Hello tout le monde, j'espère que tout le monde va bien!

Je viens d'emménager dans mon nouvel appartement, ça a été des semaines de gros rush mais je suis contente de pouvoir enfin me poser et écrire! Je vous souhaite une bonne lecture!

tw : mention d'une araignée à la toute fin du chapitre pour mes amis arachnophobes :(

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Hermione


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Quand Hermione avait demandé à Tonks pourquoi ils ne prenaient le Magicobus à la place du Poudlard Express la veille de la rentrée, elle avait répondu qu'elle était en manque de sensations fortes avec un clin d'œil. Mais Hermione était persuadée qu'il y avait une autre raison. Peut-être qu'ils ne voulaient pas quitter Harry des yeux, ou peut-être que Dumbledore leur avait demandé de l'accompagner de peur qu'il fugue.

La veille de la rentrée, Lupin et Tonks escortèrent donc les Weasley, Harry et Hermione en Magicobus jusqu'à Poudlard. Le trajet fut aussi tumultueux que les deux premières fois où elle avait eu le malheur de prendre ce bus. Hermione abandonna bien vite l'idée de lire les livres que lui avait prêté Sirius sur l'Occlumancie. Vers la moitié du voyage, la cage de Pattenrond tomba par terre et il hissa sur toute la fin du trajet, outré d'être traité de la sorte.

Pour s'occuper, Hermione tricota donc un nouveau bonnet. C'était difficile de tenir les aiguilles à cause des secousses du bus et des arrêts brutaux qui la faisaient tomber de son siège, mais contre toute attente, celui-ci fut le plus réussi de tous. Ron, qui était entré dans le Magicobus avec un grand sourire et qui avait maintenant un teint verdâtre, regarda son travail d'un oeil terne :

"C'est pour qui, celui-là ?" demanda-t-il en pointant du doigt le bonnet bleu, avant de se rattraper brusquement à la barre pour ne pas dégringoler.

Hermione haussa les épaules.

"Pour les elfes." mentit-elle.

Ron n'insista pas et se concentra plutôt sur Stan Rocade, qu'il jaugeait d'un air mauvais. Il n'avait manifestement pas apprécié le fait qu'il propose un chocolat chaud gratuit à Hermione parce qu'il la trouvait jolie.

Ils arrivèrent bien plus vite que s'ils avaient pris le train. Tonks et Lupin les accompagnèrent jusqu'au grand portail noir flanqué par deux statues de sangliers, Lupin leur fit une étreinte rapide et échangea quelques phrases avec Harry à voix basse tandis que Tonks serrait Ginny et Hermione dans ses bras :

"J'ai été ravie de passer un peu de temps avec vous les filles. Prenez soin de vous, on se voit bientôt." promit-elle.

Elle leur fit un baiser sur le front et remonta à bord du Magicobus. Hermione, Ron, Ginny, Harry et les jumeaux marchèrent le long de l'allée déserte qui menait aux portes du Château, dans un froid glacial qui les faisait frissonner. Harry avait l'air dépité. Entre les cours d'Ombrage et l'Occlumancie de Rogue, Hermione comprenait pourquoi il n'avait pas trop envie de revenir.

Quand elle passa devant le banc, leur banc, Hermione le balaya du regard et rougit furieusement en se demandant si Drago y serait, ce soir. En espérant que ses rougeurs passeraient pour du froid, ils rentrèrent au Château sans dire un mot.

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Elle ne vit Drago qu'au dîner. Il ne la regarda pas pendant tout le repas, ce qui était à la fois inhabituel et extrêmement normal. Il avait toujours eu un don pour feigner de l'ignorer, pourtant, elle savait qu'il la regardait en douce. Parfois, elle pouvait sentir son regard lui brûler la joue. Mais ce soir-là, elle était incapable de savoir si son attitude était volontaire, ou s'il était simplement doué pour être discret.

Théo et Parkinson étaient en pleine conversation et Drago avait les yeux baissés sur son assiette. En l'apercevant comme ça, Hermione se fit la réflexion que son visage ressemblait à celui de la tapisserie de Square Grimmaurd. Figé, glacé, hautain. Un frisson parcourut désagréablement sa nuque en pensant à la probabilité qu'il puisse être redevenu le Malefoy pendant les vacances. Il avait pourtant promis. Il avait promis qu'il resterait son Drago. Son père avait-il réussi à le briser suffisamment pour qu'il cède ?

"Tu as froid Mione ?" demanda Harry en la voyant frissonner.

Hermione se focalisa sur son meilleur ami plutôt que le garçon blond trois tables plus loin.

"Un peu." dit-elle.

Elle leva la tête par réflexe vers le ciel, où de gros nuages gris projetaient une fine pluie qui s'arrêtait juste au-dessus de leurs têtes. Les fenêtres de la Grande Salle ne reflétaient qu'un grand ciel noir dénué d'étoiles. Il n'y avait pratiquement pas de bruit dans la pièce, tout le monde était trop épuisé par le voyage pour discuter.

Ginny bâilla dans sa main et tout le monde la suivit.

Le regard d'Hermione se balada vers la table des professeurs, où McGonagall mangeait en discutant avec la professeure Sinistra. Ombrage était en bout de table, et scrutait les élèves de ses petits yeux fendus. Dumbledore était absent, comme souvent depuis le début de l'année.

Hermione se perdit dans la contemplation de la table des Serdaigles et reconnut une tête aux longs cheveux blonds pâles. Luna. Elle mangeait du pudding avec un petit sourire aux lèvres et ne parlait avec aucun de ses camarades. Hermione se rappela alors soudain, dans un flash, de la conversation qu'elle avait eue la veille des vacances. À quel point cette fille, si étrange et différente, l'avait aidée à un moment où personne n'avait réussi à le faire.

"J'ai oublié de vous dire que Luna vous saluait." dit soudain Hermione. Quatre têtes rousses se tournèrent vers elle sans comprendre. "Avant que je ne vienne vous rejoindre, j'étais ici, et je me sentais atrocement seule et angoissée de n'avoir aucune nouvelle de votre père, et Luna est venue me réconforter. Et elle m'avait demandé de vous saluer, alors… Je le fais maintenant."

Ginny lui fit un petit sourire attendri et hocha la tête. Ron, lui, s'esclaffa doucement.

"Je crois que je l'aime bien." continua Hermione, bien que personne ne semblait enclin à se joindre à la conversation. "Luna. Je la trouvais bizarre au début, mais je pense qu'elle est simplement… différente."

Ron rit de nouveau méchamment.

"Elle est complètement timbrée." lâcha-t-il, sa voix anormalement froide.

"Ron !" s'indigna Ginny en le fusillant du regard.

"Quoi ? C'est vrai ! Elle est loufoque, c'est de là d'où vient son surnom !"

"N'insulte pas l'une des seules personnes de ce Château à me croire." lança sinistrement Harry, qui regardait la table des professeurs, le siège vide de Dumbledore.

"Je ne la dénigre pas, je fais seulement une remarque." protesta Ron.

"Tu l'as traitée de loufoque." pointa Hermione d'une voix sèche.

"C'est toi qui l'a appelée comme ça en premier !" contesta-t-il en pointant sa fourchette dans sa direction pour l'accuser. "Tu ne la supporte pas depuis le début, tu as dit que c'était la fille la plus agaçante que tu aies rencontré de ta vie, et maintenant tu l'adores, d'un coup ? Qu'est-ce que c'est que cette nouvelle lubie de vouloir devenir amie avec des gens étranges ?"

Hermione sentit ses joues chauffer d'embarras :

"De qui tu parles ?"

Il désigna la table des Serpentards d'un geste de la main évasif :

"Lui, là ! Théophile, ou je ne sais plus quoi ! C'est quoi, une nouvelle association ? La Mobilisation des Étranges en Réinsertion pour Devenir Ennuyeux ?"

Hermione lâcha ses couverts qui tombèrent contre la table dans un grand bruit, et fut sur le point de rétorquer quand George intervint d'une voix forte :

"Hé, doucement ! Qu'est-ce que tu nous fais là, petit frère ?"

"Pourquoi cette crise d'enfant de huit ans ?" continua Fred, un sourire aux lèvres, comme toujours.

Ron grommela quelque chose d'intelligible et piqua son plat sans manger.

"C'est qui, Théophile ?" demanda Ginny.

"Théodore." rectifia Hermione d'un ton crispé.

"Théodore Nott ?" dit Fred, dont le sourire disparut lentement. "Tu es amie avec lui ?" demanda-t-il à l'adresse d'Hermione.

"On a révisé ensemble quelques fois à la Bibliothèque. Il est très gentil avec moi." dit-elle, à voix basse pour que personne autour ne puisse comprendre, mais assez fermement pour montrer qu'elle ne voulait pas entendre quelqu'un d'autre insulter son nouvel ami.

"Oh. Lui." dit George avec une grimace. "Papa nous a raconté des choses terribles sur son père. C'est un Mangemort."

Ginny prit une courte inspiration et Harry jeta un regard bref vers les jumeaux assis à côté d'eux.

"Super." grinça Ron.

"Théo n'a rien à voir avec son père." contesta Hermione. "Il est contre la magie noire."

"Et alors ?" renchérit Ron. "Il n'empêche qu'on ne devient pas ami avec ce genre de personne."

"Je fais ce que je veux, Ronald. Si j'ai envie de devenir amie avec Théodore, tu n'as pas ton mot à dire !"

Ron se leva abruptement du banc, le visage fermé, les poings serrés.

"Je vais me coucher." déclara-t-il, avant de tourner sur ses talons et de quitter la Grande Salle.

Il y eut un petit silence à la table des Gryffondors qui suivit son départ. Hermione fulminait, mais elle comprenait Ron aussi, d'une certaine manière. Avec l'hospitalisation de son père, les visions d'Harry, les BUSES qui approchaient, et Ombrage qui s'engageait à mettre une ambiance désastreuse dans le Château, elle pouvait comprendre qu'il ne soit pas de très bonne humeur. Il dormait mal la nuit, et ça se traduisait par des coups de colère impulsifs pendant la journée.

"Il est épuisé." dit Fred, comme s'il lisait dans ses pensées. "Ne l'écoute pas, il aura oublié tout ça d'ici demain."

Harry hocha la tête pour confirmer ses propos.

"Ce n'est pas une raison pour parler de la sorte." fit remarquer Ginny, qui avait plus de mal à accepter le comportement de son frère.

"Mione, fais attention, s'il te plaît." poursuivit George. "Son fils est peut-être gentil, mais son père ne l'est vraiment pas. Papa nous a raconté des choses atroces sur ce type. Il mériterait de pourrir à Azkaban."

Hermione ouvrit la bouche mais fut coupée par Fred :

"Tu as tendance à vouloir sauver tout le monde, Mione. Mais il faut que tu acceptes que, parfois, tu ne peux pas. Certains sont tellement embourbés qu'ils sont impossibles à rattraper."

Il jeta un regard à la table des Serpentards et Hermione savait à qui il faisait référence. Sa langue brûla de protestation :

"Qu'est-ce que ça veut dire ? Que personne n'a le droit à une seconde chance, juste parce qu'il n'est pas né au bon endroit ? Ce n'est pas de sa faute si son père est un Mangemort !"

"On pourrait parler d'autre chose ?" proposa Harry froidement.

Il désigna discrètement Neville, à sa gauche, dont la lèvre inférieure tremblait légèrement. Dans sa colère, Hermione avait oublié de baisser la voix. Un élan de culpabilité la saisit quand elle pensa à ce qu'elle venait de dire, et comment Neville avait dû le prendre. Elle repensa au corps frêle de sa mère, ses yeux vitreux, sa peau blafarde, et se tut jusqu'à la fin du dîner.

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Hermione était assise sur le canapé de la Salle Commune, en face du feu, entourée d'Harry, Neville, Ginny et les jumeaux. Ron était monté. Un thé oublié était posé sur l'accoudoir à côté d'elle, elle ne lisait plus les notes du cours de Sortilèges sur ses genoux, et les voix autour d'elles étaient voilées par ses propres pensées. Elle regardait les flammes en face d'elle en pensant à Drago, une habitude qui était maintenant tellement ancrée dans son esprit qu'elle n'avait même pas remarqué que ça faisait une demi-heure qu'elle n'avait pas prononcé un mot, et qu'elle triturait ses doigts agressivement.

"Je vais me coucher, le voyage m'a épuisée." dit Ginny en se levant à la droite d'Hermione. "Bonne nuit tout le monde."

Tout le monde lui répondit, sauf Hermione. Est-ce que Drago allait lui parler comme avant ? Elle n'était pas sûre de supporter un nouveau changement d'humeur. Elle ne voulait pas essayer de le convaincre de nouveau. Garderait-il sa promesse ? Penserait-il qu'il valait mieux qu'il s'éloigne, encore une fois, malgré le fait qu'ils finissaient toujours par revenir vers l'autre, coûte que coûte, juste dans un maigre effort de la protéger ?

Elle pensa à la manière dont il avait réagi quand elle avait fait une crise de panique dans le parc de Poudlard. Il avait été tellement inquiet, il ne s'était même pas fâché quand elle lui avait reproché tout un tas de trucs dont elle ne se souvenait plus vraiment. Cette partie de la soirée était floue. Elle se souvenait vaguement de l'avoir frappé à la poitrine pour l'éloigner, parce qu'elle avait désespérément envie qu'il se rapproche et qu'il ne fallait pas. Elle se rappelait difficilement de la douleur que lui avait provoqué ses sanglots dans sa cage thoracique comprimée.

Elle se souvenait mieux de l'après. Quand ils s'étaient allongés et qu'il l'avait interrogée sur les étoiles. Son cerveau avait repris le dessus sur la panique. Il avait visé parfaitement juste pour la calmer. Il n'avait pas proposé de potion, il ne lui avait pas lancé un sort pour la calmer, il la connaissait suffisamment pour savoir qu'il fallait détourner son attention de son angoisse avec des questions. Hermione ne put s'empêcher de se demander comment Ron aurait réagi. Si c'était lui qui était arrivé vers elle, qu'il l'avait vue en train de paniquer, aurait-il su ce qu'il fallait faire ?

La réponse fusa dans sa tête, dure et sans merci.

Non.

Il aurait certainement paniqué aussi, il aurait appelé Harry ou Ginny, il l'aurait emmenée à l'infirmerie, il lui aurait demandé des explications sans réaliser qu'elle ne pouvait plus respirer.

Sa vie aurait été tellement plus facile si Ron avait été comme Drago. Aussi prévenant, aussi attentif, aussi… amoureux. Mais ce n'était pas le cas, et elle se retrouvait là, à 22h30, à attendre dans sa Salle Commune que tout le monde parte se coucher pour aller le retrouver, malgré l'interdit, malgré la culpabilité, juste pour le voir encore un peu, juste pour profiter égoïstement de lui.

La peau de ses ongles était complètement arrachée quand Harry lui tapota gentiment l'épaule :

"Mione ? Tu devrais dormir, grosse journée demain."

Elle tourna la tête vers lui et vit ses cernes bleutés sous ses yeux verts, et son estomac se contracta encore plus.

"Oui, j'y vais." répondit-elle piteusement.

