S'il y avait une chose à laquelle Arashi ne s'attendait pas en se levant à 6 heures en cette froide journée de novembre, c'était bien de voir Satoru et Geto parfaitement éveillés et habillés, comme s'il était déjà midi. Au cours de l'ensemble des sept derniers mois, jamais il n'avait vu un seul d'entre eux être levé avant 7 heures, pour les jours de cours, et 10 heures quand Yaga leur accordait un congé.

En tant qu'exorcistes, bien qu'ils ne soient encore que des étudiants, leur travail ne connaissait aucun répit ; ils n'avaient pas de vacances scolaires comme les autres lycéens, et même leurs congés pouvaient être abrégés, voire carrément annulés en certaines circonstances – encore plus pour Arashi et Satoru qui étaient les seuls exorcistes de Classe Spéciale dont disposait le Haut Commandement pour exécuter des missions de haut rang.

Les deux enfants à problèmes, les bras chargés d'objets colorés de décoration bon marché, de chapeaux pointus et d'une écharpe sur laquelle il était écrit : "Birthday Girl", ainsi que de plusieurs sacs, souriaient de manière espiègle en se dirigeant vers leur salle de classe.

« Puis-je savoir ce que vous êtes entrain de fabriquer, vous deux ? » les interpella-t-il, les bras croisés.

À son étonnement, Satoru n'afficha pas son habituel air souriant et transpirant d'avoir été surpris en flagrant délit – même s'il savait que lorsque son jumeau le prenait la main dans le sac, il était plus que probable que ce dernier se joigne à lui ou le laisse faire plutôt que de le réprimander et de le corriger. Au contraire, son sourire sembla s'élargir, accroissant la suspicion d'Arashi.

« On prépare une petite fête d'anniversaire surprise, pour Shoko. »

« Yaga-sensei a donné son accord. » ajouta Geto.

Ils se regardèrent mutuellement avant qu'une teinte plutôt malicieuse n'apparaisse dans leur sourire.

« Et on comptait venir de demander de faire le gâteau. » dit Satoru, très fier et content de lui-même. « Tout le monde sait que tu es le meilleur d'entre nous, en classe comme en cuisine. »

Ce n'était en aucun cas incorrect, mais cela n'empêcha Arashi de hausser un sourcil.

« Abstraction faîte du fait que vous me demandez de préparer un gâteau pour l'heure à laquelle les cours débutent, soit 8 heures, en sachant qu'il est déjà 6 heures passées et que je n'ai toujours pas commencé ma séance d'entraînement matinal, je crois me souvenir que Shoko apprécie presque autant les sucreries que Suguru d'absorber des fléaux. »

« Mais il nous faut un gâteau pour que ce soit une vraie fête ! » protesta Satoru tel un enfant, faisant glousser Geto, avant de pointer un doigt accusateur vers son frère. « En plus, tu lui as rien acheté ! »

Voyant que son jumeau restait indifférent, le porteur du Sixième Œil prépara son arme ultime, plus puissante encore que les sorts renforcés de l'Infini auxquels il n'avait pas encore accès. La seule qui pouvait se frayer un chemin dans l'unique faille de l'armure inviolable de son frère.

Il lui adressa sa moue la plus innocente et s'assura de donner à ses yeux bleu vif leur éclat le plus brillant.

Arashi leva les yeux au ciel avec exaspération avant de marmonner un simple : « Très bien. Je suppose que je pourrais exceptionnellement abréger mon temps d'entraînement. »

Satoru et Geto cognèrent leurs poings l'un contre l'autre en signe de victoire avant que le premier ne se jette sur son jumeau pour l'enlacer avec force, non sans décharger tout ce qu'il tenait dans ses bras sur son meilleur ami. Arashi soupira, mais ne fit rien pour se dégager, tapotant même l'arrière de la tête de son frère avec affection.

Derrière Satoru, malgré son masque souriant, une aura de colère émanait de Geto alors qu'il retrouvait son équilibre.


Shoko ne pouvait s'empêcher de jeter des regards méfiants tout autour d'elle alors qu'elle se dirigeait vers la salle de classe. Les couloirs, et même le campus dans son ensemble, étaient inhabituellement calmes, comme si les deux idiots et l'asocial qui lui servaient de camarades et d'amis avaient déserté les lieux. Elle n'avait pas croisé son professeur non plus.

C'était pour le moins... anormal.

Préférant ne pas s'en soucier, elle chassa ces pensées et poussa la porte ; ce qu'elle vit en entrant la fit se figer d'incrédulité, bien que son visage resta aussi inexpressif que l'expression habituelle d'Arashi.

