Les première année bouillonnaient d'une impatience qu'ils s'efforçaient à peine de cacher, même Arashi et Shoko d'ordinaire calmes et impassibles semblaient excités, et plus particulièrement la jeune femme.

La raison était que Yaga venait de leur accorder un congé de trois jours, et ils s'étaient tous mis d'accords pour les passer au bord de la mer, dans le village natal de Shoko, bien qu'il ait fallu quelques supplications de Satoru et Geto et l'achat de trois paquets de cigarettes par Arashi pour la convaincre d'accepter de les présenter à sa famille et de leur montrer son village.

Leur professeur avait dû se battre avec acharnement pour leur offrir ces vacances, car les mois d'été constituaient la période de l'année où les fléaux étaient les plus nombreux et les plus puissants, en raison de la saison hivernale qui provoquaient un afflux considérable de sentiments négatifs chez la population. Le Haut Commandement n'était donc naturellement pas très enthousiaste à l'idée de voir les trois meilleurs éléments ainsi que la plus puissante utilisatrice du sort d'inversion dont il disposait parmi l'ensemble de la communauté exorciste aller prendre du bon temps dans une petite ville côtière pittoresque en cette période où leur ennemi éternel était à son apogée.

Constatant les difficultés auxquelles Yaga était confronté et décidant qu'après le mois précédent durant lequel leur charge de travail avait presque triplé par rapport au premier trimestre et leur temps de récupération – notamment les heures de sommeil – sérieusement diminué, ils méritaient tous un peu de repos – particulièrement Shoko qui passait de plus en plus de temps à l'infirmerie et la morgue –, Arashi et Satoru avaient fait irruption dans la salle de réunion des supérieurs avant d'utiliser quelques méthodes qu'ils jugeaient plus efficaces que les explications rationnelles de leur professeur.

Shoko et Geto n'avaient pas la moindre idée de ce que les jumeaux avaient pu dire ou faire pour persuader les supérieurs, mais le fait était, qu'après quelques minutes, ils étaient tous deux ressortis de la pièce avec des airs de satisfaction pure sans laisser d'impureté ou de trace de sang derrière eux.

Et ce fut ainsi qu'ils finirent par se retrouver entassés à cinq dans un confortable SUV de location.

Cinq, car Utahime avait mystérieusement eu droit à un congé de deux jours, et Satoru l'avait invitée à leurs petites vacances. L'héritière Iori avait accepté sans réelle réticence, contente de pouvoir notamment passer du temps avec Shoko et d'avoir la possibilité d'aller à la mer.

Arashi grogna lorsque, sous l'insistance de Satoru, Shoko et d'Utahime, il se résigna enfin à garder sa chemise, à son grand déplaisir, car même si cette décision permettait, selon ses camarades, de ne pas tâcher le cuir de son siège, elle ne faisait rien pour le soulager de la température.

L'été était arrivé, apportant une chaleur lourde et un soleil brûlant avec lui, à l'agacement quotidien d'Arashi qui n'avait, ni dans cette vie ni dans la précédente, apprécié les chaudes journées d'été. Sans oublier qu'avec les dernières semaines d'absence presque totale de pluie et de vent, même les arbres ne constituaient plus un bon refuge contre la chaleur.

Plutôt ironique pour le plus puissant utilisateur du Katon connu... Peut-être que le fait qu'il soit né à Hokkaidô dans cette vie avait renforcé ce trait.

Quoi qu'il en soit, même dans une voiture en mouvement aux vitres baisées, laissant ainsi entrer de forts courants d'air, il détestait l'été, pour ses températures trop élevées. Heureusement pour tous que cela ne l'empêchait de se concentrer sur la route, et que la nuit viendrait bientôt, apportant avec elle fraîcheur et calme.

Utahime n'avait pu s'empêcher de faire une remarque sur le fait que, si jamais la police les contrôlait, ils auraient des problèmes, car Arashi conduisait sans être majeur ni même avoir de permis, la faisant s'interroger sur la manière dont il avait bien pu apprendre à conduire. Shoko et Geto lui avaient donnée pour seule réponse : « Quelle importance ? », tandis que Satoru s'était empressé de commencer à la taquiner, en le traitant d'abord de « vieille fille coincée ». Hurlant de colère et oubliant totalement son inquiétude quant à l'illégalité de leur situation, elle n'avait pas tardé à répliquer, en soulignant son immaturité et son attitude bêtement infantile, avant que leur bataille verbale ne s'enflamme de plus belle, à l'amusement de Geto et d'Arashi.

Yaga allait certainement les passer à tabac à leur retour. Arashi ne pouvait cependant pas s'empêcher de trouver amusant – mais aussi un peu lamentable – le fait que leur professeur ne se soit rendu compte que ses élèves enfreignaient la loi et le règlement à chacune de leur escapade seulement après avoir entendu de la bouche de Kusakabe, qu'en dehors des missions, jamais un assistant ou un élève de classe supérieure ne les accompagnait.

Peut-être Yaga avait-il refusé d'accepter la possibilité que ses deux élèves les plus appliqués en classe puissent réellement être les complices des deux enfants à problèmes ?

Shoko, une cigarette aux lèvres, regardait son portable sans prêter attention à l'échange de coups oraux qui avait lieu dans son dos. Son expression paraissait incertaine, basculant sans cesse entre l'impatience et ce qui s'apparentait à de l'appréhension.

Elle était douée pour dissimuler ses émotions et ses ressentis, Arashi devait le reconnaître, mais pas suffisamment pour l'empêcher de la lire, et encore moins le tromper comme cela était possible avec le reste de leur groupe, sans compter que l'agitation inhabituelle du flux de son énergie occulte la trahissait. Agitation qu'il pouvait voir, grâce à son don oculaire, et sentir, grâce à sa perception sensorielle.

Sans quitter la route des yeux, il posa une main réconfortante sur la sienne, puis son flux d'énergie commença progressivement à faire cesser tout trouble jusqu'à devenir aussi paisible qu'un ruisseau.

Bientôt, le Soleil initia sa disparition à l'horizon, baignant le ciel d'orange et de rouge, puis de rose, tandis que la chaleur brûlante de la journée cédait sa place à la douce fraîcheur de la nuit. Lentement, tandis qu'ils s'éloignaient de la métropole pour s'enfoncer dans les reliefs, la circulation diminua et le bruit urbain avec avant de s'éteindre, la voiture se calma alors à son tour, jusqu'à ce que Arashi demeure le seul éveillé.