Harry se leva et s'étira. Il portait un t-shirt qui appartenait à Ron, parce qu'Harry héritait toujours de ses vêtements quand ils devenaient trop petits pour lui. Il baissa les yeux sur Hermione et lui fit un pâle sourire :

"À demain."

Hermione avait rarement vu Harry aussi malheureux, et ça voulait dire quelque chose, parce qu'Harry avait vécu des choses atroces toute sa vie. Elle demanda :

"Tu veux que je reste ici, au cas où tu n'arriverais pas à dormir ?"

Harry remonta ses lunettes sur son nez avec un air perplexe :

"Non, je veux que tu dormes."

"Mais si tu refais un cauchemar…"

"... je te raconterai tout demain." assura Harry. "Promis. Va te coucher Mione, et cesse de t'inquiéter pour moi."

Il lui fit un sourire, un vrai cette fois, et Hermione sentit le poids de la culpabilité s'envoler un peu.

"Impossible." dit-elle en se levant du canapé. Elle lui fit un baiser sur la joue. "Je m'inquiéterai toujours pour toi."

"On ne peut pas avoir tous les deux des insomnies." dit-il, à moitié en riant, à moitié sérieusement. "J'ai Ron. Je ne suis pas seul. S'il arrive quelque chose, tu le sauras. Repose-toi, Mione."

Hermione secoua la tête et Harry lui fit un dernier petit sourire, le genre de sourire paresseux où il ne relève qu'un côté de sa lèvre, puis il se rendit aux dortoirs d'un pas traînant.

Hermione attendit exactement vingt minutes.

Vingt minutes aux aguets, où elle crut entendre les pas d'Harry redescendre les escaliers une dizaine de fois. Une ou deux fois, elle entendit même le cri distant d'un cauchemar. Mais ce n'était que son imagination. Les seules sources de bruit dans la pièce étaient le crépitement du feu dans l'antre et les bourrasques de vent contre les carreaux de la fenêtre.

Hermione se leva quand l'horloge de la Salle Commune sonna 23h. Elle pointa sa baguette sur sa poitrine et murmura :

"Peribit ex charta."

La même lueur blanche que Remus lui avait lancé pendant les vacances sortit de sa baguette et alla s'infiltrer entre les mailles du pull d'Hermione. Elle observa les effets du sort sur sa main, qui disparut de plus en plus, jusqu'à redevenir entière, et elle sut qu'elle était effacée de la Carte du Maraudeur.

Hermione enfila sa cape et accrocha son badge de préfète dessus pour ne pas avoir d'ennuis, même si elle n'avait pas de rondes prévues ce soir, puis elle sortit par le portrait de la Grosse Dame et descendit jusqu'au rez-de-chaussée. Les couloirs étaient silencieux. Elle ne croisa que le fantôme de la Dame Grise qui ne fit pas de commentaire sur sa présence.

Quand elle ouvrit la porte qui menait au parc, le vent s'engouffra violemment dans ses cheveux et le col de sa cape. Hermione n'avait pas pensé à prendre un pot de confiture, alors elle sortit sa baguette et lança le même sort que Drago avait utilisé le soir du date en balai. Aussitôt, une barrière se dressa autour d'elle et elle ne sentit plus les rafales glacées contre sa peau.

Le banc était vide.

Elle savait qu'il était tôt, que ça ne voulait rien dire, mais ça ne retint pas son cœur qui accéléra de panique à l'idée qu'il ne vienne pas. Elle s'assit en repensant à son expression au dîner. Peut-être qu'il n'avait pas su résister là-bas, dans son Manoir, peut-être qu'il avait trop subi, qu'il était retombé dans ses travers pendant les vacances.

Hermione avait toujours haï Lucius Malefoy, mais jamais autant qu'à cet instant. Il avait réussi. Il avait brisé son fils de nouveau en essayant de le faire entrer dans un moule qui ne lui allait pas. Elle sentit les larmes monter en pensant à ces derniers moments où il lui avait confessé tout ce qu'elle avait espéré entendre depuis des mois. Comment allait-elle supporter Malefoy maintenant, alors qu'elle avait connu Drago ?

Soudain, une silhouette apparut au bout du chemin. Hermione le reconnut en quelques secondes, elle avait appris par cœur sa taille, sa démarche, la couleur de ses cheveux, même d'aussi loin. Il marchait d'un pas morne, les mains dans les poches, la tête baissée. Hermione se leva, la respiration coupée par l'attente. Ça lui rappela le soir où il l'avait traitée de butée, sur ce même banc, et qu'il l'avait envoyée balader parce qu'il avait eu peur de la lettre de son père. Les mains d'Hermione étaient moites malgré la froideur autour d'elle. À tout moment, elle saurait s'il était redevenu ce garçon infâme qu'elle ne reconnaissait pas.

Elle compta le nombre de pas qu'il fit jusqu'à elle dans sa tête, chaque chiffre comme un coup de marteau dans son crâne. Elle attendit que Drago s'approche, suffisamment proche pour qu'elle puisse voir la couleur de ses yeux, mais quand il arriva face à elle, il avait toujours la tête toujours baissée vers le sol. Le silence était insupportable.

"Drago ?" appela-t-elle d'une voix faible.

Il ne répondit pas. Il ne la regardait toujours pas. Je l'ai perdu, pensa-t-elle. Je viens de tomber amoureuse de lui et je l'ai perdu.

Quand il leva la tête, ses yeux étaient aussi gris que les nuages au-dessus de leurs têtes. Un gris métallique, froid, les mêmes prunelles que ses parents, celles qu'Hermione ne reconnaissait pas. Mais quand il la regarda, un phénomène des plus étranges se produisit devant Hermione : le gris fut remplacé par du bleu, d'abord très clair, puis de plus en plus chaud, jusqu'à devenir le bleu océan qu'elle connaissait si bien. Quand le gris eut complètement disparu de ses iris, il sourit. Et le cœur d'Hermione tomba de sa poitrine.

"C'est toi ?" chuchota-t-elle, sa voix animée par l'espoir.

"C'est moi, Hermione." souffla Drago. "C'est moi. Drago. Je suis à toi, je n'ai pas changé."

Et leur échange n'avait aucun sens, du moins, pas pour quelqu'un qui passerait par là, mais ils s'en fichaient, eux se comprenaient, dans un langage qu'eux seuls pouvaient décrypter, comme si leurs esprits étaient liés par une connexion bien plus forte que la magie dans leurs veines, et ils se jetèrent l'un sur l'autre dans un même mouvement, Drago en riant, Hermione en pleurant de joie, et se serrèrent l'un contre l'autre pendant de longues minutes de retrouvailles. Hermione sentait sa magie picoter le bout de ses doigts accrochés au pull de Drago, avide d'éclater au rythme de son cœur surexcité. Elle l'enveloppa de son sort d'Impassibilité autour d'elle dans son étreinte, et elle put sentir l'odeur de la menthe contre la peau de son cou. Il l'embrassa frénétiquement sur les joues, le cou, la mâchoire, comme pour vérifier qu'elle était bien là, en murmurant à quel point elle lui avait manqué, qu'il avait pensé à elle, et Hermione avait la sensation d'être retournée sur le balai à des dizaines de mètres de hauteur tant elle avait l'impression de flotter.

"J'avais tellement peur." murmura-t-elle, ses poings serrés contre son pull. Drago la serra encore plus fort contre lui. "J'avais tellement peur que tu sois redevenu Malefoy."

"Je t'ai promis, Granger." rappela-t-il, et elle pouvait deviner son sourire en coin juste en entendant sa voix. "Et une promesse, chez les Malefoy, c'est sacré."

Elle roula des yeux, mais elle ne pouvait pas cacher sa joie. Elle le serra fort contre elle, et il lui embrassa le cou. Hermione frémit, ce qu'il ne manqua pas de remarquer. Il recommença aussitôt.

Quand ils se détachèrent l'un de l'autre, ils avaient tous les deux un sourire béat sur leurs visages. Les mains de Drago empoignaient les hanches d'Hermione et elle pouvait sentir son contact même avec trois couches de vêtements. Sans lâcher son pull, elle observa son visage parfait qui lui avait tant manqué pendant ces trois longues semaines d'absence et son regard fut alors tout de suite attiré par quelque chose.

"Qu'est-ce que tu as à la joue ?" demanda-t-elle.

Il avait une coupure verticale, qui s'étendait de ses cils du bas jusqu'à sa pommette. Elle était assez fine, mais Hermione pouvait voir qu'elle n'avait pas été soignée par un sort de guérison. Les yeux de Drago s'agrandirent un peu en l'entendant poser cette question, comme s'il était surpris qu'elle puisse avoir remarqué ce détail, alors qu'elle passait la moitié de ses journées de classe à l'observer pour apprendre par cœur chacun de ses traits.

"Mon père." répondit-il, d'un ton presque indifférent.

Hermione se fit écraser par un poids considérable sur ses épaules. Elle sentit l'acidité sur sa langue, ses doigts se crispèrent, ses jambes faiblirent. Elle imagina la baguette de Lucius fendre l'air pour couper la joue de son fils et la haine qu'elle ressentait à l'égard de cet homme quelques minutes plus tôt, qui avait paru insurmontable, redoubla davantage.

"Qu-quoi ?" bredouilla-t-elle, espérant de tout son cœur avoir mal compris.

"Il m'a fait ça pendant les vacances." expliqua Drago. "Je ne l'ai pas entendu prononcer le sort, mais je crois que c'est le sortilège de Diffindo."

À l'entendre, on aurait dit que c'était un événement tout à fait banal. La réaction d'Hermione était l'opposé : elle s'accrochait à lui pour ne pas tomber de stupeur.

"Tu m'avais dit qu'il ne te faisait jamais ça." piailla-t-elle misérablement. "Tu m'as dit que tes parents ne te feraient jamais ça."

Drago haussa les épaules :

"Je le pensais aussi."

Elle n'arrivait pas à détacher ses yeux de l'entaille sous son œil. C'était étrange de voir le visage de Drago, aussi parfait et lisse, avec une coupure pareille. On aurait dit une fissure sur un vase.

"Il l'a fait de colère ?" demanda Hermione, qui avait du mal à imaginer les circonstances qui pouvaient mener à un geste aussi violent.

Drago soupira et esquissa un geste, probablement se passer une main dans les cheveux, mais la poigne d'Hermione l'en empêcha.

"Oui. Il était jaloux que je passe autant de temps chez Blaise. Il faut dire que j'y ai passé toutes mes vacances, je fuyais là-bas dès que je pouvais. Je pense que mon absence a rendu ma mère triste, et que Lucius s'est senti obligé d'intervenir pour me faire rentrer. Il m'a proposé… Il m'a proposé de faire construire un terrain de Quidditch dans le jardin."

Hermione imagina le Drago de onze ans, vaniteux et envieux, sauter de joie à l'idée qu'il puisse avoir sa passion à portée de main.

"J'ai refusé." continua Drago avec fierté. "J'ai dit que je préférais aller là-bas. Il l'a mal pris… Il a insulté la mère de Blaise."

Hermione n'avait jamais trop entendu Drago parler de la mère de Zabini. Il lui avait dit que le père de Théo était violent, et que le père de Pansy était la personne la plus antipathique qu'il ait rencontré, mais il n'avait jamais mentionné les parents de Blaise. En voyant l'expression de Drago s'assombrir à l'idée que son père ait pu insulter cette femme, cependant, Hermione déduisit tout de suite qu'il l'aimait bien plus que les autres parents de ses amis.

"Ça m'a rendu furieux." dit-il, sans expliquer pourquoi, alors qu'Hermione mourrait d'envie de savoir. "Alors, je lui ai dit que je préférais aussi aller là-bas pour passer du temps avec Théo."

Hermione écarquilla les yeux et Drago, contre toute attente, sourit.

"Ça l'a rendu furieux." dit-il, triomphant. "C'est à ce moment-là qu'il m'a lancé ça."

Il pointa du doigt sa joue et Hermione fixa sa blessure avec effarement.

"Mais Drago, pourquoi tu lui as dit ça ?! Tu savais que ça allait le mettre hors de lui, il t'a demandé de ne plus l'approcher !" dit Hermione d'une petite voix couinante de panique.

Le sourire de Drago s'élargit davantage :

"Tu ne comprends donc pas, Granger ? C'est précisément pour ça que je lui ai dit. Pour lui montrer que je ne lui obéissait plus. Plus maintenant."

"Qu'est-ce que tu veux dire ?" demanda Hermione.

"À l'instant où il m'a coupé, à l'instant où il a levé sa baguette sur moi, c'était fini." dit-il. "Je me le suis promis. Je n'aurais plus jamais peur de Lucius Malefoy."

Hermione ne savait pas vraiment quoi répondre. Elle était partagée entre le soulagement de savoir que Drago n'était plus sous l'emprise de son père, et la peur qu'il en subisse les conséquences. Si Lucius était capable de le blesser de la sorte, jusqu'où pouvait-il aller ?

Il dû voir son visage empreint d'inquiétude, parce qu'il retira sa main gauche de sa hanche et lui prit doucement le bras :

"Du calme, Granger. Tout va bien, ce n'est qu'une petite coupure. Viens t'asseoir."

Elle desserra ses doigts à contrecœur et le suivit sur le banc. La neige avait fondu avec la pluie de la journée, laissant des mélanges de boue et de glace un peu partout par terre. Le banc était recouvert d'une fine couche de gel, mais Hermione la sentit à peine quand elle s'assit. Elle sortit sa baguette pour le soigner mais Drago secoua la tête, comme s'il s'y était attendu :

"Pansy a essayé aussi, mais je veux la garder. Pour qu'il regrette dès qu'il la voit."

Hermione fronça les sourcils en entendant le désir de vengeance faire vibrer sa voix.

"Hors de question que tu gardes cette cicatrice sous ton œil toute ta vie." protesta Hermione.

"On la voit à peine."

Mais c'était faux. Elle ne voyait que ça maintenant. Même dans la pénombre, Hermione pouvait voir la vilaine trace rouge sur sa joue.

"Je ne veux pas voir Lucius à chaque fois que je te regarde." dit-elle.

Cette phrase fit disparaître le sourire confiant de Drago, n'ayant manifestement pas pensé à cette probabilité. Son regard passa sur la bouche d'Hermione et elle n'avait aucune idée de s'il pensait au sort qu'il avait lancé contre ses dents en quatrième année, ou à l'embrasser. Elle espérait que c'était la seconde option.

"D'accord." finit-il par dire. "Vas-y."

Elle pointa sa baguette sur lui, puis demanda d'une petite voix incertaine :

"C'est quoi déjà, le sort ?"

Drago arqua un sourcil amusé.

"Pardon ? Tu veux dire que je connais un sort que toi, Hermione Granger, ne connaît pas ?"

"Donne-moi l'incantation." grinça Hermione, qui détestait être remise en question là-dessus.

"Ça fait déjà deux sorts que je t'apprends en moins d'un mois, Granger." poursuivit Drago, qui prenait un malin plaisir à l'irriter. "Celui de la crampe, et celui-ci… Dois-je en conclure que tu n'es pas très intéressée par la magie de guérison ?"

