Notes de l'auteur : Et bien le bonjour à ceux qui me suivent depuis un petit moment, ou qui me découvrent. J'avais parlé d'un tout nouveau projet et je vous invite maintenant à commencer à le lire.
Chapitre 1 : Le rêve de la déesse
Toujours le même rêve. Le quartiers des plaisirs en flammes… des cris… des pleurs… de la rage… les Berberas qui courent partout…
Freya… dominante… Tammuz, charmé… elle, abandonnée… l'humiliante brûlure sur sa joue après que Freya l'ait giflé… la chute… douleur… insoutenable… son corps… brisé… la douce chaleur de son arcanum qui la protège… le flottement, elle retourne aux cieux… non… NON !
Et soudainement, elle s'éveille !
Dans son immense lit, Ishtar se redressa, elle avait le souffle court, elle était en sueur. L'air nocturne pénétra par la fenêtre et caressa sa peau nue. A ses côtés, il y avait Tammuz, son homme de main, il était profondément endormi, ainsi qu'un autre homme, un de ces rares clients privilégiés qui avait la chance d'obtenir ses faveurs et qu'elle oubliait dès le matin venu. Les deux dormaient à poings fermés, ce qui n'était pas étonnant vu qu'ils avaient dû endurer les faveurs de la déesse de beauté quelques heures plus tôt.
Coucher avec Ishtar pouvait être une expérience des plus éprouvantes, ils n'allaient pas se réveiller avant longtemps et elle le savait bien. Doucement, la déesse sortit de son lit et se para d'un simple châle sur les épaules. Elle attrapa alors son kiseru, la fine pipe typique de l'Est lointain qu'elle aimait fumer régulièrement et l'alluma. En tant que déesse, elle pouvait fumer autant qu'elle voulait sans jamais s'encrasser les poumons, alors autant en profiter.
D'un pas léger, elle sortit par la porte-fenêtre donnant sur le grand balcon attenant à ses appartements privés. Ici, au sommet de Belit Babili, elle avait une vue imprenable, à la fois sur le quartier des plaisirs, mais aussi sur une grande partie d'Orario. En bas, l'agitation nocturne typique des lieux commençait doucement à s'apaiser. On arrivait à l'heure où les plaisirs nocturnes étaient consumés et où le sommeil venait délicatement cueillir ceux qui s'étaient abandonné aux étreintes charnelles.
Accoudée sur la rambarde de pierre, fumant tranquillement, Ishtar fit le point.
Une semaine.
Cela faisait une semaine maintenant que ces étranges rêves hantaient ses nuits. Toujours les mêmes images, les mêmes évènements. Freya attaque, ravage tout sur son passage, charme ses serviteurs et se contente de la gifler d'une manière hautaine et condescendante, s'ensuit une chute terrible qui la renvoie aux cieux.
Que signifiaient ces rêves ? Était-elle inquiète ? Fébrile ? Ses plans commençaient doucement à se mettre en marche, il y avait encore beaucoup de détails à régler, comme la rencontre avec Kali, son petit accord avec les Fils de la nuit ou mettre la main sur un autre Fatalroc depuis qu'Aisha avait brisé le précédent. Mais dans l'ensemble, tout avançait bien.
Alors pourquoi ces rêves ? Est-ce qu'ils la mettaient en garde ? Ou était-ce le fruit de ses propres inquiétudes ?
Derrière elle, la silhouette de Tammuz apparut. La déesse eu un petit sourire amusé, depuis le temps, elle avait fini par sous-estimer la capacité du jeune homme à encaisser une nuit dans ses bras.
Tout va bien dame Ishtar ? demanda-t-il de sa voix calme.
Oui… ce n'est rien Tammuz. Fais préparer mon bain, j'ai besoin de me détendre.
A vos ordres.
Oui, la délicieuse chaleur de l'eau parfumé sur sa peau, cela lui ferait sans aucun doute le plus grand bien. Et avec de la chance, cela chasserait ses rêves bizarres comme l'aube chasse la nuit.
Mais le souhait de la déesse ne fut pas exaucé, bien au contraire, encore une semaine plus tard, les rêves continuaient de revenir de manière toujours plus intense. Et plus précis aussi. Elle voyait d'autres personnes dans ces rêves, Haruhime, à deux doigts d'être sacrifiée, mais sauvée, ainsi qu'une Aisha déchirée par son désir de l'aider et l'obéissance absolue que la déesse avait plantée en elle.
Haruhime était toujours à sa place, à attendre sa destinée, bien que toujours incapable de s'occuper d'un client. Aisha continuait de veiller sur elle, mais depuis qu'elle avait brisé la première pierre, Ishtar l'avait mise au pas, après avoir gravé son charme dans son corps jusqu'à la limite de la folie. Cette dernière serait incapable de se rebeller.
Non, ce qui hantait Ishtar depuis un moment, c'était l'autre personne qu'elle voyait dans ses rêves. Le garçon. Un jeune homme qu'elle ne connaissait pas. Jeune, peut-être une quinzaine d'années, des cheveux blancs et des yeux rouges. Un visage tendre qui le faisait ressembler à un petit lapin adorable.
Il se battait pour sauver Haruhime. Dans ses rêves, elle se voit rencontrer ce garçon, elle le voit au sol devant elle, son dos mis à nu. Elle voit sa falna. Mais le rêve est flou, elle ne voit jamais les glyphes et ce qu'ils disent, elle ne voit que le symbole de la divinité. Une flamme. Plusieurs divinités étaient associées au feu, mais la déesse reconnut rapidement cet emblème divin et pour cause, il appartenait à une divinité qui était diamétralement son opposée, une déesse vierge. C'était l'emblème divin d'Hestia qu'elle voyait sur le dos de ce jeune homme.
Hestia venait de descendre des cieux récemment, mais aux dernières nouvelles, elle n'avait pas encore créé sa propre familia.
Mais ces visions n'étaient pas la seule chose que ces rêves lui ramenaient. Ils amenaient aussi en elle des émotions et des sentiments. Et étrangement, elle savait que ces émotions étaient les siennes, mais elle ne se les expliquait pas.
