Note : Hello !
Me revoilà déjà, l'inspi est à fond. Ce chapitre est à la fois pas mal introspectif et une amorce de certains rebondissements à venir.
Avec quelques surprises, je pense.
Je vous souhaite une bonne lecture !
Le lendemain passa à une vitesse lente. Allen avait l'impression bête qu'ils allaient enfin sortir de cette foutue locomotive. Lavi lui avait raconté plein de trucs sur Saint-Pétersbourg. Ça l'avait rendu enthousiaste, bien que comme ils entreraient directement dans le transsibérien — Komui avait réussi à leur éviter une correspondance de 4 heures, ils ne verraient même pas la ville. Une autre fois. Leur nouveau train était très long. Ils étaient placés dans l'une des dernières voitures, le temps de rejoindre le quai, ils partaient dans littéralement cinq minutes. Le froid de la Russie était mordant le soir, Allen s'emmitouflait dans sa veste en marchant jusqu'à leur wagon, Kanda et Lavi ne faisant pas les fiers sur ses talons. Ils étaient aussi précédés d'une foule de passagers, le maudit jetant fréquemment des coups d'œil dans son dos pour être sûr de ne pas perdre ses deux camarades — il avait peur aussi de se tromper de Wagon. Les Traqueurs les attendraient devant, ils avaient avancé les premiers, mais le chef de gare sifflait.
Il fallait faire vite.
« Lavi, Kanda ! appela Allen. Grouillez-vous ! »
Le maudit aperçut les deux Traqueurs qui lui faisaient signe. Au moment où Ils atteignirent la plateforme pour monter, Allen, en tête du groupe, rata une marche dans sa précipitation. Il partit pour s'étaler la tête la première, un bras contre son ventre le rattrapant de justesse. Avec les fragrances qui l'atteignirent, il comprit que Kanda l'avait rattrapé et qu'il venait fortement de s'humilier. Ça faisait deux fois en peu de temps qu'il manquait de se casser la gueule et que Kanda le chopait au vol à chaque fois. S'il rougit de gêne, il se prépara aussi à subir une moquerie du plus âgé. Bien sûr, ça ne rata pas.
« C'était pas la peine de courir, Moyashi. Surtout pour te ramasser.
—Merci pour ton aide, mais je t'ai rien demandé. Je suis Allen.
—Eh bien moi, je suis Lavi, intervint le jeune archiviste, j'aimerais aussi pouvoir monter. Yûyû, tu me bloques le chemin. »
Sur un 'tch', Kanda libéra Allen, lequel se remit sur ses pieds en avançant. Il étouffa une expression fâchée. Le kendoka renifla de façon ironique à sa moue. Ça ne l'avait pas vexé. Allen l'était autant pour la forme que parce qu'il n'aimait pas que Kanda se moque de lui. Ça passerait d'ici quelques minutes. La porte fut close derrière Lavi au moment où le train se mit à avancer. Komui avait vraiment choisi un timing serré, ils avaient failli le louper. Ils l'en remerciaient tout de même, patienter dehors en pleine nuit aurait été insupportable.
Les Traqueurs les escortèrent vers leur cabine, Lavi grommelant qu'il faisait aussi froid dans le train que dehors. Si les températures russes atteignaient quand même au moins les quinze degré en été, il y avait pas mal de vent et le soir pouvait connaître une perte de moitié. Allen se demanda comment ils allaient faire pour ne pas attraper la crève ici, il avait déjà envie d'éternuer et le nez qui coulait. Autant dire qu'il n'était pas partant pour se retrouver avec une autre grippe, surtout pas avec ses chaleurs qui pouvaient arriver.
Kanda fut sur ses talons au moment où ils entrèrent déposer leurs affaires. Lavi les ignora pour se jeter sous les couvertures, prenant à peine le temps de balancer ses bottes pour grimper sur le lit du haut. Ce fut à ce moment-là qu'ils réalisèrent qu'il n'y avait que deux lits. Un pour deux personnes, et celui que Lavi s'était annexé. La cabine était plus petite que celle dont ils avaient été dotés précédemment. Le Traqueur toussa dans son poing en s'excusant :
« Ils n'avaient que des chambres pour couple avec un enfant, dans ce train. J'espère que ça ne pose pas problème. »
Lavi poussa une exclamation faussement outrée d'avoir le lit de l'enfant. Allen lança un coup d'œil à Kanda. Ils étaient liés, et ils avaient déjà dormi ensemble plus d'une fois, techniquement. Pas plus tard qu'il y a deux nuits. S'ils n'étaient pas en couple, et loin d'être au stade de ne demander qu'un lit commun, ce n'était pas un souci pour lui. Kanda haussa les épaules, râlant tout de même dans sa barbe. Le Traqueur partit, car il ne pouvait pas faire grand-chose de toute façon, ils se retrouvèrent tous les trois. Le maudit ne fut pas surpris, bien qu'au fond un peu peiné. Il ne pouvait s'empêcher d'être plus attentif que d'habitude au comportement de Kanda avec lui, maintenant qu'il avait pris sa décision. Les indicateurs pointaient encore vers le rejet, vu comme il faisait la gueule à l'idée de dormir avec lui pendant toute la semaine.
Emmitouflé dans la couverture, Lavi parla à ce moment-là, se balançant sur lui-même pour chasser le froid :
« Si vous êtes mal à l'aise, tu prends mon lit et je dors avec Allen. Sa virginité restera en sécurité avec moi, on dormira tous tranquilles !
—Lavi, mais de quoi tu parles ? » le tança le susnommé en levant le poing, visage rouge sang. « Tu veux que je t'en colle une ? Arrête de dire des choses comme ça, c'est pas drôle ! »
Allen souffla de colère en observant Kanda, qui se contentait de fixer Lavi sans expression, comme s'il fantasmait sur une manière de l'assassiner ou qu'il se demandait sérieusement si ça valait la peine de réagir. Le connaissant, sûrement un peu des deux.
« Je me fous de qui dort où, persiffla Kanda, plantant un œil dans celui de Lavi. Je te déconseille de continuer à parler de Moyashi comme ça, si tu veux survivre. C'est tes blagues qui m'épuisent d'avance. Ça reste un lit. »
Lavi eut un ricanement nasal.
« Tu crois quoi, Yû ? Que je vais dire que vous baisez dès que les ressorts vont grincer ? » Allen s'étouffa avec sa salive à ces mots, c'était un peu ce qu'il venait de sous-entendre. « J'ai plus de subtilité que ça, je vais éviter.
—Mes fesses ! s'écria le blandin. Tu vas pas nous lâcher, oui !