"Si, très." dit-elle avec une pointe de frustration qui le fit sourire. "Et si tu ne te tais pas, je ne ferai rien à ta joue et tu ressembleras à Frankenstein toute ta vie."

"Qui ?"

"Personne. Donne-moi l'incantation."

"Conferrumino pellis." répondit Drago.

Il tendit sa joue vers elle, et Hermione se dit que malgré ses moqueries, il devait lui faire sacrément confiance. Elle n'avait jamais utilisé ce sortilège, et elle pouvait aisément aggraver son état. Mais il ne dit rien et la laissa faire, alors Hermione pointa sa baguette et prononça le plus distinctement possible :

"Conferrumino pellis."

L'entaille se referma, ne formant plus qu'une ligne rosée sur sa peau. Seul quelqu'un de très attentif aurait pu remarquer sa blessure, mais Hermione la voyait toujours, et ça l'agaçait de savoir que la trace de la colère de son père resterait marquée ainsi pendant encore longtemps.

"Tu devrais mettre de l'Essence de Dictame dessus pour la faire disparaître complètement." avisa-t-elle.

Drago eut un petit rire :

"Effronté de ta part ça, Granger, étant donné que tu n'as jamais appliqué celle que je t'ai conseillé de mettre pendant des semaines."

Elle sentit ses joues rougir. Il avait raison, elle n'avait jamais appliqué quoique ce soit sur sa blessure que Crabbe et Goyle lui avait fait dans la nuque. Elle n'en démorda pas pour autant :

"Peut-être, mais toi, c'est sur la joue."

"Je t'ai dit, je veux qu'il puisse la voir." dit Drago. "Je veux voir le regret dans ses yeux à chaque fois qu'il me regardera."

"Est-ce que tu as dit à Théo pourquoi tu étais blessé ?"

Drago secoua la tête :

"Non. Je lui ai dit que je n'avais pas réussi à contrôler ma magie et que le sort était parti tout seul. Je ne veux pas qu'il sache que Lucius m'a fait ça."

Hermione trouvait ça dommage que Drago soit si peu enclin à dévoiler cette preuve d'amitié si précieuse. Mais il connaissait Théo bien mieux qu'elle, s'il avait décidé de ne pas lui dire, elle était mal placée pour le conseiller.

"Qu'est-ce que ta mère a dit ?" demanda Hermione en rangeant sa baguette dans sa poche.

Elle vit une ombre de colère passer sur son visage et Hermione s'en voulut de ne pas savoir tenir sa langue.

"Tu es bien trop curieuse, Granger." répondit Drago, et elle sut qu'à travers son sourire, il n'avait secrètement pas envie d'en reparler.

Alors, Hermione prit sur elle, et ne posa pas plus de questions. Il approcha sa main de la sienne sur le banc et entrelaça leurs doigts ensemble, tellement naturellement qu'Hermione eut l'impression qu'il avait toujours appartenu là. Elle posa sa tête contre son épaule et regarda le ciel, profitant de la sensation d'avoir Drago si près d'elle.

"Comment était ton Noël ?" demanda-t-il pour changer de sujet.

"Bien, en dépit des évènements." répondit-elle.

"Comment va le père des Weasley ?" demanda Drago, et elle fut persuadée d'entendre un peu d'inquiétude dans sa voix. Elle faillit sourire.

"Il va mieux. Il est sorti de Ste Mangouste pile pour Noël, donc on a pu le célébrer tous ensemble."

"C'était un bon Noël, alors ?"

Hermione repensa à Sirius devant la tapisserie, le regard vacant, à l'angoisse peinte sur les traits de Molly du matin jusqu'au soir, à l'isolement d'Harry. Elle pensa à Lupin, à l'évocation de ses souvenirs avec son air nostalgique, au sourire de Ron quand il avait ouvert ses cadeaux, à Ginny qui avait pleuré de rire dans les bras de George quand il lui avait fait une blague au Square Grimmaurd.

Elle pensa à Neville, à ses parents frêles et méconnaissables, au sachet de bonbon qu'il avait gardé dans sa poche et elle secoua la tête :

"Non, pas vraiment." répondit-elle platement.

Elle ne savait pas trop comment décrire son Noël, mais "bon" n'était pas le terme qu'elle aurait choisi. Plutôt doux et amer à la fois, des souvenirs heureux teintés de douleur.

"Je crois que Ron est celui qui a pris le plus cher de nous tous." confessa-t-elle.

C'était tellement facile de se confier à Drago, parce qu'il écoutait toujours. Il la connaissait tellement bien maintenant qu'il savait quoi dire, et quand. Une habilité que peu de personnes autour d'Hermione possédait.

"Pourquoi ?" demanda-t-il calmement.

"Son père a été hospitalisé, Harry était… malade, et je n'étais pas là, et sa famille était au fond du gouffre, et je crois qu'il a subi en silence. Il n'osait pas exprimer ses peurs à voix haute parce que tout le monde les partageait, alors il les a gardées en lui et il ne sait plus quoi en faire. Tout le monde était tellement focalisé sur Harry que personne n'a pensé à lui demander comment il se sentait."

"Tu devrais devenir Psychomage, Granger." commenta Drago. "Peu de personnes peuvent être capables de déduire ça sans même parler à la personne concernée."

"C'est parce que je le connais." dit-elle. Quand elle se tourna vers Drago, il avait froncé les sourcils, vraisemblablement irrité par cette remarque. "Je le connais par coeur. Je sens quand il ne va pas bien, et je crois que c'est le cas en ce moment."

"Personne ne va bien." dit Drago crûment. "C'est la guerre."

Elle tressaillit et il resserra ses doigts contre les siens. Ce geste lui apporta une vague de réconfort malgré la gravité des mots que Drago venait de prononcer.

"C'est pour ça qu'il est parti aussi précipitamment, pendant le dîner ?" demanda Drago.

Hermione tourna la tête vers lui :

"Comment tu sais ça ?"

"Je l'ai vu." répondit-il en haussant les épaules.

"Mais comment ? Tu n'as pas regardé une seule fois dans notre direction de tout le repas !"

Drago fit son insupportable sourire en coin. Quand il n'était pas empreint de méchanceté et qu'il était directement dirigé vers elle, Hermione l'adorait, mais elle avait encore des difficultés à l'admettre.

"Je te regarde tout le temps, Hermione."

"Non, ce n'est pas vrai." répondit-elle de sa voix haut perchée qui le fit rire. "Je te regardais, et tu n'as pas tourné la tête vers moi une seule fois."

"En parlant de ça, tu n'étais pas très discrète, d'ailleurs." commenta Drago. "Tu pourrais éviter de baver sur la table, par exemple…"

Elle lui frappa le bras et il rit de nouveau, un vrai rire auquel Hermione était physiquement incapable de résister.

"Je t'observais pour être sûre que tu ne t'étais pas fait manipuler pendant les vacances !" s'indigna-t-elle.

"Et moi, je t'observais juste parce que j'avais envie de te regarder." dit Drago. "Après plusieurs années d'observation, j'ai réussi à développer quelques techniques pour être discret, ce qui n'est pas ton cas, Granger."

Hermione était terriblement gênée qu'il puisse remarquer quand elle le regardait, c'est-à-dire, tout le temps, mais Drago, lui, paraissait ravi. Il porta la main d'Hermione à sa bouche et lui embrassa la paume, ce qui enflamma les joues d'Hermione en quelques secondes.

"Donc ?" questionna-t-il, sa main tenant toujours la sienne. "Pourquoi Weasley est-il parti pendant le dîner ?"

Hermione pinça les lèvres.

"Il s'est énervé contre moi…"

En entendant ça, le visage enjoué de Drago se referma complètement et il serra compulsivement ses doigts contre ceux d'Hermione :

"Pourquoi ?" demanda-t-il sèchement.

"Sans vraie raison." dit-elle avec un soupir. "Il est juste fatigué, il a pris le premier truc qui lui passait sous la main pour faire ressortir sa colère. Je crois qu'il accumule depuis pas mal de temps… J'espère que ça sera passé demain."

"Parce que tu n'es pas fatiguée, peut-être ?" demanda Drago avec colère, et Hermione dût se retenir de lui faire remarquer que lui-même était un champion pour faire passer sa frustration sur quelqu'un d'autre. Mais elle se retint, pour profiter encore un peu plus de sa peau contre la sienne, de l'odeur fraîche qui émanait de lui.

Elle reposa sa tête sur son épaule. Menthe et pomme verte. Il se détendit et posa sa joue contre le haut de son crâne. Quand il prit une grande inspiration, elle se demanda s'il pouvait sentir son shampooing à la fraise, celui que Lavande lui avait offert en deuxième année.

"Pour quelle raison s'est-il énervé ?" demanda Drago après plusieurs secondes.

"Luna." répondit Hermione.

"Qui ?" répéta Drago, sincèrement perdu.

"Une amie de Ginny, à Serdaigle. Une fille blonde, qui a un an de moins que nous…"

"Ah oui, je t'ai déjà vu avec elle quelques fois." dit-il. "Elle n'est pas un peu… bizarre ? Pansy m'a dit que son père tenait le magazine du Chicaneur."

"Elle est un peu… excentrique." concéda Hermione. "Je ne l'aimais pas trop, au début, mais… Elle a réussi à me rassurer quand Harry et Ron étaient partis, et je lui en suis très reconnaissante. Mais quand j'ai dit à la table que Luna leur avait passé le bonjour, Ron s'est agacé. Il a dit que je voulais devenir amie avec tout le monde, même ceux qui ne le méritaient pas, juste parce qu'ils étaient différents."

"Il t'a dit ça méchamment ?" demanda Drago.

"Il m'a demandé si je voulais ouvrir une association pour recruter "les étranges". Ce n'était pas un nom très gentil pour les désigner."

Drago ne répondit rien, mais il lui fit un baiser sur le front pour la consoler.

"De qui parlait-il ?" demanda-t-il.

"De Théo." répondit Hermione.

Drago bondit et Hermione releva brusquement la tête de son épaule.

"Théo ?" répéta Drago, estomaqué. "Théo ?! Tu leur a dit ?"

"Oui." répondit Hermione, surprise par sa réaction. "Juste qu'on révisait ensemble de temps en temps."

Elle avait du mal à saisir l'émotion qui le traversait à cet instant, comme s'il oscillait entre la peur et l'animosité.

"Pourquoi ?" demanda-t-il, incrédule.

"Parce que ce sont mes meilleurs amis." dit Hermione sans hésiter. "Je n'avais pas envie de leur cacher ma nouvelle amitié avec Théo."

Un éclair de douleur passa dans ses yeux bleus :

"Tu n'es pas amie avec Théo." asséna-t-il fermement.

"Si, je le suis." répliqua Hermione sur le même ton. "On est amis."

"Tu t'es rapprochée de lui pour me rendre jaloux." pointa Drago. "Ce n'est pas ce que j'appelle de l'amitié, tu l'as utilisé."

Les rougeurs d'Hermione firent irruption sur son cou et ses joues, mais cette fois-ci, elles n'avaient à voir avec la gêne, c'était plutôt de la révolte.

"Pas du tout ! J'admets que j'ai voulu te rendre jaloux au début, mais mes sentiments à son encontre ont toujours été amicaux ! Je l'ai toujours apprécié, et c'est le seul qui a réussi à me faire penser à autre chose quand tu m'ignorais !"

Drago ferma les yeux une seconde, et Hermione le vit serrer le poing. Elle pouvait presque voir la colère onduler sur sa peau. Elle pouvait la sentir irradier de lui, tenter de prendre possession de lui. Quand il rouvrit les yeux, ils étaient gris.

"Ne dis pas ça, Granger."

"Si, je le dis !" répliqua-t-elle avec ferveur. "Je suis devenue amie avec Théo, et ça ne changera pas, surtout pas parce que Ron ou toi me l'interdit. J'ai le droit d'être amie avec qui je veux, et si j'ai envie d'être amie avec Théo, c'est ma décision ! Et si tu n'étais pas aussi… aussi buté, je n'aurais pas eu à me rapprocher de lui en premier lieu !"

En entendant ça, la lèvre supérieure de Drago tiqua un peu.

"Moi, buté ?" dit-il.

"Oui, toi. Tu es buté." rétorqua Hermione, avant de croiser ses bras sur sa poitrine.

Drago sourit un peu et ses yeux perdirent leur éclat grisâtre. L'Occlumancie était fascinante à observer. Hermione ne se lassait pas de voir ses iris changer de couleur au gré de ses humeurs, ou de voir la façade de froideur tomber, juste pour elle. Il baissa la tête et passa ses doigts sur le banc, en suivant les lignes sur le bois.

"Comment ont-il réagi ?" demanda-t-il, en faisant référence aux Gryffondors.

"Mis à part Ron, personne n'a émis d'objection."

"C'est parce qu'il est jaloux." dit Drago du tac au tac. "Tu le sais, non ?"

Hermione ignora cette remarque, parce qu'au fond d'elle, elle savait qu'il avait raison.

"Fred m'a mise en garde contre le père de Théo, il m'a dit que c'était un Mangemort et qu'il avait fait des choses terribles."

"Il n'a pas tort." dit Drago, sans cesser de tracer les lignes du bois avec son index. "Mais Théo n'a rien à voir avec son père."

"C'est ce que je leur ai dit." dit Hermione.

Drago arqua un sourcil :

"Et personne ne t'as cru, parce que Théo est un Serpentard, et qu'il est forcément mauvais. C'est ça ?"

Hermione détestait le fait qu'il avait raison, que ses amis pensaient réellement ça de Théo en se basant seulement sur sa Maison, sans même essayer de voir au-dessus, ses qualités, ses valeurs.

"Je leur ai dit qu'il n'avait jamais rien fait de mal, et qu'il se faisait mal juger."

"Qu'est-ce que tu en sais ?" demanda Drago froidement. "Tu ne le connais même pas."

"Je le connais suffisamment pour savoir qu'il n'a rien de mauvais en lui." objecta Hermione.

"Weasley a raison." dit Drago placidement. "Tu veux trop aider les gens qui n'ont rien demandé."

"N'importe quoi !"

"Comment tu expliques ça alors ?" demanda-t-il en désignant l'espace entre eux.

"Tu as fait des mauvaises choses." répliqua-t-elle aussitôt. "Tu as été cruel et tu m'as blessée, plusieurs fois. Théo ne l'a jamais fait."

Drago accusa le coup sans rien dire. Hermione ne fit rien pour enlever les mots qu'elle venait de prononcer, parce qu'elle les pensait. Il essayait de devenir meilleur, au prix d'efforts qu'il déployait tous les jours, mais ça ne changeait rien au fait qu'il avait été mauvais autrefois. Il continua de dessiner les lignes de bois avec son doigt sans rien dire, la mâchoire contractée.

Soudain, il leva la tête et plongea son regard dans celui d'Hermione. Quand ses yeux étaient aussi bleus, aussi profonds, elle avait la sensation d'y apercevoir un reflet de son âme.

"Tu es amoureuse de Théo ?" demanda-t-il dans un murmure.

Il attendait sa réponse, presque implorant, presque craintif, complètement à découvert et vulnérable. C'était une vision rare, de voir Drago se mettre à nu comme ça.