Ce soir là encore, les rêves l'avaient réveillé en pleine nuit. Une nouvelle fois, elle était seule, accoudée sur son balcon et pensive. Les rêves étaient partis pour ce soir, mais les émotions étaient là. Dans son cœur, elle ressentait surtout de la mélancolie, de la tristesse et de la déception.
Ses yeux se posèrent sur Babel au loin. D'habitude, la simple vue de la grande tour la mettait hors d'elle, elle lui rappelait que Freya régnait au sommet, alors qu'elle, elle ne régnait qu'ici. Mais étrangement, depuis quelques jours, ce n'était plus le cas. Chaque fois qu'elle regardait la tour, qu'elle pensait à la déesse à son sommet, ce qui l'envahissait soudainement n'était qu'une immense lassitude, un sentiment de vacuité, comme si son cœur commençait à comprendre que cette rivalité était finalement stérile et qu'elle ne lui avait strictement rien rapporté.
Détrôner Freya, oui et après ? Cela satisferait sans doute son égo, mais ensuite, que ferait-elle ? Tout ça lui paraissait tellement fade à présent. Elle posa alors son regard sur le quartier en contrebas, puis de nouveau sur la ville, et encore sur le quartier. Mais en fait, Freya régnait sur quoi ? Certes, elle trônait dans les appartements au sommet de Babel, honneur laissé à la divinité considérée comme ayant le plus d'influence en ville, mais même avec sa familia puissante, elle n'avait pas grand-chose d'autre que son domaine. En fait, la Freya familia était très renfermée sur elle-même, quand ses enfants n'étaient pas dans le Donjon, ils ne faisaient que s'entrainer, ou plutôt s'entretuer pour les faveurs de la déesse.
Ishtar regarda alors en contrebas et se rendit compte qu'elle possédait énormément de choses de son côté. Tout le quartier des plaisirs était à elle.
Rien que le simple patrimoine foncier qu'il représentait constituait déjà une énorme richesse. Si on rajoutait par-dessus ce que lui rapportaient les dizaines et les dizaines de bordels qui lui appartenaient, on en arrivait à des revenus absolument indécents. En gros, elle était riche, l'une des plus grandes fortunes d'Orario, suffisamment pour qu'elle puisse passer l'équivalent d'une centaine de vies mortelles à l'abri du besoin. Elle avait de quoi satisfaire le moindre de ses caprices. Sans qu'elle compter qu'en gérant tout le commerce des plaisirs, elle tenait littéralement des milliers d'aventuriers par les bourses.
Un seul mot de sa part et elle pouvait faire exclure qui elle voulait de son quartier des plaisirs, faire profiter à ceux qui lui rendaient service de tarifs préférentiels, voire de plaisirs à titre gracieux, ou encore augmenter les tarifs pour ceux à qui elle voulait faire passer des messages. Et s'il y avait bien une chose dont elle était persuadée, c'est que le sexe serait toujours vendeur.
En gros, elle avait le pouvoir et la richesse. Sa rivalité avec Freya n'était finalement que le fruit de son propre égo, car il était très probable que l'autre déesse se fichait éperdument de ce qu'elle pensait.
Et Ishtar ne comprenait pas pourquoi elle se mettait à penser ainsi, pourquoi ce qui fut l'obsession de plusieurs siècles commençait à s'évanouir comme la neige fond au soleil.
Car encore une fois, Freya ne lui inspirait plus que lassitude et vacuité.
Ishtar ne voulait plus que des réponses maintenant, des réponses à ses rêves. Qui était ce garçon ? Quel lien avait-t-il avec elle ? Avec sa chute ? Si ses visions montraient qu'il n'était pas un enfant de Freya, alors pourquoi était-il là quand cette dernière se mettait à ravager le quartier ? Et quel lien avait Hestia avec tout ça ? Vu sa nature, c'était bien l'une des dernières qu'elle voyait coopérer avec Freya.
Ses rêves étaient trop forts, trop pour qu'elle les ignore, alors, la déesse se mit en quête de réponses. Et elle savait très bien comment les obtenir.
Bien évidemment, comme toutes les déesses de beauté, il lui était difficile de sortir dans la rue sans attirer les regards de tout le monde. Alors, tout comme ses sœurs, elle se para d'une cape à capuche et d'un manteau camouflant son corps sensuel, ainsi que d'une écharpe pour masquer une partie de son visage. Il n'y avait que comme ça qu'elle pouvait se promener librement et discrètement.
La déesse se rendit alors à la meilleure source de renseignement possible, la Guilde elle-même.
D-Déesse Ishtar, j'ai bien regardé, mais je n'ai rien trouvé, pourtant je vous jure que j'ai bien cherché. Lui dit un homme dont le regard montrait qu'il était sous son charme.
Ishtar n'eut pas de mal à trouver un employé un peu plus isolé que les autres, puis à le charmer d'un regard pour le convaincre d'effectuer quelques recherches pour elle. Elle jouait avec les limites, mais pour obtenir des réponses discrètes, elle n'avait pas vraiment le choix.
Rien ? Vraiment, êtes-vous sûr de vous ? Aucun jeune homme correspondant à cette description ? Ni aucune activité de la déesse Hestia ?
Je vous jure madame que j'ai vérifié trois fois. Aucun jeune aventurier ne correspond à cette description et nous n'avons aucune mention de la création d'une familia au nom d'Hestia. L'homme semblait malheureux de ne pas avoir répondu aux attentes de la déesse et de l'avoir trahi malgré lui.
Quant à cette dernière, elle était pensive. La description du garçon était pourtant assez détaillée, un humain mâle d'une quinzaine d'année, petite taille, visage doux, cheveux blancs et yeux rouges. Vu que la Guilde gardait des registres très complets, il aurait dû trouver quelque chose. Quant à Hestia, cela confirmait ses propres informations, la petite déesse était bien descendue des cieux, mais n'avait pas créé de familia. A première vue, elle vivait toujours aux crochets d'Héphaïstos.
