Marchant dans les couloirs mortellement silencieux du Pavillon des Etoiles Mortes, Toji poursuivait sa traque de l'héritier déchu du clan Gojo. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas été poussé si loin, au point d'en voir son propre sang, et encore plus de temps que la possibilité d'une défaite n'avait germé dans son esprit. Une possibilité certes minime mais pas tout à fait inexistante...
C'était exaltant !
Les quelques traces de sang laissées en cours de route n'avaient pu le mener jusqu'au Gojo. Il savait cependant que le garçon était toujours là, tapi dans les ombres, l'observant et guettant le bon moment pour agir ; son instinct le lui hurlait.
« Sors, gamin ! Viens m'affronter ! Tu ne ven... »
Il s'interrompit, son odorat captant soudainement une odeur. Une odeur ferreuse... L'odeur du sang !
Toji sourit sauvagement, et tel un requin attiré par une proie blessée, se précipita dans la direction que lui indiquait ses sens. Le garçon était difficile à repérer ; même avec plusieurs blessures sanglantes, il savait effacer ses traces et masquer sa présence, un autre témoignage du fossé qui le séparait du reste de sa génération.
Sa Restriction Céleste rendait Toji aveugle à la force occulte, aux fléaux et aux techniques, mais ses sens étaient si aiguisés qu'ils lui permettaient néanmoins de percevoir les fléaux et les sorts lancés sur lui. Ainsi, il supposa que le Gojo avait appris à utiliser son énergie occulte pour étouffer le son de ses mouvements.
Cependant, rien ne pouvait masquer son odeur. Et celle-ci devenait plus forte à chaque pas le rapprochant de l'endroit indiqué par son odorat.
Son sourire s'agrandit.
« Je te tiens, gamin. »
Il abattit son sabre de toutes ses forces sur le fusuma devant lui, le tranchant sur le coup et semblant même déchirer l'air. Sa lame ne rencontra cependant que du vide. Ses sourcils se haussèrent lorsqu'il vit la source de l'odeur que son odorat avait capté : la veste ensanglantée de l'uniforme du Gojo.
L'exorciste le plus fort de sa génération venait-il d'utiliser... la ruse ? Contre lui, un primate sans énergie occulte ?
Il semblerait, en effet...
Il ricana, amusé par la preuve irréfutable de sa propre puissance et de la menace qu'il représentait, même pour un exorciste de Classe Spéciale.
Son amusement ne dura cependant pas.
Une paire de mains incroyablement fortes l'avait soudainement saisi par le cou et soulevé dans les airs pour le faire heurter durement la charpente avant de le projeter à travers le toit d'un coup de poing qui aurait brisé la colonne vertébrale d'un exorciste moyen.
Toji parvint aisément à retomber sur ses pieds, fixant avec un mélange d'agacement et de plaisir la silhouette d'Arashi le rejoindre sur les tuiles, ses pas émettant à peine le moindre bruit.
Sous sa veste désormais abandonnée, le garçon portait un simple haut sombre moulant dépourvu de manche qui laissait exposée la peau pâle de ses bras robustes. Ses yeux écarlates brûlaient toujours de rage et de haine, mais à l'inverse de la reprise précédente, il contrôlait clairement ses émotions et le moindre de ses mouvements. Il ne se laisserait plus déconcentrer pour un succès aussi insignifiant que la réussite d'une attaque.
La tension dans l'air s'épaissit. Les deux adversaires continuèrent de se fixer, se retenant carrément de cligner des yeux et considérant leurs options. Le combat rapproché n'était pas le choix le plus favorable, ils le savaient l'un comme l'autre.
Bien qu'il ait réussi à éviter une blessure mortelle ou handicapante, Toji sentait que sa Restriction Céleste ne pourrait pas guérir son corps suffisamment vite ; les bandages autour de sa taille s'arrêtaient à peine de saigner, et la plaie était plus douloureuse qu'il n'aurait pu l'imaginer – faute de pouvoir porter un coup mortel, le garçon s'était assuré de lui infliger des dommages incommodants – ; la lésion à sa cuisse n'avait rien de moins désagréable, ayant peut-être épargné ses artères mais pas ses muscles. Sa vitesse et son agilité s'en trouvaient diminuées.
