Le lendemain, Genzo opta pour une approche mesurée. Il ne voulait pas brusquer Clara ni la pousser à se confier si elle ne se sentait pas prête. Malgré tout, il veillait attentivement à ce qu'elle ne manque de rien. Il lui demanda plusieurs fois si elle avait besoin d'aide ou souhaitait qu'il fasse quelque chose pour elle, mais ses réponses restaient toujours les mêmes : brèves et distantes.
Avant de partir pour le centre de formation, Genzo prit soin de refaire le tour de l'appartement avec elle. Il lui montra encore une fois que toutes les portes et fenêtres étaient bien verrouillées, lui rappela que l'immeuble était sécurisé, et insista sur le fait qu'elle pouvait l'appeler à tout moment si elle se sentait inquiète.
— Je serai de retour dans l'après-midi, mais si tu entends du bruit derrière la porte ne prends pas peur, ce sera moi.
Clara hocha la tête en silence. Elle savait que Gunther était en garde à vue et qu'elle ne risquait rien, mais les paroles de Genzo et son attention constante lui procuraient un réconfort auquel elle n'était pas habituée.
Une fois seule, Clara erra un moment dans l'appartement. Elle ne trouvait rien qui puisse lui changer les idées ou occuper son esprit. Le silence pesait lourd, et une humeur maussade s'installa en elle.
Elle s'assit finalement sur le canapé et fixa un point invisible devant elle, laissant ses pensées la submerger. Elle s'en voulait. Genzo faisait tout pour l'aider, et elle ne pouvait s'empêcher de le repousser. Sa gentillesse, ses gestes attentionnés... tout cela aurait dû la rassurer, mais au lieu de cela, elle ressentait une peur étrange.
Elle avait peur de ce sentiment de sécurité qu'elle commençait à éprouver auprès de lui. Depuis si longtemps, elle s'était habituée à vivre dans l'angoisse et la méfiance. L'idée qu'elle puisse baisser sa garde, s'autoriser à se sentir bien, la terrifiait. Et si tout cela prenait fin un jour? Si Genzo décidait qu'elle n'en valait pas la peine?
Ces pensées tournaient en boucle dans sa tête, et un soupir las lui échappa.
— Pourquoi je suis comme ça? murmura-t-elle, sa voix à peine audible.
De son côté, Genzo n'était pas en meilleure forme. Même au centre de formation, son esprit revenait constamment à Clara. Il respectait sa volonté de garder une certaine distance, mais cela lui pesait. Il voulait qu'elle sache qu'elle n'avait rien à craindre de lui, qu'il serait là pour elle, quoi qu'il arrive.
Alors qu'il quittait son cours d'analyse tactique, son téléphone vibra. Il espérait secrètement que ce soit Clara, mais ce n'était qu'un message de Jun.
Jun :"Patience, Genzo. Ce genre de blessures met du temps à guérir. Continue de lui montrer qu'elle peut compter sur toi. Un jour, elle s'en rendra compte."
Genzo sourit légèrement en lisant le message. Jun avait raison. Il devait être patient.
Sur le chemin du retour, il s'arrêta dans une petite boulangerie pour acheter des pâtisseries. Il espérait que ce geste simple pourrait peut-être redonner un peu le sourire à Clara.
Quand il rentra à l'appartement, il fit comme il l'avait promis : il frappa légèrement avant d'ouvrir la porte et s'annonça d'une voix claire pour qu'elle sache que c'était lui.
— C'est moi, Clara. Je suis rentré.
Elle apparut dans le salon, l'air un peu fatiguée mais plus calme que la veille. Genzo lui tendit le petit sac en papier contenant les pâtisseries.
— J'ai pensé que ça te ferait plaisir, dit-il simplement, avec un sourire sincère.
Clara le remercia doucement, mais sans trop d'enthousiasme. Elle s'en voulait de ne pas pouvoir lui offrir plus qu'un faible sourire, mais l'ombre de ses craintes était encore là, la retenant en arrière.
