Le monde de Stiles était plutôt fade. Le matin, c'était douche et petit-déjeuner rapide. Ensuite, venait le trajet jusqu'au lycée. Le soir, il faisait ses devoirs, prenait ses médicaments, pensait parfois à manger un bout et dormait. Une vie simple et morne qui l'aidait à tenir le coup, à rester en vie. Stiles avait mis plusieurs mois à se remettre de l'épisode du Nogitsune et de la mort d'Allison, sans parler du meurtre de Donovan. Bien sûr qu'il se sentait toujours coupable. Néanmoins, il avait réappris à vivre, un poil différemment toutefois.
Il avait fallu qu'il s'adapte à ses traumatismes.
Stiles en avait beaucoup trop vu et trop subi pour un garçon de dix-sept, bientôt dix-huit ans. Malheureusement, il avait bien du mal à réparer ses blessures psychologiques, seul.
Alors que le jeune homme garait son éternelle Jeep près du lycée, il soupira et se mentalisa. Souriant et blagueur voilà comment apparaissait Stiles devant ses amis. Pas un seul n'avait encore découvert sa comédie. La souffrance, la tristesse, les démons… Tout cela devait rester chez lui, entre les quatre murs de sa chambre. Ni Scott, ni Isaac, ni aucun autre n'avait besoin de savoir qu'il n'allait pas aussi bien que ce qu'il prétendait.
Ils avaient leurs problèmes.
- Salut Stiles ! S'écria Lydia en le voyant arriver.
L'hyperactif se para de son sourire idiot habituel comme si c'était une défense. Un bouclier contre tout doute, tout problème.
- Salut ma belle, lui dit-il d'un ton égal. Tu es très en beauté aujourd'hui.
- Ah parce que d'ordinaire, je ne le suis pas ? S'indigna faussement la rouquine. Tu ne peux pas dire que j'ai mauvais goût, alors que tu t'habilles toujours comme le geek que tu es.
- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, enfin… T'es toujours jolie, ça, c'est sûr. Mais là, tu…
- On a compris, Lydia est jolie, les interrompit Scott, d'un ton un peu bourru.
Puis, le lycéen s'excusa pour sa brutalité qui surprenait encore tout le monde. Stiles lui répondit la même chose que d'ordinaire c'est pas grave. Scott souffrait encore énormément de la mort de sa petite-amie. Il n'avait même pas pu lui dire au revoir. Et Stiles… Stiles n'avait oublié aucun détail de cet évènement. Officiellement, Stilinski n'avait aucun souvenir des moments où le Nogitsune l'avait possédé. En réalité, il avait recouvré chacun de ses souvenirs assez vite. Dieu seul savait à quel point ils le hantaient. Sans parler du meurtre de Donovan, que Scott avait su à cause de Théo. Scott, son meilleur ami, qui l'avait accablé, sans chercher à savoir ce qui s'était réellement passé. Stiles mit sa main dans la poche de sa veste et serra doucement la petite boîte qu'il avait mise à l'intérieur. Il fallait qu'il se retienne. Le soir, seulement le soir, se rappela-t-il douloureusement.
Souris, Stiles. Faire semblant. Stilinski était passé maître dans la matière, après des mois à mentir sans arrêt. Aucun loup ne s'était rendu compte de rien, parce qu'il se faisait plus discret et ne perdait que rarement son sourire devant eux. Ainsi, on lui posait moins de questions, ce qui réduisait ses chances d'être découvert. Néanmoins, l'expert ne pouvait pas continuer ainsi sans faire d'erreur. Et ça avait déjà commencé.
- D'ailleurs, Scott, je pourrais te parler, s'teuplaît ? Demanda innocemment Stiles.
Même si sa question semblait anodine, ce n'était pas réellement le cas. Le jeune Stilinski ruminait et repoussait depuis des mois le moment où il irait demander à Scott s'ils pouvaient être amis comme avant. Stiles en avait besoin. Oui, Scott avait perdu sa petite-amie. Il était d'ailleurs soutenu et aidé par toute la bande. Mais qui savait que Stiles n'allait pas aussi bien qu'il le prétendait ? Qui était là pour lui, qui le soutenait ? Personne, pas même son père, avec qui le fossé ne cessait de se creuser.
