière lui. Pourtant, on ne voyait qu'elle dans sa robe verte qui épousait parfaitement sa taille. Ses cheveux étaient lâchés, lisses et plats, et agrémentés de l'intemporel serre-tête que son père lui ordonnait toujours de porter.

"Tu es magnifique, Pans'." dit Drago.

Elle n'entendit pas son compliment.

"Merlin Drago, qu'est-ce que c'est que cette allure déplorable ? Tu accueilles les invités comme ça depuis combien de temps ?"

Elle se précipita sur lui et passa la cravate sur son col en moins de dix secondes. Il se retint de lui faire remarquer que c'était une réflexion que son père aurait très bien pu lui faire.

"J'étouffais là-dedans !" se lamenta-t-il. "Mon costume est trop serré !"

"Ton costume est trop serré ? Je porte un corset, Malefoy, tu sais que ça fait ?" demanda-t-elle. "Ça comprime la poitrine et ça empêche de respirer, et je l'ai depuis 16h, donc tu vas porter cette cravate et arrêter de te plaindre."

Étrangement, ce discours réussit à faire disparaître toute la mauvaise humeur de Drago. Pansy fit un nœud à sa cravate et repassa sa chemise avec ses doigts pour lui redonner une tenue convenable. Quand elle eut terminé, Drago décida qu'il n'y avait plus d'invités à accueillir et proposa plutôt son bras à Pansy :

"On y va ?"

Elle enroula son bras autour de celui de Drago et hocha la tête :

"On y va."

Ils entrèrent dans le hall, puis passèrent les portes de la salle de bal, qui était envahie par un flot de personnes en vert et rouge. Sa mère avait, encore une fois, mis les bouchées doubles en termes de décorations. Il y avait des sapins partout, du houx sur les murs et le plafond, et des fées faisaient virevolter des guirlandes rouges au-dessus de la tête des invités. L'orchestre était installé sur une scène en hauteur, où chacun des quatre membres jouaient d'instruments magiques que Drago ne connaissait pas et qui, selon lui, produisait une musique stridente.

Les danseurs n'avaient rien à voir avec ceux de la Salle Commune pendant les fêtes de Pansy. Ils étaient tous guindés au point d'en être pompeux. Les couples se tenaient à bout de bras, presque dégoûtés de se toucher de la sorte, et tournaient avec tellement de synchronisation que ça créeait presque une illusion d'optique à Drago qui se tenait face à la piste de danse.

"Tu veux danser ?" proposa Drago à Pansy, qui hocha la tête avec plaisir.

Ils attendirent la fin de la musique et s'ajoutèrent à la lignée des danseurs. Quand la musique commença, Drago guida Pansy vers l'arrière, puis vers l'avant, un pas de côté, un pas de l'autre côté, sans la quitter des yeux. Ils avaient appris cette danse ensemble et l'avaient pratiqué des centaines de fois. Peu importe le nombre d'années qui s'écoulaient entre chaque valse, les pas était gravés dans leurs esprits. Pansy était rigide dans ses bras, pas trop directive mais pas trop nonchalente non plus. Sa tête était levée et droite, il pouvait voir les muscles de son cou se tendre sous l'effort, et ses jambes suivaient le mouvement de celles de Drago avec perfection.

Son costume était tellement serré qu'il dût arrêter après la troisième danse, et Pansy le suivit en lui rappelant qu'elle portait un corset et que c'était elle qui aurait dû déclarer forfait. Drago roula des yeux :

"Oui, oui, j'ai compris, je suis pitoyable. Tu n'as qu'à trouver Blaise, il dansera avec toi…"

Sa phrase les stoppa net tous les deux. Drago était tellement habitué à ce que Blaise soit là qu'il avait oublié qu'il n'avait pas été invité. Il continua maladroitement sa phrase pour dissiper le malaise qui s'était installé :

"... ou n'importe quel gars, j'en sais rien."

"Regarde autour de toi, il n'y a pas un seul garçon de notre âge dans les environs !" râla Pansy.

Drago inspecta la foule autour d'eux et repéra quelqu'un :

"Si, là-bas."

Pansy suivit son regard, et son visage prit une expression horrifiée en le reconnaissant :

"Sérieusement ? Crabbe ? T'as pas mieux à me proposer que Crabbe ?"

Drago éclata de rire et plusieurs femmes le regardèrent bizarrement, comme si rire à un bal de Noël était une profanité des plus grossières.

"Il a un crush sur toi, tu sais." fit remarquer Drago en remuant les sourcils suggestivement.

Pansy produisit un son étranglé :

"Beurk. Va me chercher à boire au lieu de raconter des conneries pareilles."

Drago riait toujours quand il se fraya un chemin vers le buffet. Le pauvre Chubby avait du mal à servir tout le monde à temps, il s'agitait et manqua de renverser le plat plusieurs fois dans sa hâte. Drago se dirigea vers le bar et se servit seul. Il était sûr que parmi les centaines de bouteilles ici, il y avait le whisky à la vanille que Pansy adorait, mais il ne pouvait pas vraiment lui servir de l'alcool ici, alors il opta pour deux verres de limonade.

Quand il revint, il mit du temps à retrouver Pansy. Il finit par l'apercevoir un peu plus loin, près de l'entrée. Elle était en pleine discussion avec trois femmes que Drago ne reconnaissait pas, et même si elle était dos à lui, Drago la connaissait suffisamment bien pour savoir qu'elle avait été accaparée de force et qu'elle n'avait aucun désir à être ici, rien qu'en voyant sa nuque tendue. Il s'approcha et entendit son rire gêné à travers la musique.

"Alors, Miss Parkinson, racontez-nous un peu où vous en êtes…" Drago entendit une des femmes demander d'une voix sifflante.

"Oh oui, avez-vous un fiancé ?" questionna une autre dame, en observant Pansy comme si elle était une pièce de viande qu'elle voulait cuisiner pour son dîner.

Drago se figea, les deux coupes de limonade à la main.

"Non, pas encore." répondit tranquillement Pansy, pas du tout troublée par la question.

"C'est vrai ?" demanda la troisième femme en portant une main sur son coeur, scandalisée. "Mais il est grand temps, ma fille ! Vous devez absolument vous trouver un mari convenable avant la fin de Poudlard !"

