La lune, presque pleine dans le ciel étoilé, commence à décliner doucement sur l'immensité de l'océan. L'air frais est comme un manteau de velours, tandis que de minuscules gouttes d'eau s'écrasent sur le sol comme des éclats de verre, au son de sanglots étouffés.

Robin maintient ses bras croisés pour que la personne qu'elle a tant recherchée reste au sol, l'empêchant d'échapper à sa colère, à ses questions et à son désespoir. Le fait que Stella ressemble à un homme en cet instant l'aide à rester lucide. Si cela avait été l'inverse, elle ne sait pas si elle aurait été capable de se tenir devant elle sans penser à sa mère.

Elle regarde celle avec qui elle a ri devant un petit-déjeuner, celle qu'elle écoutait avec des étoiles dans les yeux à chacune de ses histoires et aventures, celle qui lui a fait découvrir la chaleur d'une famille, celle qui lui a montré la beauté du ciel étoilé un soir d'hiver. Tout cela n'est plus que des souvenirs ternis par l'odeur de la fumée et du feu qui les ont consumés.

« Pourquoi ?...» Sa respiration est saccadée et ses doigts se referment encore plus. «Pourquoi nous avoir abandonnés ?...» Sa voix se brise à chaque mot. «Pendant des années, j'ai cru que vous étiez une victime, que vous étiez comme moi... Mais finalement, vous avez choisi de travailler pour eux… Ceux qui nous ont tout pris.» Ses yeux se plantent dans ce bleu qu'elle a tant cherché, comme un phare dans la nuit. «Dites-moi que c'est faux… Dites-moi que vous ne travaillez pas vraiment pour eux. Que vous avez un plan de vengeance, quelque chose… N'importe quoi…»

Ses larmes roulent librement le long de ses joues jusqu'au sol. Elle ne se soucie pas de l'aspect misérable de son visage. Elle veut juste savoir pourquoi toute cette destruction a eu lieu. Pourquoi tant de gens sont morts. Pourquoi tout cela s'est produit il y a vingt ans. Elle sait que cette tragédie a été causée par les recherches sur le Siècle Oublié, et pourtant… sa mère avait pu naviguer librement pendant des années. Qu'est-ce qui a changé ?

Stella reste allongée sur le sol sans faire le moindre geste pour se libérer ou repousser les mains qui lui écrasent la gorge. Immobile sur la terre battue, elle semble vide d'énergie, prête à tout encaisser sans broncher.

Et cela énerve encore plus l'archéologue.

« Dites quelque chose ! Dites que c'est un mensonge ! Un coup monté ! Une erreur ! De la malchance ! Mais ne restez pas là à ne rien faire ! Trouvez une excuse ! Une histoire rocambolesque ! Un mensonge bien construit ! Dites quelque chose !»

L'ancienne reine respire doucement avant de tourner son regard vers le ciel étoilé. Le silence s'installe, coupé seulement par les reniflements de Robin qui tente de se calmer.

Après de longues minutes, l'archéologue finit par essuyer les dernières traces de larmes sur ses joues. Mais qu'est-ce qu'elle fait ? Comment peut-elle craquer aussi facilement après toutes ces années passées à cacher ses émotions pour se protéger ? Comment le simple fait de revoir l'ancienne reine d'Ohara pouvait-il si facilement faire voler en éclats le masque qu'elle s'était construit après toutes ces trahisons et désillusions ?

Elle inspire profondément, repoussant les émotions qui bouillonnent encore en elle, et remet en place le masque qu'elle porte depuis des années. Elle n'est pas Nico Robin. Elle est Miss All-Sunday.

D'une démarche assurée, elle s'approche de Stella, qui ne semble pas vouloir bouger d'elle-même. Cela lui convient. Elle va pouvoir en tirer toutes les informations qu'elle souhaite.

«Vous allez répondre à mes questions. Je vous interdis de fuir ou de me mentir.» Sa voix est tranchante, menaçante. L'ancienne reine acquiesce, tandis que ses yeux bleus semblent presque sans vie.

«Où étiez-vous quand la Marine a attaqué Ohara ?»

«J'étais sur une petite île de South Blue.»

«Pourquoi ?»