De son côté, Arashi était lui aussi affaibli. Son cerveau, endommagé et rongé par une souffrance brûlante, pesait lourdement dans sa tête. Sa vue se troublait, et son corps commençait sérieusement à souffrir de la quantité bien trop immense d'énergie occulte qu'il y canalisait. La douleur pulsait dans chacune de ses cellules, et le moindre mouvement l'attisait. Dans son état actuel, même le sort d'Inversion ne suffirait pas à le rétablir totalement. Il n'était plus aussi dangereux qu'au début de l'affrontement, et le Tueur d'exorcistes en avait conscience.
Ils étaient tous deux désavantagés, mais cela ne fit qu'amener un nouveau sourire presque dément sur le visage de Toji. Sa victoire n'en serait que plus délicieuse !
La Lance du Ciel dans une main et le Sabre des Âmes dans l'autre, il chargea, brisant plusieurs tuiles à chacun de ses pas. Le garçon bougea à peine, l'emplissant de suspicion.
« Qu'est-ce que tu prépares, gamin ? »
Son interrogation trouva une réponse lorsqu'une déchirure dans l'espace apparut au niveau de la tête du Gojo. Écarquillant les yeux, Toji se hâta de déplacer son corps sur le côté pour empêcher un pieu plus rapide et puissant qu'une balle de fusil de le transpercer à la tête. Cependant, Toji eut à peine le temps d'assimiler la nouvelle capacité affichée par son adversaire, que plus d'une dizaine de nouvelles déchirures apparurent.
Dans un grognement, il se contorsionna, se baissant, se tordant et se penchant, afin d'esquiver les attaques venant de chaque direction et de parer à l'aide de ses armes les rares projectiles qui échappaient à ses sens surhumains. À la fin, Toji transpirait légèrement d'effort, bien que la pluie de pieux tranchants n'ait pas duré plus de cinq secondes, et plusieurs coupures superficielles ornaient ses bras et son torse. Il lui avait fallu un effort considérable pour empêcher les attaques du garçon de blesser son fléau, mais il y était parvenu.
Essuyant le léger filet de sueur coulant sur son front, il reporta son attention sur le Gojo, ayant déjà déduit que sa dernière attaque était une diversion destinée à lui faire gagner un peu de temps en plus d'un moyen de sonder l'étendue des conséquences des blessures qu'il lui avait infligées.
Cependant, son instinct hurla lorsqu'il pressentit un changement dans l'air.
Avec une fluidité impressionnante et en un temps déconcertant, Arashi avait tendu sa main contractée vers Toji avant de la tourner brutalement d'un coup sec, comme s'il cherchait à tordre quelque chose.
Instinctivement, il bondit sur le côté pour éviter ce qu'il supposait à juste titre être la technique renforcée du sort inné du Gojo.
Un immense bruit de destruction, plus fort encore que celui provoqué par le Bleu de l'Infini, déchira le silence dans lequel le Pavillon était plongé alors que le sort d'Arashi détruisait des rangées entières de bâtiments anciens.
Toji tourna légèrement la tête, prenant un cinquième de seconde pour observer la dévastation causée par le garçon face à lui. Le sort renforcé d'Arashi avait creusé une large tranchée s'étendant sur plus de la moitié du complexe labyrinthique entourant l'arbre géant où reposait Tengen avant de créer un cratère distordu dans la paroi.
Bien qu'à première vue semblable au Bleu de l'Infini, Toji comprit que l'effet de la technique était bien différent. Le sort utilisé par Arashi ne déchirait pas ni n'écrasait la matière par la génération d'une puissante force attractive ; il tordait et déformait l'espace pour la détruire directement au niveau atomique !
Sa tête pivota juste à temps pour intercepter avec sa paume le coup de genoux montant visant sa gorge. Encore une fois, il sentit son membre trembler en réponse à la force derrière chaque attaque physique du garçon. Ce dernier était à cet instant bloqué dans les airs. Toji sourit devant cette erreur de jugement, et ajusta sa prise, saisissant Arashi par la cheville avant de pivoter sur lui-même et de le lancer avant qu'il n'ait le temps de matérialiser ses pieux.
