Saphira prit un peu plus de temps pour revenir vers l'attroupement devant le camp de la coalition mais finit par se poser.

Eragon descendit avec souplesse et s'avança. Arya le suivit et se tint à son coté.

‒ Roi Orrin! salua-t-il sobrement. C'est une joie de voir que vous avez recouvré votre liberté.

‒ Je vous remercie dragonnier, répondit tout aussi sobrement Orrin.

‒ Le roi Orrin semble avoir été libéré par l'empire, s'exclama Nasuada. Ce n'est pas l'heure des réjouissances. Je veux savoir sous quelles conditions l'empire l'a laissé partir.

Eragon jeta un regard curieux à Orrin qui s'emporta.

‒ Le roi Galbatorix m'a libéré et n'a demandé échange que je fasse office de message auprès de vous, dragonnier Eragon.

Instinctivement, Eragon eut le réflexe de rejeter le message sans même prendre la peine de l'écouter mais il se retint. Il n'avait pas tout oublié de l'enseignement qu'il avait reçu chez les elfes et surtout le savon que lui avait passé Brom quand il avait envoyé promené l'urgal qui lui transmettait un message de son maitre, même s'il ignorait qu'il s'agissait de Galbatorix.

‒ Je sais déjà qu'il me veut à son service mais je n'y consentirai jamais!

Il pouvait sentir que les esprits des soldats environnants l'approuvaient avec ardeur. Certains semblaient n'attendre qu'un signal pour l'acclamer.

‒ Que me veut le tueur de dragons?

L'enthousiasme se refroidit à cette appellation. Les elfes se souvenaient de l'age des dragons et rêvaient de la mort de Galbatorix mais les humains ne connaissaient cette histoire que par des récits déformés par le siècle qui s'était déroulé depuis. Les anciens dragonniers étaient puissants et Galbatorix les avaient vaincus.

‒ Il vous défie au combat pour mettre fin à la guerre.

Un peu étonné, Eragon haussa les épaules.

‒ Hé bien, quand nous serons à Uru Baen, nous nous battrons!

‒ Pourquoi attendre? intervint Tanya. Je l'ai dis avant votre arrivée, dragonnier, la guerre ne se terminera que par un duel entre le roi Galbatorix et vous. Mon roi propose de faire ce duel dès maintenant.

L'attention d'Eragon se tourna vers elle. Sans sa capuche, il avait l'impression de l'avoir déjà vue.

‒ Et pour quelle raison devrais-je me fier à la parole de Galbatorix?

‒ Peut-être préférez-vous qu'il y ait plus de morts, que des villes soient dévastées et des champs ravagés? demanda Tanya en levant un sourcil avant de continuer en ancien langage. Il serait avisé de m'écouter. Il n'y a aucun danger à écouter le défi du roi, libre à vous de le refuser ensuite. Les dragonniers ont prétendu, pendant des siècles, protéger la paix. Pourquoi ne pas se montrer digne de cet héritage que vous revendiquez?

Saphira gronda, effrayant tous les humains qui se trouvaient à coté.

«Il est malavisé de faire preuve d'une telle insolence devant un dragon» rugit-elle mentalement.

Malgré ses défenses mentales, Tanya sentit bien sa colère.

Saphira redressa la tête et porta toute son attention sur Tanya.

«Brillantes écailles! Puis-je vous aider à trouver un adversaire à votre taille plutôt que moi?»

‒ Sa majesté, le roi Galbatorix vous fait une offre. Vous êtes libre d'en faire ce que vous voulez mais il serait regrettable de ne pas en tenir compte, reprit-elle à voix haute toujours en ancien langage. Regardez l'empire. Si le roi meurt, la guerre ne peut que s'arrêter. Si le roi triomphe alors les rebelles ne pourront que reconnaître qu'ils n'ont aucune chance.

‒ C'est par félonie que Galbatorix a vaincu Vrael. Comment pourrais-je penser qu'il ne me tendra aucun piège?

‒ Vous pouvez toujours demander qu'il prête serment en ancien langage de respecter les conditions que vous établirez.

Nasuada demandait en même temps à Trianna de lui traduire la conversation mais elle avait du mal à suivre.

«Galbatorix a toujours montré qu'il savait troubler les esprits, dit Arya à Eragon mentalement. Souviens des parjures. Il faut la renvoyer au plus vite. Les hommes vont finir par croire qu'il suffit d'un duel et qu'ils n'ont pas besoin de risquer leur vie»

«Je sais bien qu'on ne peut se fier à ce que dit Galbatorix mais il est vrai que la guerre ne s'arrêtera que nous serons face à face, lame contre lame.»

