Drago
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"Un quoi ?" demandèrent Théo, Drago, et Blaise d'une même voix.
"Un Voyant." répéta Mrs. Zabini avec gravité.
Si elle n'avait pas cette prestance, cette aura, Drago aurait éclaté de rire. Blaise ne pouvait pas être un Voyant, c'était absurde. Pourtant, dans sa bouche, ça avait l'air plus réel que jamais.
"Qu'est-ce que… comment ?" demanda Blaise, abasourdi par cette révélation.
"Tu es un Voyant." expliqua sa mère calmement. "Comme je le suis, comme ta grand-mère l'était, comme ton arrière-grand-mère l'était, comme tes ancêtres l'ont été. Tu possèdes le Troisième Oeil. Bois ton thé, il va refroidir."
Blaise continua de la fixer sans comprendre.
"Tu es une Voyante ? Pourquoi tu ne me l'a jamais dit ?"
Il avait l'air encore plus révolté par cette constatation que par le fait que sa mère venait de lui dire qu'il l'était aussi. Mrs. Zabini baissa les yeux sur son thé, une expression un peu coupable sur ses traits.
"Et bien, quand j'ai voulu te le dire, tu étais trop jeune, et après, tu es parti à Poudlard, et… je n'ai plus vraiment eu l'occasion."
"Plus l'occasion ?" gronda Blaise. "J'habite ici. Tu ne penses pas que tu aurais pu transplaner un soir, pour m'informer gentiment de ce… ce… ça ? J'étais putain de terrifié, Mamma !"
Il frappa la table avec son poing, éclaboussant son thé qui forma une grosse flaque. Drago retint son souffle en l'entendant s'emporter de cette manière : s'il avait osé parler comme ça à sa propre mère, il ne serait probablement plus là pour en parler. Mais Mrs. Zabini ne parut pas choquée par son langage.
"Je sais, bébé." murmura-t-elle doucement. "J'ai longtemps hésité, crois-moi. Mais je pensais avoir encore le temps. Les visions commencent normalement au vingtième anniversaire. Tu es en avance."
Blaise inspira sans quitter la table du regard.
"Tu es le seul garçon de la lignée des Zabini depuis des années." poursuivit-elle. "Je pensais que ça ne se transmettait que de mère en fille."
"C'est pour ça que tu as su que tu devais venir ? Avant même de recevoir ma lettre ?" demanda Blaise.
Mrs. Zabini hocha lentement la tête.
"J'ai Vu que tes visions avaient commencé. Alors, j'ai pris le premier bâteau et je suis partie te rejoindre. Je ne pouvais pas transplaner d'aussi loin, et le premier Portoloin était à des kilomètres, le temps que je l'atteigne, tu étais déjà rentré ici. J'ai Vu que tu allais en avoir une deuxième ce soir, alors j'ai envoyé une lettre à mon contact à l'Ambassade italienne des sorciers pour qu'ils me fassent passer prioritaire sur le Portoloin. Quand j'ai transplané ici, j'ai tout de suite su que ça avait commencé."
"Comment ?" demanda Blaise, à la fois furieux et curieux.
"Comment quoi, bébé ?"
"Comment tu as vu ?"
Elle comprit de quoi elle voulait parler et elle posa doucement son regard sur lui.
"Parce que j'ai eu une vision."
Blaise leva la tête vers sa mère. Drago pouvait voir que son regard avait changé. La suspicion se dissipait de plus en plus.
"Qu'as-tu vu ?" questionna-t-il.
Un test. Pour savoir si elle disait vrai.
La mère de Blaise ne cilla même pas. Elle débita tout de suite :
"Tu étais allongé dans ton lit de Poudlard, les rideaux fermés. Tu as commencé à bouger, plus que d'habitude. Ta peau te démangeait, et tu avais soudain du mal à respirer. Tu agitais l'air avec tes bras, comme pour te libérer d'un étau. Quand l'air a commencé à devenir irrespirable, tu as roulé jusqu'au bord du lit et tu es tombé par terre en arrachant tes rideaux, sans cesser de te débattre. Tu commençais à gémir, au début un marmonnement indéchiffrable, puis des mots, des suppliques, presque. C'est là que Drago a accouru pour t'aider."
Drago se trémoussa sur sa chaise, inconfortable à l'idée d'entendre cet épisode qu'il aurait préféré oublier à tout jamais. Mais Mrs. Zabini était lancée, les yeux plongés dans ceux de Blaise qui l'écoutait avec une stupéfaction peinte sur ses traits.
"Il a essayé de te réveiller, mais c'était impossible, tu te débattais, encore et encore, sans pouvoir t'échapper de ce feu qui se refermait sur toi de plus en plus, et ta peau fondait sous la chaleur…"
"Ok, ok, stop !" interrompit Théo d'un ton saccadé. "C'est bon, on a compris."
Il paraissait en proie à une crise de panique. Mrs. Zabini coupa son récit et pour la première fois de la soirée, son regard bascula de Blaise à Théo. En plus de la ressemblance physique, Mrs. Zabini et Blaise partageaient un point commun : l'observation. Drago avait l'impression qu'elle pouvait voir tout ce que Théo pensait.
"Pardon. Je ne voulais pas te rappeler un moment difficile." s'excusa-t-elle avec douceur. "Bois ton thé, ça va te faire du bien."
Théo obéit, le visage bien plus pâle que d'habitude. Drago pouvait sentir sa jambe marteler nerveusement le pied de table. Drago, lui, était incapable de bouger. Le mélange de sommeil et d'adrénaline l'empêchait de réaliser clairement ce que la mère de Blaise était en train de raconter.
"Qu'est-ce que ça veut dire, le Troisième Oeil ?" demanda Blaise, une question qui prouvait qu'il séchait tous les cours de Divination depuis la première semaine de la troisième année.
"Ça veut dire que possède la Vue." expliqua sa mère en pointant du doigt son propre front. "C'est rare, et précieux. Peu de personnes l'ont, et encore moins savent l'utiliser. Tu es capable de prédire le futur, sous forme de visions."
"Ça veut dire que je vais mourir brûlé vif ?" demanda Blaise brutalement.
Théo frissonna tellement fort qu'il en renversa son thé.
"Pas nécessairement." répondit Mrs. Zabini, beaucoup trop paisiblement pour un sujet aussi grave. "Tu es encore jeune, donc les visions sont troubles et imprécises. Avoir la Vue ne veut pas simplement dire qu'on peut voir le futur. Il faut l'analyser, le comprendre, le maîtriser, le déchiffrer, pour pouvoir en comprendre le sens, avec l'aide d'outils, comme les plantes, le ciel, l'Astronomie, la Divination…"
Drago ne manqua pas la grimace que fit Théo en entendant le dernier mot.
"Tu as Vu que tu étais enfermé dans des flammes." résuma Mrs. Zabini. "Peut-être que ça veut dire que tu es enfermé dans une situation qui te tracasse, dont tu n'arrives pas à sortir, dont tu sens l'angoisse te brûler..."
"Mais, et si ça voulait dire ce que ça veut dire ?" coupa Blaise. "Si mon "Troisième Oeil" essaye de me prévenir que je vais mourir comme ça ? Peut-être que c'est pour ça que mes visions ont commencé plus tôt, peut-être que je suis en danger de mort en ce moment-même ?"
Mrs. Zabini n'afficha rien sur son visage qui aurait pu montrer que les questions de Blaise étaient angoissantes. Pourtant, Drago avait l'impression qu'il lui balançait ses mots de toutes ses forces, il pouvait les sentir transpercer sa peau jusqu'à son cœur.
"C'est justement pour ça que je ne voulais pas t'en parler, bébé." répondit sa mère. "Tu es trop jeune, tu ne comprends pas. Je possède le Troisième Oeil depuis mes vingt-ans et j'ai encore du mal à le comprendre complètement parfois."
"Explique-moi, alors." supplia Blaise.
Mrs. Zabini prit une gorgée de thé et fixa Blaise sans rien dire. Il sembla comprendre le message caché, parce qu'il but à son tour, comme si c'était une contrepartie pour entendre la suite. Drago en fit de même et le thé eut le même effet que la méditation, une sorte de calme qui l'envahit et l'empêcha de stresser.
"Le futur est imprévisible." expliqua Mrs. Zabini. "Personne ne peut être sûr de ce qu'il va se passer, pas même les Voyants, parce que chaque action que quelqu'un commet modifie les évènements du futur. Les visions que tu as ne sont pas fondées, elles ne sont pas inscrites dans les manuels que tu lis à l'école, ce sont des avertissements, des possibilités."
"Donc, c'est peut-être une fausse alerte ?" demanda Théo avec espoir.
"Peut-être." répondit-elle vaguement. "Peut-être qu'une action que Blaise fera, ou que l'un de ses proches fera, empêchera cet évènement d'arriver. Peut-être que la signification est complètement différente. Il faudrait l'analyser d'un autre point de vue, avec des herbes ou des étoiles. C'est l'art de la Divination."
Drago essaya de réunir le peu d'informations qu'il connaissait sur le sujet, c'est-à-dire ce qu'il avait retenu de ce que Pansy rabâchait à longueur de journée.
"Je croyais que le Troisième Oeil sautait trois générations ?" dit-il.
La mère de Blaise tourna ses yeux clairs vers lui :
"Non. Ça, c'est le cas pour les divinateurs occidentaux. Nous ne faisons pas partie de ces gens-là."
Blaise émit un rire sans joie :
"Tu veux dire que je ne suis pas comme Trelawney ?"
Mrs. Zabini agita les mains devant elle avec une grimace qui déformait son beau visage, comme si Blaise venait de prononcer le nom du Seigneur des Ténèbres en personne.
"Eurgh, je ne supporte pas cette femme. C'est une fraude." (Théo eut un petit sourire en entendant ça.) "Elle ne devrait pas enseigner la noble matière qu'est la Divination à Poudlard. C'est pour cette raison que je voulais que tu ailles à Uagadou, tu aurais maîtrisé la science de la prédiction bien avant, et bien mieux."
Drago haussa les sourcils de surprise. Il ne savait pas que la mère de Blaise avait voulu le mettre là-bas, il n'en avait jamais parlé. Il se tourna vers son meilleur ami, mais Blaise ne le regardait pas, ses yeux caramel étaient toujours posés sur sa mère.
"Quelle est la différence ? C'est la même matière." pointa-t-il.
"Oui, mais ce ne sont pas les mêmes pratiques. Notre Divination provient d'une source beaucoup plus naturelle, liée à la nature, à la Terre, aux herbes et à la sorcellerie. Elle se rapprocherait plus de celle des Centaures, si tu veux un comparatif. Rien à voir avec cette Trelawney. Sa Divination est magique, empruntée dans des grimoires, falsifiée, inventée de toutes pièces. Elle s'est crée un Troisième Oeil. Tu en as un naturellement."
"Mais je n'en veux pas." asséna fermement Blaise. "Je ne veux pas de ces visions. Comment puis-je faire pour les faire partir ?"
Un éclair de déception passa dans les yeux de Mrs. Zabini.
"Avec ceci." dit-elle avec réticence, en montrant le thé qu'elle tenait entre ses doigts. "Thé de lavande et de miel. Si tu prends une tasse avant de dormir, ton Troisième Oeil se fermera, et tu n'auras pas de vision."
Par réflexe, Drago et Théo burent une gorgée en même temps. Blaise, lui, posa son regard dessus une seconde mais ne la prit pas.
"J'ai pris une Potion de Sommeil-Sans-Rêve la dernière fois." dit-il. "Est-ce que ça marche aussi ?"
Mrs. Zabini plissa les lèvres, comme Narcissa lorsqu'elle voyait quelque chose de déplaisant. Elle agita son poignet et fit tintiller la dizaine de bracelets en or le long de son bras.
"Oui, ça peut marcher." concéda-t-elle. "Mais les potions ne sont jamais une bonne solution à un problème permanent. Ton corps s'habituera trop vite aux effets et tu en seras déjà addict avant de t'en apercevoir. Le thé est bien meilleur. Je ne crois pas trop aux potions."
Drago se retint de contester avec difficulté. Comment une personne saine d'esprit pouvait ne pas croire aux potions ? C'était la science la plus rationnelle de toutes, bien plus que la Divination, ou l'Astronomie. En plus, il y avait un laboratoire immense avec tous les ingrédients du monde au sous-sol de ce Manoir. Pourquoi en avoir un si elle n'y croyait pas ?
"Mais refouler la magie avec laquelle tu es né n'est jamais bon, Blaise." poursuivit sa mère avec sagesse. "Tôt ou tard, elle ressortira, et tu en souffriras encore plus. Nier ce qui est en toi ne fait que grandir, pas diminuer. Lorsque tu oublieras ton thé, ou lorsqu'une menace sera trop près de toi, ça risque d'être encore plus douloureux que les fois dernières. Tu regretteras de ne pas l'avoir écouté."
Blaise se passa une main sur ses paupières fatiguées en grognant.
"C'est une malédiction, alors." résuma-t-il.
Pour la première fois de la soirée, Mrs. Zabini sembla profondément offensée.
"Non." répondit-elle froidement. "C'est un cadeau."
Blaise n'avait pas l'air convaincu. Drago comprenait ce qu'il ressentait, il aurait été incapable de choisir s'il avait été à sa place. Souffrir chaque nuit pour avoir la même vision, ou les arrêter en sachant que ça serait encore plus douloureux la prochaine fois ?
"Une fois que tu apprends à vivre avec, c'est une magie magnifique, et utile." poursuivit Mrs. Zabini en retrouvant sa douceur. "Elle fera partie de toi. Tu pourras l'utiliser pour te protéger, et protéger les tiens."