En parlant du porteur des Yeux de Samsâra, il se tenait au centre de la pièce, qui semblait avoir été aménagée pour une occasion spéciale, occupé à allumer des bougies sur un appétissant gâteau recouvert d'un glaçage aussi blanc que ses cheveux auquel il manquait déjà une part. Des guirlandes de fanions multicolores avaient été accrochées aux fenêtres et au tableau noir, sur lequel figurait plusieurs dessins grossiers ainsi que l'inscription suivante :

JOYEUX ANNIVERSAIRE SHOKO !

Leurs tables avaient été poussées les unes contre les autres pour n'en former qu'une seule. Une multitude d'encas salés et de boissons, dont une bouteille de vin et une autre de saké qui semblaient de haute qualité et particulièrement chères, ornait également ladite table.

Les sourcils froncés de concentration, Arashi continua sa tâche sans manifester de signe indiquant qu'il avait remarqué son arrivée.

Son idiot de frère jumeau, – des miettes aux coins de la bouche (preuve irréfutable de sa culpabilité quant à la disparition de la première part de gâteau) et une grosse bosse encore fumante sur le crâne – accompagné de son fidèle complice, des airs faussement sérieux sur leurs visages, se dressaient face à elle, l'un brandissant une écharpe rose sur laquelle il était écrit : "Birthday Girl" et l'autre un chapeau pointu ainsi qu'une paire de lunettes extravagantes.

Shoko n'était vraiment pas d'humeur à supporter leurs pitreries, et encore moins à y prendre part. Elle ne s'était pas levée du meilleur pied aujourd'hui ; d'abord à cause de la désagréable nuit qu'elle avait passée – le siphon du lavabo de sa salle de bain s'était mis à fuir au beau milieu de la soirée, laissant la pièce essentiellement inondée et la contraignant à aller réveiller l'un des concierges pour qu'il vienne le changer tandis qu'elle se chargeait de nettoyer les dégâts, ses camarades étant indisponibles sur le moment pour des raisons qu'elle préférait ne pas savoir. Autant dire que son temps de sommeil s'en était trouvé réduit...

Ensuite, il y avait eu l'affaire de sa brosse à dents : celle-ci s'était brisée en deux alors qu'elle s'en servait, la laissant avec une vilaine égratignure sur la lèvre inférieure, comme si quelqu'un l'avait mordue. Rien qu'elle ne pouvait guérir à l'aide de son sort d'inversion, mais cela n'avait certainement pas arrangé son humeur. De plus, alors qu'elle s'apprêtait à allumer une cigarette dans l'intention de soulager, ne serait-ce qu'un peu, sa frustration croissante avant de commencer la journée, elle s'était aperçue que son briquet avait disparu.

Et enfin, aujourd'hui était son anniversaire. Ce n'était pas un jour qu'elle détestait particulièrement, mais au cours de la dernière décennie, elle avait néanmoins appris à cesser de l'apprécier. Chacun d'eux, du jour de ses cinq ans jusqu'à celui de ses quinze ans, avait été gâché d'une manière ou d'une autre par les prétendants des clans Zenin et Kamo ainsi que ceux recommandés par le Haut Commandement ; quand ils ne se présentaient pas directement à la porte de ses parents pour exiger qu'elle soit mariée à l'un d'eux ou à un de leurs fils qui les accompagnaient parfois, ils envoyaient des lettres décrivant tous les avantages dont elle pourrait bénéficier en tant qu'épouse avec des présents chers et luxueux. L'intention était claire : ils cherchaient à les soudoyer elle et ses parents. D'autres, moins courtois et qui ne supportaient visiblement pas qu'une exorciste sans clan et un civil les défient, n'hésitaient pas à menacer et insulter sa famille.

Fort heureusement, ni sa vie ni celle de ses parents n'avait jamais été en danger. Néanmoins, cela ne l'empêchait pas de garder un souvenir très désagréable du jour de son anniversaire. Et voilà qu'une fête avait secrètement été organisée en son honneur, comme si la raison pour laquelle elle ne leur avait jamais rien dit à ce sujet n'était pas évidente, du moins pour les deux plus intelligents de ses camarades...

Stupéfaite et agacée, elle ne put que dire deux choses :

« D'abord, comment vous l'avez su ? Et ensuite, c'est quoi, ce bordel ? »

« Hier matin, Yaga nous a demandé d'aller déposer des papiers dans son bureau. » initia Geto.

« On en a profité pour fouiller un peu dans les dossiers, et on a trouvé la date de ton anniversaire. » compléta Satoru.

