Sept ans. Sept années.
C'était le temps qui avait passé depuis le jugement d'Arashi Gojo, que le monde occulte entier connaissait aujourd'hui comme l'Enfant prodige ou l'Ombre du Plus Fort, autrefois des titres sarcastiques et moqueurs attribués par son clan après que son jumeau ait vanté son talent auprès de tous. De nos jours, plus personne n'osait se moquer ouvertement du plus grand exorciste de la lignée de Sugawara, surtout après qu'il ait consolidé son titre de sorcier le plus fort de sa génération au cours du tournoi entre les Grandes Familles en remportant chaque duel sans avoir été blessé une seule fois tout en s'abstenant d'utiliser son sort inné, surpassant même l'Honoré, au grand mécontentement de l'homme l'ayant engendré et des aînés Gojo.
Ces années étaient loin d'avoir été faciles pour le second fils de Fuyumi. Chaque heure, chaque minute de chaque journée avait été une torture infligée à lui-même dans l'intention de développer son pouvoir, en dehors de celles qu'il réservait à son sommeil réparateur lorsqu'il n'utilisait pas son sort d'inversion pour rendre son corps insensible à la fatigue. Des semaines... Des mois entiers passés dans la bibliothèque des Gojo à étudier et apprendre tout que Takarô pouvait lui enseigner, ce dernier étant d'ailleurs le plus grand érudit du monde occulte après Tengen. Des années sur les terrains d'entraînements... Des jours dans la Fosse à parfaire ses techniques, son contrôle de l'énergie occulte, à tester les limites de ses yeux et de son éveil.
Le chef des Gojo avait affirmé plusieurs fois n'avoir jamais vu un membre de son clan se consacrer à sa formation avec autant de passion en 76 ans de vie.
En l'espace de quatre années à peine, celui qui était jadis un enfant essentiellement inculte et en aucun cas comparable au porteur du Sixième Œil s'était transformé en un monstre de pure puissance, capable d'écraser sans difficulté n'importe quel combattant de son clan, y compris son chef, et de traquer seul les assassins envoyés spécialement pour le tuer, qu'importe leur nombre.
Le reste de ce temps avait été consacré au perfectionnement de sa manipulation de l'énergie occulte, à la maîtrise de son sort inné, quelque chose d'assez complexe et difficile puisque, contrairement à Satoru, il n'avait pas eu la chance de disposer d'informations sur son fonctionnement, ainsi qu'à l'étude des techniques de barrières et des talismans ; un art très ancien et puissant qui était la clé de la survie durant l'Âge d'Or de l'exorcisme un millénaire plus tôt, mais devenu obsolète à l'époque moderne grâce à la présence des Sanctuaires de Tengen à travers le Japon, qui concentrait d'ailleurs pour des raisons méconnues la majorité de l'énergie occulte de la planète sur son territoire.
Arashi et Takarô avaient néanmoins pensé que l'apprendre pourrait s'avérer utile, encore plus avec l'augmentation de la puissance globale des fléaux au cours des dernières années, théorisée comme étant justement due à son existence et celle de Satoru. Quelque chose comme eux étant si puissants qu'ils bouleversaient l'équilibre du monde, une idée de ce genre...
Ayant été dépouillé de son titre d'héritier, il fut forcé d'intégrer les Six Lunes inférieures, la seconde branche des Douze Lunes qui constituait l'unité d'élite du clan Gojo et de l'Alliance Aïnu, une association de petits clans basés à Hokkaidō que la lignée de Sugawara était chargée de représenter devant le Haut Commandement et l'Empereur. Ce groupe, comme le Hei et l'unité Kukuru du clan Zenin, était chargé d'accomplir le quota de missions mensuelles qu'exigeait le Haut Commandement de la part des Grandes Familles, car même si la plupart de leurs membres ne travaillaient pas, elles se devaient tout de même de démontrer leur utilité à la société occulte pour conserver leurs avantages et rappeler de temps à autre leur puissance afin de ne pas perdre leur place, car posséder des terres et une grande richesse ne suffisait pas dans la guerre éternelle contre les fléaux. De plus, il s'agissait également d'une juste contribution de la part des "Nordiens" – comme les Gojo et les familles faisant partie de l'Alliance Aïnu étaient désignés – envers la société occulte et la maison impériale en échange de la reconnaissance de leur indépendance et de leur souveraineté sur leur territoire, même si aucune n'appréciait cela.
Pour un clan, perdre son statut était une situation totalement improbable – les clans Gojo, Kamo et Zenin constituaient les Trois Grandes Familles depuis des siècles – mais pas impossible. La lignée de Sugawara, faiblissante depuis la disparition du Sixième Œil en 1601 et en proie à la consanguinité afin de conserver sa pureté, pour éviter qu'un sang étranger ne corrompe sa descendance, était en déclin, avec notamment la perte progressive de son pouvoir, de son influence et de ses alliés, jusqu'à l'arrivée de Takarô Gojo en 1947. C'était pour cela que l'homme était célèbre dans le monde de l'exorcisme... Né avec le sort héréditaire de leur lignée : l'Infini, mais hélas sans leur don oculaire pour l'exercer à son plein potentiel ; cela ne l'avait cependant pas empêché de rapidement prendre le commandement des Douze Lunes, puis la tête du clan à l'âge de 18 ans seulement et ensuite redonné la plus grande partie de son pouvoir perdu aux Gojo en moins d'une décennie. Son mariage avec Midori, une étrangère au clan, n'avait pas été très bien vu, mais personne n'avait osé contester ouvertement le Dragon Blanc, encore plus après que sa fille Fuyumi soit devenue la deuxième exorciste la plus forte de son temps, puis enfin la mère du nouveau porteur du Sixième Œil.
Comme son grand-père, Arashi était partie du bas de la hiérarchie du clan après son jugement, mais gravir les échelons n'eut rien de particulièrement difficile pour lui alors que ses pouvoirs se développaient, étant devenu la première des Lunes inférieures moins d'un an après les avoir intégrées.
En tant qu'ancien guerrier d'élite du clan Uchiwa, il commandait des hommes depuis l'âge de sept ans ; faire de même avec deux années de plus n'eut rien de compliqué pour lui, à la surprise de tous, et plus particulièrement des aînés ainsi que du Haut Commandement. Après tout, dans ce monde bien plus pacifiste que celui dans lequel il était originellement né, les enfants n'étaient pas envoyés au front ni considérer comme des adultes dès leur sixième anniversaire, quel que soit le pouvoir qu'ils détenaient.