À la vue de l'ensemble des dernières personnes chères à son cœur à jamais marqué par la haine et les ténèbres, l'air paisible grâce au paradis qu'était le sommeil, il ne put retenir un sourire alors qu'une chaleur douce et réconfortante l'emplissait.


Ils arrivèrent à Ine aux premières lueurs du jour.

Quand ils furent suffisamment proche de la mer, l'air marin, vierge de toute souillure humaine comme celui de la montagne, les accueillit, ce qui sembla avoir pour premier effet de réveiller Shoko. Celle-ci passa la tête par la fenêtre, et prit alors une grande et profonde inspiration, savourant l'air de cette mer qui l'avait vue naître et grandir avec presque encore plus de plaisir que le goût de la fumée aromatique du tabac.

Un sourire sincère et rayonnant comme le groupe entier en voyait peu chez leur amie se dessinait sur le visage de celle-ci.

Ils s'arrêtèrent d'abord à la maison d'hôtes tout aussi pittoresque que le reste du village qui serait leur lieu d'hébergement pour les trois jours à venir, car la maison des parents de Shoko était incapable de loger confortablement sept personnes, et s'y installèrent avant d'immédiatement se diriger vers le foyer où leur amie avait grandi.

Une femme à peine plus grande que Shoko elle-même mais tout aussi ravissante à l'expression douce et souriante dont les yeux semblaient fermés. Ses cheveux bruns, qui avaient certainement été transmis à sa fille, atteignaient ses épaules et étaient attachés en un chignon simple mais élégant tout en laissant deux fines mèches encadrer son visage rayonnant.

Hormis le grain de beauté que Shoko arborait sous son œil, elle était tout juste discernable de sa fille.

« Bonjour, ma petite perle. » dit-elle, son sourire semblant s'agrandir à la vue de sa fille. « Je vois que tu as amené tes amis. »

Elle ouvrit ensuite les bras, et Shoko se jeta presque en avant pour enlacer sa mère, faisant sourire tendrement le reste du groupe devant cette scène, bien que Satoru et Arashi ne purent empêcher une pointe d'envie de les traverser.

Contrairement à leurs camarades, eux n'avaient personne qui les attendait à la maison, si tant est que le domaine des Gojo puisse même être considéré comme tel. Le cadet le gérait mieux que son aîné car sa vie passée l'avait depuis longtemps préparé à faire face à une vie solitaire sans personne pour s'occuper ou se soucier de lui, mais la douleur, bien que sourde, était toujours là...

Ils n'avaient pas de père. Leur mère et Akiko, la femme qui les avait aimés et traités comme ses propres fils, étaient toutes deux mortes. Quant à leur aïeul, celui-ci avait davantage été un instructeur qu'un quelconque parent.

« Qu'est-ce qui se passe ici ? » demanda une voix masculine d'un ton fatigué rappelant vaguement celui de Shoko.

La voix en question appartenait à un homme plus grand encore qu'Arashi ou Satoru qui tenait entre ses doigts une cigarette allumée. De sombres cheveux négligés et désordonnés allant jusqu'à ses épaules couvraient une bonne partie de son visage, ne laissant voir que partiellement son œil gauche – détail qui fit hausser presque imperceptiblement l'un des sourcils d'Arashi – sous lequel se trouvait un grain de beauté unique. Ses yeux arboraient la même nuance de brun miel que Shoko.

Vêtu d'un simple haut sombre à col en V et d'un pantalon, il paraissait encore plus décontracté que sa fille lors des escapades nocturnes qu'elle menait avec ses camarades au point que, aux yeux d'Arashi, seule la propreté de sa personne le distinguait d'un vagabond.

« Sho a ramené des amis à la maison. » répondit Mme Ieiri.

Arashi, Satoru, Geto et Utahime regardèrent tous leur camarade.

« Sho ? » l'interrogèrent-ils silencieusement.

« Sans commentaire. » dit-elle de son expression.

En tant que personnes polies et respectables, Geto et Utahime furent les premiers à se présenter.

« Je suis Suguru Geto. C'est un plaisir de vous rencontrer. »

« Je m'appelle Utahime Iori. Je viens de Kyoto. Je suis enchantée de faire votre connaissance, monsieur et madame Ieiri. »

Tous deux s'inclinèrent avec politesse.

« Je suis Arashi Gojo. Ravi de vous connaître. »

Alors que Satoru ouvrait la bouche, il fut brutalement interrompu par Shoko.

« Vous connaissez déjà le fameux Satoru Gojo. Fait étonnant, c'est un enfant immature à la dent sucrée. »

Mme Ieiri eut un petit rire, tandis que Satoru jeta un regard indigné à Shoko.

« Pourquoi tu m'as interrompu ? »

« Parce que tout le monde occulte sait qui tu es, et que tu es un gamin agaçant. »

Les joues gonflés d'agacement, il balança ses bras autour de son jumeau.

« Petit frère, personne ne m'aime. Console-moi ! »

D'un air irrité, Arashi étreignit d'un bras son frère tout en lui tapotant la tête, faisant ricaner Geto tandis que Utahime plaqua sa main sur son visage. Shoko, quant à elle, se tourna vers ses parents.

« Vous voyez ? »

« Je vois que tu as des amis amusants, ma chérie. » répondit Mme Ieiri.

Après cela, ils se retrouvèrent tous autour de la table, à parler principalement de leur temps passé à l'école et de la profession d'exorciste en elle-même. À un moment, Satoru parvint à s'engager dans un long dialogue avec Mr Ieiri durant lequel ils passèrent près d'un quart d'heure à se plaindre des dirigeants de la société occulte, sous les regards amusés de Mme Ieiri, Arashi et Geto. Shoko regardait la scène avec un mélange d'ennui et d'étonnement, ayant probablement un peu de mal à croire que le plus agaçant et le moins respectable de ses camarades de classe ait pu se lier si vite avec son père. De son côté, Utahime alternait entre le choc et une certaine indignation selon les propos tenus par les deux partis ; les jumeaux savaient que cela venait davantage de son éducation traditionnelle plutôt que d'un réel respect pour leurs aînés.

Arashi retint un ricanement à cette pensée.

Comme s'il était même possible d'avoir la moindre once de respect à l'égard de cette bande de réactionnaires séniles ?


