Il sentit la dureté du sol sous son corps. De la pierre froide racla sa peau quand il voulut bouger le bras. Son dos le lançait. On avait dû le jeter comme un sac sur le sol, inconscient. Il ouvrit les yeux sur une obscurité épaisse. Une odeur de moisissure et de poussière s'attardait dans sa bouche et sa gorge. L'air était putride dans cet espace humide. Il tendit l'oreille, attentif au bruit crissant des griffes des rats qui trottaient près de lui. Il cessa de chercher à voir, et se refusait à tâter les murs, dégouté par ce que ces doigts auraient pu découvrir. Dans ce gouffre noir, il attendit. Il se dit qu'il était fou de ne pas avoir peur.
Il n'eut pas à attendre longtemps. On vint le tirer de sa prison fétide quelques heures après son réveil. Les rats n'avaient même pas eu le loisir de lui bouloter les doigts.
Il s'en doutait.
Sa présence était un tel miracle que ses geôliers et peut-être futurs tortionnaires devaient trépigner d'impatience à l'idée de le rencontrer. Il ne partageait pas leur enthousiasme.
Il les entendit descendre vers lui. La première fois qu'ils étaient venus, il avait essayé d'identifier leur provenance, plus par désir de tromper l'ennui que par réel intérêt. Il se demandait si on l'avait enfermé dans une cave ou dans des combles. Le bruit de leurs pas lourds et le cliquetis des bottes à boucles lui étaient parvenus du dessus, avant de passer devant sa porte. On avait tiré un homme de sa cellule. Il en avait déduit que c'était un homme, même si les hurlements qu'il avait discernés ressemblaient davantage à un animal. Peut-être aux sons plaintifs des chevaux ou des moutons qui arrivent à l'abattoir et comprennent.
Mais cette fois, les pas s'arrêtèrent devant sa porte, et d'instinct, il se couvrit le visage quand il entendit qu'on ouvrait sa cellule. Même tamisée par son bras en travers des yeux, la lumière lui blessa les pupilles. Pourtant, elle était faiblarde. Il se leva rapidement, oubliant son dos douloureux. Il voulait être debout, c'était là sa posture de confiance, toujours debout.
Deux hommes se tenaient dans l'encadrement de la porte, l'un d'eux n'aurait pas pu la franchir sans se courber. Une carrure imposante et menaçante, un ogre. Il sourit, et des dents jaunes, anormalement pointues, découpaient toute sa bouche.
- Sors de là, Trésor, tu es attendu.
Il releva le menton, et sans quitter l'ogre des yeux, il sortit de sa prison, jaugeant le monstre. Il n'appréciait pas le sobriquet que les rafleurs lui avaient donné. Greyback avait perçu le faible pincement de ses lèvres, signe d'irritation du garçon et semblait maintenant résolu à ne l'appeler qu'ainsi. Il approcha de l'homme-loup sans peur, la mine un peu hautaine, ce qui sembla amuser le colosse. Il faut dire qu'il lui arrivait à peine à la poitrine. À nouveau, cette odeur de sang et de sueur. La chemise, autrefois blanche, était couverte de taches brunes, flaque de sang séché sur flaque de sang séché. Une autre senteur lui parvint, plus douce, car plus familière, celle de sa peau. Et la peur le saisit.
Quand on les avait capturés, il n'était pas seul.
« Étrange, roucoula Fenrir, la voix douce plus effrayante encore. Maintenant que tu es proche de moi, tes pupilles se sont dilatées. » Il s'approcha et le huma. L'odeur familière à nouveau, et le garçon eut un mouvement de recul. « Et ton cœur s'accélère, ta respiration aussi. »
Peste de ces loups ! pensa-t-il. Ils voyaient trop de choses, comme d'habitude.
- Les pupilles dilatées c'est le désir, l'excitation, non ? s'amusa Greyback en le dévorant du regard.
Et la tendresse, pensa le garçon, mais la bête ne devait pas connaître le mot. Et surtout, il ne devait pas savoir.
Un rafleur apparut en haut des escaliers, portant une forme lourde, mais indéfinie. Il la jeta dans les escaliers et elle dégringola sur les marches. On aurait pu en douter, mais c'était bien un corps. Un amas de peaux couturées, puis déchirées et recouturées, de sorte que la chair ne semblait plus adaptée au corps de celui qui la portait.
La chose s'écroula à ses pieds, et il discerna enfin le visage d'un adolescent, un peu plus âgé que lui sans doute. La peau avait été rose, elle était violacée, saccagée par les coups reçus.
Un instant, il eut peur. Non pour lui, mais pour celui qu'il allait devenir. Il se demanda ce qu'il serait capable de voir, d'endurer… de pardonner.
- Pourquoi tu descends des macchabées dans les caves ? s'insurgea Greyback en interpelant le porteur de corps.
- Il n'est pas mort. Mais encore une séance avec Yaxley, et c'est fini pour lui, même si on fait venir le guérisseur.