"J'ai plusieurs prétendants." dit Pansy, un mot que Krum avait déjà utilisé pour parler de Granger et que Drago avait trouvé terriblement démodé. Aucune des trois femmes ne sembla étonnée par son usage.

"De bonnes familles ?"

"Des Sang-purs, oui." répondit Pansy.

Drago remarqua qu'elle ne se tenait pas comme d'habitude, et qu'elle parlait avec une voix qu'il n'avait jamais entendu jusqu'alors sortir de sa bouche.

"Nous croisons les doigts pour que l'un d'entre eux fasse sa demande au plus vite, alors." dit la première femme avec espoir.

Elle porta sa coupe de champagne à sa bouche et Drago vit que ses ongles peints de rouges ressemblaient presque à des griffes.

"Oui. Je l'espère aussi." murmura Pansy d'une voix faible.

Drago se fit bousculer par quelqu'un et il réalisa qu'il était debout, au milieu de la salle de bal, à écouter une conversation qui ne le concernait pas. Il s'éclaircit la gorge, aussi bien que sa cravate lui permettait, et s'approcha de Pansy avec un sourire crispé :

"Tiens, ta boisson." dit-il en lui tendant sa coupe de limonade.

"Oh, merci, Drago." dit Pansy en prenant le verre d'un geste lent et travaillé.

Elle but sa limonade du bout des lèvres dans une parfaite représentation de Narcissa. Drago n'avait jamais vu sa meilleure amie si… sophistiquée. Il se demanda où elle avait appris ces manières.

Les trois femmes regardèrent Drago avec des airs d'espérance et il réalisa qu'elles devaient penser qu'il faisait partie de ces fameux prétendants. Il passa un bras dans celui de Pansy et la tira gentiment vers la piste :

"Désolé mesdames, je vous l'emprunte pour la prochaine danse." annonça-t-il, peu désireux qu'elles lui posent des questions sur ses projets maritaux à lui aussi.

"Excellente initiative, Mr. Malefoy." dit la femme du milieu, avec un sourire qui ressemblait atrocement à ceux d'Ombrage. "Amusez-vous bien."

Drago baissa la tête pour les saluer et quand il se retourna, il vit qu'elles s'étaient mises à cancaner à toute vitesse entre elles. Il emmena Pansy de l'autre côté de la salle :

"Merlin, c'était quoi ça ?"

"Mrs. Teawell, Mrs. Russel, et Mrs. Knight." récita Pansy, comme si Drago venait de l'interroger sur ses notes de cours.

"Je m'en fous de leurs noms." dit Drago en balayant l'air avec sa coupe de limonade. "Qu'est-ce qu'elle te voulait ?"

"Rien de spécial." répondit Pansy en haussant les épaules.

"Pourquoi est-ce que ces femmes viennent de te demander si tu avais un fiancé ?" demanda Drago, agacé de devoir préciser pour avoir une réponse correcte à ses questions.

Pansy lui lança un drôle de regard.

"Ça fait au moins deux ans qu'on me pose cette question." dit-elle. "Tu n'as jamais remarqué ?"

Drago sentit ses yeux s'agrandir. Il n'avait, en effet, jamais remarqué. Il savait que le père de Pansy avait cette obsession étrange que Pansy se marie vite, mais il n'avait pas compris que c'était une opinion qui était partagée par plusieurs personnes.

"Quoi ? Mais pourquoi ?"

"Parce que je suis une Sang-pure." répondit-elle simplement.

"Et alors ? Moi aussi, et pourtant jamais personne ne m'a demandé qui était ma fiancée."

Le regard de Pansy se transforma en un air blasé.

"Mais moi, je suis une fille." précisa-t-elle. "Ça fait partie de mes devoirs de me marier vite."

"De tes… devoirs ?" répéta-t-il, écoeuré.

"On me parle de mon mariage depuis toujours, Drago." dit Pansy comme si elle expliquait ça à un enfant. "J'ai même eu de la chance que ça m'arrive aussi tard, Astoria a déjà reçu des demandes à treize ans."

Drago fit une tête dégoûtée et Pansy dit simplement :

"Je sais. C'est immonde."

"Tu ne comptes pas vraiment le faire, pas vrai ?" demanda-t-il, inquiet à l'idée qu'elle puisse écouter ces dames.

Pansy secoua la tête :

"Non, je repousse l'échéance du mieux que je peux. Et personne ne m'a encore fait sa demande."

Drago ne trouvait pas cette réponse très satisfaisante. À l'entendre, on aurait dit que c'était la seule chose qui l'empêchait de se marier dans l'immédiat. Il n'était pas jaloux à l'idée que Pansy puisse sortir avec un autre garçon, mais plutôt horrifié qu'un mariage soit quelque chose qu'elle puisse envisager aussi tôt.

Pansy but une gorgée de limonade et Drago objecta :

"Mais tu n'es même pas amoureuse."

Pansy arrêta de boire et le regarda par-dessus sa coupe.

"Tu crois que tes parents étaient amoureux quand ils se sont mariés ?"

Cette question le perturba grandement. Il regarda Pansy sans comprendre son insinuation. Il savait qu'il y avait des mariages forcés parmi les Sang-purs, c'était connu. Des couples qui ne pouvaient pas se blairer mais qui étaient contraints de vivre ensemble toutes leurs vies dans le malheur, Drago était sûr que ça existait depuis des décennies. Mais ses parents n'étaient pas concernés par ça, si ? Ils se disputaient souvent, mais ils s'aimaient, il en était quasiment certain. Il voyait la manière dont son père regardait sa mère quand elle descendait dans une jolie robe, il voyait la manière dont il s'effaçait quand elle était en colère. Il voyait que, malgré son masque d'indifférence, il l'écoutait et se confiait à elle. Ils s'aimaient, bizarrement, pas comme les parents Weasley, mais ils s'aimaient. Non ?

"Tu es un garçon." continua Pansy sans attendre de réponse. "Personne ne te fait chier avec ce genre de conne… Oh putain Drago, y a le père de Théo !"