« Et cette idée leur est venue. » ajouta Arashi en allumant la dernière bougie.

Bien entendu, fut-elle tentée de marmonner. Elle savait qu'Arashi n'en ferait jamais autant, à moins qu'il ne soit certain que la personne apprécierait et espérerait. Le connaissant, il se serait contenté d'un simple « Bon anniversaire », et d'un paquet de cigarettes de sa marque favorite ou bien d'une bouteille de saké. D'ailleurs, pour préparer un gâteau comme celui qui trônait sur la table, il avait certainement dû écourter sa séance d'entraînement du matin, sous l'insistance de son jumeau qui demeurait la seule personne à pouvoir réellement le faire céder.

Elle soupira intérieurement, une part d'elle se sentant plutôt désolée qu'il doive se soumettre aux caprices de son frère en son nom.

Satoru et Geto continuaient de la regarder avec attente.

Elle poussa un nouveau soupir, ennuyée par leurs âneries mais acceptant néanmoins son sort. Elle n'était pas suffisamment insensible pour ne montrer aucune reconnaissance envers eux après le temps et l'argent qu'ils avaient consacré à essayer de rendre cette journée formidable pour elle.

Les deux Plus Forts, comme ils étaient considérés – même si ni l'un ni l'autre n'avait encore réussi à battre Arashi en combat singulier –, la revêtirent de ses atours de fête, puis l'invitèrent à s'asseoir tels de vrais gentlemen avant de lui tendre une cigarette de sa marque préférée que Satoru se chargea d'allumer à l'aide d'un briquet flambant neuf. Elle en tira une bouffée, savourant le goût de la fumée aromatique et l'effet apaisant qu'elle procurait avec un grand plaisir, tandis qu'Arashi lui tendait une coupe que Geto se chargea de remplir de vin.

Puis, bien que ce fût avec une certaine réticence de la part d'Arashi, ils se mirent à chanter avec une horrible imitation de l'accent anglais : « Happy birthday to you, Happy birthday, dear Shoko ! »

Elle sourit doucement, malgré elle. Ils étaient peut-être bruyants et agaçants – dans le cas de Satoru et de Geto – ainsi que froids et cyniques – dans le cas d'Arashi –, mais ils étaient certainement des amis qu'elle était contente d'avoir.

Sa mauvaise humeur disparut progressivement alors qu'elle prenait sa première gorgée de vin, et commença à profiter de leur attention. Arashi, s'étant probablement rendu compte de son état émotionnel, alla se positionner derrière elle puis se mit à lui masser les épaules avec une habilité digne d'un être quasi divin. Comment quelqu'un d'aussi froid et dur, capable d'une violence extrême, dont le toucher en avait déjà tué plusieurs, pouvait-il être si doux ?

Elle ferma les yeux, et soupira lourdement avant de finalement choisir d'admettre silencieusement que cette journée n'était pas si mal.

Car en dépit de l'absence de ses parents, de son aspect plutôt extravagant et en parfaite violation avec le règlement de l'école, cette fête était assez agréable... Ou plutôt le fut jusqu'à ce que Yaga débarque pour lui offrir son propre cadeau et voit l'ampleur du mépris qu'ils avaient visiblement tous pour le règlement, avec elle fumant à l'intérieur de la salle de classe, Arashi buvant une coupe de saké, Geto remplissant un deuxième verre de vin et Satoru étant probablement l'acheteur de tout ce qu'il y avait d'interdit sur la table.

Durant quelques instants, professeur et élèves étaient tous restés immobiles, se fixant mutuellement. Le temps lui-même sembla figé, avant que les traits de Yaga ne se durcissent dans un grognement, et qu'il ne s'avance vers eux.

Pour tout cela, chacun eut droit à une frappe puissante du marionnettiste occulte sur la tête – sauf Shoko puisque aujourd'hui était le jour de son anniversaire, à l'indignation de Satoru –, ce qui valut aux trois garçons une bosse douloureuse chacun – soit un total de deux pour le porteur du Sixième Œil –, et à un long et intense discours moralisateur durant lequel ils furent tous les quatre contraints de rester assis en seiza pendant que Yaga énumérait les nombreux dangers de la consommation d'alcool et de tabac et chaque argument possible et imaginable sur la légitimité de son interdiction aux mineurs.


Après ce petit incident, la journée reprit son cours habituel, bien que exceptionnellement aucune mission ne leur fut attribuée. Ils purent ainsi profiter d'un peu de temps libre après une énième conférence de leur professeur sur l'histoire des Grandes Familles.

