- Ferme ta bouche à merde Raeken.
S'il y avait une chose à savoir concernant Stiles Stilinski, c'est qu'il était d'une franchise inouïe et que, dans cette lignée, il ne gardait jamais sa langue dans sa poche. C'était d'autant plus vrai lorsque des nuisibles s'adressaient à lui ou faisaient preuve d'un humour douteux, trop pour imaginer que ça en soit réellement.
Son vis-à-vis, Théo, esquissa un rictus mauvais. Enfin que Stiles ne pouvait pas trouver autrement que mauvais. Parce qu'à son humble avis, Théo était mauvais. Jusqu'aux tréfonds de son être. Il avait beau s'être racheté récemment en aidant cette meute qu'il avait essayé de détruire par le passé, Stiles n'arrivait pas à se montrer sympathique à son égard. Il le détestait, c'était viscéral. Un peu de la même manière qu'il haïssait Jackson, un autre « collègue » de meute qu'il considérait tout autant comme un connard. Stiles se demanda un instant si la blondeur était synonyme de méchanceté, car elle était commune à ces deux enfoirés de première. Enfoirés qui partageaient un autre trait : en sa présence, ils passaient leur temps à le chercher. Le rabaisser. Se moquer de lui. Comme s'il n'était rien d'autre qu'une merde – c'était là sa pensée et son interprétation de la chose. Et puisque Stiles détestait le fait qu'on le juge ainsi parce qu'il était juste humain, il s'attelait à rester féroce. Ce n'était pas parce qu'il n'avait aucune capacité surnaturelle qu'il n'avait pas son importance. Certes, même Scott ne le valorisait pas réellement, mais… Lui, au moins, il le respectait. Il ne se moquait pas de lui.
Quel meilleur ami ferait ça ?
- Je dis juste la vérité, Stiles.
Le susnommé n'aimait pas vraiment la manière dont le blond prononçait ce surnom, que lui-même avait littéralement adopté comme un prénom – bien plus prononçable que celui que ses parents lui avaient donné à sa naissance. Théo semblait le siffler, un peu comme le ferait un serpent. Cet élément-là participait à lui donner l'image du méchant d'un mauvais film, dans l'esprit de Stiles.
- Ta vérité n'est pas universelle, Raeken.
Stiles ne le respectait pour ainsi dire… Pas. Ou plus – et c'était la raison pour laquelle il l'appelait par son nom de famille, évitant des familiarités inutiles. A l'école primaire par contre, ça allait. Parce qu'à l'époque, Théo était sympa, c'était un petit garçon comme les autres. Innocent. Gentil. Jackson aussi, quand il y repensait.
Mais c'était en grandissant que l'on voyait le vrai visage des gens, leurs travers les plus sombres. Stiles s'était donc, au fur et à mesure du temps, persuadé que Théo était un immense psychopathe et Jackson, un simple connard quand, à côté de cela, il avait élevé Lydia au rang d'âme sœur amicale et Scott, à celui d'un ange. Toujours gentil, adorable, serviable. Un peu lent parfois, mais c'était comme ça qu'il l'aimait, son meilleur ami. Il ne le changerait d'ailleurs pour rien au monde, se disant que si l'on appréciait quelqu'un, ce n'était pas juste pour ses qualités, ses défauts entraient également en ligne de compte. Stiles acceptait chacun de ses amis de cette façon.
L'aimait-on seulement de la même manière ? Ça, il ne le savait pas vraiment mais dans le doute, il préférait éviter de se poser la question. C'était mieux pour lui, pour les autres. Car lorsque Stiles se torturait l'esprit avec un sujet aussi épineux que celui-là, son entourage en prenait pour son grade. Alors il se contenait, évitait les pensées problématiques, qu'il soit chez lui ou au lycée. Qui sait, si on l'appelait… Il fallait qu'il soit toujours là, prêt à agir, à donner de sa personne pour la meute. C'était facile, instinctif. Pas besoin de réfléchir. On avait besoin de lui, il agissait : c'était aussi simple que ça.
Le sujet qui l'opposait actuellement à l'odieuse chimère qu'était Théo Raeken était proche de ses propres réflexions, à la différence que leur point de vue était opposé.
- C'est juste toi qui ne sais pas choisir tes amis, Mieczyslaw, fit Théo d'un air narquois.
Stiles retint une grimace agacée. Il le cherchait, c'était évident. Et il allait le trouver, c'était certain.
- Si Scott voulait me laisser tomber, il l'aurait déjà fait.