Merci pour ton travail assidu, maintenant, oublie que je suis venue. Fit-elle en déposant un baiser sur la joue de l'homme. Vu sa nature, cela suffit largement pour provoquer chez lui une réaction de plaisir avant qu'il ne s'écroule sur son bureau. La déesse sortit alors discrètement et quitta la Guilde comme elle était venue, avec encore plus de questions que de réponses.
Et maintenant, que faire ? Il était encore tôt, le quartiers des plaisirs ne s'animait qu'à la nuit tombée. Elle n'avait pas vraiment envie de rentrer pour le moment, cela ne ferait que la faire cogiter davantage. Pour une fois, Ishtar décida de changer ses habitudes et se promena un peu en ville. Elle se rendit compte qu'elle avait tellement passé de temps à ourdir ses plans qu'elle n'avait pas profiter d'Orario depuis un petit moment.
Avec le Donjon et les nombreuses familias, la ville était vraiment le centre du monde, un lieu cosmopolite, où se croisait les différentes races mortelles, où un tourbillon incessant d'émotions dansait en permanence.
Alors que la déesse contemplait toute cette vie autour d'elle, quelque chose attira son œil, une silhouette qui disparut dans une ruelle. D'un pas pressé, elle se hâta de la rejoindre.
Et là, elle le vit. C'était lui. C'était le garçon qu'elle voyait dans ses rêves. Humain, adolescent, petite carrure, bonne bouille, cheveux blancs et yeux rouges. Il ne l'avait pas vu et elle ne s'approcha pas.
Discrètement, elle se mit à le suivre pendant un bon moment. Et là, Ishtar commença à se sentir très bête. Pourquoi ne pas simplement l'aborder ? Après tout, ce n'était qu'un ado, à un âge où ses hormones devaient être en pleine ébullition, il lui serait très facile de le charmer et de le faire parler.
Mais étrangement, elle n'arrivait à se résoudre à l'aborder et elle se retrouvait en train de le suivre discrètement, comme une écolière incapable de se confesser au garçon qui lui plait. C'était complètement idiot, bien qu'un peu rafraichissant, elle n'avait jamais connu ce genre de sensation.
Alors, elle continua de le suivre. Le garçon passa une grande partie de sa journée à frapper aux portes de différentes familias, principalement de bas niveau. Mais à chaque fois, il se faisait rembarrer.
Profitant qu'il fasse une pause, la déesse avisa du coin de l'œil la dernière personne à l'avoir éconduit. L'homme sortit de la demeure de sa familia et prit une petite ruelle, la déesse le rejoint et elle n'eut pas besoin de faire beaucoup d'efforts pour le charmer et lui faire cracher ce que le garçon voulait.
En gros, le garçon était un campagnard naïf qui sortait de son village paumé, sans entrainement, sans expérience, ni rien à offrir à part de la bonne volonté et qui voulait intégrer une familia. La déesse libéra l'homme et retourna observer le garçon, il avait l'air déçu et il avait de quoi l'être.
Bienvenue à Orario. Il ne suffisait pas de se pointer à la porte d'une familia pour qu'un dieu vous accepte. La grande majorité des familias, surtout de petite taille, ne pouvaient pas s'encombrer d'un poids mort. Ou alors il fallait taper directement dans l'œil d'un dieu. Il y avait bien certaines familias qui recrutaient sans regarder, mais les conditions n'étaient pas forcément avantageuses ou alors il fallait en passer par les lubies de la divinité. Un pervers comme Apollon recruterait sans doute le garçon, mais ce dernier y risquerait son derrière dans cette histoire.
Le garçon se permit un maigre repas, à le voir compter son argent, ses économies devaient commencer à partir en fumée. Mais il ne se laissa pas abattre et continua sa route, visiblement déterminé à trouver quelqu'un qui l'accepterait.
Mais sa détermination se heurta à des portes claquées au nez et autres rires moqueurs. A la fin de l'après-midi, le garçon était assis dans une ruelle, déprimé de sa journée.
Et Ishtar l'avait suivi tout le long. Elle admirait au moins sa ténacité, même si cela ne l'avait pas porté bien loin. Finalement, elle trouva enfin le courage de l'aborder. D'un pas léger, elle s'approcha de lui et lui parla.
En voilà un visage triste. Tu as passé une mauvaise journée ? La question était rhétorique vu qu'elle l'avait suivi une bonne partie de la journée, mais elle ne pouvait pas non plus lui avouer.
Je pensais que ce serait plus facile d'intégrer une familia. Mais on dirait que non en fait. Répondit-il d'une voix un peu triste.
Triste réalité pour les nouveaux venus en ville, si tu n'as rien à offrir, n'espère pas qu'on te donne facilement une chance. Cela fonctionne partout ainsi, y compris dans ma familia.
Le garçon allait lui répondre quand il tourna le visage vers elle et il eut le souffle coupé pendant un instant. Il ne vit qu'une partie du visage d'Ishtar, mais son regard suffit à lui faire comprendre qu'il s'adressait à une femme magnifique, bien plus que toutes les jeunes villageoises qu'il avait côtoyé dans son village natal.
Vous… vous êtes dans une familia ?
On peut dire que c'est techniquement le cas, vu que j'en dirige une.
Vous dirigez une familia ? Vous êtes une déesse ? dit-il en se redressant soudainement, des étoiles dans les yeux.
Exactement.
A cette révélation, la tristesse quitta soudainement le visage du jeune homme alors qu'il se mit à parler d'une voix enjouée.
S'il-vous-plait, laissez-moi intégrer votre…
Mais Ishtar le coupa dans sa phrase en posant un doigt sur ses lèvres.
Doucement mon garçon. Tu devrais être plus prudent quand tu fais ce genre de demande à une divinité, tu ne sais pas sur qui tu vas tomber.
Quel paradoxe que ce soit elle entre tous qui se mit à lui faire une telle leçon.
Euh… c'est non alors, je suppose. Fit-il en prenant une mine de chien battu. Derrière son écharpe, Ishtar se surprit à rougir légèrement. C'était légal d'avoir une bouille aussi adorable ?
