Chers Joncheruines,
en vous apercevant dans la Grande Salle l'autre jour, j'ai tout de suite su que vous deviez être de retour. Vous chatouillez mes boucles d'oreilles et mes pensées avec la même délicatesse, et je ne pensais pas qu'on pouvait se sentir aussi enthousiaste à l'idée de s'adresser à d'adorables petits esprits farceurs. Mais en entendant vos doux chuchotis près des lustres (je suis presque sûre que c'était vous), j'ai su que j'avais raison de continuer à y croire.
On a passé des heures, Papa et moi, à essayer de trouver un moyen de vous attirer hors de mes chaussettes (j'y avais mis des bouts de fromage pour vous tenter, mais vous avez préféré mes plumes de Corne de Sombrals, c'est assez surprenant). Finalement, on a fait un mix de coriandre, de pétales de marguerites et de vinaigre de citrouille. J'ignore totalement si ça vous plaît, mais je trouvais l'odeur sympathique. Puis on a disposé ce mélange un peu partout dans ma chambre. Je vous imaginais danser autour. Oui, je sais, c'est bizarre, mais j'aime bien être bizarre je crois.
Je vous écris pour vous dire que, malgré tout ce que peuvent en penser les autres, je serai toujours prête à vous accueillir, même si on me répète que vous n'existez pas. Ne vous en faites pas, je ne laisserai jamais personne vous mettre à la porte. Vous pouvez continuer à me piquer mes souliers ou à me cacher mes plumes, c'est notre petit jeu et, au fond, j'en suis plutôt contente. C'est la preuve que vous êtes là, quelque part, et je trouve ça drôlement rassurant.
J'espère que vous ne vous sentez pas trop à l'étroit dans mes tiroirs. Je me suis promise de les laisser entrouverts pour que vous puissiez aller et venir à votre guise.
En fait, j'ai envie de vous dire que vous pouvez rester autant que vous le voudrez, même si vous préférez manger mes plumes de Sombral plutôt que les petites tartines de pâte de citrouille que je vous prépare (je ne vous en veux pas, chacun ses goûts, et puis la pâte de citrouille a parfois un goût un peu trop orange, vous ne trouvez pas ?).
Alors, si vous lisez cette lettre (ou si vous dansotez actuellement sur ses mots), sachez que je compte sur vous pour me chiper mes chaussettes de temps en temps, histoire de me rappeler que vous êtes là. Et si, un jour, vous souhaitez partir, je vous offrirai même un petit sachet de coriandre confite pour la route. Les souvenirs se trouvent souvent dans les endroits les plus bizarres, et je suis sûre que la coriandre confite en fait partie.
PS : J'ai appris qu'il y avait quelqu'un prêt à me revendre une paire de Lorgnospectres (les fameuses lunettes qui me permettaient de vous apercevoir… ou qui me donnaient au moins l'impression de le faire). J'ai perdu les miennes, ou peut-être me les a-t-on volées, je ne sais pas trop… Toujours est-il qu'elles coûtent une somme exorbitante, alors je les ai demandées pour Noël. Avec un peu de chance, je pourrai vous admirer à nouveau sous toutes vos facettes invisibles !
Avec toute mon affection un peu loufoque,
- Luna.
