Après les premières semaines de leur année scolaire écoulées, Arashi dut reconnaître qu'il avait eu tort de s'inquiéter : l'école de Tokyo avait tout d'un foyer ; à commencer par le fait qu'aucun vieil égoïste pervers et corrompu ne rôdait dans son enceinte – le siège du Haut Commandement étant situé à Kyoto –, une atmosphère chaleureuse et vivante entretenue notamment par la douce lumière naturelle qui filtrait à travers les couloirs et la fraîcheur de l'air qui donnait presque l'impression permanente d'être au beau milieu d'une belle journée printanière ainsi que la petite tribu qu'ils avaient rapidement formé avec Geto et Shoko. Tout cela contribuait à une certaine vivification chez les jumeaux habitués à l'environnement terne, insipide et étouffant du manoir des Gojo – ou dans le cas d'Arashi, au quotidien stressant et fatiguant des Six Lunes inférieures sur lesquelles la quasi-totalité de la charge de travail était déposée.

Avoir été un shinobi comportait cependant l'avantage d'être familier avec ce genre de choses.

Malgré l'opposition évidente entre leurs différentes personnalités, les liens se créèrent vite, notamment grâce aux différentes missions qu'ils exécutaient en groupe et au fait qu'ils étaient les seuls élèves de première année, et même de l'établissement, en excluant Utahime et Atsuya Kusakabe – il y avait apparemment un autre étudiant de quatrième année, une jeune femme récemment promue en Classe Un, mais aucun d'eux ne l'avait jamais vue sur le campus.

Et ainsi un environnement amical et plaisant dans lequel chacun était à l'aise s'était construit, en parallèle de l'installation d'une routine plutôt confortable : se réveiller une heure avant celle du réveil – seulement pour Arashi qui avait son entraînement matinal et se chargeait de cuisiner pour lui-même et quiconque le lui demandait au préalable –, assister à des cours sur des sujets allant de l'histoire de l'exorcisme à la théorie des techniques de barrières, en passant par l'étude des serments et des conditions ainsi que des talismans, bien qu'ils n'étaient pas exemptés de matières comme l'anglais, les mathématiques, les sciences et même un peu de sociologie, déjeuner ensemble à l'extérieur ou en salle de repos selon la météo, pratiquer un peu d'activités sportives et généralement finir la journée par une veillée.

Satoru et Geto – Shoko étant d'ailleurs la seule à encore l'appeler par son nom de famille – s'étaient rapidement forgés la réputation d'être les deux enfants à problèmes auprès de Yaga, vraisemblablement pour la simple raison qu'ils s'étaient bagarrés dès le premier jour et avaient dû passer par l'infirmerie, tandis qu'Arashi et Shoko semblaient déjà être considérés par leur professeur comme ce que ce dernier avait de plus proche d'élèves sérieux.

Cet opinion n'allait probablement pas perdurer bien longtemps...

« Arashi, dépêche. »

Il bailla alors que Satoru les guidait lui et Geto à travers le couloir en direction de la chambre de Shoko, tout en enfilant son haori, ses yeux écarlates brillant dans la pénombre.

Il était déjà plus de minuit quand son jumeau était venu le réveiller, accompagné d'un Geto qui n'avait pas l'air de sortir du lit – en dépit de sa tenue qui conviendrait mieux à une sieste qu'à une escapade nocturne – mais était clairement penaud.

Cette nuit allait être leur première transgression contre le règlement intérieur de l'école, et Satoru tenait à ce qu'il soit collectif.

Son frère pénétra dans la chambre de leur camarade, lui-même et Geto sur ses talons, et se mit à secouer le matelas à l'aide d'une de ses longues jambes.

Shoko gémit, mais constatant qu'il n'obtenait rien de plus, il se mit à la secouer elle, l'arrachant ainsi à son sommeil.

« Qu'est-ce que tu fais ? » grommela-t-elle d'une voix neutre mais fatiguée, commençant à chercher à tâtons son téléphone portable probablement pour obtenir l'heure ou bien tout autre objet qu'elle pourrait lui lancer à la figure.

« Je te réveille. » répondit Satoru comme s'il s'agissait de la chose la plus normale et la plus évidente qui soit. « On va faire le mur, tous ensemble. »

Shoko bailla si fort qu'Arashi fut surpris de ne pas entendre sa mâchoire craquer.

« Et pour aller où ? » gémit-elle en enfouissant davantage sa tête dans son oreiller.