Hermione se contint pour ne pas lever les yeux au ciel, parce que c'était une question stupide, et qu'il connaissait très bien la réponse. Il savait qu'elle n'était pas amoureuse de Théo. Il les connaissait, elle lui avait répété plusieurs fois, il savait que ce n'était pas le cas. Mais Hermione connaissait Drago. Elle connaissait chacune de ses imperfections, elle comprenait sa manière de pensée, aussi tordue était-elle, et elle savait, par-dessus tout, à quel point il avait besoin d'être rassuré. Il connaissait la réponse, mais il avait besoin de l'entendre dire, alors Hermione se retint de ne pas répondre impulsivement. Elle inspira, et dit doucement :

"Non, je ne suis pas amoureuse de Théo. Je suis amoureuse de toi."

Il eut un soupir de soulagement qui détendit ses épaules.

"Merci." répondit-il, et elle hocha la tête, parce qu'ils se comprenaient, et que derrière son merci, des milliers de mots se cachaient tapis dans l'ombre qu'elle n'avait pas besoin d'entendre pour les connaître.

Il se remit contre le dossier du banc et elle reposa sa tête contre son épaule. Il joua avec l'une de ses boucles qu'il enroula autour de son doigt. Elle prit son autre main qu'elle posa sur ses cuisses et ils restèrent quelques minutes dans cette position, entremêlés, rassurés par le contact de l'autre. Les barrières de protection qu'Hermione avait dressé avec son sort d'Impassibilité continuaient d'absorber le vent autour d'eux.

Elle repensa au visage tissé dans la tapisserie des Black de Drago et eut du mal à associer ce garçon avec celui qui la tenait dans ses bras.

"Je l'ai dit à Pansy." déclara Drago doucement, tout près de son oreille. "Je lui ai dit. Pour nous."

Il continuait d'enrouler sa mèche autour de ses doigts, alors elle ne releva pas la tête, même si elle voulait voir l'expression qu'il portait. Elle devinait l'importance de sa confession à la manière dont il se tenait, comme s'il venait de lui avouer un secret.

"Elle ne le savait pas déjà ?" demanda-t-elle, se souvenant de son avertissement pendant le cours de Potions qu'elles avaient dû partager l'année précédente.

Drago prit quelques secondes pour réfléchir :

"Oui, elle savait. Parce que… parce que c'est Pansy, tu vois ?"

Hermione ne voyait pas, mais elle le laissa poursuivre :

"Mais maintenant, elle sait. Elle sait vraiment. Parce que je lui ai dit."

Hermione ne comprenait pas vraiment la différence, mais Drago avait l'air de considérer ça comme un pas important, alors elle ne lui demanda pas d'expliquer.

"Qu'est-ce que tu lui as dit, exactement ?" demanda-t-elle plutôt.

"Je lui ai dit que j'étais amoureux de toi." dit Drago, et peu importe le nombre de fois où il lui avait dit, elle sentit toujours aussi intensément la chaleur se répandre dans ses muscles. "C'est la première fois que je disais ça à quelqu'un d'autre. Et je n'aurais voulu le dire à personne d'autre qu'elle."

"Et qu'est-ce qu'elle en pense ?"

Hermione n'arrivait pas vraiment à imaginer la réaction de Parkinson en entendant un truc pareil.

"Elle est heureuse pour moi." dit-il. Elle pouvait entendre la stupéfaction dans sa voix, comme s'il ne croyait pas lui-même ce qu'il venait de dire. "Que tant que j'étais heureux, elle était heureuse."

"C'est une vraie meilleure amie, alors." dit Hermione.

Drago hocha la tête contre ses cheveux.

"Et Blaise ?" demanda-t-elle. "Il est au courant ?"

"Je crois." répondit vaguement Drago.

"Tu crois ?" répéta-t-elle. "Il ne te l'a jamais dit ?"

"Pas vraiment. On en a jamais parlé, mais Blaise est comme Pansy, il sait tout. Je pense qu'il l'a deviné depuis longtemps."

Hermione trouvait ça très étrange d'être si proche de quelqu'un sans jamais parler de ce qu'ils ressentaient, mais elle supposait que c'était des amitiés différentes des siennes. Peut-être que Drago et Blaise n'avaient pas besoin de parler pour savoir ce que l'autre traversait.

"Et Théo ?" demanda-t-elle à voix basse.

Elle sentit les doigts de Drago se crisper en entendant le surnom.

"Je ne pense pas qu'il sache." répondit-il. "À moins que tu lui ai dit, je pense qu'il ne se doute de rien."

"Je ne lui ai rien dit. C'est ton ami, c'est à toi de le faire quand tu seras prêt."

"Théo… Il n'est pas comme Pansy et Blaise." dit Drago. "Il serait… Je ne sais même pas comment il réagirait. Je préfère attendre avant de lui annoncer officiellement."

Hermione hocha la tête. Elle ne pouvait pas vraiment lui reprocher d'attendre, parce qu'elle ne le dirait pas à Harry et Ron de sitôt.

La seule fenêtre encore allumée du Château s'éteignit, quelque part vers le quatrième étage, et Hermione prit conscience de l'heure avancée de la nuit. Le temps passait toujours trop vite quand elle était avec Drago, comme de l'eau entre ses doigts, comme les grains d'un sablier qui coulait trop vite. Elle aurait voulu passer des heures avec lui sur ce banc, parler de tout et de rien, entendre sa voix devenir de plus en plus grave à mesure que la fatigue s'emparait de lui.

"Je devrais y aller." dit-elle avec réticence. "Je dois absolument trouver un rythme convenable pour la rentrée, avec les BUSES… "

Drago embrassa le haut de son crâne et se redressa doucement.

"Tu as raison. Je suis en retard aussi."

Hermione tourna la tête vers lui sans comprendre :

"En retard ?"

"Ouais, j'ai rien fait des vacances." admit Drago en s'étirant les bras, qui étaient sûrement ankylosés d'être restés dans la même position. "Je n'ai même pas fait l'essai pour Rogue…"

Hermione plaqua une main sur sa bouche :

"QUOI ?" cria-t-elle. "Mais Drago, il est à rendre pour dans trois jours ! Tu as appris le cours de Botanique, au moins ? Et les formules de Métamorphose ? Tu es censé pouvoir les appliquer la semaine prochaine !"

"Non, rien." dit Drago d'un ton bien trop tranquille. "Et je n'ai pas ouvert mon bouquin d'Histoire de la Magie depuis des mois."

Hermione n'entendit pas Drago rire en voyant sa réaction tant le sang tapait contre ses tympans de panique :

"Mais Drago, c'est très grave !" couina-t-elle, se faisant déjà une liste mentale de tout le travail à rattraper. "Tu dois absolument terminer l'essai de Potions, c'est primordial pour tes BUSES, surtout si tu veux avoir un Optimal ! Et Professeure McGonagall ne laissera pas passer ton retard, tu dois connaître les formules depuis des semaines, si elle se rend compte que tu n'as pas travaillé…"

"Du calme, Granger." dit Drago avec un sourire amusé. "Je rattraperai cette semaine…"

"Et comment !" répliqua Hermione. "Dès demain ! Je te ferai apprendre la Métamorphose, et tu dois absolument terminer l'essai d'ici mardi soir, et si on a le temps après la Botanique, on pourra peut-être revoir le chapitre sur la troisième guerre des Géants, et en Sortilèges, tu en es où ? Rassure-moi, tu as bien révisé les sortilèges de temporalité ?"

Drago secoua la tête et Hermione se mit à réciter tous les devoirs à faire, et Drago poussa plusieurs soupirs agacés en voyant la quantité de travail qui les attendaient, mais derrière son faux air d'ennui, Hermione était persuadée qu'il était heureux de la voir si investie pour lui.

.

.


Drago


.

.

"Oh, désolée, tu veux que je me pousse peut-être ?" demanda Pansy, pleine de sarcasme.

Elle venait de s'asseoir en face de lui au petit-déjeuner, lui cachant sa vue parfaite sur Granger. Il adorait la regarder le matin, quand ses cheveux étaient encore tout ébouriffés de sa nuit, parfois attachés dans un chignon à la va-vite. Elle discutait souvent avec Weaslette, mais quand il était encore tôt, elle lisait ses cours de la journée, les sourcils froncés, son attention complètement accaparée par le bouquin sous ses yeux. Elle prenait un thé noir, parce qu'elle évitait le café depuis son overdose en troisième année. Drago savait que c'était à cause du Retourneur de Temps, mais elle refutait toujours, prétextant qu'elle était devenue addict sans raison particulière. Ce matin-là, elle portait son uniforme de Gryffondor et lisait son manuel d'Histoire de la Magie, qu'ils avaient en commun en première heure. Rien, dans son visage comme dans sa posture, n'aurait pu indiquer qu'elle s'était couchée après minuit. Mais Drago le savait, parce qu'il avait été avec elle toute la soirée, et il adorait être le seul à le savoir dans cette pièce.

Mais Pansy s'était assise en face de lui, et Drago avait bougé la tête par réflexe, juste pour regarder Granger tourner sa page, et Pansy avait capté son regard.

"Ta gueule." répondit-il élégamment.

Il jeta un regard en biais vers Blaise et Théo pour vérifier qu'ils n'avaient pas entendu la remarque de Pansy, mais les deux étaient trop occupés pour ça : Blaise essayait de ne pas s'endormir dans son café, parce que les effets des potions de sommeil étaient trop forts et qu'il avait du mal à se réveiller les matins, et Théo lisait son manuel d'Histoire de la Magie, un miroir parfait avec la fille trois tables plus loin.

Drago se retourna vers Pansy qui riait toute seule. Elle découpa un morceau de saucisse qu'elle donna à Eris, qui était caché stratégiquement dans un pan de sa cape. Drago ne savait pas encore s'il aimait le fait que Pansy soit dans la confidence. Elle savait depuis la quatrième année qu'il était amoureux de Granger, mais maintenant qu'elle le savait, elle ne se gênait pas pour en parler ouvertement. Drago était partagé entre la joie que quelqu'un de son cercle proche approuve ses sentiments, et l'agacement qu'elle puisse se moquer gentiment de lui. Il avait envie de connaître l'identité de son crush secret pour pouvoir faire pareil.

Drago dut user de stratégies poussées pour pouvoir observer Granger à sa guise. Par-dessus l'épaule de Pansy qui tartinait son pain de miel, il put apercevoir Potter et Weasley la rejoindre. Ce dernier agit comme d'habitude, il s'assit en face de Granger, lui dit bonjour avec un signe de tête fatigué, et se servit. Granger ne parut pas énervée par son absence d'excuse, elle le salua et continua de manger son porridge en lisant son manuel.

Drago savait qu'il n'avait pas vraiment son mot à dire en matière de dispute avec Granger. Il savait qu'il s'était excusé bien trop de fois pour une seule personne, et que Granger l'avait toujours pardonné par un miracle qu'il ne comprenait pas très bien. Il savait que trop bien que Granger était clémente, mais ça ne l'empêcha pas de ressentir une piqûre de jalousie à l'idée qu'elle ne lui reproche pas sa crise de nerfs de la veille. Quand c'était Weasley, elle avait tendance à laisser passer, à lui trouver des excuses. Mais le fait qu'il se déchaîne sur elle juste pour faire passer sa frustration était un comportement que Drago haïssait particulièrement. Il trouvait ça injuste, et ça n'avait rien à voir avec les supposés sentiments que Weasley avait pour elle. Rien à voir du tout.

Il était tellement focalisé sur l'analyse muette du comportement du trio en face de lui qu'il ne remarqua pas Rogue se lever de la table des professeurs. Il passa entre la table des Serpentards et des Serdaigles, et Drago ne le vit que quand il fut à mi-chemin vers eux. Il donna un coup de pied dans le tibia de Pansy pour l'avertir et elle cacha la tête d'Eris avec sa cape au moment où le professeur arriva à leur niveau.

"Nott, Zabini, Malefoy, Parkinson, Greengrass." lista Rogue en distribuant des papiers à chacun. "Retenue, ce soir, avec Rusard, pour tapage nocturne."

Théo fit tomber son manuel d'Histoire de la Magie dans son bol de lait et contempla le bout de parchemin avec horreur.

"Mais, Professeur !" s'écria Drago en prenant le parchemin que Rogue lui tendait. "Pansy et moi sommes préfets, on ne peut pas recevoir de retenue de la part d'autres préfets !"

Rogue lui lança un regard inexpressif.

"Je le sais bien, Malefoy. J'ai décidé que cette règle ne s'appliquerait pas dans ce cas."

Drago grommela. Il avait pensé pouvoir profiter du favoritisme que Rogue lui accordait, mais c'était peine perdue. Et en voyant l'état de Théo, il se dit que ce n'était pas plus mal de l'accompagner.

"Crabbe, Goyle." appela Rogue en leur balançant les deux morceaux de parchemins restants. "Retenue ce soir, au même endroit, pour non-rendu des devoirs."

Rogue tourna sur ses talons et retourna à la table des professeurs sans écouter leurs protestations.

"Oh, super !" gémit Théo en se prenant la tête entre les mains. "Déjà qu'on a une retenue, et en plus je dois me la taper avec Crabbe et Goyle ?"

"On sera là, ça passera plus vite." dit Pansy en retirant sa cape pour laisser passer le museau d'Eris. "Tu vas voir, c'est pas si terrible."

Drago hocha la tête pour le rassurer, même si sa seule expérience avec les retenues avait été dans la Forêt Interdite et qu'il était tombé nez à nez avec une créature qui buvait du sang de licorne et qu'il en avait fait des cauchemars pendant une année entière. Il lut le papier que venait de lui donner Rogue :

"Drago Malefoy : retenue de 2h avec Mr. Rusard, à 18h devant la Grande Salle pour tapage nocturne signalé par un préfet. Tâche à accomplir : récurage de la salle des trophées."

"C'est juste la salle des trophées." dit-il en repliant le mot. "Avec un peu de chance, ça sera fini en moins d'une heure."

Théo hocha la tête, mais il n'avait pas l'air très rassuré pour autant. Il récupéra son manuel trempé et dut s'y reprendre à deux fois pour lancer le sortilège de Séchage tant sa main tremblait.

"Astoria ?" appela Blaise.

Drago leva la tête en même temps qu'Astoria, qui était assise un peu plus loin avec des copines de sa promotion. Elle avait noué ses cheveux blonds dans une queue de cheval et ses yeux étaient de la même couleur que sa sœur, une sorte de marron avec des soupçons de vert.

"Quoi ?" demanda-t-elle.

"Je peux expliquer à Rogue, si tu veux, pour ne pas que tu sois… tu sais, que tu sois obligée de faire la retenue avec nous." dit Blaise.

Astoria haussa les épaules :

"Non, tant pis. Je mourrais d'envie de nettoyer la salle des trophées depuis des semaines, mon vœu s'est enfin exaucé."

Si Pansy avait répondu ça, Drago aurait ri, mais étant donné qu'il n'aimait pas Astoria sans véritable motif, il n'afficha rien sur son visage.

"Désolé encore." dit Blaise d'un ton sincère.

Astoria lui fit un sourire compatissant :

"Ce n'est rien, t'en fais pas."