Pansy s'étouffa à moitié sur sa limonade et se colla contre le mur en apercevant Nott Sr parmi les invités. Ce dernier traversa la salle de bal jusqu'à atteindre un homme près du buffet, que Drago ne connaissait pas. Il lui chuchota quelque chose à l'oreille et les deux hommes prirent la direction du bureau de Lucius.

"Ouais, je sais." grinça Drago en sentant la colère remonter.

"Comment ça, tu sais ?" demanda Pansy, choquée.

"On a eu une conversation houleuse à l'entrée du Manoir." expliqua Drago entre ses dents.

Pansy eut un hoquet de surprise :

"Quoi ?"

"Viens dehors, je te raconte là-bas." dit-il tout bas, pour ne pas que les danseurs à côté d'eux n'entendent ce qu'ils disaient.

Pansy le suivit jusqu'à l'entrée, et Drago ouvrit la porte qui menait aux jardins arrières, mais se stoppa net quand il vit qu'une grande partie des convives avaient envahi le terrain. Drago n'avait pas réalisé qu'ils pouvaient être dehors à cause du froid de Décembre, mais il fallait croire que la salle de bal n'était pas assez grande pour accueillir tout le monde. Sa mère avait installé des arches rouges dehors, et avait même décoré la fontaine avec des lumières qui scintillaient dans la nuit. Drago et Pansy grimacèrent en même temps en voyant leur espace occupé.

"Merde." lâcha-t-il.

Il regarda les invités dehors et n'en reconnut aucun.

Il ne connaissait aucune de ces personnes.

Il pensa à Granger, qui devait être en train de partager un maigre repas sur une table miteuse, entourée de plein de rouquins, d'Harry Potter, d'un tueur en série fou et d'un loup-garou, et qu'elle devait être beaucoup plus heureuse que lui à cet instant. Elle n'avait pas besoin de porter un corset pour être bien vue. Elle n'avait pas besoin de soigner son apparence pour renvoyer une image, elle était elle-même, dans une maison qui ne devait pas payer de mine, mais qui devait être bien plus chaleureuse qu'ici. Drago passait son Noël avec des étrangers dans son Manoir, qu'il ne considérait plus comme sa Maison depuis longtemps.

"Alors, où va-t-on ?" demanda Pansy en scrutant les gens devant elle. "Dans ta chambre ?"

"Non." dit Drago en lui empoignant la main pour lui faire faire demi-tour. "On va chez Blaise."

"Chez Blaise ?" répéta Pansy, les yeux ronds.

"Ouais. Je veux pas passer Noël ici, je veux passer Noël avec ma vraie famille." décréta Drago.

Il s'attendait à ce que Pansy l'empêche de continuer à marcher, essaye de le raisonner, de lui rappeler que leurs parents étaient là et qu'ils n'avaient pas le droit. Mais bizarrement, elle le suivit sans la moindre protestation.

Il ne prit pas la peine de vérifier où étaient ses parents. Lucius et le père de Pansy allaient certainement rester enfermés dans le bureau toute la nuit et Narcissa allait passer sa soirée à vérifier que chacun de ses convives passaient un bon moment, comme chaque année. Drago était probablement le cadet de ses soucis.

Pansy et lui traversèrent les grandes portes sans se faire arrêter. Ils marchèrent aussi vite que les escarpins de Pansy le permettaient et se retrouvèrent sur l'allée du village qui menait au Manoir de Blaise. Il faisait nuit noire, mais Drago connaissait le chemin par cœur, il n'avait pas besoin de lumière pour se diriger.

"Alors ?" demanda Pansy une fois qu'ils furent assez éloignés pour ne plus apercevoir le Manoir de Drago. "Qu'est-ce qu'il s'est passé avec le père de Théo ?"

Drago lui raconta l'histoire, la peau brûlante de colère qui n'était pas encore dissipée. Pansy tressaillit quand il lui rapporta qu'il avait dit ne pas avoir de fils, mais elle s'indigna quand il lui raconta la menace qu'il avait fait à l'encontre de Théo :

"Qu'est-ce que tu crois que ça veut dire ? Il veut récupérer Théo ?"

"Je sais pas, il a peut-être dit ça sans le penser, il était bourré comme pas possible." dit Drago, mais ça ne rassura pas Pansy pour autant.

"Il faut quand même sécuriser le Manoir de Blaise, au cas où il essayerait d'entrer. Il ne mettrait pas longtemps à comprendre qu'il habite là-bas, il sait qu'il est ami avec Blaise…"

"Pans', il ne fera rien du tout." dit Drago. Il se rapprocha d'elle pour frôler son bras en guise de réconfort.

"Tu n'en sais rien." dit-elle doucement. "Il ne faut pas prendre les menaces de cet homme à la légère, Drago. Il est dangereux, bien plus qu'on pourrait l'imaginer."

Drago hocha la tête pensivement. Il ne connaissait pas grand chose de cet homme, mais les récits de Théo suffisaient à lui donner une image suffisante pour le cerner.

"Il est prêt à tout pour parvenir à ses fins, et c'est un Mangemort." poursuivit Pansy d'une voix fluette.

Drago tourna la tête brusquement vers elle, même s'il pouvait à peine distinguer son contour dans la nuit.

"Mon père est un Mangemort." dit-il, sur la défensive.

Pansy continua de fixer le chemin devant elle.

"Justement."

L'indignation de Drago mourut sur sa langue. Elle avait raison, bien sûr. L'exemple de Lucius n'était pas le meilleur en termes de père. Celui de Théo était bien pire, mais ça ne voulait pas dire que Lucius n'en restait pas moins un partisan du Seigneur des Ténèbres, et qu'il avait commis des horreurs, sûrement même tué des gens pour parvenir à ce rang.

Ils restèrent silencieux jusqu'à ce qu'ils arrivent devant le Manoir de Blaise. Drago pensait à ce que Pansy venait de dire concernant leurs pères. Celui de Pansy n'était pas un Mangemort, mais ils savaient tous les deux qu'il partageait leurs idées. Il savait vaguement qu'il travaillait dans une boutique de potions douteuses sur l'Allée des Embrumes, et qu'il y tenait des conférences sur les principes tordus des Sang-purs. Pansy lui avait dit une fois qu'il avait rédigé des textes sur les Vingt-huits sacrés et qu'il avait un rôle important dans les unions exclusivement de Sang-purs. Drago n'avait aucune idée de l'ampleur de ses crimes. Il ne savait pas si être un Mangemort voulait forcément dire être pire que les autres. Pour lui, ça voulait simplement dire croire aux valeurs d'un sorcier plus puissant.