« Le konbini. » dit-il avant de sourire sournoisement. « C'est Arashi qui a proposé, et Suguru avait envie d'une petite balade. »

« C'était censé être une blague. » tenta de se justifier Geto quand le regard épuisé mais très ennuyé de Shoko se posa sur lui. « Je ne pensais pas qu'il prendrait ça au sérieux. »

Ses yeux se tournèrent vers Arashi désormais parfaitement réveillé.

« Même chose. De plus, nous n'avons pas besoin de nous y rendre. »

Elle lâcha un soupir.

« Allez, ça va être amusant. » insista Satoru, ôtant ses lunettes pour lui donner un regard qui ne pouvait être décrit comme autre chose que suppliant.

Parvenant enfin à attraper son portable, Shoko ouvrit le clapet pour constater qu'il était plus proche d'être 1 heure du matin que minuit. Elle reporta son attention sur Satoru, plissant légèrement les yeux lorsqu'elle fut confrontée à la lueur éthérée de ses iris bleu vif qui semblait briller comme des étoiles dans l'obscurité presque totale de sa chambre.

« Qu'est-ce que cette promenade de minuit est censée être ? Ta première rébellion ? »

« Notre première rébellion. » la corrigea-t-il. « À moins que tu aies trop peur, peut-être ? »

Elle poussa un nouveau bâillement avant de se redresser.

« J'y vais si c'est toi ou Arashi qui paye. »

Arashi roula des yeux. Il aurait dû savoir que leur camarade ne prendrait pas part à leurs âneries gratuitement.

Le visage de Satoru s'illumina.

« Parfait. » déclara-t-il d'une voix un peu trop forte avant de traîner Geto et Arashi hors de la pièce pour lui permettre de s'habiller.

Trente minutes plus tard, avec une Shoko vêtue uniquement d'un short et d'un haut sombre, les cheveux en désordre, après avoir habilement évité les quelques rares surveillants qui patrouillaient dans les couloirs, s'être extirpée de l'enceinte des murs de l'école et avoir descendu le long escalier de pierre, ils arrivèrent finalement au pied de la montagne, sur le petit espace aménagé en parking.

L'été approchait, et la température n'était ni chaude ni froide, mais une certaine humidité persistait dans l'air, encore plus au sein de la forêt dont ils étaient à peine sortis. Celle-ci se ressentait davantage avec la douce brise qui soufflait, provoquant quelques frissons chez Shoko et Satoru et un soupir de contentement de la part d'Arashi.

« J'espère qu'il n'y aura pas de canicule cet été. » pensa-t-il avec une pointe de déplaisir, se souvenant que mai cèderait bientôt la place à juin. « La fraîcheur d'Hokkaidô me manque déjà assez... »

« Et comment tu comptes nous emmener au konbini ? » interrogea Shoko en se tournant vers Satoru, un agacement clair glissant dans son ton. « Non seulement on est à plus de vingt minutes de marche de la gare la plus proche, mais aucun train ne passe à cette heure. Je jure, Gojo, que si tu m'as réveillée pour rien... »

Tout fier, Satoru brandit une paire de clés de voiture, l'interrompant et faisant lever les yeux de son jumeau au ciel et écarquiller ceux de Geto.

« Je les ai prises dans le bureau de Sensei. »

La main d'Arashi s'écrasa sur son visage, et Geto étouffa un rire, tandis que Shoko le fixait d'un air indéchiffrable avant de simplement demander : « Tu sais conduire, au moins ? »

Satoru resta muet quelques instants, plongé dans ses pensées avant d'ouvrir la bouche pour répondre, mais il fut interrompu par Arashi qui lui déroba habilement les clés.

« Moi, oui. » fit-il, ignorant les protestations de son frère. « Et j'aimerais bien pouvoir dormir quelques heures avant le début des cours, alors tâchons de ne pas traîner. Allez, en route. »


Le trajet fut rapide, grâce à ce que Satoru avait fièrement baptisé le "don divin de pilote" d'Arashi et l'absence presque totale de circulation. Arashi gara la voiture, qui valait très probablement une certaine somme, juste devant la supérette qui brillait doucement telle une lanterne dans la nuit. Ils traversèrent les quelques mètres les séparant de l'entrée tels des papillons attirés par une flamme.