Le Gojo vola en tournoyant dans les airs à une vitesse folle. Son corps s'apprêtait à s'écraser violemment contre la paroi opposée à celle ayant encaissé sa technique lorsqu'il se tendit et fléchit ses jambes pour se préparer à l'impact. Ses pieds heurtèrent la surface rocheuse verticale, la fissurant dans un rayon de plusieurs mètres autour de lui, et, défiant la gravité, il s'accroupit quelques instants avant de se redresser, le corps parallèle au sol en contre-bas.
La surprise de Toji face à cette application avancée et inconnue du contrôle de l'énergie occulte ne dura qu'une seconde avant que son sourire prédateur ne revienne et qu'il ne s'élance en avant, brisant les tuiles à ses pieds dans sa course. Une fois suffisamment proche, il bondit, la puissance de son saut fracassant le toit et compromettant la structure du bâtiment.
Le don oculaire du garçon lui permettait d'anticiper ses mouvements. Il n'y avait donc rien de surprenant à ce qu'il puisse calculer la distance le séparant de la paroi et le meilleur angle pour atterrir même en étant projeté en l'air et désorienté, ni qu'il parvienne à esquiver aisément son coup de pied direct. En revanche, il ne s'attendait pas à ce que le Gojo réussisse à agripper sa jambe et à les faire virevolter avant d'utiliser l'attraction de la gravité et sa force surhumaine pour le jeter à son tour, l'envoyant s'écraser dans un des bâtiments encore intacts.
Son dos avait à peine rencontré la surface du plancher que Toji se redressa, se préparant à retourner affronter le Gojo au corps à corps, mais il sentit alors, grâce aux mouvements de l'air, une distorsion dans l'espace tandis que son ouïe capta un étrange et intense son grave et pourtant doux.
Il eut tout juste le temps de se retourner et d'utiliser ses armes maudites pour parer le puissant coup de pied latéral sauté d'Arashi. Cependant, ce coup n'avait rien d'habituel...
Le temps sembla ralentir, l'espace se tordit et l'énergie occulte du Gojo s'illumina du noir le plus sombre. Toji fut violemment projeté en arrière par la puissance de l'attaque exponentiellement accrue grâce au Rayon Noir, passant au travers de plusieurs murs et structures de bois avant de s'écraser contre la paroi du Pavillon.
Saignant cette fois d'une lésion à la tête mais souriant toujours, le Tueur d'exorcistes ignora la douleur pulsant dans son corps et regarda la Terreur Blanche s'élever tel un spectre à travers le toit du dernier bâtiment qu'il avait percé de son corps.
« Putain de monstre. »
Il se releva et s'étira, s'assurant qu'aucun de ses os n'avait été brisé et supposant que cette dernière attaque devait être le phénomène occulte connu sous le nom de Rayon Noir. Il vérifia rapidement que son fléau lui servant d'inventaire n'était pas blessé. Le garçon n'avait cessé de le surprendre, alors qu'il réussisse à exorciser son esprit maudit d'une seule attaque physique malgré le fait qu'il l'avait protégé avec son corps de fer n'aurait rien eu de stupéfiant.
« Je crois que j'ai compris ses capacités... Contrairement à l'Infini qui manipule l'espace, son sort à lui agit sur une sorte de dimension parallèle à laquelle il est le seul à avoir accès. Si je me trompe pas, il possède trois techniques. Sa faculté d'intangibilité, qui doit passer par le transfert de son corps dans cette dimension. J'imagine que c'est d'ailleurs en l'activant des dizaines, voire des centaines de fois par seconde sur sa main qu'il a réussi à me transpercer le flanc. Une technique de téléportation qui consiste à se faire complètement disparaître dans cette dimension pour en sortir à un autre endroit. Il peut également y stocker des objets et ouvrir des portails pour projeter ces objets afin d'attaquer. Et enfin sa technique de distorsion spatiale, qui déchire la matière. Le tout ajouté à son énergie occulte métallique et sa mutation du Sixième Œil. »
Il rengaina le Sabre des Âmes dans son fléau, et lui fit régurgiter une longue chaîne tout en lui demandant de garder l'extrémité de celle-ci dans sa bouche. Il l'attacha au manche de la Lance du Ciel et commença à la faire tournoyer autour de lui, s'assurant de prendre une position solide, les jambes fléchies et écartées, de façon à rester ancré au sol.
Son extase du combat était si intense qu'il ne ressentait même plus la douleur de ses blessures, continuant de sourire à pleines dents.