—J'vous vanne parce que vous êtes tous gênés, tous les deux. Vous ne le seriez pas, j'aurais moins de matière. À bon entendeur. »
Sur un clin d'œil, il se coucha. Allen monta à l'échelle pour lui coller une claque dans le dos, beuglant un "tu m'emmerdes, à la fin" qui fit rire Lavi aux éclats de l'entendre jurer à nouveau. Les deux garçons commencèrent à se chamailler, Kanda rangeant ses affaires en les ignorant. Il alla se coucher à son tour. Allen ne voulait pas en démordre, il frappait Lavi avec son oreiller tandis que celui-ci le repoussait d'un "mais c'est que t'es vraiment énervé ! Je déconnais, Al ! Reconnais qu'elle était bonne ! J'étais obligé, vous aviez la tête toute crispée, c'était tordant ! Al, tu sais que t'es mon pote, m'en veux pas !" entre deux rires, qui n'arrangeait rien à la situation. Le maudit finit par sentir quelque chose de froid lui attraper la cheville. La main de Kanda, évidemment. Il avait les mains gelées.
Sur un cri de surprise un peu trop aigu à son goût, Allen baissa son regard sur l'alpha. Kanda eut un signe de tête.
« Viens te coucher, laisse donc cet andouille. Il est irrécupérable.
—Mais pas sourd ! »
Allen reçut un coup d'oreiller en pleine poire à ce moment, le choc se répercutant dans son nez alors qu'il jura. Il balança qu'il se vengerait, rejoignant Kanda tout contrarié. Le kendoka se marrait à la vue de son visage courroucé, Allen lui faisant face sans changer d'expression.
« Pour une fois que c'est pas moi qu'il emmerde, » chuchota Kanda avec sarcasme, « j'ai bien le droit de me marrer. »
Si Allen marmonna entre ses dents, il ôta ses chaussures et entra dans le lit tout habillé. Il avait trop froid pour enfiler un pyjama. Timidement, il posa sa tête sur l'épaule de Kanda. Il demandait ainsi un échange d'odeur. À son grand bonheur, Kanda parut comprendre. Il ouvrit son bras, l'invitant dans son étreinte. Allen y plongea joyeusement.
Il sentit bientôt les lèvres de Kanda raser son front sans s'y poser. Son cœur se mit à battre plus fort.
Kanda lui envoyait parfois des signaux contradictoires.
Il en aurait bientôt le cœur net.
« Lavi m'agace, des fois, fit Allen tout bas contre Kanda. Il faut toujours qu'il en fasse des caisses. J'ai pas du tout aimé.
—Il dit les mêmes conneries que d'habitude, pour le coup, rétorqua Kanda sur le même ton. T'es juste fatigué.
—Mouais. Tu dis ça surtout parce qu'il a pas parlé de toi. »
Allen croisait les bras en respirant son odeur, Kanda lui pinçant la joue.
« Boude pas, Moyashi. Ça te va pas d'être grincheux, c'est mon rôle.
—Je m'appelle Allen ! Tu m'énerves aussi ! »
Levant les yeux au ciel, Kanda le poussa à s'installer plus confortablement contre lui. Se tournant à son tour sur ses flancs, il enfouit Allen contre sa poitrine. Le maudit fut obligé de se détendre, sentant la tension dans ses veines s'évaporer progressivement. Il était peut-être bel et bien un peu ronchon. Sa prise de décision le stressait malgré toute sa volonté de positiver, et s'il savait bien que Lavi ne pouvait pas s'empêcher de blaguer dès qu'il avait une ouverture, il n'était pas d'humeur et il aurait espéré de sa part un peu plus de tact.
Dans le fond, Lavi n'avait pas entièrement tort. L'embarras en moins, il n'y aurait pas eu tant de plaisanteries à faire. Pour en arriver là, il aurait aussi fallu que les choses lui paraissent plus claires... et peut-être moins effrayantes pour ce qui était de l'intimité. Lavi avait tapé là où ça faisait mal, malgré lui. Tant pis, il ne pouvait pas le savoir... Allen en revenait surtout à son dilemme.
Allen soupira en s'agrippant à la veste de Kanda.
« Tu sens vraiment bon, ce soir. »
Il prononça ces mots dans un souffle. Kanda parut se figer contre lui. Allen rougit.
« Excuse-moi, ça m'a échappé. »
Il fallut quelques secondes pour que Kanda se décontracte. Son visage était neutre, comme bien souvent, pour autant, la remarque résonnait bizarrement même dans la tête d'Allen.
« C'est bon, balaya le kendoka. Tu sens bon aussi. »
Allen leva les yeux vers lui, aussi, Kanda se fendit d'un visage moqueur.
« La colère, ouais, mais derrière ça, c'est passable.
—Entre dire que je sens bon, et que c'est passable, il y a une différence.
—Si c'est passable, c'est que tu pues pas.
—C'est pas que je sens bon non plus. »
Allen fronçait les sourcils. Kanda avait une manière vraiment... nulle de faire des compliments. Ou alors, il ne faisait pas la différence entre quelque chose d'agréable et quelque chose qui inspirait un sentiment neutre. Auquel cas, c'était vexant. Il pouvait remettre en doute les fois où le kendoka avait confirmé apprécier son odeur. Kanda le colla de nouveau contre lui, coupant le contact visuel.
« Tu sens bon, crétin, joue pas sur les mots. »
Si Allen aurait voulu continuer la joute verbale en arguant que les mots avaient justement une signification, la main de Kanda contre ses flancs et celle qui le maintenant contre lui le dissuada. Il était bien. Il n'avait pas envie que leurs esprits s'échauffent et qu'ils coupent ce bon moment. Kanda n'avait pas tort non plus, il était fatigué. Il avait envie de s'endormir comme ça.
« J'accepte ton compliment, alors, répondit-il pour ne pas être en reste. Même s'il est très mal dit.
—Je t'emmerde.
—Ce n'est pas passable, ça, Bakanda. Ça pue. »
Le maudit rit, Kanda grognant entre ses dents. Il n'était plus d'humeur à être charrié, Allen le comprit.
« T'as de la chance que Lavi soit là.
—Pourquoi ? »
Les mains de Kanda se raffermirent sur ses côtes, et ses doigts le firent frissonner lorsqu'ils rasèrent la hanche derrière le tissu.
« J'crois me souvenir que t'étais plutôt chatouilleux. Mais si l'autre andouille t'entend t'agiter, on sait bien ce qu'il va dire. »
Il s'était vendu lui-même. Lavi ne louperait pas l'occasion. Malgré ses joues qui commençaient à rougir de nouveau, Allen opina. Il posa sa main sur le flanc de Kanda à son tour, levant le menton en le provocant.
« N'oublie pas que je m'étais vengé, souligna-il tout bas.
—Je suis pas aussi sensible aux chatouilles que toi, tu faisais ça pour rien.
—C'est ça, je t'avais senti tressaillir.