«Pense à Oromis! Il ne t'as pas enseigné pour que tu suive docilement ce que dit Galbatorix»

‒ Le duel aura lieu que ce soit dans les prochains jours ou à la fin de cette guerre, continua Tanya, à vous de choisir. Je vous laisse délibérer, termina-t-elle en langage humain avant de saluer courtoisement le roi du Surda. Roi Orrin, j'espère ne pas vous revoir comme ennemi. Roi Hrothgar, j'espère que les hostilités prendront fin. Je ne souhaite pas voir le sang couler pour rien.

‒ Les nains ont la mémoire aussi longue que la barbe.

‒ En ce cas, j'espère que vous vous souviendrez qui a commencé les hostilités.

Après avoir une fois encore courbé la tête, elle tourna les talons. Les Surdans s'écartèrent pour la laisser passer.

Quelques Vardens firent le geste de la rattraper mais les Surdans s'interposèrent.

‒ Vous ne poserez pas la main sur celle qui nous a rendu la liberté!

Le regard de Nasuada se durcit en voyant la représentante de l'empire s'en aller paisiblement.

Elle avait très bien remarqué qu'elle avait été la seule à ne pas avoir été salué. Mais c'était probablement mieux. Elle n'envisageait pas de parler courtoisement avec quelqu'un qui avait peut-être participé aux tortures que son père avait subi.

Intérieurement, elle s'inquiétait des réactions suite à la libération des Surdans.

‒ J'ignore ce que vous avez dit mais je souhaite avoir un peu de votre temps pour parler avec vous de l'offre de Galbatorix.

‒ Je vous écouterai, seigneur Orrin.

‒ Avant cela, je souhaite en savoir plus sur le camp impérial, Orrin. Et je voudrais également ce qu'il s'est passé durant ton équipée, Eragon.

‒ Eh bien, cela attendra! s'exclama Orrin. Je me dois de voir mes gens.

Et après avoir salué Hrothgar et Nasuada, il prit la direction de l'emplacement des tentes des hommes du Surda.

Nasuada soupira puis se redressa.

‒ Nous pouvons célébrer une victoire. Eragon s'est rendu au cœur de l'empire et a tué des serviteurs de Galbatorix. Aujourd'hui, il cherche à amadouer le roi Orrin mais il sait que son temps est compté.

Il y eut quelques acclamations mais moins que ce qu'elle espérait. Au moins, la folle idée d'Eragon d'affronter les Ra'zac et surtout de traîner sur le chemin du retour lui donnait une opportunité de remonter le moral général mais les hommes étaient troublés par la nouvelle situation.

Les Surdans furent heureux de revoir les leurs libres et en bonne santé.

La nouvelle fit beaucoup parler dans tout le camp. Des vardens vinrent s'enquérir du sort de leurs camarades mais ils n'en apprirent pas davantage.

Tanya rentra paisiblement au camp impérial. Les jumeaux l'accueillirent avec un sourire dédaigneux.

‒ Maintenant, les rebelles n'auront plus peur de se battre puisqu'ils sauront qu'ils seront libérés.

‒ Si vous avez un problème avec la décision de libérer les Surdans, je vous suggère de porter vos récriminations auprès de sa majesté Galbatorix.

Elle se rendit dans la tente où les officiers avaient établi leur stratégie avant la bataille. Les plus résistants d'entre eux venaient de terminer leur agonie. Malgré tous les efforts, il avait été impossible de découvrir un antidote.

L'image de Galbatorix apparut devant elle.

‒ Remarquable, demoiselle! Il ne viendra pas mais la graine du doute a été plantée parmi ses soutiens.

‒ Je suis à votre service!

‒ C'est bien ainsi! Malgré son tempérament exalté, il ne prendra pas le risque. En revanche, il se sent responsable des peuples et la pensée que beaucoup mourront alors qu'il peut l'éviter va le torturer.

‒ Je doute néanmoins qu'il vienne. Même s'il le voulait, sa dragonne l'en empêcherait et ses proches également. Nasuada préférerait se faire écorcher vive plutôt que de prendre un pareil risque.

‒ Elle serait sans doute heureuse de partager le sort de son père, persifla Galbatorix. Mais elle a trop de volonté pour s'y résoudre. En un sens, elle est plus dangereuse que le petit dragonnier. Il a sa force et il soulève l'espoir mais c'est elle qui a mené ses hommes et même les Surdans dans cette guerre. Les elfes avec toute leur force sont restés à admirer les arbres et les nains à faire pousser leurs barbes. Tu devrais en avoir conscience, non?