Stiles allait très mal et approchait de ses limites. Gérer ses problèmes seul, c'était une chose. Les enchaîner et les garder pour soi trop longtemps en étaient une autre. Il se sentait mourir, petit à petit, comme si une noirceur sans nom aspirait son âme torturée.
Le regard de Scott se posa sur Stiles mais ne s'y attarda pas. Instantanément, l'hyperactif ressentit une douleur aigue mais ne montra rien. Ça ne veut rien dire, n'est-ce pas ?
- Pas maintenant, on va avoir cours, répondit-il simplement, l'air de rien.
Le cœur de Stiles rata un battement mais personne ne le remarqua, car personne ne fit attention à ses battements. Les cours ne commençaient que d'ici une quinzaine de minutes. Il m'évite toujours…
- Mais après les cours, ça peut se faire, ajouta Scott, sans un sourire.
Son regard était froid. Glacial. Incisif.
- Oh, super, fit Stiles, l'air de s'en contenter. Je t'attendrai devant le lycée.
Il repousse le moment… Acceptera-t-il réellement qu'on parle, à la fin des cours ? Ou bien va-t-il encore s'échapper ? Stiles faillit soupirer douloureusement mais se retint au bon moment. C'était fou comme il se sentait mal. Il tritura à nouveau la petite boîte dans sa poche. Toujours là, toujours pleine. Elle était neuve, avait été achetée hier car il n'avait plus de stock chez lui. Il espérait arriver à se retenir. Tout dépendrait de la réponse de Scott. Stiles ne pouvait rien se promettre. Sa douleur intérieure menaçait de le faire craquer à n'importe quel moment.
Par la suite, les cours passèrent très lentement aux yeux de Stiles. Bien moins nerveux et hyperactif qu'auparavant, il passait un peu plus inaperçu. On lui parlait moins, l'oubliait plus. Ce qui le rendait également un peu plus silencieux ? Son mal-être toujours plus grandissant. Lorsqu'on lui posait la question, ce qui était relativement rare, Stiles se justifiait en disant qu'il s'était assagi, ou plutôt que son nouveau traitement contre l'hyperactivité fonctionnait mieux que l'ancien. On s'arrêtait là, on le croyait et on passait trop vite à autre chose.
Quinze heures sonnèrent et Stiles sembla reprendre vie d'un seul coup. Scott. Il fallait qu'il attrape Scott avant qu'il ne s'en aille. Son cœur prit un coup lorsqu'il vit que son ami prenait directement la direction de la sortie, au lieu de venir le voir pour lui parler. Décidant toutefois de ne pas se laisser abattre, Stiles s'élança à sa suite et parvint rapidement à le rattraper dans le couloir.
- Oh euh oh, Scott ! S'écria-t-il. Tu sais, on… On doit parler.
Scott eut l'air étonné et confus.
- Ah oui… Excuse-moi, ça m'était sorti de la tête.
Sans même être un loup-garou, Stiles devina qu'il mentait et dut se retenir de piocher tout de suite un cachet parmi ceux présents dans sa petite-boîte. Il en avait besoin mais ne pouvait pas en prendre tout de suite. Autrement, il n'arriverait sans doute pas à rentrer chez lui.
- Bon, de quoi tu voulais parler ? Faut que je retrouve les autres, dehors, alors si on pouvait aller vite…
Stiles serra les dents. Fut un temps où Scott le faisait passer avant beaucoup de choses, mais c'était un temps révolu. Le lycan n'appréciait plus Stiles, réduisant le souvenir de leur puissante amitié à néant. Néanmoins, il tenta de garder la face, de rester digne devant l'alpha.
- Ouais, ouais je comprends… Les affaires de la meute, tout ça...
- Exactement, alors tu comprends que je ne peux pas perdre trop de temps.
- Écoute, Scott, j'aimerais savoir si… Si on peut redevenir amis, se lança finalement Stiles.