—Mon cul. »
Ils rirent en chœur, le chuchotement craché de Kanda était hilarant. Allen était heureux de cette conversation. Contrairement à celle de tout à l'heure, ça le rassurait un peu. Ils avaient une bonne complicité. Il y avait ce côté naturel, quand ils parlaient et blaguaient. C'était bien. Il n'y avait pas besoin de plus. Quoiqu'il arrive, il saurait s'en contenter. Il n'avait juste pas envie de perdre ça, pour rien au monde. Cette peur d'être rejeté ne le quittait pas. Il espérait cependant qu'avec la façon dont Kanda lui répétait souvent qu'il tenait à lui, ça ne tuerait pas leur amitié. Allen était obligé de refouler cette idée, quand bien même elle lui tournait dans la tête plusieurs fois par jours.
Kanda modifia leur position, plongeant son nez dans son cou pour le sentir lui aussi. Il en avait assez de parler, Allen le comprit sans qu'il n'ait besoin de le verbaliser. Ça aussi, c'était bien. Il aimait ces moments où ils se comprenaient sans mot... C'était ce à quoi leur relation devait ressembler quoiqu'ils fassent pour la faire évoluer. Ils devaient faire coexister tout ça et les préoccupations plus existentielles qui finiraient par devenir essentielles. Notamment celles de ses chaleurs.
Allen déglutit. Sa main s'affaiblit contre le corps de l'alpha.
Il faisait confiance à Kanda, il se sentait en sécurité avec lui. Malgré tout, avec la puissance de l'instinct, Allen était terrifié que l'un d'eux perde le contrôle. De s'entendre dire et se voir faire des choses qu'il ne voulait pas foncièrement — à nouveau — parce que les hormones seraient plus fortes que sa logique. Il avait beau avoir consenti et désiré ce que Kanda et lui avaient faits ensemble durant ses chaleurs, ça ne serait jamais arrivé, certainement pas comme ça, si les hormones n'avaient pas rendu cette étape obligée pour qu'ils ne deviennent pas fous.
Ça le perturbait de le savoir. Et ça rendait tout nébuleux.
Allen en était alors à l'étape où il avait commencé à bien connaître son pénis, à avoir une pratique de la masturbation naturelle, fréquente chez un jeune adolescent qui se découvre mais pas frénétique comme sous l'influence des chaleurs. À présent, il renouait tout juste avec son désir sain, explorant son corps d'oméga en s'intéressant davantage à son plaisir prostatique et à la manière de stimuler son anus. Il n'était pas prêt à plus alors qu'il était encore gêné de se mettre des doigts et de caresser ses glandes. C'était plus naturel qu'avant pour lui, mais s'il y réfléchissait honnêtement, il n'était pas à l'aise qu'un autre que lui le touche ici. Il ne voulait pas avoir de rapports sexuels maintenant, ni dans les prochaines semaines. Il en était sûr. Il avait besoin de plus de temps, d'autres expériences, peut-être.
Ça le rendait fébrile de se dire qu'alors qu'il était seulement en train de se réapproprier son corps — car c'était bien de ça qu'il s'agissait —, ses chaleurs allaient de nouveau le forcer à outrepasser ses limites, quand ce n'était pas le lien comme avec ce satané rêve partagé.
Au fond, Allen avait honte de réagir comme ça. Parfois, il ressentait une forme de désir naturel, la fameuse pulsion libidinale, et certaines situations l'excitaient quand il réfléchissait un peu. Surtout dans les moments où c'était réciproque, lorsque la pièce était pleine de phéromones quand Kanda et lui se battaient, quand ils se chamaillaient, quand il sentait le nez de Kanda dans son cou, comme maintenant. Ce n'était pas assez pour qu'il ait envie de concrétiser. Ça ne s'y prêtait pas, c'était un désir encore immature qu'il n'était pas si perturbé de ressentir mais qu'il ne voulait pas montrer ni assouvir. C'était trop lointain pour lui. En comparaison, Kanda semblait considérer les choses d'une manière plus concrète, il en était à une étape supérieure.
Il était un peu plus vieux que lui, aussi, ça devait jouer un peu même s'ils étaient au même niveau d'expérience et qu'ils restaient deux jeunes individus. Kanda était parfois plus gamin que lui, difficile de croire qu'il avait vraiment trois ans et demi de plus s'ils n'avaient pas tous fêté son anniversaire ensemble. Allen n'avait pas envie d'être vu comme un gosse, pour sa part. Ça le faisait complexer. Il savait bien que Kanda ne voulait pas le mettre mal à l'aise ni lui mettre une forme de pression, ils en avaient discuté et Allen le ressentait bel et bien. Non, c'était de lui que ça venait. Il se sentait ridicule de faire le puceau effarouché alors qu'ils avaient déjà effectué pas mal de préliminaires et qu'il y avait pris du plaisir. Oui, il y avait eu les chaleurs, Allen était capable de reconnaître tout seul que ça l'avait brusqué. Pourtant, ça avait été bien. Il n'avait pas à réagir comme ça. Il aurait dû enfouir ça et se concentrer sur le côté positif de l'expérience, avoir envie de recommencer, oublier l'inconfort, se dire que ce n'était pas si grave... C'était ça, la réaction qu'il fallait. De son côté, Kanda était patient, mais parfois maladroit et bourru, il finirait par se poser ces questions sans prendre de gants et Allen n'était même pas capable de l'expliquer.
Pourquoi ce n'était pas plus simple pour lui ? Il était un gars aussi, bien sûr qu'il avait déjà pensé, toujours de manière confuse et lointaine, à tremper le biscuit. Bien sûr qu'il avait déjà ressenti la curiosité à l'idée d'être pris. Ça ne supplantait pas le côté traumatisant de son expérience. Quelque chose clochait dans sa tête, il n'était pas normal.
Un esprit avisé aurait répondu à sa question par le contexte qui se jouait tout autour et qu'il ne contrôlait pas comment son cerveau réagissait. Rongé par ses craintes, Allen n'avait pas de pensées aussi sages.
C'était encore à cause de ses chaleurs qu'il se sentait obligé de déclarer son amour à Kanda. Il en était arrivé à la conclusion qu'il ne pouvait plus ignorer ses sentiments avec l'ambiguïté de leur interactions qui ne lui plaisait pas et lui faisait dire qu'ils ne pouvaient pas continuer comme ça. Les événements le pressaient. Ce stress ne venait pas de ces sentiments idiots, il venait bien du lien et des chaleurs.
De son statut d'oméga. Allen n'avait jamais aimé être un oméga, il n'avait jamais vraiment considéré son second-sexe comme un frein mais pas non plus comme un cadeau à cause de la manière dont il était parfois traité en raison de celui-ci. Il avait détesté être un oméga quand son corps avait changé, la douleur, les saignements, les informations sur son anatomie dont il n'avait jamais entendu parler. L'infirmière qui avait jugé bon de fournir des explications au compte-goutte malgré sa vulnérabilité. Rien n'était fait pour arranger les choses.