Appartenir à cette unité ne l'avait pas dérangé plus que cela. Cela avait été une occasion parfaite d'honorer sa promesse envers son grand-père, tout en gagnant en puissance et en expérience sans avoir à rester en permanence entre les murs étouffants du complexe des Gojo. Le seul inconvénient avait été le manque de temps libre, empêchant ainsi les jumeaux de se voir plus de quelques minutes en dehors de leur anniversaire, ce que Satoru avait eu le plus grand mal à supporter à l'inverse d'Arashi qui y était moins étranger.
En tant que première des Six Lunes inférieures, il était le plus fort d'entre eux et celui qui supervisait leurs missions et leurs entraînements, même si chacun avait six à douze ans de plus que lui au moment de son intégration, sur le plan biologique. Celles-ci incluaient l'exorcisation de fléaux de Classe Un ou plus ainsi que le démantèlement d'organisations de maîtres des fléaux, mais également la récupération d'objets maudits ou de reliques, en particulier quand une secte de civils comme de sorciers corrompus, endoctrinés ou simplement fous en vénérait une.
Désormais âgé de quinze ans – il en aurait seize au mois de décembre –, vêtu d'un yukata blanc par-dessus une tenue moulante noire accompagné d'un pantalon ample et d'une paire de sandales à lanières, ses chevilles enroulées dans des bandages, Arashi s'avança dans le sombre couloir éclairé par quelques lanternes qui menait à la pièce la plus redoutée par les exorcistes qui y étaient convoqués.
La dernière mission de son escouade avait été un désastre, en dépit de son succès. La toute dernière qu'il aurait menée avec ses camarades avant de les quitter pour intégrer l'École d'exorcisme aux côtés de Satoru, ses dix années d'exil débutant officiellement à partir du 1er avril. Initialement, il aurait été contrait de quitter le clan en décembre, à son seizième anniversaire, mais son jumeau avait insisté pour aller poursuivre sa formation à l'école... Et où que l'un des jumeaux irait, l'autre le suivrait ; un fait déplaisant pour les anciens mais qu'ils n'avaient d'autre choix que d'accepter.
Lâchant son katana brisé, Arashi poussa la lourde porte métallique d'une main encore couverte de sang et entra, son autre main serrant toujours le doigt griffu à la chair momifiée dont émanait l'énergie occulte la plus sinistre qu'il ait jamais ressentie. De ses lèvres s'échappèrent dans un murmure rauque le nom de ses camarades tombés au combat.
« Tomoe... Hiroto... Fubuki... Ryûji... »
La vue de leurs cadavres atrocement mutilés le hantait encore. Contrairement à son clan, aucun n'avait été particulièrement hostile envers lui à son arrivée, simplement méfiant, et au fil des années, alors que les Lunes inférieures menaient mission après mission, il avait fini par gagner leur respect et leur confiance, et parfois même leur amitié... Ils avaient formé leur propre famille en quelque sorte, installés dans une routine et une résidence assignée. Chacun avait son rôle, et apportait quelque chose à leur petit groupe ; Tomoe étant plus ou moins considérée comme la cheffe de famille, étant la plus âgée, la plus mature, la plus responsable et saine d'esprit ; Arashi comme le second pilier principal les soutenant, pour être le meilleur cuisinier des six et le plus soucieux de leur entraînement ; Hiroto, une figure fraternelle pour tous, grâce à sa nature attentionnée, son enthousiasme et sa détermination inébranlable qui motivait chacun à dépasser ses limites ; Fubuki, studieuse, sévère et organisée mais sympathique, veillant au maintien de l'ordre et à la santé mentale de tous ; Ryûji, souriant, jovial et espiègle, une véritable lumière sur le chemin sombre qu'ils suivaient.
Tous étaient désormais morts, réduits en charpie à cause de la folie de quelques uns... Quant à Shuya, la dernière des Six Lunes inférieures, seul survivant de l'unité en dehors d'Arashi, sa carrière d'exorciste était terminée, en raison des blessures irréversibles subies lors de leur dernier combat. Contrairement à Arashi cependant, il n'avait pas pu supporter la mort de leurs camarades ni la vue de leurs cadavres...
Il l'avait retrouvé suspendu par le cou à une branche du plus grand cerisier du jardin plus tôt ce matin-là, le visage bleuâtre et les yeux exorbités, sa silhouette se balançant doucement au rythme du vent.
Ce n'était pas la première fois qu'il perdait des amis et des compagnons d'armes. Néanmoins, il n'avait pas souvenir d'en voir autant mourir devant lui, et certainement pas avec une telle impuissance.
La pièce était sombre, et l'atmosphère pesante, mais il ne ressentait que de l'ennui mêlé à son chagrin, malgré tout.
Soudain, les six portes traditionnelles l'entourant s'illuminèrent. Derrière elles se trouvaient les dirigeants du monde de l'exorcisme. Ceux qui décidaient qui avait le droit de vivre ou non dans cette société. Chacune était imprégnée de sceaux puissants pour masquer l'identité des supérieurs, mais il les voyait tout de même, les Yeux de Samsâra les transperçaient à travers la couche protectrice de talismans, et ils pouvaient le sentir.
« "Rapport du 29 mars 2005". » commença une première voix.
« "Forêt primitive de Kasugayama, dans la préfecture de Nara". » poursuivit une autre.
« "En raison de la détention d'une relique de Classe Spéciale par une branche de la secte d'Aum Shinrikyô, les Six Lunes inférieures du clan Gojo ont été dépêchées sur place en urgence afin d'empêcher un rituel d'incarnation et de récupérer la relique". »
« "Un spectre de Classe Spéciale non identifié est cependant apparu, contrariant l'objectif initial de la mission". »
La voix semblait presque moqueuse envers lui.
