Désolé pour l'attente, je suis en période d'examen. Bonne lecture et soirée à tous.
Le cœur d'Arashi s'arrêta à la vue face à lui. Ses yeux écarlates figés dans un écarquillement raidi, le teint absolument livide. Le sac sous son bras tomba à terre.
À une trentaine de mètres de lui, devant l'entrée du Sanctuaire, Satoru, retenu par deux de ses instructeurs, pleurait et hurlait. Utahime était ensanglantée, battue, gémissant douloureusement au sol. Kotaro, un ricanement tordu déformant son visage, se tenait au-dessus d'elle ; il agrippa ses cheveux, révélant son visage meurtri, ruisselant de sang et de crasse.
Il vit rouge.
Pris d'une rage dévastatrice mais froide, il s'avança lentement, expira calmement, son énergie occulte titanesque affluant dans son corps.
Il prit de la vitesse, puis sprinta, chargeant son ennemi. Le sol se fissurait sous la force de chacun de ses pas.
Son esprit se vida de toute pensée, ne laissant qu'une pure concentration sur son objectif.
Juste au moment où le poing de Kotaro commença à descendre vers le visage d'Utahime, Arashi apparut devant lui et lui porta le plus puissant des coups de poing de cette seconde vie, y déferlant une quantité d'énergie mortelle.
Le temps sembla se figer durant un court instant, puis l'espace se tordit avant que l'énergie occulte d'Arashi ne s'illumine d'un noir absolu. L'onde de choc se fit entendre, et une puissante décharge d'éclairs ténébreux se déclencha, causant des dommages considérables au sol autour des deux mâles.
Le choc déformant momentanément son visage, Kotaro cracha un flot de sang avant d'être violemment projeté contre l'escalier de pierre, le détruisant presque entièrement. Allongé sur les restes des marches, son kimono déchiré, du sang coulant sur les lèvres, et le corps meurtri au point d'en sembler à moitié mort, le Gojo toussa quelques fois avant de s'évanouir.
Toutes les personnes présentes étaient figées par le choc – mêlé à une certaine crainte –, absolument bouche bée, les yeux écarquillés, y compris Satoru et Utahime qui ne comprenaient pas encore ce qu'il venait de se passer.
De son côté, Arashi semblait être dans un état second. Les pupilles dilatées, il restait à sa position, immobile, ne remarquant même pas la forme déchue de sa victime à dix mètres devant lui. Toute sa rage s'était éteinte, pour laisser place à une émotion, une sensation qu'il ne savait décrire. Il venait d'enterrer Akiko, Utahime était blessée, Satoru pleurait il y a quelques secondes à peine, et pourtant... Il se sentait apaisé et excité à la fois. Une impression de bien-être immense l'envahissait, accompagnée d'une extase comme il ne se souvenait jamais en avoir éprouvé. C'était un sentiment de toute-puissance.
Son énergie occulte, si immense, si volatile, si transcendante, semblait être devenue une force répondant désormais à sa volonté avec une compréhension innée, comme si son contrôle et sa manipulation s'étaient soudainement transformés en un acte aussi naturel que de respirer.
Ses yeux écarlates rayonnant d'une puissance débridée se posèrent sur ses mains, contemplant la force occulte sans égal qui émanait de lui.
« Cette attaque... Qu'est-ce que c'était ? Et cette sensation, cette euphorie... Cette puissance que je sens en moi... Ce serait mon énergie occulte ? J'ai presque comme l'impression d'en sentir... la saveur ? À croire que jusqu'à maintenant, c'était comme si je me contentais simplement de regarder l'océan et de respirer l'air marin, et que désormais je venais de plonger dans l'eau pour la première fois. »
Son état de rêverie et d'inattention sembla ranimer les deux autres instructeurs qui, avec désormais des expressions faciales déformées par une rage qui, en conclut-il, ne pouvait trouver son origine que dans une jalousie et une frustration profondes.
« Comment oses-tu frapper l'un de nous, petit morveux insolent ? »
Ils lâchèrent Satoru, qui se jeta aux côtés d'Utahime, trébuchant même dans sa précipitation, puis se ruèrent sur Arashi, flamboyant leur propre énergie. Leur vitesse augmenta rapidement, et le premier arma son poing, prêt à déchaîner toute sa force sur le visage du jumeau de l'Honoré.
Cependant, avant même que l'homme ne puisse initier sa frappe, Arashi exécuta un saut périlleux costal avant de lui décrocher un puissant coup de pied latéral au visage, l'étourdissant et l'envoyant s'écraser à terre à plus d'une douzaine de mètres. Le second, dont la rage s'accrut considérablement face à cette scène, chargea à son tour, faisant pleuvoir des dizaines de coups sur le jeune Gojo, mais celui-ci esquiva chaque attaque sans le moindre effort, ses mouvements étaient aussi gracieux et fluides que la plus calme des rivières. Son expression comme son esprit, quant à eux, incarnaient la sérénité.
Aucune agitation, aucune colère, aucune anxiété. La quiétude au sens le plus simple.
« Je peux le sentir. Mes yeux ont évolué, comme le Sharingan au fur et à mesure que les tomoe s'enracinent et se développent. J'imagine que ce doit être grâce à ce phénomène... Cette distorsion dans l'espace que mon énergie occulte a provoqué lorsqu'elle a clignoté en noir. Serais-je... en plein éveil ? »
Alors que ce matin encore, ces yeux ne lui permettaient que de discerner clairement l'énergie occulte même en infime quantité, d'en voir imprécisément le flux chez une personne, et d'observer les pulsations de force parcourant le corps, désormais tout ceci avait été poussé à un niveau supérieur même à ce qu'il pouvait autrefois voir avec le Sharingan. Le temps lui-même semblait s'écouler différemment, son environnement lui paraissant si lent, et pourtant d'une clarté presque divine ; tout était si coloré, si lumineux... Si beau. De plus, il était maintenant capable de la décomposer, l'énergie occulte, jusqu'au niveau cellulaire ; ses prouesses visuelles n'égaleraient jamais celles du Sixième Œil, mais cela importait peu. Une autre différence qu'il remarqua fut les fluctuations de lumière émanant des êtres vivants qu'il pouvait maintenant lire ; chaque mouvement qu'ils exécutaient, il les voyait avant même qu'ils ne commencent à bouger. Presque comme s'il...
« L'un des pouvoirs de Samsâra serait... la précognition ? Est-ce même possible ? Et d'où viennent ces fluctuations ? Ce serait... ». Il s'interrompit lui-même. « Inutile de me creuser la tête. J'aurai tout le temps de connaître mes facultés plus tard. Pour le moment, voyons voir si je peux reproduire ce phénomène... d'éclair noir. »
Le plus léger des sourires se dessinant sur son visage, Arashi exécuta un énième saut, diminua la quantité d'énergie occulte qui affluait dans son corps, leva ses bras au-dessus de sa tête, réunissant ses poings, et frappa l'instructeur ; une nouvelle fois, l'espace se tordit et sa force occulte s'illumina en noir, à sa grande satisfaction. L'homme adulte s'écrasa violemment face contre terre, inconscient.
Arashi avait suffisamment retenu sa force pour ne pas tuer l'instructeur, mais au vu du sang qui s'écoulait de son crâne, rien ne garantissait que sa boîte crânienne et son cerveau n'avaient subi aucun dommage durable.
Il examina ses mains et l'énergie qui y circulait.
« Je doute de pouvoir reproduire le phénomène à volonté. Les facteurs et variables me semblent trop complexes et aléatoires. S'il s'agissait d'un simple décalage de temps précis entre le coup physique et l'application de l'énergie occulte, alors je pourrais le déclencher quand je le voudrais, mais ce n'est pas le cas. Le fait que je n'ai pas déclenché d'éclairs lorsque j'ai envoyé l'autre au tapis avec mon coup de pied, malgré mon intention, en est la preuve. »
« Hime ! Un guérisseur ! »
L'appel à l'aide de Satoru l'arracha à son état d'euphorie, et la réalité le rattrapa cruellement. Ses poings se serrèrent, les traits de son visage se durcirent et sa force occulte s'agita. Il fixa un à un tous les spectateurs de la scène avec ses yeux brillants, porteurs de toute sa haine et de la malveillance dont il était capable. Aucun ne parvint à maintenir un regard avec lui. Ils se détournaient tous, trop effrayés pour parler ou fuir.