‒ Effectivement, mon roi!

Tanya sentit brusquement une pression s'exerçant sur son cou.

‒ Alors, pourquoi est-elle encore vivante?

‒ Mon roi, sa mort ferait d'elle une martyr! Ses hommes seraient plus encore galvanisés et déterminés. Aux yeux des rebelles, elle est une figure de proue. Je ne pense pas que sa mort suffise.

La pression diminue et Tanya résista à la tentation de se masser le cou.

‒ Une … martyr, répéta-t-il lentement manifestement perplexe.

‒ Pour l'instant, elle est la meneuse des rebelles mais si elle est assassinée, elle restera dans leur souvenir le symbole de la lutte à mener et l'espoir de la victoire. Dans ce cas, ils seront armés d'une nouvelle détermination.

‒ Voilà une idée des plus inattendues! Te serais-tu prise d'affection pour elle?

‒ En aucun cas! Je ne saurais oublier qui sont les ennemis à vaincre!

‒ Tu ne cherche donc pas à l'épargner?

Elle sentit sa présence mentale. Ce n'était pas douloureux mais elle frissonna. Elle ne comprenait pas comment il pouvait montrer une telle puissance.

‒ Je suis à votre service, mon roi. Vos ennemis sont les miens.

‒ C'est bien ainsi. Murtagh a montré une certaine réticence quand j'ai décidé de la mort de cette Nasuada. C'est vraiment contrariant.

Il garda le silence un instant avant de reprendre.

‒ Alors, si tu ne veux pas la tuer, quels sont tes projets pour elle?

‒ Je compte tuer sa réputation.

‒ Murtagh a voulu me convaincre de la faire entrer à mon service.

‒ Je doute fort qu'elle oublie ce qui est arrivé à son père. De plus, elle a montré qu'elle avait une personnalité forte et indomptable. Elle a bouleversé toute la stratégie des rebelles alors que leur dragonnier avait à peine commencé sa formation.

‒ Il y a bien des manières de convaincre. Mais, nous verrons cela une autre fois. Pour l'instant, va Main noire, continue de veiller à mon service!

Tanya s'inclina sans rien dire.

‒ Ah pendant que j'y pense! Garde un œil sur Murtagh! Je serai vraiment contrarié s'il venait à être convaincu lui-même.

Sur ces mots, son image disparut.

Tanya soupira. Sa mission était loin d'être terminée.

Pour l'instant, il fallait mettre en pause le projet de modifier les nerfs pour que les soldats ne sentent pas la douleur. La libération des Surdans avait fait germer l'idée que l'empire n'était pas si hostile. Maintenant, il fallait les conforter dans cette opinion.

La meilleure façon d'unir des peuples est un ennemi commun mais si l'ennemi était supprimé de l'équation, soit par son annihilation soit à la suite d'un changement diplomatique, l'union perdait sa raison d'être.

Mais les jumeaux s'étaient vantés d'avoir les faveurs de Galbatorix. Ils risquaient de se montrer récalcitrants à toute stratégie n'impliquant pas l'éradication immédiate des rebelles. Pour leur faire entendre raison, elle avait besoin de l'appui de Murtagh.

Elle se dirigea donc vers sa tente et resta en retrait devant le regard du dragon jusqu'à entendre la voix du dragonnier:

‒ Eh bien?

Elle s'avança devant la porte mais n'entra pas. Murtagh lui jetait un regard ennuyé.

‒ Conformément aux ordre de sa majesté, j'ai escorté le roi du Surda et ses sujets hors du camp pour qu'ils puissent recouvrer leur liberté mais mon action ne sera efficace que s'il n'y a plus aucune action hostile de l'empire contre la coalition des rebelles, surdans, nains et urgals. Je crains que les jumeaux ne gâchent tout. Ils semblent déterminés à lancer une attaque.

‒ Et donc? La Main noire ne peut donc pas imposer de la discipline aux hommes placés sous son commandement?

‒ Je le pourrais mais je préfère éviter d'avoir à le faire au milieu de l'armée. Ce genre de pratique sape l'autorité.

‒ Oh vraiment? Mais un magicien doit faire ses preuves pour être reconnu par ses pairs! Seuls les plus habiles et les plus puissants sont reconnus comme des maîtres

‒ Je pensais que le choix du commandement revenait au roi! Il me serait difficile de travailler efficacement si je dois me méfier de mes subordonnées!