Les rues aux alentours étaient calmes, presque désertes en dehors d'un couple profitant sans doute de la fraîcheur et de la tranquillité de la nuit comme ils le faisaient. Avec une faible pollution lumineuse, il était également possible de contempler le ciel ; rien d'égal à la vue dont ils bénéficiaient dans la montagne, et encore moins de comparable aux visions passées d'un monde encore très dominé par la nature dont disposait Arashi, mais tout de même très agréable à regarder.

Des fléaux de classes inférieures les observaient, tapis dans les ombres, vraisemblablement effrayés par leur présence.

Shoko y prêta davantage d'attention que le reste du groupe. Dans son village natal, se souvint Arashi, la population était à peine assez importante pour permettre l'émergence de quelques Têtes de mouches – des fléaux si faibles que l'École ne les répertoriaient même pas comme des malédictions de Classe Quatre –, il était donc normal que leur omniprésence dans les milieux urbains l'interpelle.

Geto n'avait pas l'air nerveux, mais semblait s'attendre à quelque chose, ses yeux s'agitant dans leurs orbites pour scruter leur environnement. Il n'avait jamais vu la ville, avant de déménager pour intégrer l'école, et encore moins durant la nuit. Il marchait à une certaine proximité d'Arashi et de Satoru, leurs vêtements se frôlant plusieurs fois. Le cadet l'appelait par son prénom depuis le premier jour, comme il le faisait avec leur camarade, et l'aîné seulement après moins de trois semaines.

Quand il avait demandé pourquoi, Arashi avait simplement répondu : « Je n'appelle pas les gens par leur patronyme. Ça me donne l'impression de ne pas m'adresser directement à la personne, et je trouve ça vraiment sordide ». Il avait souligné la nature inconvenante et même plutôt insultante de cette habitude, mais ce dernier avait alors rétorqué qu'il s'en moquait.

Après que Satoru ait commencé à utiliser son prénom, Geto avait suivit presque immédiatement.

Contrairement à son jumeau qui semblait assez indifférent, Satoru appréciait cela. Il jetait un regard satisfait qui se voulait discret à Geto à chaque fois que celui-ci utilisait son prénom, mais Arashi le voyait et il savait que Shoko aussi.

Elle n'était elle-même pas particulièrement éloignée d'eux, mais cependant plus proche de lui que des deux autres qui s'accordaient déjà d'une manière qui lui était encore inconnue. Ils donnaient presque l'impression de deux objets célestes gravitant l'un autour de l'autre.

Peut-être était-ce sa nature plus prudente et plus réservée, dans laquelle elle se reconnaissait mieux, qui l'attirait ?

Des insectes bourdonnaient au-dessus de leurs têtes, attirés par l'éclairage plus fort de l'enseigne. Une sonnette retentit lorsqu'ils franchirent la porte, et l'air climatisé les enveloppa avec douceur ; le caissier leur accorda un drôle de regard avant de replonger dans son journal, ne se souciant pas de toute évidence qu'ils achètent ou non quelques articles.

Satoru entraîna rapidement Geto vers l'arrière de la supérette, vers les vitrines réfrigérées, tandis que Shoko alla errer dans le rayon des encas salés. De son côté, Arashi partit regarder les boissons ; il choisit rapidement d'ignorer les thés et les cafés, décidant qu'ils n'égaleraient jamais ceux qu'il pouvait lui-même préparer, puis se tourna vers le saké et les différentes marques de bière et de vin.

« Tu penses vraiment que t'arriveras à convaincre le caissier de t'en vendre ne serait-ce qu'une ? » demanda Shoko avec un léger sourire en le rejoignant quelques minutes plus tard, un paquet de nouilles instantanées dans une main et un sachet de chips dans l'autre.

C'est vrai qu'avec leurs vêtements froissés et leurs cheveux en désordre qui n'étaient en aucun cas coiffés, il était impossible de les confondre avec des adultes, même si les plis proéminents sous les yeux d'Arashi et ses traits qui semblaient avoir été taillés dans du granit pourraient potentiellement prêter à confusion.

Ils ressemblaient même presque à des délinquants juvéniles de bas étage.

En réponse, il prit une bouteille de saké et une canette de bière.

« J'ai mes méthodes. »

« Dans ce cas... » commença-t-elle, « Ça ne te dérangerait pas de négocier un ou deux paquets de cigarettes ? »

Il se contenta de hausser un sourcil. Elle vint alors se coller à lui, le menton contre ses pectoraux, et le fixa d'un air se voulant triste et enfantin comme pour dire : « S'il te plaît ? ».

Il leva les yeux au ciel et poussa un soupir.

