2. Démêler le vrai du faux.
Izuku faisait des nuits vides, sans rêve et sans cauchemar, comme si sa tête, son cœur ou son âme n'était pas tout à fait là. Ou peut-être qu'il ne s'en souvenait plus, tout simplement. Il n'en parla pas à sa psychiatre, il ne voyait pas ce que ça pourrait lui apporter. S'il lui disait qu'il dormait mal parce qu'il avait peur de ses nuits fantômes, elle lui filerait d'autres médicaments, comme des somnifères, et Izuku considérait qu'il en prenait déjà bien assez.
Il n'était toujours pas rentré chez lui, même s'il avait fini sa rééducation. Il était coincé dans la section psychiatrie de l'hôpital jusqu'à ce que l'on considère qu'il aille vraiment mieux, qu'on pouvait le lâcher dans la nature sans qu'il ne soit un danger pour lui-même ou pour les autres. Après tout, il se prenait pour un super-héros, n'essayerait-il pas de sauver des gens en mettant sa vie en danger de façon totalement insensée?
Izuku n'avait rien dit à ce sujet. Parce qu'il savait qu'il aurait été parfaitement capable de mettre sa vie en danger pour sauver des gens. Ce n'était pas la première fois qu'il le faisait après tout.
Enfin… Techniquement, il ne l'avait jamais vraiment fait. En tout cas pas en étant un super-héros.
Mais son cerveau était persuadé du contraire.
Sa psychiatre, une femme blonde et quelques rides au coin des yeux, était une femme dans la quarantaine qui portait des tailleurs sous sa blouse et lui souriait comme à un enfant perdu. Et c'était peut-être ce qu'il était dans le fond. Assise près de son lit, elle le scrutait, essayant sans doute de voir à travers les méandres de son cerveau qu'elle aurait voulu pouvoir disséquer pour mieux le comprendre.
— Aujourd'hui, j'aimerais que vous me parliez de votre souvenir le plus ancien, dit-elle.
— Un vrai souvenir ou un faux souvenir? demanda Izuku. Non que je sache faire la différence de toute façon, ajouta-t-il amer.
— Peu importe, dit-elle, votre souvenir le plus ancien.
Izuku ferma les yeux, fit du tri, prit son temps. Puis enfin, il répondit:
— Ma mère m'avait offert un costume d'All Might, dit-il, et elle jouait avec moi à attraper des vilains. Je devais souvent la sauver et quand je la retrouvais dans la maison, elle me prenait dans ses bras et me félicitait. Pour elle j'étais sans doute le meilleur des héros.
La psychiatre l'écoutait tout en prenant des notes.
— J'ai posé quelques questions à votre mère pour réussir moi-même à démêler le vrai du faux, dit-elle, et il est vrai que vous êtes un fan d'All Might depuis tout petit, mais ce n'est qu'un vieux dessin animé.
— J'ai cru comprendre, fit Izuku amer.
Kacchan lui avait montré des épisodes sur sa tablette en venant le voir, et effectivement, All Might n'était pas de chair et d'os, mais bel et bien un personnage dessiné et inventé. Izuku ne pouvait pas le nier alors qu'il avait la vérité en face, et pourtant tout au fond de lui, le doute persistait.
— Moi aussi je suis un grand fan, lui avait avoué Kacchan.
Izuku le savait déjà, c'était quelque chose qui les rapprochait.
Il soupira et se concentra sur la nouvelle question de sa psy.
— Racontez-moi un souvenir que vous pensez faux maintenant que vous connaissez la réalité.
— All Might me donnant son Alter, répondit automatiquement Izuku. Je pensais que c'était le plus beau jour de ma vie parce que j'allais enfin avoir un super pouvoir moi aussi et devenir un super-héros. Encore meilleur qu'All Might lui-même. Mais puisqu'il n'existe pas, je doute avoir un quelconque super pouvoir.
Et de toute façon Izuku avait essayé et essayé encore de l'utiliser, en vain, c'était comme avant, quand il n'était qu'un naze sans Alter. La seule différence c'est que personne d'autre n'en avait. Absolument personne. Les Alter n'existaient pas.
— Maintenant, racontez-moi quelque chose dont vous ignorez si c'est vrai ou faux?
— Est-ce que va vraiment m'aider à faire le tri?
— Peut-être qu'à force de décortiquer vos souvenirs, vous vous rendrez compte qu'il y a une part de délire dut à votre commotion cérébrale. Vous finirez par réussir à retrouver prise sur la réalité, je n'ai aucun doute là-dessus. Alors, dites-moi.