En entendant ça, la tête de Blaise se releva brusquement.
"Protéger les miens ?" répéta-t-il.
"Oui. Maintenant que j'arrive à contrôler mes visions, elles sont plus nettes qu'avant. Je n'ai pas besoin de dormir pour Voir. Parfois, un flash, une image, une odeur, une émotion vont me traverser, et je les comprends, comme si mon cerveau les avait posés devant mes yeux pour les lire. Je te Vois toi depuis que tu es né. Je Vois les dangers qui t'entourent et j'agis quand ils sont trop près. Une fois que tu auras appris à surmonter la peur, tu pourras saisir tes visions et les préciser à ta guise, et les étendre, pour que tu puisses voir les futurs de Théodore, de Drago, ou de Pansy."
Drago trouva que ça ressemblait beaucoup à l'Occlumancie. Une sorte de magie mentale à perfectionner pour maîtriser totalement. Mais celle de Blaise paraissait bien plus douloureuse que l'Occlumancie, de loin. Il pouvait encore voir les brûlures rouges sur ses paumes.
"Je n'aurais plus mal ?" demanda Blaise en montrant ses mains, comme s'il avait lu dans les pensées de Drago. "J'ai cru que j'allais mourir les deux fois où ça m'est arrivé, et à chaque fois quelqu'un a réussi à me réveiller. Est-ce que je vais avoir mal à chaque vision ?"
La bouche de la mère de Blaise se crispa de pitié.
"Tu ne peux pas mourir d'une vision." dit-elle, précautionneusement. "Mais tu auras toujours l'impression d'être dedans. La seule manière d'éviter la douleur est de perfectionner ton Troisième Oeil."
L'expression de Blaise se durcit.
"Et tu dis que je dois prendre ça pour ne pas en avoir ?" demanda-t-il en montrant le thé.
"Oui, c'est ça." répondit-elle.
"Bien." dit-il en se levant brutalement, faisant grincer la chaise contre le carrelage. "Demande à Cooky de me préparer une douzaine de boîtes. Je vais me coucher."
Il traversa la pièce et disparut dans la pénombre, sans doute pour retourner dans sa chambre. Théo, qui avait regardé l'échange avec de grands yeux effarés, baissa la tête sur sa tasse. Drago était dans un état indescriptible, il avait l'impression de faire un rêve extrêmement bien détaillé.
Les bagues de la mère de Blaise tintèrent contre sa tasse quand elle prit une gorgée.
"Il va s'en remettre." promit-elle dans le silence de plomb de la cuisine. "Ça faisait beaucoup à encaisser. Ça va prendre quelques jours, mais il va accepter la vérité."
"Vous pouvez le Voir ?" demanda Drago, espérant que sa question ne soit pas trop indiscrète.
Elle sourit tendrement.
"Oui, et non. C'est difficile de Voir quand il s'agit des émotions. Je peux voir les actions, je peux voir ses décisions, mais je ne peux pas Voir ce qu'il pense ou ce qu'il ressent. Mais je le connais. Il lui faut quelques jours pour digérer tout ça, puis il reviendra vers moi avec des questions, et je lui expliquerai jusqu'à ce qu'il soit prêt à accepter sa nature."
"Vous êtes sûre qu'il le fera ?" demanda Théo d'une petite voix craintive.
"Oui." dit-elle, sans une once d'hésitation. "Il le faut. C'est dans son sang. Le renier n'en serait que dangereux."
Pendant une minute, la table fut plongée dans un silence pensif. Drago ressassait tout ce qu'il avait entendu en moins d'une heure. Son cœur n'avait toujours pas retrouvé un battement normal depuis qu'il s'était fait réveillé par Blaise. Il y avait encore plein d'éléments flous, plein de questions à poser, mais il était trop épuisé pour en trouver une seule.
La mère de Blaise se leva doucement de sa chaise.
"Je vais envoyer un hibou à ta mère, Drago. Je détesterais qu'elle soit inquiète alors que tu es ici."
"Très bien." répondit-il d'une voix blanche, incapable de penser à autre chose qu'à ne pas s'endormir sur cette même table. "Merci."
Elle sortit de la pièce et Théo et Drago se regardèrent, manifestement incapables de formuler leurs pensées. Au bout d'un long moment, Théo ricana doucement :
"Putain. Pansy va être furieuse d'avoir raté ça."
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Il y avait un total de trente-deux chambres dans le Manoir des Zabini, pourtant, Drago et Théo retournèrent dormir dans le lit de Blaise.
Ce dernier dormait, probablement exténué après tout ce qu'il venait de se passer : son cauchemar, et la révélation qu'il était un Voyant. Drago n'avait pas eu le temps de lui demander s'il y croyait, quand il était retourné dans la chambre à pas feutrés, il dormait déjà. Probablement drogué à une potion de Sommeil-Sans-Rêve que Théo avait préparé l'après-midi dans le laboratoire.
Drago s'allongea à la place où il avait été allongé une heure plus tôt, mais il s'avéra qu'il était incapable de trouver le sommeil. Il écoutait attentivement les respirations de Blaise, craignant qu'elles redeviennent saccadées en l'espace d'une seconde, d'entendre ses gémissements de terreur s'il fermait les yeux.
Il Occluda pour faire partir son angoisse, en regardant distraitement la lune à travers la fenêtre. Les heures s'écoulaient lentement, et il était persuadé que Théo dormait.
Jusqu'au moment où il perça sa bulle de méditation en demandant, en français :
"Qu'est-ce qu'on en pense ?"
La question surprit Drago, le ramenant à une époque où c'était Pansy qui lui avait demandé ça, trois ans plus tôt, dans un tout autre contexte, quand ils avaient réalisé que Théo lisait des livres moldus. Elle lui avait demandé ça dans son lit, pendant la nuit, d'une petite voix, "qu'est-ce qu'on en pense ?" Ça lui paraissait étrangement loin. Il avait du mal à réaliser qu'il y avait un moment dans sa vie où ses seuls problèmes étaient les lectures de "Nott" et le dernier balai que son père voudrait bien lui acheter.
"J'en sais rien." répondit-il franchement. "Je suis perdu."
"Moi aussi." admit Théo.
"Attendons de voir ce que Pansy en pense." dit-il. "Elle saura quoi dire. Quoi faire."
Il n'avait aucune idée de pourquoi ils parlaient en français, alors que Blaise dormait et que personne ne pouvait les entendre. Peut-être que Théo pensait qu'en parlant un autre langage, cette situation bizarre passerait mieux sur sa langue. Ce ne fut pas le cas.
Drago fut soudain pris d'une vague d'énergie incontrôlable, il n'arrivait plus à tenir en place, oppressé par cet espace, oppressé par ce lit trop grand, oppressé par les peut-être et la peur et les chuchotements de Théo. Il se leva d'un coup et vit les yeux de Théo le suivre dans l'obscurité.
"Où tu vas ?" demanda-t-il, surpris.
"Je sais pas, j'ai besoin de me dégoudrir les jambes, de me calmer, je… je sais pas, je vais aller reprendre ce thé là, me calmer un peu." répondit Drago dans un murmure un peu paniqué.
"D'accord." répondit Théo, pas étonné par cette décision impulsive. Ça devait être un comportement typique de sa part.
"Est-ce que tu peux… tu sais, pour…"
Drago montra d'un geste vague la silhouette endormie de Blaise et Théo hocha la tête instantanément :
"Oui, bien sûr. Je reste."
Drago acquiesça et sortit dans le couloir.
Il mit un bon quart d'heure avant de retrouver les escaliers, puis une autre demi-heure avant de trouver la cuisine. Il n'y avait aucun portrait sur les murs. Les seules traces des ancêtres des Zabini étaient représentées sur les statues en marbre qui décoraient les cheminées, et qui tournaient la tête dès que Drago passait devant eux.
L'eau était encore tiède quand il arriva, alors il se resservit une tasse et essaya de retrouver le bocal d'herbe, mais il ne se souvenait plus lequel la mère de Blaise avait utilisé : camomille ? Vanille ? Lavande ? Jasmin ? Il était trop fatigué pour s'en souvenir.
"Lavande." dit une voix dans son dos.
Il sursauta, se cognant contre l'évier. La mère de Blaise était derrière lui, les mains pliées devant elle, toujours habillée de sa longue robe bleue malgré l'heure.
"J'ai écrit à ta mère." l'informa-t-elle, comme s'il ne s'était passé que quelques minutes entre leur dernière conversation et celle-ci. "Elle m'a dit qu'elle se doutait que tu étais ici. Je pense que Narcissa ne va pas être ravie que tu aies quitté son Bal si tôt et sans la prévenir."
Drago s'en fichait éperdument, il ne regrettait pas d'être ici après ce qu'il venait de se passer. Il hocha la tête.
"Sers-toi." dit-elle en montrant le bocal de lavande. "Tu es ici chez toi, tu le sais."
"Merci, Mrs. Zabini." répondit-il.
"Agate, je te prie." corrigea-t-elle.
Drago ne cacha pas sa surprise. C'était la première fois qu'une Sang-pur lui demandait de l'appeler par son prénom, ou n'importe quel adulte, en fait. Il prit le bocal et versa quelques herbes dans l'eau, mais ça embaumait pas de la même odeur qu'avant. Il se demanda si Mrs. Zabini en voulait.
"Non, merci." répondit-elle dans son dos. "Le premier m'a suffi."
Sa réponse hérissa les poils dans sa nuque et il se retourna avec horreur.
"Vous utilisez la Légilimancie sur moi ?" demanda-t-il, choqué.
Elle eut un demi-sourire.
"Non. Je ne suis pas familière avec ce genre de pratique. J'ai simplement deviné ta question. Assieds-toi."
Drago le fit avec un certain embarras. Il était complètement dérouté par cette femme. Il l'avait toujours été, d'une certaine manière. Elle était très impressionnante, dans tous les sens du terme, et il savait ce qu'elle faisait à ses maris. Il Occluda pour ne pas qu'elle puisse comprendre à quoi il pensait et souffla sur son thé pour dissiper la tension.
"Je voudrais te remercier, Drago." dit-elle après un moment.
Il leva la tête sans comprendre. Elle portait la même expression calme que son fils. Il se demanda si elle avait déjà été en colère. Pendant son enfance, il se souvint que ses parents criaient souvent, soit sur lui, soit l'un contre l'autre. La mère de Blaise n'avait jamais crié. N'avait jamais ne serait-ce qu'hausser la voix. Quand Blaise avait fait des bêtises, elle s'était contentée de l'ignorer, et ça avait toujours suffi pour qu'il se confonde en excuses. Il lui avait toujours obéit au doigt et à l'œil sans qu'elle n'éprouve la moindre forme d'autorité. Drago n'avait jamais compris ce lien, mais peut-être que c'était son lien avec ses parents qui était étrange.
"Pourquoi ?" demanda-t-il.
Elle soupira, l'air soudain plus exténuée que jamais par son voyage.
"Tu es là pour Blaise quand il en a besoin. C'est un lien fort que vous partagez, incassable. Je sais que je suis souvent absente, que je parais loin parfois, mais je le connais, et je sais que tu lui es indispensable, toi, Théodore, et Pansy. Alors, je te remercie d'être là pour lui. Je pense que tu ne réalises pas l'ampleur de l'amour qu'il porte à ton égard."
Drago fut sur le point de la contredire, parce que ce n'était pas dans ce sens-là, c'était dans l'autre. C'était Blaise qui les reliait les uns aux autres, c'était Blaise qui avait intégré Théo dans le groupe, Blaise qui restait serein malgré tout ce qu'il endurait par leurs fautes, et surtout la sienne. C'était lui qui les soutenait, en permanence, coûte que coûte. Drago n'arrivait même pas à un dixième de l'amitié qu'il méritait de sa part.
"Vous savez ça grâce à vos visions ?" demanda-t-il plutôt.
Elle eut un petit rire :
"Pas besoin d'avoir un ton si suspicieux."
"Désolé." dit-il, pas certain de l'être vraiment. "J'ai juste… du mal à y croire."
"C'est normal." répondit Mrs Zabini avec une étincelle d'amusement dans ses yeux caramel. "Tu n'as pas de Troisième Oeil, tu ne peux pas comprendre jusqu'où mes pouvoirs s'étendent. C'est un don qui est incompris et c'est ce qui en fait sa beauté, si tout le monde le possédait, ça ne servirait plus à rien."
"Mais Blaise l'a." dit Drago, parce qu'il avait besoin qu'elle lui confirme une seconde fois, qu'il n'était pas en plein milieu d'un rêve, qu'il n'allait pas se réveiller avec une indigestion de cookies et un vague souvenir de cette conversation imaginée.
"Oui." énonça-t-elle clairement "Oui, il l'a."
"Putain." lâcha Drago sans le vouloir.
Elle rit.
"Oui, comme tu dis."
Drago but son thé, assimilant ce que Mrs Zabini, Agate, était en train de dire. Blaise était un Voyant. Il pouvait voir le futur. Ce n'étaient pas seulement des cauchemars, c'était des prédictions.
Et elle avait les mêmes. Elle arrivait à les contrôler. Pour la première fois depuis qu'elle avait annoncé de quoi Blaise souffrait, Drago réalisa l'étendue des pouvoirs que la femme en face de lui possédait.
"Mrs. Zabini…"
"Agate." corrigea-t-elle une seconde fois, sur un ton de reproche. "Tu me fais sentir vieille quand tu m'appelles comme ça."
"Pardon, Agate." dit-il, le prénom étrange dans sa bouche. "Si ce que vous dites est vrai, et que vous pouvez voir le futur… vous pouvez voir… le dénouement de la guerre ?"