Le premier jour, ils entreprirent une visite du village au cours de laquelle Shoko leur présenta, étonnamment sans grande réticence selon Satoru, les lieux marquants de son enfance, notamment son école élémentaire, le quai où elle avait autrefois l'habitude d'aller pêcher avec sa mère ainsi que le lieu où elle et son père se réunissaient pour partager une cigarette et admirer le coucher du soleil : une petite butte ornée d'arbres protégeant à la fois du vent et de la chaleur de laquelle l'on pouvait observer autant la mer que Ine.

Le deuxième fut consacré à une agréable promenade dans la forêt environnante jusqu'à atteindre la pointe hors de la baie. Le bruit des vagues s'écrasant contre la roche en contre-bas mêlée à la pureté et la fraîcheur de l'air eut un effet certain sur l'ensemble du groupe, en particulier Arashi que Satoru et Geto durent saisir par les bras et traîner en arrière pour apparemment l'empêcher de chuter de la falaise. Comme la promenade fut plus courte qu'ils ne l'avaient prévu, ils profitèrent du beau temps pour prendre une barque et aller naviguer dans la baie ; Arashi et Geto auraient trouvé la balade ennuyante, puisqu'ils se chargeaient de ramer, si Satoru n'était pas tombé à l'eau à force de se pencher par-dessus bord avec l'espoir d'observer un peu de vie marine. Ils crurent bien qu'Utahime allait s'étrangler à force de rire.

Le dernier, après le départ d'Utahime dont le congé fut moins long que le leur, ils profitèrent d'un dernier après-midi à se prélasser au soleil, à l'exception de Satoru et d'Arashi qui n'eurent de cesse d'alterner entre la fraîcheur de l'eau et l'ombre du parasol avant que le cadet ne décide qu'il était temps de rentrer pour se préparer.

Ils l'avaient tous regardé avec confusion, y compris Satoru, jusqu'à ce qu'ils soient retournés à la maison d'hôtes.

« C'est pour quoi ? » demanda Shoko en fixant avec un drôle de regard l'élégant yukata vert forestier à motifs floraux que lui tendait Arashi.

Elle ne semblait pas appréciée les vêtements traditionnels, mais elle ne pouvait rester insensible à la douceur du tissu et à la beauté de l'habit.

Il sortit de sa sacoche une boîte de feux d'artifice.

« Ce soir, nous irons à la plage de Honjohama voir le coucher du Soleil et nous y brûleront quelques uns de ses senkô hanabi. Je nous ai déjà préparés une boîte à bento chacun, et nous avons tous un yukata prêt. »

En effet, un instant plus tard, Satoru et Geto en tenaient chacun un soigneusement plié entre leurs mains, respectivement bleu ciel et jaune blé. Celui d'Arashi était quant à lui d'un beau noir ténébreux bordé de rouge sombre.

« Ce n'est pas que je sois contre, Arashi, mais où les as-tu trouvés ? » demanda Geto en inspectant le sien. « Ils m'ont l'air assez chers. »

« Radin comme tu es, ça m'étonnerait que tu aies dépensé ne serait-ce qu'un yen pour les acheter. » ajouta Satoru.

« Je jouais parfois à des jeux de hasard pendant mon temps libre avec mon clan. » répondit Arashi, ignorant la remarque, avant de sourire malicieusement d'une manière qui rappelait son frère. « Avant la rentrée, la plupart d'entre eux me devait au moins 80 000 yens. Je doute qu'ils oseront, un jour, lever mon interdiction de participer à leurs petites séances. »

Shoko étouffa un rire, tandis que Satoru gloussa avant de vanter les talents de son "super petit frère". Geto se contenta de le regarder, bouche bée, avant de sourire à son tour.

« Un génie depuis la naissance, surpuissant à dix ans, riche à quinze ans... » rit-il. « Tu es doué pour nous faire nous sentir inférieurs, Arashi. »

Ils éclatèrent tous de rire, Satoru s'appuyant même sur le mur pour ne pas tomber à genoux.

Soudain, une lourde et sombre présence se fit sentir, brisant leur moment. Chacun se tendit, la garde levée, la force occulte affluant dans tout leur corps, tandis qu'un pieu émergeait déjà de la main d'Arashi.

« Pas de panique. » dit Satoru en remettant ses lunettes en place, un air arrogant se dessinant sur son visage. « Ça m'a pas l'air d'être plus qu'un Classe Deux. »

« Pour un petit village comme Ine, c'est déjà impressionnant et même un peu inquiétant. » rétorqua Arashi. « Même si un fléau de ce niveau ne représente pas une menace pour l'un d'entre nous. »

« Il a dû se former en réponse adaptative à notre présence. » théorisa Shoko.

« C'est vrai qu'avec deux exorcistes de Classe S et un de Classe Un dans les parages, alors que le patelin ne voit généralement rien de plus que quelques Têtes de mouches, il fallait s'attendre à ce que ça arrive. » dit Geto.

Il soupira et posa son yukata sur son lit.

« Je vais m'en occuper. Ce n'est pas tous les jours que je peux utiliser mon sort sans avoir à me soucier de la barrière de Tengen. »

En raison de sa force occulte particulière et du fait que son sort, la Manipulation des Esprits, lui permettait d'absorber et de contrôler les fléaux qu'il dominait pour faire appel à eux au combat, la moindre utilisation de sa technique avait pour fâcheuse conséquence de déclencher l'alarme de l'école, car le Sanctuaire la protégeant et la dissimulant aux yeux des non-exorcistes empêchait en principe les fléaux de pénétrer dans l'enceinte. Pour cette raison, il lui était, sauf exception, interdit d'en faire usage à l'intérieur de l'école.

Non pas que Geto s'en préoccupait beaucoup lorsque lui et Satoru – ou parfois Arashi – se battaient, mais les corrections et les retenues que leur infligeait Yaga quand cela arrivait – un peu trop fréquemment à son goût – les incitaient certainement à limiter au minimum les duels.

« Je vais t'accompagner. » dit Arashi en posant également son yukata sur son propre lit. « Le nombre de fois où j'ai observé ton sort ou t'ai vu à l'œuvre est un peu trop faible, si tu veux mon avis ». Il se tourna vers son frère et leur amie. « Je vous suggère, surtout à toi Satoru, de prendre un de repos avant que nous nous mettions en route. Nous pourrons aussi venir te chercher chez tes parents, Shoko. Étant donné que nous repartons demain, je présume que tu voudrais passer encore un peu de temps avec eux. »

« Rendez-vous à 8 heures devant chez moi alors. » fit-elle en emportant son yukata.