« Des esprits si faibles et fragiles... » pensa-t-il avec dégoût.
Puis il courut vers les deux dernières personnes sur cette planète dont la vie comptait, ses mouvements si rapides qu'il n'était qu'un flou aux yeux des serviteurs et des gardes.
Il s'accroupit près de la forme recroquevillée d'Utahime sur le sol de pierre, examinant l'étendue de ses blessures en moins d'une seconde, avant de lui prendre la main.
« Arashi... »
« Je suis là, petite fleur. »
Elle gémit douloureusement, de nouvelles larmes coulant de ses yeux, mais s'efforça néanmoins à sourire.
« J'ai... J'ai essayé de tenir parole, mais je... ». Elle sanglota, le souffle rauque. « Vous aviez raison... Je suis faible. Je n'ai rien pu faire. Je ne vaux rien ». Sa respiration s'accéléra. « Je suis désolée, Arashi. »
Le teint d'Arashi devint livide.
« Ne t'excuse pas, Utahime. » murmura-t-il, sa voix si ferme que cela ressemblait presque à un ordre. « Tu t'es dressée contre un adversaire plus fort que toi, pour honorer ta promesse. Tu n'avais rien à gagner à t'opposer à eux, mais tu l'as fait, pour moi, pour Satoru. Tu as lutté contre la peur et la douleur. Et ça, c'est une preuve de force. Satoru le penses aussi. »
Celui-ci hocha frénétiquement la tête, amenant un petit sourire sur le visage de la miko.
« J'ai mal... »
« Ne t'inquiète pas, je vais arranger ça. »
Sans prêter attention aux interrogations et au regard confus qu'il recevait, il canalisa son énergie occulte avant de se préparer à l'injecter dans le corps d'Utahime, essayant de se souvenir de la brève explication qu'il avait entendue il y a des années entre sa mère et son grand-père sur le sort d'inversion. Celui-ci permettait de produire de l'énergie positive qui, à l'inverse de l'énergie négative qu'était la force occulte, pouvait être utilisée pour créer plutôt que détruire, et donc guérir le corps humain au lieu de simplement le renforcer.
C'était une manipulation très avancée de la force occulte. Un acte immensément complexe et d'une difficulté extrême, qu'un nombre très limité de sorciers à travers l'Histoire étaient parvenus à exécuter, et ils étaient encore moins nombreux à s'être montrés capables de s'en servir pour guérir quelqu'un d'autre qu'eux-mêmes.
Et pourtant, par pur instinct, Arashi parvint à réaliser ces deux exploits.
Une énergie occulte blanche et apaisante, presque chaude, entra dans le corps d'Utahime et commença à ressouder ses os brisés, refermer ses égratignures, faire disparaître ses ecchymoses, guérir son nez cassé. En quelques secondes seulement, toute la douleur et chacune des blessures infligées par Kotaro avaient tout simplement cessé d'exister, comme si les dernières minutes n'avaient été qu'un mauvais rêve.
Satoru et Utahime regardèrent Arashi, leurs yeux écarquillés, mais le choc céda très vite sa place au soulagement, et les trois enfants s'enlacèrent tendrement, sanglotant doucement.
Les guérisseurs et les exorcistes aguerris qui avaient assisté à la scène, y compris les quelques aînés alertés de la situation, fixaient avec une incrédulité évidente le garçon. L'enfant aux yeux tordus et impurs, la souillure du clan, venait de mettre à terre avec une facilité déconcertante trois de leurs meilleurs combattants, de déclencher deux Rayons Noirs en moins d'une minute et d'apprendre le sort d'inversion avant de s'en servir pour guérir totalement en à peine dix secondes une autre personne que lui-même ; chacun de ces actes représentait un exploit que beaucoup n'auraient jamais pu espérer réaliser en toute une vie. Et cet enfant y était parvenu en quelques minutes à peine.
Il n'y avait plus aucun doute. Le garçon était dangereux, peut-être même plus que le porteur du Sixième Œil. Il devait être contrôlé, pour le bien du clan et de la société occulte. Le cas contraire, la menace qu'il représentait devrait alors être éliminée.
Lorsqu'il entendit du bruit venant de la direction où se trouvait Kotaro, Arashi se figea avant que les traits de son visage ne s'installent dans une expression aussi dure et froide que la glace.
Lâchant Satoru et Utahime, il se releva, à leur confusion, avant de se diriger calmement vers la forme gémissante de leur agresseur, la petite foule de personnes s'écartant sur son passage et baissant la tête de manière instinctive en signe de soumission. Certains se retenaient carrément de respirer, se demandant même inconsciemment si l'enfant les tuerait pour cela.
Qui, avec un minimum de bon sens et de logique, aurait pu leur en vouloir ? L'aura qui émanait actuellement d'Arashi Gojo était bien plus sinistre et écrasante que celle de n'importe quel fléau qu'ils avaient jamais pu combattre.
C'était une aura que même les Bijûs avaient appris à redouter.
S'inspirant d'une des nombreuses facultés que le Rinnegan lui avait conférées, il canalisa son énergie dans la paume de sa main et commença à la modeler, son instinct guidant son acte. C'est alors que, sous les yeux de Satoru, d'Utahime, des serviteurs, des gardes des clans Iori et Gojo et des anciens, un pieu fait d'une sorte de métal surnaturel émergea de la paume d'Arashi. La vue de son extrémité pointue et tranchante ainsi que la funeste énergie qui en émanait envoyèrent des frissons dans le dos de tous, y compris Satoru, et, dans le cas de Kotaro, l'anticipation d'une mort certaine.
Arashi n'était pas exceptionnellement grand pour son âge, mais, dans leur position actuelle, il dominait néanmoins Kotaro de toute sa hauteur.
Il l'empoigna par les cheveux pour l'amener face à lui, et pointa le pieu en direction de sa gorge.
Cet homme avait blessé son amie et son frère. Il le paierait de son sang, qu'importe leur quelconque lien de parenté.
Cela faisait longtemps que les liens du clan ne signifiaient plus rien pour lui.
Deux paires de bras vinrent s'enrouler fermement autour de lui, l'arrêtant au dernier instant.
« Je t'en prie, arrête. Ne fais pas couler plus de sang. »
« Ce minable n'en vaut pas la peine. »
Quelque chose dans leur voix le fit hésiter.
« Il vous a blessés. »
L'un comme l'autre, ils resserrèrent leur emprise. Pour autant, ce n'était qu'illusoire. Aucun d'eux ne pourrait l'arrêter s'il décidait de passer à l'acte.
« Sois meilleur qu'eux, Arashi. »
« Maman et Akiko ne voudraient pas que tu t'abaisses à ça, petit frère. »
« Mais maman et Akiko sont mortes, Satoru. »
L'emprise de son jumeau faiblit, son corps se mit à trembler et Arashi sentit des larmes chaudes s'écouler dans le creux de son cou.
La culpabilité s'enroula autour de son cœur comme des doigts glacés... Il avait fait pleuré Satoru. Il lui avait causé du mal.
Il baissa la tête, honteux, relâchant Kotaro. Ce fut à ce moment qu'il s'aperçut également que la paire de magatama était encore rattachée à ses doigts par le mince cordon de cuir brûlé.
Le pieu dans sa main se désagrégea.
Cependant, avant qu'il ne puisse parler, la voix du chef des Gojo retentit.
« Mon garçon ! »
Son ton débordait de l'autorité et du pouvoir qu'il détenait de par son statut et ses compétences.
Avec un regard vide, il tourna la tête vers son grand-père. L'expression de ce dernier était illisible, lui rappelant les masques de porcelaine des agents de l'Anbu. Même son énergie occulte semblait comme... inerte.
« Suis-moi. Nous avons beaucoup à nous dire. »
Arashi acquiesça d'un air apathique, puis tendit son magatama à Satoru, qui le prit entre ses mains tremblantes, avant de lui tapoter le front de son index et de son majeur, comme sa première mère le faisait et comme il l'avait fait d'innombrables fois avec Izuna et sa nièce. Un geste d'affection et d'amour transmit de génération en génération au sein de leur famille.