Elle secoua la tête aussitôt, comme si elle s'attendait à ce qu'il lui pose cette question.
"Je n'aperçois que des flashs, rien qui pourrait me donner une réponse précise. Tout change. Chaque décision que les personnes impliquées prennent modifie le cours du temps. Il me serait impossible de savoir qui serait épargné, et qui serait vaincu."
Drago laissa échapper un soupir de déception.
"Pourquoi tu me demandes ça ?" demanda-t-elle. "Tu as peur que ton camp perde ?"
"Je ne sais même pas dans quel camp je me trouve, à vrai dire." avoua-t-il.
Il réalisa que cette phrase était bien trop révélatrice. Il avait parlé trop vite, trop à l'aise dans cette cuisine avec cette femme à la voix paisible et ce thé envoûtant. Il reprit une gorgée pour dissimuler son malaise à l'idée d'avoir pu dire ça à voix haute.
"Ton camp est celui où se trouve ton coeur." affirma Agate.
C'était bien ça, le problème. Son cœur était partagé en trois.
Ses parents.
Blaise, Théo et Pansy.
Et… l'autre camp.
"Ah, je vois." dit-elle, alors qu'il n'avait rien dit.
Drago tapota ses doigts contre le rebord de la tasse pour ne pas la regarder.
"Tu n'es pas seulement inquiet pour tes amis." devina-t-elle. "Tu es inquiet pour quelqu'un d'autre."
Drago se figea. Son sang se glaça, comme à chaque fois que quelqu'un faisait référence à elle. Rogue, Pansy, Fred Weasley. Il passait des heures à la cacher dans son propre esprit alors que tout le monde pouvait la lire sur son visage.
Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Elle était imprégnée en lui, guidait tous ses mouvements, contrôlait ses pensées, l'aidait à respirer.
La mère de Blaise glissa sa main le long de la table et attrapa la main de Drago, qu'elle serra contre la sienne. Il sentait sa peau chaude contre ses phalanges. Il ne se rappelait pas avoir été touché avec autant de douceur dans sa vie par sa propre mère.
"Je vais te dire quelque chose que j'ai répété à Blaise toute sa vie, Drago." murmura-t-elle, comme si elle lui confiait un secret. "Tomber amoureux, c'est se détruire à petits feux."
Drago ne pouvait plus parler. Sa langue était collée, sa gorge nouée, tellement fort qu'il pensait qu'elle lui avait lancé un sort de Silence informulé.
"C'est un bonheur qui se transforme en malheur à tous les coups. C'est une tare, qui s'accroche à toi pour te drainer de tout, ton énergie, ta confiance, tes pensées, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de toi qu'une coquille vide. C'est la maladie la plus destructrice de toutes, pour les sorciers comme pour les Moldus. Il ne faut pas tomber amoureux, Drago. Jamais."
Mais c'est trop tard, criait la voix dans sa tête. Je ne peux plus m'arrêter de l'aimer. Elle m'a déjà contaminée, elle est dans mon sang, dans ma tête, dans chacun de mes battements de cœur, tout le temps, tous les jours.
Il devait renvoyer une expression de supplique, parce que la mère de Blaise secoua la tête tristement.
"Je ne peux pas Voir son futur." dit-elle sur un ton d'excuse. "Mais il me semble qu'elle a choisi son camp. Oublie-la, Drago. Pour ton bien comme pour le sien."
Drago s'était répété cette phrase tellement de fois depuis sa première année qu'elle n'avait même plus de saveur à ses yeux. Le conseil d'Agate le traversa comme un poing contre un fantôme, parce qu'il était incapable de l'oublier.
"Elle va mourir ?" demanda-t-il, même s'il savait qu'elle n'aurait pas de réponse concrète, juste pour entendre ces mots à voix haute, ceux qui étaient emprisonnés quelque part dans ses tripes et qu'il refusait de penser une seule seconde.
Agate soupira, un long soupir, le genre de soupir qu'on fait quand on parle à quelqu'un de très borné.
"Inquiète-toi pour toi d'abord, Drago."
"J'en ai rien à foutre de moi." répondit-il aussitôt. "Je ne m'inquiète que pour elle."
Elle fronça délicatement les sourcils.
"Si tu ne t'inquiètes pas pour toi, inquiète toi pour Blaise."
Ça le stoppa net. Il n'en avait rien à foutre de mourir si ça voulait dire qu'elle vivait. Mais Blaise… Blaise, il ne supporterait pas. Il ne pouvait pas imaginer un monde dans lequel Blaise n'était pas. Il n'arrivait même pas à rester à un bal de Noël quand il était absent. Comment pourrait-il survivre s'il n'était plus là du tout ?
"Je ne peux pas avoir les deux ?" murmura Drago.
Une question digne d'un enfant. Un caprice. Parce qu'il ne pouvait pas avoir les deux, il le savait. Il ne pouvait pas avoir les deux côtés de la guerre. Il devait choisir, et il en était incapable. Granger ou sa famille.
Agate sourit tristement et serra ses doigts contre les siens.
"Je te le souhaite, Drago." dit-elle doucement. "Je te le souhaite."
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Hermione
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La bibliothèque de Square Grimmaurd était la pièce préférée d'Hermione dans cette maison lugubre. Elle n'était pas aussi grandiose qu'on aurait pu le penser, et plutôt sombre, pourtant, dès qu'Hermione passait l'embrasure, elle ressentait toujours ce calme, cette sérénité qu'elle associait aux bibliothèques. L'odeur des livres anciens était un puissant remède contre le stress, selon elle.
Il y avait des étagères sur les deux murs face à face, remplis de vieux volumes. Hermione en reconnaissait certains de Poudlard, d'autres avaient des titres trop effrayants pour qu'elle ose les ouvrir. En face de la porte d'entrée, il y avait un canapé en velours au-dessus duquel était surplombé un immense miroir avec un cadre en or, et au centre de la pièce, une grande table en bois entourée de plusieurs chaises. Hermione essayait d'imaginer un jeune Sirius étudier ici, mais l'image n'arrivait pas à venir. Le Sirius qu'elle connaissait, qui dansait dans la cuisine en préparant le petit-déjeuner et qui avait un rire qui ressemblait à un aboiement, ne ressemblait en rien à cette maison et à ses traditions austères.
Hermione passa une grande partie du restant de ses vacances dans cette pièce. Dans sa panique après le réveil de McGonagall, elle avait oublié la moitié de ses manuels, et elle ne pouvait pas réviser ses BUSES à sa guise. Elle était tellement en retard dans son planning de révisions que rien qu'en pensant à la montagne de travail qu'elle avait lui donnait la nausée instantanément. Elle n'osait pas imaginer les hurlements qu'allait pousser son planning une fois qu'elle reviendrait à Poudlard, ça allait être pire qu'une Beuglante.
Elle avait demandé à Sirius s'il ne lui restait pas quelques manuels de Poudlard pour qu'elle puisse relire certains cours, et il lui avait proposé d'aller voir à la bibliothèque sans conviction. Hermione n'avait pas passé beaucoup de temps dans cette pièce pendant l'été, trop intimidée par les portraits d'ancêtres des Black qui hissaient à son passage ou marmonnaient des insultes. Mais la vision des livres lui fit oublier tout le reste. Elle ne trouva pas de manuels, mais en fouillant, elle tomba sur des livres intéressants que Madame Pince ne possédait pas.
Hermione passa la semaine après Noël plongée dans des bouquins sur les liens télépathiques entre sorciers pour essayer de trouver une explication logique aux visions d'Harry, sans succès. Il fallait dire que le cas entre Harry et Voldemort était unique, aucun sorcier n'avait réussi à échapper à la mort, et les séquelles qui en résultaient étaient complètement inconnues. Hermione ne trouva rien d'intéressant, mais un sujet revenait beaucoup : l'Occlumencie. La science de dissimuler ses propres pensées dans son esprit, dont Drago lui avait parlé.
Elle finit par diriger ses recherchers vers ce sujet-là, aussi bien parce qu'il avait l'air utile que parce qu'il l'intéressait beaucoup. Et apparemment, elle n'était pas la seule, parce que les Black possédaient une collection impressionnante de livres sur l'Occlumancie et la Légilimancie. Hermione les lut en entier, et même si la magie en elle-même lui donnait froid dans le dos, elle devait admettre que c'était l'une des seules solutions pour qu'Harry se protège des invasions de Voldemort. S'il parvenait à maîtriser complètement l'Occlumancie, il serait complètement imperméable.
Dans tous les livres traitant de ces deux sujets, les auteurs étaient formels : l'Occlumancie était une magie difficile, abstraite, qu'il fallait perfectionner sur plusieurs années. Pourtant, Drago lui avait affirmé qu'il arrivait à fermer son esprit et qu'il avait capturer ses souvenirs. Il n'avait commencé qu'en Février, et il arrivait déjà au niveau absolu dont les livres parlaient. Et il l'avait fait pour elle. Pour la protéger. Plus elle lisait sur la complexité de la science, plus elle réalisait l'ampleur de la preuve d'amour que ça représentait.
Hermione avait essayé de méditer pendant les vacances, lorsqu'elle était seule (c'est-à-dire, rarement.) De temps en temps, elle le faisait avant de dormir, mais elle n'arrivait pas à se concentrer suffisamment longtemps pour méditer correctement. Ses pensées partaient dans tous les sens, et elle était plongée dans le silence, ce qu'elle haïssait. Elle préférait largement s'endormir avec les respirations de Ginny pour la bercer. Alors, au lieu de pratiquer, Hermione préféra lire tout ce qu'elle pouvait dessus, comprendre les bases avant de se lancer pleinement.
Un soir, Hermione était en train de ranger les livres qu'elle avait lus pendant la journée et les échangeait avec d'autres, en ignorant les remarques désagréables des portraits autour d'elle. Elle prit L'approche de l'esprit par l'autre, Fortification du mental pour parer aux assauts d'intrus et La science révélatrice mais barbare que peut être la Légilimancie, puis redescendit au rez-de-chaussée pour en feuilleter quelques-uns avant de dormir. Toute la maison dormait, alors elle descendit les escaliers le plus discrètement possible, puis arriva dans le couloir, qui faisait encore plus peur la nuit.
L'une des portes était ouverte. Hermione avait nettoyé une grande partie de la maison pendant l'été, mais elle n'était jamais entrée dans cette pièce. Poussée par la curiosité, elle entra à l'intérieur.
C'était une salle rectangulaire, longue, où deux fenêtres crasseuses donnaient côté rue. Les lampadaires éclairaient suffisamment pour qu'Hermione puisse apercevoir un bureau et une harpe cachée par un drap. La pièce en elle-même était vide, et recouverte d'une couche de poussière suffisante pour piquer les yeux d'Hermione à peine fut-elle entrée. Mais le mur de gauche attira son regard. C'était une immense tapisserie verte, recouvertes de visages. Hermione crut que c'était des portraits, comme ceux de la bibliothèque, mais en s'approchant, elle réalisa qu'ils ne bougeaient pas. En fait, ils étaient tissés dans la toile.
Dès qu'elle posa son regard sur l'immense tapisserie, son regard fut attiré par un garçon au visage pâle et des cheveux blonds. Quand elle lut le nom en dessous, son cœur fit un bond dans sa poitrine.
Drago Lucius Malefoy, 1980-
Même là, sur une tapisserie, ses yeux étaient aussi gris et pénétrants qu'en vrai. Ses traits étaient plus juvéniles et durs que ceux qu'elle connaissait. Peut-être que c'était comme ça qu'il était, quand il était chez lui. Froid et cruel, comme ses parents.
Hermione fut un instant transfixée par la vision du Drago tissé. Ça lui faisait bizarre de le voir ici, dans cette maison. Ils appartenaient à deux camps opposés en dehors de Poudlard. En le voyant ici, ça faisait un choc, comme s'il n'était pas censé appartenir là. Ça rappela à Hermione le moment où il était apparu à Londres sans prévenir. Sans le réaliser, elle passa ses doigts sur le tissu distraitement. Le portrait de Drago était tissé sur une branche, et Hermione comprit enfin qu'il s'agissait en fait de l'arbre généalogique des Black. Au-dessus de Drago se trouvaient Narcissa et Lucius Malefoy, dont les expressions étaient aussi hargneuses que dans la vraie vie. La tapisserie remontait à très haut, probablement à l'époque du Moyen-Âge, avec des portraits usés qui étaient difficilement reconnaissables avec des prénoms imprononçables.
"Kreattur ?" appela la voix de Sirius dans le couloir. "Kreattur, c'est toi ?"
Hermione sursauta et retira ses doigts du mur. Sirius poussa la porte et jeta un coup d'œil dans la pièce.
"Oh, Hermione, c'est toi." dit-il en la voyant. "Désolé, je croyais que c'était Kreattur. Tu ne l'aurais pas vu, par hasard ? Il est introuvable depuis hier."
"Non, désolée, je ne l'ai pas vu." répondit Hermione. "Tu as regardé dans sa tanière, sous l'évier ?"
Mais Sirius ne faisait plus attention à elle, son regard s'était posé sur la tapisserie et il paraissait soudain beaucoup plus sombre qu'avant.
"Ah. Je vois que tu as trouvé ma maudite famille."
Hermione recula d'un pas, mal à l'aise.
"Désolée, je ne voulais pas fouiller, la porte était ouverte et…"
Sirius montra sa paume pour l'interrompre et s'approcha pour se mettre à côté d'elle :
"Ce n'est rien, tu as parfaitement le droit de fouiller ici. Ne t'excuse jamais d'être curieuse, Hermione, c'est une grande qualité."