L'hyperactif avait décidé de ne pas tomber dans son piège, de ne pas se montrer méchant comme Théo le faisait. Parce qu'il n'était pas de ce genre-là. Il n'était pas comme lui. Très honnêtement, Stiles ne comprenait pas cet entêtement qu'avait la chimère à le rabaisser et à insulter Scott. Et à côté de cela, son idiot de meilleur ami continuait de le tolérer dans la meute ! Il y avait de quoi le trouver con. Scott était vraiment trop gentil. A sa place, Stiles l'aurait déjà envoyé bouler et même viré de Beacon Hills. Le latino qui leur servait à tous d'alpha en avait le pouvoir. Quel était le dicton que Stiles lui ressortait souvent ? Ah, oui : trop bon, trop con. Un jour, Scott se ferait avoir, mais Stiles serait là. Comme toujours. Il ramasserait les pots cassés, ferait en sorte de limiter les dégâts. Après tout, c'était son rôle, non ? Puisque Scott n'y pensait pas… Il fallait bien que quelqu'un y réfléchisse. Disons que la tête pensante de la meute, c'était Stiles – et il assumait parfaitement son rôle de ce côté-là. En plus – quelle chance ! – Scott l'écoutait. Enfin, parfois. Pas toujours. Pas concernant Théo, notamment. Ce stupide loup-garou trop gentil continuait de laisser une seconde chance à tout le monde. D'après lui, il fallait forcément voir ce que les gens avaient de bon en eux et c'était une opinion que Stiles peinait à partager. Dans un sens il était d'accord, mais d'un autre côté… Un enfoiré restait un enfoiré. Théo n'avait pas juste fait une connerie. En fait, ce n'était pas un psychopathe : c'était un psychopathe de haut niveau. On ne pouvait pas se fier à quelqu'un comme lui.
D'ailleurs, Théo se mit à ricaner – Stiles avait l'impression qu'il ne faisait que ça de sa vie. Ricaner, et fomenter des plans contre la meute de temps à autres. Stiles ne savait toujours pas ce qu'attendait Scott pour le virer. A sa place, l'hyperactif l'aurait déjà fait depuis longtemps. Théo était un virus – ou un parasite, au choix.
- Te laisser tomber alors que tu lui es utile ? Tant que tu lui serviras, il continuera de te faire croire qu'il t'apprécie.
Stiles souffla. C'était toujours la même rengaine depuis quelques temps : Théo le prenait à part pour cracher sur Scott. Quel intérêt ? C'était stupide, d'autant plus que l'hyperactif se fierait toujours plus à son meilleur ami qu'à n'importe qui d'autre. Il le connaissait par cœur.
- Tu es au courant que ce que tu dis n'a aucune valeur à mes yeux ? Fit Stiles en haussant un sourcil.
Il avait l'habitude d'être insulté, considéré comme un moins que rien. Ce n'étaient pas quelques mots de plus ou de moins qui allaient le faire changer d'avis, lui faire avoir une illumination. D'ailleurs, il pouvait même dire que c'était agaçant, à force. S'il s'était emporté, les premières fois, il avait récemment commencé à adopter une nouvelle stratégie, histoire d'essayer de faire en sorte que Théo lui lâche la grappe. Ainsi, il faisait de son mieux pour réagir le moins possible et simplement… Répondre, tout en lui montrant l'absurdité de ses réflexions. Dans le cas précis, il avait bien du mal, mais qu'importe ! Il y arriverait, un jour.
Parce qu'il y avait autre chose, concernant Théo, qui le dérangeait. Quelque chose qui lui donnait envie de fuir. Le pire, c'est que l'hyperactif n'avait aucune idée de quoi il s'agissait : tout ça, c'était de l'ordre de l'inexplicable, de l'instinct – et contrairement à Scott, il avait tendance à l'écouter. La vie lui avait montré à quel point le négliger pouvait le mettre dans de beaux draps.
C'était donc pour cette raison qu'il voulait tout simplement déguerpir en cet instant précis.
Mais Théo ricana – encore – et se rapprocha de lui. Stiles jeta un regard rapide autour de lui. Pourquoi fallait-il que la chimère l'ait pris à part pendant un temps de pause ? Pourquoi fallait-il qu'il soit encore et toujours dans le même lycée que lui ? Pourquoi fallait-il qu'il lui parle pour lui dire que Scott se fichait de lui ? Enfin ça, c'était quand il ne l'insultait pas lui, directement. C'était toujours la même rengaine.
- Tu es si stupide, Stiles…
Ça y est, soupira mentalement l'hyperactif.
- Je ne suis même pas surpris qu'il puisse continuer de se servir de toi aussi facilement, tu es si… Manipulable.
Stiles trouva une parade non seulement pour lui clouer le bec, mais également pour éventuellement mettre un terme à cette conversation inutile et vide de sens. Il esquissa un rictus et lui fit remarquer :
- En attendant, tu me parais bien concerné pour quelqu'un qui me trouve stupide. Un peu plus, et je pourrais presque imaginer que tu me veux du bien.
A la tête que tira Théo, Stiles sentit une espèce de satisfaction l'envahir. Sans lui laisser le loisir de répondre, il lui fit un « coucou » arrogant de la main et tourna tout de suite les talons, bien décidé à aller retrouver une meilleure compagnie que la sienne : Scott.
De son côté, une fois seul, Théo poussa un soupir. S'il y avait bien une chose qui n'avait pas changée malgré les années, c'était bien leur propension à se chercher, à s'insulter, à se rabaisser. Et si l'on remplaçait Théo par Jackson Whittemore, le schéma restait similaire.
Stiles était un astre si lumineux, si solaire que sa lumière brûlait les indésirables. Le problème ? Leur relation était faite de rancœurs, de haine, de coups bas. Théo se sentait comme Icare, incapable de ne pas essayer de se rapprocher du soleil, irrésistiblement attiré par l'étoile.
Et il savait que Jackson Whittemore, qui avait discrètement assisté à la scène, posté quelques mètres plus loin dans la cour du lycée, ressentait la même chose que lui. Ils se regardèrent, se comprirent.
Les choses ne seraient malheureusement jamais aussi simples qu'elles ne l'avaient été à l'école élémentaire.