Mais d'un autre côté, elle en avait aussi profité pour le sonder un peu. Ce garçon ne savait probablement rien de ses rêves. Elle était sûre que c'est bien lui qu'elle voyait, mais il était un peu différent. Le garçon devant elle était naïf, innocent, son inexpérience se lisait sur son visage, dans son langage corporel. Celui de ses rêves avait l'air plus mature, plus expérimenté.
Peut-être pas. En fait, c'est plutôt toi qui risques de ne pas vouloir rester quand tu auras vu ma familia.
Pourquoi dites-vous ça, déesse ?
Le plus simple, ce serait encore que je te montre. Voilà ce que je te propose : viens avec moi, vois ce qu'est ma familia et tu feras ton choix.
Pourquoi est-ce qu'elle s'embêtait ainsi ? Elle pouvait parfaitement le charmer et en faire son esclave. Mais il y avait quelque chose en elle, un sentiment profond, une sorte d'instinct qui lui hurlait de ne surtout pas faire ça. Un instinct qui lui disait qu'elle devait avoir le garçon auprès d'elle, mais sans passer par ses artifices habituels.
Vraiment ? Merci déesse ! Je viens avec plaisir ! lui répondit-il d'un air enjoué, le visage enchanté par cette nouvelle.
Tu sais, tu n'es pas sensé suivre la première inconnue qui t'offre des bonbons. Lui dit-elle alors un petit rire amusé. La naïveté de ce jeune homme était presque… rafraichissante. Pour sa part, il ne répondit rien et se contenta de rougir.
Comment t'appelles-tu mon garçon ?
Bell… Bell Cranel.
Aux yeux de Bell, la femme qui l'avait abordé était surtout sa chance de faire ses preuves. Son arrivée en ville ne s'était pas aussi bien passé que prévu. Les familias l'avaient rejeté à la chaine, ses économies fondaient à vue d'œil et il était à deux pas de dormir à la rue. Peut-être prenait-il un risque, mais il n'avait pas grand-chose à perdre à ce stade. Dans sa situation, il était bien obligé de considérer l'offre de n'importe quelle divinité.
Histoire de ne pas l'effrayer trop vite, Ishtar leur fit faire un détour, pour ne pas rentrer frontalement dans le quartier des plaisirs. Surtout qu'entre temps, le soleil avait amorcé sa descente et son domaine commençait donc à recevoir les premiers visiteurs. Un domaine que l'on pouvait justement diviser en deux catégories, d'un côtés les grandes allées tape-à-l'œil, là où les bordels avaient pignons sur rue et où les visiteurs allaient. Et d'un autre côté, les petites rues où se trouvaient les bâtiments privés, comme les maisons des employés, des entrepôts et d'autres lieux qui n'avaient pas vocation à recevoir des visiteurs. Ces rues-là étaient bien plus calmes, même si on pouvait se douter de l'ambiance joyeuse au loin.
Bell n'avait évidemment pas compris où il avait atterri, suivant silencieusement cette déesse. Puis, elle le mena face à un immense bâtiment, semblable à une tour, autour duquel se trouvait deux tours de plus petite taille. La grandeur des lieux le laissa sans voix, alors qu'elle lui fit signe de le suivre.
Intimidé, il la suivit néanmoins, le grand hall dans lequel il rentra était un d'un luxe comme il n'en avait jamais vu. Mais ce qui attira immanquablement son regard, ce furent les dizaines de femmes qui s'affairaient ici et là. Principalement des amazones, mais toutes dans des tenues… qui ne laissaient pas grand-chose à l'imagination. Rapidement, il ne sut plus du tout où il devait regarder.
La déesse qui l'avait amené ici s'arrêta et se défit de sa capuche et son écharpe, libérant sa magnifique chevelure mauve. Sa beauté devint encore plus évidente qu'avant.
Bienvenue à Belit Babili, Bell. Je ne me suis pas encore présenté je crois. Je suis Ishtar, déesse de la beauté, de la joie… et de la sexualité.
En arrivant en ville, Bell s'attendait à tout, sauf à ça. Le voilà maintenant en compagnie de la déesse incarnant les plaisirs charnels, ainsi que tous ses serviteurs. La déesse lui demanda de le suivre, pour qu'ils puissent parler plus au calme dans ses appartements. Mais pendant tout le chemin, il sentit des regards qui se posèrent sur lui et ils furent très différents.
D'un côté, une grande partie des amazones, celles les plus en accords avec leurs instincts ancestraux, le regardait avec mépris, comme la petite chose faible et fragile qu'il était. Un gamin issu de sa campagne qui avait l'air aussi menaçant qu'un lapin apeuré. Et de l'autre, des femmes plus ouvertes, qui le trouvaient parfaitement à leurs goûts et lui donnaient l'impression d'être un morceau de viande face à toute une meute de prédatrices.
En arrivant face aux appartements de la déesse, il y avait une femme qui attendait là, une amazone aussi à première vue. Grande, bronzée, de longs cheveux noirs, des yeux mauves, des belles courbes dans une tenue minimaliste. Sans compter ce petit quelque chose qu'elle dégageait, un mélange de force, de fierté et de sensualité brûlante.
Quand son regard se posa sur le jeune homme accompagnant sa déesse, elle ne put retenir un petit sourire taquin.
Ho ? Est-ce votre « encas » du soir, dame Ishtar ? Je crains que vous ne le dévoriez très vite.
OK, maintenant, Bell n'était plus rassuré du tout, mais il ne trouva pas non plus le courage de s'enfuir. La déesse avait raison en fin de compte, il fallait vraiment qu'il arrête de suivre les gens un peu sympas qui lui offraient des bonbons.
Cela ne te regarde pas Aisha. Passe le mot, je ne veux pas être dérangée ce soir.
Comme vous voulez. Répondit alors l'amazone un peu perplexe. Qu'est-ce que ce gamin pouvait bien avoir pour attirer l'attention de sa déesse ? Un gosse de riche peut-être ? Dont papa ou maman devaient être un partenaire d'affaire important. Sinon, elle ne voyait absolument pas pourquoi la déesse lui accorderait ses faveurs.