Hermione sourit presque en pensant à ce que Drago dirait s'il entendait un tel conseil.
"Je te présente donc ma famille de détraqués." annonça Sirius avec un soupir dramatique.
Il désigna la tapisserie de la main et Hermione eut l'impression que tous les portraits le fusillaient du regard.
"Toutes les familles de Sang-purs sont liées les unes aux autres ?" demanda-t-elle en contemplant les branches entremêlées.
"Oui, plus ou moins. Comme ils prônent le mariage entre eux, ça limite pas mal les choix." dit Sirius, railleur.
"Où es-tu ?" demanda Hermione en cherchant son nom.
"Là."
Il montra du doigt un trou brûlé.
"Oh."
"Ma mère m'a effacé de l'arbre quand je suis parti de la maison." expliqua Sirius, qui n'avait pas l'air particulièrement affecté.
Hermione suivit du regard la branche de Sirius et vit les portraits de ses parents, Walburga et Orion Black, qui étaient tous les deux morts depuis une dizaine d'années. Sirius avait une fois dit que ses parents étaient aussi moisis que les murs de cette maison, et Hermione ne pouvait qu'approuver rien qu'en voyant leurs visages, les deux tout aussi antipathiques.
Le portrait de Sirius était lié par une branche au bout de laquelle était tissé un portrait d'un garçon. Il ressemblait tellement à Sirius que c'en était perturbant, excepté qu'il avait l'air très jeune, avec des cheveux plus courts.
Regulus Arcturus Black, 1961-1979
Hermione comprit que c'était son frère, et après un rapide calcul, elle évalua qu'il était mort à 17 ans. Elle n'osa pas demander à Sirius plus d'informations de peur de le rendre triste.
Hermione suivit les branches du regard et tomba sur un certain Cygnus Black une Druella Rosier qui était tellement terrifiante qu'Hermione dû détourner le regard de son portrait. Ils avaient mis au monde trois enfants. La première, Narcissa Black, qui s'était ensuite mariée à Lucius Malefoy. Le deuxième enfant avait la même brûlure que Sirius, ce qui rendait impossible de lire son nom. Hermione tapota son doigt dessus :
"Qui est-ce ?"
Sirius, qui observait un autre portrait avec une moue écoeurée, se concentra sur la marque noircie qu'elle indiquait.
"Andromeda Black, maintenant Tonks." annonça-t-il, et Hermione fut surprise de le voir sourire. "Ma cousine préférée. Elle s'est faite reniée après s'être mariée avec Ted Tonks, un né-Moldu."
"Donc Tonks est ta cousine ?" s'étonna Hermione.
"Oui, mais elle n'est pas sur la tapisserie." expliqua Sirius. "Grand bien lui fasse. Tu imagines, ses cheveux roses là-dessus ?"
Hermione eut un petit rire et ses yeux se tournèrent vers le troisième enfant. Elle avait un visage aussi effrayant que sa mère, mais qui gardait la beauté étrange des Black : des grands yeux gris, des cheveux noirs bouclés et des joues creusées, comme une peinture. Quand Hermione fit descendre son regard sur le nom qu'elle portait, son cœur tomba brutalement dans son estomac.
"Bellatrix Black ?" lut-elle, sans pouvoir l'horreur que lui inspira son nom dans sa voix. "Bellatrix Lestrange, c'est elle ?"
"Oui, c'est elle." dit Sirius, d'un ton bien éloigné de son espièglerie habituelle. Si ses yeux pouvaient lancer des sorts, le portrait de Bellatrix serait calciné sur le champ. "Elle est à Azkaban en train de payer pour ses crimes, mais personnellement, je pense qu'elle mérite bien plus. Cette femme est un monstre."
"Bellatrix Lestrange est ta cousine ?" demanda Hermione, qui avait du mal à se faire à cette idée.
"Malheureusement." dit-il d'un ton plein de rancœur. "Mais je ne la considère pas comme ma famille, depuis bien longtemps. Ma famille, c'est Remus, James, vous. Je me sens bien plus proche des Weasley que de n'importe qui de cet arbre."
Il se tut et regarda ses parents d'un air pensif. Hermione ne lui posa plus de questions, même si elle voulait désespérement en savoir plus. Elle affronta Bellatrix Black du regard et tressaillit. Puis, elle fit la connexion.
Bellatrix Black était la sœur de Narcissa Black.
Narcissa Malefoy était la mère de Drago.
Hermione suivit les branches qui les séparaient l'un de l'autre, avec une nausée prenante.
Bellatrix était la tante de Drago.
"Qu'est-ce que tu lis ?" demanda soudain Sirius, tirant Hermione de ses pensées macabres.
"Oh, euh…"
Elle se rappela soudain qu'elle portait des livres. Elle les serra contre elle par réflexe.
"Des livres que j'ai trouvés dans la bibliothèque." répondit Hermione.
"Pour les cours ?" demanda Sirius en essayant de lire les titres.
"Non, pas vraiment… Je m'intéresse à l'Occlumancie."
En entendant ça, Sirius écarquilla légèrement ses yeux gris. Elle ne savait pas si c'était à cause du rapprochement qu'elle venait de faire sur l'arbre généalogique, mais elle trouva soudain que ses yeux ressemblaient beaucoup à ceux de Drago.
"Beurk." dit-il en plissant le nez.
"Tu n'y crois pas ?" demanda Hermione sans comprendre.
"Oh si, crois-moi, j'ai eu le malheur d'expérimenter l'Occlumancie à bien des égards." dit-il d'un ton amer.
Hermione fronça les sourcils et pour toute réponse, il tapota le portrait de sa mère, Walburga Black.
"Ma mère était une adepte de Légilimancie. Elle l'utilisait sur nous, mon frère et moi, dès qu'elle pensait qu'on lui mentait. Elle entrait dans nos têtes et nous soutirait les informations de force. Nous n'avions aucune intimité."
Hermione eut un frisson le long de son échine. Elle avait compris que l'Occlumancie et la Légillimancie étaient issues de la magie noire, mais elle n'avait pas imaginé l'utilisation qu'aurait pu en faire quelqu'un de mal intentionné.
"Quelle horreur !" s'insurgea Hermione, les yeux révulsés.
"Tu comprends donc mieux pourquoi je me suis enfui." dit Sirius avec tristesse.
"Tu n'as jamais voulu apprendre à te défendre ?" demanda Hermione. "En apprenant l'Occlumancie ?"
Sirius haussa les épaules.
"Je n'ai jamais eu le temps. C'est compliqué, et il faut posséder une certaine forme de magie que peu de personnes possèdent, comme un don, qui se transmet de génération en génération." expliqua Sirius. "Ça m'aurait pris des années avant de pouvoir réussir à la faire sortir de ma tête."
Il regarda les alentours avec une mine maussade :
"Quoique, maintenant, j'ai tout le temps du monde dans cette maison. Je vais m'ennuyer, sans vous. Quand vous serez à Poudlard, et que je resterai seul ici."
Il baissa les yeux vers le parquet et Hermione eut une pointe de compassion pour lui qui lui piqua douloureusement l'estomac.
"Tu auras Lupin et les autres membres de l'Ordre pour te tenir compagnie." dit-elle pour le consoler. "Et puis, à Poudlard, c'est loin d'être la rigolade, avec Ombrage qui impose des règles tous les jours et la rivalité entre les Maisons qui se transforme en guerre ouverte."
Remus est toujours en mission, je le vois à peine, et les autres parlent tout le temps de plans dont je ne fais jamais partie. C'est frustrant. Vous, au moins, vous êtes au cœur de l'action, à Poudlard. " contredit Sirius, les yeux toujours baissés vers le sol. "Mais je pense que ça me manque, surtout. Poudlard, les Maraudeurs… C'est difficile d'être ici sans eux. Avant, je pouvais me réfugier chez James, mais maintenant…"
Sa voix partit dans des aigüs et il se tut. Hermione se rapprocha de lui pour lui frotter affectueusement le bras et il tapota le dos de sa main pour la remercier silencieusement. Il jeta un dernier regard vers son propre portrait sur la tapisserie, puis se tourna vers Hermione :
"Tu veux aller boire un thé ?" proposa-t-il en essayant de sourire, mais elle pouvait voir la nostalgie encore accrochée sur chacun de ses traits. "Discuter un peu avec le vieux Sirius ? Je peux t'assurer que la transition entre ton esprit brillant et les conversations avec Kreattur va être brutale."
Il eut un petit rire. Le regard d'Hermione balaya un instant les tranches des livres qu'elle comptait lire dans le salon. Sirius l'intercepta et recula d'un pas vers la porte :
"Ah, tu es occupée. Ne t'en fais pas, on se voit demain." dit-il. "Bonne nuit, Hermione."
Et il disparut dans l'embrasure de la porte. Le cœur d'Hermione semblait peser trois tonnes. Sans réfléchir, elle posa la pile de bouquins sur le bureau et se précipita vers le couloir.
"Sirius, attends !"
Il était juste en dessous des escaliers, les sourcils affaissés dans un air triste et méconnaissable.
"Oui ?"
"Je veux bien prendre un thé." dit Hermione avec assurance. "J'aurai tout le temps de lire plus tard."
"Hermione, je ne veux pas que tu…"
"Lupin m'a raconté comment vous avez crée la carte des Maraudeurs ensemble, j'aimerais bien entendre ta version de l'histoire." continua-t-elle.
En entendant ça, le regard de Sirius étincela et un grand sourire envahit ses lèvres.
"Vraiment ? Il n'a quand même pas osé te dire qu'il y avait seulement contribué, j'espère ? C'est lui le cerveau de tout ça, c'est lui qui a crée la Carte de toutes pièces."
"Il a dit que vous y avez tous participé, qu'il n'avait fait que regrouper vos idées en inventant un sort…"
Sirius leva les yeux au ciel sans quitter son sourire et traversa le couloir rapidement jusqu'à la cuisine :
"Ah, sacré Moony ! Toujours le modeste… Tu vas voir, la vraie histoire est beaucoup plus drôle… Thé vert, ça te va ?"
"Parfait." dit Hermione en le suivant, avide d'en entendre plus sur l'histoire passionnante des Maraudeurs.
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Le dernier jour des vacances, Hermione tricota avec Mrs. Weasley. Cette dernière lui réexpliqua patiemment le sort qu'il fallait lancer pour tricoter plus vite, et Hermione essaya de le retenir à la perfection. Elle s'entraîna à le faire sans baguette, en priant pour réussir à le refaire à son retour à Poudlard. Les chapeaux qu'elle avait tricotés étaient tous épuisés et elle voulait absolument en avoir de côté pour les elfes qui n'avaient pas encore été libérés.
Elles étaient dans le salon de Grimmaurd Place, sur l'un des canapés qui était tellement abîmé qu'il s'effrondrait sous leurs poids. Ginny était à côté d'elle, mais le tricot ne l'intéressait pas, elle préférait largement lire le magazine de Quidditch que George lui avait acheté.
Hermione fabriquait son troisième bonnet de la journée. Celui-ci était bien plus beau que les deux précédents, grâce aux conseils de Molly.
"Comme ça avec ton aiguille, sinon ta maille va se dédoubler." avertit Mrs. Weasley en lui montrant le nœud qu'elle venait de faire.
Hermione aquiesça et reproduisit le geste. Le bonnet qu'elle avait étalé sur ses genoux commençait à prendre forme, il était orange et blanc, et s'il lui restait assez de fil à la fin, elle pourrait même ajouter un pon-pon au-dessus.
Ron entra dans la pièce à ce moment-là.
"Qu'est-ce que vous faites ?" demanda-t-il.
"J'apprends à Hermione à tricoter." répondit Mrs. Weasley sans se retourner vers lui.
Ron s'approcha et Hermione le vit observer le bonnet.
"C'est pour qui ?" demanda-t-il, sans aucune trace de moquerie dans la voix.
Les joues d'Hermione s'enflammèrent et elle baissa les yeux sur ses aiguilles pour ne pas le regarder :
"Pour toi, en fait." dit-elle, d'un ton qu'elle espérait désinvolte.
Ron eut un grand sourire. Hermione ne savait pas vraiment pourquoi, mais il avait l'air profondément touché par cette attention. Peut-être que les cadeaux tricotés lui rappelait sa mère, ou peut-être parce que ce cadeau était bien plus personnalisé que le planning de devoirs qu'il n'avait définitivement pas aimé recevoir.
Il s'assit sur l'un des coussins par terre.
"Et toi, M'man ?" demanda-t-il.
"Je fais un bonnet de nuit pour ton père." dit-elle en lui montrant son œuvre, bien plus belle que le bonnet d'Hermione.
"Mione, quand tu auras fini celui de Ron, tu pourras me faire une longue robe en maille, rose et jaune pastel, tu sais, comme Ira Shellwood ?" demanda Ginny.
Hermione eut un petit rire.
"Premièrement, je n'ai pas la moindre idée de qui est Ira Shellwood, et deuxièmement, tu penses sincèrement que je suis capable de fabriquer une robe ?"
Elle lui montra le bonnet déformé et Ginny fit une petite grimace :
"Ouais, laisse tomber."
"Tu m'enverras une photo de cette robe, je peux essayer de faire quelque chose." dit Molly.
Ginny secoua la tête :
"Non, parce que tu vas encore la rendre plus longue, comme la dernière fois."
Mrs. Weasley posa ses aiguilles sur ses genoux et regarda sa fille avec exaspération :
"Ginevra Weasley, si tu espères sincèrement que je vais te coudre une robe qui t'arrive en haut des cuisses comme celle que tu as proposé la dernière fois, la réponse est non."