Izuku tenta:
— J'ai nettoyé la plage de sa montagne de déchets. Ça m'a pris des mois. Mais je suis devenu plus musclé, plus fort.
La psy secoua la tête comme s'il l'avait déçue.
— La plage n'est pas nettoyée Midoriya, c'est donc un faux souvenir.
Un faux souvenir.
C'était vrai qu'il était maigrichon.
Comment aurait-il pu nettoyer la plage?
Avec l'aide d'un personnage qui n'existait pas?
Il eut un rire amer.
— Je ne m'en sortirai jamais, dit-il.
— Pourquoi pensez-vous ça?
— C'est trop dur, répondit Izuku.
Mais il n'en dit pas plus. Il n'expliqua pas que si c'était si dur c'était qu'il haïssait ce monde, cette «normalité», cet endroit. Il n'avait pas envie d'accepter qu'All Might n'existait pas, qu'il n'avait pas d'Alter, qu'il n'était pas un super-héros et que les super-héros n'existaient pas. Il acceptait son sort à contrecœur et pour que sa mère cesse de pleurer, mais ça ne voulait pas dire que ça lui faisait plaisir et qu'il avait envie d'y mettre de la volonté.
Il avait envie de pleurer toutes les larmes de son corps lui aussi parce qu'on le privait une deuxième fois de son rêve. Tout ça à cause d'un foutu accident de vélo.
Izuku ignorait s'il aurait préféré ne jamais mélanger rêve et réalité ou ne jamais avoir été un super-héros même pour de faux.
Les discussions avec la psychiatre parurent durer une éternité. Inko rendait visite à Izuku, elle lui apportait des gâteaux faits maison, lui souriait et caressait sa joue avec tendresse:
— Tu fais beaucoup de progrès à ce qu'on m'a dit, tu vas bientôt pouvoir rentrer à la maison.
Izuku ne faisait pas de progrès, il apprenait simplement à mentir. Ça devenait facile après des jours d'entraînements. Tout ce qui se rapportait de près ou de loin d'All Might, tout ce qui avait fait de lui un super-héros, toutes histoires de pouvoirs et d'Alter, tout ça était considéré comme faux et donc Izuku savait faire semblant de savoir séparer le vrai du faux. Et jamais, jamais, absolument jamais, il n'aurait dit que ces foutus souvenirs lui paraissaient plus réel que cet endroit où on le bourrait de médicaments pour qu'il reste bien sage.
Kacchan venait lui aussi. Il ne posait jamais sa main sur sa joue – et Izuku se demandait s'il aurait aimé qu'il le fasse – et ne le félicitait pas pour ses progrès. Il parlait juste de la vie au-dehors, de leurs amis, des études des cours, ou du monde. Avant de partir, il engueulait son ami d'enfance «magne-toi de guérir». Et Izuku faisait tout ce qui était possible pour se «magner», même si ça signifiait manipuler une psychiatre, des médecins, tout un hôpital.
Au bout d'un moment Izuku découvrit qu'il se sentait beaucoup plus alerte quand il ne prenait pas ses médicaments. Il avait essayé une fois d'y échapper, alors que l'infirmière avait le dos tourné, il les avait cachés dans sa poche puis plus tard fait disparaitre dans les toilettes. Il s'était senti plus lucide, moins fatigué. Alors il avait recommencé, il faisait semblant de les prendre et les cachait avant de les jeter.
Comme il s'était montré assez docile depuis longtemps, personne ne le soupçonnait de ne pas prendre les drogues qu'on lui refourguait, et tant mieux, il n'en avait pas besoin. Il n'était pas fou. Il était juste… Désorienté.
Il mentait à la psy, il mentait même à sa mère et son ami d'enfance, il mentait à chaque personne qui venait le voir parce qu'il n'arrivait à faire confiance en personne. Il avait tenté une fois de dire la vérité à Kacchan, de lui expliquer ce qu'il ressentait. Qu'il aurait voulu que le monde de super-héros existe vraiment parce qu'il avait mal de cet endroit sans Alter. Immédiatement le blond explosif avait répété ses propos aux médecins. Il avait dit l'avoir fait pour le bien d'Izuku, mais ce dernier s'était senti trahi par la personne la plus importante pour lui. Maintenant, il préférait ne plus rien dire qui sorte du cadre. Il souriait au bon moment, il jouait un rôle dans cette vie qui était la sienne, mais plus tout à fait. Un accident de vélo lui avait sans doute flingué le cerveau, n'empêche que pour lui le monde des Alters paraissait si réel, qu'il en éprouvait les sensations. Encore plus depuis qu'il avait cessé de prendre ses médicaments. Il s'était pincé plusieurs fois pour sortir de ce cauchemar en vain. À un moment il avait même fouillé sa chambre à la recherche de caméra en se demandant s'il n'était pas prisonnier d'une mauvaise blague comme dans le film «the Truman show».