Au passage, lui-même ne paraissait donner ce cours que par pure obligation.

Shoko choisit de se rendre en ville avec l'un des assistants en guise d'accompagnateur, tandis que Geto alla à la bibliothèque pour terminer son devoir sur les serments et les conditions ainsi que les différentes manières de les mettre en pratique durant un combat.

Une tâche à première vue pénible et particulièrement ennuyante, selon Satoru, mais qui, Arashi le savait, avait néanmoins son importance. Face à un adversaire supérieur ou égal en terme de puissance pure, la ruse et l'ingéniosité étaient la clé de la victoire ; et les avantages qu'il était possible d'acquérir en réalisant un serment ou en s'imposant une contrainte ne devaient pas être négligés.

De son côté, Arashi feuilletait les dernières pages de son nouveau livre intitulé L'Attrape-cœurs commencé la veille, adossé contre un arbre, tandis que Satoru se prélassait à ses côtés, à moitié endormi sur son épaule, son estomac occupé à digérer la demi-douzaine de parts de gâteau dont il s'était régalée.

Soudain, une voix forte emplie d'assurance s'adressa à eux.

« Vous deux, vous êtes bien Arashi et Satoru Gojo ? »

Arashi se figea, mais ne détacha pas immédiatement les yeux de son roman. La voix, qui appartenait clairement à une femme, était le premier signe ayant annoncé la présence de cet interlocuteur. Il ne l'avait pas entendue, ni détecter sa présence, en dépit de l'immensité de sa force occulte ; bien moins importante que la sienne ou même celle de Satoru, mais néanmoins plus massive que celle de Geto.

Qui qu'elle soit, elle était certainement une combattante puissante et aguerrie, pour parvenir à tromper sa vigilance, même si celle-ci était relâchée.

Dissimulant sa méfiance derrière son habituel masque de stoïcisme née de la discipline qui lui avait été inculpée depuis qu'il était en âge de marcher, il releva la tête pour examiner la femme.

Elle paraissait à peine plus âgée que lui, semblant avoir dans la vingtaine. D'une silhouette grande et élancée, avec de longs cheveux blonds lui descendant jusqu'à la taille, elle les scrutait de ses yeux marrons, un sourire de confiance pure s'étendant sur son visage. Elle ressemblait à un motard, avec sa sombre veste en cuir, son jean moulant et ses bottes.

« Qui demande ? » fit Satoru avec ennui en s'étirant.

« Je m'appelle Yuki Tsukumo, exorciste de Classe S. » répondit-elle toujours souriante. « Je voulais savoir à quoi ressemblait mes deux nouveaux collègues. Vous avez déjà entendu parler de moi ? »

Aucun des jumeaux n'était impressionné.

« Oui. »

Elle parut alors très enthousiaste.

« Mais seulement de la bouche des supérieurs, » ajouta Arashi avec mépris avant que Tsukumo ne puisse reprendre, « ce qui, me concernant, a encore moins d'utilité qu'une batte en bois dans l'exorcisation d'un Classe Un. »

Le sourire de Tsukumo s'agrandit.

« Tu me plais bien, toi. Dîtes-moi, tous les deux, quel est votre type de fille ? »

Les lunettes de Satoru glissèrent de son nez, et il pencha la tête avec confusion. Arashi regarda la femme, certain d'avoir mal compris.

« Pardon ? »

« "Dis-moi ce que tu aimes, je te dirai qui tu es.", c'est ma devise personnelle. Ne réfléchissez pas trop, je cherche simplement à savoir à qui j'ai à faire. »

Satoru se leva, et remonta ses lunettes, un sourire coquin se dessinant sur ses lèvres.

« Dans mon cas, c'est pas bien compliqué. J'aime une fille quand elle a les cheveux longs et sombres, porte des vêtements traditionnels, est douée avec les enfants, et a envie de me botter les fesses à chaque fois qu'elle me voit. » conclut-il avec un air rêveur.

Arashi leva les yeux au ciel à la réponse de son frère, excédé au-delà de toute compréhension. Celui-ci ne réalisait pas la chance qu'il avait que Shoko et Geto ne soient pas là pour l'entendre.

« Tu aurais tout aussi bien pu donner directement son nom, imbécile. »

« Voilà un homme intéressant... » commenta Yuki avec amusement avant de se tourner vers Arashi. « Et toi, Ombre de l'Honoré ? »

« Moi ? » fit-il avec une incompréhension sincère.