Cette proximité forcée entre eux... C'était aussi à cause de ça qu'il était tombé amoureux de Kanda. Il n'aurait jamais découvert cette facette de lui si l'alpha ne l'avait pas aidé, ils auraient continué à se détester. S'il n'y avait pas eu le lien et les chaleurs, ils ne se seraient pas haïs, pas plus qu'ils ne seraient devenus amis.
Allen ne l'oubliait pas non plus. Ce qu'il ressentait était très conflictuel.
Au fond, il devrait se résoudre à aborder le sujet avec Kanda sous peu. Ils l'avaient fait rapidement après le rêve partagé, il avait déballé une partie de ses angoisses, mais ils n'en avaient pas reparlé comme il n'y avait pas de raison de le faire. Maintenant, si. Allen devrait lui dire comment il se sentirait au moment où les chaleurs seraient là. Avant dans l'idéal. Comment était la question délicate. Du fait de la difficulté d'avoir une telle discussion, de mettre des mots sur des choses si personnelles et d'avoir surtout une réaction face à lui... Allen craignait le ridicule qu'il ressentait déjà, de ne pas être compris et de ne pas être clair dans ses explications. C'était si compliqué. Il n'avait pas l'habitude de tout ça. Il avait beau avoir essayé d'instaurer une communication avec Kanda, parce que c'était la seule chose à faire pour que leur relation fonctionne, il n'avait jamais été habitué à bien s'exprimer et à bien écouter aussi, si son tempérament de base l'avait rendu plus ouvert que l'alpha au tout début.
Kanda non plus n'avait pas été éduqué ainsi. Il avait beau être capable de bien le faire maintenant, il y avait parfois un décalage entre ce qu'il exprimait verbalement et ce que son physique montrait. Cet apparent manque d'expressivité n'aidait pas, Allen ne lui en voulait pas d'être comme ça, mais c'était aussi une difficulté. Puis, Kanda était parfois complexe. Allen pouvait plaider coupable, il savait qu'il n'était pas plus facile. Ils n'étaient pas toujours très doués et apprenaient ensemble, d'où leurs erreurs.
Allen ne savait pas comment apaiser son appréhension de la sexualité, comment dialoguer avec Kanda par rapport à ça. Il était perdu. Chaleurs de merde...
« Tu pues. »
La voix de l'alpha gronda soudain. Allen sortit avec peine de ses pensées.
« Désolé. Je m'endormais.
—Tu mens, rétorqua Kanda avec justesse. Je sais à quoi tu penses.
—Ça m'étonnerait. »
Allen avait parlé d'un ton plus amère qu'il ne l'eut cru. Kanda fronça les sourcils avant de poursuivre :
« Tu t'inquiètes pour tes chaleurs ?
—Entre autres. »
Comme s'il avait compris qu'il ne dirait rien de plus, Kanda l'étreignit plus fort. Le contact fit du bien à Allen. Il enfouit sa tête sous le menton de Kanda, respirant son odeur à plein poumon. Il avait envie de pleurer après toutes ces réflexions moroses. Se concentrer sur l'odeur de Kanda l'aida à faire le tris dans ses émotions.
« Ça va aller, chuchota Kanda. Je te promets que je ferai de mon mieux pour que ça se passe bien. »
Malgré la conviction forte de Kanda qui aurait pu le rassurer, Allen se sentit seulement coupable de lui passer encore son stress. Il eut le regard flou.
« Je ne veux pas que tu aies la pression, réussit-il à dire entre deux aspirations, j'ai confiance en toi. C'est juste... compliqué, pour nous deux, on n'y peut rien. »
Se disant, il regardait Kanda, ajoutant en un mot simple ce qui lui pesait réellement :
« Je me sens dépassé, de plus en plus. On en a déjà parlé tout à l'heure, de toute façon. Je peux rien dire de plus. »
S'ils avaient vraiment été seuls et pas à chuchoter l'un contre l'autre, peut-être. Si Allen avait été plus habile, peut-être. C'était le maximum qu'il arrivait à dire, c'était déjà beaucoup. Il sentit un creux dans sa poitrine de même que ses larmes refusaient de couler. Il n'avait pas vraiment envie de penser à la fin de leur dernière conversation non plus. Kanda le serra contre lui, sa main caressant sa nuque.
« Ouais, j'ai pas été très cool avec toi. »
Malgré un sentiment de surprise agréable de l'entendre s'excuser à demi-mots — sérieusement, où était passé le Kanda qui refusait de reconnaître ses torts, Allen secoua la tête contre lui.
« Non, j'ai eu tort, et tu avais raison de me dire ça. C'est bien qu'on puisse se dire ces choses-là. Je veux pas que mon stress te bouffe aussi. »
Tout en opinant doucement, Kanda ne cessa pas ses caresses. Allen devait reconnaître que ça lui faisait du bien. Il ne voulait pas qu'il arrête.
« J'aurais quand même pu être plus sympa.
—T'aurais pu, mais t'es un Bakanda, après tout. Je sais à quoi m'attendre. »
Ignorant scrupuleusement le regard noir dont il sentait le poids sur la racine de ses cheveux, Allen frotta son nez contre la pomme d'Adam de Kanda en riant, soupirant d'aise en humant son odeur. Il avançait vers un moral un peu plus léger, prenant sur lui pour ne pas que ses pensées négatives gagnent. À sa grande surprise, Kanda l'embrassa sur le front.
Allen sentit son cœur faire un bond en avant.
« Tu... Tu fais quoi... ? On avait dit que...
—Excuse. J'aime pas quand tu pues comme ça, t'as pas idée de ce que ça me fait... »
La déception de ne pas aussi bien contenir ses émotions que voulu frappa Allen, de même que la culpabilité de blesser Kanda avec ses odeurs.
« Pardon, je te jure que j'essaie de me calmer. Ça va passer.
—C'est pas ce que je veux dire, fit Kanda avec agacement. Cesse de t'excuser de ce que tu ressens, ça m'énerve.
—Tout t'énerve, Kanda...
—Oui, et ça en particulier. »
Ils échangèrent un sourire complice. Kanda reprit :
« Prends ça comme un signe d'affection, j'aime juste pas quand t'es pas bien.
—Je comprends ça, et je t'en remercie, mais ça... on avait dit que c'était bizarre entre amis. »
Allen ne voulait pas que Kanda se méprenne et pense qu'il le lui reprochait. D'instinct, Allen adorait quand il se montrait affectueux à son égard. Ce qu'il jugeait douloureux était que ça vienne de cette relation étrange que le lien leur faisait avoir et pas de sentiments comme il aurait aimé que ce soit le cas. Kanda souffla.
« Écoute, Moyashi... J'arrive pas à faire comme si on avait jamais eu ces gestes, ni à repousser cette tendresse que j'ai pour toi. J'y arriverai pas. »
Le maudit écarquilla les yeux.