Cooky sembla surpris de les voir sur le palier quand il ouvrit la porte, mais il effaça rapidement son étonnement et les salua avec une révérence exagérée.

"Mr. Drago, Miss Pansy." dit-il en les laissant passer. "Mon maître et Mr. Théo sont dans le salon du troisième étage."

"Merci, Cooky." dit Drago par réflexe, recevant un regard interloqué de la part de Pansy.

Ils se dirigèrent vers l'endroit indiqué. Le Manoir de Blaise était tellement immense que Drago pouvait s'y perdre aisément. Il y avait tout un tas d'ailes, de couloirs et d'escaliers, et des pièces immenses que Drago découvrait souvent pour la première fois. Le troisième étage était en fait réservé exclusivement à Blaise. Il y avait deux salons, une cuisine, six salles de bain, cinq chambres, une pièce pour exposer sa collection de balai, un bureau et une bibliothèque, et pourtant, Drago le voyait rarement dans cette partie-là du Manoir. Dès qu'il venait, Blaise était dehors ou au rez-de-chaussée.

Ils trouvèrent Théo et Blaise assis par terre, malgré les dizaines de canapés qui occupaient l'espace, en train de jouer une partie de Bataille Explosive.

"Merlin, qu'est-ce que vous foutez là ?" demanda Blaise en les apercevant dans l'entrée.

Il se leva et s'approcha d'eux, comme pour vérifier qu'ils étaient bel et bien là.

"On en avait marre de la fête." expliqua Pansy.

"C'était moins bien sans vous." ajouta Drago.

Théo leur fit un sourire et reposa son tas de cartes sur la table.

"Quoi ? Mais, et vos parents ?" demanda Blaise, étonné.

Pansy haussa les épaules :

"Ils ne s'aperceveront de rien, ils n'ont jamais remarqué qu'on disparaissait dans la chambre de Drago à chaque fois."

Blaise esquissa un geste, comme s'il voulait les prendre dans ses bras, mais se retint et sourit à la place. Ils n'étaient pas très forts pour montrer leur affection comme ça, physiquement, mais Drago savait qu'il était reconnaissant.

"Merlin, j'en reviens pas que vous soyez ici." dit-il avec joie. "Cooky !"

L'elfe se matérialisa entre eux dans la seconde.

"Apporte-nous des chocolats chauds et des cookies." ordonna Blaise.

L'elfe hocha la tête et transplana. Quand il revint, il portait un immense plateau de cookies et des gros verres de chocolats qui coulaient le long des bords, qu'il posa sur la table à manger où Blaise et Théo jouaient aux cartes.

"Où est…?" demanda Pansy avec une certaine impatience dans la voix.

"Il dort dans sa chambre." répondit Blaise avant même qu'elle ne termine sa question.

Pansy reprit le couloir en sens inverse pour arriver dans l'une des chambres d'invités de Blaise, que Pansy avait renommée "la chambre d'Eris." Il y avait quatre sortes de paniers différents par terre, mais Eris n'occupait aucun d'entre eux : il était allongé de tout son long dans le lit immense, aussi blanc que le drap, occupant une portion si petite du matelas que c'en était presque ridicule.

"Oh, Eris !" s'écria Pansy en le voyant.

Elle accourut vers lui et le chien ouvrit un œil, attiré par la voix de sa maîtresse. Dès qu'elle se rapprocha de lui, il s'assit et aboya de bonheur. Elle le prit dans ses bras et le serra contre elle de toutes ses forces, il répliqua en lui léchant le nez.

"Oh, Eris, tu m'as tellement manqué !"

Elle le tenait comme si c'était l'objet le plus délicat du monde. Il y avait plein de poils blancs sur sa belle robe verte mais elle n'en avait rien à faire, elle n'avait d'yeux que pour Eris. Drago la regarda le bercer avec un sourire attendri aux lèvres. Visiblement, Pansy lui avait manqué aussi, il agitait sa queue dans tous les sens tant il était heureux de la revoir.

Après une dizaine de minutes de câlins de retrouvailles, tout le monde retourna dans le salon et s'installa dans les canapés. Il n'y avait aucune décoration de Noël dans la pièce. En fait, il n'y avait aucune décoration dans tout le Manoir, pas même un sapin. Et pourtant, Drago ressentait bien plus la chaleur de Noël ici que dans sa salle de bal décorée de partout. Il dégusta son chocolat chaud en riant, trois des personnes qu'il aimait le plus au monde à ses côtés.

Drago était tout le temps étonné de leur faculter à parler alors qu'ils passaient toutes leurs journées ensemble depuis cinq ans. Ils trouvaient toujours un sujet de conversation et pouvaient parler pendant des heures sans en éprouver la moindre lassitude. C'étaient les seules personnes avec qui Drago tolérait de parler aussi longtemps.

Avec Granger, bien entendu.

Quand la conversation se tourna sur les invités du bal, cependant, les doigts de Drago se contractèrent contre son verre de chocolat. Pansy lui lança un regard, puis vers Théo, qui nota son inquiétude avec un froncement de sourcils perplexe :

"Quoi ?" demanda-t-il en passant son regard de l'un à l'autre.

"Quoi, quoi ?" demanda Pansy innocemment.

"Il y a quelque chose que vous ne dîtes pas." dit Théo suspicieusement. "Je connais ce regard, c'est celui que vous faites quand vous voulez dire quelque chose mais que vous avez peur de ma réaction. Alors, dîtes moi."

Une ombre sinistre tomba sur le visage de Blaise et Drago sut qu'il avait compris avant même qu'il ne commence à expliquer. Il le fit avec réticence :

"Ton père était là."

Granger aurait énoncé cette vérité avec beaucoup plus de retenue, en arrondissant les angles pour ne pas que ça soit trop brutal, mais Drago n'était pas comme ça. Pour lui, ça ne servait à rien d'enrober les faits de douceur, ça ne changeait pas le problème : son père était là, point. Rien n'aurait pu empêcher les couleurs de Théo de se drainer de ses joues.