Non pas qu'il n'ait, en tant qu'ancien chef et plus grand guerrier du clan Uchiwa, jamais eu l'occasion de s'adonner aux plaisirs de la chair, mais ceux-ci ne l'avaient en aucun cas intéressé, quel que soit la jouissance passagère qu'il ait pu en tirer. Et en tant que membre du clan Gojo, peu importe le nombre de ses admiratrices ou le fait qu'il ait des années durant côtoyé plusieurs femmes séduisantes, il n'y avait tout simplement jamais pensé. Satoru, sa formation, sa passion pour le dessin et ses livres avaient toujours occupé l'entièreté de son temps et de ses pensées.

A l'exception de sa mère, d'Akiko, de Tomoe, d'Utahime et de Shoko, il ne connaissait même aucune représentante de la gent féminine. Quel genre de réponse allait-il bien pouvoir offrir à Tsukumo qui, il le sentait, ne le laisserait pas tranquille avant qu'il n'ait répondu à sa question ?

« Ça peut aussi être ton genre d'homme, si c'est ce qui t'attire. » ajouta-t-elle.

« Bon courage pour le faire parler. » se moqua son jumeau.

« Tais-toi, Satoru. »

Il se surprit à réellement réfléchir. En tant que shinobi, le sexe comptait parmi les dernières choses qu'il voyait chez une personne, alors qu'est-ce qui l'attirait en premier lieu lorsqu'il posait les yeux sur un individu ? La force ? Indéniablement. L'intelligence ? Certainement. L'étendue de sa polyvalence ? Plus rare mais toujours marquant. Ce que il ou elle pouvait lui apporter et son potentiel en tant qu'outil ?

Il se réprimanda silencieusement avec colère. Cette recherche en particulier se limitait aux personnes pour qui il n'avait aucun attachement sentimental et ne ressentait rien, à part potentiellement du mépris, comme les membres de son clan qu'il dépouillait de leur argent lors des soirées de jeux de hasard.

Finalement, il choisit de se contenter des qualités et traits qu'il appréciait chez les quelques femmes qu'il avait connues dans cette vie.

« Je dirais que j'apprécie les femmes intelligentes, fortes et insoumises, qui savent se montrer impitoyables envers leurs ennemis, mais qui sont aussi douces et attentionnées avec leurs proches. »

Tsukumo parut pensive.

« À la fois banal et inhabituel... Tu m'as l'air d'un homme palpitant, mais j'ai entendu quelque part que tu portais des gants en mission pour ne pas te salir les mains, et ça, c'est un signe que tu es au moins en partie barbant et coincé. De plus, tu ne penses clairement pas aux filles. Cependant, pour un membre d'un Grand Clan, tu restes un spécimen peu commun. »

Il plissa froidement les yeux.

« Ne vous avisez pas de m'associer à ces vermines. »

Le sourire de Tsukumo prit une teinte malicieuse, et elle se pencha légèrement en arrière tout en levant le menton, une lueur dangereuse naissant dans son regard.

« Ou quoi ? »

En réponse, Arashi se leva à son tour, et plongea son regard dans celui de la femme plus âgée, toute chaleur disparaissant de ses yeux écarlates qui se mirent à briller de toute leur incommensurable puissance.

La confiance et l'audace de Tsukumo vacillèrent instantanément. Elle se tendit, abandonnant sa posture nonchalante. Même son sourire faiblit.

Dire qu'il lui inspirait de la peur serait sans doute exagéré, étant d'ailleurs probable qu'elle soit, pour le moment, plus forte que lui, mais son instinct ne pouvait nier la menace qu'il représentait ni ignorer les marques de noirceur cachées au tréfond de son être, même si sa conscience était incapable ne serait-ce que de les entrevoir. De son côté, il était hors de question qu'il laisse quiconque le prendre de haut. De plus, il avait toujours apprécié les combats difficiles.

« Qu'est-ce qui se passe ici ? »

La voix grave et forte de Yaga brisa la tension entre eux. Sa présence autoritaire obligeait instinctivement ses élèves à abandonner toute envie de se battre entre eux ou avec quelqu'un d'autre.

Immédiatement, le sourire narquois de Tsukumo revint.

« Ces deux-là sont bien turbulents, Masamichi. » dit-elle en concentrant son attention sur Arashi. « Il faudrait que tu les disciplines un peu plus. »

« Je n'ai jamais eu de problème particulier avec Arashi, Yuki. » dit-il de sa traditionnelle voix sévère avant de soupirer. « Par contre, Satoru, encore plus lorsqu'il parvient à entraîner son frère et Suguru dans ses bêtises, est une autre affaire. D'ailleurs, Satoru, je n'ai pas oublié ta retenue de ce soir. »

Le concerné gémit.