Et à voir la petite dizaine de femmes curieuses qui apparurent quand les portes des appartements d'Ishtar se fermèrent, elle n'était pas la seule à se poser des questions.
La déesse fit signe à Bell de s'installer en lui montrant un canapé. Le garçon obtempéra sans sourciller, avec des gestes aussi raides qu'un piquet. Le canapé où il posa ses fesses était sans doute l'objet le plus confortable et moelleux qu'il n'avait jamais connu, mais il était trop occupé à trembler sur place pour faire attention à ce détail.
Pendant ce temps-là, Ishtar en profita pour se mettre plus à l'aise, se délestant de son manteau et sa cape pour révéler son corps sensuel et la tenue extrêmement légère qui le recouvrait. Ce qui fit bien évidemment rougir Bell de plus belle. Le tissu qu'elle portait avait l'air tellement léger qu'il était presque sûr qu'on pouvait voir à travers en regardant bien. Sa jupe ouverte laissait voir une longue jambe délicate et ce qu'elle portait en guise de haut semblait prêt à exposer sa poitrine au moindre coup de vent.
Bien évidemment, la déesse ne rata rien des réactions qu'elle provoquait. Et dire qu'elle n'utilisait même pas son charme, sa simple présence suffisait largement. Mais en même temps, s'il n'avait jamais côtoyé autre chose que de la paysanne un peu vieux jeu, sa simple vue devait être un ensemble de stimulus déjà bien intenses.
Avec sa sensualité habituelle, elle vint s'assoir en face de lui, croisant les jambes d'une manière qui aurait rendu fou n'importe quel homme en face d'elle.
Bien, mon garçon, nous parlions donc de ta possible intégration dans ma familia.
Bell sembla soudain se réveiller et reprendre un peu contenance. Oui, c'était un entretien d'embauche et il ne devait pas se rater.
Pour commencer, il faut que je te parle un peu plus de nos activités. Ma familia fait certes de l'exploration du Donjon, mais ce n'est pas sa principale occupation. Avant tout chose, saches que nous sommes ici au beau milieu du quartier des plaisirs. Et je parle bien des plaisirs charnels. Le quartier et tous les bordels qui s'y trouvent m'appartiennent, c'est là la principale activité de ma familia.
Je-je-je vois.
Avec une bouille adorable comme la tienne, je suis sûre que tu plairais à beaucoup de femmes, mais tu te sentirais capable de recevoir des clientes et t'occuper d'elle de manière… intime ?
Et là, Bell ne fut pas capable de répondre autrement qu'en sursautant sur place avec un petit cri de stupeur.
Visiblement non. Soyons clair, est-ce que tu as des aprioris concernant la sexualité et la prostitution en général ?
Heu… je ne… sais pas trop… Faire ce genre d'activité… comment dire…
Ce n'était pas le premier à réagir ainsi, peu importait à quel point la prostitution existait, il y aurait toujours des bien-pensants pour la critiquer. Ce qui était hypocrite, car si la prostitution existait, c'était bien car il y avait toujours eu une clientèle.
Laisse-moi deviner, tu viens d'un petit village avec une mentalité vieux jeu et coincée où le sexe, c'est uniquement après le mariage et seulement pour faire des enfants ?
Bon, elle n'eut pas besoin qu'il réponde, la façon dont Bell était gênée en disait suffisamment long.
Moi, je pense que ce que nous faisons est indispensable. Les mots de la déesse suffirent à attirer la curiosité du garçon. La sexualité est bien plus que le simple acte de reproduction. Certes, par ce biais, elle représente la fertilité, la perpétuation des lignées, mais si ce n'était que ça, alors pourquoi le sexe est-il une activité pouvant procurer autant de plaisir ?
Elle vit bien qu'elle avait attiré la curiosité de Bell et qu'il commençait à se poser des questions.
Le sexe est l'un des plaisirs les plus simples, les plus primaires et les plus anciens qui soient. C'est également un excellent remède contre le stress et toute forme de fatigue mentale. Et ne sous-estime pas les terribles effets négatifs que peut engendrer la frustration sexuelle. Et cela concerne tous les mortels sans exception, même les plus coincés des elfes y sont soumis, même s'ils prétendent le contraire.
Et des clients elfes, il y en avait dans son quartier. Plein. Ils étaient juste plus discrets que les autres.
Et cela concerne aussi bien les hommes que les femmes. Elles aussi ont des désirs et ne pense pas que la frustration sexuelle soit moins importante chez elles que les hommes. C'est juste qu'elles le cachent mieux. Et c'est pourquoi je crois que ma familia effectue un travail indispensable. Le Donjon est un endroit dangereux où des centaines d'aventuriers côtoient la mort à chaque descente, je pense qu'on peut parler sans soucis d'un véritable générateur de stress. Et ce stress, nous leur offrons une solution pour l'apaiser.
Ishtar était très convaincante dans ses propos, tout simplement parce qu'elle croyait totalement à ce qu'elle disait et pas uniquement parce qu'elle était la déesse de la fertilité. Elle en fut longtemps témoin.
Je… Je comprends ce que vous voulez dire déesse. Effectivement, ça a l'air très important. Mais… je ne me sens pas… comment dire…
De faire ce métier. Je comprends parfaitement.
Bell prit de nouveau sa tête de chien battu, comprenant qu'il allait subir son énième rejet de candidature de la journée.
Mais on peut peut-être faire autrement. Dit-elle alors que Bell la regarde d'un air curieux et un peu perdu. Mais d'abord, faisons un peu mieux connaissance. Je t'ai parlé de moi, mais je ne sais quasiment rien de toi, si ce n'est ton nom. D'où viens-tu ?
Un… un petit village perdu loin à l'est. Il m'a fallu plusieurs jours en chariot pour arriver en ville. Et son postérieur se souvenait encore de l'inconfort de son voyage.
Tu as de la famille ?
A voir son regard, elle avait déjà une idée de la réponse.
Non… Je n'ai pas connu mes parents. C'est mon grand-père qui m'a élevé, jusqu'à ce qu'il disparaisse.