Satoru s'écroula sur son lit, tandis qu'Arashi suivit Geto dehors.

La présence était forte, mais comparé aux monstres auxquels ils faisaient habituellement face, ce n'était pas grand-chose. Fidèle à sa nature vicieuse et lâche ainsi qu'à la culture populaire, le fléau se cachait dans une ruelle, sa sinistre énergie occulte la rendant si sombre que la lumière ne pouvait l'éclairer. Fort heureusement, il n'aurait pas l'occasion de faire la moindre victime.

« Amusons-nous un peu. » dit Arashi avec un sourire dangereux, levant sa main pour former un signe. « Sors des ténèbres, voile plus noir que la nuit. Et purifie cette souillure, source d'ennui. »

À peine l'incantation fut-elle prononcée qu'une matière sombre et visqueuse, ressemblant vaguement à un épais sang noir et huileux, se mit à couler depuis le ciel, formant en seulement quelques secondes un dôme d'un rayon d'environ cinquante mètres autour de la ruelle. Les couleurs vives de l'été disparurent, laissant place à une obscurité nocturne.

Contemplant le travail de son ami, Geto invoqua un de ses fléaux les moins puissants et l'obligea à s'attaquer à la surface du Rideau. Celui-ci fut alors repoussé de plusieurs mètres, ses grotesques mains griffues et visqueuses fumantes et semblant avoir été aspergées d'acide.

« Ta maîtrise des techniques de barrière m'impressionne toujours. »

« N'exagérons rien. N'importe quel imbécile est capable de dresser un Rideau. »

« Mais pas un aussi raffiné, sans aucune préparation, et se déployant aussi vite sans y intégrer de serment. »

C'était peut-être vrai. Sa maîtrise des talismans et des barrières dépassait potentiellement celle de tout autre exorciste actuel, à l'exception de Tengen, – béni soit son aïeul et les années de son ancienne vie consacrées à l'apprentissage de l'art des Uzumaki ayant facilité cela – mais Arashi fut néanmoins tenté de rouler des yeux.

L'apparition du fléau, désormais incapable de se cacher en raison du Rideau, l'en abstint.

La chose était une pure définition de la laideur et de l'horreur. Elle était grosse – à peu près de la taille d'un rhinocéros –, étrangement proportionnée, d'une affreuse couleur verdâtre avec un long rostre denté sur lequel s'alignait une double paire d'yeux jaunes et pourvue d'une demi-douzaine de tentacules noircis et hérissés d'épines. Une odeur putride se dégageait d'elle, semblable à celle d'un crustacé en décomposition. Elle émettait un épouvantable son guttural et aigu, qui fit grincer les oreilles d'Arashi.

Aucun doute, ce fléau était bel et bien né au bord de la mer.

Il émit un grognement de dégoût, tandis que sa force occulte affluait en lui.

« Je déteste danser avec ces abominations. »

« Imagine devoir les absorber. » ricana amèrement Geto.

Arashi enfila ses gants et, alors que la malédiction ambulante tournait son attention vers lui, l'estimant à juste titre être la menace la plus grande pour sa propre existence, disparut dans un flou de vitesse, laissant la chose sidérée.

Un rugissement de douleur et de colère lui échappa lorsque, une seconde plus tard, le Gojo réapparut au-dessus d'elle, enfonçant avec brutalité ses deux pieds sur le sommet de son corps, la faisant ployer sous sa force. Cependant, sa carapace la protégea efficacement de l'impact, et deux tentacules dansant tels des fouets se mirent à essayer furieusement de le frapper, bien qu'il n'eut aucun mal à esquiver.

« Plus solide que je m'y attendais » fit-il en réatterrissant aux côtés de Geto. « À ton tour, Suguru. »

Accompagné de plusieurs fléaux à l'apparence de scolopendres géants, le manipulateur chargea le céphalopode maudit, se faufilant avec une surprenante agilité entre ses tentacules et déchaînant ses créatures sur celui-ci. Il profita de la distraction provoquée par ses monstres pour porter plusieurs coups durs lui-même, mais la carapace refusa de céder.

La rage de la créature s'accrut alors que Geto continuait à la harceler de frappes qui, bien que ne lui infligeant aucune blessure, semblait lui causer une certaine douleur. Quant aux scolopendres, ceux-ci ne cessaient de mordre ses tentacules et d'en arracher des morceaux de chair qu'elle restaurait à l'aide de son énergie occulte, visiblement plus massive que sa supposée classification l'avait laissé entendre.

Poussant un cri sauvage, le Classe Deux replia ses tentacules sur lui-même avec tant de force que les deux adolescents furent surpris de ne pas le voir se blesser lui-même avant de resserrer son étreinte, puis de déplier avec un déchaînement d'énergie l'ensemble de ses membres.

Chaque fléau invoqué par Geto fut immédiatement déchiré sur le coup, tandis que le manipulateur en invoqua rapidement un autre pour encaisser le tentacule qui alla s'écraser sur lui. La plus grande partie de la puissance de l'attaque fut absorbée, mais le bouclier vivant céda et Geto fut projeté vers Arashi, une vilaine ecchymose se formant déjà sur sa joue et un filet de sang coulant de sa lèvre qu'il essuya d'un revers de manche.

Arashi empêcha son ami de s'écraser au sol, puis s'avança, abandonnant tout amusement.

Le Classe Deux remarqua le changement, et parut reculer de quelques pas, visiblement intimidé, mais la rage primitive – ou était-ce la faim insatiable des fléaux ? – refit rapidement surface et il balança l'un de ses tentacules vers Arashi.

Bien que l'attaque, s'il renforçait son corps au maximum ne lui causerait que des dommages mineurs qu'il pourrait guérir en un instant, il n'avait aucun intérêt à se laisser toucher, mais il n'en avait pas plus d'esquiver.

C'est alors que, sous les yeux de Geto, le tentacule monstrueux du fléau céphalopode traversa Arashi !

Il cligna des yeux, croyant d'abord que la bête avait raté son coup ou bien que la chaleur de l'été le faisait délirer, mais lorsque le phénomène se reproduisit une seconde fois, au choc évident du fléau, il comprit que ce qu'il avait vu n'était pas le produit de son imagination.

Désormais véritablement effrayé, le fléau abattit quatre de ses tentacules sur le Gojo. En réponse, Arashi se contenta de balancer sa main. Moins d'un instant plus tard, le fléau poussa un cri de douleur tandis que les deux tiers de ses membres retombèrent mollement sur le sol avec un bruit lourd, le peignant d'un épais sang violet. Ils avaient été tranchés, d'un simple mouvement de bras.