Les deux sœurs étaient tellement opposées que si Pansy ne lui avait pas dit qu'elles étaient de la même famille, Drago ne l'aurait jamais deviné tout seul. Certes, elles se ressemblaient physiquement, mais le visage de Daphné était constamment chiffonné, comme si elle portait les critiques et les moqueries qu'elle balançait à longueur de journées dessus. Astoria, elle, avait des traits plus lisses et fins, et quand elle souriait, tout son visage s'illuminait, de ses yeux jusqu'à son menton. Drago ne comprenait pas pourquoi Blaise n'était pas sorti avec elle plutôt que Daphné qui boudait tout le temps.

Il retourna à sa contemplation de Granger en mangeant son petit-déjeuner.

Théo reprit sa lecture, mais ses yeux ne cessaient de revenir sur le parchemin de la retenue, comme s'il espérait qu'elle ait disparue entre-temps. Eris s'endormit contre le flanc de Pansy, et Blaise et elle discutèrent dans des murmures indéchiffrables, probablement sur la Divination.

Comme tous les lundis de rentrée, Ébène apporta un énorme colis de confiseries à Drago de la part de sa mère. Il prit moins de plaisir à le voir que les années précédentes, parce qu'il avait la sensation d'avoir été trahi par elle pendant les vacances, mais il fut tout de même touché par cette attention. Il imaginait que c'était sa manière à elle de s'excuser sans le dire. Il donna un morceau de cookie à Ébène et ouvrit le paquet : une explosion de couleurs et une odeur sucrée lui vint aux narines. Il fouilla dans le tas de Chocogrenouilles et en prit quelques-unes qu'il fit glisser sur la table en direction de Théo pour le réconforter après l'annonce de la retenue, mais Théo ne fit pas attention à son cadeau : il avait les yeux rivés sur la couverture de la Gazette des Sorciers qu'un hibou venait de poser devant lui, la bouche grande ouverte de choc.

"Qu'est-ce qu'il y a ?" demanda Pansy, qui venait de remarquer la réaction de Théo aussi.

Le problème avec Théo, c'était qu'il réagissait toujours trop. Il avait le même degré de choc quand il se rendait compte qu'il avait oublié de répondre à une question d'un examen que quand il s'était fait déshériter par son propre père par lettre. Drago ne fut donc pas particulièrement inquiet en le voyant aussi paniqué, jusqu'à ce qu'un cri aigu n'interrompt le brouhaha habituel du petit-déjeuner. Il la reconnut sans même la regarder, parce que son cri résonna dans sa tête et le frappa de plein fouet.

Granger.

"Quoi ? Théo ?" appela-t-il plus urgemment. "Qu'est-ce qu'il y a ?"

"Oh, putain !"

C'était Blaise, qui venait de recevoir le journal aussi. En voyant son air affolé, Drago ressentit pleinement la peur s'emparer de son corps. Si Blaise réagissait aussi vivement, c'était qu'il s'était vraiment passé quelque chose de très grave.

"Quoi ?!" hurla Drago, complètement affolé maintenant.

Blaise et Théo levèrent la tête de la une en même temps, et regardèrent Drago avec deux expressions pleines de compassion et d'effroi :

"Je… désolé, Drago…" marmonna Théo, plus pâle que jamais.

"Est-ce que quelqu'un peut nous donner un putain de journal ?!" s'écria Pansy en essayant d'arracher celui de Théo de ses mains.

Blaise lui tendit le sien, la bouche tordue d'appréhension, et Pansy l'étala sur la table de sorte à ce que Drago et elle puissent le lire.

La une était séparée en dix photographies carrées, où étaient enfermés des sorciers plus terrifiants les uns que les autres.

Le regard de Drago fut tout de suite attiré par l'une des photos mouvantes, en bas à droite de la page. Le cadre était occupé par une sorcière aux cheveux noirs et sauvagement empilés sur sa tête, comme une masse épaisse et désordonnée. Elle hurlait, et Drago n'avait pas besoin d'entendre le son de sa voix pour avoir des frissons en la regardant. Ses mains étaient attachées par des menottes qu'elle frappait furieusement contre le bas du cadre, et sa tête valsait d'un côté de l'autre. Quand elle regardait la caméra, elle souriait comme une maniaque, révélant des dents noires et abîmées. Ses paupières étaient lourdes, ses joues étaient creusées, laissant deviner ses os sous sa peau blafarde.

"Non !" souffla Pansy.

Drago leva les yeux pour lire le titre de la Gazette :

ÉVASION MASSIVE D'AZKABAN

LE MINISTÈRE CRAINT QUE BLACK SOIT LE "POINT DE RALLIEMENT" D'ANCIENS MANGEMORTS.

Son estomac eut un soubresaut.

"Dix Mangemorts en liberté ?" chuchota Pansy, qui n'arrivait pas très bien à dissimuler la panique dans sa voix.

Drago fit passer son regard sur toutes les photos. Ils étaient tous, sans exception, ravagés par leurs sentences en prison. Leurs regards étaient vides, éteints, leurs expressions sinistres, agitées de tics, les cheveux gras et crasseux. Certains bougeaient la tête d'un air menaçant, d'autres souriaient de manière narquoise. Mais aucun des neuf sorciers ne paraissaient aussi dérangés que la femme aux cheveux noirs, qui était animée par une véritable folie. Drago n'osa pas reposer son regard sur elle une seconde fois tant ses bras étaient agités de frissons incontrôlables.

"Putain." glapit-il, incapable de trouver quelque chose à dire pour traduire l'horreur que lui inspirait cette une de journal.

Il leva la tête et vit que Théo, Blaise et Pansy le regardaient tous les trois, et Drago eut la sensation étrange qu'ils attendaient une réaction plus élaborative de sa part. Même Eris, qui avait été réveillé par les mouvements de Pansy, le regardait avec un air de pitié.

"Quoi ?" demanda-t-il en faisant passer son regard sur ses trois amis successivement.

"Drago…" dit Pansy tout doucement, comme si elle avait peur qu'il ne s'énerve tout à coup. "Tu as vu leurs noms ?"

Drago rebaissa la tête vers le journal. Il avait été tellement accaparé par leurs visages qu'il n'avait pas remarqué que les photos étaient accompagnées de légendes. Leurs noms, et leurs crimes. Le premier était Antonin Dolohov, condamné pour les meurtres particulièrement brutaux de Gideon et Fabian Prewett. Le quatrième s'appelait Selwyn et souriait sournoisement. Il lui manquait un œil.

Drago lut la légende sous la photo de la sorcière :

"Bellatrix Lestrange, condamnée pour tortures ayant entraîné une incapacité permanente sur les personnes de Frank et Alice Londubat."

Il leva tout de suite la tête vers Londubat, qui était assis à côté à quelques places de Granger. Il ressemblait à quelqu'un qui venait de se faire aspirer son âme par un Détraqueur. Drago ressentit, pour la première fois depuis cinq ans, une compassion à l'égard de ce garçon pathétique. Il ne savait pas que ses parents avaient subi un tel sort.

"C'est atroce." chuchota-t-il à l'adresse de Pansy, Blaise et Théo.

"Drago…" commença Théo, de la voix doucereuse qu'il prenait toujours quand il s'apprêtait à dire quelque chose de désagréable. "Tu ne reconnais pas quelqu'un, là dedans ?"

Le concerné fronça les sourcils et analysa de nouveau les photographies. Lucius ne faisait pas partie de ces gens. Il avait du mal à visualiser son père dans cet état, de toute manière.

"Non ?"

"Cette femme, là…" dit Blaise en tapotant le carré de Bellatrix Lestrange qui continuait de beugler silencieusement.

Drago fut obligé de la regarder. Maintenant que Blaise lui faisait remarquer, il était vrai qu'elle lui rappelait vaguement quelque chose. Il essaya de faire abstraction de ses cheveux incontrôlables, de son sourire sadique, mais il en était incapable. Il ne voyait qu'une femme terrifiante.

"Drago." dit Pansy. Sa voix fut la seule à pouvoir transpercer le flot de pensées dans son cerveau à cet instant. "C'est Bellatrix Lestrange… née Black."

Et d'un coup, il réalisa.

Il revit le parchemin ancien que son père lui avait ordonné d'apprendre, avant sa première rentrée à Poudlard. Il avait eu du mal à distinguer tous ces noms de Sang-Purs qui se croisaient et formaient des dizaines de lignées différentes. Il se souvint que la branche de sa mère partait vers la droite, vers son nom de jeune fille, Black. Son portrait était relié par deux autres, l'un brûlé, illisible. La sœur qui avait fui la famille, dont sa mère ne parlait jamais. Et l'autre…

Elle était méconnaissable. La femme sur la une de ce journal n'avait rien à voir avec la femme qu'il avait aperçu sur cet arbre généalogique. Bellatrix Black ressemblait comme deux gouttes d'eau à sa mère, les mêmes traits taillés dans le marbre, le même air aristocratique, les mêmes yeux noirs et brillants, les mêmes bouches naturellement rosées. Bellatrix Lestrange, en revanche, n'avait plus rien de cette beauté. Quelques vestiges subsistaient, si Drago se penchait suffisamment pour les voir, mais il était bien trop frappé d'horreur pour le faire.

"Cette… cette femme… C'est la sœur de ma mère ? Cette femme ?" balbutia-t-il, sans même réaliser qu'il confirmait à voix haute ce qu'il était en train d'assimiler.

Sa mère ne parlait jamais de ses sœurs. Quand elle parlait de sa famille, c'était toujours les Malefoy, du côté de Lucius. Le peu d'informations que Drago possédait sur ses tantes étaient que la cadette avait été reniée, et que l'aînée avait perdu la tête. Il ne savait pas qu'elle avait été envoyée à Azkaban. Dès que quelqu'un mentionnait son nom, sa mère avait toujours changé de sujet, et passait plusieurs jours à s'en remettre. Drago avait toujours supposé qu'elle était morte.

"Oui, c'est elle." dit Pansy, qui évitait de la regarder aussi.

Drago relut le titre du journal plusieurs fois. Elle s'était échappée. Cette femme dangereuse était en liberté. Il relut la légende et son estomac eut un nouveau soubresaut tellement violent qu'il faillit vomir son petit-déjeuner. Il n'osa pas relever la tête vers Londubat. Il se sentait étrangement coupable d'appartenir à la même famille qui avait torturé ses parents.

"Apparemment c'est Black qui est derrière tout ça." dit Théo, qui avait ouvert son exemplaire de la Gazette pour lire l'article. "Sirius Black, le tueur en série. Ils sont cousins."

En entendant ça, un des livres de Drago s'ouvrit dans son accord dans sa tête. Il n'avait même pas remarqué qu'il s'était mis à Occluder, peut-être une simple réaction biologique après un choc.

"Il faut que tu me promettes de ne rien répéter à personne. Sirius est mon ami, Drago. S'il te plaît, ne dis rien qui pourrait le compromettre."

Il leva la tête vers Granger qui le regardait déjà. Ils échangèrent un long regard. Sans même se parler, il devina qu'elle avait fait le rapprochement entre cette femme démente et lui. Comment, il n'en avait pas la moindre idée. Peut-être qu'elle le savait depuis des années. Elle cligna des yeux en guise de réassurance, il la remercia en hochant subtilement la tête.

Les théories sur Black fusèrent autour de lui, mais Drago ne dit rien, parce qu'il lui avait promis.

.
.

Drago évita le regard de Londubat toute la journée. D'habitude, quand il le croisait dans un couloir ou en classe, il prenait un malin plaisir à se moquer de lui pour le voir devenir tout rouge. Là où Potter et Weasley répliquaient, Londubat prenait sans broncher. Ce jour-là, cependant, Drago était incapable de le regarder. Il avait l'impression que sa peau le démangeait dès qu'ils étaient dans la même pièce.

Tout le monde ne parlait plus que de l'évasion d'Azkaban. Quand il croisait Granger, Weasley et Potter, les élèves pointaient du doigt Potter dans son dos. En cours, les élèves lui jetaient des regards accusateurs, comme si c'était de sa faute que dix Mangemorts se soient échappés de la prison. Drago avait du mal à suivre le mouvement, même pour de faux. Le visage de Bellatrix Lestrange le hanta du matin au soir, tellement qu'il fut incapable de se concentrer. Il reçut un Piètre en Potions pour la première fois de sa vie.

Il attendait avec impatience de retrouver Granger à la Bibliothèque pour se changer les idées, mais quand il fut sur le point de trouver une excuse bidon pour aller la rejoindre, Rusard s'approcha d'eux et Drago se souvint subitement de leur retenue prévue le soir-même. Ça lui avait complètement échappé.

"Alors, comme ça on fait du bruit dans le dortoir à pas d'heure ?" demanda Rusard avec un rire railleur qui ressemblait plus à une toux qu'autre chose. "Rogue m'a dit que deux heures dans la salle des trophées devrait vous apprendre à vous taire."

Personne ne lui répondit, alors il monta les escaliers, et le groupe suivit en traînant des pieds. Seul Théo paraissait au bord de la crise d'angoisse, mais quand Blaise s'excusa dans un murmure, ce fut lui qui le coupa en lui disant que ce n'était pas de sa faute.

Ils arrivèrent dans la salle des trophées, qui était en fait une longue galerie où des centaines de coupes en or étaient alignées sur des étagères poussiéreuses. En voyant la longueur de la pièce, Pansy et Drago lâchèrent un soupir exaspéré.

"Cette salle doit être immaculée dans deux heures." annonça Rusard, qui n'avait pas quitté son sourire vicieux.

Astoria sortit sa baguette de sa poche, mais Rusard l'arrêta :

"Non, non. Vous devez nettoyer sans magie, bien entendu."

Astoria afficha une mine scandalisée. Crabbe, qui se tenait dans l'embrasure de la porte et observait la salle de ses petits yeux stupides, regarda le concierge comme s'il venait de lui annoncer qu'il était élu Ministre de la Magie.

"Sans magie ? Mais comment on est censés pouvoir nettoyer sans magie ?" demanda-t-il, désespéré.

Rusard poussa un seau avec son pied, et leur lança un torchon chacun.

"Qu'est-que c'est que ça ?" demanda Goyle en tournant le carré de tissu dans ses mains.

Théo leva les yeux au ciel.

"C'est un chiffon. Pour essuyer." expliqua Rusard. "Vous devez nettoyer chaque trophée un par un jusqu'à ce qu'ils brillent."

"Et pourquoi il y a un chiffon là-dedans aussi ?" demanda Goyle en montrant le seau d'eau par terre.

"C'est une serpillère, espèce de crétin." grommela Théo dans sa barbe.

Goyle ne l'entendit pas et continua d'observer le seau d'eau avec inquiétude.

"Vous avez deux heures. Donnez-moi vos baguettes."

Ils s'exécutèrent à contrecœur. Rusard leur arrachèrent des mains et les rangea dans la poche de son manteau.

"À tout à l'heure." roucoula-t-il avec joie.

"C'est n'importe quoi !" s'exclama Pansy à peine eut-il refermé la porte. "Pourquoi nous enlever la magie alors qu'on pourrait nettoyer ces trucs en moins de dix minutes ?"