« J'apprécierais que tu ne déclenches pas de conflit avec le clan Gojo, Yuki. J'ai suffisamment de paperasse à remplir avec le Haut Commandement. Et j'ai déjà essayé tout ce que les lois de ce pays me permettent pour leur apprendre l'ordre, mais les gérer est le mieux que je puisse faire avec eux. »

« Dans ce cas, je suis bien contente de ne pas être enseignante. » se moqua Tsukumo en les dépassant pour suivre Yaga, frôlant Arashi de manière provocante au passage, vraisemblablement dans son bureau pour parler de choses dont les jumeaux se moquaient.

Satoru se tourna vers son frère, amusé.

« J'ai bien cru que vous alliez vous battre ». Il regarda la porte que les deux adultes venaient de franchir. « Elle m'a l'air d'être une femme amusante. »

« Incommodante, oui. » grommela Arashi avant de murmurer d'une voix à peine audible et faussement méditative tout en regardant l'objet dans sa main : « Et si je lui montrais pourquoi Sensei me croit être un élève sérieux ? ».

Il tourna son regard vers Satoru qui était retourné s'adosser contre l'arbre, puis reporta son attention sur la paire de clés entre ses doigts qu'il avait habilement dérobées à Tsukumo sans qu'elle s'en aperçoive lorsqu'elle fit le choix de le frôler – grossière erreur de débutant...

Rapidement, son stratagème se mit en place, le faisant sourire de la même teinte malicieuse que son jumeau lorsqu'il préparait un mauvais coup.

Il alla se rasseoir aux côtés de Satoru et reprit sa lecture, guettant l'occasion parfaite. Bientôt, son frère sortit une barre chocolatée de sa poche, puis focalisa toute son attention sur Utahime qui sortait de sa séance d'entraînement, transpirante et vêtue d'une tenue de sport, les cheveux attachés en queue de cheval.

Satoru semblait carrément bavé à cette vue.

Subtilement, Arashi glissa les clés dans la poche de son jumeau puis prit la direction de la bibliothèque, supposant qu'une fois son absence remarquée, ce dernier partirait à sa recherche.

Il y arriva en très peu de temps, emprunta un manuel d'histoire et alla s'asseoir à proximité de Geto qui, plongé dans son travail, le remarqua à peine.

Fidèle à sa supposition, Satoru débarqua, sa présence envahissant l'espace de calme et de silence, quelques minutes plus tard. Encore une fois comme il l'avait prévu, son jumeau s'avança vers Geto, sachant bien qu'il était infiniment plus facile d'arracher le manipulateur à son travail. Bientôt, Geto renonça à essayer de rester concentré – maudit ou béni soit Satoru, selon le point de vue ou l'humeur de celui qu'il choisissait de détourner de ses devoirs –, et les deux commencèrent à discuter de divers sujets anodins et à plaisanter.

Ce fut au bout de plus d'une vingtaine de minutes – soit un temps un peu plus long qu'il ne l'avait envisagé, mais pas assez pour entamer sa patience – que Satoru glissa sa main dans sa poche, à la recherche d'une autre sucrerie à dévorer, et en sortit avec confusion, sous les yeux surpris de Geto, les clés de la motocyclette, que Arashi soupçonnait d'être particulièrement chère, de Tsukumo.

Sa confusion ne dura qu'un instant avant qu'il ne regarde Geto, et que des sourires identiques ne se dessinent sur leurs visages. Ils quittèrent ensuite la pièce en se comportant aussi normalement que possible.

Il ne restait plus qu'à espérer que le rendez-vous de Tsukumo avec Yaga se prolonge de quelques minutes supplémentaires, mais il avait foi en cela. Néanmoins, il sortit tout de même de la bibliothèque pour prendre la direction du bureau de son professeur, avec l'intention d'offrir un peu de temps supplémentaire aux deux idiots pour leur permettre de réussir leur coup.

En chemin, il croisa Shoko qui revenait du konbini, un sac à chaque bras.

Comme à son habitude, une cigarette allumée était coincée entre ses lèvres.

« Dis, je viens de voir Satoru et Suguru dévaler la route sur une moto en arrivant. Tu ne saurais pas à qui elle est ? »

« Probablement à la dénommée Yuki Tsukumo. » répondit-il, feignant l'indifférence. « Aucun professeur ou élève ne possède de motocyclette, et aujourd'hui, Yuki est la seule personne dont la présence entre ces murs est inhabituelle. »

« Tsukumo ? Comme dans la flemmarde de Classe S qui voyage au lieu d'accomplir des missions ? »

« Elle-même. Elle avait une affaire avec Yaga-sensei. »

Shoko se mit à le fixer avec suspicion.