Donc, plus de véritables attaches. Tu aurais pu faire d'autres choix, pourquoi venir ici ? Pourquoi vouloir devenir aventurier ? Le Donjon est loin d'être une partie de plaisir.
Grâce à mon grand-père, c'est lui qui m'a donné le goût de l'aventure.
C'était lui-même un ancien aventurier ?
Je… je ne sais pas. Il ne me parlait quasiment pas de son passé.
Voyant que le sujet de son grand-père semblait encore douloureux à aborder, la déesse préféra passer à autre chose.
Et donc, pourquoi devenir aventurier ? C'est un moyen, non une fin en soi. Qu'espères-tu obtenir de cette vie ? La force offerte par la bénédiction ? La richesse ? La gloire ? Les femmes ?
En énonçant les motivations basiques qui animaient la plupart des aventuriers, elle espérait bien deviner ses motivations à ses réactions.
Je veux… je veux devenir un héros... Fit-il tout bas d'une voix gênée.
Comment ça ? demanda la déesse qui ne l'avait pas compris.
Je veux devenir un héros ! cria alors Bell, devant le regard un peu stupéfié de la déesse. Un héros ? Il avait bien dit un héros ?
Tout d'abord, elle se dit que ce garçon était naïf et idiot. Mais elle se ravisa. Non, il était pur et innocent. Il se raccrochait à un rêve simple, mais puissant.
Un héros ? Ça ressemble à plus qu'un simple désir de gloire.
Depuis que je suis petit, mon grand-père m'a fait lire plein de contes héroïques, comme Sword Oratoria. J'ai toujours rêvé de devenir comme les héros de ces contes.
C'est une voie difficile, bien des hommes ont prétendus vouloir être des héros, mais ont perdus leur intégrité en chemin.
Pourtant, il y avait quelque chose qui lui criait que lui pouvait le faire. Cet instinct qui venait avec ses rêves. Il lui disait que pour lui, ce n'était pas un rêve d'enfant inaccessible.
Mais soit, je te crois, de toute façon, on ne peut pas mentir à une divinité. Cependant, j'ai bien vu que tu as légèrement tiqué quand j'ai parlé des femmes. Eh bien, nous ne sommes pas si innocents que ça en fin de compte, n'est-ce pas monsieur Cranel ? lui dit-elle avec un ton taquin, tel un chat jouant avec une souris. Bien évidemment, cela provoqua immédiatement de fortes rougeurs chez le jeune homme.
C'est… c'est la faute de mon grand-père ! fit-il d'une manière véhémente. En réponse, Ishtar le regarda simplement avec des yeux ronds. C'est lui qui n'arrêtait pas de dire des bêtises, genre « sauver une fille dans le Donjon pour qu'elle tombe amoureuse » ou des trucs encore plus idiots comme « le harem est l'ultime romance de l'homme ».
Et là, Ishtar ne put se retenir de rire. Mais un rire franc et amusé, pas moqueur. Comment ce garçon pouvait être aussi timide après avoir eu un grand-père pareil ?
Finalement, tu es peut-être bien tombé chez moi alors. Fit-elle entre deux rires.
Ne riez pas déesse ! lui fit Bell avec les joues en feu. Je…
Mais sa phrase fut interrompue par un énorme gargouillement. Et à sa grande honte, il venait de son ventre. Avec tout ça, il avait fini par oublier qu'il n'avait pas mangé de vrai repas depuis un moment. A force de surveiller ses économies, il avait été obligé de faire des coupes sur le budget nourriture.
Alors qu'il n'osait plus dire un mot, Ishtar s'empara d'une petite clochette qu'elle fit tinter. A ce signal, la porte s'ouvrit et une jeune femme rentra dans la pièce. Une amazone à en croire sa peau bronzée. Elle était de petite taille, ses formes étaient moyennes, mais présentes, elle avait de longs cheveux sombres, des yeux couleur ambre et son visage avait quelque chose de plus doux que la plupart des autres amazones.
Lena, fais-nous apporter une collation je te prie.
Tout de suite dame Ishtar. Lui répondit-elle avant de s'éclipser, mais non sans avoir eu le temps de jeter un œil au garçon que sa déesse avait ramené.
Une fois que Lena fut sortie et qu'elle eut relayé la demande de sa déesse, elle se fit aborder par plusieurs autres amazones.
Alors alors ? demanda une première amazone.
Le gamin est toujours vivant ? rajouta alors Aisha.
Peuh ! Elle doit déjà avoir fini de le dévorer, avec sa tête de victime, il a pas dû tenir bien longtemps. Fit à son tour Samira, une amazone aux courts cheveux gris.
Et bien en fait… ils sont encore habillés. Répondit Lena.
Tu veux dire qu'ils se sont déjà rhabillés. Reprit Samira. C'est bien ce que je pensais, il a vraiment pas dû tenir longtemps s'il a déjà eu le temps de se remettre.
En fait, je crois qu'ils n'ont même pas commencé. Fit alors Lena, provoquant la stupéfaction de ses sœurs berberas.
Tu plaisantes ? dit alors Aisha. Ça fait plus d'une heure qu'ils sont là-dedans !
Bah ! Ça doit vouloir dire que le gamin fait tellement pas envie que même dame Ishtar n'arrive pas à se motiver. Poursuivit Samira.
Ou peut-être que c'est le contraire… dit alors Lena.
Que veux-tu dire ? lui demanda Aisha.
Les filles, on fait toutes ce métier depuis un moment, assez pour savoir qu'il ne faut surtout pas se fier à la tête du client. Peut-être que le gamin… ce que je veux dire, c'est que, malgré sa bouille d'ange, peut-être qu'en réalité, le garçon est une telle bête que même dame Ishtar n'est pas sûre de pouvoir le gérer…
Sa remarque fit éclater de rire toutes les femmes présentes autour d'elle, avant que Samira ne reprenne la parole.
Allons, Lena, sois sérieuse ! C'est absolument impossible n'est-ce pas ?
Puis, il y eut soudainement un grand silence gêné entre elles.
N'est-ce pas ? redemanda Samira sans obtenir de réponses.