« Qu'importe, je suis capable de lui faire face ! »
Son regard croisa celui des Yeux de Samsâra qui rayonnaient de puissance sans refléter la moindre humanité. Pour la première fois depuis longtemps, Toji perdit son sourire et ses yeux s'écarquillèrent sous l'effet d'une émotion autre que la surprise, sentant les battements de son cœur s'accélérer et ses muscles se tendre d'une manière inhabituelle. Son amusement céda la place à une sensation étrange, qu'il avait presque oubliée.
« Je le sens mal. »
Cette émotion... Cette agitation de son instinct face à un tel adversaire... Ce serait...
Il chassa cette pensée en étirant à nouveau ses lèvres en un sourire, motivé par l'euphorie et la satisfaction qu'il savait que la victoire sur l'Ombre de l'Honoré lui apporteraient. Il avait tué Satoru Gojo. Il tuerait également son frère.
« Mais non, je gère. »
Et il balança la chaîne. Celle-ci sillonna les airs, presque invisible dans la pénombre du Pavillon des Étoiles Mortes. Cependant, aucune obscurité ne pouvait engloutir la lumière que voyaient les Yeux de Samsâra. Ainsi, Arashi n'eut qu'à s'accroupir pour l'esquiver alors qu'elle fendait l'air dans un sifflement, emportant même quelques uns de ses cheveux blancs au passage. À peine l'attaque eut-elle échoué que le Gojo s'élança vers le Tueur d'exorcistes, déchirant une nouvelle fois le mur du son, dans l'intention de ne pas lui laisser la possibilité de récupérer la Lance du Ciel. Celle-ci constituait pour lui la plus grande menace, car une seule éraflure suffirait à le priver de son énergie occulte tant que la lame resterait dans sa chair.
Pas le moins du monde perturbé par l'insuccès de son attaque, ne s'attendant naturellement pas à ce qu'elle réussisse, Toji, dans une démonstration d'habilité défiant la raison, força sa chaîne à revenir vers son adversaire en la tirant vers l'arrière. La Lance du Ciel, tirée par le lien métallique, s'apprêtait à trancher le cou d'Arashi lorsque ce dernier matérialisa un nouveau pieu, déviant l'arme maudite de son artère.
Toji fit alors diminuer la portée de la chaîne pour la forcer à revenir plus rapidement dans sa main, amenant une légère surprise dans le regard de son adversaire. Souriant, il la fit tournoyer à nouveau avant de la balancer de façon à ce que la Lance du Ciel soit dirigée droit vers le visage d'Arashi. Ce dernier, toujours dans les airs, bascula brusquement en arrière pour l'éviter, témoignant de son agilité surhumaine, et se laissa retomber sur ses pieds.
Le Tueur d'exorcistes, malgré son plaisir, serra les dents avec irritation à cela.
La chaîne qu'utilisait Toji n'avait rien d'ordinaire ; Arashi l'avait vite compris, et reconnue comme un objet maudit de Classe Spéciale. Il s'agissait de la Chaîne des Mille Lieux. En plus de son immense résistance qui lui permettait, avec une vitesse suffisamment grande, de lacérer la roche et l'acier, elle possédait le pouvoir de s'étendre à l'infini tant que son extrémité restait cachée à la vue de tous. En gardant cette extrémité dans la bouche de son fléau, Toji remplissait cette condition.
Il la balança encore, cette fois en rotation avec l'intention de décapiter le Gojo. Celui-ci se pencha, lui jetant un regard peu impressionné alors que la chaîne déchirait la pierre et les piliers derrière lui. Cependant, ce regard disparut lorsque la Lance du Ciel revint à une vitesse fulgurante, prête à lui ouvrir le ventre. Exécutant un saut périlleux qui le fit momentanément se retrouver le corps parallèle au sol, Arashi n'eut néanmoins d'autre choix que de parer la chaîne en invoquant un pieu métallique plus épais que la normale lorsque Toji en inversa brutalement la rotation.
Incapable de briser l'énergie occulte solide et portée par son élan, la chaîne s'enroula partiellement autour du pieu avant de changer de trajectoire, retournant la Lance du Ciel contre son détenteur.