"Mais Maman !" se lamenta Ginny d'une voix plaintive et larmoyante, le genre qu'elle utilisait pour obtenir quelque chose.
Mais Molly était impitoyable.
"Non. Fin de la discussion."
Ginny se ratatina contre le dossier avec une moue boudeuse et Hermione s'empressa de se tourner vers Mrs. Weasley pour briser la conversation houleuse :
"Je dois passer la maille ici ?"
Le visage de Mrs. Weasley se détendit aussitôt.
"Oui, ma chérie." dit-elle gentiment.
Hermione continua son tricot soigneusement. Elle pouvait entendre les aiguilles de Mrs. Weasley cliqueter rapidement à côté d'elle. Quand Hermione tourna la tête, elle vit qu'elle était en train de boire un thé et que son tricot continuait tout seul.
"Où est Harry, au fait ?" demanda soudain Ron en regardant autour de lui.
"Dans la cuisine, en train de discuter avec Sirius et le professeur Rogue." répondit calmement sa mère.
Hermione, Ron et Ginny se tournèrent vers elle d'un mouvement brusque :
"Qui ?" demanda Ron, d'une voix qui indiquait qu'il espérait avoir mal entendu.
"Sirius et le professeur Rogue." répéta Mrs. Weasley, comme si c'était tout à fait banal d'avoir une conversation avec Rogue au Square Grimmaurd.
"Rogue est ici ? Avec Harry ?" demanda Ginny, incrédule.
"Oui." répondit Molly.
"Qu'est-ce qu'il fout là ?" demanda Ron impulsivement.
Sa mère lui fouetta l'arrière du crâne avec son bonnet de nuit :
"Ronald, ton language !" gronda-t-elle. "Le professeur Rogue a parfaitement le droit de venir ici, je vous l'ai déjà dit, il est un membre de l'Ordre…"
"Mais pourquoi est-il avec Harry ?" demanda Hermione.
"Je ne sais pas. Il m'a simplement dit que Dumbledore l'avait envoyé et qu'il devait parler avec Harry de toute urgence." dit-elle. "Et de toute manière, ça ne concerne qu'Harry, Dumbledore, et le professeur Rogue. Vous n'allez pas vous mêler à leurs affaires."
Hermione et Ron échangèrent un regard lourd de sens. Ils savaient qu'Harry allait tout leur raconter, Harry leur racontait toujours tout. Molly prit sa baguette pour tapoter sur ses aiguilles qui se remirent à tricoter toutes seules.
Ron se leva, et Hermione l'imita dans la seconde.
"On peut savoir où vous allez, tous les deux ?" demanda Mrs. Weasley impétueusement.
"Dans la cuisine. Harry a sûrement besoin de nous." asséna Ron, qui traversait déjà le salon pour atteindre le couloir.
"Certainement pas !" s'écria Mrs. Weasley. "Ronald, ce sont des affaires privées…"
"Maman !" coupa Ron agressivement. "Est-ce que tu te rends compte de ce qu'il pourrait se passer ? Rogue déteste tellement Harry qu'il pourrait être en train de le tuer à l'heure qu'il est !"
Hermione savait qu'il exagérait : Rogue ne serait jamais capable de faire une chose pareille, mais elle vit un éclair de peur traverser les yeux de Molly en l'entendant dire ça. Ginny se raidit contre sa chaise, puis se leva aussi et alla rejoindre son frère.
"Ginevra, Ronald, revenez ici !" cria leur mère, avec un peu moins d'assurance qu'avant.
Ils l'ignorèrent et sortirent de la pièce. Hermione les suivit. Ron arriva jusqu'à la cuisine en trois grandes enjambées, flanqué par Ginny et Hermione. Il ouvrit la porte sans frapper et Hermione lâcha un cri de surprise en apercevant ce qu'il se passait dans la cuisine.
Rogue et Sirius étaient face à face, leurs baguettes pointées sur le visage de l'autre. Harry était entre les deux, les deux bras tendus pour essayer de mettre le plus de distance possible entre les deux hommes. Hermione fut surtout frappée par le visage de Sirius. C'était très bizarre de voir ses yeux, d'habitude doux et rieurs, aussi froids et haineux. Il ressemblait aux visages glacés de sa famille sur la tapisserie. Sa bouche était tordue dans une expression d'aversion pour l'homme en face de lui.
Rogue, lui, n'était rien d'autre qu'un mur. Il n'affichait pas plus de mépris que d'habitude, mais la tension dans la pièce était suffisamment lourde pour comprendre que la haine qu'éprouvait Sirius à l'encontre de Rogue était réciproque. Hermione n'avait aucun doute que si Harry ne se trouvait pas là, ils seraient déjà en plein milieu d'un duel des plus violents.
"Sirius !" appela Mrs. Weasley d'une voix paniquée derrière Hermione.
Sa voix sembla ramener Sirius à la raison. Il se tourna vers elle et toute la colère sur son visage fondit d'un coup. Il baissa sa baguette, regarda Harry, puis se recula de quelques pas. Rogue fit de même, plus lentement, comme s'il hésitait encore à lancer le combat.
"Qu'est-ce qu'il se passe ici ?" demanda Molly en entrant dans la cuisine, les poings sur les hanches.
Personne ne lui répondit. Harry était essoufflé et regardait alternativement son parrain et son professeur. Ce dernier lança un dernier regard hargneux à l'adresse de Sirius puis baissa les yeux vers Harry, son masque d'indifférence de nouveau en place sur ses traits.
"Lundi soir, 18h, Potter." annonça-t-il de sa voix gutturale, celle qui donnait des frissons dans la nuque d'Hermione même lorsqu'ils étaient loin de la salle de classe de Potions.
Sur ce, il se retourna, sa cape noire virevoltant derrière lui, et quitta la pièce sous leurs regards ahuris. Quand la porte de la maison claqua, ils se tournèrent vers Sirius, un peu pantelant et la baguette pendant au bout de son bras.
"Qu'est-ce qu'il s'est passé ?" demanda encore Mrs. Weasley d'une voix impatiente.
"Rien de bien grave." répondit Sirius dignement. "Une simple conversation amicale entre des anciens camarades d'école, rien de plus."
Il se tourna vers Ron, Hermione et Ginny qui se tenaient toujours à l'entrée de la cuisine et leur offrit un grand sourire, presque convaincant.
"Alors, qu'est-ce que vous voulez dîner ?" demanda-t-il gaiement. "Ginny, tu veux venir m'aider à éplucher les pommes de terre ?"
Ils mangèrent dans une ambiance étrange, où Sirius se forçait à rire trop fort et ignorait toutes les questions sur Rogue. Hermione n'en posa pas, parce qu'elle savait qu'Harry attendait le moment propice pour leur expliquer et qu'elle devait juste être patiente. Il passa le repas à observer son parrain avec de grands yeux, mais ils n'échangèrent pas un mot de tout le dîner.
À l'heure du coucher, Hermione se glissa dans la chambre des garçons. Harry et Ron préparaient leurs valises pour le lendemain, tous les deux vêtus du même pyjama quadrillé. Hermione ferma la porte discrètement et s'approcha du lit d'Harry :
"Alors ? Qu'est-ce qu'il te voulait, Rogue ?" demanda Ron, manifestement aussi avide qu'Hermione de savoir ce qui avait bien pu se passer dans cette cuisine.
Harry poussa un profond soupir.
"Il est venu pour me dire que Dumbledore voulait que je prenne des cours d'Occlumancie." dit-il, l'air dégoûté.
Hermione écarquilla grand les yeux. Ses paumes devinrent moites. Elle détestait quand Harry ou Ron disait quelque chose qui lui faisait penser à Drago, elle avait l'impression de les trahir rien qu'en pensant à lui devant eux. "Est-ce que tu as déjà entendu parler de l'Occlumancie, Granger ?"
"Qu'est-ce que c'est que ça ?" demanda Ron en fronçant le nez.
"C'est la science de fermer son esprit aux intrusions mentales." répondit Hermione du tac au tac, reprenant les mots que Drago avait prononcés quelques jours plus tôt.
Harry se tourna vers elle, excédé :
"Comment tu fais pour tout connaître ?"
"Je l'ai lu dans un livre." mentit-elle. "J'ai justement fait des recherches ici pendant les vacances, il y a plein de livres dessus dans la bibliothèque."
Harry était devenu un peu pâle. Il s'assit sur le lit de Ron et poussa un soupir plein de fatigue.
"Et tu crois que c'est une bonne idée ?" demanda-t-il à Hermione.
Hermione déglutit péniblement. Elle était sincèrement touchée qu'Harry considère son opinion avec autant d'importance. Il lui demandait ça alors que la maison était remplie d'adultes, de sorciers beaucoup plus talentueux qu'elle.
Elle se souvint qu'Harry avait été la première personne à avoir traversé son esprit quand elle avait entendu Drago lui expliquer ce qu'était l'Occlumancie. Personne ne comprenait vraiment le lien qui unissait Harry et Voldemort, mais l'Occlumancie pouvait sûrement l'aider à barricader son esprit de ses intrusions. Si la tête d'Harry était aussi hermétique que celle de Drago, il ne souffrirait plus de ses terribles visions.
Mais Hermione connaissait Harry. Elle le connaissait mieux que personne, probablement. Elle savait que, derrière cette souffrance, il ne voulait pas perdre ce lien. Il se sentait utile à travers ses visions. Elles lui avaient permis de sauver Arthur. Personne n'avait accès à la tête de Voldemort. S'il était capable de le faire, pourquoi risquer de le perdre avec l'Occlumancie ?
"Oui, je pense que ça peut t'aider à protéger ton esprit des attaques de Voldemort." chuchota-t-elle, de peur que les murs de cette maison hantée puissent l'entendre.
Harry hocha la tête mais Hermione savait qu'il n'était pas tout à fait convaincu. Elle comprenait qu'Harry veuille se sentir utile auprès de l'Ordre, mais elle n'avait pas envie qu'il soit en danger à cause de cette connexion dont ils ne connaissaient rien. Elle détestait ça, que Voldemort puisse envahir les pensées de son meilleur ami, comme un parasite. Ça lui faisait penser au baiser du Détraqueur, et elle était terrifiée à l'idée qu'il puisse aspirer l'âme d'Harry de plus en plus et ne laisser qu'une coquille vide.
"Qui fera ce cours ?" demanda Ron d'un ton plein d'inquiétude.
Harry se tourna vers lui et sa mâchoire se crispa nerveusement.
"Rogue." dit-il d'une voix amère.
Ron fit un bruit de répugnance mais Hermione resta silencieuse. Elle n'était pas surprise. C'était Rogue qui faisait les cours d'Occlumancie à Drago depuis Février, il devait être un expert en la matière, ça devait être pour ça que Dumbledore lui avait demandé de l'enseigner à Harry. Hermione se demanda si Dumbledore était au courant que Drago prenait des cours, lui aussi. Drago lui avait souvent parlé du désintêret du Directeur envers les Serpentards. Peut-être qu'il s'en fichait. Peut-être qu'Harry était sa seule préoccupation.
Ils se dirent bonne nuit et Hermione rentra dans sa chambre. Ginny dormait déjà, les sourcils froncés dans son sommeil. Hermione resta allongée pendant des heures sans parvenir à s'endormir, la tête bourdonnant de questions, comme toujours. Elle descendit se faire un thé et ne fut pas surprise de trouver Harry dans le salon, les yeux dans le vide, rougis par des larmes qu'elle ne commenta pas. Ils ne parlèrent pas de Rogue, ni d'Occlumancie, ni de Voldemort, ni de Cédric. Ils prirent un thé en silence, Hermione lut l'Odyssée, et il s'endormit contre l'accoudoir du canapé.
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Drago
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Cooky prépara bel et bien une douzaine de boîtes de thés à la lavande et au miel, mais Blaise n'en but pas la moindre tasse. Il s'obstina à ingurgiter des potions de Sommeil-Sans-Rêve, malgré les avertissements de sa mère. Théo lui en prépara chaque jour, et Blaise passa des nuits dénuées de visions. Il refusa d'en parler pendant plusieurs jours, exactement comme sa mère l'avait prédit. Il agit comme si tout était normal, comme si c'était approprié de jouer à la Bataille Explosive alors qu'il avait appris qu'il était un Voyant.
Drago et Théo n'abordèrent pas le sujet. C'était la première fois qu'ils étaient aussi hésitants envers leur meilleur ami. Si Drago pouvait deviner les émotions de Granger, Pansy et Théo en un coup d'œil, Blaise était indéchiffrable. Il ne savait pas ce qu'il ressentait, s'il était énervé contre sa mère, deséspéré par cette nouvelle, ou simplement débordé par un trop plein d'informations qu'il digérait à grand peine. Alors, ils firent semblant. Ils jouèrent à la Bataille Explosive avec lui, ils révisèrent leurs BUSES, ils jouèrent au Quidditch dans le froid glacial, comme si tout était normal, pour laisser le temps à Blaise de digérer et de comprendre totalement ce qu'il lui arrivait.
Drago connaissait Blaise depuis qu'il était né. Il avait pratiquement vécu dans ce Manoir autant que dans le sien. Et depuis tout ce temps, c'était bien la première fois qu'il voyait la mère de Blaise rester aussi longtemps chez elle.