« Très bien. »

Satoru et Geto les rejoignirent, souriant comme les idiots qu'ils étaient, les bras chargés d'encas sucrés, de cannettes de café glacé et de sodas.

Arashi plissa dangereusement les yeux, tandis que Shoko se moquait silencieusement de lui.

« Je ne paierai pas pour tout ça. »

« J'ai oublié mon portefeuille. » gémit Satoru.

Arashi demeura inflexible.

« C'est ton problème. »

En réponse, Satoru fit remonter ses lunettes sur le haut de son crâne à l'aide d'une application de son sort d'attraction, et offrit à son frère sa plus belle moue, de petites larmes apparaissant au coin de ses yeux, accentuant leur brillance et leur beauté.

« S'il te plaît, Ashi... »

Impressionnés, Shoko et Geto observèrent alors avec une certaine fascination le visage de marbre de leur camarade fondre comme de la neige au soleil. Ses traits s'adoucirent presque instantanément face au visage suppliant, semblable à celui d'un chaton, de son jumeau. Il capitula après une très brève lutte.

Shoko prit mentalement note de cette faiblesse.

Alors qu'ils s'avançaient vers la caisse avec leurs articles, Arashi s'empara des lunettes de son jumeau pour dissimuler ses yeux surnaturels. Naturellement, le vendeur l'arrêta lorsque vint le tour des boissons alcoolisés et des deux paquets de cigarettes demandés par Shoko ; comprenant rapidement qu'Arashi était mineur, il commença à exiger qu'il aille reposer les articles interdits avant qu'ils ne les expulsent tous de la supérette à coups de journal.

Arashi baissa alors les lunettes de Satoru ; brillant d'une lumière écarlate, rayonnant d'une beauté qui n'avait d'égal que la peur qu'ils inspiraient, les Yeux de Samsâra plongèrent leur regard dans celui du vendeur dont la confusion effrayée ne dura qu'un instant. En effet, pas même une seconde plus tard, son visage devint simplement... vide ; ses yeux regardaient sans voir, et sa bouche resta légèrement ouverte, comme si le regard d'Arashi l'avait placé dans une sorte d'état presque végétatif.

Avec des mouvements pareils à ceux d'un automate, il emballa alors leurs achats dans quelques sacs et accepta l'argent que lui tendait le plus jeune des jumeaux sans jamais que son expression faciale ne change.

Geto et Shoko avaient observé la scène avec divers degrés de surprise et de confusion, incapables de comprendre la manière dont leur camarade venait... d'hypnotiser le caissier. Satoru, en revanche, grâce à son propre don oculaire, avait pu observer très clairement ce qui venait de se produire, et il était à la fois stupéfait et fasciné ; l'énergie occulte d'Arashi, projetée depuis ses iris, s'était glissée dans le civil inconscient avant de s'aligner avec le flux d'énergie de celui-ci à une vitesse fulgurante, le faisant momentanément frissonner avant qu'il n'exécute la volonté portée par elle.

Arashi observa le résultat de son expérience avec satisfaction. Il n'avait jamais été le meilleur utilisateur du Genjutsu, l'Art des illusions ayant toujours été la spécialité d'Izuna – et apparemment d'au moins deux de ses descendants –, mais il n'était en aucun cas mauvais. Tout Uchiwa à avoir éveiller le Sharingan se devait d'être un puissant utilisateur du Genjutsu. L'appliquer à l'énergie occulte en théorie avait été facile, mais extrêmement long, complexe et difficile en pratique, en raison de la nature volatile de celle-ci et de l'absence d'un réseau de méridiens reliés au système nerveux chez les fléaux comme chez les exorcistes.

Ils sortirent du konbini les bras chargés en silence, jusqu'à ce que Shoko le regarde avec une certaine méfiance.

« Qu'est-ce que tu lui as fait exactement ? »

« Je lui ai fait subir une sorte d'hypnose hallucinatoire. »

« Tu aurais simplement pu le soudoyer. » fit remarquer Satoru, se souvenant de la complexité de l'acte.

« Contrairement à toi, je connais la valeur de l'argent. » rétorqua Arashi.

« Comment ? » demanda Geto, revenant au sujet initial.

« Genjutsu. » déclara-t-il avec nonchalance, amusé par leur ignorance, avant de dire fermement : « Pas un mot à Yaga-sensei ».

Ils sourirent à cela.