« "J'ai alors pris la décision d'engager le combat pour éviter que ce fléau ne prenne la fuite et ne cause des pertes humaines parmi la population civile". »
« "Quatre des Six Lunes inférieures ont tragiquement perdu la vie durant la bataille". »
« "L'exorcisation du spectre de Classe Spéciale et la récupération de la relique, l'un des vingt doigts de Ryomen Sukuna, furent néanmoins une réussite. Arashi Gojo, première des Six Lunes inférieures." »
C'était un jeu d'esprit destiné à susciter la peur. Une mise en scène pour le faire paraître faible et vulnérable : debout, seul et désarmé, face à ces voix froides et dures appartenant à des figures d'autorité et de pouvoir dissimulées et assises confortablement derrière leurs barrières de protection qui donnaient l'impression d'être observé en permanence de toute part sous ces lumières vives.
Malheureusement pour eux, Arashi connaissait ce jeu, et le trouvait particulièrement sordide.
Quiconque n'osait pas faire face à son interlocuteur en face, devait s'adresser à lui derrière une barrière le dissimulant et mettre en place cette mascarade n'était, pour lui, rien d'autre qu'un lâche et un faible.
Il ne ressentait aucune peur, aucune intimidation, juste du mépris et de l'ennui, bien que son visage restait inexpressif, même si le sang le tâchant et ses yeux écarlates lui donnaient un air plutôt effrayant.
Et ils en avaient parfaitement conscience. Peut-être était-ce pour cela qu'au moins deux d'entre eux semblaient si hostiles.
« Ce rapport prétend que les Six Lunes inférieures ont exorcisé ce fléau de Classe Spéciale, mais n'explique pas pourquoi tu es le seul survivant de la soi-disant unité d'élite du clan Gojo, mon garçon. »
Il retint un grognement face au ton méprisant.
« Le spectre pouvait se servir de l'Extension du Territoire, et possédait une force occulte immense. »
« Prétendument. »
« Il ne ment pas. » affirma une autre voix, presque sympathique, dans laquelle il capta un certain intérêt. « Et ses exploits parlent pour lui ; premier fléau exorcisé à l'âge de six ans, déclenchement du Rayon Noir et apprentissage du sort d'inversion un an plus tard après avoir éliminé deux maîtres des fléaux de Semi-Classe Un et un de Classe Un, puis être devenu la première des Six Lunes inférieures à l'âge de neuf ans... D'autre part, quelle raison un homme de son acabit aurait d'inventer de tels mensonges ? »
Le choix de mot servant à le désigner ne lui échappa pas.
« Complice de la mort d'une trentaine de personnes. » protesta un autre avec venin.
Il roula des yeux.
« La mission consistait à récupérer la relique des mains de cette secte. Vous n'avez jamais précisé que nous devions pensez aux conséquences, autre que de remplir notre objectif tout en veillant à ce que l'occultisme reste secret à la population civile. Quant aux adeptes, je ne suis pas responsable de celui qui est mort en tentant de ressusciter le Roi des fléaux et la plus grande partie des dommages collatéraux est due au Classe S. »
Il joua avec une de ses mèches de cheveux.
« Finissons-en avec cette réunion. Contrairement à vous, je n'ai pas de temps à perdre. »
La salle resta muette quelques instants avant que la plus hostile des voix ne parle.
« Si irrespectueux... Typique des Gojo.»
« Arashi Gojo, » reprit celle qui semblait approbatrice, « es-tu bien celui qui a porté le coup de grâce à ce fléau de Classe Spéciale ? »
« Oui. » dit-il avec un ennui à peine dissimulé.
« Dans ce cas, j'approuve le statut de Classe Spéciale. Des objections ? »
Il y en avait certainement, mais même dans leur arrogance, ils ne pouvaient réfuter les faits témoignant de son pouvoir. D'autant plus que cette mission était loin d'être la seule que l'unité avait mené à bien, avec lui la commandant.
Ils approuvèrent tous, bien que ce fut à contrecœur et parfois accompagné d'un grincement des dents.
« Exorciste de Classe Spéciale : Arashi Gojo, tu es par la présente mandaté de rejoindre l'une des deux écoles d'exorcisme du Japon. » annonça la plus âgée des voix avec autorité. « Se soustraire à ce sujet n'est pas... conseillé. »
Il poussa un bâillement à la menace sous-jacente, et sortit sans un mot, jetant négligemment le bout de chair maudite par-dessus son épaule sans prêter attention à leur indignation.
Le lendemain, après les funérailles de ses frères et sœurs d'armes, alors qu'il sortait de la salle de bain, il prit un instant pour se regarder dans le miroir, soupirant face à son incapacité à reconnaître la personne qu'il voyait dans son reflet même après tout ce temps. Sa longue chevelure blanche comme la neige contrastait fortement avec les cheveux noirs tels l'obsidienne et hérissés qui avaient été les siens dans sa vie précédente. Celle-ci était partiellement attachée en une queue de cheval, laissant le reste s'écouler dans son dos, avec deux longues mèches encadrant son visage et tombant au-delà de ses épaules.
Deux yeux entièrement rouges aux pupilles entourées par des cercles concentriques leur donnant l'aspect d'une ondulation sur l'eau, presque identiques à son Rinnegan. Le contraire des orbes ténébreuses et absolues qui convenaient à un Uchiwa de haute naissance, descendant directement d'Indra lui-même. Ses iris étaient aussi brillantes que celles de son jumeau. Sa mère disait vrai : ces yeux étaient aussi beaux que captivants, quand il ne brûlaient pas de haine ou de rage meurtrière.
Hormis tout cela ainsi que les plis proéminents qui s'étaient développés sous ses yeux en dépit de son jeune âge, il était indiscernable de Satoru. Et sa taille ne faisait pas exception. Il n'avait en aucun cas été un homme de petite taille dans sa vie antérieure, mais il était certain de ne jamais avoir mesuré plus de 180 centimètres à quinze ans seulement.
Il prit ensuite le soin de mettre ses vêtements.
Sa silhouette haute et élancée mais musclée était habillée de la formelle veste bleu sombre qui constituait l'une des pièces de l'uniforme scolaire, accompagnée d'un pantalon assorti assez ample et fluide – à la fois confortable et adapté au combat –, d'une ceinture traditionnelle blanche étroitement serrée autour de sa taille, le tout complété par une paire de sandales à lanières.
Il détestait avoir les pieds enfermés, mais la fraîcheur de l'aube du printemps ne l'avait pas dissuadé de porter un bas sombre moulant de façon à garder ses membres inférieurs au chaud tout en laissant ses orteils et ses talons exposés.