Geto observa ensuite avec fascination la carapace de la créature se tordre violemment à chaque endroit où le poing de son ami s'enfonçait. Finalement, se mouvant à une vitesse extrême, Arashi esquiva le dernier coup de tentacule et décrocha un puissant coup directement sur la face ventrale du fléau, la faisant exploser et déverser une quantité massive de sang répugnant.

Arashi s'extirpa de sous la créature avant que celle-ci ne s'effondre agonisante, l'entièreté de son corps, vêtements compris, vierge de toute trace de saleté.

« Maintenant que j'y pense, moi non plus, je ne connais pas très bien ton sort inné. » dit Geto en s'avançant vers le fléau vaincu.

En effet, à l'exception du sort d'inversion, de quelques barrières et des pieux métalliques que lui permettait de générer son énergie occulte aux propriétés étonnantes, il n'avait jamais observé Arashi utiliser d'autres techniques, pas même en mission.

« Bien que je sois prêt à parier qu'il s'agit d'un quelconque pouvoir de manipulation spatiale. »

Il tendit la main vers le fléau et, comme aspiré par une singularité gravitationnelle, celui-ci commença à se déchirer en une infinité de morceaux qui furent bientôt réunis dans la main de Geto sous la forme d'un petit orbe sombre.

« Tu n'es pas loin de la vérité. » répondit Arashi en levant deux doigts. « Je l'ai baptisée l'Autorité Céleste. Rupture ! »

Le Rideau s'évanouit, tandis que Geto rit au nom du sort.

« Quelle modestie. »

Arashi s'approcha ensuite pour contempler la sphère noire avec un grand intérêt, ses yeux pénétrants la dévorant et envoyant directement à son cerveau toute information qu'ils récoltaient.

« C'est fascinant... Tu utilises ta force occulte pour réduire celle du fléau que tu souhaite dompter à l'intérieur d'une zone sphérique, ce qui a pour effet de le faire se décomposer puisque son corps en est entièrement et purement constitué, puis tu l'absorbes par voie orale et la stocke avec la tienne avant de l'invoquer, reconstituant ainsi essentiellement le fléau désormais sous ton contrôle total. C'est pourquoi ta signature d'énergie est si particulière. »

« En gros, c'est ça oui. » dit Geto avec un sourire doux avant qu'une pointe de dégoût n'apparaisse dans son regard lorsque ses yeux se posèrent sur la sphère dans sa main.

« Je me demande quel goût peut bien avoir la chair de fléau. J'imagine que ça doit être assez désagréable. »

« Crois-moi, tu ne veux pas savoir. »

Et il porta la sphère à sa bouche, sentant déjà la nausée l'envahir en prévision de la sensation d'un torchon humide et souillé râpant sa langue et s'enfonçant dans sa gorge. Cependant, Arashi saisit fermement son poignet, stoppant son acte, et s'approcha avant de passer toute la longueur de sa propre langue sur la surface de la sphère, le laissant bouche bée.

Ce dernier s'écarta alors brusquement et toussa, son visage déformé par une expression de dégoût sans pareil, allant même jusqu'à cracher dans une poubelle à proximité.

« Merde, j'ai déjà mangé de la nourriture infecte, mais ça, c'est un autre niveau ! On dirait un mélange entre du vomi et de la chair putréfiée ! Plus jamais je ne me plaindrai de la cuisine de Satoru ! »

Geto rit légèrement à cette vue tandis qu'une étrange chaleur qui n'était pas l'effet des derniers rayons du Soleil caressant son visage naissait en lui. Il reposa son regard sur l'orbe dans sa main, et sentit immédiatement sa joie se tarir. L'essence même d'une entité maudite, un concentré de haine, de rage, de voracité, de tristesse, de douleur et de perversité, emprisonné entre ses doigts. La laideur humaine matérialisée. Cette couleur sombre et putride qui semblait infecter l'air et même l'environnement autour d'elle.

Sans même penser à sa propre aversion pour la Manipulation des Esprits, il avala la sphère, frissonnant lorsque l'horrible goût familier passa sur sa langue. C'était bien loin d'être le pire qu'il ait eu à absorber, mais il doutait de pouvoir un jour s'habituer au goût immonde des fléaux.

Curieusement, il ne ressentit, cette fois, aucune envie de vomir remonter les profondeurs de son gosier. Et l'étrange chaleur revint lorsqu'il vit Arashi sortir apparemment de nulle part une gourde et la lui tendre.

« Merci. » croassa-t-il avant de la porter à sa bouche, buvant avec avidité pour chasser les résidus de goût.

« Un simple Classe Deux... » marmonna Arashi en levant les yeux au ciel alors qu'ils se dirigeaient vers leur lieu d'hébergement.

Suguru ne put détacher son regard de son ami jusqu'à ce qu'ils soient de retour à la maison d'hôtes. Depuis si longtemps, il avait la certitude qu'il demeurerait à jamais le seul individu à connaître cette...

Il eut un rire léger, ayant encore un peu de mal à imaginer que Arashi, de nature si calme, réfléchi et pragmatique, doté d'une maîtrise de soi d'exception, ait pu avoir un tel moment d'impulsivité. Peut-être partageait-il plus de choses avec son frère qu'il ne le laissait paraître à première vue ?

« Il vous en a fallu du temps. » se moqua Satoru à leur entrée dans la chambre.

En réponse, il reçut un livre au visage qu'il arrêta simplement avec son Infini, à la frustration de son jumeau. Il avait appris à ne jamais plus baisser sa garde lorsqu'il taquinait de celui-ci, ne voulant pas aller en classe le lendemain avec des bosses comparables à celles que pouvaient infliger les poings de Yaga.


Comme convenu, à 8 heures précises, Shoko entendit des coups légers mais fermes à sa porte d'entrée.

Elle se regarda une dernière fois dans le miroir de sa chambre afin de s'assurer que chaque partie d'elle correspondait à la beauté de sa tenue. Elle doutait que même tous les vêtements qu'elle ait pu porter au cours de la dernière décennie réunis valent, sur le plan monétaire seulement, ce magnifique yukata.

D'ordinaire, elle ne souciait pas de son apparence tant que ses cheveux ne lui tombaient pas devant la figure et que son corps restait propre, mais exceptionnellement, pour faire plaisir à ces deux idiots à qui elle devait ce petit séjour chez elle dans sa famille, elle avait accepté de faire un effort et demandé de l'aide à sa mère.

