Musiques : Kiro (FMA, OST 1), Aisetsu (FMA, OST 3), No answer et Consonance (FMAB, OST 2), Kenja no Ishi et Hisô (FMA, OST 1), Ante meridiem et Tribute to W.C.I (FMAB, OST 3)
Note : Cette semaine, on repart du côté des « gentils » ! Préparez-vous, parce que vous allez avoir de la lecture ;)
Chapitre 18 : Asile
« Resembool ! Resembool ! Deux minutes d'arrêt ! » s'égosilla le contrôleur en ouvrant la porte du wagon.
Sa voix, pourtant stridente, peina à couvrir le grondement de la locomotive. Au bout du quai plutôt désert en cette fin de soirée, celle-ci crachait une fumée épaisse qui se perdait dans le crépuscule naissant sur la campagne verdoyante.
Riza descendit sur le quai, son sac sur l'épaule. Prudente, elle prit soin de réajuster sa perruque et de baisser la tête avant d'arriver à hauteur de l'homme qui saluait les passagers pour les remercier d'avoir choisi sa compagnie ferroviaire.
Lorsqu'elle fut à bonne distance, la soldate s'étira longuement. Son corps était courbaturé à force d'être resté assis tant de temps. Une moue fatiguée se peignit sur son visage, qui n'était d'ailleurs plus que légèrement fardé. Il fallait l'avouer, Riza avait eu beaucoup de mal à garder son maquillage en place tout au long de la traversée – malgré quelques retouches ponctuelles. Il aurait été stupide de tout gâcher par une maladresse alors qu'elle touchait au but. Elle se retint donc de frotter ses yeux aux paupières lourdes et se dirigea d'un pas traînant vers la gare.
Le voyage avait été extrêmement long ; plus long, d'ailleurs, que ce que la fugitive avait prévu. Elle avait passé pas moins de deux jours et demi dans ce satané train. La faute à une avarie du matériel sur le trajet, d'après ce qu'elle avait compris. En tout cas, il lui avait fallu passer une nuit dans une auberge de fortune sur la route, et une autre à bord. Une vraie pagaille qui lui avait coûté de précieuses heures. Sans compter l'angoisse induite… Ces heures avaient été un cauchemar éveillé ! Impossible de relâcher sa vigilance une fois dans le wagon et, par conséquent, de se reposer. La jeune femme avait dû consacrer toute son énergie à chercher comment se prémunir du moindre contact avec les passagers rendus agités par l'attente et, pire que tout, bien bavards. Fort heureusement pour la blonde, elle n'avait eu à adresser la parole qu'au contrôleur. Sans doute son air volontairement peu amène en aura-t-il découragé plus d'un d'entamer le dialogue avec elle.
Autant de précautions qui, pour ne rien arranger, l'avaient privée d'un détour par la voiture-restaurant depuis son séjour à l'auberge.
Riza était affamée et épuisée. Sa dernière nuit, en compagnie de voyageurs turbulents et d'une banquette en bois terriblement inconfortable, avait été trop courte. La jeune femme aurait tout donné (ou presque) pour un bon lit et un bon repas. Son ventre, d'ailleurs, le confirma bruyamment. Elle devait vite trouver au moins de quoi se restaurer, si elle ne souhaitait pas s'évanouir de fatigue. Mais aurait-elle seulement droit à un bon accueil, là où elle allait ? Elle était partie en catastrophe de chez elle, sans même penser à téléphoner au préalable à ceux qui, elle l'espérait, deviendraient ses hôtes pour les jours à venir : la famille Rockbell.
Cela lui déplaisait de s'imposer ainsi, mais l'urgence de la situation l'exigeait. Néanmoins, même si Riza était déjà venue ici par le passé, elle ne se souvenait plus exactement du chemin qu'il fallait emprunter pour se rendre à la maisonnette isolée. Elle se renseigna donc auprès d'un des agents de la gare, qui lui détailla l'itinéraire. Une chance que la famille Rockbell fût connue comme le loup blanc dans la région pour l'excellence de ses prothèses ! La taille du hameau jouait certainement aussi, cela dit. Ici, tout le monde devait connaître tout le monde. C'est d'ailleurs ce qui convainquit Riza de rallier sa destination à pied plutôt qu'en auto-stop.
La blonde regretta toutefois rapidement sa décision lorsqu'elle se rendit compte que vingt-cinq minutes de marche l'attendaient. Sa lente progression au travers des collines acheva de consumer le peu d'énergie qu'il lui restait après tout une journée de jeûne et, en arrivant enfin à destination, la voyageuse ne put s'empêcher d'être gagnée par le malaise.
Soudain, Riza voulut faire demi-tour. La vue de cette maison modeste mais chaleureuse, dont les fenêtres éclairées débordaient de vie dans la nuit noire, lui nouait la gorge. Comment expliquer sa situa… non, la situation ? Car elle n'était pas la seule dont la vie était en jeu dans cette quête d'asile. De sa survie dépendait sûrement celle des frères Elric, qui étaient très chers aux deux femmes qu'elle s'apprêtait à rencontrer. Pire, de sa discrétion dépendait aussi la vie de ces dernières, qui risquaient gros en l'hébergeant – si elles acceptaient de le faire. Pouvait-elle raisonnablement leur demander de lui fournir un abri alors que Pinako et Winry Rockbell n'étaient que de simples civiles ? Pouvait-elle leur faire courir ce risque ?
Le lieutenant se mordit la lèvre.
Une hésitation, puis la soldate s'avança vers la terrasse en bois qui menait à la porte d'entrée.
À quoi bon se torturer l'esprit ?
Tous ceux qui connaissaient de près ou de loin les frères Elric étaient déjà embarqués dans une affaire qui les dépassait.
Ce que Riza s'apprêtait à faire ne changerait que peu de chose.
Une fois sur le seuil de la maison, elle leva la main. Elle resta statique un instant, puis se décida enfin à toquer à la porte. Elle frappa trois coups.
Trois coups qui sonnèrent chacun comme un glas à ses oreilles.
Des voix étouffées lui parvinrent :
« Winry ? Tu peux aller voir qui c'est, s'il te plaît ?
— Tout de suite ! »
Cette simple exclamation trahissait la candeur de la jeune fille. En l'entendant accourir pour l'accueillir, Riza sentit une bouffée de culpabilité l'étrangler, malgré ses résolutions. Elle le savait, elle allait bouleverser leur quotidien ; remuer des plaies qui ne demandaient qu'à se refermer.
Mais trop tard pour faire machine arrière. La porte s'ouvrit.
« Oui ? C'est pour quoi ? » se renseigna Winry avec un sourire chaleureux, mais dans lequel perçait une pointe de tristesse.