Être de Classe S avait certainement des avantages, parmi se trouvait la possibilité de personnaliser son uniforme sans avoir à faire de demande. Après tout, ces exorcistes occupaient une place à part dans la société occulte.
« Arashi ! »
La porte s'ouvrit avec force tandis que Satoru, lui aussi vêtu de son uniforme – plus... moderne, à en juger par son pantalon assez moulant et ses bottines coûteuses –, les lunettes opaques offertes par leur défunte gardienne perchées sur son nez, se précipitait dans la pièce en fredonnant. Il semblait bouillonner d'impatience.
Il s'interrompit pour observer son jumeau, puis la modeste valise et le sacoche posées sur son lit.
« Pour une fois que tu es dans les temps... » commenta-t-il avec un sourire espiègle.
Le cadet soupira, mais sourit doucement.
« Moi aussi, j'ai hâte de quitter cet endroit, Satoru, mais inutile de nous presser. Notre train est dans deux heures. »
« Oui, mais Kiyotaka père va mettre une bonne heure et demie à nous déposer à la gare ! Alors, on se bouge, allez ! »
« Pas avant d'avoir dit au revoir, malpoli. » protesta-t-il avec une certaine sévérité avant de tapoter le front de son jumeau, amenant une petite rougeur sur ses joues pâles. « Pars devant, je te rejoins après avoir déposé mes bagages à la voiture. »
Les deux frères se retrouvèrent plusieurs minutes plus tard devant la tombe sur laquelle était gravée une simple épitaphe.
Fuyumi Gojo
Exorciste, fille et mère
Leur mère avait toujours été une personne si modeste, sachant se satisfaire de peu, bien qu'elle pouvait tout posséder. Ils déposèrent chacun un lys blanc devant la pierre.
Quelques larmes coulèrent sur les joues de Satoru, tandis que l'œil gauche d'Arashi en laissa s'échapper une.
« Le moment est venu pour nous d'y aller... » commença-t-il doucement, sa main posée sur la surface froide et dure de la tombe. « Nous partons pour Tokyo. Au revoir, maman. »
« Merci de nous avoir aimés. Merci de nous avoir donné un peu de bonheur dans cet endroit merdique. »
Arashi nota l'absence du terme, mais n'en fit rien, et rit légèrement à l'opinion vulgaire de son frère sur leur demeure. Il la partageait absolument.
Il posa une main réconfortante sur l'épaule de son jumeau, puis les deux frères s'éloignèrent, chaque pas les rapprochant de la libération leur paraissant être un pas les éloignant toujours plus de la seule lumière qu'ils aient connue entre ces murs. Une partie d'eux aspirait à rester auprès de cette lumière, ou plutôt de son souvenir à la fois apaisant et douloureux, mais ils n'étaient plus des enfants faibles et vulnérables.
Ils étaient désormais les Plus Forts. Les piliers inébranlables du monde de l'exorcisme.
« Veillez l'un sur l'autre. Et soyez heureux, mes fils adorés ».
Leur bonheur ne se trouvait pas ici.
Une fois les marches menant au complexe descendu, un poids invisible sembla disparaître des épaules de Satoru ; son visage s'illumina, puis il salua joyeusement Kiyotaka avant de s'engouffrer dans la voiture. Un bruit de déchirure se fit entendre, signe que Satoru venait de s'attaquer au premier paquet de friandises avec voracité.
Arashi se figea alors qu'il s'apprêtait à monter, et se tourna vers le haut des marches. Là-haut, Takarô le fixait, le plus léger des sourires peints sur son visage de marbre, ses yeux glacés brillant d'une certaine fierté. Le cadet des jumeaux répondit par un simple signe de tête, et monta lorsque son aîné commença à s'impatienter.
Durant leur trajet jusqu'à la gare, les jumeaux rattrapèrent ces sept années de séparation presque totale, discutant de leurs progrès respectifs – Satoru avait apparemment perfectionné son Infini et l'un de ses sorts renforcés, et maîtrisé plusieurs autres techniques occultes –, de leurs nouveaux et anciens centres d'intérêts, se plaignant de leurs réunions occasionnelles mais néanmoins assez fréquentes avec les vieux gâteux, parlant de tout et de rien...
Une fois arrivés, ils dirent rapidement au revoir à Kiyotaka, non sans oublier de le remercier pour ces années, pour avoir été ce qu'ils aient eu de plus proche d'un ami parmi les adultes, puis se hâtèrent de monter dans le train, avec Satoru sautant par la porte encore ouverte alors que la locomotive commençait à avancer.
Le trajet jusqu'à Tokyo se fit dans le plus grand des calmes puisque Satoru, ses lunettes opaques toujours perchées sur le nez, ne tarda pas à s'endormir appuyé sur l'épaule de son frère, bercé par les vibrations du wagon et la douceur de son siège. Arashi laissa un doux sourire se dessiner sur son visage à cette vue, puis retourna à l'observation de ses croquis, tous dessinés et peints dans le carnet à la couverture de cuir un peu usée qui lui avait été offert par Akiko sept ans plus tôt.
Les paysages urbains défilaient à l'extérieur, jusqu'à laisser place à une vue presque sauvage, avec de hautes montagnes verdoyantes. Des endroits qui semblaient ne jamais avoir souffert de l'activité humaine.
Les jumeaux descendirent sur le quai de la petite gare avec leurs bagages. Là une voiture les attendait. Celle-ci les conduisit ensuite rapidement au pied du Mont Mushiro. Satoru gémit dramatiquement à la vue du long escalier de pierre s'enfonçant dans la forêt qui allait les amener aux portes de l'école, mais face au refus catégorique d'Arashi de l'aider avec ses affaires, il n'eut d'autre choix que d'accepter son sort, et de porter lui-même ses valises.
Après plus de trente minutes de marche, ils passèrent enfin les portes torri et purent poser les yeux sur le lieu qui deviendrait leur foyer pour les quatre années à venir. L'établissement ressemblait à un grand temple, et avait probablement eu une fonction semblable à un moment de son histoire, à en juger par la présence d'une pagode à trois niveaux et d'au moins deux sanctuaires ; l'enceinte de l'école était vaste, et abritait une multitude de bâtiments à l'architecture traditionnelle ainsi que deux terrains d'entraînements.