C'est ainsi qu'elle se retrouva, les lèvres peintes d'un séduisant rouge vif – qui lui rappelait beaucoup trop les yeux d'Arashi –, une légère touche de maquillage mettant en valeur ce que sa mère appelait sa "beauté naturelle", une fleur de lys blanche comme la neige nichée dans ses cheveux coiffés en un élégant chignon, prête à faire face à ses amis tel qu'ils ne l'avaient encore jamais vue.

Elle savait qu'elle n'était pas laide ; beaucoup des prétendants repoussés par ses parents l'avaient souligné, mais jusqu'à ce soir, elle ne s'en était jamais particulièrement préoccupée.

Prenant une respiration, elle prit son sac kinchaku et alla ouvrir.

Hormis leurs tenues, Satoru et Suguru demeuraient inchangés. Seul Arashi paraissait un peu différent, avec sa longue chevelure blanche coiffée en une élégante queue de cheval, bien qu'il ait choisi de laisser détacher les deux mèches encadrant son visage. Son yukata, si c'était possible, semblait le rendre encore plus séduisant.

Comme Satoru, Arashi était assez beau et attrayant, même si sa personnalité froide et sa sombre réputation avaient tendance à le faire oublier.

Elle chassa cette pensée aussi vite qu'elle était venue, remarquant que chacun de ses camarades la regardait avec différents degrés de stupeur teintée d'admiration. Satoru avait baissé ses lunettes pour mieux la scruter, Suguru était figé, incapable de détourner ses yeux écarquillés d'elle, et la mâchoire d'Arashi presque ouverte.

Elle eut un sourire suffisant. Pour la première fois depuis qu'elle l'avait rencontré, et probablement depuis de longues années, Arashi Gojo resta sans voix. C'était étrangement satisfaisant.

« Qu'elle soit rentrée avant 11 heures ! » commanda Mr Ieiri avec sévérité en pointant un doigt vers les garçons. « Et pas de bizarrerie ! »

Shoko roula des yeux tandis que Mme Ieiri riait doucement. Une légère rougeur naquit sur les joues de Satoru et cela brisa l'apparente stupéfaction d'Arashi qui retrouva immédiatement son impassibilité habituelle.

« Ne vous inquiétez pas pour ça, vieil homme. » dit-il. « Il ne passera jamais rien tant que nous serons dans ce village. »

L'homme plus âgé s'avança, une lueur dangereuse apparaissant dans son regard.

« Amusez-vous bien. » les salua Mme Ieiri avant de fermer la porte, empêchant son mari d'entrer en conflit avec le Gojo aux yeux rouges.

« Tu n'aurais pas des pulsions suicidaires ? » lui demanda Shoko, remarquant à peine le léger tressaillement qui parcourut Satoru à l'interrogation.

« Non, aucune. Et puis, ce n'est pas comme si ton père représentait une menace pour moi. Sinon, tu es ravissante. »

« J'ai cru remarquer, vu la tête que vous faisiez quand je suis sortie. » marmonna-t-elle, faisant de son mieux pour ignorer le soupçon de chaleur naissant en elle.

Fort heureusement, l'ecchymose sur la joue de Geto dont les yeux ne cessaient de se tourner brièvement vers le jumeau cadet lui offrit la distraction parfaite. De toute évidence, il avait sous-estimé le Classe Deux...

Elle se dirigea vers lui, posa deux doigts sur sa joue rouge et gonflée et la guérit en quelques instants ; l'acte devenu un processus lui étant aussi naturel que le fait de respirer. Il la remercia, et elle se dirigea ensuite vers la voiture puis se figea avec confusion.

Le SUV de location n'était nulle part en vue. La plage de Honjohama ne se situait pas si loin de Ine, mais il fallait bien compter une dizaine de kilomètres de distance.

Ils n'allaient tout de même pas s'y rendre à pied ? Pas dans ses habits...

Comme pour répondre à cette question, un son grave et intense, et pourtant étrangement doux, si unique qu'elle doutait que n'importe quel appareil ou phénomène terrestre puisse le reproduire, se fit entendre. D'une manière si brève, si subite, qu'elle jura l'avoir imaginée.

Elle se retourna, et constata alors qu'elle était seule au milieu de la rue. Cependant, avant même qu'elle ne puisse y réfléchir davantage, la silhouette d'Arashi réapparut, semblant jaillir d'un vortex dans une distorsion de l'espace.

« Qu'est-ce que... »

Il souriait comme un loup.

« La Déformation. Une des techniques renforcées de mon sort inné. Je ne la maîtrise que depuis peu, le nombre de personnes que je peux transporter en plus de moi-même est donc encore très limité. »

« Tu veux dire que... tu te téléportes ? »

La mâchoire de Shoko semblait prête à se décrocher, accentuant l'amusement d'Arashi. Parvenir à l'impressionner était presque aussi rare qu'entendre Satoru parler en bien des supérieurs.

« C'est bien une forme de déplacement spatio-temporel et instantané, mais mon sort ne me permet pas de manipuler l'espace comme l'Infini de Satoru... Du moins, pas directement. »

Shoko lâcha un soupir fatigué.

« Autant j'adorerai t'entendre divaguer sur le fonctionnement de ta technique occulte, autant je ne suis vraiment pas d'humeur pour une conférence. »

« Dans ce cas... » commença-t-il sans perdre son sourire narquois en lui tendant sa main. « Allons-y. »

Avec un soupçon de nervosité, Shoko la prit dans la sienne, la serrant fermement. Elle entendit vaguement son ami marmonner une incantation et le vit former un signe de main.

Un instant plus tard, la Déformation se déclencha ; fidèle à son appellation, Shoko sentit son corps se tordre violemment, sans pour autant lui causer la moindre douleur, sous l'effet d'une force primordiale répondant à l'énergie occulte d'Arashi ; tout devint alors noir et une immense pression s'exerça sur l'ensemble de la surface son corps ; elle ne pouvait plus respirer, et eut durant moins d'un instant l'étrange sensation de flotter dans un vide absolu où même le son et la lumière n'existaient pas. Puis...

Elle put à nouveau respirer de longues bouffées d'air marin frais, et ouvrit les yeux – sans même s'être rendue compte qu'elle les avait fermés. Il lui fallut quelques secondes pour s'apercevoir que Ine avait disparu, et qu'elle et Arashi se trouvaient désormais sur la place de Honjohama ; le Soleil couchant à l'horizon beignant le ciel de ses lumières vives et chaleureuses, tandis que la mer s'agitait paisiblement face à eux.