- Mais Stiles, on est amis, lui dit Scott, sur un ton légèrement méprisant qui laissait entendre son mensonge.
L'hyperactif passa une main dans ses cheveux en soupirant.
- Pas comme ça, je veux dire… Comme avant.
Ce fut au tour de Scott de soupirer. Le loup-garou s'adossa, l'air de rien, aux casiers derrière lui.
- Stiles, écoute. Je ne veux pas te casser tes espoirs, mais pour moi, rien ne redeviendra comme avant. Depuis que tu as tué Allison, enfin que le nogitsune l'a tuée, j'ai… J'ai du mal avec toi. Sans parler de ce qui s'est passé avec Donovan. On aura une meilleure relation dans le futur, mais ce n'est clairement pas pour tout de suite. Je… J'ai besoin de temps pour me reconstruire. Les autres… Ils m'aident.
Stiles cligna des yeux, comme abasourdi. Tous ses espoirs volaient en éclat, petit à petit piétinés par les mots de son meilleur ami. Et moi ? Et moi alors ? Comment puis-je me reconstruire si tu n'acceptes pas de m'aider ? L'air désolé de Scott acheva de détruire Stiles de l'intérieur. L'hyperactif serra la petite boîte dans sa poche, si fortement qu'elle se déforma. Il devait se contenir, garder un air normal. Peu importe que ses battements de cœur soient rapides et irréguliers, Scott ne cherchait sans doute pas à les écouter. Il s'en foutait. Il avait déjà abandonné son meilleur ami, le laissant sur le banc des connaissances.
- Et tu… Tu penses avoir besoin de combien de temps ? Osa demander l'hyperactif, en essayant de ne pas se trahir.
- Un bon moment, répondit Scott.
Et, sans un regard pour Stiles, le loup-garou se décolla des casiers contre lesquels il était appuyé et marcha en direction de la sortie. Stilinski resta de longues secondes ici, dans les couloirs, au milieu de tout le monde. Encore sous le choc, il n'arrivait pas à bouger, à rattraper Scott pour lui dire de lui laisser une chance. Une chance de rattraper au moins ce qu'avait détruit le nogitsune. Cela avait beau ne pas être réellement de sa faute, Stiles y croyait pourtant dur comme fer. C'était son corps, ses mains qui avaient tout fait. Ce que personne ne savait réellement, c'est que l'esprit malveillant l'avait brisé en le torturant mentalement : pour le faire plier, il avait menacé de tuer Malia, il avait également utilisé la maladie de sa mère contre lui et d'autres choses encore… Une véritable torture dont personne n'avait eu l'idée.
Pris d'une soudaine pulsion, Stiles se mit en mouvement. La respiration rapide et irrégulière, il marcha d'un pas raide jusqu'aux vestiaires, vides à cette heure-ci. Il ne tiendrait pas jusqu'à ce soir. Il se mit devant un lavabo et sortit précipitamment la petite boîte de sa poche. À cause de l'émotion qui faisait briller les larmes naissantes dans ses yeux, il peina à sortir un cachet de la petite plaquette en plastique. Il ne s'en rendit pas compte mais en mit deux dans sa bouche au lieu d'un, avant d'avaler le tout avec de l'eau. Stiles retint de peu ses larmes. Il avait craqué, n'avait pas pu attendre de rentrer chez lui. Ce qu'il avait fait était risqué s'il comptait prendre la voiture, mais il s'en foutait. Il se foutait du danger. Il avait mal, si mal au cœur. La colère et le chagrin se battaient l'un contre l'autre, mais le match était joué d'avance.
Stiles était définitivement seul.
Après plusieurs minutes assis contre un casier de vestiaire, le regard vide et l'esprit déjà embrumé, Stiles se décida à se lever. Il fallait qu'il rentre, tant qu'il était encore un peu lucide. Son médicament commençait d'ores et déjà à agir, d'autant plus qu'il avait fait l'erreur de le prendre en quantité double. C'était rapide, un peu trop. Il ne pouvait pas s'endormir ici, ni en voiture, d'ailleurs.