Pourtant, au fond d'elle, elle savait qu'elle voulait croire en cet homme qui, sans rien attendre en retour, lui tendait la main. Mais pour l'instant, cette peur persistait, un obstacle qu'elle n'était pas encore prête à franchir.
Alors qu'ils partageaient un moment simple devant la télévision, dégustant les pâtisseries que Genzo avait rapportées, Clara se leva pour aller chercher du sopalin dans la cuisine. Quelques instants plus tard, un bruit sourd retentit. Genzo bondit immédiatement, inquiet.
— Clara? Tout va bien?
Il se précipita vers la cuisine et la trouva debout au milieu de la pièce, figée, les mains dissimulées derrière son dos, le visage empreint d'un mélange de culpabilité et de panique.
— Qu'est-ce qui s'est passé? Est-ce que tu t'es fait mal? demanda-t-il, le regard rempli d'inquiétude.
Clara secoua la tête, mais son silence ne faisait qu'accentuer l'angoisse de Genzo. Il s'approcha lentement, tentant de comprendre.
— Clara, montre-moi ce que tu caches.
À ces mots, elle explosa en sanglots, ses épaules tremblant sous le poids de son émotion.
— Je suis désolée, je suis désolée! Je ne voulais pas... Je ne le referai plus, je te le promets! Je suis qu'une idiote... J'aurais dû faire attention...
Sa voix tremblait, et son visage exprimait une peur qui déchirait le cœur de Genzo.
— Clara... doucement, tout va bien, dit-il d'une voix apaisante.
Il contourna doucement ses mains et aperçut ce qu'elle tentait désespérément de cacher: un bibelot en porcelaine, cassé en plusieurs morceaux. Un filet de sang perlait sur son doigt, une petite entaille causée par l'éclat d'une pièce brisée.
— Tu t'es blessée! s'exclama-t-il, oubliant instantanément l'objet cassé.
Mais Clara, paniquée, semblait incapable de se calmer.
— Je suis désolée! Je n'aurais pas dû... C'était beau, et je l'ai gâché...
Genzo sentit son cœur se serrer. Elle était terrifiée, comme si elle s'attendait à une punition sévère, comme si un simple accident était un crime impardonnable.
— Clara, écoute-moi. Ça va. Ce n'est rien, vraiment. Ce n'est qu'un bibelot. Ce qui compte, c'est toi.
Il tendit la main vers elle, mais elle recula instinctivement, un réflexe de défense qui trahit encore plus l'impact des abus qu'elle avait subis. Genzo ne recula pas, pourtant. Avec une douceur infinie, il posa ses mains sur ses épaules et l'attira doucement contre lui.
— Clara, tu n'as rien fait de mal, murmura-t-il.
Elle tenta de résister, mais il la maintint dans une étreinte rassurante, la berçant légèrement comme pour lui faire comprendre qu'elle était en sécurité. Les sanglots de Clara s'intensifièrent, mais peu à peu, sa tension sembla s'atténuer.
— Je suis là, Clara. Personne ne te fera de mal ici, jamais.
Après un moment, ses pleurs se calmèrent. Genzo recula légèrement, assez pour croiser son regard, et lui offrit un sourire réconfortant.
— Maintenant, laisse-moi m'occuper de ton doigt. C'est la priorité.
Il l'accompagna doucement jusqu'au salon et s'empressa d'aller chercher une trousse de premiers secours. Clara le regarda nettoyer et panser sa petite blessure, les larmes encore présentes dans ses yeux.
— Tu vois? C'est rien du tout, dit-il en posant un dernier morceau de sparadrap.
Clara hocha la tête, mais elle ne dit rien. Genzo, de son côté, ressentait un mélange d'émotions: une immense peine en voyant à quel point Gunther avait brisé cette femme, mais aussi une détermination féroce à l'aider à se reconstruire.
Il posa doucement une main sur la sienne et murmura :
— Clara, tu mérites de te sentir en sécurité. Et tant que je serai là, je te promets que tu le seras.
