Liam déglutit et cliqua sur le lien. Il espérait que ça allait marcher. Non, en fait, il fallait que ça fonctionne. Autrement, il était fichu, doublement mort.

Brett avait accepté. C'était un miracle, il le savait, une chance qui ne se représenterait pas deux fois. S'il ne la saisissait pas correctement… Il serait fini, tout serait fini. Sa vie, ses espoirs, réduits à néant. Persuader son petit-ami de sortir avec lui dans ce bar n'avait pas été chose aisée : quelques gifles et arguments agrémentés de supplications mensongères plus tard, Brett avait fini par hocher la tête. Ce que lui avait promis Liam ? Que c'était juste une petite sortie à deux, parce que ça faisait longtemps et que sortir un peu de l'appartement leur ferait du bien. Oui, Liam ne verrait que lui. Non, il n'avait prévu de rencontrer personne, pas même ses amis, qui n'étaient d'ailleurs qu'un lointain souvenir. Juré, il ne materait personne, de toute façon, seul Brett devait l'intéresser et il n'avait pas le droit de s'amuser à regarder qui que ce soit. Oui, en rentrant, il se laisserait prendre dans la position que Brett désirait et ce, sans discuter. Non, Liam n'avait aucun intérêt à aller dans ce bar en particulier, il était juste discret et avait vraiment l'air sympa. De quoi passer un bon moment.

Liam sursauta lorsqu'il sentit son téléphone vibrer. Il savait ce que ça voulait dire : Brett lui avait envoyé un message. De toute manière, Liam n'avait pas d'autre contact, tous avaient été supprimés par son petit-ami, parce que « tu n'en as pas besoin, tu m'as moi ». En tremblant, le jeune homme aux cheveux châtains ouvrit puis lut le message :

« Je suis là dans trente minutes. Prépare-toi. »

Liam savait ce que cela voulait dire. Rapidement, il supprima la page, effaça ses recherches de l'historique de l'ordinateur de son petit-ami et le rangea correctement, ni vu, ni connu. Il courut se changer, avant de se retrouver face au miroir, dans la salle de bain. L'une des conditions de Brett avait été la suivante : Liam devait être impeccable. Par conséquent, l'on ne devait pas voir un seul bleu parsemer la peau tannée de son visage juvénile. Les produits de cosmétiques qui se trouvaient dans le premier tiroir étaient bien le seul « cadeau » que Brett lui avait offert… Pour pouvoir le montrer sans risquer quoi que ce soit. Si un de ses amis venait à leur rendre visite, Brett ordonnait toujours rapidement à Liam de se rendre présentable, de cacher les bleus sur son visage meurtri et à force, le jeune homme était devenu expert en la matière. A force d'entraînement et de soirées foot ou rugby, il savait y faire.

Quelques minutes plus tard, le fond de teint était parfaitement posé et remplissait sa fonction dissimulatrice avec brio. Liam s'attarda tout de même sur les endroits les plus abîmés de son visage avec deux fois plus d'attention. Le produit devait tenir assez longtemps pour qu'il fasse ce qu'il avait à faire. Sortir de cet enfer. Mais pour cela, il devait tout faire pour ne pas attirer l'attention tant qu'il ne serait pas dans ce bar. Ses yeux bleu océan scrutèrent son reflet. Il était pitoyable, il le savait, tout était de sa faute. S'il était là, dans le fond, c'était sans doute parce qu'il l'avait voulu et c'était ce que ses anciens amis lui auraient dit. Mais ils ne savaient rien.

L'ouïe particulièrement fine de Liam perçut avec une clarté folle le bruit de la serrure de l'entrée, de la clé qui la déverrouillait, de la porte qui s'ouvrit en grinçant. Avec une certaine angoisse, il rangea précipitamment tout son matériel et arrangea sa tenue pour qu'elle paraisse négligée. Si Brett voulait que Liam soit impeccable, c'était uniquement au niveau du visage. Si le châtain faisait un quelconque effort supplémentaire en trop, le grand blond pourrait prendre ça pour de la provocation et autant dire que ce n'était pas l'effet voulu. Au pire, il lui cracherait des mots durs et le rabaisserait comme il le faisait toujours. Au mieux, il se contenterait de le regarder avec ce dégoût qui faisait corps avec son esprit. Et puis, lorsqu'ils rentreraient, il se déchaînerait, le noierait sous les coups. Enfin, s'il acceptait toujours de sortir, avec lui. Alors, Liam fut précautionneux. Il fallait que leur sortie soit maintenue. Autrement, il serait sans doute perdu à jamais. Ce n'était pas tous les jours que le jeune homme prenait des initiatives ou avait le courage d'essayer de se sortir de cette situation. Certaines fois, ça venait, et puis il perdait tout espoir, toute idée de fuite, se disant qu'il n'y arriverait jamais.