Paresseusement, il se demanda s'il lui était possible de transmettre cette technique. Comme il ne s'agissait essentiellement que d'une simple manipulation de l'énergie occulte, cela devrait théoriquement être possible, et le seul obstacle serait alors la complexité et la difficulté de l'action. Le cas serait identique à celui du sort d'inversion ou des techniques de barrière, mais pour ce qui concernait son usage...

Il jugea préférable de ne pas y penser pour le moment, choisissant de jeter un coup d'œil au portable de Shoko qui indiquait 2 h 31.

Il était temps de rentrer.

« C'était plutôt amusant. » lâcha-t-elle depuis le siège passager alors que le moteur démarrait.

Les trois mâles se tournèrent vers elle avec des expressions différentes, allant d'un amusement léger à un certain contentement.

Arashi trouva très agréable de voir cet air joyeusement satisfait sur le visage de son jumeau.

« En effet. » acquiesça Geto. « Nous devrions faire le mur plus souvent. »

« Pas d'impatience, chers camarades... » dit théâtralement Satoru. « Nos années de lycée ne font que commencer. »

Ils rirent tous à ces mots.


Le trajet du retour fut aussi rapide que le précédent. Arashi s'assura de garer la voiture à l'endroit exact où elle se trouvait, espérant que Yaga ou l'assistante ne serait pas assez observateur pour remarquer les nouveaux chiffres sur le compteur kilométrique. Ils déchargèrent leurs provisions et Satoru et Geto se lancèrent presque immédiatement dans une course pour savoir qui arriverait au sommet de l'escalier le premier, faisant soupirer les deux autres.

Remarquant les légères grimaces qui tordaient brièvement le visage de sa camarade à la montée de chaque marche, Arashi eut pitié d'elle et tendit la main pour la décharger de ses propres sacs. Cependant, Shoko ne vit pas les choses de cette façon et sauta sur le dos d'Arashi, qui manqua de presque perdre son équilibre, se délectant visiblement de sa chaleur corporelle.

Il fut tenté de la laisser tomber, mais se résigna. C'était lui – et surtout Satoru – qui l'avait entraînée dans cette escapade, après tout.

De plus, elle était aussi légère qu'une plume.

« Ne va surtout pas t'y habituer. » grommela-t-il lorsqu'elle se mit à grimper un peu plus haut, enroulant ses bras autour de son cou alors qu'il supportait ses cuisses avec ses avant-bras.

Elle laissa son menton reposer son épaule, son visage presque appuyé contre le sien.

« Du calme. Tu es un homme, non ? Si une femme te le demande, il faut l'escorter avec galanterie. »

Il roula des yeux, ravalant le commentaire sarcastique qu'il voulait lui lancer, et continua leur montée.

Ils marchèrent en silence jusqu'à arriver aux portes torri. Là, elle descendit avant que leurs camarades ne puissent les voir, et ainsi trouver un moyen de se moquer d'eux. Satoru et Geto les attendaient devant l'entrée, cachés dans les ombres de la forêt. Ils prirent ensuite le chemin du départ en sens inverse, tout en évitant les surveillants.

À quelques mètres de leurs chambres, ils furent contraints de se cacher dans un placard à balai pour éviter un Kusakabe somnolent qui se dirigeait vers les toilettes. Le placard était étroit, les obligeant à se serrer les uns contre les autres d'une manière presque contorsionnée, et empestait la poussière.

« Et si on l'immobilisait, le temps qu'Arashi utilise son truc pour qu'il aille se dénoncer à notre place ? » proposa Satoru d'une voix étouffée contre le torse tonique de Geto.

Celui-ci regarda le porteur du Sixième Œil avec un sourire d'une teinte malicieuse, à l'inverse de Shoko qui comprimée entre les jumeaux se contenta de lever les yeux au ciel.

« Tais-toi, idiot. » grogna Arashi en abattant sa main sur le crâne de son frère, lui arrachant une exclamation douloureuse, à l'amusement de Shoko et Geto.

Heureusement que Kusakabe n'avait pas prêté suffisamment attention à son environnement pour s'apercevoir que l'ensemble de ses juniors était entassé dans le placard semi-ouvert à sa gauche.

Une fois que les bruits de pas de leur camarade s'éteignirent, ils se hâtèrent de s'engouffrer dans la chambre la plus proche, pressentant l'arrivée d'un surveillant. Shoko, Satoru et Geto lâchèrent un soupir de soulagement, tandis qu'Arashi déchargea ses sacs. Ils entendirent soudain un gémissement venant de derrière eux, les faisant se figer.