Satoru recula légèrement avant de porter sa main à son front, ses larmes se calmèrent tandis que ses yeux bleu vif s'emplirent de confusion.
« Elle les avait bien cachés pour que nous puissions les récupérer. » expliqua-t-il, en lui souriant doucement. « Ne t'en fais pas, Satoru. Je te rejoins dès que j'en ai fini avec eux. Et puis... ». Il jeta un regard en direction Utahime, qui était actuellement serrée dans les bras de sa mère ; cette dernière lui envoya un sourire reconnaissant, puis regarda avec rage et dégoût le reste des Gojo. « Ce n'est pas comme si tu seras tout seul ».
Les jumeaux s'enlacèrent avant de se séparer à contre-cœur lorsque Takarô s'impatienta.
Indifférent aux regards craintifs et hostiles qu'il recevait de la part des membres de son clan, il suivit le vieil exorciste dans le complexe. Les aînés ne tardèrent pas à emboiter le bas, mais lorsqu'ils arrivèrent devant la chambre d'Arashi, Takarô refusa de laisser entrer un seul d'entre eux.
Quelques uns protestèrent avec véhémence, mais le chef des Gojo les fit rapidement taire. Qu'importe leur expérience ou leur contribution, ils n'étaient que des conseillers, la décision définitive revenait toujours à la tête du clan.
« Alors, quelle explication as-tu à donner pour tout cela ? » demanda le vieil homme en prenant appui sur son bureau.
Sa voix semblait plus ennuyée que colérique.
« Tu peux me punir, vieil homme, mais ne compte pas sur moi pour aller leur demander pardon, présenter des excuses ou les guérir. Ils se sont attaqués à mon frère... Ils devraient s'estimer heureux de respirer encore, surtout ce vaurien de Kotaro. »
« Tu es conscient que les évènements de ce soir ne vont pas améliorer l'opinion du clan à ton égard, mon garçon ? » fit-il remarquer.
Arashi grogna. Cette discussion était inutile. N'avait-il pas déjà fait comprendre que prendre la tête du clan Gojo ne lui importait plus ? Cet objectif n'avait été rien de plus que le rêve d'un enfant jaloux de la reconnaissance de son jumeau et aspirant à recevoir l'affection de l'homme censé être son père. Retrouver la mémoire de son moi antérieur lui avait heureusement permis de réaliser la superficialité et la futilité de cette aspiration.
« Je ne sais pas si je dois trouver amusant ou pathétique le fait que tu sembles croire que je me soucie de ce que toi et ta clique de réactionnaires séniles pouvez bien penser de moi, vieil homme. »
« Je reconnais que tu es beaucoup plus responsable et mature que ton frère, » commenta Takarô, ignorant la remarque, « mais cette arrogance de prétendre tout comprendre et tout savoir sur notre monde est inconvenante de ta part. Tu n'es qu'un enfant. »
Arashi se hérissa à cette affirmation, se demandant comment son propre grand-père pouvait encore le considérer comme tel alors que ses mains étaient couvertes de sang, alors qu'il s'apprêtait à assassiner, sous les yeux de tous, un membre de son propre clan.
Un enfant, même débordant de haine, n'aurait jamais eu un regard comme le sien. Il le savait.
Il serra les poings jusqu'à ce que ses ongles lui percent la peau. Son sang bouillonna, et sa force occulte s'agita furieusement, fissurant le sol autour de lui.
Il n'était pas certain de la véritable origine de ce déchaînement émotionnel, mais supposerait plus tard qu'il s'agissait de l'accumulation d'années de frustration, d'amertume, de tristesse et de colère, associée à la totalité de la souffrance qu'il avait endurée au cours de son siècle d'existence en tant que Madara et qui, en dépit de tout, lui semblait aussi récente que la mort d'Akiko. Il n'avait personne à qui confier cette part de lui. De plus, le fait d'être à nouveau un enfant, grandissant dans un environnement où pas une seule journée ne passait sans que des reproches ou des critiques absurdes ne lui soient adressées avec venin, n'aidait certainement à se défaire de cette instabilité.
Pour la première fois depuis la résurgence de sa vie passée, sa maîtrise de soi se brisa.
« Et toi, un vieil hypocrite sournois avide de pouvoir ! Comme le reste des aînés et de toute la pourriture qui se trouve au Haut Commandement ! Pour vous, je ne suis qu'un monstre caché dans un corps de gamin, et votre vision de Satoru est à peine mieux ! Il n'est qu'un objet de prestige ! Un outil ! Une arme destinée à renforcer votre position dans ce système malade et corrompu ! Un moyen de rester au pouvoir ! Et bien laisse-moi te dire : je ne permettrai jamais à cette ambition tordue de se réaliser ! Et si toi, les vieilles momies qui te servent de conseillers ou qui que ce soit d'autre essaye de m'en empêcher, je le tuerai sans remords ni état d'âme ! ».
Takarô resta étonnamment silencieux, sa position toujours détendue, et son visage inexpressif, bien qu'Arashi put entrevoir un soupçon de... pitié dans son regard, mais celui-ci ne tarda pas à disparaître.
« Je te crois sur parole. » finit-il par dire.
« Dans ce cas, » commença froidement Arashi en se détournant, « nous n'avons plus rien à nous dire ».
« Me détestes-tu, mon garçon ? »
Arashi se figea à l'interrogation soudaine. Takarô n'avait jamais été particulièrement affectueux envers lui comme envers Satoru, mais contrairement à leur géniteur, il ne les avait jamais déshumanisés en les traitant comme de simples outils. Cependant, après la mort de leur mère, le vieil homme était distant, ne leur adressant presque jamais la parole, faisant de cette conversation la plus longue qu'ils aient eu depuis des années. Ses sentiments à l'égard de Takarô étaient... complexes. Il le respectait en tant qu'homme, mais le méprisait en tant que parent. Pour cette raison, il choisit de ne pas répondre.
« Et toi, vieil homme ? Je sais que le clan me craint et me déteste à cause de mes yeux tordus et impurs, mais en ce qui te concerne, je n'ai jamais compris la source de ton aversion envers moi. Qu'ai-je eu le malheur de te faire ? »
L'emprise de Takarô sur le bureau se resserra, au point de le faire grincer désagréablement, et Arashi put voir apparaître dans les yeux durs de son aïeul la souffrance. Il connaissait ce regard... C'était le même qu'il adressait à Tobirama Senju, le meurtrier d'Izuna, avant sa descente dans les ténèbres. La douleur d'une personne ayant perdu ce qu'elle avait de plus cher.
« Fuyumi était ma fille. Tout ce que mon épouse, ta grand-mère, m'a laissé à sa mort. Je l'aimais plus que tout. Et toi et ton frère me l'avez volée. Les guérisseurs et son médecin l'avaient prévenue que sa grossesse présentait des risques importants. Malgré cela, elle a tenu à vous mettre au monde tous les deux. Sa santé s'est dégradée rapidement après son accouchement. La maladie qui l'a emportée, c'est à vous deux qu'elle la devait. »
Arashi resta silencieux face à la colère ardente et la douleur apparente dans la voix et les yeux de Takarô. La crainte du clan à son égard venait de son pouvoir rivalisant avec celui de l'Honoré, mais l'origine de leur animosité et la distance qu'ils gardaient résidait dans la cause du décès de Fuyumi. Les aînés, son géniteur et quelques autres conservateurs misogynes avaient été les seuls à la mépriser, pour le simple prétexte qu'elle fut le deuxième exorciste le plus fort de son temps tout en étant une femme ; le reste du clan l'appréciait énormément, pour son pouvoir, sa grandeur d'âme et sa dévotion, et Takarô l'aimait plus que tout au monde. La perdre ne pouvait être interprété comme autre chose qu'une tragédie dont les responsables devaient être blâmés. Cependant, en prenant ce risque, elle avait permis au plus grand joyau de leur lignée – le Sixième Œil – de renaître pour la première fois en plus de quatre siècles.
Le mépris et la haine qui lui étaient manifestées depuis toujours devinrent plus compréhensibles, de même que la raison pour laquelle Satoru y avait essentiellement échappé.
« Pourquoi crois-tu qu'elle a accepté de mourir ? » l'interrogea-t-il soudainement avec dureté.
Bien entendu, en tant que shinobi et ancien héritier d'un clan comme celui des Uchiwa, il connaissait la réponse. Il la murmura avec tristesse.