Il reposa précautionneusement son verre sur la table et Drago vit que sa main qui le tenait tremblait.

"Il… Il était invité ?" demanda-t-il d'une petite voix.

"Par mon père, oui. Ma mère n'était pas à l'aise non plus à l'idée qu'il soit là." expliqua Drago.

Il se sentait obligé de défendre sa mère, d'une part parce qu'il n'aimait pas la mettre dans le même panier que Lucius, et de l'autre parce qu'il ne voulait pas que Théo ait l'impression qu'elle ne le soutenait pas. Elle le faisait, à sa manière. En lui envoyant des boîtes de chocolat dans les colis de Drago et en demandant de ses nouvelles à chaque lettre.

Théo sembla rassuré par cette perspective. Blaise, lui, était enragé.

"Qu'est-ce qu'il foutait là-bas ?"

"J'en sais rien, ça m'a rendu fou." dit Drago en se passant une main dans les cheveux. "Mon père s'entend bien avec lui. Ils se sont enfermés dans son bureau en début de soirée, avec le père de Pansy et d'autres hommes que j'ai pas reconnu."

Blaise poussa un soupir exaspéré. Pansy caressait distraitement son chien sans prendre part à la conversation, les yeux rivés sur Théo pour jauger sa réaction à cette nouvelle.

"Je lui ai dit que tu n'étais pas là." continua Drago. Théo sursauta et plongea son regard dans le sien.

"Qu'est-ce qu'il a répondu ?" demanda-t-il, et Drago crut percevoir de l'espoir dans son ton.

"Qu'il n'avait pas de fils." répondit-il.

Le visage de Théo tomba et Pansy se leva pour se mettre à côté de lui. Elle lui serra affectueusement l'épaule et il eut un pâle sourire.

"Plutôt prévisible. Il l'avait dit dans sa lettre, quand il m'a renié."

"Ouais, bah ça m'a énervé." cracha Drago en se repassant une main dans les cheveux, les tâchant probablement de chocolat. "Je lui ai dit qu'il ne te verra plus jamais et qu'il ne te fera plus jamais de mal. Et je… je l'ai traité de psychopathe de merde."

Drago pensait que Théo fronçerait les sourcils mais à sa surprise, il éclata de rire.

"Désolé, c'est nerveux." dit-il en se couvrant la bouche.

Blaise lui lança un regard amusé :

"Ne t'excuse pas. Il le méritait." il se retourna vers Drago avec une lueur d'inquiétude. "Il l'a mal pris, j'imagine ?"

"Pas vraiment." répondit Drago. "Il a ri. Il empestait l'alcool. Il m'a dit "c'est ce qu'on va voir", puis ma mère est arrivée et il a disparu dans la foule."

"On ne va rien voir du tout." gronda Blaise, sa voix tellement menaçante que Théo et Pansy se reculèrent dans le canapé par réflexe. "Il ne viendra jamais ici, et s'il essaye, je le tuerai de mes propres mains."

Blaise n'était même pas majeur, il avait du mal à lancer Accio en classe de Sortilèges, et il n'avait jamais participé à un duel en bonnes et dûes formes, mais ça n'empêcha pas Pansy, Théo et Drago de le croire instantanément.

Il se tourna vers un Théo livide :

"Tu n'as rien à craindre ici, personne ne peut t'atteindre. Le périmètre du Manoir est protégé par des sorts, et personne à part vous n'y a accès. Il ne t'arrivera rien, j'y veillerai moi-même."

"Merci mate." répondit Théo. Drago eut l'impression que ce n'était pas la première fois que Blaise le rassurait à ce sujet.

"C'est normal." dit Blaise comme une évidence. "Tu es mon frère. Ça vaut pour vous deux aussi. Vous êtes ma famille, je vous protégerai toujours."

Il leva la main comme un serment et Drago sentit son coeur se serrer de gratitude pour son meilleur ami.

Ils changèrent de sujet, peu avides de continuer de parler du père de Théo, mais ce dernier resta un peu effacé pendant le reste de la soirée, malgré Eris qui lui sautait dessus pour avoir des caresses.

Quand ils eurent terminé tous les cookies et que Drago avait l'impression que son ventre allait exploser d'avoir tant mangé, Blaise leur proposèrent d'aller dans sa chambre pour leur montrer le tout dernier balai collector que son beau-père lui avait envoyé le matin-même en cadeau de Noël.

Drago était rarement allé dans la chambre de Blaise, parce qu'il n'y passait que très peu de temps, juste pour dormir. C'était une pièce immense, aussi grande que la salle de bal de Drago. Il y avait des fauteuils, une immense cheminée, un piano, des bibliothèques, un bureau, et un dressing. Mais l'objet le plus impressionnant dans cette pièce était sans doute le lit. Il occupait tout l'espace du fond de la chambre, et pouvait aisément accueillir une douzaine de personnes. Plein d'oreillers étaient dispersés un peu partout. En voyant la taille de son lit, Drago comprenait mieux pourquoi Blaise bougeait autant en dormant.

La seule touche personnelle de la chambre était les photos encadrées sur les murs. C'était surtout des photos de lui enfant, toujours accompagné de sa mère. Elle était radieuse sur tous les clichés avec des grands sourires aux lèvres. Blaise, qu'il soit bébé, enfant ou à Poudlard, avait toujours les mêmes traits, et souriait tout le temps. Il y avait des photos de lui qui soufflaient sur des bougies d'anniversaire enchantées, d'autres en voyage dans plein de pays du monde, certaines où il était accompagné de ses différents beaux-pères. Les photos bougeaient légèrement dans les cadres, le seul mouvement dans la chambre, qui semblait figée dans le temps.

"Le voilà !" s'exclama Blaise en s'approchant du lit. "Un Turbolenza, venu tout droit de la manufacture italienne de balais de course ! Trafigge il vento !"

Quand Blaise parlait italien, c'était qu'il avait dépassé le stade normal de la joie. Il prit le balai et le montra avec excitation, même si Drago était le seul à être intéressé par cette nouvelle acquisition : Théo y jeta à peine un regard et Pansy était occupée à bercer Eris.