Satoru et Geto se tenaient devant eux ; le premier se montrait ouvertement moqueur quant à son apparent malaise, et le second semblait se retenir de régurgiter les restes de son propre déjeuner.

Si seulement la situation aurait pu être inversée, pour effacer ce stupide sourire du visage effronté de Satoru...

Shoko remercia néanmoins son estomac de ne pas avoir été perturbé plus que cela par le voyage.

« Plus rapide que la voiture, c'est le moins qu'on puisse dire. »

« Proportionnellement et techniquement, nous avons même dépassé la lumière. » se vanta Arashi.

« Bon, on va manger oui ou non ? » s'impatienta Satoru.

Arashi leur tendit à chacun une boîte à bento personnalisée, et ils s'assirent sur le muret aménagé dans la roche pour dîner.

Elle soupira délicieusement dès la première bouchée, une véritable jouissance parcourant sa langue et son palais, et eut la certitude que Satoru et Geto partageaient ce ressenti ; il lui était des plus difficiles de déterminer qui, parmi sa mère et l'ami assis à sa gauche, avait la meilleure cuisine.

Une pensée intrusive lui vint, et les mots sortirent de sa bouche avant même qu'elle ne puisse les enregistrer.

« Je pense que je pourrais t'épouser, Arashi Gojo. » lâcha-t-elle. « Rien que pour ta cuisine. »

Elle entendit deux halètements choqués venant de sa gauche, lui faisant prendre conscience de l'énormité de sa déclaration.

Satoru s'était figé, ses yeux aussi larges que des soucoupes, une boulette de poulpe coincée entre ses baguettes à moitié enfoncée dans sa bouche béante. Geto avait carrément fait tomber les siennes dans son plat, et la fixait d'une drôle de manière, lui donnant presque l'impression qu'elle venait de prononcer une injure à l'égard de ses parents. Imperturbable, Arashi se tourna vers elle, la regardant comme si elle venait simplement de lui demander l'heure.

« Je suis flatté, Mrs Ieiri, mais je doute de pouvoir partager ma vie avec une femme qui n'aime que ma cuisine. »

Elle fut alors tiraillée entre le fait de rire ou de rétorquer quelque chose comme : « Qui a dit que je n'aimais que ta cuisine ? », mais choisit la première option à la vue des visages de leurs camarades.

Après que les derniers rayons de lumière eurent disparu à l'horizon, ne laissant qu'une vague couleur orangée semblant sur le point d'être engloutie par le bleu sombre qui annonçait l'arrivée prochaine de la nuit, Arashi se leva, les débarrassa de leurs boîtes et, usant d'une nouvelle application de son Autorité Céleste, invoqua celle qui contenait les feux d'artifice.

Celle-ci parut se matérialiser dans un flou directement entre ses longs doigts pâles.

« Comment tu fais ça ? » demanda Shoko.

Il s'agissait de la deuxième démonstration du sort inné d'Arashi, qu'il n'avait pratiquement jamais utilisé depuis leur rentrée, ou au moins jamais devant l'un d'entre eux. Sa curiosité prenait le dessus.

« Disons simplement que j'ai accès à une sacoche magique à la capacité d'entreposage essentiellement infinie qui me permet de transporter à peu près tout ce je souhaite, sans avoir à porter quoi que ce soit. Un peu comme un esprit maudit de stockage. »

Voyant le regard que lui lançait Satoru, Arashi s'empressa d'ajouter : « Ce n'est pas la peine d'y penser, Satoru. »

Pour une fois, il ignora la moue suppliante de son jumeau et leur donna un bâton à chacun. Shoko sortit ensuite son briquet de son petit sac et l'utilisa pour allumer chaque bâton.

Une petite boule de feu naquit alors à l'extrémité des tiges qui ne tarda pas à éclater, laissant jaillir un long flux crépitant de puissantes étincelles dorées comme de l'or qui illuminèrent leurs visages souriants. Satoru s'empara d'un second bâton et l'enflamma également avant de se mettre à tournoyer tout en les agitant comme s'il s'agissait de baguettes magiques, faisant rire Shoko et Geto.

La vue de ces trois personnes rayonnant de joie, baignant dans cette douce lueur, de leur énergie dansant autour de leurs silhouettes, emplit Arashi de la plus agréable des chaleurs. Inconsciemment, ses lèvres s'étirèrent et il sentit une étrange sensation d'humidité dans son œil gauche. En passant un doigt dessus, il vit qu'il s'agissait d'une larme. Une larme de bonheur.

Même dans sa vie passée, il ne se souvenait pas avoir jamais connu un tel sentiment.

« Nous devrions aller au festival le mois prochain. » intervint Geto.

« Quelle bonne idée ! » se réjouit Satoru, sautant presque de joie. « On pourra rafler tous les lots de chaque stand, voir le feu d'artifice et manger toute la nourriture qu'on voudra ! »

« Et vous pensez que le proviseur nous permettra d'y aller ? » demanda Shoko avec un certain pessimisme.

Arashi s'approcha davantage, en profitant pour allumer un autre bâton avant de l'amener à hauteur de son visage. Il eut alors un sourire empreint d'amusement.

« Depuis quand laissons-nous le règlement et les ordres de quelques vieilles momies dicter nos choix et notre conduite ? »

Ils approuvèrent cela en riant, et bientôt, animés par ce qui ne pouvait être décrit comme autre chose que la folle passion de la jeunesse, avant qu'Arashi ne puisse même sans rendre compte, Shoko lui avait empoigné la main et le conduisait sur le sable dans une danse bâclée, ce qui paraissait grâcieux en comparaison des mouvements grotesques de Satoru et Geto dont l'objectif semblait être de s'écraser mutuellement les pieds.

Arashi jurait cependant voir un soupçon de rougeur sur les joues de son ami depuis que ses mains étaient entrelacées avec celles de son jumeau.

Près d'un quart d'heure plus tard, fatigué de se laisser diriger, il serra fermement la main de Shoko avant de l'attirer brusquement à lui pour poser l'autre sur sa taille. Sa camarade se figea de surprise, haletante, une rougeur d'embarras à peine perceptible colorant ses joues au point que seule sa vision surnaturelle lui permit de la discerner, son regard plongé dans le sien. Il pouvait voir le reflet de ses yeux écarlates dans les siens, et sentir son souffle chaud dans son cou tant ils étaient proches.