« Pour le clan. Pour l'avenir de la famille. »
« Oui. Parce que le nom de la famille est tout ce qui demeure. Ton frère et toi allez probablement devenir les exorcistes les plus forts que notre monde ait connu depuis le Déchu lui-même, mais l'histoire ne se souviendra pas de vous, ni de votre gloire, ni de votre honneur ou de vos croyances, seulement de votre nom. Le nom que Michizane Sugawara a donné à notre lignée. Notre devoir à tous est de servir le clan ».
Sa posture se détendit, et la douleur et la colère disparurent, laissant place à la figure autoritaire et pragmatique qu'il connaissait.
« Pour ta connaissance, le clan qui place la famille au-dessus de tout le reste est assuré d'avoir le dessus sur celui qui fait passer les souhaits et les humeurs de ses enfants avant le reste. Un homme juste fait tout ce qui en son pouvoir pour parfaire la situation de sa famille, sans prendre en compte ses propres aspirations. C'est ainsi que fonctionne notre monde. »
À cette énonciation, Arashi retint un ricanement, et leva les yeux au ciel.
« Tu trouves cela amusant ? » demanda Takarô, un soupçon d'agacement dans son ton.
« Bien au contraire, c'est en fait une excellente leçon. Cependant, il est facile de prêcher la dévotion extrême à la famille quand on est celui qui prend toutes les décisions. »
« Tu dis que cela m'est facile ? »
« Quand as-tu jamais fait quelque chose qui n'était pas dans ton intérêt ou celui des aînés, mais exclusivement dans celui du clan ? » interrogea Arashi, impatient et irrité.
« Le jour où toi et ton frère êtes venus au monde... » il s'interrompit, une colère froide emplissant son ton, mêlée à ce qu'il devina être du chagrin et de la douleur. « Les aînés et nos dirigeants voulaient te condamner à mort, tandis que ton père souhaitait te jeter à la mer... Et j'admets ne pas avoir été opposé à cette intention. Après tout, notre clan avait déjà un héritier puissant et béni. Je les en ai néanmoins empêchés. Je t'ai laissé vivre, et j'ai accepté que tu sois élevé comme le fils de ma fille. Parce que tu es un Gojo ! ».
Arashi resta sans voix. Son aïeul ne mentait pas.
« Et je serai maudit mille fois avant de voir ce clan que j'ai travaillé si dur pour sortir de sa décadence y sombrer une seconde fois. Le cas de Satoru peut attendre encore un peu, mais toi, je veux que tu agisses comme l'homme que tu es censé être. Pas l'année prochaine. Pas demain non plus. Maintenant. » dit Takarô avec un sérieux absolu, regardant son petit-fils droit dans les yeux. « Ne me fais pas regretter de t'avoir épargné la vie, mon garçon. »
Arashi rendit son regard à Takarô, notant d'ailleurs les similitudes entre le chef des Gojo et son père, Tajima Uchiwa. Il avait déjà entendu un discours similaire après la mort de trois de ses frères, et avait pris très à cœur d'honorer son rôle d'héritier, s'accommodant sans jamais se plaindre des devoirs qui l'accompagnait. Il avait redonné au clan Uchiwa toute sa gloire, son pouvoir et sa richesse, devenues obsolètes du fait de l'arrogance de leurs anciens chefs qui avaient conduit le clan à l'isolement et ainsi permis aux Senju de remporter de nombreuses batailles durant des décennies, grâce à leurs alliances.
Il y avait cependant une différence majeure entre cette époque et aujourd'hui, dans ce nouveau monde : c'était l'amour et la dévotion. Deux sentiments qu'il avait eus pour les Uchiwa, mais pas pour les Gojo, et ce, avant même de se souvenir qu'il était Madara.
« Je vais être clair, vieil homme... » commença-t-il avec une fermeté froide. « J'ai une dette envers toi. Pour cette seule et unique raison, je ferai ce que tu me demandes. Je m'assurerai que la famille Gojo soit au-dessus de toutes les autres, je soutiendrai Satoru quand il prendra ta succession. Cependant, jamais, je dis bien jamais, je ne ferai passer le clan avant mon frère. Ce clan qui ne m'a apporté que souffrance et misère jusqu'à présent. Satoru est la seule véritable famille qu'il me reste, et il demeurera toujours ma priorité absolue. Si jamais toi, le clan, les autres Grandes Familles, ou même le Haut Commandement devenez une menace pour lui, je vous détruirai. »
Si Takarô était surpris par le ton menaçant et la fermeté dans le regard d'Arashi, qui conviendraient mieux à un homme d'une certaine expérience qu'à un enfant, il ne le montra pas.
« Ton frère et toi êtes mes petits-fils. Vous êtes mon sang. Vous l'avez toujours été, peu importe ce que nous pouvons tous en penser. Je ne vous aime peut-être pas, mais je ne ferai jamais rien qui puisse vous nuire. Mon seul but est de vous voir devenir les hommes que vous êtes destinés à être. Satoru continuera d'être entraîné sous la tutelle des meilleurs combattants de notre clan et des aînés. Quant à moi, j'accomplirai mon devoir envers toi, mais j'attends en retour que tu fasses de même. »
« Je le ferai. Mais tu me donneras ce que je veux. Sans poser de question. »
Les aînés freinaient son éducation depuis bien trop longtemps. Les souvenirs de son ancienne vie le compensaient, mais il avait encore d'innombrables choses à apprendre, sur ce monde, sur l'exorcisme... Sur l'étendue du pouvoir des fléaux.
« S'il est en mon pouvoir de te le donner et que je suis satisfait de l'accomplissement de ton devoir, alors tu obtiendras tout ce que tu souhaites. Tu as ma parole, mon garçon. »
Satisfait de cette promesse, et avec un dernier signe de tête, Arashi s'éloigna.
« Une dernière chose... » l'interpella Takarô alors qu'il s'apprêtait à franchir la porte. « Le conseil a exigé qu'une audience soit tenue demain à minuit pour s'occuper de ton cas, maintenant que tu es accusé de l'agression de trois membres de notre clan, et de la mort de l'un d'eux. Aucune absence ne sera tolérée. »
Arashi resta quelques secondes immobile, à essayer d'en déduire lequel des trois avait été suffisamment faible pour mourir si vite face à lui, jusqu'à se rendre compte qu'il s'en moquait. Sans un mot, il disparut dans les couloirs.
« Enfant insolent... » soupira le chef des Gojo, souriant avec ce qui s'apparentait à de l'amusement.
Lorsqu'il arriva à la chambre de Satoru, il fut étonné de voir son frère seul, ses affaires emballées. Ses yeux bleu vif, habituellement rayonnant de vie et de joie, semblaient avoir perdu de leur éclat surnaturel au point de paraître presque grisâtres, étant vides et gonflés.
La nouvelle de son jugement prochain annoncée par leur aïeul prit tout son sens. Après un accident comme celui-ci, le clan Gojo ne pourrait jamais espérer regagner l'hospitalité de la famille Iori avant de nombreuses années. La lignée d'Utahime ne comptait peut-être pas d'illustres exorcistes comme celles des Trois Grands Clans, mais cela ne signifiait en aucun cas que sa famille était impuissante. Ils n'avaient pas survécu depuis l'Ère Heian par hasard. Et contrairement à d'autres, au sein de leur clan, la force ne primait pas sur la famille et l'humanité.
Les jumeaux retourneraient donc là-bas à l'aube.
Avec prudence, il s'approcha de Satoru qui fixait le magatama dans sa main.
« Ça te dirait que je te prépare un petit dîner ? Tu n'as rien mangé depuis ce midi. »
L'aîné refusa de regarder son cadet.
« J'ai pas faim. »
« Même pour un peu de dango ? »
Cette fois, Satoru se tourna brièvement vers son jumeau avec un léger intérêt, mais il resta néanmoins silencieux. Il sembla réfléchir quelques secondes, puis protesta.
« J'ai pas envie de manger, je te dis. »
Les sourcils d'Arashi se contractèrent face à l'obstination, mais il s'y attendait. Satoru avait toujours été têtu. Si leur mère ou Akiko était là, l'une comme l'autre, elles auraient su comment s'y prendre pour le convaincre, mais elles n'étaient plus là désormais.