Un membre du personnel les accueillit et ils purent ensuite aller déposer leurs affaires dans le dortoir. Il leur fut ensuite demandé d'aller s'installer en salle de classe en attendant l'arrivée de leur professeur.
Satoru s'écroula immédiatement sur la première chaise, posant ses longues jambes minces sur son bureau, tandis qu'Arashi s'assit tranquillement à celui d'à côté pour reprendre la lecture de son nouveau roman, même si ce nouvel environnement qui était désormais le leur assaillait son esprit de questions.
Seraient-ils chez eux, ici ? Seraient-ils acceptés ? Auraient-ils des amis ?
Le monde occulte entier connaissait l'Honoré et son Ombre, chaque individu de ce monde savait quels étaient leurs noms et ce qu'ils signifiaient, mais Satoru et Arashi Gojo ne connaissaient personne. Leur clan avait tenu à les montrer comme leurs joyaux les plus précieux, encore plus au cours des dernières années alors que leur pouvoir grandissait, sans se soucier de l'impact que cela pourrait avoir sur eux.
Arashi ne s'en préoccupait pas plus que cela. Il n'avait pas besoin d'une multitude d'amis ; son frère lui suffisait amplement. Mais ce n'était pas la même chose pour Satoru qui, Arashi le savait, supportait mal la solitude. Ces sept années de séparation presque totale avec son jumeau n'avaient pas été faciles pour lui, car il n'avait eu personne... Le cadet se souvenait encore des nuits suivant le décès de leur mère et la manifestation de son sort inné où son aîné se serrait contre de lui dans son sommeil, appelant cette dernière et pleurant, suppliant pour ne plus être le Plus Fort.
Son jumeau ne désirait pas la puissance. Il désirait, et même plus, avait besoin de compagnie. De gens avec qui parler sans que ceux-ci ne le redoutent ou ne le voient comme l'Honoré.
Contrairement à Satoru, il avait choisi d'être le plus fort de tous, dans cette vie comme dans la précédente.
Pendant quelques temps, il avait craint que le clan et le Haut Commandement ne fassent pression sur Takarô pour l'empêcher d'accepter la demande de Satoru d'intégrer l'École d'exorcisme – le vieil homme était peut-être puissant, craint et respecté, mais le temps commençait à avoir raison de lui, ce dont beaucoup profitaient pour lutter un peu contre son pouvoir.
Quels soulagement et satisfaction cela avaient été de voir Masamichi Yaga, leur professeur, se battre contre les vieilles momies pour obtenir leur accord. Son respect pour l'homme s'en était trouvé démultiplié.
Son flot de pensées fut interrompu par l'arrivée d'une fille brune aux yeux marron clair, une cigarette allumée coincée entre les lèvres.
Satoru se redressa immédiatement, manquant de tomber de sa chaise au passage, mais leur camarade ne leur accorda pas une seconde d'attention, et alla s'installer au dernier siège de la rangée avant de sortir son téléphone de sa poche.
Arashi grogna silencieusement à l'odeur désagréable, mais retourna à son livre.
Quelques minutes après, ce fut au tour d'un garçon grand – presque autant que l'un des jumeaux – d'entrer dans la salle, ses cheveux noirs coiffés en un chignon élégant avec une mèche tombant sur son visage.
Immédiatement, l'attention des jumeaux se portèrent sur celui-ci, l'immensité de sa force occulte les alertant de la puissance de leur camarade. Arashi était certain que le jeune homme ne venait pas d'un clan d'exorcistes, mais il ne doutait pas de sa force ; ce dernier possédait de toute évidence un sort puissant, très probablement inné, et avait le potentiel d'atteindre la Classe S.
Par contre, son énergie occulte en elle-même semblait assez étrange. Très différente de celle d'un sorcier ordinaire, un peu comme celle d'Utahime, mais en beaucoup plus sombre, presque malsaine... Arashi savait que Satoru l'avait lui aussi remarqué. Cependant, les fluctuations de lumière que le cadet voyait émaner de leur camarade étaient tout à fait normales, rendant peu probable l'éventualité qu'il soit un maître des fléaux ou l'un de ses membres de clan corrompus dès leur plus jeune âge, comme l'héritier Zenin.
Remarquant le regard de Satoru qui était bien moins discret que celui d'Arashi, le garçon à la mèche le fixa de ses fins yeux noirs d'un drôle d'air, mêlant suspicion et agacement.
Pour autant, aucun ne parla, et leur camarade alla finalement s'asseoir au bureau entre celui de la fille et celui de Satoru.
Arashi tenta de retourner à sa lecture, mais le silence le dérangeait anormalement. Soupirant, il se leva et se dirigea vers la fille ; sa quantité d'énergie occulte était la moins importante de leur groupe, et il était plutôt curieux de savoir d'où elle venait et en quoi consistaient ses capacités.
De ce qu'il avait entendu, en raison des tendances conservatrices des Grandes Familles, les femmes n'étaient autorisées à étudier à l'École d'exorcisme que depuis à peine une décennie. En revanche, chaque jeune sorcier envoyé étudier dans l'une des deux Écoles d'exorcisme du Japon, et ce depuis des siècles, était censé avoir le potentiel d'atteindre la Semi-Classe Un ou l'un des grades supérieurs. Autrement, il serait formé par un instructeur membre d'un clan puissant comme mineur, bénévolement ou en échange de quelques billets, selon l'exorciste.
Même en face à face, elle ne daignait toujours pas lui accorder un regard. Du coin de l'oeil, il vit que Satoru et leur camarade masculin observaient avec attente leur interaction prochaine.
« Salut, tu as un nom ? » lui demanda-t-il d'un ton vide.
Elle releva la tête de son téléphone et le regarda avec la nonchalance la plus totale, ne semblant pas le moins du monde dérangée par ses yeux surnaturels. Sa peau arborait un grain de beauté sous l'œil, chose qui lui avait initialement échappée.
« Shoko Ieiri. » répondit-t-elle.
« La guérisseuse née au bord de la mer ? »
Un soupçon d'ennui apparut dans ses yeux brun doux. Elle écarta théâtralement les bras.