Son cœur se mit à pulser plus vite.

« Vous voulez une chambre tous les deux ? » se moqua Satoru, sa voix retentissant comme un marteau brisant une vitre.

La chaleur disparut instantanément, remplacée par une pure irritation qui se manifesta par une légère intention meurtrière dirigée contre son jumeau.

Lentement, il se détacha de Shoko qui lançait son propre regard noir à Satoru et s'élança vers ce dernier qui, réalisant la menace, s'empressa de prendre ses jambes à son cou, fuyant son cadet qui était bien décidé à le jeter à l'eau.

« Viens ici tout de suite, Satoru ! »

Il n'obtint qu'un cri terrifié en réponse.

Face à cette scène, Shoko alluma une cigarette et sortit son téléphone portable pour enregistrer l'évènement, tandis que Geto se contentait de rire, pariant déjà sur le temps qu'il faudrait à Arashi pour mettre la main sur son frère.

C'était définitivement une belle soirée...


Le lendemain, peu avant leur départ, alors qu'ils rendaient une dernière visite aux Ieiri, Arashi fut pris à part par l'homme plus âgé.

Mr Ieiri écrasa sa cigarette, ce que Arashi, à force de côtoyer Shoko, savait désormais être un signe que la conversation suivante serait particulièrement sérieuse. Son amie ressemblait peut-être à sa mère, mais elle était bien la fille de son père.

« Vous vouliez me parler ? »

« En effet, gamin. »

Arashi se retint de rouler des yeux, irrité d'être traité de "gamin".

« De quoi ? »

« Je vais être direct ; savoir que ma fille fréquente une école qui est associée à votre monde est quelque chose qui me fait chier et me fout la boule au ventre, surtout quand on sait à quoi ressemble les pontes de votre école et les puissants de votre communauté qui est, en toute franchise, très douteuse humainement et moralement parlant. »

« Croyez-moi, j'en sais quelque chose. Et donc, qu'attendez-vous de moi ? »

« J'aimerais que tu me promettes de veiller sur ma fille. »

Arashi fronça les sourcils.

« Shoko est forte. Elle sait se défendre. »

Mr Ieiri soupira.

« Je n'en doute pas. Elle tient de sa mère. » dit-il avant de poser ses deux mains sur les épaules d'Arashi. « Mais je sais aussi qu'elle est loin d'être au sommet de votre monde, et que tous les salauds que nous avons tenus éloignés d'elle n'accepteront pas qu'une "simple femme sans nom" leur dise non. Je sais comment les Grandes Familles traitent et considèrent les femmes, et comment ils voient les gens normaux comme moi et les exorcistes nés de parents non-sorciers. En tant que père, ça devrait être à moi de la protéger de tout ça, mais... »

Arashi se surprit à poser sa propre main sur celle de l'homme plus âgé dans l'intention de lui manifester de la sympathie, mais une part de lui partageait son sentiment et son ressenti. En conséquence, il choisit d'ignorer son propre étonnement.

« Je comprends. Néanmoins, j'admets ne pas saisir pour quelle raison vous demandez ça à moi ? »

Cette fois, Mr Ieiri le regarda comme s'il était un idiot, l'incitant à retirer sa main et à se détacher de l'homme.

« Shoko n'a jamais été à l'aise avec les étrangers, pas avec ce qu'elle a dû traverser depuis que son pouvoir s'est manifesté. Elle sait le dissimuler, mais je l'ai vu ; elle te fait confiance, même si elle dit parfois que tu es déprimant et intimidant. Elle se sent en sécurité avec toi. »

Arashi chercha immédiatement un contre-argument, mais même une analyse des souvenirs de ses interactions avec sa camarade ne put lui en apporter un. De la même manière que Satoru et Geto semblaient graviter l'un autour de l'autre, que ce soit en mission ou lors de leurs escapades, Shoko était toujours plus proche de lui que de ces derniers. Une vision de la nuit précédente et du trajet qui les avait amenés à Ine surgit dans son esprit, l'obligeant à abandonner sa réflexion.

« Garde simplement les vieux pervers et tous les connards de votre monde loin d'elle. C'est tout ce que je te demande, gamin. S'il te plaît. »

Arashi regarda Mr Ieiri encore quelques instants, voyant clairement dans ses yeux ce qui ne pouvait être apparenté à autre chose que de la détresse. Son ton paraissait également bien plus suppliant qu'impératif.

Finalement, il choisit de dire :

« Shoko fait partie des rares vies sur cette planète à avoir de la valeur à mes yeux. Comme pour mon frère, je détruirai quiconque osera la menacer. »

L'homme poussa un soupir qu'il semblait retenir depuis de longues minutes.

« Merci, gamin. »

Et Arashi s'éloigna sans un mot de plus, saluant Mme Ieiri au passage, avant de prendre place sur le siège conducteur.

Alors qu'ils quittaient le village, Shoko se tourna vers lui avec un air curieux.

« Qu'est-ce que mon paternel te voulait ? »

Satoru et Geto mirent sur pause leur discussion pour tendre l'oreille, le regardant avec attente.

Il lâcha un léger soupir, espérant qu'elle ne s'en serait pas souciée, puis avec un air de sérieux absolu, répondit : « M'avertir de rester loin de toi. »

Les deux idiots à l'arrière se mirent à ricaner, tandis que Shoko haussait un sourcil, peu convaincue.

« Il trouvait que mes yeux se posaient un peu trop sur toi. »

« Comme si tu t'intéressais aux filles... » se moqua Satoru avant de retourner à son débat avec Geto sur les raisons pour lesquelles Waka Inoue était la meilleure idole du pays, indifférent au regard ennuyé que lui lançait son jumeau à travers le rétroviseur.

Le trajet leur parut à chacun atrocement court. Bientôt, ils furent à Tokyo, et alors qu'ils se dirigeaient vers l'assistant envoyé pour les récupérer, ce dernier reçut un message les sommant de se rendre immédiatement dans un immeuble abandonné de Roppongi pour procéder à l'exorcisation d'un fléau de Classe Un.

Satoru accusa immédiatement les supérieurs de chercher à les surcharger de travail pour les punir d'avoir osé prendre quelques jours de repos, et personne ne chercha à le contredire.

La profession d'exorciste était vraiment un métier ingrat, mais... C'était aussi la voie qu'ils avaient choisie.