- Si, il est mort ! insista Fenrir. Il est refroidi ton gars, il a plus de pouls.
- Merde, il a dû claquer pendant que je l'amenais. Je le remonterai plus tard, j'en ai d'autres à descendre.
- Tu vas l'aider, dit Greyback à son acolyte, et il se tourna vers le garçon. « Moi, j'emmène Son Altesse se décrasser. » Il le poussa vers les marches d'un coup entre les omoplates qui faillit le faire trébucher.
Ils enjambèrent le corps pour monter les escaliers.
Quand ils arrivèrent à l'étage, il eut un pincement au cœur, et une insidieuse, traitresse sensation de bien-être l'envahit à la vue de ces couloirs, de ces tapisseries. Il se retint de tendre la main pour toucher les boiseries. Il ne voulait pas admettre qu'il était chez lui.
Le loup-garou l'emmena dans l'aile nord, une partie du manoir qu'il n'utilisait pas, celle des domestiques, et des intendants.
Alors qu'ils traversaient les enfilades de portes les moins ouvragées du château, ils arrivèrent dans une salle d'eau rustique, baignée dans la vapeur d'eau, tout en carrelage avec une baignoire en fonte en son centre. Une chaise au bois craquelé complétait le tableau blanc.
Greyback le poussa à l'intérieur et entra à sa suite. Il désigna la baignoire de sa tête velue.
« Baigne-toi. Tu ne vas pas voir le Seigneur des Ténèbres tout crasseux. »
Il garda le silence, attendant que Fenrir sorte de la pièce, qu'il puisse se dévêtir.
Mais l'ogre restait là, planté devant lui, sans faire un pas pour sortir. Lui-même resta immobile jusqu'à ce que Fenrir leva les sourcils en lui montrant ses vêtements avec un signe d'impatience. Il comprit. Évidemment, il voulait qu'il se déshabille devant lui. L'humiliation comme la peur constituait une friandise pour cette brute.
Il soutint son regard et ôta ses chaussures. Le sourire de Greyback s'agrandit. Sourire qu'il perdit quand son mouvement suivant fut d'entrer dans la baignoire toute habillé.
« Teigne !» lâcha Fenrir, retroussant les babines.
Ah enfin, un surnom qui le définissait, beaucoup plus approprié que Trésor.
Le garçon ne desserra pas la mâchoire. Le loup n'en valait pas la peine. Il retira ses vêtements terreux et souillés et les laissa flotter dans l'eau, couvrant sa forme. Il essaya d'ôter la terre et la poussière de sa peau avec le petit morceau de savon qui lui avait été laissé. Cela ne serait pas assez pour ces longs cheveux, mais il n'en avait cure. Se laver lui fit du bien, et il se moquait bien du regard de Fenrir posé sur lui.
Un elfe de maison vint avec une serviette et des vêtements qu'il posa sur la chaise. Sans lui adresser un seul mot, l'elfe lui tint la tête en arrière et se mit à lui démêler ses longs cheveux avec force et il se retint de grimacer de douleur. L'elfe partit sans mot comme il était venu.
Le garçon fit un mouvement pour attraper la serviette, mais Greyback emporta doucement la chaise qu'il fit glisser sur le carrelage dans un bruit crissant, l'éloignant de la portée du garçon. Fier de lui, il attendit. Le garçon ne bougea pas, la colère montait en lui en bouillon.
« Crois-moi, Trésor, tu ne veux pas faire attendre le Seigneur des Ténèbres.»
La bile lui remonta dans la gorge. Plus il tentait de garder une expression impassible, plus la rage enflait. Il devait rester calme. Pour une fois dans sa vie, rester serein.
Il se décida à se lever, avec toute la dignité qu'il put rassembler, ignorant la honte qui lui hérissait la peau, plus encore que le froid. Il sortit de la baignoire, nu, et se dirigea vers l'homme-loup qui l'étudiait sans retenu, semblait inscrire chaque courbe dans sa mémoire.
Il se dit que, si Greyback se passait la langue sur les lèvres, il lui enfoncerait le reste du savon au fond de la gorge. Le chemin jusqu'à la chaise lui sembla interminable, il était conscient de l'air sur sa chair nue, de chaque pas sur le carrelage froid, des yeux qui ne le lâchaient pas. Il voulut prendre la serviette des mains de Fenrir, mais celui-ci refusait de la lâcher, le sourire aux lèvres, prolongeant le moment indigne.
Il prend son pied le fumier, se dit-il. Soit.
Les premiers mots d'une rencontre doivent être soigneusement choisis. Sans doute, les choisit-il bien mal.
- Profite de la vue, la bête, bientôt tu devras t'agenouiller devant moi.
Fenrir eut un rictus. La voix suave qu'il entendait pour la première fois semblait l'amuser.
- Plus personne ne s'agenouille devant les Malfoy, Trésor.
- Si, les Sang-de Bourbes… et les sous-hommes.
C'était une erreur, une énorme erreur… Mais c'était tellement bon.