C'était étrange de la voir là, Drago était presque plus habitué à voir Théo que Mrs. Zabini dans cette maison. Maintenant que Drago connaissait la nature spéciale de cette femme, il se demanda comment il avait fait pour ne pas le deviner plus tôt. Elle était belle, certes, assez pour faire tourner la tête de tous les hommes qu'elle croisait et en marier quelques-uns pour les tuer et récupérer leurs fortunes à tour de rôle. Elle était belle, mais pas seulement. Elle était captivante, hypnotisante, envoûtante, d'une manière que seules les Vélanes possèdent. Peut-être qu'elle l'était, la famille des Zabini était riche autant en argent qu'en héritage, et Blaise était tellement beau qu'il pourrait très bien avoir du sang de Vélane dans les veines. Mais c'était autre chose qui la rendait si mystérieuse. Une sorte d'aura qu'elle portait comme un vêtement, impossible d'y être insensible mais impossible de la qualifier pour autant.
Drago avait enfin la réponse à ses questions. C'était ça, le Troisième Oeil. C'était ça qui était aussi fascinant chez Mrs. Zabini. C'était sa magie, sa force. Une magie qui les dépassait tous. Quand Drago se tenait près d'elle, il pouvait pratiquement la sentir s'enrouler contre lui, et ça lui faisait peur autant que ça l'intriguait.
Alors, il l'évitait, et c'était tant mieux, parce que Blaise le faisait aussi, pour d'autres raisons. Théo avait dit en français à Drago qu'il était sûrement dans le déni. Drago le comprenait, lui-même avait du mal à se faire à l'idée que Blaise puisse être un Voyant.
Pansy avait passé les jours suivants Noël cloîtrée dans son Manoir, parce que son père avait remarqué qu'elle avait disparu pendant le Bal et qu'il voulait vérifier qu'elle ne filait pas du mauvais coton en gardant un œil sur elle. Elle leur avait envoyé une petite lettre pour les tenir informés de ce confinement imposé et Drago n'avait pas pu s'empêcher d'éclater de rire en lisant les inquiétudes de son père. Pansy était probablement la personne la moins raisonnable qu'il connaissait, elle filait du mauvais coton depuis sa première année à Poudlard. Son père ne connaissait vraiment rien d'elle.
Elle ne refit son apparition que le 31 Décembre. Ils l'entendirent arriver de loin, parce qu'elle martelait furieusement ses pieds contre les marches de l'escalier pour montrer sa mauvaise humeur. Ils étaient dans l'un des salons du Manoir, Drago et Blaise révisaient leur leçon de Métamorphose et Théo lisait un roman sur l'un des fauteuils, dans sa position préférée : les jambes posées sur l'accoudoir et le dos contre appuyé contre l'autre. Un chaudron frémissait sur la table à côté d'eux, la dernière fournée de potions de Sommeil-Sans-Rêve que Théo préparait depuis le début des vacances et dont les vapeurs cotonneuses les faisaient doucement somnoler.
Pansy ouvrit la porte à la volée et rentra dans la pièce, une expression de colère gravée sur ses traits de marbre. Elle claqua la porte derrière elle et alla s'asseoir sur le canapé le plus proche d'eux et croisa les bras sur sa poitrine. Même s'il était dans le canapé d'en face, Drago pouvait sentir la cigarette sur ses vêtements, preuve qu'elle avait fumé en continu sur le chemin pour venir.
"J'ai passé une semaine horrible." déclara-t-elle avec un claquement de langue agacé. "Mon père ne m'a pas lâchée, j'ai cru que j'allais le tuer."
Théo arqua un sourcil amusé en l'entendant parler de la sorte. Eris courut dans la pièce à cet instant, sûrement parce qu'il avait reconnu la voix de sa maîtresse, et se précipita sur elle dans des couinements surexcités. C'était difficile de savoir lequel des deux faisait le plus de bruit en se voyant. Dès que Pansy prit son chien contre elle, sa mauvaise humeur se dissipa.
"Oh, mon chien d'amour, tu m'as tellement manqué…"
Drago ne prit même pas la peine de rouler des yeux. Il s'était habitué aux retrouvailles déchirantes entre Pansy et Eris à chaque fois qu'ils se retrouvaient. Blaise, Théo et Drago attendirent que ça se termine pendant au moins cinq bonnes minutes, puis Eris se roula en boule sur les genoux de Pansy et elle prit un peigne pour le brosser affectueusement.
"Je suis allée à la fontaine hier, mais je ne t'ai pas vu." dit-elle à l'adresse de Drago. "Tu as dormi ici ?"
Drago hocha la tête.
"En fait, je n'ai dormi au Manoir qu'une fois depuis Noël." réalisa-t-il à voix haute.
Les quelques jours après Noël avaient été flous à cause de leur nuit blanche. Drago s'était réveillé sans savoir l'heure ni même la date. Il était rentré au Manoir dans un état déplorable, un mélange de fatigue et de stress, et toujours habillé de son costume trop petit du Bal. Narcissa l'avait trouvé comme ça, à moitié affalé contre le mur, trop fatigué pour pousser la porte d'entrée. Il avait dormi une journée entière et s'était pris un savon remarquable par sa mère pour son comportement. Elle avait très mal pris le fait qu'il fuit son Bal après tout ce temps de préparation, et il s'était laissé faire hurler dessus, parce qu'il la comprenait un peu.
"La chance." répliqua Pansy, boudeuse. "Mon père ne m'a pas lâché depuis. Il envoie l'elfe me surveiller toute la journée, je n'ai même pas pu fumer une seule fois !"
"Et comment as-tu fait pour te libérer aujourd'hui ?" demanda Théo, sans lâcher son roman des yeux.
"Mon père est parti à une "réunion"." dit-elle, en imitant les guillemets avec ses mains manucurées. "Et j'ai menacé mon elfe de maison de lui brûler les oreilles s'il osait me suivre jusqu'ici."
Drago sourit en imaginant l'expression révoltée que Granger aurait eu si elle avait entendu ça.
"Alors ? Qu'est-ce que j'ai manqué ?" demanda-t-elle en continuant de peigner Eris.
Drago et Théo échangèrent un regard gêné. Un silence tomba dans la pièce. Pansy releva la tête en attendant une réponse, son regard passant de Drago, à Théo, à Blaise.
"Quoi ?" demanda-t-elle en remarquant leur mutisme soudain.
Blaise soupira et finit par lever la tête de son parchemin de Métamorphose.
"J'en ai eu une nouvelle." dit-il, et c'était la première fois qu'il faisait référence à sa vision depuis le soir de Noël.
Pansy écarquilla un peu les yeux. Sa main qui tenait le peigne s'arrêta.
"Quand ?" demanda-t-elle.
"Le soir de Noël. Un peu après que tu partes."
Rien, dans le ton de Blaise, ne retranscrivait la panique qu'ils avaient expérimentée ce soir-là. On aurait dit qu'il lui citait les cadeaux qu'il avait reçus. Mais Drago pouvait entendre, derrière la désinvolture, l'anxiété percer dans sa voix.
"Et ?" pressa Pansy, de plus en plus inquiète. "Que s'est-il passé ?"
Ses yeux charbon dévièrent une seconde sur Drago, puis retournèrent sur Blaise.
"Ma mère est venue me réveiller." dit-il.
Pansy écarquilla davantage les yeux.
"Ta mère ?" répéta-t-elle. "Elle était là ? Elle est arrivée à temps ?"
"Pile à temps." confirma-t-il, d'une voix trop mécanique.
"Et qu'est-ce qu'elle a dit ?"
Blaise baissa la tête de nouveau sur son devoir. Théo et Drago évitèrent de se regarder. Drago ne savait pas si Blaise voulait qu'il prenne la parole. Il ne savait pas ce que Blaise voulait dévoiler à Pansy, il ne savait pas s'il voulait qu'il le dise à sa place, ou s'il ne voulait plus jamais en entendre parler. Apparemment, Théo hésitait aussi, parce qu'il ne parla pas non plus. Dès qu'ils avaient effleuré le sujet depuis Noël, il s'était complètement refermé ou prétextait ne pas avoir entendu. Mais là, dans le salon immense, les yeux noirs de Pansy braqués sur lui, c'était inévitable.
Drago était sur le point d'ouvrir la bouche, quand Blaise releva la tête et affronta le regard de sa meilleure amie :
"Elle m'a dit que j'étais un Voyant." déclara-t-il.
Drago connaissait Pansy par cœur. Il pouvait dessiner mentalement la tête qu'elle allait prendre en entendant une telle nouvelle, son visage s'allonger, sa bouche s'entrouvrir de stupeur, ses yeux s'écarquiller encore plus. Il devinait sa main qui se plaquerait contre ses lèvres et son cri étouffé de choc.
Mais ce fut lui qui fut choqué.
Parce que Pansy ne fit rien de tout ça. Elle garda pratiquement la même expression faciale. Aucun choc, aucune surprise.
"Oh." répondit-elle simplement.
Drago reproduisit la même tête qu'il avait imaginé sur elle sans le vouloir. Il se redressa en même temps que Théo qui balança ses jambes contre le sol.
"Quoi "oh" ?" dit Blaise, tout aussi étonné.
Elle ne dit rien, mais ses lèvres se plissèrent légèrement. Blaise se pencha soudain en avant en avalant l'air dans un halètement de surprise :
"Tu le savais ?"
Pansy ne secoua pas la tête, mais n'acquiesça pas non plus. Ses yeux étaient toujours fixés sur Blaise, compatissante, et elle recommença à peigner le pelage blanc d'Eris.
Théo produisit un son de pure outrage du fond de sa gorge.
"QUOI ? Tu le savais ?!" Il se tourna vers Drago, les yeux ronds comme des assiettes. "Putain, je le jure sur la tombe de Merlin, si tu me dis que tu étais au courant aussi et que je suis le dernier à connaître un secret encore une fois, je ne vous parlerai plus jamais."
"Non, je ne le savais pas." coupa Pansy, qui regardait toujours Blaise. "Je l'avais deviné."
Les trois garçons ouvrirent grand la bouche de choc.
"Pardon ?! Comment as-tu pu deviner un truc pareil ?" questionna Drago.
Il remarqua que Théo fixait Pansy avec une pointe de déception. Drago était sûr qu'il avait attendu le moment où ils lui annonçerait avec impatience juste pour être au courant de quelque chose avant elle. Raté.
Pansy garda ses yeux braqués sur Blaise pour répondre :
"Quand je t'ai vu faire cette… crise." expliqua Pansy à voix basse. "C'était exactement ce qu'était décrit dans mon manuel de Divination à propos de l'ouverture du Troisième Oeil."
"Pourquoi tu ne me l'a pas dit ?" demanda Blaise, les sourcils froncés mais sans aucun reproche dans sa voix.
"Normalement, les premières crises se font à vingt ans, et elles ne sont pas décrites comme étant aussi violentes, alors j'avais encore des doutes. Je ne voulais pas t'inquiéter." expliqua-t-elle.
Drago se demanda si elle n'avait pas osé leur partager sa théorie par peur qu'ils se moquent d'elle. Théo en aurait été largement capable.
"Ma mère l'est aussi. Voyante" expliqua Blaise avec réticence.
"Vraiment ?" dit Pansy, ses prunelles empreintes d'inquiétude se dissipant rapidement en lueur d'intérêt.
"Ouais, elle n'a pas quitté la maison depuis qu'elle m'a vu faire ma vision." dit Blaise avec un soupir. "Elle m'a expliqué qu'elle était une Voyante et que je devais être pareil."
"Qu'est-ce qu'elle t'a dit d'autre ?" demanda Pansy avec avidité.
Drago était sûr qu'elle préparait déjà une centaine de questions à lui poser.
Blaise lui raconta en quelques mots la conversation nocturne avec Mrs. Zabini. Drago vit Théo hausser les sourcils plusieurs fois en entendant son récit, parce que ce n'était pas totalement ce qu'il s'était passé. Il laissait de côté sa réaction à la nouvelle. Il ne voulait pas dire à Pansy comment il avait renié ce que sa mère lui disait. Pansy écouta attentivement, indifférente à la perplexité de Théo.
"Pans', je ne sais pas quoi en croire." dit Blaise après un long silence pensif.
"Que veux-tu dire ?" demanda-t-elle doucement.
"Je veux dire… Est-ce que tu… Si tu l'a deviné, c'est que c'est vrai, non ? J'ai vraiment ça, tu penses ? Ce Troisième Oeil ?"
Drago ne comprenait pas vraiment pourquoi il lui posait la question à elle, sachant que sa mère était dans la maison et qu'elle avait bien plus de connaissance en la matière que Pansy, étant une Voyante elle-même et ayant prédit ses visions avant même qu'il ne les aient. Mais Blaise posait la question à Pansy. Comme si son opinion avait plus de valeur que sa propre mère, comme si, s'il l'entendait de sa bouche, ça deviendrait réel. Ça agaça un peu Drago. Pansy était sa meilleure amie, il n'aimait pas trop que quelqu'un d'autre puisse lui demander conseil.
Leur regard était plongé dans celui de l'autre et pendant une minute entière, personne ne souffla un mot. Pansy semblait en profonde réflexion, et Blaise attendait sa réponse, suppliant, attentif, et Drago eut l'impression étrange d'être un intrus. Un envahisseur, comme s'il n'était pas censé être là, comme s'il les dérangeaient, comme s'il n'avait pas le droit d'assister à un échange aussi intime devant lui alors qu'ils ne parlaient même pas. Il se demanda si Théo ressentait ça quand Drago parlait avec Pansy. S'ils parlaient un langage codé que personne ne comprenait à part eux, basé sur des regards, des hochements de tête et des clignements de yeux qui étaient plus compréhensifs que n'importe quels mots.
"Oui." répondit finalement Pansy. "Oui, je pense que tu es un Voyant."
Les épaules de Blaise s'affaissèrent, et il baissa les yeux sur ses poings serrés contre ses cuisses.