Le visage aussi impassible qu'à son habitude, il demanda :

« Un problème ? »

Elle vint se placer face à lui, lui bloquant le passage.

« Tu t'attends vraiment à ce que je croies que ton frère Satoru Gojo, qui a la même discrétion qu'un éléphant en hyperactivité, ait réussi à voler les clés de moto d'une exorciste aguerrie comme Tsukumo ? Ne me prends pas pour une idiote, Arashi. »

Il fit mine de rouler des yeux, feignant l'ennui.

« Et avant que tu rétorques, n'essaie pas de me faire avaler que c'est Suguru qui est allé les prendre. Nous savons tous les deux que Suguru ne fait que participer aux sales coups de Satoru. Ce n'est jamais lui qui les initie. Je ne supporte pas qu'on me mente, alors crache le morceau, Arashi Gojo. »

Il devait le reconnaître. Shoko était remarquablement intelligente, peut-être même un peu trop à son goût... Mais peu importait. Ce n'était comme si cette stratégie était particulièrement élaborée ou complexe. N'importe qui aurait pu en faire autant, avec la patience nécessaire et une certaine connaissance de l'emploi du temps personnel de chaque élève.

« Mes félicitations. » dit-il avec la nonchalance la plus totale. « Quelle perspicacité. Et que comptes-tu faire de cette information ? Me dénoncer ? Me faire chanter ? »

Comme s'il se souciait d'être puni pour cela...

Shoko eut l'audace de faire semblant de réfléchir.

« Hier encore, j'aurais probablement choisi l'une de ses deux options, mais nous sommes aujourd'hui. Et aujourd'hui est un jour particulier. En plus, je t'en dois encore une pour cet été. »

Un soupçon de chaleur se répandit sur ses joues pâles.

« Donc ? » s'impatienta -t-il.

Sa camarade eut un sourire.

« Allons parler à Yaga dans son bureau. Je veux voir sa réaction quand on l'appellera pour lui annoncer qu'il doit aller chercher les deux idiots au commissariat. »

Arashi le lui rendit.

Ils arrivèrent à la porte du bureau de leur professeur à l'instant précis où celle-ci s'ouvrit pour révéler la silhouette de Tsukumo. Elle éclipsait Shoko de sa hauteur autant que le faisaient les jumeaux.

« Rebonjour, Gojo. » le salua-t-elle avec le même sourire effronté avant que celui-ci ne prenne une teinte malicieuse. « Je ne pensais pas que tu viendrais me voir après notre petit escarmouche. Tu n'aimerais pas les femmes plus âgées, par hasard, vilain flatteur ? »

Arashi grinça des dents tandis que Shoko étouffa un rire.

« Pas celles qui le sont assez pour être ma mère. » rétorqua-t-il stoïquement.

Le sourire de Tsukumo disparut presque instantanément, remplacé par un air renfrogné et vexé. Son sang lui monta à la tête, faisant palpiter les veines sur ses tempes et son front.

Il semblait que, quel que soit le monde ou la culture, l'âge demeurait un sujet sensible pour la population féminine.

« Aurais-je touché une corde sensible ? » demanda-t-il innocemment.

Tsukumo s'avança, levant l'un de ses poings serrés d'un air menaçant, sa force occulte affluant dans tout son corps.

À cet instant, ils entendirent le téléphone fixe du bureau sonner. Yaga décrocha une poignée de secondes plus tard.

« Masamichi Yaga, j'écoute. »

À ses côtés, Arashi eut l'impression que Shoko retenait son souffle avec anticipation.

« Pardon ? Non, il doit y avoir une erreur, monsieur l'agent. »

Arashi et Shoko se tournèrent mutuellement l'un vers l'autre, s'efforçant de conserver leur sérieux. Leur ouïe capta le grognement de leur professeur qu'ils imaginaient très bien entrain de se passer l'arête du nez avec exaspération et exténuation. Puis, une seconde plus tard, Yaga s'écria avec colère :

« GODDAMN ! Ces deux imbéciles ! »

Shoko eut le plus grand mal à se retenir d'éclater de rire.

« Oui, je vois. Je vais venir les chercher. Et toutes mes excuses pour... »

L'agent de police semblait avoir raccroché.

Yaga sortit de la pièce, un air sombre sur le visage. Jamais Arashi ne se souvenait l'avoir vu aussi irrité, amenant l'ombre d'un sourire amusé sur ses lèvres.