« Qu'est-ce que tu veux dire par-là, Kanda ? »
Kanda soutenait son regard. Il le sondait, le disséquait comme Allen le faisait à la recherche de quelque chose. Le cœur d'Allen tambourinait dans sa poitrine une énième fois. Il n'osait pas espérer que Kanda ressentait la même chose que lui.
La main du plus vieux lui appuya sur la nuque pour le repousser contre lui. Il attrapa la couverture supplémentaire au pied du lit de l'autre pour les y enfouir.
« Rien de plus que ce que j'ai dit. Si ça te dérange, je ne le ferais plus. Dormons. »
Le Kanda laconique qui n'avait plus envie de discuter était de retour. Allen se sentit frustré. Il avait la vague impression que Kanda la lui faisait à l'envers aussi, mais il n'en était pas sûr et surtout il ne comprenait pas de quoi il était question. Essayait-il de lui dire quelque chose, malgré son démenti ? Kanda parlait de tendresse, mais si Allen n'en avait pas connu beaucoup dans sa vie avant la sienne qui n'était pas toujours au rendez-vous, le sentiment provenait de causes multiples. Il pouvait être fou amoureux de Kanda et que ce dernier l'embrasse comme il aurait embrassé son petit-frère, auquel cas, ça l'aurait rudement vexé.
Une information de plus qu'il ne savait pas où classer entre la catégorie "indicateur de rejet" et "possible encouragement".
Quant au fait que cet abruti croie bel et bien que son baiser le dérangeait, alors que pas du tout, Allen était tout aussi perplexe de la compréhension que Kanda avait de lui. Il peinait toujours autant à clarifier le comportement de Kanda pour sa part, alors il n'était peut-être pas mieux. Les relations humaines n'étaient décidément pas faciles.
« J'accepte que tu le fasses, » dit Allen en rougissant.
Ce n'était qu'un baiser sur le front, après tout. Kanda ne renchérit pas.
Les paroles de l'alpha continuaient de tourner dans la tête d'Allen. Elles se frayaient un chemin vers son cœur d'une manière profonde. Sa vexation s'envolait, ou du moins s'atténuait. Kanda venait de confirmer d'une manière inattendue qu'il tenait à lui. Il le lui avait déjà dit, ces paroles n'étaient pas dénuées de sens non plus, mais qu'il le montre ainsi... Allen expira bruyamment, ravalant un trémolos qui montait en lui.
« Tu sais, quand tu parles de tendresse envers moi, ça me touche beaucoup. On m'a jamais dit ce genre de trucs avant. »
Malgré lui, Allen se sentait en effet ému. Une émotion à laquelle il ne s'attendait pas pour des paroles aussi insignifiantes.
Ça sonnait beaucoup trop pathétique, d'avouer ça, et il s'attendit d'ailleurs à ce que Kanda se moque. Il renifla idiotement en évitant le regard de l'autre garçon, les oreilles chaudes.
« Chiale pas encore, Baka Moyashi. »
Allen n'eut pas besoin de lever les yeux pour deviner à sa crispation que Kanda était tout aussi gêné que lui.
« Je chiale pas, j'ai juste... Laisse, un Bakanda comme toi peut pas comprendre.
—J'vais t'étouffer avec l'oreiller, on va voir ce que je vais comprendre.
—Elle est belle, ta tendresse, Bakanda...
—Dors, et ferme-la. »
Le maudit rit, pas vexé pour un sou. Il n'était pas en reste et se serait défendu, ça ne l'effrayait pas. Kanda n'avait pas arrêté de le sentir, il était encore crispé, son sentiment de gêne mettrait un moment à disparaître. Allen se blottit dans son étreinte, ne sentant plus du tout le froid extérieur. Kanda lui avait changé les idées au moment où il en avait le plus besoin.
Allen pensa que ça aussi, c'était quelque chose qu'il aimait dans leur relation.
« Merci pour tout, Kanda. »
Le kendoka hocha la tête sans répondre au début, caressant ses cheveux. Il finit par lui chuchoter de ne pas le remercier, Allen n'insistant pas à son tour. Il commençait à être fatigué.
Le sommeil l'emporta, les cahots du train le berçant avec le rythme des caresses contre son cuir chevelu.
Kanda fut réveillé par des sanglots légers — il eut du mal à comprendre de quoi il était question, au début.
Instinctivement, il pensa qu'il s'agissait d'Allen. Il n'était pas très bien hier, et s'il avait fini par s'endormir sans mal, Kanda se doutait qu'il était tourmenté. Il ne pouvait pas l'en blâmer. À sa surprise, ce n'était pas l'oméga. Il dormait paisiblement, quoiqu'en claquant un peu des dents, tout contre lui. Il lui avait piqué la deuxième couette et s'était enroulé dedans comme une viande dans une galette de blé. Kanda souleva les mèches qui étaient retombées sur son visage, inspectant le maudit. Il dormait bel et bien. Loin d'être idiot, Kanda comprit que les bruits étaient juste au-dessus.
Il fronça les sourcils.
Le Baka Usagi se tapait une chialade en pleine nuit ?
Il allait réveiller Allen. Kanda hésita à le faire lui-même. Il n'était pas proche de Lavi comme ça, il ne saurait pas quoi dire et refiler le bébé à Moyashi comme il s'agissait de son pote était plus indiqué. Puis, Kanda songea que ce n'était pas juste. Allen était suffisamment déprimé et fatigué comme ça, il avait besoin de dormir. Ç'aurait été sacrément égoïste de l'empêcher de se reposer pour quelque chose où il pouvait agir seul. Il désirait prendre soin du plus jeune, ça passait aussi par ce genre de trucs. Ça tombait donc sur lui. Kanda donna une caresse au crâne d'Allen.
Les pleurs de Lavi ne tarissaient pas. Il avait beau avoir du mal à le supporter, il était aussi son ami — Kanda n'aimait pas l'admettre. Ils ne se le montraient juste pas très souvent. Il ne pouvait pas l'ignorer non plus. Il se rappelait de leur conversation dans la salle de méditation, l'autre fois. Lavi était bizarre, dernièrement. Il semblait osciller entre des moments où il redevenait le garçon blagueur et chiant débordant d'enthousiasme qu'ils connaissaient, et ceux où il était beaucoup trop silencieux pour que ce soit normal.
Lorsque Kanda se redressa et entreprit de sortir du lit, le ressort grinça. Allen ne broncha pas. En revanche, il entendit Lavi s'étouffer avec sa salive sous la honte d'être surpris. Trop tard, évidemment. Kanda ne parla pas, il procéda en douceur en grimpant à l'échelle, se retrouvant face à un Lavi de dos qui faisait bien sûr semblant de dormir. Il pouvait apercevoir ses tremblements et l'entendre renifler — il faisait l'effort de retenir sa respiration pour que ce ne soit pas flagrant. Contre la fenêtre, malgré le rideau tiré, une pluie battante s'écrasait. Un bruit de reniflement fort finit par exploser, Lavi se figeant. Il essayait de garder le contrôle, mais ça ne marchait de toute évidence pas. Allen faisait pareil. Deux cons.