Ce jour-là, c'était la première fois que Liam pouvait potentiellement réussir à se sortir de cet enfer et nul doute que l'occasion ne se représenterait pas de sitôt. Il fallait qu'il se donne à fond et qu'il mette toutes les chances de son côté.

Alors, Liam sortit de la salle de bain et se planta au milieu du couloir de l'entrée. Aller s'assoir dans le salon aurait été une erreur fatale. Brett le réprimandait chaque fois qu'il le retrouvait assis. Il prenait ça pour de la fainéantise et il détestait les fainéants. Alors, le petit blondinet passait ses journées debout, si bien que lorsque le soir arrivait et que son petit-ami l'autorisait à se mettre au lit, Liam s'écroulait sur son petit matelas à la cave. Il y avait bien des fois où il l'emmenait de force dans son lit, à l'étage. Si ce qu'il lui faisait par la suite ne lui plaisait pas le moins du monde, ce traitement lui permettait de dormir dans un vrai lit, avec un vrai matelas, des vrais draps. Au sous-sol, Liam n'avait droit qu'à un pauvre plaid pas toujours efficace pour parer le froid. Mais bon, il avait dû le mériter : Brett n'était pas du genre à faire les choses sans raison.

Liam se crispa mais retint un sursaut lorsqu'il vit la porte s'ouvrir et son petit-ami apparaître sur le seuil, deux gros sacs de courses posés à ses pieds. Le blondinet comprit tout de suite le message et, sachant qu'il devait maximiser ses chances pour que leur sortie soit maintenue, il prit tout de suite les sacs qu'il emmena dans la cuisine. Ses bras tremblaient tant ils étaient lourds – ou alors était-ce par ces tremblements intempestifs que son épuisement se manifestait ? – et poser le tout fut une délivrance pour lui. Brett vint et s'assit à table, le regarda de ses yeux verts si froidement clair et lâcha :

- Range vite tout ça et après, on décolle. Dépêche-toi, pauvre merde.

Bien qu'il mourait d'envie de lui retourner l'insulte, Liam ne répondit pas et ne se fit pas prier pour s'exécuter. Son corps le faisait souffrir, ses jambes n'avaient plus vraiment la force de le garder debout mais il devait tenir le coup. Pour se donner du courage, il ignora autant que possible la manière dont Brett le regardait. Un mélange de dégoût et de perversion. Liam avait peut-être évité les coups pour cette fois, mais il n'était pas à l'abri d'une saute d'humeur impromptue qui lui annulerait sa sortie et lui ferait rencontrer le sol à de nombreuses reprises.

Il se détendit toutefois un peu lorsque Brett finit par le pousser à l'extérieur de la maison et commença à marcher en direction de la voiture. Liam s'arrêta bien malgré lui. Depuis combien de temps n'était-il pas sorti de cette maison ? Au mieux, il passait parfois quelques secondes dans leur petit jardin et c'était tout juste assez pour qu'il puisse dire qu'il avait « pris l'air ». Il ferma les yeux, respira l'air frais à plein poumon, comme si c'était la dernière fois qu'il en avait l'occasion.

Parce qu'en y réfléchissant bien, si son plan ratait…

- Si tu rentres pas tout de suite dans cette voiture...

… Liam n'y survivrait sans doute pas.

Brett ne termina pas sa phrase, il n'en avait pas besoin. La menace était bien plus impressionnante si elle n'était pas clairement formulée. Liam rouvrit un peu brutalement les yeux et ne se fit pas prier. Lorsqu'il attacha sa ceinture, il eut l'impression désagréable d'être comprimé, emprisonné. La ceinture lui paraissait à cet instant comme une chaîne dont il s'entraverait lui-même. Enfin, c'était toujours mieux comme sensation que de se faire étreindre par Brett. Ses bras étaient la pire des geôles, la promesse d'un enfer sans fin.

Liam retint un soupir de soulagement lorsque son petit-ami s'installa côté conducteur et démarra la voiture. Il ne devait rien laisser paraître et agir comme d'ordinaire pour éviter que l'homme à côté de lui ne se doute de quelque chose. S'il le perçait à jour, c'était fini. Il le tuerait.