Clara leva les yeux vers Genzo et croisa son regard. Ce qu'elle y vit la bouleversa: une douceur sincère, une absence totale de jugement ou de colère. Son cœur se serra. Pour la première fois depuis longtemps, elle ressentit une envie presque irrépressible de baisser les armes, de s'abandonner à la confiance qu'il lui inspirait. Mais une peur persistante la retenait, comme une ombre du passé.
Elle détourna légèrement les yeux, cherchant à fuir ses propres émotions. Une voix intérieure lui rappelait que Gunther, lui aussi, s'était montré doux et attentionné au début. Puis tout avait changé, et elle avait cru que c'était de sa faute. Elle se répétait qu'elle avait tendance à mal agir, à provoquer les colères, à mériter les blessures. Elle craignait qu'un jour, Genzo aussi laisse tomber ce masque de gentillesse pour révéler un autre visage.
Prenant une inspiration tremblante, Clara murmura:
— Je... je suis désolée, Genzo. Je promets de faire plus attention à l'avenir.
Elle baissa les yeux vers ses mains, toujours liées par la chaleur rassurante de celle de Genzo, et ajouta timidement:
— Je peux rembourser le bibelot cassé...
Genzo secoua immédiatement la tête, son expression se durcissant légèrement, mais uniquement par détermination.
— Hors de question, Clara. Ce n'était qu'un objet, et ça n'a aucune importance. Toi, tu en as. Alors, je ne veux plus jamais t'entendre parler de remboursement, d'accord?
Son ton était ferme, mais empreint de bienveillance. Clara sentit ses joues s'empourprer légèrement. Ce n'était pas tant ses paroles qui la troublaient, mais la façon dont sa main restait posée sur la sienne, immobile mais réconfortante, comme un ancrage.
Elle osa relever timidement les yeux vers lui, ses joues toujours teintées d'un rouge délicat.
— Merci, murmura-t-elle d'une voix presque inaudible.
Genzo lui offrit un sourire chaleureux, sans bouger sa main.
— Il n'y a pas à me remercier, Clara. Je suis là pour toi, quoi qu'il arrive.
Ces mots, prononcés avec une sincérité désarmante, résonnèrent profondément en elle. Une part de Clara voulait croire qu'il ne la décevrait pas, qu'il ne serait jamais comme Gunther. Mais une autre, plus prudente, luttait encore contre cette confiance naissante.
Pourtant, à cet instant précis, alors qu'elle se perdait dans le regard de Genzo, la peur semblait s'effacer, juste un peu, pour laisser place à un fragile sentiment de sécurité.
Le lendemain, Genzo rentra de l'entraînement avec un sourire discret mais visiblement satisfait. Clara, assise dans le canapé, releva les yeux vers lui lorsqu'il entra, intriguée par son expression.
— Tu as l'air content, fit-elle remarquer doucement.
— J'ai quelques bonnes nouvelles pour toi, répondit-il en posant un petit sac sur la table devant elle.
Clara le regarda avec curiosité alors qu'il sortait une boîte contenant un téléphone flambant neuf. Il le lui tendit avec un sourire chaleureux.
— Voilà. Un nouveau téléphone, avec un nouveau numéro. Tu peux tout reprendre à zéro, laisser ton passé derrière toi et...
Clara resta figée un instant, le regard fixé sur le téléphone. Elle sentit un mélange d'émotions l'envahir: gratitude, soulagement, mais aussi une pointe de gêne.
— Genzo... C'est trop. Tu n'aurais pas dû, murmura-t-elle, en rougissant légèrement.
— Je devais, au contraire, répondit-il calmement. Tu as besoin de tourner la page, et ce n'est qu'un outil pour t'aider à le faire.
Clara finit par accepter le téléphone, même si elle se sentait un peu embarrassée qu'il fasse un tel geste pour elle.
— Merci... vraiment, dit-elle doucement, baissant les yeux.
— Ce n'est pas tout, continua Genzo en prenant une chaise pour s'asseoir face à elle. Clara, j'ai parlé à mon avocat. Il m'a confirmé que Gunther a été placé en détention provisoire.
Clara fronça légèrement les sourcils, un peu perdue par le terme.