"Je suis désolé les gars." dit Blaise, la tête baissée sur le seau.

"Ne dis pas de bêtise." répéta Théo. "Ce n'est pas de ta faute."

Il plongea son torchon dans l'eau et l'essora, puis partit au bout de la salle :

"Je commence par le fond. Drago, mets toi au milieu, Pansy tout devant, Blaise tu fais l'étagère de gauche, Astoria celle en face."

Ils prirent position et commencèrent à astiquer les trophées. Crabbe et Goyle se tenaient dans l'entrée, les bras ballants :

"Et nous ?" demandèrent-ils d'une petite voix.

Théo ne répondit pas, alors Drago le fit à sa place :

"Mettez-vous sur l'étagère derrière, et ne faites rien tomber."

Ils obéirent et la salle fut rapidement plongée dans un silence concentré. Drago nettoya le plus rapidement possible pour avoir une chance de retrouver Granger avant que la Bibliothèque ne ferme. Il pouvait entendre les frottements des torchons des Serpentards autour de lui. Crabbe et Goyle firent tomber une dizaine de trophées en moins de quinze minutes.

"Vous ne trouvez pas ça stupide ?" demanda soudain Pansy, qui était assise en tailleur pour nettoyer toutes les coupes de l'étagère du bas. "Ça fait cinq ans qu'il y a des fêtes tous les soirs dans la Salle Commune, et le seul jour où on se prend une retenue pour tapage nocturne, on y était même pas ?"

Drago eut un rire amer.

"Désolé." répéta Blaise, qui récurait les trophées du haut.

Avant que Pansy, Théo ou Drago ne puisse le rassurer, Astoria le fit :

"Ne t'en fais pas Blaise, tu n'as rien à te reprocher."

Blaise sourit faiblement et lui adressa un signe de tête reconnaissant. Drago ne comprenait pas ce que cette fille foutait là, et il n'aimait pas beaucoup ça. Il avait du mal à supporter l'ajout d'une personne dans son groupe très fermé d'amis.

"T'en fais pas Blaise." renchérit Goyle. "On t'en veut pas."

"Vous n'êtes pas là pour Blaise, espèce d'abrutis." aboya Théo, ce qui plongea la salle dans un autre silence.

Au bout d'une heure, Drago avait mal au poignet à force de frotter, alors il se dirigea vers l'une des armoires pour nettoyer les vitres. La saleté était tellement incrustée dans le verre après des décennies qu'il eut du mal à apercevoir quelque chose à travers, même après avoir trempé et séché son chiffon un nombre incalculable de fois. Astoria le rejoignit dans le fond de la pièce et se mit à nettoyer les trophées juste à côté de lui.

"Tu pourrais me remercier, tu sais." dit-elle de sa voix claironnante.

Il n'y avait personne autour d'eux, tous les autres étaient en train de nettoyer plus loin, alors il comprit assez tard qu'elle s'adressait à lui. Drago tourna la tête vers elle lentement :

"Te remercier ? Pour ?"

"D'avoir aidé ton pote." dit Astoria.

Drago fronça les sourcils.

"Tu ne l'as pas aidé du tout. J'avais demandé un Bézoard et tu as apporté une solution de force, qui s'est faite projetée contre le mur."

Astoria ne perdit pas le sourire connaisseur de son visage que Drago avait envie d'arracher.

"Un Bézoard n'aurait servi à rien." dit-elle. "Il n'était clairement pas empoisonné. Une Solution de Force lui permettait de retrouver conscience en s'éveillant plus rapidement."

Drago ricana dédaigneusement :

"Super utile. Dommage qu'il était déjà éveillé. Grâce à moi."

"Je n'aurais pas pu deviner que tu allais le réveiller." protesta Astoria d'une voix égale.

"Et bien, je l'ai fait. Donc, je n'ai pas besoin de te remercier." répliqua sèchement Drago.

Un éclat de mousse atterrit sur sa joue et il s'essuya avec la manche de son pull. Astoria le regardait, toujours souriante, toujours insupportable.

"Ma soeur avait raison." dit-elle après un temps. "Tu es donc vraiment doué en Potions."

Drago arqua un sourcil dans sa direction :

"Comment ta soeur pourrait-elle savoir un truc pareil ?"

"Vous êtes dans la même classe depuis cinq ans."

"Et alors ? C'est pas parce qu'on partage la même Salle Commune depuis cinq ans que j'en ai quelque chose à foutre de ta sœur."

Astoria haussa ses sourcils dans une reproduction parfaite des manies de sa mère quand il y avait des invités haut placés.

"Elle m'avait aussi prévenue pour ta courtoisie." dit-elle avec un petit rire.

"Je ne t'aime pas beaucoup." dit Drago en guise d'explication pour son manque de politesse.

"Moi non plus." dit Astoria. "Ça nous fait un point commun."

"Pourquoi as-tu aidé Blaise ?" demanda-t-il. "Ce n'est pas comme si vous étiez amis, tous les deux. Blaise a quitté Daphné, elle le déteste."

Pour la première fois de leur échange, le sourire d'Astoria disparut. Elle parut soudain très intéressée par le trophée en face d'elle, qu'elle nettoya scrupuleusement sans répondre.

"Elle n'est pas au courant, c'est ça ?" devina Drago. "Daphné. Elle ne sait pas que tu as aidé Blaise, et elle ne sait pas que tu as une retenue ce soir."

Astoria lui jeta un regard bref :

"Bien sûr que si. C'est ma sœur, on se dit tout."

"Alors, pourquoi tu l'as aidé ?" demanda-t-il. "Personne ne t'a obligé."

"Parce que je ne suis pas une petite conne qui fait semblant d'en avoir rien à foutre des autres juste pour se donner un genre, moi."

Ça faisait bizarre d'entendre une fille avec des accents tellement nobles dans son ton s'exprimer de cette manière. Si Drago était honnête, il aurait même pu la trouver cool.

"Et c'est censé être mon cas ?" demanda-t-il.

"Pourquoi ça t'étonne autant que je sois venue en aide à Blaise ?" questionna Astoria. "Il ne m'a rien fait. Je ne l'aurais pas laissé souffrir juste par rancœur."

"Tu n'avais pas besoin, je gérais la situation." dit Drago. "Et ta solution de Force n'aurait rien fait du tout."

Astoria ne cilla pas en entendant cette remarque. Elle s'appliqua à passer son chiffon entre chaque anse du trophée. Ses mouvements étaient lents et gracieux, comme si elle s'entraînait à un ballet et pas en train de récurer les vieilles coupes de l'école.

Soudain, elle dit :

"L'un des ingrédients principaux de la Solution de Force est le sang de salamandre, qui a des propriétés régénérantes principalement dirigées vers le cerveau quand il est consommé à maturité. Si Blaise avait bu cette potion, il aurait pu se rappeler plus facilement du cauchemar qu'il venait de faire. C'est pour ça que je lui ai apporté."

Drago tourna complètement la tête vers la blonde, qui ne lui accorda pas le moindre regard.

"Comment tu sais ça, toi ?" demanda-t-il, sans cacher la surprise dans sa question. "Les Solutions de Force ne sont pas étudiées avant la cinquième année, ni le sang de salamandre."

Astoria lui adressa un sourire victorieux :

"Disons que tu n'es pas le seul élève de Poudlard à t'intéresser aux Potions, Malefoy."

Puis elle s'éloigna vers le milieu de la pièce avant que Drago puisse rétorquer. Il décréta sur le champ que cette fille était insupportable. Pas aussi insupportable que sa sœur, parce qu'elle, au moins, avait un semblant de conversation. Elle avait quelques connaissances en Potions, elle savait aligner deux mots qui n'étaient pas en rapport avec les magazines de mode qu'elle dévorait dès qu'un hibou lui apportait. Elle était insupportable dans un sens qu'il ne pouvait pas vraiment expliquer. Arrogante. Hautaine. Snob.

Insupportable.

"Bon, je ne sais pas vous, mais j'en ai marre d'astiquer des trophées." déclara soudain Astoria en s'approchant des autres.

Pansy hocha la tête en approbation. Blaise, qui était hissé sur l'une des étagères pour nettoyer les médailles tout en haut, soupira d'effort, et Théo, qui utilisait la serpillère pour nettoyer le parquet, lança un "ouais !" participatif.

"Heureusement, j'ai pensé à tout." dit Astoria avec un clin d'œil vers son audience.

Elle souleva de quelques centimètres son uniforme pour dévoiler le haut de sa chaussette blanche, dans laquelle elle avait glissé une baguette.

"Quoi ?!" lança Pansy. "Tu as pris une baguette ?"

"Ouais." dit-elle en haussant les épaules, son sourire toujours accroché aux lèvres. "J'étais sûre que Rusard nous interdirait la magie, il est tellement complexé de devoir tout faire à la main… Du coup, j'ai demandé à une amie de me prêter la sienne pour terminer plus vite."

Elle prit la baguette et la pointa sur l'étagère que Pansy et Blaise nettoyait depuis plus d'une heure :

"Récurvite !" lança-t-elle.

Un puissant jet vint s'écraser contre les trophées et les médailles. Aussitôt, Ils brillèrent d'un bel éclat doré, plus une once de crasse visible. Astoria reproduisit le sort un peu partout, et au bout de quelques minutes à peine, la salle fut entièrement nettoyée du parquet jusqu'au plafond, et il y avait même une odeur fraîche de savon dans l'air.

Tout le monde explosa de joie et se ruèrent sur elle pour la remercier, y compris Crabbe et Goyle qui étaient couverts de transpiration. Drago, lui, préféra bouder dans son coin. La vitre qu'il venait de frotter depuis vingt minutes était flamboyante, ce qui l'irritait encore plus.

"Merci Tori !" dit joyeusement Pansy en la serrant dans ses bras.

"Plus qu'à attendre que Rusard vienne nous chercher, maintenant." dit la blonde. "Tenez, j'ai pris des bonbons pour l'attente."

Elle lança des paquets de bonbons à tout le monde, mais Drago fut le seul à ne pas rattraper le sien. Ils s'assirent par terre et discutèrent tous ensemble, sans cesser de remercier Astoria pour sa ô brillance d'esprit, et personne ne remarqua que Drago était resté dans son coin. Pas même Crabbe et Goyle, ce qui, pour une raison obscure, agaçait Drago profondément.

Après dix minutes, Astoria l'appela :

"Malefoy ?"

ll tourna la tête vers elle comme s'il venait seulement de remarquer sa présence.

"Cookie ?" proposa-t-elle en lui tendant un cookie au chocolat.

Drago refusa en secouant la tête sans même daigner répondre.

"Allez, arrête de bouder !" intervint Théo, avec des miettes plein la bouche et les mains tachées de chocolat. "Prends-en un, ils sont délicieux !"

"Non, merci." répondit Drago.

"Promis, s'ils sont empoisonnés, je t'apporterai un Bézoard." renchérit Astoria avec un clin d'œil plein d'insolence.

Drago ne rit pas du tout. Il croisa les bras sur sa poitrine et posa sa tête sur la vitre de l'armoire qu'il venait de nettoyer vainement. Cette fille était vraiment chiante.

"Tu pourrais au moins la remercier." pointa Théo, qui avait du mal à avaler sa bouchée de biscuit. "Sans elle, on serait encore en train de nettoyer des trophées."

"Si t'avais une baguette depuis le début, pourquoi tu ne l'as pas utilisée avant ?" demanda Drago sèchement. Il parlait à Astoria mais ne la regardait pas.

Il y eut un petit silence gêné, puis Pansy chuchota :

"Ne fais pas attention à lui, il est de mauvais poil aujourd'hui."

Il sentit la colère monter. Il détestait quand Pansy faisait ça, parler de lui comme s'il n'était pas juste à côté d'elle. Il resta dans son coin et ne parla plus de toute la retenue.

Au bout de deux heures pile, Rusard revint. Lui-même eut du mal à cacher sa surprise de voir la salle des trophées aussi resplendissante. Il ne pensa pas à vérifier que l'un d'entre eux cachait une baguette, stupide qu'il était. Drago aurait adoré voir la tête d'Astoria si le concierge lui avait demandé de montrer ce qui se cachait sous sa chaussette. Le petit groupe repartit donc vers les cachots.

Juste avant de prendre les escaliers, Drago s'arrêta :

"Continuez, je vais faire un tour."

Théo fit volte-face :

"T'es fou, c'est bientôt le couvre-feu !"

Drago roula des yeux pour lui montrer à quel point il n'en avait rien à faire. Il ne respectait plus les horaires du couvre-feu depuis la première année, et Théo le savait très bien.

"Et si tu prenais encore une retenue ?" continua Théo.

Drago roula des yeux une seconde fois.

"Je vais juste faire un tour, je reviens vite." dit-il en rebroussant déjà chemin.

"Et si tu croisais Hermione ?" insista Théo. "Elle est peut-être en ronde !"

Pansy s'esclaffa bruyamment. Drago lui fit les gros yeux mais elle fit comme si elle n'avait pas remarqué :

"T'en fais pas Théo." dit-elle, rieuse. "Je suis sûre que Drago réussira à s'en sortir."

Drago lui donna un coup de coude dans les côtes mais Pansy s'échappa de justesse. Elle enroula son bras autour de celui de Blaise et murmura :

"Allons-y, je suis crevée."

Les garçons s'éxécutèrent dès qu'ils entendirent sa plainte. Astoria suivit le mouvement, puis Crabbe et Goyle, et très vite, le couloir fut désert.

Drago remonta les escaliers discrètement et entra dans la Bibliothèque en veillant à ne pas se faire voir par Pince, qui lui ferait certainement une remarque sur l'heure avancée. Elle serait même capable de lui interdire l'accès juste pour le faire chier.

Drago se glissa entre les étagères pour retrouver sa table préférée. Il n'était pas allé là depuis Halloween, et ça lui manquait tellement qu'il pouvait sentir les pulsions de hâte dans ses veines. La marche jusqu'à la table reculée lui parut interminable. Quand il arriva enfin, et qu'il la vit assise, une tasse de thé à la main, une dizaine de livres éparpillés devant elle, son chignon où dépassaient plein de mèches rebelles, Drago ne retint pas son soupir de bonheur. Granger releva la tête vers lui, et Drago put voir la joie illuminer chacun de ses traits, dans la pliure de sa bouche jusqu'à l'éclat dans ses pupilles, mais elle la dissimula par un froncement de sourcils austère :

"Il est tard." dit-elle sur un ton de reproche.

Elle ressemblait beaucoup trop à Pince.

"Bonsoir Granger." répondit-il à la place.

Il s'assit à la table et inspira la douce odeur de cannelle qui émanait de cet endroit, d'elle. Pour la première fois depuis qu'il avait enfoncé son poing dans la mâchoire de Potter au maudit match contre les Gryffondors, Drago retournait ici l'esprit tranquille. Il pouvait respirer normalement, il n'avait pas une seule barrière d'Occlumancie qui embrumait sa tête, il n'avait pas envie de frapper quelque chose pour faire passer une vieille colère enfouie quelque part. Il était complètement libre, bercé par l'odeur du thé, hypnotisé par les yeux chocolats scrutateurs en face de lui.