‒ Alors, il suffit de leur donner une bonne leçon! répondit Murtagh sur un ton ennuyé.

‒ Soit! J'appliquerai donc vos conseils avisés. Permettez-moi de me retirer!

‒ Je permets!

Avec une souveraine indifférence, Murtagh fit un vague geste de la main et ne parut plus remarquer sa présence.

Connaissant le caractère de ces deux escogriffes, Tanya s'attendait à une confrontation directe. Combattre seule face à deux adversaire probablement habitués à se coordonner ne s'annonçait pas facile.

Comme d'habitude, le camp était agité. Des soldats étaient affairés partout sans que l'on sache exactement ce qu'ils faisaient. Certains s'entraînaient, d'autres entretenaient leurs armes ou s'amusaient avec des dés.

Paraissant s'amuser beaucoup de cette agitation, les jumeaux buvaient du vin en parlant à voix basse.

Quand Tanya arriva, ils se turent et la considérèrent avec hauteur.

‒ Eh bien petite! Qu'est-ce que tu nous veux?

‒ Je ne veux rien d'autre que servir mon roi. Pour rétablir les relations diplomatiques avec le Surda, l'armée ne doit mener aucune attaque.

‒ En voilà une idée! Comment sommes-nous censés gagner cette guerre sans combattre?

‒ Allons, fillette! Reste en dehors de tout ça et laisse les grandes personnes s'occuper de la guerre!

‒ Sa majesté le roi m'a donné mandat pour négocier avec le roi Orrin et toute interférence pourrait s'avérer désastreuse.

‒ Quelle petite insolente! Comment ose-tu t'adresser à nous de cette manière?

L'attaque vint immédiatement.

Deux esprits percutèrent ses défenses et les fouillèrent à la recherche d'un point faible.

Contrairement à ce que faisaient les magiciens, les défenses de Tanya ne se présentaient pas comme une forteresse imprenable. Elles offraient un aspect changeant, louvoyant, tantôt solide et tantôt fuyant.

« Je comprends mieux pourquoi tu ne veux pas te battre» ricana l'un des jumeaux.

Elle ne prit pas la peine de répondre ce qui confirma les jumeaux dans leur conviction que la lutte serait facile. Chacun de son coté, ils examinèrent ses défenses. Elles semblaient fragiles mais insaisissables comme une lueur dans la brume. Des points faibles apparaissaient sporadiquement comme des feu follet et s'estompaient immédiatement. La lutte devenait frustrante pour les deux assaillants mais Tanya ne ripostait pas, ils continuaient.

Les points faibles étaient de plus en nombreux mais les jumeaux échouaient encore à les exploiter.

Enfin, un défaut apparut dans la cuirasse devant chacun d'entre eux et ils se ruèrent dessus avec tant de hâte qu'ils se percutèrent l'un l'autre avec fracas.

À ce moment, leurs esprits étaient comme englués et Tanya lança la contre attaque.

Laissant de coté l'attaque des jumeaux, elle étendit son esprit et rencontra rapidement les deux qui l'attaquaient. Trop concentrés sur leur attaque, ils n'étaient pas en mesure d'assurer leur propre défense.

Ils se précipitèrent pour se protéger mais trop tard pour empêcher Tanya de se déchaîner, d'autant plus facilement qu'elle n'avait plus besoin de se concentrer sur sa défense.

Un glapissement aigu échappa à l'un des escogriffes.

En même temps, Tanya prit une pierre et la lança sur l'un de ses opposants.

Distrait, il se retira temporairement du combat. Tanya porta toute son attention sur l'autre et déploya sa puissance jusqu'à le contraindre à l'abandon. Quand l'autre revint à la charge, il ne put lutter.

‒ A force de combattre ensemble, vous ne savez pas comment combattre seul, fit-elle remarquer. Votre atout est un potentiel handicap.

‒ Ce n'est pas terminé, gronda l'un d'eux.

‒ A moins que vous ne souhaitiez laisser l'armée me voir vous donner une correction, je crains que si. Vous êtes dans l'armée de l'empire. Aucune place ne doit être laissée à l'insubordination. Sa majesté m'a chargée d'une mission et je la mènerai à bien. Si vous contestez sa décision, je vous laisse lui adresser directement vos récriminations. Toute initiative malvenue pourrait briser le plan. Aucune attaque ne sera lancée avant que j'en donne ordre. Il n'y a que sa majesté et le seigneur Murtagh qui puissent décider de changer cette stratégie.