Vêtue d'un bleu de travail et d'épais gants couverts d'huile aux mains – tout du moins, à celle qui ne tenait pas la poignée –, la mécanicienne devait certainement avoir été interrompue en plein travail. Pourtant, cela ne l'empêchait en rien d'être affable, alors même que la soirée était déjà bien entamée et qu'elle aurait été tout à fait dans son droit de renvoyer une cliente indélicate.
« Euh… », bafouilla Riza, embarrassée par ce qu'elle s'apprêtait à dire. Elle jeta un coup d'œil aux alentours, méfiante. Elle ne pensait pas avoir été suivie, mais sait-on jamais. « Mademoiselle Rockbell…
— Oui ? » s'étonna celle-ci.
Son sourire, qu'elle maintenait déjà à grand-peine, s'effaça pour laisser place à une expression soucieuse. Le ton de la nouvelle venue n'était guère rassurant.
« Veuillez m'excuser de vous déranger à cette heure, mais je n'avais pas d'autre choix », expliqua l'importune, avant de marquer une pause. Elle se décida à jouer la carte de la franchise : « Je sais que mon accoutrement est susceptible de vous induire en erreur, mais nous nous connaissons. Je suis le lieutenant Riza Hawkeye, subordonnée du général Roy Mustang, le supérieur d'Edward. J'ai à vous parler. Puis-je entrer ? » s'enquit-elle d'une voix douce pour ne pas braquer la jeune fille, sans même penser à corriger son titre.
Peu lui importait d'avoir été promue ou de recevoir maintenant ses ordres directement du Führer. Elle était et resterait la subalterne du général… et de personne d'autre.
Les doigts de Winry resserrèrent leur prise sur la poignée, qui trembla entre eux. Ses sourcils, froncés, ombragèrent ses beaux yeux bleus qui pétillaient pourtant quelques secondes plus tôt. Riza en devina aisément la raison. Suite à la mort de ses parents sur le champ de bataille, l'orpheline n'avait jamais réellement porté les soldats dans son cœur. Une légère amélioration s'était fait sentir quand elles avaient toutes deux fait connaissance des années auparavant, lors de la visite du général à Edward juste après sa transmutation ratée, mais cela n'avait pas dépassé la simple cordialité.
Après tout, c'était compréhensible : c'était Roy – et elle, par extension – qui avait incité Edward à rejoindre les rangs de l'armée ; qui lui avait arraché, somme toute, son ami d'enfance et son frère du même coup. Sans compter que, depuis, beaucoup de choses s'étaient passées.
À commencer par la disparition inexpliquée d'Edward et d'Alphonse.
Il était donc légitime de croire que cette courtoisie d'antan n'était plus d'actualité. Riza le savait bien. Si Winry ne lui avait pas déjà claqué la porte au nez vu le ressentiment évident qu'elle affichait, c'était uniquement parce qu'elle l'avait régulièrement tenue au courant de l'avancée de ses recherches. Mais le lieutenant n'avait jamais reçu de réponse à ses bouteilles à la mer. Au fond de son cœur, l'adolescente ne pouvait probablement s'empêcher d'imputer la faute de la disparition de ses amis à ceux qui les avaient côtoyés juste avant l'incident ; ne serait-ce qu'à cause de la négligence dont on avait fait preuve envers eux à deux reprises.
« Me parler ? Et de quoi ? » cracha Winry après un long silence.
« D'Edward et d'Alphonse. »
La réponse tomba comme un couperet. La jeune fille plissa les yeux, refoulant des larmes. Elle détourna la tête et lança d'une voix éraillée :
« Je n'ai rien à vous dire, moi. De toute façon, vous ne les avez pas retrouvés, n'est-ce pas ?
— Malheureusement…
— Ils sont morts ? »
La question, abrupte, déconcerta Riza. Elle cilla, déglutit, puis répondit sans détour :
« Je l'ignore.
— Alors, qu'est-ce que vous venez faire ici, si vos recherches sont au point mort ?! Dans ce cas…
— Justement, non. »
Winry releva la tête. Son regard, à la fois plein de détresse et d'espoir, témoigna du trouble qui l'avait saisie. Ses lèvres tremblèrent. Elle jaugea Riza de longues secondes puis, finalement, ouvrit complètement la porte et ordonna :
« Entrez. »
À ce moment précis, Pinako arriva dans la pièce principale, qui servait autant de salle à manger que de salon. Vêtue d'un tablier de cuisine sur lequel elle essuya ses mains qu'elle venait de laver, elle afficha un air surpris à la vue de cette inconnue, et se renseigna :
« Winry ? Qui est-ce ? Pas une cliente, je suppose ? »
Cela, l'aïeule l'avait deviné en un quart de seconde : elle avait l'habitude du pas claudicant et du grincement métallique des membres artificiels que portaient leurs patients. Or, la jeune femme qu'elle avait sous les yeux était valide, à n'en pas douter. Sa démarche était assurée et ferme ; trop pour être celle d'une personne handicapée, voire d'une civile.
« Non, ce n'est pas une cliente, c'est… », commença Winry en refermant la porte derrière elles, avant d'être interrompue par Riza, qui tint à décliner son identité elle-même :
« Je me présente : lieutenant Riza Hawkeye. Je suis déjà venue chez vous, il y a quelques années. C'est également moi qui ai dirigé les recherches pour retrouver les frères Elric ces dernières semaines. Vous m'avez eue quelques fois au téléphone. Je vous prie d'excuser cette irruption tardive. »
Tout en s'expliquant, Riza ôta sa perruque. Elle ne put retenir un soupir de soulagement en se débarrassant de ce carcan, puis passa la main dans ses cheveux pour calmer le mal de crâne qu'elle sentait se profiler après que sa tête eut été compressée tant de temps.
« Je vois », murmura Pinako. D'un geste, elle proposa à la visiteuse de s'installer à table avant de s'asseoir à son tour. Winry les imita, talonnée par Den, son chien, qui était fort intrigué par cette nouvelle tête. « Pourquoi venir ici ? Si c'est pour nous annoncer que les garçons sont… » La vieille femme se tut, puis reprit : « Vous n'aviez pas à vous donner cette peine, après tout ce temps », conclut-elle d'une voix douloureuse.
Son expression était celle d'une personne résignée.
« Non, je… je ne suis pas venue pour ça », la détrompa Riza, qui faisait de son mieux pour ne pas se recroqueviller face au regard lourd d'accusations que Winry braquait sur elle. Ses iris bleus, dont elle avait gardé un souvenir doux, étaient cette fois aussi froids et perçants que deux stalactites. « En fait, si je suis ici ce soir… c'est pour plusieurs raisons. Pour vous informer, principalement. Mais avant toute chose, je dois vous avertirque ce que je m'apprête à vous dévoiler pourrait vous mettre en danger, l'une comme l'autre. J'ai besoin de savoir si vous souhaitez entendre ce que j'ai à vous dire et, si oui, si vous êtes prêtes à en assumer les conséquences. Si ce n'est pas le cas, je ne m'imposerai pas plus. Je partirai », déclara la soldate d'une voix grave.