« Elle-même. Tu me connais ? »
Évidemment qu'il connaissait ce nom ; une jeune fille née d'une mère sorcière et d'un père civil dans la petite ville de Ine près de Kyoto, avec une faculté innée lui permettant de produire de l'énergie positive d'une manière aussi naturelle que le simple fait de respirer, connue dans le milieu des Grands Clans pour avoir maîtrisé le sort d'inversion à l'âge de quatre ans et, en conséquence, convoitée tel un bijou précieux par ces derniers. Selon plusieurs sources, des demandes de mariage venant de la part des Zenin et des Kamo avaient été déposées à ses parents pour l'intégrer à leur lignée à de multiples reprises ; ils voulaient s'approprier sa capacité et la transmettre aux générations suivantes.
Sous l'insistance de Takarô, malgré les protestations des anciens, aucune demande de la part des Gojo n'avait été déposée. Le vieil homme était d'avis qu'une enfant de cinq ans à peine n'avait pas à se voir demander sa main, et encore moins par des hommes suffisamment âgés pour être son père.
Il pouvait comprendre pourquoi elle avait choisi de venir étudier ici plutôt qu'à Kyoto.
« J'imagine que ce doit être reposant de ne pas avoir de vieux égoïstes avides qui viennent frapper à ta porte pour te forcer à épouser l'un d'eux. » dit-il avec sympathie. « Même si la mer doit sûrement te manquer. »
L'ennui disparut des yeux de Shoko à ce commentaire, et elle se mit à le regarder de haut en bas.
« Une telle perspicacité, des cheveux blancs comme la neige, des yeux rouges emplis de tant de haine et de malveillance qu'il faut avoir une volonté surhumaine et une puissante force occulte rien que pour soutenir leur regard... Le Classe S le plus jeune de l'Histoire... ». Sa voix était d'une nonchalance incroyable alors qu'elle énumérait les points principaux de sa réputation. « Je t'imaginais plus grand, Gojo. »
« Arashi. »
Elle haussa un sourcil à la fermeté et l'autorité de son ton.
Détournant le regard, il ajouta d'une voix plus douce : « Si ça ne te dérange pas... »
Shoko sourit, visiblement amusée par son apparente inexpérience sociale.
« Arashi, alors. »
« Quelles sont les choses que tu aimes, celles que tu détestes, et tes projets ? »
Cette fois, elle le regarda étrangement, à court de mots, ses yeux clignant plusieurs fois. Du coin de l'œil, il vit que Satoru et l'autre garçon semblaient carrément moqueurs.
Bien que le visage d'Arashi était impassible, intérieurement il se réprimanda pour son action idiote et se mit à maudire férocement Hashirama, pour avoir posé ces satanées questions lors de leur toute première rencontre au bord de cette rivière un siècle plus tôt.
Après quelques instants, elle se leva, le fixant avec un sérieux absolu.
« Avant que nous n'allions plus loin, Arashi Gojo, j'apprécierais que tu répondes à une question. »
Shoko était bien plus petite que lui – suffisamment pour qu'il puisse potentiellement laisser son menton reposer sur le haut de sa tête –, mais elle dégageait alors une aura qui le fit instinctivement se tendre et abandonner sa posture d'adolescent inoffensif, adoptant ainsi une posture plus prudente.
« Est-ce que tu penses que les hommes sont supérieurs aux femmes ? »
Sa posture se dissipa, et Arashi regarda sa camarade avec une pure confusion. Ses sourcils se froncèrent.
« Non. Pourquoi devrais-je croire une chose aussi absurde ? »
Shoko haussa les épaules.
« Sexisme ? »
« Ah... Cette croyance stupide... » déclara-t-il, sa confusion s'atténuant avant de s'accentuer davantage. « Mais n'est-ce pas un préjugé réservé aux non-combattants ? »
Le sexisme était une idée pratiquement inexistante parmi les shinobis, pour la simple et bonne raison que le sexe, tout comme l'âge, n'avait pas la moindre importance sur un champ de bataille. De plus, il était difficile d'avoir des préjugés envers le sexe féminin lorsque le fait de sous-estimer une kunoichi conduisait très souvent à une mort certaine et généralement douloureuse. Seuls les civils avaient des notions de sexisme, car les shinobis sexistes ne survivaient jamais suffisamment longtemps pour en abrutir d'autres.
Deux des Kage actuels, ceux qu'il avait combattus, étaient des femmes. L'individu le plus puissant que son ancien monde ait jamais connu était une femme, Kaguya Ôtsutsuki, la mère de tous les ninjas.
Shoko haussa un sourcil à sa réponse étrange, puis ajouta avec ennui tout en tirant une bouffée de sa cigarette : « Va dire ça à la hiérarchie. »
Il se frappa mentalement le front, réalisant son erreur, alors que Satoru se moquait.
« Mon petit frère est un peu tête en l'air. Pas trop, mais apparemment assez pour oublier que nos dirigeants et une bonne partie de chaque Grand Clan sont une salle bande de crétins arrogants et misogynes. »
Arashi se retint de balancer le bureau de Shoko sur son jumeau, la pâleur de sa peau donnant une vue claire sur le rougissement léger mais furieux de ses joues.
Cette dernière prit sa cigarette entre ses doigts avant de déclarer : « OK. C'est tout ce que je voulais entendre. Alors, j'aime la mer et fumer. Ce que je n'aime pas, c'est pas tes affaires. Et des projets pour l'avenir, je n'en ai aucun de particulier. »
« Pas une information que je n'avais pas déjà... » pensa-t-il avec un léger ennui. Le visage toujours inexpressif, il ajouta : « Aucun à part mourir d'un cancer du poumon. »
Il entendit Satoru haleter, et les yeux du garçon aux cheveux noirs s'écarquillèrent.
À sa surprise, Shoko rit, amusée.
« C'est bien pour ça que je maîtrise ce fichu sort d'inversion... »
Visiblement leur conversation eut pour effet de détendre considérablement l'atmosphère, et les quatre jeunes exorcistes rapprochèrent leurs bureaux pour mieux se parler. La parole fut passée au seul qui ne s'était pas encore présenté.