Ses souvenirs paraissaient trop clairs, trop vrais. Certes il était incapable de se servir de ses pouvoirs, et il avait constaté de lui-même que personne dans ce monde n'en avait et pourtant, buté (peut-être aussi effrayé), il ne se faisait pas à l'idée.
Il faisait simplement semblant.
Et il mentait si bien (lui qui était terriblement honnête) qu'on finit par lui dire qu'il allait pouvoir quitter l'hôpital. Enfin. Il commençait à étouffer entre ces quatre murs. Peut-être que reprendre une vie normale, une vie banale, l'aiderait à se remettre tout seul les idées en place. Que ses faux souvenirs disparaitraient et qu'il ferait face à la réalité.
— Comment vous sentez-vous? lui demanda la psychiatre pour leur dernière séance avant qu'il ne quitte l'hôpital.
— Bien, mais un peu stressé, admit-il.
— Pour quelle raison stressez-vous?
— Je ne sais pas, j'ai peur de tout à coup ne plus savoir faire face à la réalité, de me perdre.
— C'est une peur tout à fait normale au vu de ce qui vous est arrivé, mais vous vous débrouillez très bien et je suis sûre que tout se passera bien. De plus vous ne serez pas seul, votre mère et Bakugo seront là pour vous aider, ainsi que tous vos amis.
— C'est vrai.
Il ne serait pas seul et pourtant il n'aurait personne pour parler de ce qu'il ressentait réellement, sans risquer un nouveau tour à l'hôpital psychiatrique. Il ne voyait pas trop en quoi ce serait différent de la solitude, finalement.
Inko était soulagée qu'il sorte le lendemain, car cela prouvait que son fils chéri allait mieux. Kacchan, qui le connaissait si bien, semblait le surveiller comme du lait sur le feu. Mais Izuku se contentait de lui faire des sourires rassurants.
C'était la dernière nuit dans cette chambre aux murs et à l'odeur aseptisé, Izuku ne savait pas comment se sentir à propos de ça. Il quittait l'hôpital, mais il avait l'impression d'être jeté dans un monde inconnu pour lui et il avait peur de perdre ses marques, de ne plus savoir qui il était et ce qu'il devait faire. Malgré son stress il s'endormit assez facilement.
Et puis il y eut la douleur.
Et les cris.
— Izuku, Izuku putain réveille-toi, Izuku.
Que se passait-il?
Est-ce qu'un truc grave arrivait?
Pourquoi est-ce que la voix de Kacchan l'appelaitainsi alors qu'il n'était pas censé être à l'hôpital hors des heures de visite?
Et pourquoi avait-il si mal?
Un instant, il ouvrit les yeux, tout était flou, mais il reconnut Kacchan au-dessus de lui, il put voir son air effrayé comme s'il se passait quelque chose de grave.
— Izuku!
Izuku leva doucement la main comme s'il voulait toucher Kacchan, ce Kacchan-là, pour le rassurer, lui dire que tout allait bien. Ce n'était qu'un accident de vélo.
Mais il se sentait trop épuisé et sa main retomba toute seule, ses yeux se refermèrent et la dernière chose qu'il entendit furent les cris de Kacchan:
— Izuku reste avec moi, je t'en prie.
Quand il rouvrit les yeux, la douleur avait disparu et il était à l'hôpital. C'était le matin, et il se sentait nauséeux. Il avait fait ce drôle de rêve, de cauchemar. Il ne savait pas ce qu'il signifiait, mais il lui avait paru si réel, tellement plus réel que cette chambre à l'odeur de médicament. Il ne réussit pas à sourire quand sa mère arriva. Elle le trouva pâle, le questionna sur son état et il mentit.
— Je vais bien, assura-t-il. Je suis content de pouvoir sortir.
C'était vrai. Mais ce n'était pas tout ce qu'il ressentait.
Il revoyait l'air effrayé du Kacchan de son cauchemar, il entendait encore sa voix l'appeler, le supplier. Il ne comprenait pas pourquoi un songe le touchait aussi brutalement, mais il n'arrêtait pas d'y penser.
Seulement, il préféra garder tout ça pour lui, il allait enfin sortir de l'hôpital, il n'allait pas tout gâcher à cause d'un rêve. Un simple rêve. N'est-ce pas?
À suivre.
L'autatrice: et bien voilà la suite, merci à ceux qui ont commencé à lire cette fic et à vos messages d'impatience, ça fait plaisir de vous savoir investis.