Rien qu'en révélant tout ceci, c'était sa propre vie que le lieutenant plaçait entre leurs mains. En fonction de la réponse qui lui serait donnée, elle avait conscience qu'elle devrait peut-être trouver refuge ailleurs. Elle serait alors livrée à elle-même dans un monde qui lui était déjà hostile.
« Ces informations dont vous parlez… Je suppose qu'elles concernent les deux petits ? » s'enquit Pinako, qui s'alluma une pipe longue ce faisant ; un geste quotidien qui l'apaisait.
« Tout à fait. »
Riza vit Winry se crisper. Sa tension ne passa pas inaperçue, puisque même Den la perçut. L'animal, inquiet, vint spontanément poser son museau sur la cuisse de sa maîtresse, essayant de lui apporter du réconfort à sa manière. Pinako, quant à elle, resta silencieuse, impassible. Puis, au bout d'une bonne dizaine de secondes à fixer le bois de la table, elle se tourna vers sa petite-fille, qui lui adressa un hochement de tête timide. La vieille dame répondit enfin :
« Parlez. Vous savez, ce ne sera pas la première fois que ces deux-là nous embarquent dans une sale histoire. Et s'il faut en passer par là pour avoir le fin mot de la leur, alors soit.
— Très bien », fit Riza. Elle se redressa dans son siège, stressée. Elle allait devoir choisir ses mots avec soin et se montrer convaincante. Visiblement, ici, dans l'esprit de chacune, les frères Elric étaient déjà morts et enterrés. « Comme vous le savez, j'ai mené des recherches pour tenter de les retrouver dans les décombres, mais cela n'a rien donné. Et pour cause… »
Ses deux auditrices se penchèrent en avant, pendues à ses lèvres.
« Au cours des derniers mois, je me suis heurtée à de nombreux obstacles qui ne m'ont pas facilité la tâche. Déjà, on m'a refusé l'accès à la maison des garçons, sans raison. Puis, mes supérieurs ont classé l'affaire. Là encore, sans explication. Et juste après, l'un de mes collègues, qui avait lui aussi participé aux recherches, a perdu la vie dans des circonstances que je qualifierais de "troubles". »
Si Winry afficha un air interloqué, Pinako, elle, s'assombrit. Riza capta intensément le regard de la vieille femme. Nul doute que cette dernière avait saisi où elle voulait en venir. Le lieutenant reprit donc :
« À force d'incidents et d'impasses, j'en ai conclu qu'Edward et Alphonse ne s'étaient pas simplement "évaporés" dans la nature, comme la presse entend nous en persuader. Il ne s'agit pas d'une banale disparition. Elle a été orchestrée. J'en ai eu le cœur net il y a quelques jours, lorsque j'ai été promue sous les ordres directs du généralissime et quand… quand… »
Riza serra le poing à s'en faire blanchir les phalanges. Elle prit un court instant pour se calmer, sentant les larmes monter, puis termina :
« Quand on m'a annoncé qu'on avait exhumé la dépouille de mon supérieur. Mais seulement la sienne. Les corps d'Edward et d'Alphonse, eux, restent introuvables. Pourtant, ils auraient dû être là. À ses côtés. Ro… Le général avait juré de veiller sur eux. Il n'a pas pu s'éloigner d'eux. Pas alors qu'il s'était porté garant de leurs vies. C'est impensable », certifia le lieutenant avec toute la conviction du monde.
Ses yeux brillèrent d'un nouvel éclat ; celui de la colère.
« C'est cela qui m'a mis la puce à l'oreille. Et puis, exhiber son corps de la sorte, le jour même de ma prétendue "promotion", qui tient plus du couteau sous la gorge qu'autre chose… » Elle ferma douloureusement les yeux. « Le message est clair, c'est un avertissement. Pour me dissuader de fourrer mon nez là où je ne devrais pas.
— Je vois », soupira Pinako. « Je savais que c'était une mauvaise idée que les petits entrent dans l'armée dès l'instant où vous êtes venus le leur proposer. Je me doutais bien qu'elle avait un rôle à jouer dans leur mort. Ça ne m'étonne pas. » Les traits de son visage se durcirent pour contenir sa tristesse. « Je comprends mieux votre attirail, à présent, et toutes ces cachotteries. Vous êtes au pied du mur. Puisque vous avez découvert le pot aux roses, ils ne peuvent pas vous laisser en vie. Vous avez ignoré les menaces ; maintenant, ils agissent. Et bientôt…
— Vous n'y êtes pas », coupa Riza. « Je ne cherche pas à m'apitoyer sur mon sort. Ce que je veux dire, c'est que l'affaire va bien au-delà de ce qui nous a été présenté. » Elle inspira un grand coup, puis déclara d'une traite : « Contrairement à ce que vous pensez, l'armée n'est pas seule responsable. D'autres forces sont à l'œuvre. Et j'ai déjà été prise pour cible par celles-ci. Par un homonculus, plus précisément. »
Pinako en lâcha sa pipe. Elle atterrit sur la table et roula jusqu'à tomber par terre sans que sa propriétaire ne daignât la rattraper. Surprise par le bruit, Winry sursauta et interrogea immédiatement du regard sa grand-mère, qui ne le remarqua même pas. Et pour cause : cette dernière continuait à fixer résolument son invitée, qu'elle pressa :
« C'est-à-dire ?
— Il y a trois jours, j'ai été attirée dans un guet-apens par un monstre. » Elle souffla ce mot du bout des lèvres, comme s'il ne suffisait pas à décrire le dégoût – et non pas la peur – que lui inspirait la chose. « Il avait pris l'apparence d'Edward. Pour mieux me leurrer, je pense. Toujours est-il que j'ai été bernée et que j'ai failli y laisser la vie.
— Qu… On nage en plein délire… », murmura Winry.
Elle s'attrapa la tête, le regard dans le vague. Ce que disait Riza était impossible. Un « monstre » ? Qui changeait d'apparence, en plus ? Quoi ? Mais qui aurait pu croire une chose pareille ?!
Ah oui… Ed.
Mais son ami d'enfance n'était plus là. Et Winry, face à ce qui ressemblait plus à une mauvaise blague qu'à des faits, ne savait plus à quel saint se vouer. Car si la logique lui disait que leur invitée affabulait, la conviction qu'affichait cette dernière mettait à mal ses certitudes.