« Suguru Geto. J'apprécie beaucoup l'entraînement aux arts martiaux et les zaru soba. Je ne déteste rien de particulier, à part les fléaux. »
« Quant à moi... » commença Satoru, il toussa, remonta ses lunettes d'une poussée de son doigt et bomba le torse. « Je suis le grand... »
La porte s'ouvrit et la silhouette imposante de Yaga entra, un air de pure sévérité sur son visage, l'interrompant.
« Je vois que vous avez déjà fait connaissance, tous les quatre. Tant mieux, parce que les missions commenceront dès demain. Je vais vous expliquer les points principaux du règlement intérieur : pour les premières années, franchir la barrière de Maître Tengen et se rendre en ville non accompagné d'un élève de classe supérieure ou d'un professeur est interdit ; toute dégradation volontaire des biens ou des infrastructures de l'école sera sévèrement punie ; l'entrée au Pavillon des Étoiles mortes et à la Réserve est également interdite sans autorisation ; vous êtes seuls responsables de la propreté de vos chambres et de votre uniforme ; et chaque élève se doit de respecter les horaires du réveil et de l'extinction des feux, respectivement 7 heures et 22 h 30. Voilà, c'est tout. Et maintenant, vous avez quartier libre jusqu'au début des cours à 13 heures pile. »
Arashi, Shoko et Suguru se levèrent immédiatement, laissant Satoru pétrifié.
Son petit frère et leurs deux camarades venaient-ils de l'ignorer ? Lui ?
« Hé ! » s'écria-t-il, en se relevant brusquement. « J'avais pas fini ! »
« Pas besoin. » fit Shoko en agitant la main avec désintérêt sans se retourner. « On sait tous qui tu es. »
« Amène-toi, Satoru. À moins que tu ne veuilles que j'offre ton bento à quelqu'un d'autre... »
Les joues gonflés d'agacement, Satoru mit ses mains dans ses poches et se traîna jusqu'aux côtés de son jumeau. Il bouda durant la totalité du court trajet jusqu'à la salle de repos avant qu'une certaine personne ne passe devant leur groupe, son énergie occulte si particulière, si belle, si unique, dansant autour de sa silhouette telles des vagues paisibles.
Immédiatement, son visage s'illumina et il se mit à courir vers elle.
« Hime ! » chantonna-t-il.
« Gojo ?! » s'écria-t-elle, les yeux écarquillés, surprise par son arrivée soudaine et visiblement perturbée par les effets de sa croissance.
Contrairement à la dernière fois, c'était lui qui la dominait de sa hauteur, l'éclipsant de près d'un pied.
Arashi était étonné par le fait qu'Utahime soit restée presque inchangée au fil des années. Hormis le port d'un uniforme de l'école vaguement semblable à un kosode, d'une paire de bottes modernes de couleur marron et de ses traits plus définis, elle était indiscernable de la jeune prêtresse qu'ils avaient connue il y a sept ans.
« Ça fait des siècles qu'on s'est pas vus ! Je t'ai manqué ? »
Visiblement nerveuse, elle ferma brusquement la bouche.
« Pas du tout. »
La facade joyeuse de Satoru perdit momentanément de son éclat avant qu'un sourire sournois qu'Arashi connaissait mieux que quiconque ne se dessine sur le visage de son frère.
« Moi, tu m'as manqué, Hime. À force de pas sortir, j'avais oublié à quoi ça ressemblait la faiblesse. Merci de me l'avoir rappelé. »
Ses joues rosirent, puis elle se mit à grogner.
« Tu ferais bien d'apprendre à respecter tes aînés, idiot. »
Satoru se moqua.
« Mieux vaut être idiot que faible. »
Vexée, elle s'éloigna sans un mot de plus.
« Vieille connaissance ? » demanda Geto lorsque Satoru les rejoignit.
« Oui, en quelque sorte. »
Arashi soupira. Son attitude maussade était de retour...
Cela continua jusqu'à ce que Satoru remarque quelques pots de peinture dans un placard. Son sourire malicieux revint.
« Tu ne vas pas l'arrêter ? » demanda Shoko à Arashi, en montrant du doigt le porteur du Sixième Œil.
Dire qu'elle se préoccupait des potentielles conséquences serait probablement exagéré, à en juger par son ton indifférent, mais à première vue, elle était la moins enfantine d'entre eux, après lui-même.
« Non. » répondit-il simplement. « Par contre... Satoru, peut-être vaudrait-il mieux que tu attendes quelques semaines avant de débrider ton goût pour le chaos ? »
L'interpellé se tourna vers son jumeau avec curiosité.
« Pourquoi ? »
Un sourire identique à celui qu'arborait Satoru une minute plus tôt se dessina sur le visage d'Arashi.
« Pour que Yaga-sensei puisse croire que nous sommes des élèves sérieux et responsables. »
L'aîné rendit son sourire à son cadet.
« Aucun doute, vous êtes bien frères, tous les deux. »
Satoru se releva, et enroula ses bras autour du cou de son jumeau, fixant Geto.
« C'est un problème, le paysan à la mèche bizarre ? »
Shoko retint un rire et Arashi roula des yeux.
Geto fronça les sourcils, agacé.
« Non, simplement surprenant. Il est beaucoup plus beau et intelligent que toi, après tout. »
La pièce devint mortellement silencieuse.
Satoru lâcha Arashi, et vint se positionner juste devant Geto, ses mains enfoncés dans ses poches et le menton levé.
« Tu veux que je te frappe tout de suite, ou tu préfères ouvrir les yeux avant ? »
Ce n'était pas si inexact. Les yeux sombres de Geto étaient assez... fins.
« Ferme-la. »
Satoru eut un sourire narquois.
« Oblige-moi. »
L'immense force occulte de Geto se mit à affluer dans son corps, Satoru garda cependant sa posture insouciante et son sourire. L'incarnation même de l'arrogance.
« Très bien... Toi. Moi. Dehors. Maintenant. Pas de sort, aucune technique occulte, juste du combat à mains nues. On va voir si tu es aussi fort que tu le prétends... Gojo. »
« Et moi qui pensais que l'école serait ennuyeuse... Je compte sur vous deux pour me divertir un max, toi et ta mèche bizarre. »
Ils se retrouvèrent tous sur le terrain d'entraînement, avec Satoru et Geto se faisant face, un air arrogant sur le visage du premier et froidement sérieux sur celui du second, et Arashi et Shoko confortablement assis sur les marches, prêts à profiter du spectacle – ou dans le cas d'Arashi, à recueillir des informations sur les progrès de son frère et le niveau de leur camarade.