— En détention provisoire? Ça veut dire quoi exactement?
Genzo prit le temps de lui expliquer avec des mots simples.
— Ça veut dire qu'il est retenu en prison, en attendant son procès. Les charges contre lui sont suffisamment sérieuses pour qu'il ne soit pas relâché. Ça peut prendre un moment avant que le procès n'ait lieu, mais pour l'instant, il ne peut plus t'approcher.
En entendant ces mots, Clara sentit une vague de soulagement l'envahir, si intense qu'elle en eut presque les larmes aux yeux.
— Il est... bloqué. Loin de moi, murmura-t-elle, comme si elle devait s'en convaincre elle-même.
Elle posa une main tremblante sur son cœur et releva les yeux vers Genzo, pleine de reconnaissance.
— Je ne sais pas comment te remercier... Tu as fait tellement pour moi...
Genzo secoua doucement la tête, un sourire bienveillant sur les lèvres.
— Tu n'as pas à me remercier, Clara. C'est normal.
Mais son soulagement fut de courte durée. Un voile de tristesse passa dans son regard alors qu'elle baissait de nouveau les yeux.
— Ça veut dire que je vais pouvoir rentrer chez moi...
Genzo sentit son cœur se serrer. Il avait deviné que cette idée, loin de la rassurer, la troublait profondément.
— Clara, tu n'es pas obligée de partir si tu ne te sens pas prête, dit-il doucement.
Elle releva les yeux vers lui, hésitante.
— Mais je ne peux pas rester ici indéfiniment... Je ne veux pas t'imposer ma présence.
— Tu ne m'imposes rien, Clara, répondit-il fermement. Je veux que tu restes tant que tu en as besoin. Chez moi, tu es en sécurité, et tu peux prendre le temps qu'il te faut.
Clara sentit une chaleur douce envahir son cœur à ses mots. Mais malgré tout, une part d'elle restait envahie par le doute et la peur de s'appuyer trop sur lui. Elle baissa les yeux un instant, cherchant ses mots. Elle se tortillait légèrement les mains, signe de son inconfort.
— Genzo... Je ne veux pas m'imposer, tu sais. Je ne veux pas abuser de ta gentillesse...
Elle releva timidement les yeux vers lui avant de continuer, sa voix plus douce et presque tremblante.
— Mais... même si je sais que Gunther est en prison, je dois avouer que je me sens bien plus en sécurité ici. Ton appartement est tellement sécurisé, et... ça me rassure vraiment.
Genzo la regarda attentivement, lisant la sincérité et l'hésitation dans ses yeux.
— Jun m'a donné trois semaines d'arrêt de travail, reprit-elle. Alors, si ça ne te dérange pas, est-ce que je pourrais rester jusqu'à la fin de mon ITT? Juste pour avoir un peu plus de temps pour me remettre...
Genzo hocha la tête presque instantanément, son expression douce et rassurante.
— Évidemment, Clara. Tu peux rester autant que tu en as besoin. Trois semaines, un mois, plus si tu veux.
Clara releva légèrement la tête, surprise par sa réponse.
— Tu es sûr?
— Bien sûr. Je veux que tu te sentes en sécurité, et si être ici t'aide, alors reste aussi longtemps que tu le souhaites, dit-il avec un sourire tendre.
Ce sourire... Clara sentit une vague de chaleur envahir son visage. Elle détourna rapidement les yeux, gênée par la rougeur qui montait sur ses joues.
— Merci, murmura-t-elle doucement.
Mais même si elle tentait de se reprendre, son cœur battait plus vite. L'expression de Genzo, si douce, si bienveillante, lui faisait ressentir des choses qu'elle n'avait pas connues depuis longtemps. Cette tendresse qu'il dégageait, ce sourire apaisant... Elle ne pouvait s'empêcher de se demander comment un homme comme lui pouvait être aussi patient, aussi attentif.
Elle passa une main sur sa nuque, essayant de cacher sa gêne, tandis que Genzo continuait à la regarder avec ce regard empreint de douceur.