« Baka Usagi, » appela Kanda, « qu'est-ce que tu as ? »
Lavi sursauta. Il ne s'était pas attendu à ce que ce soit lui qui le prenne la main dans le sac, et Kanda le vit hésiter à la façon dont sa silhouette se crispa.
« Je t'ai entendu pleurer. Fais pas semblant de dormir.
—Pardon, Yû, articula faiblement Lavi. Je voulais pas te déranger. Va te recoucher. »
S'il l'appelait par son prénom, comme d'habitude, qu'il n'y ait aucune pointe d'amusement dans sa voix et même de la désolation sincère convainquit Kanda de ne pas retourner dormir. Une part de lui aurait préféré ça, il n'avait jamais été très doué pour écouter les autres. Il émit un 'tch', à moitié agacé, quoique plus consterné par le spectacle que lui offrait le rouquin.
« On va prendre l'air, enfile ton manteau, dit-il en lui tapant dans le dos. Tu vas réveiller Moyashi. »
Ça avait le ton d'une réprimande. Kanda s'en voulut un peu, ce n'était pas son intention. Lavi se retourna tête baissée par l'embarras, ça devait être ce qu'il avait compris. Il avait le visage baigné de larmes qu'il essuya avec sa veste.
« Ouais, t'as raison. Pardon.
—C'est bon. Amène-toi. »
En s'essuyant le nez, Lavi descendit l'échelle, rejoignant Kanda qui enfilait ses chaussures discrètement. Allen dormait à poings fermés. Au moins, ils ne le dérangeraient pas. Une fois qu'ils furent habillés, Lavi suivit gauchement Kanda, peu sûr de comprendre où il voulait l'emmener prendre l'air en avisant la pluie dehors. Avec le temps, ils risquaient plus de prendre une douche qu'autre chose s'ils s'aventuraient sur la plateforme entre deux voitures. Ils n'auraient qu'à ouvrir une fenêtre pour que le rouquin prenne quelques inspirations, et tempérer leurs voix dans le couloir.
Kanda le conduisit jusqu'au fond de l'habitacle, remontant le châssis de la fenêtre à guillotine. Lavi y passa sa tête, ayant mis sa capuche, et respira un peu confusément. Il avait encore les yeux brillants. Il resta comme ça quelques instants. Le kendoka attendit à côté de lui, les bras croisés en étant appuyé contre le mur. Il ne dit rien. Attendre que Lavi se calme et rester là était une forme de soutien. Ne connaissant pas la situation, il ne pouvait pas dire quoique ce soit. Il avait déjà demandé à Lavi ce qu'il y avait, dans la logique des choses, c'était à lui de décider s'il lui répondait ou s'il éludait la question.
Tout ce que Kanda comprenait, et ce qui ne l'étonnait même pas tant que ça, c'était qu'en cet instant, Lavi avait une odeur d'oméga. Toute odeur de bêta avait disparue, comme si elle n'avait jamais été là. L'étrange mélange difficile à décrypter s'était dissipé.
Kanda aurait pu mettre les pieds dans le plat. Il finirait peut-être par le faire si Lavi ne disait rien qui indiquait qu'il voulait retourner dans la cabine ou se mettre à table trop longtemps, parce que sa patience aurait des limites. Pour le moment, il préférait éviter de brusquer l'archiviste.
Était-ce là la raison de sa détresse ? Sûrement. Ce qu'il sentait poserait problème. S'il le percevait si clairement, d'autres le pourraient. Les Traqueurs. Les gens à l'Ordre. Allen. Son grand-père était-il au courant ? Kanda n'en avait rien à foutre, du statut de Lavi, il avait déjà son oméga à gérer, ça lui suffisait amplement. Il s'interrogeait quand même sur la supercherie que les Bookman avaient peut-être montés auprès de l'Ordre. Ou que Lavi fomentait tout seul, même si ça semblait dur à croire. Un oméga était accepté en étant qu'Exorciste, la preuve, Allen était là. En revanche, il était formellement interdit de mentir sur son statut, et Lavi n'aurait pas disposé des mêmes avantages ainsi que du même traitement s'il avait été un oméga. Voilà pourquoi le vieux connard aurait pu le cacher.
Quant à l'hypothèse que Lavi ait travesti son propre second-sexe, s'il était étrange que le vieux ne l'ait pas découvert, Kanda imaginait sans mal pourquoi.
Un petit bruit lui apprit que le rouquin s'était refoutu à chialer. La tête par la fenêtre, il avait les épaules qui se secouaient de sanglots. Il semblait inconsolable. Kanda sut qu'il devait intervenir. Ils n'allaient pas y passer la nuit.
« Tu comptes chialer comme ça longtemps ? claqua-t-il. Qu'est-ce qui t'arrives, à la fin ? »
Ce n'était pas la manière la plus aimable d'entrer en matière, mais il n'avait pas tort. Lavi pouvait passer sa nuit à pleurer, ça n'arrangerait rien à la situation.
Il y eut un long silence ponctué de reniflements alors que Lavi essayait de se calmer.
« Je suis vraiment désolé. Va te rendormir, je vais rester là. Pardon.
—Non. »
Lavi pivota la nuque dans sa direction, les sourcils haussés. Il ne s'était pas attendu à ce que Kanda insiste, et Kanda ressentait une vague hésitation. Il était lancé, maintenant.
« Dis-moi ce qui t'arrive, Baka Usagi. Je vais pas te laisser tout seul alors que t'es dans cet état. »
Déjà parce qu'il puait l'oméga et qu'on ne savait jamais, ou au contraire trop bien, quelles idées ça pourrait donner à un alpha qui se promènerait. Il ne le dirait pas. Kanda n'était pas particulièrement chevaleresque, mais il s'en serait voulu si quelque chose arrivait à son camarade. Lavi se mit à rigoler, prenant une expression faussement larmoyante — malgré les vraies larmes sur ses joues.
« Tu t'inquiètes pour moi, Yû ? C'est trop mignon ! Je l'aurais jamais cru ! Alors tu m'aimes bien ?!
—Ta gueule et parle, ou je ferme la fenêtre sur ton cou. »
Lavi consentit à rire. Il s'essuya les yeux en se redressant. Il se passa une main sur la nuque, se grattant. Gêné.
« C'est un peu compliqué... J'peux pas vraiment, c'est pas important. Je te taquine, mais j'apprécie que tu t'inquiètes pour moi. Ça ira. »
Pas important, Kanda en doutait. Son sourire factice lui rappela ceux que faisait parfois Allen. Kanda en fût agacé.