« Je sais que ça paraît invraisemblable, mais écoutez-moi jusqu'au bout ! » supplia le lieutenant. Elle s'efforça de rester droite dans ses bottes malgré la méfiance qui régnait. « J'ai réchappé de peu à cette attaque et je suis aussitôt repartie chez moi. Je… J'avoue que… Je n'avais pas toute ma tête ce soir-là, après ce que je venais de vivre… et d'apprendre. Mais je vous assure que je n'invente rien. Ce que j'ai vu était bien réel. »
Riza regarda alternativement Pinako et Winry ; l'une buvait ses paroles, tandis que l'autre marmonnait dans son coin, les yeux hagards.
Comment atténuer le choc supplémentaire qu'elle s'apprêtait à leur asséner ? Elle eut beau retourner le problème dans tous les sens, rien ne lui vint. Elle choisit donc de se montrer directe :
« À peine rentrée, j'ai entendu du bruit. J'ai d'abord pensé que c'était cette créature qui m'avait suivie jusque chez moi. Mais l'intrus n'était pas celui que j'attendais. »
Un temps.
« C'était Edward.
— Quoi ?! » s'écria Winry.
« Comment pouvez-vous affirmer qu'il s'agissait bien d'Edward ? » rebondit Pinako, qui posa une main autoritaire sur l'épaule de sa petite-fille pour l'enjoindre au calme. « Ne venez-vous pas de nous dire que cet homonculus peut justement prendre son apparence ? Vous êtes sûre que ce n'était pas juste un autre de ses tours ?
— J'ai cru que c'était le cas au début, oui, mais… comment vous expliquer ? » Riza se frotta les tempes, bien en peine d'éclaircir la situation, surtout avec le peu d'heures de sommeil à son compteur. « Je… Le garçon que j'ai vu était différent de celui qui m'a attaquée. Ce n'était pas une simple copie. La seule chose que je ne m'explique pas est que… Edward n'avait plus d'automails. Ni au bras ni à la jambe.
— Alors, ce n'était pas lui ! » clama Winry, qui n'en pouvait plus de sentir son cœur prendre un ascenseur émotionnel à chaque phrase.
« Si ! Tout du moins, je… Je le pense.
— Vous avouerez que c'est difficile à croire. D'après vous, donc, le petit aurait pu récupérer son corps ? » questionna Pinako, le visage fermé, les mains tremblantes.
Manifestement, l'idée de devoir revivre à rebours les étapes du deuil qu'elle avait déjà endurées ne l'enchantait guère.
« Je n'en sais rien », reconnut Riza. « Je ne m'y connais pas assez en alchimie pour l'affirmer. Tout ce que je peux vous dire, c'est que ce garçon, que je pense être Edward, s'est occupé de mon chien, qui était blessé à ce moment. L'homonculus, lui, ne l'aurait pas fait. De plus, mon chien ne s'y serait pas trompé. Un inconnu n'aurait pas pu le manipuler ainsi. Il l'aurait attaqué. »
Le lieutenant laissa à ses hôtes le temps de digérer l'information. À son grand dam, les visages tournés vers elle restèrent dubitatifs. Soucieuse d'appuyer sa version, elle conclut :
« Peu de gens sont déjà venus chez moi. Et Edward en fait partie. C'était lui, c'est certain. L'attitude de mon chien était sans équivoque. Et puis… » Elle fronça les sourcils. « Jusque-là, j'en doutais encore, mais le jour de la disparition d'Edward, j'ai aperçu à proximité du Q.G. un garçon qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Pendant des semaines, je pensais avoir rêvé et je m'étais résolue à ne pas placer d'espoirs dans ce mirage. Mais au vu de toutes les précautions qui ont été prises pour entraver mes recherches, et de la scène à laquelle j'ai assisté il y a deux soirs de ça, je crois pouvoir certifier qu'Edward est en vie. C'est lui que j'ai vu ce jour-là… Le jour où ils ont tous disparu. Et c'est aussi lui qui s'est rendu chez moi pas plus tard qu'avant-hier.
— Dans ce cas, pourquoi ne nous contacte-t-il pas ? Et Al, dans tout ça ?! C'est n'importe quoi ! Si Edward était vivant, il nous aurait prévenues ! » s'époumona Winry.
Elle se leva si brusquement de sa chaise que celle-ci tomba à la renverse dans un fracas assourdissant, auquel s'ajoutèrent les jappements inquiets de Den, qui fila sous la table avec la queue entre les jambes. L'adolescente était hors d'elle. Psychologiquement à bout. Pourquoi Riza venait-elle retourner le couteau dans la plaie ?! Elle avait eu du mal… tellement de mal à accepter la mort de ses amis… de ces deux frères que la vie lui avait donnés et repris bien trop tôt. Et voilà qu'on lui annonçait, comme ça, l'air de rien, que l'un d'eux était vivant ? Et qu'elle devait le croire sur parole, par-dessus le marché ?
Elle ne le pouvait pas. Elle ne pouvait juste pas. Elle n'arriverait pas à se bercer d'espoirs pour voir son monde s'effondrer de nouveau par la suite.
« Winry, ça suffit ! Calme-toi, et rassieds-toi ! » ordonna Pinako, qui se leva à son tour pour la rejoindre et la contenir.
Riza, elle, ne se démonta pas :
« Je pense qu'Edward ne peut pas nous contacter ! Pour ce qui est d'Alphonse, je ne sais pas ce qu'il en est. Edward, pour sa part, ne doit pas être libre de ses faits et gestes. Lorsque je l'ai vu, il… il avait l'air très étrange. Sans compter qu'il était vêtu de la même façon que cet homonculus. D'après moi, il est contraint de leur obéir, à lui et aux siens. Je ne pense pas que cet accoutrement soit la seule chose qu'ils lui imposent. Ils doivent vouloir tirer quelque chose de lui. Mais quoi, je l'ignore.
— Mais ça n'a pas de sens ! Qu'est-ce qu'Edward pourrait bien leur donner ?! Et puis… Et puis… Il aurait forcément trouvé un moyen de nous avertir, s'il était en danger. Il sait bien le sang d'encre qu'on se fait pour lui dès qu'il passe la porte pour nous revenir après en mille morceaux ! Alors, là… Rien ! Pendant deux mois ! » La voix de Winry avait atteint des notes d'aigu insoupçonnées. « Je n'y crois pas. S'il était vivant, il ne nous aurait jamais laissées sans nouvelles, comme ça !
— Mais peut-être que les homonculi retiennent Alphonse en otage, quelque part, et qu'Edward n'a pas d'autre choix que de garder le silence. Pour le protéger », supputa Riza.