«Pour m'occuper d'un orphelin.»

Robin arque un sourcil en entendant cette réponse, se rappelant vaguement des gazouillis ou des pleurs d'un bébé à travers le Den Den Mushi.

«Pourquoi n'êtes-vous pas rentrée ?»

«L'homme avec qui j'étais m'en a empêchée. Il disait que l'enfant ne pourrait pas survivre au changement de pression des fonds marins ni à la montée de Red Line. J'ai donc attendu qu'il soit plus âgé pour le ramener à Ohara.»

Au moins, elle ne les a pas abandonnés volontairement. C'est simplement sa faiblesse pour les enfants qui l'a retenue à South Blue.

« Quand avez-vous appris l'attaque d'Ohara ?»

Elle voit les mains de Stella se crisper contre le sol.

« J'ai surpris une conversation téléphonique. L'homme avec qui j'étais était un Marine, et il venait d'apprendre que son unité encerclait Ohara.»

Ses yeux vides changent brièvement de couleur, oscillant entre le bleu et le vert, avant qu'elle ne les ferme pour dissimuler ce clignotement.

« Je voulais savoir ce qui se passait, mais il m'a dit que des chercheurs sur le Siècle Oublié étaient suspectés sur mon île. Je lui ai demandé d'appeler Kong, l'amiral en chef de l'époque, mais il a refusé, disant que c'était inutile. J'ai forcé l'appel en volant le Den Den… Mais Kong m'a dit que le CP9 était en charge de l'affaire avec l'amiral Sengoku. Et je n'ai pas pu contacter ce dernier, car l'autre avait réussi à récupérer l'escargot. »

Robin serre les poings.

« Et qu'avez-vous fait ?»

Les yeux de Stella s'ouvrent, d'un vert vibrant.

« J'ai fait la seule chose que je pouvais faire quand ma famille était en danger. J'ai couru aussi vite que j'ai pu. J'ai traversé Red Line et je suis arrivée à Ohara, mais…» Un soupir sans vie franchit ses lèvres. « Il était trop tard. Tout était en flammes, détruit, sans vie.» Robin observe les doigts profondément enfoncés dans le sol, mais le reste du corps demeure immobile. « J'étais consumée par la rage, sentant mon cœur saigner pour chaque vie qui m'était arrachée, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Rien d'autre que le vide et le néant dans un ciel qui brillait autrefois de centaines d'étoiles. Alors…» Sa voix devient plus grave et rocailleuse. «Je leur ai fait la même chose.»

Robin sait maintenant pourquoi Stella n'était pas là pour les protéger. Elle a été dupée par quelqu'un en qui elle avait confiance.

« Que s'est-il passé ensuite ? Comment l'amiral Aokiji et Sakazuki ont-ils réussi à vous arrêter ? »

Stella pousse un soupir tremblant, le seul signe du tourbillon d'émotions qui la traverse.

« Ils ne m'ont pas arrêtée. Ils n'étaient pas assez forts. » Robin fronce les sourcils. « Mais Aokiji a été plus malin… Il a utilisé la seule chose qui pouvait m'arrêter dans ma folie. »

Son regard bleu se pose sur Robin avec une douceur inattendue.

« Toi. »

Robin retient son souffle.

Est-ce à cause d'elle que Stella a travaillé pour la Marine ? Est-ce pour elle qu'elle a passé dix-huit mois dans un laboratoire ? Pourquoi ? Elle n'est personne.

« Pourquoi... »

« Pourquoi ne le ferais-je pas ? »

Robin ne comprend pas la logique derrière tout cela. Qu'est-ce que Stella avait à gagner en renonçant ainsi à sa liberté ? Elle serre les poings. Elle n'a pas besoin de protection.

« Je ne comprends pas. Pourquoi renoncer à votre liberté pour une petite fille ? Vous auriez pu faire bien plus ! Dire la vérité sur Ohara ! Lutter contre le Gouvernement Mondial ! Contre les destructions qu'ils commettent en toute impunité ! Alors pourquoi avoir choisi de vous rendre pour moi ?! J'aurais pu me débrouiller seule ! J'ai survécu après l'annonce de ma prime ! Une année de plus n'aurait rien changé ! » Hurle Robin, la colère éclatant dans sa voix.