Le balai était plus courbé que ceux qu'ils avaient l'habitude de posséder, un vrai balai de course. Il était poli à la perfection pour qu'aucune brindille ne puisse freiner son avancée. Drago ouvrit la bouche de stupéfaction en l'analysant, il avait rarement vu un balai aussi beau.

"Merlin, il est magnifique."

"T'as vu ça ?" dit Blaise avec fierté.

"Tu vas le tester ?"

Il fit une tête indignée.

"Ça va pas ? Je vais l'encadrer. J'ai trop peur de l'abîmer."

Drago fut sur le point de protester quand Pansy lâcha Eris sur le lit, qui essaya de mordre les poils du balai. Blaise l'arracha de sa prise et alla le poser dans sa salle de collection.

Ils finirent par discuter dans le lit de Blaise, qui était tellement grand qu'ils pouvaient étirer leurs jambes sans se toucher les uns et les autres. Eris s'endormit au centre et Théo mangea une boîte entière de chocolats que Blaise lui avait offert pour Noël en moins d'une heure, ce que Drago trouvait impressionnant étant donné la quantité de cookies qu'ils avaient mangé.

"Je dois y aller." dit Pansy, alors que les trois garçons somnolaient à moitié. "Mon père ne va pas tarder à me chercher et s'il ne me trouve pas, j'aurai des ennuis."

"Tu veux que je te raccompagne ?" demanda Drago en se redressant à moitié contre son oreiller.

"Non, pas la peine." dit-elle.

"Demande à Cooky de te faire Apparaître devant le Manoir." proposa Blaise, les yeux fermés.

"Je sais pas, je comptais fumer sur le chemin. Bonne nuit."

Ils répondirent mais Pansy ne s'adressait pas à eux, elle parlait à Eris qu'elle embrassa doucement sur la tête avant de sortir discrètement de la pièce. Théo marmonna quelque chose que les deux autres n'entendirent pas, trop fatigués pour essayer de comprendre.

"Quelle heure est-il ?" demanda Blaise, d'une voix endormie.

"Aucune idée. 2h ou 3h du matin."

"Tu dors ici ?" demanda-t-il, bien que la réponse était évidente au vu de la position de Drago.

"Ouais. J'imagine que si ma mère a vu que j'étais pas là elle a deviné que j'étais là. Si j'ai pas reçu de lettre ça veut dire que je crains rien."

"Hmm." répondit la voix de Blaise quelque part vers sa gauche, déjà endormi.

Drago entrouvrit un œil pour regarder devant lui. Théo dormait profondément, la tête posée sur une montagne d'oreillers, le visage recouvert par ses cheveux bouclés qui partaient dans tous les sens, la bouche légèrement entrouverte. Drago savait qu'il avait une chambre ici, mais aucun des trois ne sembla enclin à sortir du lit si confortable.

Il s'endormit à son tour sans la moindre difficulté, contrairement à chez lui, où il pouvait passer des heures à tourner sans parvenir à trouver le sommeil.

Drago rêva qu'il courait autour de la fontaine de son jardin, suivi par les paons. Il était seul et riait sans s'arrêter, même s'il ne savait pas pourquoi. Il faisait beau, il pouvait presque sentir les rayons de soleil contre sa peau. Pourtant, il savait que c'était un rêve. Quand il arrêta sa course, la fontaine avait été remplacée par un banc.

Un grand bruit le réveilla brutalement. Il mit plusieurs secondes à se rappeler où il était. Il faisait encore nuit noire dehors, Drago pouvait apercevoir la lueur de la lune à travers la fenêtre. Il cligna des yeux plusieurs fois, et c'est là qu'il l'entendit.

"Non, non, non, laissez-moi sortir, non…"

"Blaise, putain !" cria Théo.

Drago se redressa et se jeta en avant, à l'endroit où Blaise était en train de se débattre sur le lit. Théo le secouait de toutes ses forces, mais ça ne changeait rien : Blaise continuait d'hurler de douleur.

"Putain, il refait un cauchemar !" hurla Drago en réalisant ce qu'il se passait.

Il tendit le bras vers la table de nuit où était posée la baguette de Blaise mais Théo l'arrêta :

"Drago, tu ne peux pas ! On a pas le droit de faire de la magie !"

Il se tourna vers Théo, horrifié.

"Tu crois que j'en ai quelque chose à foutre ?"

"Non, réfléchis, Drago !" cria Théo, la voix pleine de panique et de désespoir. "Si le Ministère voit que tu as pratiqué la magie en dehors de Poudlard, ils vont venir ici ! Tu as vraiment envie qu'un officiel du Ministère voit Blaise dans cet état ?"

Drago tourna la tête vers Blaise, hagard. Son visage était contorsionné de douleur et tout son corps tremblait de spasmes violents. Il n'eut pas besoin de faire de théorie sur ce que ferait un officiel du Ministère, il le jeterait probablement dans une cellule en pensant qu'il était fou.

"Non, laissez-moi sortir, non, NON !" gémit Blaise d'une voix hachée.

"Qu'est-ce qu'on fait, alors ?!" demanda Drago.

"Va chercher un verre d'eau dans la salle de bain !" ordonna Théo, qui continuait de remuer Blaise pour essayer de le faire sortir de sa transe.

Il obéit et glissa du lit, se prenant les pieds dans la couverture et tombant à moitié par terre. Il tâtonna les murs pour trouver la porte, puis la salle de bains la plus proche. Il n'y avait pas de verre sur l'évier. Drago maudit l'interdiction de magie et renversa les tiroirs en essayant de trouver un récipient. Il trouva un vase, jeta les fleurs par terre et le remplit d'eau glacée avant de revenir en courant dans la chambre.

"Je l'ai !" cria-t-il pour couvrir les hurlements de Blaise qui avait augmenté pendant son absence.

"Jette lui l'eau au visage !" ordonna Théo.

Drago aspergea Blaise avec force, mais Blaise continuait de lutter, les yeux fermés et insensible à l'eau.

"Merde ! Blaise, réveille-toi, tu fais un cauchemar !" cria Théo en se rapprochant pour lui secouer le bras.

Quand il toucha son épaule, il retira vivement sa main avec une plainte étouffée :

"Putain ! Drago, il est brûlant !"