« Qu'est-ce qu'ils ont encore fait ? » demanda Arashi avec une fausse surprise, faisant mine d'être ennuyé.

« Satoru et Suguru ont volé une moto, et sont descendus en plein cœur de Shibuya. Il faut que j'aille les chercher au commissariat, et potentiellement payer leur amende. »

« Une petite minute... » commença Tsukumo avec appréhension. « La seule moto garée sur le parking de cette école, c'est... »

Elle s'empressa de fouiller ses poches dans l'espoir de trouver les clés disparues.

« La mienne ! » fulmina-t-elle. « Ce sale petit morveux ! Comment a-t-il même réussi ce coup-là ? Il va me le payer ! »

Arashi offrit à son professeur et à Tsukumo une parfaite imitation de la consternation, bien que intérieurement son sourire s'étendait jusqu'à ses oreilles.

Bouillonnant de colère, la femme se rua vers la sortie, ignorant les excuses de Yaga. Les portes d'entrée claquèrent violemment, et Tsukumo poursuivit son chemin, dans un esprit de vengeance.

Yaga soupira, retourna dans son bureau prendre les clés de sa voiture, et sortit à son tour, se plaignant du rapport qu'il allait devoir rédiger au proviseur et aux supérieurs.

« Et si on allait profiter de la salle de repos tant qu'elle est calme ? » proposa Shoko.

« Volontiers. »

Et ils se mirent en chemin, bien qu'Arashi fit un détour par la cuisine pour prendre un bâton de dango et quelques morceaux d'inarizushi, le plat qui était demeuré son préféré malgré sa réincarnation.

Alors qu'ils prenaient place dans le canapé de l'espace commun, Shoko se tourna vers lui et demanda d'un ton curieux :

« Petite question, pourquoi tu... Non. » s'interrompit-elle. « Plutôt qu'est-ce que Tsukumo t'a fait pour que tu ailles jusqu'à utiliser Satoru pour te venger ? »

« Elle m'a incommodé et a fait l'erreur de m'associer au tas de vermines qui compose mon clan. »

Elle resta sans voix face à cela avant de finalement dire :

« OK. Tu es un cinglé sociopathe. »

Arashi haussa les épaules, ne se sentant pas le moins du monde insulté.

« Nous sommes des exorcistes. La folie fait partie des qualités inhérentes à la profession. »

Shoko ne put réfuter cette déclaration.

« De plus, j'aurais pu faire bien pire. »

Elle gloussa à cela.

Durant les deux heures qui suivirent, ils restèrent là à converser, parlant de tout et de rien et partageant une bouteille de saké tout en commentant le fait que des individus de leur âge ne devraient pas avoir une telle tolérance à l'alcool. À un moment, Arashi se replongea dans sa lecture, bien décidé à terminer ce roman avant l'heure du dîner, puis l'abandonna pour invoquer de nulle part son carnet à croquis et un crayon à fusain. Shoko alluma alors une cigarette avant de s'allonger entièrement sur le canapé, drapant ses jambes sur les genoux de son ami aux sourcils froncés de concentration. Celui-ci lui jeta un bref regard agacé, mais, pour une fois, n'émit aucune plainte et reprit son activité.

La pièce était chaleureuse, calme et silencieuse, parfaitement chauffée, les sièges d'un confort luxueux. C'était une atmosphère et un l'environnement qui leur convenaient bien, au point qu'ils finirent par s'endormir peu avant que Satoru et Geto ne les rejoignent.

Ces derniers paraissaient d'humeur maussade, présentant une bosse fumante sur la tête chacun, mais ils ne regrettaient rien. Cette petite balade à moto en pleine ville au milieu de toute cette circulation en valait la peine, et ils sourirent en y repensant, encore plus au souvenir de l'expression outrée de Tsukumo lorsque toute occasion potentielle de les frapper avait disparu en raison de la présence des agents de police.

Remarquant leurs deux camarades endormis sur le canapé de l'espace commun, ils ôtèrent leurs chaussures, allèrent se laver les mains – seulement pour Geto – et se laissèrent tomber doucement à leurs côtés, avec Satoru ne tardant pas à s'abandonner au sommeil sur l'épaule de son jumeau.

Etant encore dans un état de somnolence qui fut perturbé par leur arrivée, bien qu'elle ait fait mine d'être endormie, Shoko laissa un doux sourire se dessiner sur son visage à la vue de leur petite tribu réunie au complet.

C'était décidément le meilleur des anniversaires qu'elle ait jamais eu.