Ce serait certainement un combat intéressant...
Satoru bénéficiait peut-être d'une connaissance plus avancée de l'exorcisme et d'une force occulte incommensurable, mais il était beaucoup moins musclé que Geto et très possiblement moins expérimenté pour ce qui touchait aux techniques de combat rapproché. Arashi savait que l'entraînement de son frère avait été très concentré sur la maîtrise et le perfectionnement de ses techniques occultes, négligeant ainsi des aspects tels que les arts martiaux.
Les deux étaient également de Classe Un, un grade que personne n'atteignait pour rien, et encore moins dès son entrée à l'École d'exorcisme.
Satoru avait certainement le niveau d'un Classe Spéciale, mais il n'avait encore rien accompli qui puisse convaincre ou contraindre les supérieurs de l'y placer directement.
« Alors, » commença Arashi d'une voix forte sans prendre la peine de se lever, « pas de morsure, pas de tirage de cheveux ou de vêtement, ni de coups bas comme jeter de la terre au visage de son adversaire – ceci n'étant pas un vrai combat... Saluez-vous. »
Shoko dégaina son portable, sa cigarette aux lèvres.
« En garde. »
Satoru ne daigna même pas s'exécuter.
« Hajime. »
Le combat fut un peu plus long qu'Arashi ne l'avait initialement pensé, et moins déséquilibré qu'il s'y était attendu – Geto était un combattant puissant et expérimenté, mais Satoru était lui-même suffisamment rapide et agile pour compenser l'écart d'habilité martial entre eux ; son frère avait ainsi esquivé plusieurs attaques de leur camarade, tout en portant quelques coups durs lui-même, jusqu'à ce que celui-ci s'adapte à sa manière de bouger. Satoru avait alors tenté de prendre l'avantage en poursuivant le combat au sol, mais cela s'était retourné contre lui. Fort heureusement, il était bien assez agile et rapide pour échapper à l'emprise de Geto.
Cependant, le combat fut aussi assez désagréable à cause de l'odeur infecte venant continuellement de sa droite. Il s'était retenu au moins dix fois de détruire la cigarette de Shoko qui s'était occupée de filmer la scène. Toutefois, la véritable surprise fut de voir la silhouette de Satoru jetée à terre après que le dernier coup de poing de Geto l'ait atteint au visage, le laissant étourdi.
Arashi pouvait voir le choc pur dans les yeux étincelants de son jumeau, ce qui le fit sourire avec amusement. Satoru n'était pas habitué à perdre, après tout. Difficile de dire s'il trouvait le goût de la défaite amer et frustrant ou excitant, de par sa nouveauté.
Peut-être les deux à la fois ?
« Comment ? » fut tout ce qu'il réussit à dire.
« Un entraînement intensif, bien sûr, imbécile. » répondit Geto, amusé, entre deux respirations avant de lui tendre la main.
Après un instant d'incompréhension – ou bien de contradiction entre sa fierté et son besoin d'aide dû à son étourdissement –, Satoru l'accepta.
Arashi et Shoko s'avancèrent vers eux, avec cette dernière brandissant avec nonchalance son portable.
« J'ai tout enregistré. »
Satoru grogna, et Geto ricana.
« Allez, viens là que je te guérisse. » fit-elle au porteur du Sixième Œil, regardant l'ecchymose sur sa joue.
« Heureusement que nous avons un médecin parmi nous. » rit-il. « Sinon, tu aurais gardé mon cadeau pendant un moment. »
Les joues de Satoru se gonflèrent, et il croisa les bras, un grognement semblable à celui d'un chaton s'échappant de sa gorge, le faisant rire, mais sa colère le distrayait suffisamment pour que Shoko parvienne à poser un doigt sur sa joue rouge et gonflée.
« Sur ma jolie et parfaite peau ? Même pas en rêve. »
Il sentit alors une douce énergie positive s'infiltrer en lui, et la blessure disparut.
Arashi regarda la scène avec intérêt, tandis que Satoru fixait sa camarade avec un certain choc.
« Je savais que tu maîtrisais le sort d'inversion, mais pas à ce niveau. »
« Surprenant, non ? » dit-elle fièrement.
« Nous sommes une classe de génies. » commenta Geto.
« C'est pas juste ! » se plaignit Satoru. « Toi et Arashi, comment vous faîtes ? »
« Je te l'ai déjà expliqué, Satoru. Ce n'est pas ma faute si tu ne comprends toujours pas. »
« Alors, on commence par "psh", puis ensuite "vioum". Tu vois ? »
Satoru la regarda d'un air vide.
« Pas vraiment... »
« Tu dois pas être si doué que ça, alors. »
Il grogna, indigné, mais alors qu'il s'apprêtait à répliquer, pour le simple plaisir d'avoir le dernier mot, il fut devancé, à son mécontentement.
« Je suis sûr que tu feras une excellente enseignante, Shoko-sensei. » dit stoïquement Arashi, faisant ricaner Geto.
« Oh, tais-toi, sale gamin. »
« Vous avez fini de jouer, vous quatre ?! » s'écria Yaga depuis le sommet des marches, les faisant se figer presque de peur. « Il est presque 13 heures ! Allez, en classe ! »
Ils suivirent docilement leur professeur jusqu'à la salle, et Arashi ne manqua pas le regard avec lequel son jumeau fixait Geto tout au long du trajet.
Était-ce de... l'espoir ?
Arashi s'assit calmement à son bureau, avec Shoko à sa gauche et Satoru, puis Geto à sa droite, tandis que Yaga commençait son cours par le début de l'histoire de la société occulte qui débutait à l'Ère Heian, avec la Première Parade des Démons qui s'était terminée par la défaite du Roi des fléaux après un millénaire de plaisirs meurtriers.
La leçon le lassa vite ; en conséquence, il se tourna vers la fenêtre, se laissant perdre dans ses pensées, un sourire léger et sincère peint sur le visage.
« Je pense que ces années scolaires vont être amusantes... »
Le passé de Shoko est inspirée d'une œuvre publiée sur Archive of Our Own par l'auteur starrybride.