"Mais je ne pense pas que ça soit nécéssairement une mauvaise chose, même si ça en a tout l'air." continua-t-elle d'une voix douce. "C'est douloureux, et terrifiant, mais c'est aussi tellement… toi ?"
Il releva la tête au dernier mot :
"Moi ?" répéta Blaise sans comprendre.
"Oui, toi. Tu as toujours réussi à nous lire, plus que n'importe qui." expliqua Pansy en désignant Drago, Théo et elle-même. "Tu as toujours eu cette capacité à comprendre ce qu'on ressentait et nous conseiller pour guider nos choix."
Blaise eut un petit rire amer :
"C'est juste que je vous connais par coeur." se défendit-il.
Les lèvres noires de Pansy se retroussèrent dans un demi-sourire.
"Non, c'est plus que ça. Peut-être que, sans le savoir, tu avais déjà cet oeil, et tu l'as pointé sur nous."
Blaise considéra ces paroles avec un sérieux implacable. Drago pouvait voir qu'il commençait enfin à céder. À accepter.
"Peut-être." murmura-t-il d'une voix lointaine.
Il regardait le mur d'en face sans le voir. Il serra et desserra le poing plusieurs fois, manifestement plongé dans un dilemme intérieur compliqué.
"Donc… C'est officiel, alors ?" tenta timidement Théo. "Tu es un Voyant ?"
Blaise poussa un soupir et il tourna la tête vers lui.
"Je suppose, oui." marmonna-t-il.
Théo jeta son bouquin sur le fauteuil à côté de lui et tapa des mains :
"Très bien, alors, Pansy, file moi tous les livres que tu possèdes sur la Divination."
Les pupilles de Pansy s'illuminèrent aussitôt.
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À 17h, un grand hibou gris clair apporta une lettre à Drago.
Aurons-nous l'honneur de te voir avant la fin de l'année ? Tu n'es pas rentré depuis des jours et je crois avoir oublié à quoi ressemblait ton visage.
Nous t'attendons pour le dîner ce soir, ton père et moi.
Drago roula des yeux et déchira le parchemin.
"Je dois y aller. Ma mère veut que je rentre." dit-il, un grognement plus qu'une vraie phrase.
Blaise et Théo jouaient aux échecs pour rattraper la défaite cuisante contre Pansy que venait de subir Théo.
"Tu reviens demain ?" demanda Blaise.
"Je vais juste dîner là-bas, si tu veux je peux faire le mur et revenir dormir ici." proposa Drago, qui savait à quel point Blaise avait peur de ses propres visions, même s'il ne l'admettait pas à voix haute.
Mais ce dernier rejetta l'idée d'un geste vague de la main :
"Non, non, pas la peine, ma mère et Théo sont là si besoin. Je ne veux pas que ta mère s'en aperçoive et te punisse ou un truc dans le genre."
Drago ne pouvait pas dire qu'il n'était pas d'accord. Si Narcissa apprenait qu'il avait fugué pendant la nuit pour retourner chez Blaise, elle serait capable d'en informer le Ministre de la Magie en personne. Et il n'osait même pas imaginer sa vie s'il se retrouvait puni de sortie, condamné à rester dans son Manoir jusqu'à la fin des vacances.
Pansy retourna chez elle en même temps que lui, au cas où son père rentrerait plus tôt que prévu de sa "réunion". Elle fuma sur le chemin du retour, et quand elle proposa une cigarette à Drago, il refusa poliment en prétextant avoir mal à la gorge alors qu'il ne pensait qu'au dégoût de Granger quand elle lui avait demandé s'il fumait souvent.
Il la raccompagna jusqu'au pas de sa porte dans un de leurs silences, le genre de silence confortable que Drago adorait.
"Fontaine ce soir ?" proposa-t-elle en ouvrant sa porte d'entrée.
Il hocha la tête, même si c'était une question rhétorique. Ils se retrouvaient toujours à la fontaine.
Drago rentra chez lui en traînant des pieds. Sa mère ne lui fit pas de commentaire en le voyant, mais ses lèvres plissées et son regard scrutateur qui passa lentement sur sa tenue lui indiquèrent deux choses : premièrement, elle était fâchée contre lui, deuxièmement, il était négligé et devait se changer avant de venir dîner.
Il prit donc une douche et se changea dans des vêtements bien trop sophistiqués pour un simple dîner en famille et redescendit jusqu'à la salle à manger, en essayant de ne pas penser au fait que chez Blaise, leurs dîners consistaient de chocolats chauds et de bonbons, et qu'Agate ne faisait jamais de remarque, même quand ils mangeaient dans les canapés et qu'ils faisaient des taches.
Ses parents étaient déjà assis de part et d'autre de la table. Drago évita leurs regards en s'asseyant et Occluda.
"Chubby !" cria Narcissa.
L'elfe transplana avec un "pop !" et claqua des doigts. Aussitôt, une montagne de nourriture apparut sur la table, une variété d'entrées chaudes qui dégageaient une délicieuse odeur qui rappelait l'hiver. Chubby claqua une seconde fois des doigts, cette fois-ci pour allumer tous les chandeliers qui illuminèrent la tablée.
Personne ne lui dit merci, comme d'habitude. Il transplana avec un nouveau "pop !", laissant la salle dans un silence glacé, bien plus gênant que celui avec Pansy. Drago entendit son père sur sa droite prendre sa cuillère pour entamer le repas avec la première bouchée. Drago attendit qu'il termine pour se servir et prit dans le premier plat qu'il vit : un velouté de marron chaud.
"Alors, Drago…" dit soudain son père. "J'ai entendu dire que tu avais causé beaucoup de peine à ta mère en t'absentant du Bal de Noël."
D'habitude, les poils de la nuque de Drago se dressaient toujours quand son père lui adressait la parole. Surtout pour lui reprocher quelque chose. Mais pas cette fois-ci. Ce soir-là, Drago était épuisé. Sûrement le mélange de fatigue des dernières nuits blanches et la peur constante de revoir les yeux noirs et vides de Blaise.
En tout cas, il était suffisamment de mauvaise humeur pour répondre sans réfléchir :
"Et toi, Père, où étais-tu ?"
Drago entendit sa mère hoqueter à sa gauche en l'entendant répondre avec tant d'affront. Lucius leva les yeux de son plat pour le regarder. Drago avait suffisamment analysé son père pour reconnaître ses humeurs sur ses traits. Il n'était pas surpris, ou indigné, ou offusqué comme Narcissa, mais plutôt en colère que son fils puisse lui poser cette question sans craindre des représailles.
Lucius prit sa serviette dans un geste atrocement lent et la tapota contre ses lèvres, puis répondit d'une voix faussement calme :
"Et bien, si tu dois absolument le savoir, j'ai été convoqué pour des affaires importantes."
Drago ne répondit rien. Il se doutait qu'il allait utiliser cette excuse pour justifier son absence. C'était ce qu'il faisait toujours.
Le repas continua sans que personne ne continue la conversation. Les entrées se changèrent en plats, mais aucun des trois ne mangea avec grand appétit. Sa mère feignait d'avaler les maigres quantités sur sa fourchette, son père buvait plus de vin qu'il ne mangeait réellement de nourriture, et Drago poussait distraitement les morceaux dans son assiette en attendant avec impatience le moment où il pourrait sortir de table.
Il ne comprenait pas vraiment pourquoi sa mère avait tant insisté pour qu'il revienne ce soir. Le repas se serait passé exactement pareil s'il n'avait pas été là.
Les plats disparurent pour laisser place à une dizaine de desserts différents. Drago prit une boule de glace à la menthe et sa mère une minuscule part de pudding à la châtaigne. Son père se resservit son sixième verre de vin.
"Où étais-tu ?" demanda Lucius à Drago, comme s'il n'y avait pas eu vingt minutes entre ses deux phrases. "Ta mère m'a dit que tu n'avais pas dormi ici depuis Noël."
Drago se retint de lancer un regard accusateur à sa mère. Il pensait qu'ils avaient instauré un accord tacite de ne pas raconter ce genre de choses à Lucius. Que c'était un secret. Il fallait croire que ce n'était que dans un sens.
"Tu passes toujours tout ton temps chez les Zabini, n'est-ce-pas ?" demanda-t-il quand Drago mit du temps à formuler sa réponse.
"Oui." répondit-il sèchement.
Lucius laissa échapper un rire déplaisant proche du soupir.
"Je n'aime pas beaucoup ça. Sa mère va te bourrer le crâne de bêtises, une femme horripilante, détestable. Je ne sais pas comment tu as fait pour être amie avec elle, Narcissa." dit-il d'une voix traînante.
Drago ne manqua pas le regard noir que lui lança Narcissa en entendant la mention d'Agate. Lucius n'était donc pas au courant qu'elles étaient toujours amies. Drago était sûr que sa mère le cachait à Lucius.
"Qu'est-ce que tu peux faire là-bas que tu ne peux pas faire ici, de toute façon ?" demanda-t-il à Drago d'un air condescendant. "Si c'est juste le Quidditch, je peux te faire construire un terrain dans le jardin. Considère ça comme cadeau de Noël. Pas la peine d'entretenir une relation amicale avec Zabini simplement pour profiter du sien. C'est inutile, et dégradant pour ton statut."
Quelque chose dans la poitrine de Drago se contracta douloureusement en entendant son père prononcer ces mots. Faire construire un terrain de Quidditch dans le jardin, c'était l'un de ses plus grands rêves, depuis toujours. Combien de fois avait-il fait ce vœu lorsqu'il avait vu une étoile filante avec Pansy ? Combien de prières avait-il fait pour que son père accepte enfin ? Il lui avait demandé des centaines de fois, à chaque anniversaire, à chaque Noël, mais il avait toujours refusé. Et maintenant qu'il en profitait chez Blaise, il lui donnait, sur un plateau d'argent.
Ça serait mentir que de dire que Drago ne considéra pas cette proposition. Il s'imagina pouvoir jouer comme il voulait, juste en bas. Il pourrait voler pour se vider l'esprit, quand il voulait, peut-être même Occluder là-bas. Plus jamais d'ennui.
Mais Drago n'était pas aussi euphorique à la perspective qu'autrefois. Parce que ce qui était génial avec le Manoir de Blaise, ce n'était pas le terrain de Quidditch grandeur nature dans le jardin.
C'était Blaise.
C'était les déjeuners dans le jardin pendant l'été. C'était les chamailleries entre Pansy et Théo en bruit de fond constant, c'était les parties d'échecs près du feu, c'était les après-midis dans les airs avec Blaise qui riait et Théo qui lisait par terre, les jambes croisées et le soleil rougissant son nez. C'était les crèmes glacées de Cooky en Juillet et ses chocolats chauds en Décembre. C'était la chaleur de son Manoir comparée à la froideur du sien. C'était le fait qu'il n'avait pas souffert du moindre cauchemar dans le lit de Blaise, alors qu'il se réveillait en sursaut toutes les nuits dans le sien. C'était le fait qu'il ne se sentait pas épié par les portraits de ses ancêtres dès qu'il déambulait. Il n'avait pas peur quand il était là-bas, pas peur que son père surgisse de nul part, parce que son père n'avait jamais posé un pied dans cette maison, que Drago considérait pourtant plus comme sa maison que la vraie.
"Non, merci." répondit Drago, d'une voix surprenamment égale. "Je préfère aller là-bas."
Lucius le fusilla méchamment du regard et s'empara de son verre pour boire une gorgée de vin.
"Et bien." marmonna-t-il. "Cette atroce femme doit être fière d'avoir élevé un fils capable de te manipuler de la sorte."
Narcissa posa violemment sa cuillère contre son bol mais Lucius l'ignora. Il sirota son vin et Drago sentit la colère bouillir dans ses veines en entendant une telle accusation. Il devait vraiment être sur les nerfs, ou simplement indigné que son père puisse insulter la femme qui avait sauvé la vie de son meilleur ami, parce qu'il répondit avec un calme olympien :
"En fait, je ne vais pas là-bas que pour Blaise. Je passe mes journées avec Théodore Nott, aussi."
Cette fois-ci, le masque de douceur de son père se fissura et Drago aperçut enfin la rage qu'il éprouvait, et il ressentit une satisfaction vicieuse à l'idée d'avoir pu l'atteindre. D'avoir pu le blesser, le choquer, lui faire ressentir une émotion différente de l'indifférence. Il le vit inspirer sous le coup de la colère. Il le vit reposer son verre de vin avec difficulté. Il le vit déglutir, comme pour contenir des mots qui menaçaient de s'échapper de sa gorge trop vite. Puis, il plongea son regard dans le sien, d'un gris froid et plein de haine, et Drago se demanda si c'était ça, que Granger voyait à chaque fois qu'il était énervé contre elle ? Si c'était ça, qu'elle appelait Malefoy ?
"Je te demande pardon ?" siffla Lucius, qui avait pourtant très bien entendu.
"Théodore Nott." répéta Drago. "Mon meilleur ami."
Les iris de Lucius brillèrent de fureur et il balaya sa main au-dessus de la table. Drago mit trop de temps à comprendre qu'il n'était pas en train de prendre sa serviette, mais sa baguette juste à côté. En un éclair, Lucius la saisit et la pointa droit sur lui. Et Drago n'eut pas le temps de réagir, d'esquiver, ou même de comprendre ce qu'il était en train de faire. Il sentit le sort que lui lança Lucius lui frapper le visage, fort, comme une gifle. Sa tête bascula sur le côté, Drago glapit de surprise, et il porta une main automatique à l'endroit où le maléfice l'avait touché. Il pouvait sentir sa peau se fendre.
"LUCIUS !" hurla Narcissa en bondissant de sa chaise.