Son havre de paix. Le seul endroit où il pouvait être Drago. Et Granger en possédait les clés.

Sauf que cette dernière le fixait toujours, les sourcils froncés.

Drago avait tellement observé cette fille qu'il pouvait déceler quel type de colère elle ressentait rien qu'en posant ses yeux sur son visage. Parfois, elle était Granger Agacée, parfois Granger Boudeuse, rarement Granger Furieuse, souvent Granger Besoin-D'Extérioriser-Mon-Angoisse. Ce soir-là, Drago avait affaire à une Granger redoutable, qu'il s'était amusé à appeler "Granger La Professeure."

"On peut savoir où tu étais ?" demanda-t-elle, le nez pratiquement en l'air.

"Tu es trop curieuse, Granger." répondit-il avec un sourire en coin.

Elle leva les yeux au ciel et extirpa un cahier qu'elle posa tellement brutalement sur la table que son thé se renversa un peu.

"Je t'ai préparé un planning de révisions pour les prochains mois." annonça-t-elle froidement.

Drago grimaça en regardant le cahier en question :

"Est-ce qu'il va me hurler dessus si je n'ai pas terminé mes devoirs ?"

"Non, pas celui-ci." dit-elle. "Tu le brûlerais à la moindre remarque qu'il pourrait te faire, alors je t'en ai… crée un."

Drago l'ouvrit et fut assailli par l'écriture ronde de Granger dans plein de couleurs différentes, et son cœur fit un bond.

C'était un carnet moldu, avec du papier bizarre, il était tout fin et n'avait pas le grain des parchemins. Pourtant, Drago l'adora tout de suite, pas pour son aspect atypique, mais parce que chaque double page était remplie de colonnes faites à la main. Sur la première, il pouvait lire "semaine de la rentrée de Janvier", puis les mots "Potions" et "Essai à rendre". Il feuilleta les pages et vit que le planning s'étendait sur des mois entiers.

Il sentit l'émotion picoter ses yeux en réalisant que Granger avait fait ça pour lui. Elle avait pensé à lui, chaque ligne avait été écrite pour lui. Drago n'avait jamais connu autant d'attention de la part de quelqu'un sans avoir quelque chose en retour. Toutes ses relations étaient des deals, des marchés, des redevances, mais Granger avait fait ça par pure générosité, et il aurait pu fondre en larmes s'il arrivait à pleurer comme tout le monde.

"Putain, Granger, c'est…" commença-t-il, sa phrase légèrement tremblante par l'émotion.

Elle posa un doigt sur les feuilles du planning, coupant court à son remerciement :

"En vert, c'est les Potions." dit-elle en lui montrant les différentes lignes qu'elle avait écrit. En jaune, les Sortilèges, en marron, la Botanique, en violet l'Histoire de la Magie…" lista-t-elle en lui indiquant les endroits correspondants avec son doigt. Drago perdit vite le fil de son explication, parce qu'il fut distrait par l'une de ses boucles devant son visage qu'il replaça derrière son oreille pendant qu'elle parlait. Ses pommettes rougissèrent et il sourit, toujours satisfait de la voir réagir aussi fort au moindre contact, surtout quand elle était en colère.

"Tu retiendras ?" demanda-t-elle, et il acquiesça, bien qu'il n'avait aucune idée de ce qu'elle venait de dire. "Si tu veux déplacer un devoir un autre jour, tu tapotes simplement ta baguette dessus et tu la fais coulisser sur la journée souhaitée."

"Tu as fait tout ça à la main ?" demanda-t-il en feuilletant le cahier, où s'étalait des calendriers infinis jusqu'aux épreuves des BUSES en Juin. "Quand est-ce que tu as fait tout ça ?"

"Ce soir." lâcha-t-elle en reprenant sa plume pour continuer à remplir son propre planning.

"Pardon ?" dit Drago. "Tu veux dire que tu as écrit tout ça en une soirée ?"

"Oui. J'ai eu le temps." grinça Granger, qui évitait son regard.

Il comprit la raison de son irritation et reposa le carnet sur la table pour la fixer. Elle l'ignora en faisant semblant d'être plongée dans sa lecture.

"Hermione ?" appela-t-il doucement.

Quand elle ne put ignorer son regard plus longtemps, elle leva la tête vers lui avec un air de profond désintérêt, mais Drago la connaissait suffisamment pour savoir que c'était un leurre.

"Désolé de ne pas avoir pu venir plus tôt." dit Drago sincèrement. "J'étais en retenue."

Aussitôt, les yeux de Granger s'écarquillèrent :

"En retenue ?! Pourquoi ?"

"Tapage nocturne." marmonna-t-il.

Le choc de Granger se transforma en désapprobation en un claquement de doigt.

"Ah. Encore une de vos fêtes ?"

Drago repensa à Blaise en train de convulser par terre, ses yeux qui roulaient dans leurs orbites, ses hurlements de terreur.

"Ouais." marmonna-t-il. "On peut dire ça."

"Ce n'est vraiment pas raisonnable, Drago." sermonna Granger, qui ressemblait de plus en plus à Madame Pince au fil de la conversation. "Les BUSES sont dans moins de six mois, si tu continues à te coucher tard , à faire Dieu sait quoi dans ces fêtes… Si tu rates tes examens à cause de ce genre de… de pratiques, tu le regre…"

"Du calme McGonagall, c'était avant les vacances." dit Drago. "Je suis redevenu on ne peut plus sérieux, maintenant. Studieux et motivé. Parle-moi du planning."

Granger ferma la bouche, l'analysa quelques secondes silencieusement comme pour vérifier qu'il n'était pas en train de mentir, puis consentit à lui montrer son propre planning. Dès qu'elle tomba sur la bonne page, le carnet s'exclama :

"Bravo, vous êtes à jour dans vos révisions !"

"Tu devrais finir l'essai de Rogue." conseilla Granger en tapotant une ligne verte. "C'est le plus urgent. On verra pour les révisions des examens une fois que tu auras rattrapé ton retard. Tu veux de l'aide ?"

"Non." répondit spontanément Drago. "Je ne suis pas encore prêt à avouer que tu me bats dans ma matière préférée."

Granger pinça les lèvres mais ne répondit rien, et continua d'organiser sa semaine de manière tellement incompréhensible que Drago était persuadé qu'Albus Dumbledore en personne serait incapable de déchiffrer ses annotations.

Il se mit au travail. L'essai était facile, c'était un sujet que Drago connaissait bien grâce aux nombreux ouvrages qu'il avait lu, mais Granger avait raison. Il était tard, et bien trop vite, Pince se leva de son bureau pour prévenir les derniers élèves que la Bibliothèque allait fermer.

"Je terminerai ce soir." promit-il en voyant la tête de Granger quand elle constata tout ce qu'il lui restait à faire. "On se revoit demain, non ? Ici ?"

Elle passa son regard sur les étagères à côté d'eux et Drago eut soudain l'impression de tomber du premier étage du Château et de s'écraser sur le sol glacé.

"Ah. Tu préfères réviser avec Théo, c'est ça ?"

La peur panique que Théo puisse avoir eu le droit à cet endroit, s'asseoir sur cette chaise, goûter son thé à la cannelle et regarder Hermione travailler le saisit. Il s'étrangla à moitié et porta une main à sa poitrine pour calmer son rythme de cœur effréné. Granger, elle, resta parfaitement calme :

"Non. Pas du tout. Je te ferai dire que c'est toi que j'attends depuis des heures."

Cette phrase lui apporta un apaisement dont il aurait eu honte s'il n'avait pas été causé par elle. Il inspira profondément et l'inquiétude s'échappa de sa tête comme les filaments de pensées que Rogue capturait dans la Pensine. Elle savait toujours le rassurer, comme si elle pouvait lire dans ses pensées et trouver ses peurs. Et le pire, c'était qu'il la laissait faire. Elle était la seule qui pouvait rentrer dans sa bibliothèque mentale, parce que de toute manière, elle n'était occupée que par elle. Il avait rempli des centaines de livres rien que sur les souvenirs de ses lèvres contre les siennes, de son rire qui faisait vibrer quelque chose à l'intérieur de lui à chaque fois qu'il l'entendait.

"Et puis, Théo n'a pas besoin de moi pour réviser." ajouta Granger avec un petit sourire espiègle.

Drago avait envie de lui arracher, mais pas comme celui d'Astoria. Là, il préférait bien mieux l'embrasser et sentir le goût du thé sur ses lèvres.

Granger commença à ranger ses affaires dans son sac. Quelque part au loin, ils entendirent Madame Pince ranger des chaises qui grincèrent contre le sol.

"Granger, attends." dit Drago.

La concernée releva la tête sans comprendre. Drago fouilla dans son sac et sortit un paquet cadeau, qu'il posa sur la table.

"Joyeux Noël." dit-il, étonnamment un peu timide.

Il la regarda comprendre son geste et observer le paquet avec des gros yeux.

"C'est pour moi ?" demanda-t-elle avec stupéfaction.

Drago eut un sourire :

"Pour la sorcière la plus intelligente de ta génération, tu es douée pour poser des questions poussées, Granger." railla-t-il. "C'était en fait pour Madame Pince."

Il fit mine de reprendre son cadeau mais elle lui tapota le poignet pour l'arrêter. Elle prit le joli paquet blanc et l'analysa en le tatônnant pour deviner ce qu'il contenait.

"Qu'est-ce-que c'est ?"

"Encore une fois, Granger…"

"Ça va, j'ai compris !" piailla-t-elle, les joues déjà rouges.

Elle déchira l'extrémité avec une attention dont Drago n'avait jamais fait preuve lors de ses ouvertures de cadeaux de Noël et sortit un long écrin rectangulaire en velours bleu.

Granger haussa les sourcils et lui lança un regard interrogateur.

"Il faut que tu ouvres la boîte." suggéra-t-il ironiquement, bien que c'était pour cacher son propre trac.

Il avait offert des centaines de cadeaux à Pansy depuis qu'ils étaient enfants, du cerf-volant enchanté jusqu'à la dernière collection de parfums de luxe de Larmes de Lune, mais il n'avait jamais ressenti autant de plaisir à la voir ouvrir ses présents que Granger. Comme d'habitude, ses émotions étaient affichées sur son visage comme un livre. Elle n'osait pas le regarder et se mordait la lèvre nerveusement. Quand elle ouvrit enfin la boîte, ses yeux s'illuminèrent et elle plaqua une main devant sa bouche, exactement comme il l'avait prédit quand il l'avait achetée.

"Non, Drago, mon Dieu, je ne peux pas accepter ça !"

"Si, tu peux." dit-il avec un petit rire.

"Mon Dieu, mon Dieu, Drago, c'est…"

Elle sortit, d'un mouvement délicat comme si elle craignait qu'elle ne se brise en deux à la moindre secousse, la plume de paon du coffret bleu. Elle était immense, frôlant pratiquement son menton, et d'un plumage bleu envoûtant qui lui faisait penser aux couleurs des Serdaigles. Granger la contemplait, bouche-bée, comme si elle n'arrivait pas à réaliser qu'elle était en train de la tenir dans sa main.

"Je suis passée tellement de fois devant, à Scribenpenne…" murmura-t-elle. "Drago, je ne peux pas accepter ça, c'est beaucoup trop cher…"

Il leva les yeux au ciel en entendant cette remarque. Il lui donnerait l'entièreté de son coffre de Gringotts si elle lui demandait.

"Elle est magnifique." souffla-t-elle.

La joie qui se lisait sur son visage était enivrante. Il voulait lui en offrir une dizaine, de chaque couleur, juste pour la voir s'extasier de la sorte encore et encore. Sa poitrine se gonfla d'un sentiment que Drago avait rarement ressenti, un mélange de plénitude et de satisfaction de faire plaisir à quelqu'un d'autre que lui.

Elle leva la tête vers lui et ses yeux étaient embués de larmes de joie.

"Merci, Drago."

Il voulut lui dire qu'il pouvait lui racheter la boutique entière juste pour l'entendre prononcer son prénom une nouvelle fois, mais il se ravisa au dernier moment et se contenta d'un hochement de tête.

Submergée par l'émotion, elle se précipita sur lui pour lui faire un câlin. Drago aimait beaucoup de choses chez Hermione, tellement qu'il pourrait en remplir un rouleau entier de parchemin, mais la spontanéité de ses étreintes quand elle était heureuse était définitivement en haut du classement. Une seconde elle était à l'opposé de la table, la seconde d'après elle était dans ses bras. Il pouvait sentir les mèches rebelles de son chignon frôler son menton et ses bras le serrer le plus fort possible contre elle. Dans un réflexe, il encercla sa taille et y répondit avec la même ferveur.

"Merci, Drago. Ça me touche énormément."

Il eut une traînée de frissons le long de sa mâchoire en sentant son souffle contre sa peau. Il ne savait pas quoi répondre, il n'avait pas réalisé que cet achat puisse lui faire tant plaisir, alors il lui fit un baiser sur la tempe.

"La Bibliothèque va fermer !" annonça la voix stridente de Pince.

Drago maudit le timing mal trouvé de la bibliothécaire, surtout quand Granger s'éloigna de lui en sursautant.

"Mon Dieu, je ne vais jamais pouvoir la sortir devant les autres." dit-elle en rangeant sa nouvelle plume précautionneusement dans son étui. "Ils vont tous se demander comment j'ai pu l'acheter. Déjà que la caméra était suspecte…"

"On s'en fiche, tu peux la sortir quand tu seras ici." décréta Drago avec un haussement d'épaules.

Elle compta ses cahiers (il avait beau la voir faire chaque soir, il n'avait toujours pas compris pourquoi), les mit dans son sac (sûrement dans l'ordre dont elle en aurait besoin le lendemain), empila sa vingtaine de manuels qu'elle allégea avec un sort, puis les rangea avec une douceur telle qu'on aurait pu croire qu'elle berçait un nouveau-né.

Drago sortit en premier et Granger le suivit une minute après. Pince éteignit les torches et ils se retrouvèrent à la porte, dans le couloir vide et à moitié plongé dans le noir. Le seul portrait qui était accroché là était parti de son cadre, probablement pour rejoindre son ami près de l'infirmerie.

"Tu veux que je te raccompagne ?" proposa-t-il.

Granger secoua la tête :

"Non, il ne vaut mieux pas, je ne veux pas que tu te fasses attraper par un professeur et que tu te retrouves encore en retenue."

Drago était sûr qu'elle préférait plutôt éviter une confrontation avec Weasley, mais il hocha la tête tout de même.

"Bonne nuit Granger."

Il fut tenté de se pencher pour l'embrasser, mais c'était trop dangereux ici, aussi exposés, alors il tourna les talons en direction des escaliers.

"Drago, attends !"

Il fit volte-face. Granger serrait son sac contre sa poitrine et était positivement rouge pivoine.

"J'ai un cadeau, moi aussi." admit-elle, si bas qu'il eut du mal à l'entendre malgré l'écho des murs en pierre.

Il fronça les sourcils et s'approcha d'elle :

"Tu m'as déjà offert mon cadeau." dit-il en montrant son nouveau cahier. "Le planning."