L'esprit de Drago était trop lent pour saisir toute la situation devant ses yeux. C'était exactement comme la dernière fois, Blaise se démenait avec force contre quelque chose que ni Théo ni Drago ne pouvaient voir, sa peau était chaude, il ne répondait pas à leurs appels et il avait mal. Après la première crise, Drago avait pensé avoir exagéré. Il avait passé des jours à minimiser le cauchemar de Blaise, que c'était probablement son état de semi-somnolence qui l'avait fait imaginer des trucs.

Mais c'était, en fait, pire que dans ses souvenirs.

Tout le corps de Blaise tremblait furieusement. Drago lâcha le vase qui se fracassa par terre et sauta dans le lit pour aider Théo :

"Blaise, réveille-toi, ce n'est pas réel, tu es ici, dans le Manoir, tu n'es pas en feu !" répéta-t-il, mais Blaise semblait trop loin, trop profondément ancré dans son rêve pour l'entendre.

"Blaise ! BLAISE !" hurla-t-il quand même, impuissant, incapable de trouver une solution dans la panique. Il se tourna vers Théo qui semblait partager son état.

Blaise leva brutalement le bras pour s'en couvrir le visage, frappant Théo à la mâchoire au passage. Eris s'était réveillé et sautait autour d'eux en poussant des aboyements frénétiques. Blaise convulsa, si fort que Drago pouvait voir ses muscles rouler sous sa peau. Si c'était comme la dernière fois, alors il n'allait pas tarder à…

Blaise ouvrit les yeux d'un coup. Drago savait ce qu'il allait voir, mais ça ne l'empêcha pas d'émettre un cri effrayé quand il vit les yeux de Blaise. Noirs, vides, éteints, comme des orbites vides, qui allaient hanter Drago pendant des années.

"Non, je dois sortir de là, je dois sortir, je ne peux pas rester là, AU SECOURS !" grognait Blaise de plus en plus fort.

Il roula sur le côté et Drago eut à peine le temps de reculer que Blaise vomit sur le lit. Il faisait trop sombre pour voir quelque chose, mais Drago eut l'horrible impression qu'il vomissait du sang. La peau de Blaise était tellement enflammée que son dos était recouvert de cloques rouges. Drago fut saisi par la même peur que la première fois qu'il avait vu Blaise faire un cauchemar de la sorte. Il allait mourir. Il va mourir sous nos yeux et on n'aura rien fait pour l'aider.

"Putain Drago, il faut le réveiller !" hurla Théo, qui continuait de secouer Blaise malgré les brûlures sur ses mains. Lui aussi devait avoir été saisi par la même peur. "Cooky, COOKY ! QUE QUELQU'UN VIENNE NOUS AIDER !" appela-t-il désespérement, sa voix se brisant au dernier mot.

Blaise s'étouffait de plus en plus, ses paroles devenant incompréhensibles, ses bras peinant à supporter son propre poids. Sa respiration était tellement saccadée que Drago craignait que chaque inspiration soit la dernière.

Drago ouvrit la bouche pour appeler l'elfe de maison à son tour, quand soudain, quelqu'un dans son dos lança :

"Rennervate."

Un puissant éclair rouge traversa la pièce et heurta le dos de Blaise. Le sort aveugla Drago qui recula à tâtons sur le lit, le cœur au bord des lèvres. Pendant une seconde, la lumière soudaine l'empêcha de voir les silhouettes de Théo et de Blaise, mais quand ses yeux s'accomodèrent, il vit que Blaise était allongé sur le dos, sa poitrine se soulevant difficilement à mesure qu'il retrouvait une respiration normale. Sa peau était recouverte de sueur et ses yeux étaient de nouveau marrons. Ils étaient écarquillés de stupeur. Il regardait un point fixe derrière Drago, à la fois apeuré et soulagé, et Drago se retourna pour voir qui il regardait, qui l'avait sauvé.

La mère de Blaise se tenait dans l'embrasure de la porte, la baguette brandie devant elle.

"Mamma ?" appela Blaise tout doucement, d'une voix très faible comparée aux râles de souffrance qui venaient de résonner dans la chambre.

Elle était vêtue d'une longue cape de voyage bleu nuit et ses cheveux étaient dissimulés par un turban blanc. Quand elle baissa sa baguette, son expression dure fondit et elle se précipita sur le lit pour étreindre son fils :

"Oh bébé, je suis venue aussi vite que j'ai pu…"

Elle était plus petite que lui, pourtant, on aurait dit que c'était elle qui le tenait, comme un enfant. Son attitude si mature et composée d'habitude s'écroula à l'instant où sa mère le prit dans ses bras, et Drago crut entendre des sanglots étouffés contre sa cape. Il détourna le regard, gêné d'assister à une telle scène d'affection.

"Mamma…" murmura Blaise, le chagrin perçant dans son intonation.

"Chut, je suis là bébé, je suis là…"

Drago n'avait jamais connu une démonstration d'amour maternel pareille. Les seuls contacts que sa mère lui offrait étaient des mains timides sur ses joues ou dans ses cheveux, occasionnellement des baisers sur le front. Elle ne lui avait jamais donné de surnom mignon comme le faisait la mère de Blaise. Drago aurait pu se moquer, mais en réalité, il en était jaloux. Et à en juger l'expression sur le visage de Théo, lui aussi.

Blaise finit par s'éloigner de sa mère et renifla plusieurs fois en s'essuyant les joues.

"Tu as reçu ma lettre ?" demanda-t-il.

Sa mère secoua la tête.

"Non, mais je suis venue dès que j'ai pu."

Drago et Théo échangèrent un regard interloqué. Comment avait-elle fait pour savoir qu'elle devait rentrer plus tôt si elle n'avait pas reçu le parchemin de Blaise ? Ce dernier ne sembla pas étonné par cette réponse. Peut-être que c'était l'instinct maternel, peut-être qu'elle avait senti qu'il avait besoin d'elle.

"Mamma… Qu'est-ce qu'il m'arrive ?" demanda Blaise d'une voix brisée.

Drago vit le visage de Mrs. Zabini s'assombrir considérablement, et ça envoya un frisson anxieux le long de ses bras.