Réprimant son irritation, il se laissa tomber sur le lit.
« Alors, je ne mangerai pas non plus. »
Satoru retint un halètement avant de marmonner : « Idiot ».
Arashi se moqua.
« Peut-être, mais je ne serai jamais à ton niveau. »
Les joues du jumeau aîné se gonflèrent d'agacement, le faisant paraître bien plus mignon qu'intimidant, puis son estomac gronda bruyamment, ce qui amena une rougeur sur ses joues. Il détourna le regard, embarrassé.
« Je suis sûr qu'Utahime adorerait voir ça... » pensa-t-il amusé, espérant que ce divertissement aidait également Satoru à détourner son esprit de la douleur de perdre leur gardienne.
Il lui ébouriffa les cheveux avec affection pour l'inciter à le regarder.
« Je vais te faire du dango. »
« Akiko, je t'ai dit que... »
Les mots moururent dans la gorge de Satoru lorsqu'il se souvint brusquement que c'était son frère qui continuait de lui caresser la tête, ses yeux écarlates emplis de tristesse. Les jumeaux restèrent ainsi, en silence, pendant plusieurs minutes avant qu'Arashi ne demande à Satoru s'il souhaitait voir la tombe de leur gardienne.
Il renifla, essuya quelques larmes qui menaçaient de couler sur ses joues, puis acquiesça.
Arashi prit le magatama que tenait Satoru pour l'enrouler autour du cou de son frère avant de faire de même avec le sien. Il lui prit ensuite la main, et commença à le guider vers les jardins. La nuit avait l'avantage de rendre la plupart des couloirs de l'enceinte déserts ; cela les arrangeait, aucun des deux ne voulait avoir affaire avec quiconque pour le moment.
« Arashi... »
« Oui, Satoru ? »
« Tu me lâcheras jamais la main, hein ? »
Il sourit doucement.
« Non, jamais. Je te le promets. »
La journée du lendemain passa vite. Il ne plut pas, mais pas un seul instant le soleil ne perça le gris nuageux du ciel. Le départ des Gojo se fit dans le plus grand des calmes, malgré les regards noirs qu'ils recevaient de la part des Iori, exceptés les jumeaux.
Lorsque leurs bagages furent tous chargés, Utahime s'approcha de Satoru et d'Arashi, son expression illisible. Elle leur tendit simplement le sac qui contenait les cadeaux d'Akiko, leur dit au revoir et s'éloigna sans un mot de plus. Cela fit gémir tristement le porteur du Sixième Œil, qui ouvrit la bouche pour appeler son nom, mais son jumeau lui prit simplement la main, comme il l'avait fait la nuit dernière, l'incitant à le suivre.
Il était inutile de rendre les choses plus difficiles.
Durant leur trajet jusqu'à la demeure de la lignée de Sugawara, ils prirent le temps d'enfin déballer leurs présents. Une paire de lunettes opaques pour Satoru afin qu'il puisse atténuer la surstimulation de ses yeux, et un carnet à dessin pour Arashi. Il s'agissait de cadeaux modestes, mais ils devinrent aussitôt dépaquetés les biens les plus précieux des jumeaux, avec le double pendentif de leur mère.
Une fois arrivés, à leur soulagement, on leur accorda un peu de paix. Les jumeaux ne sortirent pas de leur chambre, du moins jusqu'à ce que l'atmosphère étouffante et sans vie des murs du complexe n'ait raison d'eux. Satoru n'avait jamais supporté l'ennui, et la fraîcheur de l'air manquait à Arashi.
Ils quittèrent donc la pièce, en sautant carrément par la fenêtre pour éviter de croiser quiconque. Le froid de la fine couche de neige de l'aube de l'hiver sous leurs pieds ne les fit frissonner qu'un instant avant qu'ils ne commencent à marcher, empruntant le chemin avec lequel ils étaient devenus si familiers au fil des promenades où ils tenaient la main de leur mère, avec leur gardienne fermant la marche. Dans leurs souvenirs, toutes deux souriaient avec tendresse alors qu'ils s'extasiaient devant la beauté de l'hiver.
« Arashi, pourquoi l'ancêtre voulait te voir hier ? » demanda Satoru avec curiosité.
« Il voulait une explication de ce qui s'est passé, et m'informer qu'une audience se tiendra ce soir pour décider de ma punition. » répondit-il avec indifférence.
Les yeux de Satoru brillèrent de colère, et son énergie occulte s'agita furieusement.
« Quoi ?! »
Il sourit, amusé.
« Ne t'en fais pas pour moi, frère. Même si le vieil homme ne nous aime pas, il ne laissera rien nous arriver. Nous sommes ses héritiers, après tout. »
Satoru parut incrédule.
« Et t'as confiance en lui ? »
« Son seul but est de nous voir prendre la tête du clan. Je ne l'aime pas, mais je le respecte ». Il s'approcha de Satoru et lui tapota le front de deux de ses doigts, le faisant reculer avec embarras. « Et s'il ne tient pas parole, alors je lui mettrai un bon coup sur la tête pour remettre en marche son cerveau flétri. »
Satoru éclata de rire, amenant un sourire sur le visage de son frère, avant d'éternuer bruyamment.
« Allez, » fit-il en lui prenant la main, « rentrons avant que tu n'attrapes froid. »
Pour une fois, Satoru ne protesta pas.
Alors qu'ils approchaient du complexe, leur instinct s'agita. Ils se figèrent, réalisant qu'il se passait quelque chose d'anormal. Une présence étrangère, ici, sur les terres des Gojo...
Lentement, ils se tournèrent et, à quelques dizaines de mètres devant eux, virent la silhouette imposante d'un homme balafré, son kimono sombre contrastant fortement avec le manteau immaculé de l'environnement. Ils le regardèrent de leurs yeux pénétrants et surnaturels, avec une expression neutre mais vigilante.
Les yeux de l'homme s'écarquillèrent. De toute évidence, il ne s'attendait pas à ce que les jumeaux le remarquent.
Les trois exorcistes restèrent figés, se jugeant mutuellement, pendant ce qui leur parut être une éternité avant que finalement l'homme ne soupire et ne s'éloigne, disparaissant dans la forêt.
« C'était qui, ce type ? » demanda Satoru, confus. « Et pourquoi il avait l'air si bizarre ? »
« Aucune idée. » répondit Arashi, ses yeux continuant de parcourir les environs à la recherche d'intrus potentiels.
Quiconque était capable de pénétrer sur les terres d'un Grand Clan sans être repéré ne pouvait être considéré comme autre chose que dangereux.
« Dépêchons-nous de rentrer. »
Et ils reprirent leur route, bien que Satoru semblait déjà avoir oublié l'homme, Arashi lui fut incapable de chasser de son esprit une certaine inquiétude.
Il avait senti la puissance de cet individu rien qu'à sa posture et l'aura qui émanait de lui. Ce dernier était bien plus fort et redoutable que les trois sorciers criminels qu'il avait tués hier réunis, plus fort même que son aïeul, il en était certain. Et pourtant... ni ses yeux ni sa perception sensorielle n'avaient entrevu ou détecté ne serait-ce que la moindre once d'énergie occulte chez l'homme.
Une part de lui s'interrogea curieusement de ce phénomène, mais une autre lui donna la funeste impression que, s'il l'avait voulu, cet individu aurait effectivement pu les tuer, lui et Satoru.
Avec le moindre soupçon de ce qu'il y avait de plus proche de la crainte en lui, il accéléra légèrement la cadence, désireux de s'éloigner des ombres de la forêt.
Comme Takarô l'en avait informé, l'audience eut lieu à minuit.
Sur l'insistance d'Arashi, Satoru n'était pas présent. Cela valait mieux, et ainsi l'affaire serait réglée rapidement. Son jumeau n'avait ni les connaissances ni la patience nécessaires pour prendre part à cette comédie politique. Lui non plus d'ailleurs, du moins c'est ce que croyaient les anciens.
Il se tenait debout au centre de l'assemblée, seul contre tous, les aînés et d'autres membres influents du clan l'entourant tels des fauves. Face à lui, Takarô était assis, ses yeux durs et froids ne contenant rien du semblant d'affection qu'il lui avait témoigné un jour plus tôt.