« Ose me dire que si je te laisse, tu te remets pas à chialer dans les dix secondes. »
Lavi se mordit la lèvre. Kanda sut qu'il avait touché juste.
« C'est ton histoire de lien ?
—Pardon... ? Lavi fut éberlué. Mon lien ?
—Oui, ce dont t'es venu me parler quand je méditais. C'est ça le problème ? »
Lavi s'ébouriffa les cheveux, cette fois. Il jeta un coup d'œil au couloir, comme s'il voulait s'assurer que personne n'était là pour les écouter. Sa façon de chercher, d'écouter le silence et de couper sa respiration révélait tout à sa place. Kanda pensa avoir compris.
« Ton lié est ici ? » Il parlait bas, Lavi se ratatinant contre le mur en se laissant tomber au sol. « C'est ça ?
—Ouais... »
C'était plus un "ouais" vaincu qu'une confession de bonne grâce. Kanda s'assit à côté de lui. Quelques ronflements retentissaient par de les portes des cabines voisines. Il n'avait nullement l'intention de forcer Lavi à parler. À part la curiosité qui l'avait piqué, une forme de jugement personnel qu'il essayait d'avoir sur la situation qui l'interpellait logiquement — Kanda n'était pas si insensible à son environnement, il n'était pas concerné.
L'apprenti Bookman serra ses jambes relevées contre son torse. Il sentait toujours autant l'oméga. Kanda fut maintenant convaincu qu'il en était un. Il ne savait pas ce qu'il prenait pour camoufler ses odeurs d'habitude, mais il avait intérêt à s'en procurer de nouveau.
« J'en ai pas parlé à Allen, dit Lavi d'une voix blanche. Tu ne dois pas lui dire.
—Tu crois que je ragote avec Moyashi ? Il vaut mieux pas qu'il sache, il a déjà ses chaleurs à gérer. »
Si Lavi rit, ce fut de courte durée. Il acquiesça.
« C'est pour ça que j'ai rien dit. Yû, c'est vraiment la merde... Un truc a changé... Est-ce que tu sens que... ?
—Que tu es un oméga ? » Les faux-semblants pouvaient aller se faire foutre à ce stade. « Oui. T'as plus de Suppressants ?
—Comment tu connais ces trucs...
—J'en ai entendu parler, comme tout le monde. »
Lavi opina. Il remit son cache-œil en place et tira aussi sur son bandeau. Réflexe pour s'occuper les mains — elles tremblaient.
« C'est pas un problème de Suppressants. J'en prenais pas avant. Mais il va m'en falloir si je veux que personne comprenne.
—Tu avais une odeur de bêta sans Suppressants ? »
Kanda était obligé de manifester sa surprise. Il peinait à se figurer que ça existait vraiment. Lavi pencha la tête sur le côté. Les larmes se bousculèrent sous sa paupière.
« C'est plus compliqué que ça. Je sais pas comment je vais faire avec les Traqueurs, demain... Ni avec Allen, il va le comprendre... J'ai besoin d'aide, et je sais pas quoi faire.
—Ton lié peut rien faire pour t'aider ?
—C'est encore une fois compliqué entre nous. Il m'a déconseillé d'en prendre... On s'est disputés. » Lavi pinça les lèvres. « Je pensais pas que j'en aurais besoin si vite. Putain, si ça se sait... »
Pour le coup, Kanda commençait à comprendre pourquoi il chialait. Il se demanda aussi quand ils avaient eu le temps de s'engueuler... Lavi s'était-il éclipsé de la chambre ? Sûrement.
Ce que disait le rouquin l'interpellait. Il connaissait donc son lié, ils avaient déjà parlé de tout ça et le type ne lui proposait aucune solution. Il n'allait pas jouer les conseillers conjugal et se foutait complet de leur dispute. Kanda nota que ça semblait être un il, sans doute un alpha — il était rare qu'un oméga ne soit pas lié à un alpha, bien que d'autres occurrences existent. Pour être franc, le kendoka comprenait à moitié la réaction de l'autre si son refus se situait dans une idée de protection. Ils n'avaient sans doute pas ce genre de relation, vu comme Lavi était mal à l'aise avec sa présence. De plus, Lavi cachait déjà son statut, le révéler pouvait le faire emprisonné. Les omégas qui mentaient étaient châtiés des pires manières. Ne rien faire pour lui dans ces circonstances semblait salaud.
Kanda coula un regard sur Lavi.
« Comment tu cachais ton statut avant ? »
Lavi resta silencieux. Quoiqu'il en soit, il était évident que ça ne marchait plus. Kanda soupira.
« Tu peux pas insister auprès de ton lié ? » Lavi secoua la tête. « T'es en danger, avec ce type ? C'est qui ?
—Je suis pas en danger. »
Lavi avait l'air de ne même pas y croire. Kanda ne fit aucun commentaire. Il remarquait que l'abruti ne répondait pas aux autres questions, et ça l'agaça de jouer les détectives.
Il eut alors une bonne idée bien débile, qui acheva de lui faire comprendre qu'il se foutait dans la merde.
Kanda n'avait jamais voulu s'impliquer autant. Quelque chose en lui refusait cependant d'abandonner Lavi à son sort en toute cruauté mêlée d'indifférence comme il l'aurait fait avant.
Je suis en train de trop m'impliquer, putain.
En sortant du lit pour aller parler à Lavi, il avait déjà pris sa décision.
« Il paraît qu'on peut s'en procurer, ici. Je peux t'en trouver dès qu'on s'arrêtera, on dira que tu es malade demain. Mais je refuse qu'Allen soit mêlé à ça. Évite à tout prix qu'il tombe là-dessus.
—Wow, tu es donc capable de l'appeler par son prénom ! Je crois qu'il serait ravi de l'entendre, tu sais.
—Ta gueule, Baka Usagi. »
Kanda ne déconnait pas. Il campait sur ses positions, farouche.
Il voulait aider Lavi par camaraderie et parce qu'il prenait conscience de sa situation délicate. En tant qu'alpha, ça serait plus facile pour lui de déambuler au prochain arrêt que le train ferait pour refroidir les machines et de chercher dans les mauvais quartiers les vendeurs de Suppressants. Ça pouvait paraître gonflé de sa part de refuser d'en faire bénéficier Allen, ou d'au moins le lui proposer. Il aurait sans doute aimé échapper à ses chaleurs. Malgré tout, donner des Suppressants à un adolescent de 16 ans était fortement déconseillé, déjà que même un oméga adulte pouvait souffrir des conséquences. Les hormones pouvaient avoir des effets secondaires aussi dévastateurs que les chaleurs, et quand ils en seraient à courts, car introuvable dans certains pays, comme chez eux, Allen aurait des chaleurs violentes et extrêmement douloureuses. Ce serait pire que la dernière fois.