Granger dansa d'un pied sur l'autre pour cacher sa gêne :

"Ce n'était pas ton cadeau de Noël, je voulais juste t'aider pour tes révisions…"

Le cœur de Drago pulsa de plus en plus fort contre son thorax à l'idée d'avoir deux cadeaux de la part de Granger en l'espace d'une soirée. Il trépignait pratiquement sur place.

"Qu'est-ce que c'est ?" demanda-t-il avec avidité.

Granger regarda autour d'elle malgré l'obscurité et secoua la tête :

"Allons sur le banc." chuchota-t-elle.

"Notre banc." corrigea-t-il sans même réfléchir.

Elle acquiesça et marcha en direction du Hall du Château. Il la suivit quelques pas derrière elle, assez pour faire semblant que ça soit un hasard mais pas trop pour ne pas la perdre des yeux.

Le Hall était encore occupé par quelques élèves qui rentraient pour le couvre-feu. Granger prétexta prendre les escaliers mais tourna au dernier moment pour atteindre la porte qui menait vers le parc. Dès qu'elle l'ouvrit, une bourrasque de vent balaya les mèches bouclées qui étaient posées sur ses épaules. Drago la suivit discrètement et ils marchèrent sur le chemin à deux mètres de distance l'un de l'autre. Quand ils arrivèrent sur le banc, ils constatèrent qu'il était entièrement enneigé. Drago resta debout, trop paresseux pour sortir sa baguette et faire fondre la neige.

"Alors, voilà…" dit Granger en fouillant dans son sac. "C'est un petit truc, ne t'attends pas à quelque chose de spectaculaire, rien à voir avec le cadeau de luxe que tu m'a offert…"

"Ce n'était pas du luxe, et tu en veux une depuis des années." objecta Drago.

"... je l'ai fait pendant les vacances, mais je comprendrais que tu ne puisses pas l'utiliser, je veux dire, c'est moldu, tes parents doivent t'en acheter des bien mieux réalisés…" poursuivit Granger sans faire attention à son interruption.

Elle fouilla tellement dans son sac qu'il se demanda si elle ne lui avait pas lancé un Sortilège d'Extension, et fut sur le point de lui faire remarquer, quand quelque chose dans sa phrase l'interpella :

"Fait ?"

Avant qu'elle ne puisse lui donner plus d'informations, elle sortit un petit paquet bleu foncé et lui tendit. Drago le prit sans la quitter des yeux et déchira le papier cadeau sans vergogne.

Quand il baissa la tête, il comprit qu'il tenait dans la main un bonnet en tricot bleu, le même bleu que celui de la plume. Il était assez simple, avec deux petits rabats sur les côtés pour couvrir les oreilles. Le tricot était réussi, mais Drago pouvait voir qu'elle l'avait fait à la main parce qu'il y avait des morceaux de peluches accrochés ici et là, et que la dernière rangée de mailles n'était pas droite.

"Tu as fait ça ?" demanda-t-il, émerveillé. "Pour… pour moi ?"

"Oui." répondit-elle, ses grands yeux posés sur lui comme pour évaluer sa réaction.

Drago l'observa sous toutes ses coutures, admiratif des progrès qu'elle avait fait. Il l'imagina tricoter un bonnet pour lui au milieu de tous les Weasley et son sourire s'agrandit.

"Tu sais que tu es la seule personne au monde à m'avoir offert des cadeaux faits à la main ?" dit-il sans même réaliser qu'il venait de le dire à voix haute.

Granger grimaça :

"Je comprendrais que tu ne veuilles pas le porter, il est loin d'être parfait…"

"Tu plaisantes ?" s'écria-t-il. Il enfonça le bonnet sur sa tête et fut surpris de voir qu'il lui allait parfaitement bien : le bord s'arrêtait pile en haut de ses sourcils, et les rabats protégeaient ses oreilles du froid. "Il est absolument parfait, je l'adore, Granger."

Si c'était possible, Granger rougit encore plus.

"Non, loin de là…" murmura-t-elle, et Drago ne savait pas vraiment s'il préférait la Granger timide ou la Granger fiévreuse. "Qu'est-ce que tu veux dire, jamais reçu de cadeaux faits main ?"

"Je n'ai jamais reçu de cadeau que quelqu'un d'autre qu'un elfe, un designeur de renom ou une manufacture célèbre de balai n'aurait fabriqué." expliqua-t-il. "Mes parents m'achètent toujours des cadeaux hors de prix, ma mère ne m'a jamais tricoté quoique ce soit, elle préfère acheter."

"C'est triste." dit Granger avec une moue compatissante.

"Je ne savais pas à quel point c'était enrichissant jusqu'à maintenant." confessa-t-il.

Elle lui fit un petit sourire timide. Il s'approcha d'elle et lui prit ses mains, qui étaient chaudes malgré la température dehors, et lui embrassa délicatement les phalanges. "Merci, Hermione. Je ne suis pas très doué pour parler de ce que je ressens, je serai donc incapable de te dire à quel point cette attention me touche quelque part où personne n'a jamais su aller jusqu'à présent, à part toi."

Il regarda son visage s'animer en entendant ses mots. Il ne lâcha pas sa main et passa son pouce sur sa peau douce.

"Un planning et un bonnet faits à la main." dit-il. "Je suis gâté cette année."

Elle eut un petit rire :

"Si Harry et Ron avaient eu la moitié de ta réaction quand je leur ai offert leurs plannings à Noël, je me serais considérée satisfaite."

Quelque chose se tordit douloureusement dans l'estomac de Drago :

"Potter et Weasley ont eu un planning aussi ?" demanda-t-il d'une petite voix. "Personnalisés ?"

"Non." répondit Granger. "Je les ai achetés à Fleury et Botts."

Quand Drago l'embrassa, il n'essaya pas de dissimuler le sourire en coin que lui avait suscité cette nouvelle, et Granger soupira à moitié contre sa bouche en le voyant si content. Pour une fois, Drago se fichait éperdument de se faire remarquer par des élèves errants, ou par les professeurs aux fenêtres. Il était tellement amoureux d'elle qu'il ne pouvait pas s'empêcher de l'embrasser, comme si son corps attendait simplement la prochaine fois qu'il pourrait le faire. Les problèmes de sa vie, qui lui paraissaient insurmontables le reste du temps, devenaient aussitôt des broutilles sans intérêt quand il l'embrassait.

Le petit baiser de remerciement se transforma bien vite, la timidité de Granger envolée, la volonté de Drago oubliée, et très vite, ils se rapprochèrent l'un de l'autre comme si leur vie en dépendait. Hermione agrippa le pull de Drago dans son dos et Drago passa une main dans les cheveux d'Hermione, sentant les boucles qui l'obsédait depuis cinq ans glisser contre sa peau.

"Merci, Hermione." murmura-t-il contre son oreille en lui embrassant le cou. Elle trembla dans ses bras. "Je les adore, et je t'adore."

Il faillit ajouter qu'il l'aimait, la phrase presque sur sa langue, mais étrangement, c'était bien plus facile de dire "je t'aime" en plein centre-ville d'un Londres bondé de Moldus que dans un parc désert à Poudlard. Elle leva la tête pour observer le bonnet :

"Il te va bien." commenta-t-elle.

"Pourquoi bleu ?" demanda-t-il.

"C'est la couleur de tes yeux." répondit aussitôt Granger. "Bleu océan. Ma préférée."

.

Quand Drago rentra au dortoir, il ressentait cet état de plénitude qu'il aimait et qu'il avait toujours après avoir passé plusieurs heures avec Granger. Il tenait son bonnet dans sa main et ne se lassait pas de le regarder, le soupeser, et apprécier la finesse des mailles que Granger avait tricoté pour lui et lui seul. C'était une sensation très étrange, comme si quelqu'un avait versé de l'eau chaude dans sa poitrine, une sorte de chaleur plaisante qui circulait de sa tête jusqu'à ses jambes.

La chambre était plongée dans le noir. Les deux lits en face de lui avaient les rideaux tirés et Drago n'arrivait pas à voir grand chose à cause de l'obscurité. Il n'y avait aucune lumière qui filtrait à travers l'eau du Lac Noir par les fenêtres. Drago se mit en pyjama et se brossa les dents le plus silencieusement possible pour ne pas réveiller Blaise et Théo, puis s'allongea dans son lit où il s'étira de tout son long.

Il se recouvrit de l'épaisse couverture avec la ferme intention de méditer et d'Occluder pour enfermer ses souvenirs de la soirée dans un livre de sa bibliothèque mentale, peut-être même feuilleter les calendriers que Granger avait écrit pour lui en s'endormant. Il posa sa tête sur l'oreiller frais et passa son bras en dessous, contrôle sa respiration pour qu'elle devienne égale et qu'il puisse méditer intérieurement quelques minutes, quand il sentit soudain quelque chose contre son bras, comme des chatouillements. Il fronça les sourcils et retira précautionneusement son bras. Quelque chose lui marchait sur l'avant-bras.

"Lumos." chuchota-t-il en pointant sa baguette hasardeusement vers le matelas.

La lumière jaillit de sa baguette et éclaira faiblement son bras. Il réalisa alors que la chose qui lui grimpait dessus n'était autre qu'une énorme araignée noire. Drago poussa un hurlement d'horreur et secoua son bras avec force. L'araignée fut projetée à côté de sa table de nuit, mais ça n'empêcha pas Drago de continuer de glapir avec horreur en frottant son bras contre la couette dans l'espoir de faire partir la sensation atroce des pattes contre sa peau.

"Hahahahaha !"

Drago se tourna et fut choqué de voir Théo assis sur son lit, les rideaux ouverts, hilare.

"C'est quoi ce bordel ?!" cria Drago.

"Vengeance !" chantonna Théo, qui avait l'air très fier de lui. "Tu te souviens quand tu m'as éclaboussé d'eau glacée, qu'on a fait une course poursuite ici et que Pansy m'a hurlé dessus parce que je lui ai jeté un coussin au visage ?"

"Ouais ?" dit Drago, qui tenait toujours son bras comme si quelqu'un l'avait découpé.

"Voici ma vengeance !" annonça Théo d'une voix théâtrale en pointant du doigt l'endroit où l'araignée avait atterrit.

"Tu te fous de ma gueule ?!" s'écria Drago. "Tu m'as mis ça juste pour te venger d'un truc que j'ai fait il y a presque un mois ?!"

"Tout à fait. La vengeance est un plat qui se mange froid, mon ami." dit Théo en français.

Il jubilait tellement que Drago fut à moitié tenté de lancer un Accio sur la pauvre araignée et lui jeter au visage.

"T'es taré !" cria Drago. "T'aurais pu réveiller Blaise !"

Il montra d'un mouvement de la main le lit fermé de Blaise.

"Il a pris une dose de potion avant de dormir, aucune chance." dit Théo. "Et puis, je te signale que c'est toi qui viens de hurler comme une petite fille i peine quelques secondes."

Drago grommela quelque chose, une insulte, mais Théo ne perdit pas son sourire.

"Et si un préfet était venu ?" tenta-t-il. "Tu avais envie d'avoir une autre retenue, déjà ?"

Théo haussa joyeusement les épaules :

"Ta tête valait largement le coup, crois-moi."

Drago remit la couverture sur lui mais n'osa pas tout à fait reposer sa tête sur l'oreiller. Théo eut un petit rire et pointa sa baguette vers le sol, à côté du lit de Drago, et lança :

"Evanesco Aranea !"

Il n'osa pas vérifier qu'il l'avait fait bien disparaître. Il tremblait des jambes et espérait que Théo ne puisse pas le voir de là où il se tenait, sur le bord de son lit, les pieds dans le vide.

"T'étais où, au fait ?" demanda Théo après quelques secondes. "Ça fait deux heures que je t'attends."

"Dehors." répondit vaguement Drago.

"Avec Astoria ?" demanda Théo.

Cette fois-ci, Drago se releva complètement de son lit comme s'il avait reçu un choc électrique.

"Pardon ?"

"Quoi ?"

"Comment tu peux me demander si j'étais avec Astoria ?" questionna Drago d'un ton effaré. "Tu t'es lancé un sortilège de Confusion sans faire exprès ?"

"Non, non, je sais pas, vous aviez l'air…" dit Théo évasivement, comme si ça répondait à la question.

"De se détester ?" compléta Drago. "Parce que c'est le cas. Elle est chiante et arrogante et insupportable. Je préfère passer une heure supplémentaire avec Rusard qu'avec elle. Comment tu peux penser…"

"D'accord, d'accord, désolé !" dit Théo en mettant ses deux mains en l'air pour l'arrêter. "Je ne pensais pas que tu le prendrais si mal. Tu es de mauvaise humeur."

"Et bien, je ne l'étais pas il y a deux minutes." grogna Drago en rabattant une dernière fois la couverture sur lui. "Bonne nuit, Théo. Nox."

Il ferma les yeux et commença à méditer. Les images de sa journée défilaient devant lui, il sortit un livre de sa bibliothèque, commença à noter tout ce dont il voulait se rappeler, quand la voix de Théo l'interrompit, à peine perceptible malgré le silence de la pièce :

"Tu vas bien ?"

Son ton était toujours différent lorsqu'il parlait en français, comme s'il allongeait ses mots.

"À part le fait que tu m'as mis une énorme araignée sous mon oreiller ? Super, Théo." répondit Drago avec sarcasme.

"Non." répondit-il, d'un ton qui n'avait plus rien à voir avec le rire qu'il venait d'avoir un peu plus tôt. Il paraissait vraiment accablé. "Est-ce que tu vas bien ?"

Drago leva la tête de son oreiller et aperçut les contours de la silhouette de Théo, qui n'avait pas changé de position.

"Pourquoi tu me demandes ça ?" questionna Drago sans comprendre.

"Tu sais, avec ta… tante, et tout ça." expliqua Théo craintivement. "Je ne sais pas trop comment je réagirais si j'apprenais qu'un membre de ma famille pouvait être capable de faire une chose pareille."

"Elle n'est pas de ma famille." coupa Drago. "Ma famille, c'est vous."

"Tu sais ce que je veux dire." dit Théo. Il pouvait entendre la tristesse dans sa voix et Drago devait résister à l'envie de se lever pour lui faire un câlin.

"Je vais bien, Théo. Je ne la connais pas, et avec un peu de chance, je ne la verrai jamais. Je ne l'imagine pas vraiment prendre un thé avec ma mère pour fêter leurs retrouvailles." le rassura-t-il, espérant même le faire rire un peu pour détendre l'atmosphère soudain tendue.

Sa phrase n'eut pas l'effet escompté. Il ne pouvait pas voir Théo, mais il devinait ses traits contractés par l'angoisse, ses yeux fuyants.

"J'ai peur." confessa soudain Théo, une phrase lourde et brusque dans le silence et l'obscurité de la pièce. Peut-être qu'en parlant en français, il espérait que son aveu soit moins pesant.

"Je sais." dit Drago dans un murmure. Et parce que Théo était l'une des seules personnes au monde à qui il pouvait se confier, même sur des ressentis tellement profonds qu'il avait du mal à les faire ressortir lui-même parfois, parce que la pièce était plongée dans la pénombre et qu'il ne pouvait pas voir son visage, parce que Théo attendait une réponse, une réaction, n'importe quoi, il ajouta : "Moi aussi."