Le bruit était clairement féminin, et il ne pouvait venir de Shoko.

« Et merde... » marmonna Arashi, reconnaissant enfin dans quelle chambre il se trouvait à la vue de la silhouette endormie sur le lit.

« Nous sommes dans la chambre de Iori. » murmura Geto avec une expression bouleversée.

« La chambre... d'Utahime... » articula Satoru d'une voix étrange, les pupilles dilatées, ses yeux s'agitant dans leurs orbites pour analyser les moindres recoins de la pièce.

Shoko lui lança un regard dégoûté.

« La ferme. » commanda Arashi adossé contre la porte, les yeux fermés de concentration.

Les trois autres se tendirent et patientèrent quelques instants dans un silence pesant. Puis, lentement, avec une habilité qui ferait honte à un agent de l'ANBU, Arashi ramassa ses propres sacs et ouvrit la porte, leur faisant signe de le suivre, sa démarche si silencieuse que même Satoru le regarda stupéfait. Il les amena ensuite dans la chambre de son jumeau, et plaça un talisman de silence sur la porte.

Ils sentirent alors la tension redescendre, et poussèrent un soupir de soulagement.

« Il n'empêche que c'était drôle. » finit par dire Satoru.

Ses trois camarades le regardèrent avec divers degrés d'incrédulité et d'ennui avant de finalement esquisser un sourire amusé chacun. Pendant la trentaine de minutes suivantes environ, ils furent réunis autour de la console de jeux, occupés à profiter de leurs achats et ressasser joyeusement les évènements de la nuit.

Lorsque 4 heures sonna, ils se mirent d'accord sur le fait qu'il était temps d'aller dormir, et se souhaitèrent alors bonne nuit.

« Alors, c'est ça, "être adolescent" ? » songea Arashi allongé dans son lit après avoir regagné sa propre chambre. « Je pense que je pourrai m'y faire... »


Le lendemain, à la pause déjeuner, ils furent abordés par Utahime qui leur montra un de sacs remplis de leurs achats, certainement oublié dans leur hâte par Shoko ou Geto. Fort heureusement, celui-ci ne contenait aucun paquet de cigarettes ou une des boissons alcoolisées d'Arashi.

« J'ai trouvé ceci au pied de mon lit ce matin. Quelqu'un peut-il me donner une explication ? »

« C'est Satoru qui est allé le déposer cette nuit. » répondit immédiatement Shoko d'un ton monotone, ignorant le regard trahi que lui lançait le Gojo.

Geto ricana.

« Il voulait s'excuser pour hier. » ajouta Arashi sans quitter les yeux de son livre, colorant de rouge les joues de son jumeau.

La méfiance d'Utahime disparut, remplacée par une gêne semblable à celle du porteur du Sixième Œil.

« C'est vrai ? » demanda-t-elle en se tournant vers Satoru, paraissant touchée.

Le visage rougeoyant, accentué par la blancheur de sa peau, Satoru se leva et s'exclama avec embarras :

« Oui ! Je pensais que ça compenserait ton salaire de misère en tant que Classe Deux ! »

Arashi enfouit son visage dans les pages de son roman, excédé. Shoko leva simplement les yeux au ciel.

Utahime grogna, une veine palpitante apparaissant sur sa tempe.

« Garde tes cochonneries, imbécile ! » lui cria-t-elle en lui jetant le sac à la figure. « Et respecte tes aînés ! De toute façon, je n'aime même pas les sucreries ! »

Et elle sortit en trombe de la salle de repos, marmonnant des insultes que personne n'entendrait de sa bouche en temps normal.

Secouant la tête et gémissant pitoyablement, Satoru se rassit, jetant des regards noirs à son frère et à Shoko qui l'ignora.

La silhouette de Yaga surgit dans la pièce, les incitant à se détourner de leur repas.

« Je suis désolé de vous interrompre, mais on a besoin de vous sur le terrain. »

Arashi se leva sans un mot avec un sérieux plus grand encore que celui de leur professeur, forgé par des décennies de vie guerrière. Suguru et Shoko soufflèrent mais firent de même, tandis que Satoru marmonnait à propos de l'incompétence de leurs soi-disant respectables aînés faisant appel à des étudiants pour accomplir leur travail.

C'était cependant là le principe de la profession d'exorciste : se dévouer à la protection des plus vulnérables afin d'assurer leur survie. Après tout, le pouvoir s'accompagnait de responsabilités.