Bien qu'elle voulût se montrer persuasive, dans les faits, la soldate peinait à comprendre elle aussi l'attitude du garçon, et ce qu'elle avançait n'était là que l'une des nombreuses hypothèses qui lui étaient venues. Pourtant, de toutes, c'était la plus plausible. Bien sûr, cela n'expliquait toujours pas comment Edward avait retrouvé ses membres, pourquoi il était couvert d'étranges tatouages qui rappelaient ceux de Scar ni le mystère qui entourait son comportement pour le moins suspect, mais cette supposition branlante était la seule piste à laquelle Riza pouvait se raccrocher.
Winry chercha dans les yeux de sa grand-mère le calme qu'elle avait perdu puis, assagie, ramassa docilement sa chaise. Elle se laissa retomber mollement dessus, vidée de toute énergie. Tandis que Den s'extirpait de sa cachette pour rejoindre prudemment sa maîtresse, Pinako, elle offrit à sa petite-fille une accolade rassurante. Elle lui chuchota ensuite quelques mots à l'oreille pour achever de la calmer, puis résuma à l'attention de leur invitée :
« Donc, d'après vous, Edward et Alphonse seraient retenus captifs par ces "homonculi" ?
— Probablement. Je n'en suis pas parfaitement sûre, mais j'ai vu Edward comme je vous vois et ça, j'en suis certaine. C'était bien lui. » Riza plongea son regard dans celui de Pinako. Le sonda. « Je sais qu'il a déjà eu affaire plusieurs fois à ces monstres. Il ne serait pas étonnant qu'il ait éveillé leur intérêt, d'une façon ou d'une autre. Nous étions d'ailleurs sur leur piste, au début, avec le général. Et tout ce que j'ai pu découvrir jusque-là tend à prouver que nous avions raison. »
Pinako ferma les yeux d'un air méditatif, mais aussi douloureux.
« Si seulement ces enfants n'avaient pas appris l'alchimie…
— "L'alchimie" ? » releva aussitôt Winry, perplexe.
C'était la seconde fois que l'aïeule faisait preuve d'une telle perspicacité. Riza ne manqua pas l'occasion :
« Je me disais bien que vous en saviez long sur le sujet. Les homonculi ne vous sont pas inconnus, n'est-ce pas ?
— Les homonculi et bien d'autres choses ! N'allez pas croire que j'ignore tout des dérives de cette maudite science. Outre leurs constants bavardages à ce sujet quand ils étaient plus jeunes, j'étais là quand les petits ont tenté l'impossible pour ressusciter leur mère. C'est d'ailleurs moi qui ai dû m'occuper de cette… chose, qu'ils avaient créée. Alors, certes, je ne suis pas aussi calée qu'eux en la matière, mais je vois très bien de quoi il s'agit, oui. Ou tout du moins, je suis familière du concept. Avec tous ces livres qui traînent dans leur chambre… Pensez-vous ! À l'époque, j'ai eu vite fait de tomber sur un ou deux ouvrages qui traitaient de ce genre d'atrocités. »
À ce dernier mot, Winry laissa son regard retomber sur ses mains abandonnées sur ses cuisses, atterrée. Quoiqu'elle ne fût pas aussi « renseignée » que sa grand-mère, elle venait enfin de saisir l'ampleur de l'affaire, ainsi que celle des dangers encourus par Edward et Alphonse, s'ils étaient toutefois encore vivants. Riza sentit son cœur se serrer à la vue du trouble manifeste de l'adolescente. Pour autant, elle ne dévia pas de son cap et clarifia ses intentions :
« Justement, j'aurais besoin de consulter ces ouvrages. Edward m'avait dit, le jour de son emménagement à Central, qu'il avait laissé une certaine quantité d'affaires ici, notamment des livres. Ils pourraient me servir. Je ne suis pas alchimisteet mes connaissances sur les homonculi sont limitées. Mes sources aussi, car vous vous doutez bien que je ne risque pas de trouver mon bonheur dans une bibliothèque lambda, surtout si celle-ci est gérée par notre gouvernement. Je suis sûre que la plupart des livres sur le sujet auront été brûlés ou censurés, à l'exception, peut-être, de ceux qui sommeillent dans des collections privées comme celle dont vous disposez à présent. »
Son regard se durcit.
« Si en apprendre plus sur ces créatures peut m'aider à les secourir, Alphonse et lui, je dois essayer.
— Vous êtes bien optimiste », rétorqua Pinako dans un sourire amer. « Vous savez, des livres, Edward en a bien des centaines, pour ne pas dire des milliers. La plupart sont codés, si je me souviens bien. Je doute que vous trouviez la moindre information utile là-dedans. Sans compter que je me suis tout de suite débarrassée de ceux qu'ils semblaient avoir utilisés. Passez votre chemin, vous perdriez votre temps. »
La vieille femme se rassit à sa place, fumant de nouveau sa pipe d'un air désabusé. Vu le ton employé, Riza devina qu'elle peinait encore à donner crédit à toute son histoire. Sans doute voulait-elle y croire, mais n'y arrivait-elle pas complètement. Pour autant, le lieutenant n'abandonna pas. Il y avait du progrès, elle le sentait.
« Écoutez, laissez-moi juste essayer. Si je ne trouve rien d'ici quelques jours, je chercherai une autre piste. Mais celle-ci ne doit pas être négligée ! »
À ces mots, Pinako posa sur Riza un regard pénétrant ; celui que seule l'expérience de l'âge pouvait conférer. Le lieutenant ne détourna pourtant pas les yeux. Au contraire, elle releva la tête, droite et inébranlable. Alors, la maîtresse des lieux rendit son verdict :
« Soit. Faites comme vous voulez. Ce ne sera pas faute de vous avoir prévenue. De toute façon, je ne pense pas qu'Edward vous tiendra rigueur de fouiller dans ses affaires, si c'est pour lui venir en aide. »
Riza sourit. Un point de gagné. Elle ne représentait certes qu'un maigre espoir pour cette famille détruite, mais celui-ci était suffisant pour se donner la peine de ne pas baisser les bras. Elle arrivait maintenant au cœur de sa demande.
« Je vous remercie. Vraiment. Je… » Elle déglutit. « Il y a juste autre chose…
— Oui ?