Stella soutient son regard.

« C'est vrai... Je me rends compte que tu es bien plus forte que je ne le pensais. Tu es devenue une femme forte, intelligente et indépendante, sans l'aide de personne. »

La rage de l'archéologue s'apaise légèrement face à ce compliment qui la touche plus qu'elle ne veut l'admettre.

« Mais... Je ne voulais pas risquer de te perdre aussi... Toutes ces choses, je pouvais les faire plus tard, une fois que tu serais en sécurité. Qu'est-ce que quelques décennies contre ta vie ? » Murmure l'ancienne reine.

Robin reste sans voix. Elle qui n'a connu que l'hypocrisie depuis qu'elle est seule, la trahison de ceux qui la vendaient pour sa prime, les mensonges de ceux qui voulaient exploiter son savoir… Elle qui a construit une carapace de glace autour de son cœur pour survivre aux atrocités qu'un enfant ne devrait jamais voir… Et pourtant, devant elle se tient quelqu'un qui a sacrifié sa liberté durant vingt ans, qui a travaillé avec ceux qui ont détruit son foyer et sa famille, juste pour elle.

Mais il reste encore des zones d'ombre.

« Je ne comprends pas. J'ai lu le rapport sur vous. Il dit que vous avez été endoctrinée et que vous m'aviez oubliée après dix-huit mois d'expérimentation. Alors comment avez-vous pu laisser le Gouvernement Mondial mettre une prime sur moi si vous vous souveniez de tout ? Où était votre soi-disant protection ? »

Le regard de Stella s'attriste.

« Ils m'ont piégée. Tant que je restais tranquille, ils me promettaient de te laisser en paix. » Elle pousse un soupir, fronçant les sourcils. « Mais le Gouvernement Mondial avait d'autres projets pour moi. Ils voulaient exploiter ma puissance et mes connaissances sur le terrain, mais pour s'assurer de mon obéissance, ils ont tenté d'effacer ma mémoire et de la remodeler. »

Son regard bleu se voile de douleur.

« Pour être certains que le processus fonctionnait, ils ont mis une prime sur ta tête pour observer ma réaction. J'ai dû dire des choses dures et horribles pour ne pas être démasquée… Pardonne-moi, s'il te plaît. »

Robin est sans voix. Ce n'est pas une surprise de la part du Gouvernement Mondial, elle s'attendait déjà à de telles méthodes ignobles. Mais cela signifie que Stella joue la comédie depuis toutes ces années ? Pourquoi ? Ça n'a aucun sens.

« Pourquoi n'avez-vous rien fait ?! Pourquoi avez-vous continué cette mascarade ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas rebellée et ne les avez-vous pas envoyés au diable ?! J'aurais eu une prime quoi qu'il arrive ! J'aurais été montrée comme un monstre ayant tué des centaines de personnes de toute façon ! »

Stella la fixe, imperturbable.

« Quelques chasseurs de primes qui veulent te capturer vivante valent mieux que des centaines de navires à tes trousses qui veulent ta mort. Ils sont partout et je ne pouvais pas tous les atteindre en même temps, ni te retrouver avant eux. Imagine qu'ils fassent la même chose qu'a Ohara à chaque île où tu étais repérée… Penses-tu que plusieurs milliers de vies valent moins que ma liberté ? »

L'archéologue pâlit à chaque phrase. La Marine serait-elle vraiment allée aussi loin ?

Elle se souvient du navire civil explosé sur un simple soupçon. Oui, ils en seraient capables.

« Je comprends en partie vos actions. Mais maintenant, vous n'avez plus besoin de jouer la comédie. J'ai vingt-huit ans, je suis totalement capable de me débrouiller seule. »

Stella la regarde avec tristesse et appréhension.