Chaque membre du conseil avait gagné sa place grâce à ses propres mérites, et non grâce à la gloire d'ascendants morts depuis longtemps. Quelque chose qui n'était plus si commun dans la société occulte actuelle.
La Mort.
Il la voyait dans leurs yeux. La plupart des personnes présentes dans cette pièce aspiraient à sa disparition, tandis que ceux qui étaient moins hostiles n'avaient aucunement l'intention de laisser son crime impuni. Après tout, il était désormais un tueur de parent.
Dans les clans des Uchiwa, des Senju et des Uzumaki, il s'agissait de la plus haute forme de trahison possible. Un crime abominable et impardonnable, non seulement envers la victime et les proches de cette dernière, mais également envers sa propre famille et le clan tout entier. Dans le milieu des Trois Grandes Familles, en revanche, la sévérité de la punition dépendait beaucoup de la position, et parfois du sexe également.
Il connaissait le récit d'un héritier du clan Zenin tuant sa sœur jumelle pour prendre le pouvoir, celle-ci étant trop puissante pour quelqu'un d'autre le fasse à la place d'un de ses proches.
C'était cependant une chose qui lui manquait en l'occurrence, l'approbation des siens.
Malgré cette hostilité et leur désir de le mettre à mort, son visage ne reflétait que l'impassibilité et ses yeux l'indifférence. Il avait vécu plus longtemps que n'importe lequel d'entre eux – bien qu'aucun n'en soit conscient –, participé à plus de guerres qu'ils n'en avaient connues, et tué au moins dix fois plus de personnes qu'ils n'en avaient rencontrées. De plus, à l'exception de son grand-père, aucun ne représentait une réelle menace, pour lui comme pour Satoru.
« Allez, finissons-en. » marmonna-t-il. « Contrairement à vous, j'ai des choses à faire. »
Les provoquer n'allait en aucun cas arranger son cas, mais il avait dépassé le point de s'en soucier.
« TRAÎTRE ! »
« MONSTRE ! »
« ASSASSIN ! »
Takarô, les sourcils froncés, leva la main pour ramener le silence, puis parla.
« Arashi Gojo, tu es accusé d'avoir agressé violemment deux membres de notre clan, et d'en avoir blessé mortellement un troisième, causant sa mort. Que plaides-tu ? »
« Coupable. »
La salle aurait de nouveau explosé de rage si Takarô ne les avait pas fait taire. L'homme était peut-être froid et distant, mais le reste du clan le respectait et le redoutait.
« Pourquoi avoir commis un tel méfait ? » l'interrogea Hitomi Gojo, l'une des tantes de son géniteur.
« Ils ont maltraité mon frère et blessé sévèrement l'héritière de la famille Iori. Quant à celui qui est mort, je ne suis pas responsable de sa faiblesse. »
« Son nom était Ayato ! » s'écria furieusement un des hommes dans son dos. « C'était mon cousin ! »
Arashi resta silencieux, le regard vide, sans même daigner lui accorder un regard.
« Vous devriez me témoigner un peu de reconnaissance. En s'attaquant comme ils l'ont fait à Utahime, ils ont sali la réputation de notre clan. Les corriger en public nous a permis d'éviter de perdre le soutien de la famille Iori. »
Les membres les plus pragmatiques et réfléchis semblèrent prendre en compte ses paroles, tandis que la fureur des autres s'accrut considérablement. Certains le regardaient même avec une pure incrédulité.
« Il a avoué son crime, maître Takarô. » parla Naoji Gojo d'une voix monotone. « Et la loi stipule clairement qu'il doit être exécuté, qu'importe ses raisons. Si nous faisions une exception, le Haut Commandement ne le tolérerait pas. »
Le chef des Gojo resta silencieux quelques instants, en dépit des revendications multiples de même nature, son expression indéchiffrable avant qu'il ne rompe finalement le silence avec autorité.
« Il a néanmoins souligné un point important : ces hommes ont bien entaché la réputation du clan en s'attaquant de la sorte à l'héritière Iori qui n'est encore qu'une enfant. Les actions d'Arashi, bien qu'inexcusables, ont heureusement permis à ce que notre alliance avec le clan Iori soit maintenue, malgré tout. Je pense donc qu'il ne serait pas irrationnel et déraisonnable de prendre en compte les circonstances atténuantes. »
« Vous... Vous n'êtes pas sérieux, maître Takarô ? »
D'autres commencèrent à protester avec véhémence.
« Je n'exécuterai pas Arashi ! » déclara fermement Takarô, suscitant des halètements encore plus choqués.
« Je suis d'accord sur le fait que ce garçon n'est encore qu'un enfant et que ses actions ne visaient qu'à protéger cette jeune fille, » commença Kojiro Gojo, « mais vous ne pouvez pas ignorer son crime. Le meurtre d'un parent relève de la pire des trahisons. »
« Je ne compte en aucun cas le gracier. Mais vous tous semblez oublier un peu vite qu'Arashi possède les Yeux de Samsâra dont la puissance rivalise avec le Sixième Œil, maîtrise le sort d'inversion et est déjà l'un des, si ce n'est le plus grand combattant du clan, sans oublier les propriétés que possèdent son énergie occulte, et il n'a que sept ans. Si jamais il arrive malheur à Satoru, ce sera à lui de prendre ma succession. Les clans Kamo et Zenin nous craignent de nouveau, maintenant que le Sixième Œil est de retour, accompagné de son jumeau. Plus important encore, il est mon petit-fils. »
La voix du vieil exorciste était d'une froideur sans pareille alors qu'il prononçait ces derniers mots.
Beaucoup ont vu leur colère diminuer maintenant qu'ils réalisaient le véritable pouvoir de cet enfant, qu'ils croyaient maudit et impur. L'éliminer serait facile, mais le clan perdrait un atout presque aussi précieux que le Sixième Œil, et il n'y avait aucun moyen de savoir si les Yeux de Samsâra était un trait transmissible, ni de déterminer si la technique occulte d'Arashi était héréditaire. Pour autant qu'ils sachent, son sort, bien que ne s'étant pas encore manifesté, était inné et son don oculaire propre à lui-même. Son exécution serait nuisible aux Gojo, car en dépit de son crime, il était déjà un exorciste puissant.
L'avidité et l'arrogance étaient la faiblesse des personnes haut placées de ce monde. Arashi le pensait.
« Dans ce cas, que proposez-vous, maître Takarô ? »
« Arashi Gojo... »
L'accusé fit face à son aïeul, les traits de son visage semblant avoir été taillés dans la roche.
« Pour tes crimes à l'encontre de notre clan, je te retire ton titre d'héritier et te condamne à passer cinq jours dans la Fosse. Ton droit de succession sur chacun de mes biens et ceux de ma fille défunte, Fuyumi Gojo, t'est également retiré. Et à partir d'aujourd'hui, et pour les vingt-cinq années suivantes, tu serviras comme garde du corps pour l'Honoré. À ta majorité, tu seras de plus exilé de nos terres pour dix années complètes. »
De son point de vue, hormis la dépossession de tout ce que sa mère lui avait laissé, la sentence n'était rien. Les aînés n'auraient jamais permis qu'il prenne la place de Satoru. Lui servir de garde du corps revenait au même que de le protéger et le soutenir en tant que frère. Et il se moquait bien d'être banni des terres du clan. Quant aux 120 heures qu'il allait passer dans la Fosse... Et bien, disons que les fléaux qui s'y trouvaient auraient bien trop peur de lui pour ne serait-ce que l'approcher.
Néanmoins, la majorité du conseil sembla satisfaite de son sort. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'un groupe de quatre gardes ne l'entourent.
Satoru ne pouvait ni bouger ni penser clairement alors qu'il voyait son jumeau être conduit par plusieurs gardes dans les souterrains du complexe, sachant parfaitement en quoi consistait le lieu vers lequel ils se dirigeaient.
Il voulait se ruer sur ses hommes et les écraser comme les insectes qu'ils étaient pour lui, mais un seul regard de son frère, associé à un sourire rassurant, l'en dissuada.
Chacun des Gojo assistant à la scène se moquait avec mépris de l'ancien héritier. Le regard de Takarô ne reflétait rien. L'impassibilité absolue.
