Que savons-nous des tableaux?

Mes connaissances étaient limitées sur le sujet. Oh, bien sûr, en tant que Ministre, je savais qu'il y en aurait pléthore à mon effigie. Je voulais laisser une trace derrière moi, mais j'étais plus attachée à la manière dont le monde serait transformé après mon passage qu'à la manière dont la vie de représentation que j'avais menée se poursuivrait après ma mort. La curiosité ne m'avait jamais poussée à m'interroger davantage. En fin de compte, si l'on exceptait le fait que les portraits étaient animés, ma représentation de ces toiles reposait essentiellement sur ma culture moldue.

Et pourtant.

Il y a tout ce que les vivants ne voient pas. L'envers du tableau. La vie secrète des portraits. Leurs antichambres et les alcôves. Les balcons et les vues. Hermione commençait à comprendre pourquoi les peintres étaient aussi généreusement rémunérés pour des toiles qui ne lui apparaissaient pas précisément comme des chefs d'œuvre d'art pictural, du moins de l'extérieur.

A bien y réfléchir, la profondeur du portait d'Ariana Dumbledore aurait dû la pousser à s'interroger davantage à ce sujet. Certes, il y avait d'autres sujets brûlants à traiter à ce moment-là.

Mais pour une fois, la surprise n'était pas désagréable.

Ces lieux où elle errait les premiers temps devinrent peu à peu le réceptacle de sa mort aux côtés de Drago Malefoy.

L'existence qu'elle n'avait pas vécue.

Elle s'était toujours imaginé la mort comme quelque chose de figé. Pourtant, c'était précisément le jour de leurs retrouvailles qu'elle avait senti un changement. Au terme d'une vie de cycles sans fin, elle avait perçu que le temps – à l'image d'un ruisseau qui s'écoule – avait repris son cours.

Retrouvailles.

Elle devinait qu'il était le responsable de ces zones d'ombres dans sa vie, sans jamais l'interroger à ce sujet. A son regard, elle savait qu'elle était son monde. Elle savait qu'il s'était retiré de sa vie en croyant bien faire. Il était probablement la personne qui s'était le plus soucié de son bonheur.

Certes, elle aurait pu laisser la colère l'emporter sur le fait qu'il ne lui avait guère laissé le choix.

La société lui aurait donc laissé le choix, s'il avait été à ses côtés? Aurait-elle pu mener les combats qu'elle avait livrés? Non, bien sûr que non. Exposée aux jugements, son action aurait été amoindrie.

Est-ce que ces luttes valaient la peine d'une vie sans lui? Difficile de répondre avec objectivité à cette question. Mais Hermione se connaissait. Si elle ne les avait pas menées, elle en aurait eu une vision idéalisée. Elle aurait conçu des regrets de ne pas avoir pu se jeter dans l'arène. Comme presque tout le monde, il y avait fort à parier qu'elle aurait attaché davantage de prix à ce qu'elle n'aurait pas pu réaliser plutôt qu'à ce qu'elle serait parvenue à construire.

Parfois, il murmurait d'une voix tremblante des mots indistincts dans sa chevelure quand il la pensait endormie. Il la désirait, pleine et entière, idéaliste et engagée, même si cela avait signifié renoncer à une vie auprès d'elle. Sans même savoir qu'ils se retrouveraient un jour de l'autre côté.

A quoi bon remuer les cendres des regrets d'une vie révolue?

Pourquoi ne pas être simplement reconnaissante de l'ultime cadeau que représente une personne qui vous aime sincèrement, qui respecte vos idées, qui aime débattre avec esprit?

Et quel esprit. Cette voix qu'elle croyait parfois entendre en contrepoint de la sienne. Ses baisers, dont elle s'était souvenue lorsque sa relation avec Ronald avait débuté. Inoubliables, de ceux qui ne sauraient être éclipsés.

D'ordinaire, elle l'entraînait dans ses portraits. Elle était devenue la chatelaine de dizaines de tableaux, alors qu'elle ne lui connaissait qu'une seule toile.

Et pourtant, un jour, il l'emmena dans un portrait qu'elle ne lui connaissait pas.

En es-tu si sûre?

Un cottage.

Une table, sur laquelle un badge de la SALE était posé.

Un poste de radio moldue.

Les larmes lui vinrent aux yeux.

Ah, Verdi avait un mot pour définir sa musique. La tinta. Cette manière unique de rappeler un thème par des couleurs qui jouent sur la mémoire de manière inconsciente, donnant une sensation confuse d'homogénéité dans un opéra.

Hermione découvrit alors que la tinta existait ailleurs que dans la musique.