— À vrai dire… c'est délicat. Comme je vous l'ai expliqué, je suis partie de chez moi dans la précipitation. Je n'ai rien pu prévoir et n'ai donc aucun endroit où passer la nuit ni les suivantes. Bien entendu, je ne suis pas sans le sou ; j'ai de quoi payer le gîte et le couvert et idéalement, il faudrait que je me trouve un hôtel. Mais je ne peux pas me le permettre. Le risque est trop grand. L'armée est probablement à ma recherche. Sans compter, comme je vous l'ai dit, qu'il y a de fortes chances qu'elle soit liée aux homonculi, d'une manière ou d'une autre. Je crains d'ailleurs que cette histoire avec Edward et Alphonse ne soit que la partie émergée de l'iceberg. L'armée est complice, j'en suis persuadée. C'est bien pour ça que je suis ici. J'ai déserté. »
Le simple mot la fit frémir. Si on lui avait dit qu'un jour, elle aurait été de ceux qui fuient par peur des représailles…
« Mais ça ne veut pas dire pour autant que l'armée me laissera tranquille. Pour l'instant, c'est sûr, elle doit me penser disparue ou morte – peu importe –, mais cela ne durera pas. À partir du moment où ceux qui opèrent dans l'ombre comprendront que je suis en vie et que je détiens ces informations… si jamais ils me retrouvent… je sais que je n'y réchapperai pas. Je préférerais éviter de leur faciliter la tâche en m'affichant dans toutes les villes sur mon chemin. »
Un silence de plomb s'installa sur la petite assemblée. Winry jeta un regard insistant à sa grand-mère, qui coupa l'herbe sous le pied de Riza :
« En somme, vous êtes ici pour trouver asile ?
— Oui. Je sais que c'est beaucoup vous demander, et que vous risquez également énormément à accepter. Mais je vous promets de quitter les lieux dès que j'aurai mis la main sur les informations que je cherche. Et si j'échoue, tant pis. Je n'abuserai pas de votre hospitalité. Seuls quelques jours suffir…
— Stop », la coupa Pinako d'un geste de la main.
Riza, stupéfaite, s'interrompit, et observa avec inquiétude la vieille femme inspirer profondément la fumée qui se dégageait de sa longue pipe. Puis, l'aïeule reprit :
« Vous n'avez pas besoin d'en faire autant. Vous êtes la bienvenue chez nous. Restez tant que vous voulez. »
La réponse allégea instantanément le cœur lourd d'angoisse de la militaire, qui laissa un soupir de soulagement tremblant lui échapper. Pinako continua, les yeux humides :
« Vous en avez déjà fait beaucoup pour nous, ce soir. » Elle se leva et s'approcha de Winry. Elle posa sa main sur l'épaule de celle-ci, la pressa et souffla : « Vous nous avez redonné espoir. Un petit espoir, mais un espoir quand même. C'est bien plus que ce que nous pourrions vous offrir en retour. »
Winry, restée silencieuse depuis un moment, capta le regard rassurant de sa grand-mère. Puis, enfin, un sourire timide éclaira de nouveau son visage fatigué. Son cœur meurtri semblait s'être remis à battre faiblement.
« J'espère pouvoir le concrétiser », souhaita Riza, avant d'être interrompue par son ventre grondant. Honteuse, elle rougit et s'excusasur-le-champ : « Je… Je suis désolée. Je n'ai rien avalé depuis un moment et…
— Ne vous en faites pas pour ça ! J'étais justement en train de préparer le dîner », la rassura la vieille femme en partant d'un éclat de rire. « Et si tu montrais sa chambre à notre invitée, Winry ? » Puis, s'adressant à Riza : « Vous pourriez en profiter pour vous débarbouiller un peu. Vous avez mauvaise mine et votre déguisement m'a l'air des plus inconfortables.
— C'est le moins qu'on puisse dire », confirma Riza. Elle mourait d'envie de frotter ses yeux fatigués, mais se retenait pour ne pas se mettre du mascara partout.
Winry se leva et enjoignit à Riza de la suivre tandis que Pinako, elle, retournait dans la cuisine, de laquelle émanait une succulente odeur de filet mignon à la moutarde et de pommes de terre rissolées. Quoiqu'elle salivât d'avance à l'idée d'y goûter, le lieutenant s'efforça de rester concentrée sur les indications que lui donnait sa guide alors qu'elles se rendaient au premier étage, dans une chambre en désordre. De nombreux livres étaient éparpillés, que ce fût sur le bureau, dans les deux immenses bibliothèques qui dissimulaient les murs, à même le sol ou sur le lit. Winry dégagea ce dernier dans un sourire gêné et expliqua :
« Désolée pour le bazar… Ça, c'est Ed. Égal à lui-même. Il avait tout laissé traîner et… on n'a rien touché. La seule fois où on a osé faire un brin de rangement pour lui, il s'est mis en rogne comme un gosse et nous a fait la tête pendant des heures, donc bon. Paraît-il que c'était un "bordel organisé" ou que sais-je… Bref, on en est venues à la conclusion qu'il valait mieux le laisser se dépatouiller avec ses affaires.
— Ha ha ! Ne vous en faites pas. Je m'arrangerai pour me faire une place entre deux piles de livres », plaisanta Riza – bien que, vu la quantité, elle en doutât sérieusement.
Elle déposa son sac au pied du lit qui serait désormais le sien pour une courte période. Winry, qui s'occupait de sortir de la commode des draps propres qu'elle disposa ensuite sur le matelas, fit remarquer :
« Vous pouvez me tutoyer, vous savez. Comme vous le faisiez avant.
— Vraiment ? »
À vrai dire, en voyant à quel point l'adolescente avait pu grandir et mûrir depuis leur dernière rencontre, Riza avait hésité quant à l'attitude à adopter, puis avait préféré s'adresser à elle comme à une adulte. Sur l'instant, elle s'était dit que se montrer trop familière serait déplacé, surtout compte tenu des nouvelles qu'elle apportait et de l'hostilité à peine voilée que lui avait témoignée Winry en premier lieu. Sans compter la requête pour le moins particulière qu'elle avait à faire. Néanmoins, il fallait bien admettre que ce vouvoiement procédurier jetait un froid, à présent que la glace avait été un peu brisée. Winry le lui prouva :
« Oui… Ça me met un peu mal à l'aise, en toute honnêteté. Et puisque vous allez rester un moment ici, autant crever l'abcès tout de suite.
— Tu fais bien », la rassura Riza avant de proposer : « Tu peux me tutoyer aussi, si tu veux.
— J'essaierai, mais je ne garantis rien ! » s'amusa Winry dans un joli sourire qui chassa l'ombre persistante sur son visage. Elle farfouilla dans la commode non loin et entassa sur le lit un drap de bain, une serviette et un gant de toilette. Elle précisa : « Pour vous laver, plus tard, si vous le souhaitez. Je vais vous laisser vous installer tranquillement. On devrait passer à table dans dix minutes, je pense. »
Riza la remercia et suivit la jeune fille du regard. Une question lui brûlait les lèvres. Ainsi, lorsque Winry arriva à hauteur de la porte, elle prit son courage à deux et la retint :
« Attends ! J'ai quelque chose à te demander.