Imperturbable, Toji attrapa la lame par le manche de sa main gauche, la stoppant à quelques centimètres de son visage avant qu'elle ne lui tranche la tête.
Son instinct hurla alors qu'il sentait une présence apparaître soudainement dans son dos et l'air ainsi que l'espace se tordre sous l'effet de la Déformation.
La tête de Toji pivota, permettant à ses yeux de voir l'extrémité tranchante d'un pieu ayant émergé de la paume d'Arashi se diriger droit vers son visage. Bien que leur vitesse extrême à l'un comme à l'autre ne laisserait pas à la peur le temps de se manifester physiquement, l'instinct de Toji fut néanmoins capable de lui envoyer l'anticipation d'une mort certaine. Il ne pourrait pas esquiver cette attaque.
Le pieu acheva sa courte course, et le sang jaillit, accompagné d'un bruit sec et tranchant...
Leurs yeux se croisaient, se reflétant mutuellement. Ceux de Toji exprimaient son incrédulité et le malaise qu'il ressentait depuis quelques minutes, tandis que ceux d'Arashi demeuraient vides, en dépit de la lame du Sabre des Âmes qui le transperçait. L'esprit maudit de stockage à l'apparence de ver avait le pommeau de l'arme maudite enfoncé dans la bouche.
Sentant le danger qui menaçait son maître, la créature avait réagi pour protéger ce dernier.
Du sang coula bientôt des lèvres d'Arashi – la lame l'avait atteint au cœur... –, mais son attention resta fermement concentrée sur son adversaire. Sa dernière attaque avait échoué, ne causant rien de plus qu'une énième coupure au visage de Toji, mais même une blessure mortelle ne semblait pouvoir l'empêcher de continuer à lutter pour accomplir sa vengeance.
Voyant la détermination inébranlable dans les yeux du porteur des Yeux de Samsâra, Toji réagit, en lui portant un puissant revers de la main. Le coup projeta le corps du Gojo en arrière avant qu'il ne retombe sur ses pieds, puis ne s'effondre en avant.
Le silence retomba, et le sourire de Toji revint, mais cette fois, son regard présentait un sentiment s'apparentant à du respect. Et sa voix n'exprima aucun mépris lorsqu'il s'adressa à la dépouille d'Arashi.
« Tu as été impressionnant, gamin. Aucun exorciste n'avait jamais réussi à me pousser aussi loin comme ça. Je me souviendrai de toi jusqu'à ma mort. »
Puis il ricana à nouveau alors que la satisfaction et l'euphorie l'emplissaient. C'était si bon !
« Il n'empêche... Vous tous qui êtes nés bénis par l'exorcisme, vous avez été démolis par un vulgaire primate sans énergie occulte. »
Une part de lui était tenté de brutaliser quelque peu le corps du Gojo pour l'avoir blessé si douloureusement, mais Toji fit le choix de simplement s'en détourner. Un combattant tel que Arashi Gojo ne méritait pas cela.
Soudain, une image floue jaillit dans son esprit, le faisant se figer. Avant son départ pour Tokyo, lorsqu'ils s'étaient rencontrés dans les gradins d'un stade où il espérait gagner un pari sportif, Shiu lui avait demandé des nouvelles de Megumi.
Sur le moment, malgré ses efforts, il n'avait pu se souvenir de la moindre personne portant ce nom, mais désormais il se rappelait.
« Mais oui... "Megumi", c'est le nom que je lui avais donné. »
Il secoua la tête, et se remit en marche. Il avait encore du travail : sortir de ce tombeau poussiéreux, amener le cadavre de Riko Amanai à la Maison des Enfants de l'Étoile, empocher la prime, trouver un restaurant où dîner et se saouler ce soir, puis...
Son sens de l'ouïe capta soudain le son provoqué par la prononciation de trois mots qui le firent se figer.
« Extension du Territoire. »
« Extension du Territoire. »
Ces mots, prononcés à peine plus haut qu'un murmure, résonnèrent pourtant tel un cri dans le silence de mort du Pavillon des Etoiles Mortes. Toji se figea ; sa tête se tourna juste assez pour voir la silhouette accroupie d'Arashi Gojo, les mains jointes, l'index et le majeur de chaque tendus vers le haut, les pouces repliés dans chaque paume, et les derniers doigts entrelacés reposant sur le creux – un signe de main. Une sorte d'épais liquide noir jaillit du sol à ses pieds pour se répandre tout autour d'eux en un instant, transformant la zone en un espace céleste, à la fois informe, régulier et déformé, sombre et pourtant lumineux, aussi captivant que dérangeant, sans aucun mot pour le décrire. C'était la vision d'un paysage astral échappant à toute compréhension, qu'aucun humain ne devrait même voir.