Satoru savait que son grand-père avait encore moins d'amour pour Arashi qu'il n'en avait pour lui, mais, si le vieil homme se souciait tout de même d'eux comme son frère le lui avait confirmé, pourquoi ne réagissait-il pas à la vue de son propre sang rabaissé publiquement par le clan ? Pourquoi ne le défendait-il pas ?
Le porteur du Sixième Œil, le regard rayonnant de puissance, s'avança vers l'homme qui, malgré la menace présente dans ses yeux, le regarda calmement.
« Je veux savoir ce qui s'est passé. »
« L'un des hommes que ton frère a battu est mort des suites de ses blessures, et il a reconnu ce crime. J'ai arrangé la situation du mieux possible. »
Satoru n'était pas convaincu.
« Alors pourquoi le mettre dans la Fosse ? Comme si la vie de ce minable valait plus que la sienne... »
« Sur ce point, nous sommes d'accord. Cependant, les règles sont les règles, mon garçon. Estime-toi heureux que ton frère n'ait pas été exécuté pour ses méfaits. »
La force occulte titanesque de Satoru s'agita dangereusement, incitant Takarô à renforcer sa vigilance.
« Ton amour pour lui t'aveugle. Le clan doit primer... »
« J'en ai rien à faire du clan. »
Les yeux de Takarô s'écarquillèrent légèrement à ces mots dangereux. Ils avaient peut-être été prononcés à peine plus haut qu'un murmure, mais la fermeté et l'aspect dangereux dans les yeux du garçon lui firent bien comprendre qu'il les pensait sincèrement. Certes, Satoru avait toujours été le plus enfantin et désobéissant des jumeaux, mais il n'était pas hostile à leur famille comme l'était Arashi. Il se considérait simplement comme supérieur à tous, une croyance implantée dans son esprit par le traitement qu'il recevait de la part du clan depuis qu'il parlait.
« C'est mon frère, la seule vie sur cette planète qui compte, et... »
« Surveille ta langue, petit ignare. » l'interrompit froidement Takarô. « Ces yeux te permettent peut-être de tout voir, mais en ce qui concerne la manière dont fonctionne notre société, tu n'es pas plus évolué qu'un bambin qui apprend à marcher, conséquence d'ignorer tes cours théoriques. Ce n'est pas le cas d'Arashi qui, pour des raisons qui m'échappent, semble en connaître presque autant que les aînés. Ton frère savait ce qu'il risquait en commettant cet acte, et il sera puni en conséquence, quoi que tu puisses en penser. »
Satoru regarda l'homme avec une colère bouillonnante, l'espace même s'agitant sous la puissance de son énergie occulte.
« Tu ne l'as jamais aimé ! » accusa-t-il, en le pointant du doigt. « Avoue que tu attendais ça ! Le jour où tu pourrais enfin t'en débarrasser ! »
Takarô demeura insensible à la colère de l'Honoré.
« Oui, je ne vous porte pas dans mon cœur ton frère et toi, mais vous êtes mes petits-fils, et je n'ai aucune intention de voir mourir l'un d'entre vous comme un chien ou du bétail. J'ai réussi à convaincre le conseil de lui épargner la vie en lui retirant son titre d'héritier et son droit de revendication. »
Satoru haleta de choc à cela.
« Ce séjour dans la Fosse a servi à rendre sa punition plus satisfaisante pour les aînés et ceux qui le détestent réellement. De plus, ce sera pour lui l'occasion d'apprendre à mieux comprendre ses pouvoirs ». Il le regarda sérieusement. « C'est ce que tu veux, n'est-ce pas ? Qu'il soit ton égal lorsque tu te tiendras au sommet de notre monde ? Que le clan et la société occulte entière reconnaissent son existence ? »
L'enfant baissa la tête, serrant les poings, son amertume envers son grand-père diminuant maintenant qu'il savait que la confirmation de son frère était bien la réalité.
« Oui, mais... Et si les vieilles momies et ces imbéciles ne changent jamais d'avis ? » interrogea-t-il, hésitant.
Takarô se moqua.
« Quand tu les entends de traiter de gamin pourri gâté et immature dans ton dos, ça ne te contrarie pas ? »
Satoru regarda son grand-père avec confusion.
« Ça devrait ? »
« Les forts ne se soucient pas de ce que les faibles pensent d'eux. N'oublie pas ça, mon garçon. »
Satoru regarda l'homme avec un mélange de perplexité et d'admiration alors qu'il s'éloignait.
« Je sais ce que vous pensez de notre monde, tous les deux. » dit-il en se tournant vers lui. « Je reconnais que notre société est devenue faible et décadente. Et Arashi et toi n'avez en aucun cas tort. Le Haut Commandement n'est plus composé que d'incompétents égoïstes et avides qui n'aspirent qu'à contrôler le monde de l'exorcisme, pas à l'améliorer. A l'avenir, toi et ton frère ne serez en rien différents des maîtres des fléaux à leurs yeux : une menace à leur hégémonie. Mais si vous refusez cette société, alors l'un comme l'autre, vous devrez trouver le moyen de la changer. Je ne sais pas encore quelles méthodes tu emploieras de ton côté, mais quoi qu'il en soit, tu devras être non seulement fort mais aussi intelligent pour parvenir à déconstruire le système actuel. Et je doute qu'Arashi supporte indéfiniment de faire le ménage derrière toi, alors... »
Il se rapprocha de son petit-fils pour le regarder directement dans les yeux.
« Cesse donc de négliger ta formation et deviens l'homme que tu es destiné à être. Autrement, tu seras toujours loin derrière ton frère. »
Sur ces derniers mots, le chef des Gojo se retira.
Arashi grogna d'agacement en se relevant après sa chute, sa peau parsemée de contusions.
Ces vauriens venaient de le jeter dans les escaliers menant à la Fosse, très possiblement une tentative de meurtre déguisée en accident.
Il les fixa de ses yeux brillants dans la pénombre, les faisant déglutir bruyamment et les poussant à s'enfuir précipitamment. Les grandes et lourdes portes se fermèrent derrière eux.
« Pathétique. »
Il se hâta de filtrer ses voies respiratoires alors qu'une multitude d'odeurs fétides, la chair putride et la moisissure étant les seules qu'il pouvait identifier, emplissait ses narines et ses poumons. L'air était humide et lourd, imprégné de la mort et de la souillure humaine.
Malgré l'absence désormais presque totale de lumière, il voyait aussi clairement que s'il se serait trouvé à la surface en pleine matinée d'été. Des centaines de fléaux, de taille diverse, leurs formes plus grossières et laides les unes que les autres sans aucun mot pour les décrire, le regardaient, tapies dans les ombres les plus profondes. Leurs voix désincarnées résonnant dans la Fosse. La plupart se contentait d'émettre des grognements et des cris dérangeants, mais il enregistrait tout de même quelques paroles à peine compréhensibles. En dépit de leur écrasante supériorité, aucun n'osa faire ne serait-ce qu'un pas vers lui.
Comme il l'avait prévu, aucun des monstres ici présents ne représentait une menace pour lui. Cependant, il devait faire attention à ne pas laisser s'échapper d'énergie occulte. Autrement, leur puissance augmenterait, et cela pourrait éventuellement devenir problématique. De plus, il y avait aussi le fait qu'une fois habitués à sa présence, certains tenteraient leur chance, poussés par leur instinct et leur faim insatiable.
Mais il s'en préoccuperait plus tard. Cet isolement était l'occasion d'explorer les possibilités auxquelles son éveil à la suite de ce Rayon Noir lui avait donné accès. Son don oculaire, son énergie occulte, son sort inné, tout ce qui constituait son nouveau pouvoir... Il devait en comprendre jusqu'à l'essence.
Une chose qu'il avait remarquée ces deux derniers jours, c'est que les fluctuations de lumière qu'il voyait émaner des êtres vivants lui permettaient de prévoir le moindre de leurs mouvements. Chacune de leurs actions, il la voyait avant qu'ils ne l'exécutent. Et même les fléaux n'échappaient pas à cette faculté.
Un sourire se dessina sur ses lèvres alors que la pensée suivante surgissait dans son esprit : « Quand j'aurais retrouvé mon ancienne condition physique, même la vitesse cessera de signifier quelque chose face à moi. La perception de Samsâra va me permettre de calibrer mes mouvements de façon à toujours être en avance sur mon adversaire, un peu comme si je voyais l'avenir. Même le Rinnegan n'avait pas ce pouvoir ».