En à peine un instant, ce furent plus d'une demi-douzaine d'amazones qui collèrent leurs oreilles contre la porte dans l'espoir de deviner ce qu'il pouvait bien se passer dans cette pièce.
La petite collation que la déesse avait demandée arriva rapidement et elle poussa un soupir amusé en apercevant la petite troupe de curieuses qui s'était discrètement agglutiné à la porte. La déesse fit signe au garçon de manger et il ne se priva pas. Il avait faim après avoir dû se serrer la ceinture plusieurs jours. Sans compter qu'Ishtar avait les moyens d'avoir les meilleurs cuisiniers de la ville, autant dire qu'une simple collation chez elle était aussi délicieuse que le repas d'un restaurant de luxe.
Bon, nous en étions où déjà ? Ah oui ! Le fait de devenir héros et seigneur de harem. Fit la déesse sur un ton volontairement taquin. Ce qui manqua de faire avaler de travers sa dernière bouchée à Bell. Le garçon ne savait vraiment plus où se mettre.
En temps normal, je n'aurais pas prêté attention à ta requête d'intégrer ma familia, mais il y a quelque chose chez toi qui me donne envie de te donner ta chance. Dis-moi mon garçon, maintenant que tu sais qui je suis et ce qu'est ma familia, tu serais toujours prêt à tenter ta chance avec moi ?
Je… Je veux devenir un aventurier. Et je veux réaliser mon rêve. Lui répondit alors Bell, déterminé. La déesse plongea son regard dans le sien et y trouva de la pureté, ainsi qu'une détermination à toute épreuve.
Il y eut un long silence entre eux, seulement coupé par le souffle léger de la déesse alors qu'elle recrachait la fumée de son kiseru.
Dans ce cas, peut-être que… oui, si je fais comme ça… la déesse pensait simplement à voix haute, se levant pour faire quelques pas afin de poursuivre ses réflexions, sous le regard de Bell, qui attendait sa décision.
Ishtar sortit un instant sur son balcon. Le soleil venait de se coucher, le ciel était dégagé et promettait une nuit magnifique. La déesse fixa un point dans le ciel nocturne et eut un sourire. Oui, elle savait maintenant ce qu'elle devait faire.
Approche mon garçon.
Bell se leva donc et alla la rejoindre.
Nous avons de la chance, on la voit encore pour le moment. Est-ce que tu connais cette étoile ? dit-elle en désignant un point dans le ciel.
Bell se concentra un moment et lui répondit.
Oui, c'est l'étoile du berger.
C'est le nom courant par lequel on la désigne aujourd'hui, oui. Mais sais-tu que cette étoile est un de mes symboles ?
Un de vos symboles ? Demanda-t-il avec curiosité.
Oui, les dieux sont associés à de nombreux symboles, surtout dans les anciennes cultures d'avant l'ère des dieux. Dans une langue ancienne, on nommait cette étoile « Delebat » et c'est également un autre de mes noms.
Bell ne répondit rien, se contentant d'admirer cette étoile dont il découvrait aujourd'hui une nouvelle facette.
Et ce symbole, maintenant, il va également devenir le tiens.
Les propos de la déesse tirèrent Bell de sa rêverie.
Que voulez-vous dire ?
Que je t'accepte dans ma familia. Et sans avoir besoin de faire le gigolo en prime.
Vraiment ? Merci déesse !
Incapable de contenir sa joie, il lui sauta dans les bras, ce qui surprit Ishtar, qui se laissa faire. C'était bien la première fois qu'un homme lui sautait au cou sans que cela n'ait aucune connotation sexuelle. Cela lui faisait… bizarre, mais ce n'était pas forcément désagréable. Elle le laissa exprimer sa joie avant qu'il ne se décroche tout seul, un peu gêné de s'être laissé aller ainsi à un élan de joie.
Bien, maintenant, il va falloir te déshabiller.
A ses paroles, il se mit à rougir de plus belle et la déesse crut même qu'il allait se mettre à fumer des oreilles. Est-ce qu'elle avait fait exprès de tourner ses mots d'une manière aussi ambigüe ? Totalement ! Il était tellement mignon, elle pouvait bien se permettre de le taquiner un peu.
Le haut suffira Bell, j'ai besoin d'accéder à ton dos pour y graver ma bénédiction. Ensuite, allonge-toi sur le ventre, je m'occupe du reste.
Et pendant que le garçon se préparait, la déesse se saisit d'une petite lame rituelle, celle qu'elle aimait utiliser lorsqu'elle mettait à jour les statuts des membres de sa familia.
Bell était en place, la déesse s'assit à côté de lui et se piqua le doigt, laissant son ichor gouter sur le dos de son nouvel enfant. Lentement, avec des gestes calculés et naturellement sensuels, elle grava les glyphes, le symbole, le sang brilla et la bénédiction prit place. Une feuille encore vierge sur laquelle le garçon allait écrire sa légende. Il portait maintenant son emblème sur son dos, celui de la courtisane au voile. La déesse se fit alors la réflexion que cela ne lui allait pas.
Oui, ça ne lui allait pas du tout…
A l'extérieur de la pièce, il y avait toujours un certain nombre de femmes qui guettaient ce qu'il pouvait bien se passer derrière la porte des appartements de leur déesse. Tout cet attroupement avait fini par attirer d'autres personnes, tout aussi curieuse, ainsi que la capitaine, Phryne. Un horreur sur pied qui ressemblait au résultat de l'accouplement improbable entre un dos argenté et une grenouille tueuse.
Toutes s'éloignèrent quand elles entendirent des bruits de pas se rapprocher de la porte. Cette dernière fut ouverte en trombe par la déesse. Laquelle avisa rapidement tout le petit monde présent devant ses appartements. Elle poussa un petit soupir, mais ne pouvait pas leur en vouloir d'être un peu curieuses.
Bien, puisqu'il y a plein de monde, c'est parfait. Ecoutez-moi bien tout le monde, j'ai plusieurs annonces à vous faire.
Derrière la déesse, Bell arriva d'un pas précipité, terminant de se rhabiller. Ce qui, bien évidemment, provoqua un énorme quiproquo dans l'esprit de toutes les personnes présentes.