« Vide Céleste. »
Son malaise plus intense que jamais, Toji força ses yeux à rester fermement fixés sur Arashi et son esprit concentré sur la sensation du métal froid de la Chaîne des Mille Lieux entre ses mains, certain que s'il les laissait s'abandonner à l'observation de cet espace indéfinissable, cela le conduirait à la folie. La seule forme que son esprit pouvait traiter était une sorte d'arbre de lumière, plus haut que n'importe quelle montagne, semblant se dresser derrière son adversaire.
Il sourit sauvagement sans la moindre retenue, se concentrant sur l'extase que provoquait ce combat à mort en lui dans une tentative d'oublier les avertissements de son instinct. Agitant furieusement la Chaîne dont l'extrémité était encore attachée à la Lance du Ciel, il se prépara à l'abattre sur Arashi ; même si sa maîtrise du sort d'Inversion l'avait inexplicablement sauvé de la lame du Sabre des Âmes transperçant son cœur, il ne pourrait pas esquiver la Chaîne dans son état.
« Je vais te buter, maudit monstre ! »
A l'instant précis où ces mots furent prononcés, Arashi délia ses mains et commença à se redresser avec une fluidité et un relâchement sans pareils, ses yeux écarlates vide de toute la haine et la rage qui l'avaient animé moins d'une demi-minute plus tôt. Toji sentit alors sa perception du temps se compresser à l'extrême, presque comme si son propre temps s'était retrouvé suspendu l'espace d'un instant. Prisonnier de ce moment, il ne put rien faire d'autre qu'observer les mouvements d'Arashi.
De son côté, celui-ci se sentait dans un état second proche de l'euphorie qu'il avait ressenti lorsqu'il avait déclenché le Rayon Noir pour la première fois huit ans plus tôt, ne ressentant rien d'autre que l'étendue de son pouvoir renforcé par la matérialisation de son espace vital. Il devait cependant s'assurer de rester concentré pour pouvoir terminer de régénérer ses blessures tout en continuant de faire battre son cœur grâce à son énergie occulte.
Il ne se souvenait pas avoir jamais pris un pari aussi risqué, mais dans un duel à mort, il fallait toujours être prêt à mettre sa propre vie en jeu pour parvenir à percer la défense d'un adversaire. Or, l'ennemi ne relâchait sa vigilance que lorsqu'il croyait l'avoir emporté.
Le regard vide d'Arashi croisa celui extatique, et pourtant quelque peu perturbé, de Toji, son esprit gérant et traitant ses nouvelles pensées ainsi que sa stratégie dans le très court instant où le reflet de l'un apparut dans les yeux de l'autre.
« L'avantage de posséder un sort inné, c'est qu'il est en principe impossible pour un ennemi de connaître son fonctionnement. L'inconvénient, c'est que ce manque d'informations concerne également le porteur. Contrairement à la manipulation de la force occulte, même avec tout le talent du monde, il est impossible de maîtriser de manière instinctive une technique occulte. L'utilisateur n'a d'autre choix que d'avancer par tâtonnements dans le noir, ce qui rend très difficile d'exercer ou même de se représenter le plein potentiel de son sort inné. En conséquence, l'apprentissage et l'utilisation de techniques sophistiquées, telle que l'Extension du Territoire, constituent une tâche des plus délicates... »
L'Extension du Territoire était le summum de l'exorcisme ; une matérialisation particulièrement avancée par la force occulte, permettant l'invocation de l'espace vital. Parvenir à la maîtriser pleinement nécessitait avant tout une compréhension immense de son propre sort inné, et de son espace vital. Autrement, il n'était pas possible de déployer un Territoire parfait. Dans ce cas précis, le Territoire déployé était alors dit incomplet, car l'utilisateur, faute de pouvoir matérialiser son espace vital tout en le clôturant au moyen d'une barrière à laquelle il associait sa technique comme effet imparable, devait faire appel à une barrière déjà existante ou bien à la structure d'un bâtiment pour servir d'enveloppe extérieure. En conséquence, au sein d'un Territoire incomplet, aucun effet imparable n'était associé, annihilant la possibilité d'une attaque à la létalité absolue.