"Descendons." dit-elle simplement en se relevant grâcieusement du lit. "Je vais faire du thé."

Drago sentait toujours les vagues d'adrénaline parcourir sa peau. Il n'était pas encore remis de ce qu'il venait de se passer, et même la voix douce et rassurante de la mère de Blaise n'arrivait pas à calmer suffisamment son rythme cardiaque. Il dégagea la couverture d'une main tremblante et suivit Théo, Blaise, et sa mère le long des couloirs plongés dans le noir. Mrs. Zabini n'alluma pas sa baguette, elle tenait Blaise d'un bras, comme pour le supporter malgré le fait qu'il la dépassait d'au moins une tête. Théo et Drago marchaient derrière eux, mal à l'aise.

Drago ne comprenait pas comment cette femme pouvait connaître aussi bien cet endroit alors qu'elle n'y mettait jamais les pieds, mais ils arrivèrent dans la cuisine du rez-de-chaussée. Mrs. Zabini aida Blaise à s'asseoir à la table et invita Drago et Théo à prendre place aussi, ce qu'ils firent sans un mot. Au lieu d'allumer les torches, la mère de Blaise alluma toutes les chandelles sur les comptoirs, éclairant à peine la petite pièce, puis alluma un feu pour faire bouillir de l'eau. Drago ne comprenait pas pourquoi elle n'appelait pas Cooky pour le faire, ou pourquoi elle n'utilisait pas la magie, mais son corps était encore trop engourdi pour oser lui poser la question.

Le silence était reposant. La respiration de Blaise était toujours haletante, et Théo ne cessait de lui lancer des regards en biais. Il avait un bleu sur le menton, à l'endroit où Blaise l'avait frappé pendant son cauchemar. Mrs. Zabini attendit que l'eau bout, puis la versa dans quatre tasses. Elle prit ensuite une poignée d'herbe dans l'un des bocaux à côté de l'évier et en déposa à la surface de chaque thé. Aussitôt, une agréable odeur de lavande envahit la pièce.

Elle fit léviter les quatre tasses jusqu'à la table.

"Attention, c'est chaud." dit-elle d'une voix douce.

Elle s'assit sur la chaise vide et retira sa cape et son turban, révélant une afro imposante qui encadrait parfaitement son visage. Elle ressemblait comme deux gouttes d'eau à Blaise, les mêmes yeux caramel, les mêmes traits fins, la même bouche rosée. Elle était tellement belle que Drago suspectait qu'elle avait du sang de Vélane.

"Buvez vos thés." conseilla-t-elle en montrant la table. Ses mains étaient recouvertes d'énormes bagues en or. "La lavande a des propriétés calmantes, ça va vous détendre."

Drago but une gorgée, plus pour faire quelque chose avec ses mains, mais il fut surpris de constater qu'elle avait raison. Il sentait le liquide chaud détendre ses muscles tendus. Il reprit une gorgée et intima silencieusement Théo de faire pareil. Blaise, lui, regardait sa mère, attendant toujours son explication qui mettait un temps fou à venir.

"Tu n'étais pas au Bal de Noël de ta mère, Drago ?" demanda Mrs. Zabini.

"Euh… si." répondit-il d'une voix étranglée. "Je suis venu ici après."

"Est-ce que ta mère sait que tu es là ?" demanda-t-elle.

Mrs. Zabini fit les gros yeux pour montrer qu'elle était fâchée, mais elle souriait légèrement, ce qui était assez déconcertant.

"Tu aurais dû la prévenir, elle doit être en train de s'inquiéter." dit-elle en se levant de sa chaise. "Je vais lui envoyer un message…"

"MAMMA !" hurla Blaise, faisant sursauter Drago et Théo. Sa mère s'arrêta et le regarda sans rien dire. "Dis moi ce qu'il m'arrive !"

Drago et Théo fixèrent la table, pétrifiés. Blaise élevait rarement la voix, mais quand il le faisait, c'était terrifiant. Il fixait sa mère, suppliant. Elle soutint son regard pendant plusieurs secondes de tension intense, puis se rassit tranquillement sur la chaise, son visage n'indiquant aucune trace de surprise en entendant le ton de son fils.

"C'est de la magie noire, c'est ça ?" pressa Blaise, sa voix montant dans des octaves de panique. "J'ai été ensorcelé ? Je vais mourir ?"

Drago serra la table avec force. Il n'était pas sûr d'être prêt à entendre la réponse.

La mère de Blaise secoua la tête.

"Non, ce n'est pas de la magie noire, bébé."

Blaise fronça les sourcils en même temps que Théo.

"De quoi as-tu rêvé ?" demanda-t-elle délicatement, une lueur de quelque chose dans son regard que Drago avait du mal à identifier.

Blaise regarda ses mains qui serraient le thé brûlant. Elles étaient calcinées, comme si elles avaient été plongées dans des flammes.

"J'étais en feu." dit-il, si bas que Drago eut du mal à l'entendre alors qu'il était juste en face de lui. "J'étais enfermé, je ne pouvais pas bouger, et j'étais entouré de flammes, tellement hautes que je ne pouvais pas voir jusqu'où elles allaient, et… plus ça continuait, plus…"

"... plus tu brûlais." termina sa mère. "Tu pouvais sentir les flammes sur ta peau, tu pouvais sentir la fumée entrer dans tes poumons, et tu ne trouvais pas d'issue. C'est ça ?"

Blaise regarda sa mère avec ébahissement.

"Oui. Exactement." souffla-t-il. "Comment le sais-tu, Mamma ?"

Elle eut un petit soupir et dessina le contour de la tasse avec son doigt.

"Parce que tu es comme moi, bébé."

Blaise fronça les sourcils sans comprendre. L'air autour d'eux se glaça, l'atmosphère de la pièce tomba violemment sur eux. Drago ne bougeait plus, accroché aux lèvres de Mrs. Zabini, la respiration coupée. Il sentit la jambe de Théo taper nerveusement sur le sol. Il n'y avait aucun son dans la cuisine, tout n'était plus que cette table, l'attente.

Mrs. Zabini humecta ses lèvres, puis leva la tête pour plonger son regard dans celui de son fils.

"Blaise, tu es un Voyant."