Pour commencer, je vous présente Bell Cranel, votre nouveau frère qui rejoint notre familia.
B-Bonjour. Fit le garçon, quelque peu intimidé par toutes ces femmes, dont le regard se focalisait sur lui.
Je vous annonce également un nouveau changement. J'ai décidé de créer au sein de la familia une nouvelle branche, le Delebat. Cette nouvelle organisation, dont Bell est pour l'instant le seul membre, se focalisera uniquement sur l'exploration du Donjon. Pour vous autres, rien ne change.
En gros, ce « Delebat » ferait juste du travail d'aventurier classique.
Pourquoi créer ce groupe, ma déesse ? Osa alors Aisha.
Tout simplement, parce que tel est mon bon plaisir.
Une réponse évasive, mais qui sous-entendait de ne pas insister. Sans compter qu'elle était tout à fait pertinente, les dieux étaient perpétuellement en recherche de divertissement, Ishtar ne serait pas la première à sortir soudainement une nouvelle excentricité pour son simple amusement.
A vos ordres, dame Ishtar. Fit alors Phryne. Et ne vous en faites pas, on va bien s'occuper du nouveau. Termina-t-elle avec un sourire qui n'avait absolument rien de rassurant pour Bell. Mais trop tard pour fuir apparemment.
Inutile. Le Delebat fera ses activités de manière séparée et indépendante du reste de la familia. J'en profite aussi pour préciser que ce groupe est sous mon autorité directe et ne rend de compte qu'à moi et moi seule.
La déesse insista bien sur cette dernière phrase et offrit à tout le monde, Phryne la première, un regard qui faisait parfaitement comprendre qu'elle ne supporterait aucune remise en cause de ses ordres et que Bell n'était pas un jouet qu'elle leur jetait en pâture. Toutes les personnes présentes s'inclinèrent naturellement devant l'autorité d'Ishtar, signalant par là même que ses ordres avaient été bien reçu.
La déesse en profita pour donner quelques consignes, elle devait maintenant faire préparer la future demeure où installer Bell et potentiellement, les futurs membres du Delebat.
Bien, nous en avons fini pour ce soir. Fit la déesse avant de se retourner, entrainer Bell à sa suite et refermer la porte de ses appartements, laissant le reste de sa familia seule pour digérer toutes ces nouveautés.
Euh… c'était quoi ça ? Demanda une amazone.
Sa nouvelle lubie, je dirais. Lui répondit une autre.
Attendez, elle reprend ENCORE le gamin pour ce soir ? fit alors Samira. Jamais un homme n'a tenu deux fois dans la même soirée avec elle !
Je le savais ! cria alors Lena. Je vous l'avais dit que derrière sa bouille d'ange, ce garçon est une bête !
Et c'est ainsi que Bell intégra la familia d'Ishtar… affublé d'une étrange réputation qui allait lui coller à la peau.
Mais non, Ishtar n'avait rien fait à Bell. Ce dernier, épuisé par toutes les émotions de la journée, s'était endormi sur le canapé des appartements de la déesse.
Ishtar se fit la remarque que c'était la première fois qu'un homme passait la nuit dans sa chambre sans qu'il ne se passe absolument rien. Graver sa falna dans son dos avait été la chose la plus osée qu'ils avaient faites.
Et une fois de plus, c'était… rafraichissant. Ce garçon lui avait fait faire tellement de nouvelles choses en une seule journée qu'elle commençait vraiment à s'attacher à lui.
Pourquoi pensait-elle ainsi ? Elle n'en savait rien. Avec son expérience et ses capacités, il lui serait tellement facile de le faire sien, de l'initier aux mille plaisirs qu'elle connaissait. Mais elle n'y arrivait pas. Cela ne voulait pas dire qu'elle était fermé à l'idée, si un jour, Bell se mettait à la désirer vraiment, elle se ferait une joie de lui offrir les plus exquis des plaisirs.
Mais ce soir, elle se contenterait de le regarder dormir paisiblement. Elle prit même un drap pour le couvrir, cela ne le réveilla pas, il devait être vraiment fatigué. Assise à côté de lui, la déesse tendit la main pour dégager délicatement une mèche de cheveux et contempler le visage de son nouvel enfant.
Qui es-tu mon garçon ? Pour arriver à me faire sentir de telles émotions…
Mais la déesse n'aurait pas la réponse ce soir.
Pourtant, cette soirée était importante, car elle marquait le début d'une toute nouvelle légende.
Celle d'un jeune homme qui allait suivre une voie remplie d'épreuves qui le mèneraient vers l'héroïsme.
Et celle d'une déesse qui allait suivre une voie la menant vers sa propre rédemption.
Notes de l'auteur :
Et voilà pour le premier chapitre. Vous l'aurez donc compris, cette fic part sur un concept du « Et si ? », avec ici l'idée que Bell rejoint la familia d'Ishtar. Une idée que je n'ai vu qu'une fois ou deux à peine abordée, mais jamais vraiment développée. La plupart des fics qui mettent Bell dans une autre familia le mettent dans celle de Loki pour les trois quarts d'entre elles.
Je me rends compte que j'utilise souvent le personnage d'Ishtar dans mes travaux. Ce qui est un peu paradoxale quand on sait que l'œuvre originelle nous la présente vraiment comme une connasse finie.
Bien évidemment, les rêves d'Ishtar, qui sont la source de son changement, ont une bonne explication, mais il faudra attendre pour la découvrir.
Et désolé pour les plus coquins d'entre vous, malgré la familia où Bell a atterri, ainsi que le rating M pour être tranquille, cette histoire ne tournera pas autour des mille aventures coquines de Bell. Mais j'espère malgré tout que vous resterez un peu en ma compagnie.
Concernant Ishtar, la plupart des éléments que je mettrais dans ma fic sont issus de mes recherches sur le net. Comme c'était une déesse majeure en Mésopotamie, il y a beaucoup d'élément à exploiter.
Quand au terme de « Delebat », il s'agit effectivement du nom en akkadien de Venus (l'étoile du berger), qui était effectivement associé à Ishtar.