Kanda préférait, quitte à jouer dans le paternalisme, l'empêcher d'avoir la fantaisie d'y toucher. Il n'y avait pas de solution parfaite. Tout ce que Kanda voyait, c'est qu'Allen était son oméga, et qu'il devait le protéger. C'était différent pour Lavi, d'une part parce qu'il n'était pas son lié, et d'autre part parce qu'il n'avait pas le choix.
L'archiviste secoua la tête, reprenant une expression sérieuse.
« Je t'ai dit que je ne comptais pas lui en parler. Je vais pas droguer ton petit chéri. » Kanda grinça des dents à son commentaire. « Je viens avec toi. Tu parles pas russe, moi oui. Les gangs d'ici ne déconnent pas, tu peux te retrouver en taule si on te chope... Ça reste interdit de donner des Suppressants à un oméga. Si tu te fais choper, on risque de penser que c'est pour Allen et l'accuser de complicité. Sa punition sera encore plus terrible que la tienne. Et je veux pas que vous vous retrouviez dans la merde pour moi.
—Tu crois que si on se pointe à deux et que tu pues l'oméga, on va nous prendre au sérieux ?
—Est-ce qu'on a un autre choix ? Tu vas vraiment traiter avec des vendeurs de drogues sans baragouiner un mot ? »
Pas vraiment, c'était même la pire idée. Kanda fit claquer sa langue dans sa bouche en se levant.
« Retournons dormir, on s'organisera demain. »
Lavi hocha la tête doucement. Ses traits étaient toujours aussi tirés et il était encore fébrile. Sa silhouette était toutefois rassérénée, comme si un soulagement léger d'avoir peut-être une solution le réveillait un peu.
« Yû, merci infiniment pour le risque que tu vas prendre. C'est vraiment dangereux, tu sais, et que tu veuilles t'impliquer, alors que c'est pas ton genre... Je sais pas comment je peux te remercier pour ça.
—Arrête de m'appeler par mon prénom. »
Du tac au tac, Kanda se remit à avancer, ignorant la moue boudeuse et enfantine qui prit place sur le visage de l'archiviste.
« T'es pas sympa, je croyais qu'on était devenu des super copains, maintenant qu'on va faire les quatre-cents coups ensemble !
—Tais-toi, avant que je change d'avis, » aboya Kanda en faisant volte-face. « Viens, on retourne au lit. »
Sans protestation de Lavi, ils regagnèrent leur cabine. Sur les talons de Kanda, Lavi se taisait en signe de reconnaissance.
Effectivement, Kanda prenait un gros risque pour sa tête d'andouille. Il regretterait sans doute sa décision à la prochaine blague lourde de Lavi.
En attendant, il avait fait son choix. Il se hâta d'enlever manteau et chaussures, puis se glissa dans les draps aux côtés d'Allen qui grogna dans son sommeil, visiblement mécontent de sentir du mouvement dans le lit. L'oméga se colla bien vite contre lui, cherchant sa chaleur inconsciemment. Kanda se sentit coupable de ne pas évoquer l'idée des Suppressants avec lui demain. Par principe, il n'aimait pas avoir l'impression de lui mentir. Il savait qu'Allen n'était pas idiot. Il aurait mérité de savoir ce qu'il faisait, les risques qu'il prenait pour eux deux, car Lavi avait raison. Si ça foirait, ils seraient tous les deux dans la merde en plus de lui.
Pour cela, il aurait fallu révéler le secret de Lavi à sa place, et prendre le risque de conséquences tout aussi graves s'ils se pointaient tous, un seul alpha avec deux omégas, devant des trafiquants de narcotiques. Kanda ne pourrait pas protéger les deux à la fois. Moyashi refuserait d'être évincé.
Sachant traiter avec la pègre, il gérerait peut-être mieux la situation qu'eux s'il avait parlé russe. Kanda se rappelait qu'il connaissait bien les milieux malfamés, à cause de Cross Marian qui l'emmenait dans les sales quartiers. C'est de là que venait son engouement pour le Poker et sa débrouillardise pour se sortir des difficultés. Il aurait quand même dû être protégé. En plus de juger fortement Cross pour l'avoir confronté à ça car un enfant n'avait rien à foutre dans ces endroits, Kanda était fâché en pensant à la mise en danger et la négligence dont il était question. Pour lui, qu'Allen soit son oméga ne conférait à Kanda aucune autorité sur sa personne, à part aux yeux des vieilles instances, mais ça ne lui enlevait pas de la tête qu'il avait une forme de responsabilité qui incombait de lui éviter du danger inutile. Du fait de leur écart d'âge, bien qu'il soit faible, aussi. Kanda ne le ressentait pas tant que ça. Pour ce genre de questions... ça entrait en considération.
Personne n'avait épargné Allen, au point qu'il pleurniche en entendant Kanda lui confesser son affection... Il aurait trouvé ça pitoyable il y a quelques mois. À présent, il voyait ça comme une part d'innocence à préserver, coûte que coûte.
En serrant le maudit dans ses bras, Kanda trancha pour ne pas faire courir de risque inutile à quelqu'un qu'il aimait profondément.
À suivre...
Note : Le chapitre pose le ciment d'un rapprochement amical entre Kanda et Lavi, et aussi, vous vous en doutez bien, de pas mal d'emmerdes en approche liées à leur petite expédition.
Jusqu'à présent, la fic n'a pas traité des "Suppressants" ou "Bloqueurs", ils ont été introduits au chapitre 30 de Hormones et au début de Feelings lorsque Link se demandait si Lavi n'en prenait pas à cause de son odeur fluctuante. Dans la majorité des fics A/B/O qui incluent cette idée, les Suppressants sont souvent interdits pour ne pas que les omégas puissent gérer leur cycle et se fondre dans la masse librement, ou parce que les prendre serait une mauvaise idée à cause des effets secondaires. Les deux raisons n'étant pas mutuellement exclusives ici, comme le montre la réaction de Kanda, qui, sans mauvaise intention, essaie quand même de contrôler la réaction d'Allen qu'il sait angoissé face à une échappatoire qui pourrait lui être néfaste en utilisant l'âgisme comme justification. Ça reste une réaction compréhensible de sa part, pas totalement irraisonnée non plus, mais plus ou moins bien fondée. C'est plutôt complexe, bien sûr. Si ça vous titille un peu, tout ça sera traité par la suite !
On a pas vu Tyki dans ce chapitre, la dispute Tykivi a eu lieu en off, mais il sera bientôt de retour pour nous jouer un mauvais tour. (;
Sinon, notez comme Kanda a enfin (ou plutôt de nouveau depuis le chapitre 29 de Hormones) appelé Allen par son prénom, mais toujours pas devant lui haha.
Quant à Allen, forcément ses angoisses ressurgissent, mais n'ayez crainte, ça va finir par bien se passer pour lui. Même si ce ne sera pas forcément la route ensoleillée, le petit bonhomme est sur la bonne voie.
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