Arashi en était parfaitement conscient. Sa maîtrise des techniques de barrière et la nature même de son sort inné, la manipulation spatiale, rendait la création d'un espace indépendant relativement simple pour lui. C'était la compréhension de sa propre technique occulte qui lui faisait défaut ; peu importait qu'elle soit proche d'être identique au Kamui de son ancien pion, Obito Uchiwa.
De toute manière, il doutait qu'une barrière soit même capable d'enfermer l'homme balafré et l'effet imparable d'un Territoire de le cibler, en raison de l'absence de la force occulte en lui.
« Néanmoins, incomplet ou non, un Territoire reste une matérialisation de l'espace vital, ce qui renforce considérablement la force occulte et la puissance des techniques de son utilisateur, et lui permet aussi de déployer jusqu'à 120% du potentiel de son sort inné ! Associé à l'état d'éveil déclenché par le Rayon Noir où contrôler son énergie occulte devient aussi naturel que de respirer, ce pourcentage augmente encore. Pour moi qui suis incapable de déployer le plein potentiel de mon sort, c'est une carte maîtresse. »
Le sort inné d'Arashi, l'Autorité Céleste, lui donnait accès à une dimension subspatiale tout en lui octroyant le pouvoir de manipuler l'espace de ce monde ainsi que sa frontière avec celui d'origine. Les techniques de ce sort inné comprenaient la Dématérialisation qui permettait l'intangibilité par le transfert du corps hors de l'espace tridimensionnel ; la Déformation qui utilisait la dimension subspatiale pour parcourir d'immenses distances à une vitesse proportionnellement supérieure à celle de la lumière, stocker des objets et possiblement les éjecter avec force dans une application offensive ; et enfin Altération, la technique qui déformait la frontière entre les deux mondes pour tordre l'espace, déchirant la matière au niveau atomique.
« Il a déjà vu ma technique... Il ne se laissera pas surprendre une seconde fois. En plus, elle manque encore cruellement de puissance, mais ce sort renforcé là, improvisé au moyen d'un serment, fera bien l'affaire. »
Il tendit alors la main vers son adversaire, paume vers le haut, chaque doigt tendu, à l'exception de son index, et commença à chanter. Ses lèvres bougèrent sans qu'aucun son réel n'en sorte tandis qu'il déversait son énergie occulte dans son sort à l'instant où la Lance du Ciel commençait dangereusement à se rapprocher.
« Volonté des dieux. Portes des ténèbres. Monde des ombres. Chant du néant - Distorsion ! »
Tout en esquivant calmement la dernière attaque du Tueur d'exorcistes en penchant la tête, il laissa impitoyablement sa technique fondre sur l'homme balafré aux yeux écarquillés. Celle-ci traversa la Chaîne des Mille Lieux et alla s'écraser avec une violence inouïe sur la paroi du Pavillon, la marquant à jamais et manquant de détruire la barrière protégeant le tombeau, avant même que l'un des deux combattants n'ait pu cligner des yeux.
« "Pas de fric, pas de service". D'habitude, c'est l'excuse que je sors pour me défiler. Mais là, je suis face à un héritier éveillé d'un Grand Clan... Un gamin béni par la force occulte, considéré comme l'égal du Porteur du Sixième Œil depuis sa naissance. Il est devenu le plus grand exorciste de notre temps avant même de cesser d'être apprenti. Je voulais pas l'accepter. Je voulais le mettre à genoux... Lui qui est au sommet du monde de l'exorcisme, ce monde qui m'a rejeté. Pour affirmer mon existence, j'en suis allé jusqu'à me dénaturer. À partir de là, je pouvais pas gagner. »
Telles étaient les pensées de Toji alors qu'il gisait, déçu, vaincu, résigné, sur le sol froid et inflexible du Pavillon des Étoiles Mortes. Il passa sa main au niveau de son abdomen, et ne sentit rien d'autre que la sensation de l'air ainsi que la chaleur et l'épaisseur de son propre sang. Relevant légèrement la tête, il rencontra la vue de ses jambes encore rattachées à son bassin, maintenues debout par les muscles surhumains les définissant et désormais figées dans cette même position pour toujours. À ses pieds reposait son bras gauche coupé.