— Oui ? » s'enquit Winry en revenant sur ses pas, intriguée.
« En fait, Edward et Alphonse ne m'ont jamais vraiment parlé de leur famille. Enfin, je veux dire, de leur famille biologique.
— Oh, il ne faut pas s'en faire pour ça ! Ils sont très secrets, à ce sujet-là. Avec tout le monde, même avec nous.
— Je me doute. Mais je crois me souvenir que leur père est un célèbre alchimiste. Je sais qu'il est parti d'ici il y a de nombreuses années, mais tu n'aurais pas une idée d'où il pourrait être, par hasard ? N'importe quel indice ou rumeur pourrait m'être utile. Je doute de pouvoir le contacter, mais il s'agit de ses fils, après tout. Il est peut-être au courant de choses que nous ignorons », soutint Riza, pleine d'espoir.
Winry afficha une moue embarrassée.
« Malheureusement, non. Beaucoup de monde le cherche, mais personne ne l'a jamais trouvé. Si vous pensiez obtenir de l'aide de sa part, c'est peine perdue. Il n'a jamais accordé vraiment d'importance à sa famille… Enfin… » Elle se tut un instant, sembla hésiter, puis confia plus bas : « C'est mon avis. Parce que partir sans prévenir, du jour au lendemain, comme ça, c'est… » Elle se mordit la lèvre inférieure, comme si elle en avait trop dit, puis poursuivit : « Même si vous le trouvez, je doute qu'il accepte de vous prêter main-forte ou de partager ses connaissances avec vous. Ce n'est pas une piste à suivre et, sans vouloir me montrer grossière, ce n'est sûrement pas d'un sale type démissionnaire comme lui dont Ed et Al ont besoin pour s'en sortir. »
« "S'en sortir" ? Comment aurait-il pu ?! » éclata Hohenheim en lâchant brusquement ses tempes qu'il massait jusque-là pour se calmer.
Sa colère était palpable. Ses doigts ridés passèrent avec une nervosité peu commune dans les poils de sa barbe parfaitement taillée. Son regard était plus dur encore que le trône sur lequel il était assis. Il transperça son interlocuteur aussi efficacement qu'une balle.
« Je l'ignore, Père », reconnut Wrath.
Les traits tirés en une grimace à peine contenue, le borgne accusait sévèrement le coup. Ses dents closes tremblaient sous le coup de la rage. Sa moustache, elle, était vrillée de soubresauts au rythme des palpitations de ses veines saillantes. Il ne savait pas ce qui l'énervait le plus : avoir connaissance d'un élément qui risquait de perturber leur plan si méticuleusement bien préparé… ou avoir réalisé que cela résultait en partie d'une négligence de sa part.
« Mais les faits sont ce qu'ils sont. Je pense qu'il n'y a pas d'autre explication.
— Admettons », concéda Hohenheim d'une voix qui trahissait aisément la fureur qui grondait en lui. « Mais peux-tu au moins me dire où il se trouve, s'il n'est pas là ? » réclama-t-il en désignant d'un geste circulaire les alentours, aussi vides que silencieux. « Nous étions censés mettre au jour un cadavre, sous ces décombres. Or, il n'y a plus de décombres, et il n'y a pas de cadavre. Alors, j'aimerais savoir par quel miracle un mort pourrait revenir à la vie et s'en aller sur ses deux jambes, sans utiliser la moindre pierre philosophale ? Ainsi, je pourrais peut-être éviter de me donner la peine de la chercher et profiter, moi aussi, de cette incroyable découverte ? »
Wrath encaissa cette diatribe sans mot dire, mais agrippa néanmoins le manche de l'une de ses épées. Non pas qu'il souhaitât attaquer son père – il fallut être fou. Simplement, son péché bouillonnait en lui à tel point qu'il lui fallait empoigner quelque chose pour tenter de canaliser cette colère, au risque de la voir exploser.
« Il était mort », tonna Hohenheim avant de se lever. « Envy l'a transpercé comme une brochette et il a succombé sous mes yeux. Sous nos yeux. Comment expliques-tu donc que le corps de cet homme ait pu s'évanouir dans la nature alors qu'il était enseveli sous plusieurs tonnes de béton, dans la structure la mieux gardée du pays et qui est, qui plus est, sous notre contrôle ? »
Un silence éloquent s'ensuivit. Wrath eut une furieuse envie de remonter à la surface et de déclarer la guerre à la première nation venue, juste comme ça. Rien que pour pouvoir apaiser ses nerfs. Heureusement, il s'abstint ; une pensée avait subitement germé dans son esprit.
« Père. Je crois avoir mon idée sur la question. Et si Gluttony n'avait pas attendu votre autorisation pour…
— Non. Je ne l'ai ni vu ni entendu manger qui que ce soit. »
King Bradley s'attrapa le menton. Il considéra les options restantes et, tout à coup, fut frappé par une révélation. Il écarquilla les yeux de stupeur en réalisant ce qu'elle impliquait. Après une courte hésitation, il chercha à confirmer ses craintes :
« Pensez-vous que la transmutation lancée par Edward Elric ait pu avoir un quelconque effet sur ce corps sans vie ?
— Non plus. Pour qu'elle ait la moindre chance de réussir, il aurait fallu que cet homme soit encore vivant.
— Et compte tenu de son état, ç'aurait été impossible, j'imagine…
— "Impossible est un mot qui n'existe pas"… », souffla Hohenheim d'un air absent.
Il fixa le plafond qui se perdait dans les ténèbres, comme s'il était brusquement inspiré par une entité supérieure. Sauf qu'en lieu et place d'entité, il s'agissait d'un fils indigne et vagabond dont l'adage, peut-être, allait les mettre sur la voie.
« Si Greed vous entendait, il serait surpris », fit remarquer Wrath.
« Il a certes trahi notre cause, mais nous pouvons au moins lui reconnaître une certaine forme d'intelligence. Et ce, malgré toute la stupidité qu'il s'est ingénié à déployer pour fuir les siens », admit Hohenheim. Il descendit avec lenteur les marches au bas de son trône. « Supposons l'espace d'un instant que ce général ait survécu, ne fût-ce qu'une minute ou deux. Si mes souvenirs sont bons… », fit-il en tapotant doucement sa tempe, « Il ne s'est écoulé qu'un laps de temps extrêmement court entre l'attaque d'Envy et la transmutation lancée par Edward. Je ne pense pas que mon fils ait pu privilégier l'un ou l'autre des deux corps, attendu que les deux gisaient à l'intérieur même du cercle à ce moment-là. Si sa transmutation a bel et bien fonctionné, il se peut donc que ce soit cet homme, et non Alphonse, qui en ait bénéficié. C'était sans doute le seul d'eux deux à être encore vivant.