Il se retrouva projeté à terre, ses fesses puis ses épaules heurtèrent violemment le carrelage, et en une seconde, la masse de Fenrir le recouvrait, les ongles acérés menaçaient de s'enfoncer dans la chair de son torse. Son poids sur sa poitrine lui écrasait les poumons. Il tenta de le repousser, mais ses bras maigres cognaient du marbre. Le loup ouvrit la gueule sur sa gorge, et il se dit que c'était terminé pour lui.
« Greyback, mon cher Greyback !»
La bouche du monstre était sur son cou, mais les dents ne brisaient pas la chair. Il attendit la morsure, mais elle ne vint pas. Les lèvres quittèrent sa peau et il respira à nouveau.
Derrière eux se tenait un homme grand et brun, amusé de la scène. Il s'appuya sur le chambranle de la porte, et secoua doucement l'index, comme on réprimande un enfant indolent :
« Tu ne vas pas l'abîmer, Fenrir ? Ce ne serait pas malin. » Il s'approcha, et s'accroupit avant de poser une main sur l'épaule du loup. « Je prends le relai, mon ami. Apparemment, ce jeune homme te fait perdre ton sang-froid. »
Greyback grogna, mais abandonna le garçon à terre.
« Je n'en ai pas fini avec toi, Trésor », grinça-t-il avant de quitter la pièce en claquant lourdement la porte à sa sortie.
« Quel ennemi tu t'es fait ! » se mit à rire l'homme, « Je serais toi, je surveillerais mes arrières. Fenrir à la rancune longue… et féroce. »
Il lui tendit une main et l'aida à se relever. Il avait l'allure d'un pirate élégant, au style soigné, mais ses vêtements, aux matières solides, avaient terni, lui donnant un air de baroudeur. Ces cheveux longs étaient pris dans un bandeau noir, des yeux clairs étaient soulignés par un trait noir, approfondissant son regard. Le sourire arrogant aux lèvres et l'étincelle de méchanceté dans ses yeux n'enlevaient rien à sa beauté. Calculateur, séducteur… et donc dangereux.
« Je m'appelle Scabior. » Son nom ne lui disait rien. « Et toi ? Tu t'appelles ? »
l ne desserra pas les dents et l'homme lui sourit, songeur.
« Hum, bien sûr… » Il lui tendit les vêtements qu'il avait apportés. Il les prit et se vêtit.« Tu peux garder le silence, mais ton physique ne trompe personne. C'est sans doute pour cela que tu es encore en vie, tu le sais bien. »
L'ignorant, le garçon enfila le pantalon et la chemise sous l'œil amusé de Scabior qui l'étudiait avec soin, un sourire narquois imprimé sur le visage qu'il avait certes beau, mais où se lisait une malice fiévreuse.
« Je dirigeai la troupe de rafleurs qui vous ont attrapé, toi et ton ami. » Il scrutait le garçon qui ne cessa pas de boutonner sa chemise et il continua : « Nous n'avons pas pu avoir les autres, malheureusement. Mais cela, tu le sais, car c'est toi qui as bloqué le passage qui leur a servi à s'enfuir. Et maintenant, personne ne sait où ils sont. »
Cette fois, le garçon cessa de s'habiller et leva les yeux vers l'homme. Ravi d'avoir capté son attention, celui-ci prit la cravate sur le dos de la chaise et s'approcha de lui. Il passa le tissu autour de son cou, appliqué à faire le nœud, le visage proche du sien.
« Évidemment, j'ai des questions à te poser. Pour le moment, je n'ai pas dit au Seigneur des Ténèbres que nous n'avions pas capturé les autres à cause de toi. Je ne sais pas pourquoi. Mais… » Il serra le nœud de cravate, bien trop fort au goût du garçon, et plongea son regard dans le sien. « … je sais que, si j'ai besoin de quelque chose, je peux venir te trouver, n'est-ce pas ? »
Une rencontre désagréable. Il ne pensait pas que sa manœuvre avait été visible pour leurs poursuivants. S'il était pris, cela n'avait pas d'importance, mais les autres… Ils n'auraient pas pu survivre.
Scabior n'aurait pas dû voir cela. C'était une défaite, mais il savait perdre avec élégance. Il se résolut et lui donna son plus beau sourire de circonstance.
« Bien évidemment. »
Scabior sembla surpris et son amusement redoubla. Au fond, ils étaient de la même race.
La porte s'ouvrit et un elfe de maison entra et s'inclina jusqu'à ce que son nez touche le sol.
« Pardonnez-moi de vous déranger, vous êtes attendus dans la grande salle à manger pour le dîner. »
Scabior lui tendit son bras, avec la courtoisie d'un gentleman.
« Je vous escorte chez vous, my Lord ».
Il lui servit son plus beau sourire hypocrite et s'accrocha à son bras. Le dos droit, et la démarche assurée, il laissa Scabior l'emporter vers le cœur du Manoir.
C'est le moment Scorpius, se dit-il. Essaie juste de ne pas mourir.
Fin du Chapitre 3
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