Sa prochaine analyse se porta sur les fameuses propriétés de son énergie.
Il la concentra dans son poing, puis frappa le sol, en libérant une partie à l'impact dans une imitation du style de combat d'Hashirama et de sa petite-fille. L'effet fut instantané et satisfaisant. L'onde de choc s'étendit et résonna dans la Fosse, tandis que le sol était pulvérisé sous la puissance pure de l'attaque et son application.
Il ne manqua pas la peur croissante dans les yeux de la multitude de monstres cachés dans les ombres.
Souriant avec fierté, il canalisa ensuite sa force occulte dans son avant-bras, avec l'intention claire de reproduire cette structure métallique qui lui rappelait les récepteurs de chakra que le Rinnegan lui permettait de créer. À sa grande satisfaction, plusieurs pointes émergèrent sans réelle douleur de sa peau après quelques secondes ; ses yeux lui permirent d'en déduire qu'elles n'étaient que purement et simplement constituées de son énergie. D'après ce qu'il avait compris, sa force occulte était beaucoup plus dense que celle d'un sorcier ordinaire, et possédait des propriétés proches de celles d'une sorte de métal ; la constitution de ces pieux semblait le confirmer, mais leur petite taille et le temps nécessaire à leur formation l'amenèrent à réfléchir sur la question suivante.
« Mon contrôle de la force occulte a besoin d'être raffiné. L'euphorie et la facilité déclenchée par le Rayon Noir n'étaient que temporaires. Il doit agir comme une sorte de stimulant pour son utilisateur... Je ne pense pas qu'il renforce la puissance de l'énergie de celui qui le déclenche ni ne repoussent les limites qui lui ont été fixées à la naissance. Il doit simplement permettre de les dépasser pendant une courte période, mais la compréhension de l'énergie occulte, elle, demeure au moins dans une certaine mesure, comme une espèce de mémoire musculaire... Tant mieux, ça me facilitera la tâche. »
L'énergie occulte était très volatile et instable par rapport au chakra, semblable à l'électricité. Et contrairement au chakra, elle ne circulait pas dans le corps de manière régulée et ordonnée par le biais d'un réseau de canalisations existant parallèlement au système sanguin, se contentant plutôt d'affluer dans l'ensemble du corps en partant de l'estomac. Pour lui, c'était un phénomène nouveau et anormal, avec lequel il devait vite se familiariser.
« Je dois apprendre à manipuler correctement une quantité d'énergie bien plus massive que ce à quoi je suis habitué et à tirer profit des propriétés de ma force occulte. Si j'y parvenais, alors je pourrais rendre ma peau presque impénétrable et matérialiser ces pieux sur n'importe quelle partie de mon corps à volonté en moins d'une seconde... Ce serait parfait comme parade, et ils me serviront aussi d'armes de mêlées ! »
L'excitation et la fascination l'envahirent alors qu'il imaginait et réfléchissait aux possibilités d'applications de ses nouveaux pouvoirs. Sa connaissance profonde et avancée du Ninjutsu se heurtait actuellement à la compréhension instinctive qu'il avait désormais de l'occultisme. Ce serait difficile de trouver l'équilibre entre son expérience de shinobi centenaire et sa condition d'exorciste novice, mais il y parviendrait au cours des trois jours qui suivraient. Et il éveillerait et comprendrait son sort inné d'ici la fin de son isolement.
Il était Madara Uchiwa. Le shinobi le plus fort de l'Histoire, qui avait trompé la mort à deux reprises avant de lui échapper, et obligé le monde entier à s'unir pour lui résister et finalement perdre, malgré tout.
Aucun obstacle sur son chemin ne pouvait l'empêcher d'avancer.
Alimenté par la croissance de sa force et son excitation, Arashi décida d'explorer les profondeurs de son être, car il avait enfin compris que le lieu métaphysique dans lequel sa vie passée lui était revenue n'avait été ni une hallucination ni la représentation de son esprit. Ce lieu, ce royaume... n'était autre que son espace vital. La forme même de son être spirituel, de son âme et de son esprit, servant de fondement à son sort inné.
Il s'assit donc, ferma les yeux et se concentra sur son moi intérieur, fouillant les moindres recoins de sa conscience, à la recherche de son espace vital.
L'étendue sans fin de sable blanc qui à l'horizon épousait le ciel et ses joyaux célestes l'accueillit avec la douceur et la tendresse d'une mère.
Une nouvelle fois, la beauté infinie de son royaume le subjugua. Il avait la certitude de pouvoir passer l'éternité à contempler cet océan d'étoiles, sans jamais s'en lasser.
L'arbre de lumière l'attendait, se dressant toujours au centre de l'étendue, reliant la terre et le ciel, et paraissant parcouru de pulsations, tel un cœur alimentant l'existence même. C'était un véritable symbole de vie et de connexion.
Lentement, prudemment, il s'avança, jusqu'à se retrouver au pied de l'arbre. Sa lumière était aussi forte et éblouissante que le soleil, mais il ne ressentait aucune chaleur brûlante, et ses yeux pouvaient l'admirer sans crainte ni douleur. Il posa sa main sur la surface de cristal, savourant avec un plaisir immense la douce chaleur froide qui en émanait.
Inconsciemment, des mots d'éloge lui échappèrent dans un murmure alors qu'il sentait ce pouvoir qui lui avait été refusé depuis sa naissance affluer en lui. La lumière sembla se détendre durant quelques instants avant de se mettre à pulser plus intensément, comme si elle reflétait son état. C'était une sensation étrange, un mélange de chaleur et de froid, mais étonnamment stimulant et extatique, similaire à ce qu'il avait ressenti après avoir déclenché le Rayon Noir, mais à un niveau bien plus profond et élevé. Un sourire subtil naquit sur son visage en réponse.
Une nouvelle impression lui vint, qui n'était pas sans rappeler l'euphorie pure qu'il avait ressenti en devenant le Jinchûriki de Jûbi, en se hissant au niveau d'un être divin.
Il pouvait la sentir désormais... L'essence même de l'énergie occulte. Et il était impatient d'en sonder les secrets et les possibilités.
Alors qu'Arashi revenait de l'exploration de son espace vital – sans être conscient que ce qu'il venait d'accomplir constituait un exploit que seul un exorciste à travers toute l'Histoire était parvenu à réaliser jusqu'à aujourd'hui –, ses yeux écarlates se mirent à briller d'une lueur plus intense.
Les quelques fléaux ayant eu le courage de faire quelques pas dans sa direction se hâtèrent de regagner la sécurité des ombres.
Il sentait le pouvoir en lui, une manifestation de la puissance incommensurable héritée de la réincarnation de son âme et du sang béni coulant dans ses veines. Son esprit s'ouvrit aux complexités et aux subtilités de la force occulte, lui permettant d'abord de comprendre comment il s'était servi du sort d'inversion deux jours plus tôt.
« Ce n'est rien de plus que ça... La force occulte, étant négative, ne peut pas guérir le corps, simplement le renforcer. Il suffit donc de fusionner deux sources d'énergie négative entre elles pour créer de l'énergie positive, qui est ensuite utilisée pour la régénération. ».
Il retint un rire, n'en revenant pas qu'un processus aussi simple à expliquer puisse être si complexe et difficile à réaliser, puis ramassa un fragment de sol semblant suffisamment tranchant.
« Voyons voir si je peux me servir de mon sort... »
Il se poignarda à la main avec le morceau rocheux, et à sa plus grande satisfaction, ne ressentit pas la moindre douleur. Il ne ressentit rien. Il ne rencontrait aucune résistance alors qu'il enfonçait plus profondément dans sa chair son poignard de fortune. Pas une seule goutte de sang ne coula.
« Très intéressant... » murmura-t-il avec fascination alors qu'il lâchait l'outil grossier, admirant sa main intacte.
C'est alors que, dans l'atmosphère sombre, vicieuse et funeste de ce lieu, le rire d'Arashi, rappelant la frénésie guerrière de son moi antérieur, résonna.
Les fléaux s'agitèrent brusquement, et s'efforcèrent de s'éloigner davantage du garçon, ne remarquant pas dans leur terreur que les parois de la Fosse les en empêchaient.