Quand Drago retira sa main, il y avait du sang sur ses doigts.
Il avait une coupure juste en dessous de son œil.
C'était la première fois de sa vie que son père levait sa baguette sur lui. C'était la première fois qu'il utilisait la violence pour le punir. Drago n'avait jamais imaginé qu'il puisse faire une chose pareille. Il sentait les battements affolés de son cœur à l'endroit où son père l'avait coupé.
Il leva la tête. Il s'attendait presque à le voir mortifié, désolé. Mais Lucius n'était rien de tout cela. Ses yeux étaient toujours emplis de la même colère et Drago en fut transpercé. Tout à coup, il avait de nouveau onze ans, et il implorait son père silencieusement de ne pas le punir trop fort. Son Occlumancie explosa en mille morceaux au fond de sa tête.
"Théodore Nott Jr est un traître à son sang, un garçon impur, et insolent." énonça lentement Lucius, sa voix résonnant dans la grande salle à manger. "Il a osé affronter son père en reniant toutes les valeurs que lui imposait son Sang-pur. Il voue une curiosité malsaine à l'égard des Moldus et s'oppose à son père quant aux statuts de sang. Il a été renié des Nott et préfère vivre comme un clandestin, plutôt que de suivre le régime dans lequel il est né."
"Ce n'est pas vrai !" intervint Drago, incapable de se taire en entendant de telles allégations envers Théo. Son Théo.
Il vit son père serrer ses doigts autour de sa baguette et crut entendre un cri de protestation de la part de sa mère quelque part sur sa droite, mais sa vision était brouillée par des larmes et les battements de son cœur contre ses tympans l'empêchaient d'entendre correctement.
"Si, ça l'est." répondit froidement Lucius. Il regardait Drago avec dégoût. "Son père m'a tout raconté. Et je t'ai prévenu que je ne voulais plus que tu sois ami avec lui."
"Il n'est pas comme ça, c'est son père, il est…" commença Drago d'une voix saccadée.
"SILENCE !" hurla Lucius, si fort qu'il fit sursauter Drago. "NARCISSA, RASSIEDS-TOI."
Il pointa la chaise de sa mère avec sa baguette. Drago lança un long regard implorant à sa mère, la suppliant silencieusement de défendre Théo, mais elle n'en fit rien. Ses yeux étaient obscurcis par l'Occlumancie. Elle s'assied à contre-cœur, les mains sagement pliées sur ses genoux et la bouche barrée dans une expression d'hostilité.
Drago n'arrivait pas à croire qu'elle ne répliquait pas. Il pensait à la manière dont elle avait hurlé sur Lucius quand Drago était rentré de la Coupe du Monde. Pourquoi avait-elle peur maintenant ? Pourquoi ne disait-elle rien ? Avait-elle peur qu'il puisse la blesser, comme il venait de le faire sur son fils ?
Lucius posa sa baguette d'une main tremblante. Son œil gauche tiqua plusieurs fois. Il prit une gorgée de vin et un filet rouge coula de ses lèvres. Il reposa brusquement son verre sur la table et regarda Narcissa et Drago successivement.
"Je fais ça pour vous protéger." dit-il, sa voix vibrante, si basse que Drago eut du mal à l'entendre. "En me rangeant du côté du Seigneur des Ténèbres, je vous protège. Je passe mes journées à le satisfaire du mieux que je peux pour que nous, notre famille, soit du bon côté quand la guerre éclatera. Je me tue, petit à petit, pour monter dans son estime et rattraper mes erreurs du passé, parce que je ne pourrais plus vivre s'il vous arrivait quelque chose par ma faute."
Drago avait retenu son souffle. Il n'avait jamais entendu son père parler de la sorte. Se confesser aussi ouvertement sur un sujet aussi grave. Il se força à Occluder, malgré le tourbillon d'émotions qui menaçaient de perturber sa concentration. Il ne voulait pas que son père puisse détecter la moindre chose sur son visage.
Lucius prit une grande inspiration et continua dans un murmure :
"La seule chose que je vous demande en contrepartie, c'est de m'aider. Et être ami avec un traître à son sang NE M'AIDE PAS, DRAGO."
Il avait crié la fin de sa phrase mais sa voix manquait de sa rage habituelle. Elle était presque chevrotante.
"Tu crois que ça me fait plaisir, de partir dans des missions suicidaires, hein ? Tu crois que ça me plait de devoir tenir des réunions dans ma propre maison, mon terrain, pendant le Bal de ma femme ?"
"Lucius, ça suffit." gronda Narcissa, et ça fit taire miraculeusement Lucius d'un coup. "Tu as trop bu. Tu devrais aller dormir."
Ils se regardèrent pendant de longues secondes, échangeant un dialogue à travers leurs regards que Drago ne comprenait pas. Il ne parlait pas leur langage.
Quand son père se tourna vers lui une dernière fois, Drago le vit fixer la coupure qu'il venait de lui faire sous l'œil, comme s'il ne s'en apercevait que maintenant. Il ne s'excusa pas. À la place, il pointa un doigt accusateur dans sa direction.
"C'est la dernière fois que j'entends la mention de Théodore Nott Jr sous mon toit." menaça-t-il dans un sifflement. "Est-ce que c'est clair, Drago ?"
Drago hocha la tête. Il pouvait lui promettre de ne plus jamais lui en parler. Arrêter d'être ami avec lui était autre chose. Lucius pouvait lui couper la joue cent fois, ça ne changerait jamais son amitié avec Théo. Jamais.
Il se leva sans demander la permission et se dirigea vers la porte qui menait au jardin arrière du Manoir. Il entendit Chubby transplaner dans son dos pour débarrasser, puis la voix camouflée de son père qui criait quelque chose. Juste avant qu'il ne passe le palier de la porte, il entendit des bruits de pas précipités dans son dos. Quand il se retourna, il vit sa mère accourir vers lui.
Elle Occludait toujours, mais Drago était sûr que si ça n'avait pas été le cas, elle serait en train de pleurer.
"Drago." appela-t-elle en lui prenant la main.
Sa peau était froide contre la sienne. Drago avait l'impression d'être bouillant de colère. Il faillit dégager sa main de son emprise, mais il avait la sensation que ce n'était pas un geste qu'elle faisait pour le rassurer lui.
"Pourquoi tu n'as rien dit ?" cracha-t-il, une pointe de déception dans sa voix.
Narcissa planta son regard dans le sien. Gris contre gris.
"Énerver ton père n'est pas une bonne idée en ce moment." murmura-t-elle.
Drago leva les yeux au ciel. Énerver son père n'avait jamais été une bonne idée, point. Elle se voilait la face et elle le savait.
"C'est Théo, Mère. Il parlait de Théo. Comment peux-tu ne rien dire ?"
Elle posa ses doigts frais contre sa joue, tout près de la coupure.
"Parce que je le garde secret, comme tu devrais le faire aussi." souffla-t-elle.
Drago ne savait pas comment prendre cette phrase. Il ne savait pas si elle voulait parler de l'Occlumancie. Drago était fort pour ça, garder ses émotions, ne rien dévoiler, mais comment ne pas réagir quand Lucius insultait l'une des personnes les plus chères à son cœur ?
"Laisse-moi te soigner." dit-elle en prenant sa baguette dissimulée dans sa robe.
Drago balaya sa main de sa joue :
"Non." lâcha-t-il, sans même se soucier de baisser la voix. Qu'il entende. "Je veux la garder, pour qu'il se rappelle de ce qu'il vient de faire à chaque fois qu'il la verra."
La lèvre inférieure de Narcissa trembla légèrement.
"Drago…"
"Non ! Ne le défend pas, pas maintenant."
Et il fit volte-face avant qu'elle puisse répondre. Il ouvrit la porte et traversa le jardin en grandes enjambées. Il fut soulagé quand il n'entendit pas sa mère le suivre. Il avait besoin d'être seul, et personne d'autre que Pansy n'avait le droit de le rejoindre à cette fontaine.
Il s'allongea dans l'herbe et se concentra sur sa respiration. À sa grande surprise, il ne ressentit pas cette vague de panique le frapper d'un coup. Il ne fut pas envahi d'anxiété. Il regardait l'étendue du ciel et laissa son coeur se calmer, sa respiration s'égaler. Il arrêta d'Occluder. La colère s'évanouit et ses muscles s'engourdirent avec le froid ambiant, anesthésiant son cerveau. Il fut apaisé en moins d'une heure.
Drago n'avait pas peur. Ce qui était étrange, après ce qu'il venait de se passer. Il aurait dû être tétanisé. Il avait passé tellement de temps à craindre son père, à imaginer les pires scénarios s'il apprenait quelque chose de négatif sur lui. Et maintenant que c'était arrivé, Drago réalisait que ce n'était pas aussi terrible qu'il l'avait imaginé. Lucius n'était pas ce monstre terrifiant qui peuplait ses cauchemars. Plus maintenant.
Lucius avait toujours eu une emprise sur lui, qui l'empêchait de se détendre complètement. Il tressaillait quand il entendait ses pas dans le couloir ou quand il entendait son prénom de sa bouche. Mais en le coupant comme il venait de le faire, Drago venait de réaliser que Lucius n'était rien d'autre qu'un homme, torturé, soumis, qui n'arrivait pas à gérer sa propre peur. Il la transmettait aux autres pour se sentir puissant.
Drago prit une grande inspiration d'air qui lui glaça la gorge. Il se sentait soudain délivré d'une emprise qui l'étouffait depuis son enfance.
Il entendit les pas de Pansy derrière lui.
"Désolée, mon père m'a retenue en… Putain, Drago !"
Elle s'allongea précipitamment à côté de lui et lui attrapa la mâchoire pour tourner son visage vers elle.
"Qu'est-ce que tu as à la joue ?!" hurla-t-elle.
"Mon père." répondit Drago simplement.
Il vit la peur submerger le visage de sa meilleure amie et ses doigts se crispèrent contre son menton.
"Ne t'en fais pas, rien de grave." dit-il calmement.
"Rien de grave ?" répéta-t-elle avec horreur. "Drago, tu as le visage balafré et couvert de sang !"
"Oui." dit-il, avec un petit sourire. "Mais je n'ai plus peur."
Pansy avait vraisemblablement du mal à suivre ses pensées.
"Peur de quoi ?"
"De lui." dit Drago. "Il a insulté Théo, et j'ai riposté. Je ne me suis pas écrasé comme je l'aurais fait avant. J'ai défendu son honneur."
"Et il t'a lancé un sort pour ça ?" demanda Pansy, toujours aussi horrifiée.
"Ouais. Et j'ai réalisé que ce dont j'avais peur depuis toutes ces années n'en valait pas la peine."
Il vit un éclat de fierté passer subitement dans les yeux charbon de Pansy. Elle relâcha sa mâchoire et marmonna :
"Tu parles comme un vrai Gryffondor."
Mais il pouvait voir que c'était un compliment.
Elle s'allongea à côté de lui sans rien dire. Il n'y avait presque pas d'étoiles dans le ciel ce soir-là, elles étaient cachées par de gros nuages épais. Drago observa le ciel gris et une nouvelle frayeur fit soudain surface quand il se rappela de sa conversation avec son père.
"Pans' ?" appela-t-il. "Je crois que… tout à l'heure, quand je me suis énervé contre mon père, je crois que j'ai dit quelque chose que je n'aurais pas dû."
Pansy tourna la tête vers lui en fronçant les sourcils. Son nez était tout rouge à cause du froid.
"Qu'est-ce que tu as dit ?"
"J'ai laissé entendre que Théo habitait chez Blaise." avoua-t-il. "Tu crois qu'il risque quelque chose ? Que Lucius pourrait le dire à son père et qu'il aille le…"
Il ne termina pas sa phrase au risque de frissonner. Pansy réfléchit quelques secondes, le visage dénué de l'anxiété qu'il aurait pensé voir.
"Non, pas de risque." finit-elle par dire. "Les protections du Manoir de Blaise sont trop puissantes, et je ne pense pas que son père serait capable de forcer les barrières magiques et de risquer de tomber sur Mrs. Zabini."
Drago hocha la tête en essayant de se persuader qu'elle avait raison. Il n'arrivait pas à ignorer la voix du père de Théo au fond de son crâne. "C'est ce qu'on verra."
Ils contemplèrent le ciel vide jusqu'à ce que leurs vêtements soient imbibés par l'eau glaciale sur le sol et que leurs doigts furent complètement engourdis par le froid. Drago adorait cette sensation. Son corps était figé dans une sorte de sérénité, la brûlure de la colère oubliée.
Ils restèrent ainsi un long moment. Ils auraient pu parler de plein de choses : la révélation que Blaise était un Voyant, la dispute avec Lucius, la menace du père de Théo, le potentiel mariage que voulait imposer le père de Pansy, les sentiments qu'il éprouvait envers Granger. Mais ils ne firent rien de tout ça. Ils ne parlèrent de rien et c'était ce que Drago aimait le plus chez Pansy : ils pouvaient y penser côte à côte, sans ressentir le besoin de communiquer leurs inquiétudes.
Ils entendirent un bruit lointain et tournèrent la tête en même temps. Il y avait des éclats de couleur dans le ciel. Un feu d'artifice, au-dessus du village moldu à des kilomètres de là où ils étaient. Pansy murmura :
"Bonne année, Drago."
"Bonne année Pans'." répondit-il.
Il repensa à la phrase de Granger, dans le placard à balais, juste avant qu'elle ne l'embrasse. "Je n'ai pas peur de ton père. Je n'ai peur de personne qui pense mon sang plus impur que le tien."
Et Drago se fit alors, à minuit, la promesse qu'il n'aurait plus jamais peur de son père.