— Alors, Alphonse aurait été désintégré tandis que lui aurait survécu, d'après vous ? Mais ensuite ? Comment expliquer qu'il ait réchappé à l'éboulement ?
— La raison tient en un mot. Un mot qui désigne une force qui nous dépasse et contre laquelle nous ne pouvons rien.
— Lequel ?
— La chance. »
Hohenheim se dirigea d'un pas lent jusque dans la salle circulaire qui abritait le centre du monde. Il laissa son regard impassible errer sur le sol poussiéreux, où demeuraient les traces indélébiles des combats passés. Le cercle rouge vif orné d'entrelacs qui occupait tout l'endroit témoignait du drame qui s'était joué à cet endroit : sur ses traits réguliers se dessinaient de longues traînées noirâtres, bardées d'une constellation d'éclaboussures.
Le vieil homme, suivi du généralissime, s'avança jusqu'à elles, pensif. Il étudia soigneusement leurs formes puis, tout en désignant l'une d'entre elles, indiqua : « Vois cette trace, ici. Elle est plus étalée que les autres et s'arrête net. On pourrait sans mal imaginer un corps étendu… » Il pointa son index plus loin. « Qui aurait été traîné dans cette direction par la suite. Ou qui se serait déplacé, plutôt, puis qui aurait grimpé sur quelque chose, vers ce qui devait être la seule issue à ce moment-là, je présume. Il est difficile de se projeter à présent que tout est reconstruit, d'autant que la poussière a emporté le peu de preuves dont nous disposions peut-être. Cependant, cela reste plausible.
— Effectivement. La quantité de sang incrusté dans la pierre le laisse croire. Ainsi…
— Notre homme est toujours vivant. Il court quelque part, là, dehors. Et ce n'est pas tolérable », conclut Hohenheim en tournant le dos à Wrath. Sa voix seule traduisait le destin funeste qu'il promettait au rescapé.
« "Il court", dites-vous… Je n'en suis pas si sûr. Il a perdu beaucoup de sang. Les coups qu'Envy et moi lui avons portés étaient fatals, je peux vous le certifier. Même si l'on admet que la transmutation d'Edward a pu réussir, le général Mustang devait être en piteux état à son issue. S'il n'est pas mort après-coup malgré les efforts qu'il a dû fournir pour s'extirper des décombres, c'est qu'il aura reçu de l'aide.
— Hm… C'est probable, oui. Penses-tu à quelqu'un, en particulier ?
— Si elle n'avait pas disparu, ou si elle l'avait fait plus tôt, j'aurais dit sa subordonnée. Cependant, il serait étonnant, si cet humain a effectivement survécu, qu'il n'ait pas au moins cherché à la contacter. Nous tenons peut-être d'ailleurs là l'explication de ce fait divers. Cette intrusion au domicile de cette femme… Il pourrait s'agir du général, en fin de compte. Il aura voulu profiter de la négligence d'Envy pour faire croire à un enlèvement et pouvoir ainsi récupérer son chien le plus fidèle.
— Ce qui serait contrariant », souligna Hohenheim, les yeux plissés.
« Autrement dit, nos deux rats auraient trouvé refuge autre part », poursuivit Wrath. « Peut-être chez le même écervelé qui aura recueilli ce jeune effronté après l'incident. Quoi qu'il en soit, je gage que celui-ci n'a pas pu aller bien loin vu son état. Trouver un abri décent et sûr quand on est à moitié mort n'est pas des plus aisés. »
Hohenheim analysa méticuleusement les indices récoltés et les postulats qu'ils avaient établis. Dommage que Wrath n'eût pas hérité des mêmes pouvoirs qu'Edward : il avait du potentiel, en dépit de sa nature de bâtard. Il était intelligent, méthodique, discipliné et, pour un peu, infaillible. Les ordres, il les exécutait à la perfection, sans jamais rechigner. Quant à ses quelques prises d'initiatives, elles étaient toujours avisées ; souvent payantes. Il faisait un chef exemplaire, excellait au combat et ne s'embarrassait ni de sentiments ni de scrupules. Il était l'un des pivots de la quête qu'il poursuivait.
En somme, un outil d'une rare efficacité.
« Si je récapitule… », résuma l'alchimiste, dont le regard se perdit dans les dessins qui zébraient le sol, « Cela signifie que nous avons non pas deux morts, mais bien deux fuyards sur les bras, ainsi qu'un complice, si ce n'est plus.
— Nous devons l'envisager, en tout cas.
— Or, l'un d'eux est officiellement décédé et l'autre présumé disparu. Quant à leur acolyte, nous ignorons tout de lui, ce qui est loin d'arranger nos affaires. Je vois mal comment les dénicher dans ces conditions », regretta Hohenheim.
« N'ayez crainte. J'ai moi-même un fugitif récidiviste en ligne de mire depuis quelque temps. Je pense pouvoir faire d'une pierre quatre coupssans trop de peine », affirma Wrath. Un rictus mauvais s'appliqua sur son visage crispé. « Laissez-moi simplement quelques heures pour confectionner une toile de laquelle nos gêneurs ne risquent pas de s'extirper, et cette histoire sera réglée d'ici demain matin. »
Hohenheim ferma les yeux et sourit avec sérénité.
Oui. Un outil d'une rare efficacité.
« Soit. Trouve-les. Et tue-les. »
À suivre…
Fiouh ! Ce chapitre m'a demandé un de ces boulots… Il fait partie de l'un de ceux qui étaient le plus difficiles à rédiger. Outre le fait qu'il fasse intervenir des personnages que je n'ai pas l'habitude de faire interagir, il était blindé d'incohérences, à force de le remanier :') Parce que c'était tout sauf simple de le rendre lisible et pas trop ennuyeux, sachant qu'il me fallait quand même faire un résumé de l'intrigue jusqu'ici dans les deux camps. Je ne suis pas mécontente du résultat, en tout cas ! o
Ah ! Et tenez : une question, avant que vous ne partiez. J'ai calé que la langue française avait évolué entre le début de la rédaction de cette fic et sa publication. Apparemment, aujourd'hui, on peut dire « la lieutenante » – ce qui m'écorche les oreilles, je dois l'avouer, mais qui serait techniquement plus correct. Est-ce que vous pensez qu'il faudrait que je rectifie ça ? Non, mais parce qu'on a encore une bonne cinquantaine de chapitres devant nous, alors s'il faut corriger, j'aime autant que ce soit maintenant, quoi xD
Bref ! N'hésitez pas à me faire part de vos impressions sur cette question comme sur le chapitre, et quant à moi, je vous dis à bientôt pour la suite ! ~
White Assassin