Las de tout, Stiles se leva et marcha d'un pas lourd en direction de la sortie du bâtiment. Là, il arriva dans la cours et aperçut la bande, près de la moto de Scott. Son cœur rata plusieurs battement en voyant son meilleur ami rire à gorge déployée avec eux. Heureux, presque lumineux. Sans Stiles qui, lui, était seul. Le jeune homme regarda la petite troupe avec envie, l'espace d'un instant. Il voulait aller vers eux, mais il n'y arrivait pas. Il ne pouvait pas aller avec eux, n'avait pas sa place dans ce groupe qu'il avait longtemps cru être le sien. Il savait que leur joie partirait, remplacée par un silence gêné durant un temps. Ensuite, ils reprendraient leur conversation comme si de rien n'était, sans inclure Stiles, car il ne faisait plus vraiment partie du groupe. Lorsqu'elle organisait une réunion, la meute n'invitait plus aussi souvent le jeune Stilinski à y participer. Il était mis à part et le sentait bien. Si l'on ajoutait à cela le rejet récent de Scott, Stiles ne pouvait plus essayer. Il ne pouvait que comprendre qu'il ne ferait plus jamais vraiment partie de la bande.
L'esprit commençant à devenir un peu plus vaseux et déconnecté de la réalité, de la douleur, Stiles pressa le pas et monta dans sa Jeep. Le médicament faisait effet bien plus rapidement que prévu. Il alluma le contact et démarra. Au bout d'à peine deux minutes de conduite, ses yeux se mirent à papillonner et il se mit une gifle pour essayer de se maintenir éveillé. Il avait trop traîné et se rendait compte à cet instant de son erreur, des flashes de souvenirs surgissant dans son esprit. Stiles relativisa en se disant que ce n'était pas si grave, mais qu'il ne devait pas rouler très longtemps.
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Derek conduisait. Fatigué de sa journée, fatigué de ces gosses et de leurs frasques. Il n'aspirait qu'à une chose rentrer chez lui et se coucher, après avoir mangé une bonne pizza. Il fronça les sourcils lorsqu'une voiture arrivant de la gauche lui coupa la route et passa devant lui, sans respecter aucune consigne de sécurité. Tout de suite, il klaxonna plusieurs fois pour montrer son mécontentement. Ce n'était pas le moment de l'emmerder lorsqu'il était fatigué de cette façon, Derek Hale pouvait se montrer plus irritable et hargneux que d'ordinaire, si c'était possible. Et la voiture devant lui n'allait pas tarder à l'énerver, surtout qu'elle ne roulait pas très vite et pas très droit non plus. L'alpha plissa les yeux et remarqua qu'en réalité, il connaissait cette vieillerie c'était la vieille Jeep bleue de Stiles, qui mériterait sérieusement de finir à la décharge. Derek, qui mettait sa colère de côté, ne put que notifier la trajectoire de plus en plus brouillonne du vieux 4x4. Il haussa un sourcil avant d'appuyer très légèrement sur la pédale de frein. Il avait un mauvais pressentiment, qu'il ne saurait pas expliquer. Son instinct le poussa à utiliser ses sens aiguisés d'alpha. C'est là qu'il les entendit. Les battements de cœur du conducteur devant lui. Des battements irréguliers mais qui ralentissaient, imperceptibles pour un humain, mais pas pour un loup-garou. Stiles vira dangereusement sur la droite et c'est alors que Derek fit rapidement le lien : l'hyperactif était en train de s'endormir au volant.
En alerte, Derek se demanda ce qu'il pouvait faire pour empêcher le pire d'arriver, avant de se rendre compte que sa marge de manœuvre n'était pas énorme, pour ne pas dire inexistante. L'appeler ? Trop risqué. Déjà que la voiture de Stiles commençait déjà à partir en vrille, lui passer un coup de téléphone le distrairait encore plus. S'arrêter et sauter sur sa voiture ? Dangereux et inutile. Derek ne pouvait absolument rien faire et se sentit beaucoup trop impuissant lorsqu'il vit la Jeep virer violemment vers la droite et se planter dans un arbre, comme au ralenti.
- Stiles, non ! Hurla-t-il avant de freiner brusquement.