« As-tu trouvé des gens sur qui compter ? Des personnes prêtes à te protéger quoi qu'il arrive ? Qui t'encourageront dans tes passions, sans arrière-pensée ? »

« En quoi est-ce important ? Je viens de vous dire que je me débrouille très bien seule. Les autres ne sont que des pions, tout comme j'en suis un entre leurs mains »

« Alors je continuerai cette mascarade… jusqu'à ce que tu les trouves. »

« Quoi ?! Pourquoi ?! Je suis adulte et libre de mes choix ! Arrêtez de croire que vous êtes responsable de moi d'une quelconque manière ! Vous n'êtes plus la reine d'Ohara ! Vous n'avez plus aucun devoir envers moi ! Faites ce que vous voulez sans penser à ce qui pourrait m'arriver ! Ma vie est en danger chaque jour, quelques marines de plus ne changeront rien ! »

Stella la regarde en silence avant de soupirer.

« Comme tu l'as dit, tu es adulte et libre de faire tes propres choix et de suivre ta route… alors laisse-moi faire de même avec les miens. »

Robin allait protester, mais l'ancienne reine la coupe.

« Cette pièce de théâtre m'apporte des difficultés, mais aussi des avantages. Sous couvert d'une mission d'infiltration, je peux aller partout. J'ai accès aux bases de la Marine sans problème et je surveille leurs agissements de l'intérieur. Les Yonkos connaissent ma puissance mais savent aussi que je ne suis pas une menace directe, alors ils me laissent circuler librement dans leurs eaux. Quant aux Révolutionnaires, ils exploitent les bribes d'informations que je leur laisse pour frapper où c'est nécessaire. »

Son regard devient lourd de sens.

« Ne pense pas que je reste passive. Le repos m'a été arraché il y a longtemps, et je ne peux pas laisser ce monde sombrer totalement. » Elle pousse un énième soupir. « Oui, c'est long… Mais nécessaire. Comme une partie d'échecs contre le plus grand stratège. » Un doux sourire apparaît sur ses lèvres. « Alors laisse-moi m'occuper de ça. Ne t'accable pas de cette tâche et vis ta vie comme tu l'entends, selon tes propres règles, tes propres expériences. J'espère juste… un coup de téléphone de temps en temps... » Finit-elle d'une voix tremblante.

Robin l'a écoutée en silence, assimilant les informations petit à petit, jusqu'à parvenir à une conclusion.

Stella n'est pas une traîtresse. Elle a fait des choix pour la protéger dans l'ombre. Elle a dû se sacrifier et travailler sous les ordres de ceux qui lui ont tout pris, prétendant une amnésie. Elle lutte, déplaçant les pièces d'un jeu dangereux avec prudence, donnant des informations pour faire tomber le Gouvernement Mondial. Ce ne sont pas des actions bruyantes comme une révolte, ni destructrices comme un attentat, ni mortelles comme une guerre. Mais elles auront un impact, au bon moment.

Le monde continue d'avancer, ignorant les engrenages qui tournent en arrière-plan.

Stella est restée loin d'elle, non par désintérêt, mais parce qu'elle n'avait pas d'autre choix pour la protéger.

Un tourbillon de chaleur éclot dans le cœur de Robin. Elle n'a pas été trompée. Ni abandonnée. Certes, cela n'efface pas toute la douleur qu'elle a subie, mais la seule personne en qui elle a cru pendant si longtemps ne l'a pas trahie ni oubliée. Bien au contraire.

Sans un mot, elle fait disparaître ses mains dans un panache de pétales roses. Mais Stella ne bouge pas, attendant son prochain geste avec appréhension. C'est la première fois qu'elle la voit aussi fébrile, aussi fragile… Aussi humaine.

Robin s'approche et s'assoit doucement à côté de son ancienne mentors. Lentement, avec hésitation, elle attrape la main de Stella qui la regarde avec des yeux écarquillé.

« Je crois… que tu as de nouvelles histoires et aventures à me raconter. »

Comme un barrage qui se brise, le visage de Stella se remplit de douleur, et elle ne retient plus ses larmes. D'un seul mouvement, elle se redresse et attrape l'archéologue dans ses bras, cachant son visage contre son épaule, son corps tremblant.

Robin se tend par réflexe, mais se détend en entendant les sanglots étouffés, les « désolé », les « pardonne-moi » murmurés.

Doucement, avec hésitation, elle entoure ses bras autour de la femme qu'elle avait tant cherché et espéré retrouver.

Les larmes réapparaissent, mais pour la première fois depuis ces vingt longues années, ce ne sont pas des larmes de tristesse.