Ignorer l'avertissement de son instinct... Ce fut la seconde erreur qu'il commit au cours de cet affrontement.
« Et moi qui croyais avoir balancé toute fierté... »
Le fait que cette erreur serait la dernière de son existence le consolait, malgré tout.
Ses organes se déversant, il ramena sa dernière main à son visage, se retrouvant comme captif de la vue du sang la couvrant tandis que le froid s'emparait peu à peu de lui.
De toute manière, c'était une dernière vision plus agréable que le plafond perdu dans l'obscurité du tombeau de l'Étoile.
« Je ne respectais plus rien ni personne, même pas moi. Je suis pas à plaindre... J'ai choisi cette voie de mon plein gré. »
Alors qu'une image d'Hikari remontait des profondeurs de son esprit, les bruit de pas lourds résonnant dans le silence et la pénombre attirèrent son attention.
Arashi s'était avancé, laissant son Territoire imparfait s'évaporer telle de l'eau face à une chaleur brûlante. Son regard demeurait inchangé, en dépit de sa victoire. Aucune joie, aucune satisfaction, ne se lisait dans ses yeux rouges qui semblaient pourtant briller de malveillance, seulement une apathie froide.
« Quelques dernières paroles ? »
La demande respectueuse, bien que prononcée avec un certain venin, le surprit. Il était certain que le garçon n'éprouvait rien d'autre que de la haine et du mépris pour lui, mais peut-être était-ce plus complexe que cela ? Après tout, ses yeux portaient le poids d'un âge et d'une souffrance que très peu de gens pouvaient atteindre et supporter.
Son premier réflexe fut de rester fidèle à sa nature, et de ne prononcer aucun ultime mot, mais à cet instant, un souvenir flou qu'il croyait oublié depuis longtemps lui vint. Hikari Fushiguro, son épouse défunte, la seule lumière qu'il ait eu dans l'entièreté de son existence, la première et dernière femme qu'il ait jamais aimée, qui l'avait recueilli après sa fuite du manoir des Zenin et le meurtre de l'homme l'ayant engendré et condamné à une enfance d'abus et de misère.
Alors qu'elle se tenait sur son lit de mort, la vie rongée par la maladie, il se souvint lui avoir fait le récit de son passé – un jeune garçon méprisé, affamé et battu par sa famille, enfermé durant onze jours dans une sombre salle et abandonné à une lutte contre des monstres sanguinaires qu'il ne pouvait ni voir ni tuer en raison de son infirmité, quelque chose sur quoi il n'avait aucun contrôle. Il n'avait jamais choisi de naître avec ce corps soumis à une Restriction Céleste. Ce même garçon qu'il fut n'avait jamais appris à lire ou à écrire avant leur rencontre et qu'elle ne le lui apprenne, car sa propre famille l'avait même jugé indigne, en tant que primate dépourvu d'énergie occulte, d'une éducation de base, voulant le garder ignorant et malléable.
Tenant leur petit garçon dans ses bras, avec leur fille endormie à ses côtés, et pleurant pour lui, elle s'était excusée de l'abandonner ainsi et lui avait demandé une seule chose : « Prends soin de Megumi ». Il était certain que cette demande s'appliquait également à la fille dont il était devenu le père en épousant Hikari, mais même le contact de la mort ne parvint pas à le faire se souvenir de son nom.
Dans un dernier souffle, avec un léger sourire comme signe de remerciement pour la petite once de respect que son meurtrier lui portait malgré lui, il parvint à dire :
« Dans deux ou trois ans, mon gamin sera vendu aux Zenin. »
L'expression d'Arashi demeura vide et inflexible, tel un masque de porcelaine. Néanmoins, il lui accordait toute son attention.
« Fais ce que tu veux de ça. »
Et sur ces ultimes paroles, Toji Fushiguro, le Tueur d'exorcistes, le seul homme à avoir vaincu le Sixième Œil, celui qui était devenu l'exorciste le plus fort de son temps bien que son âme n'ait jamais produit une seule once d'énergie occulte, s'éteignit.
