Comme prévu, je n'ai pas pu faire les RaR hier, n'étant pas chez moi (et j'ai seulement mon téléphone) je le ferai prochainement, mais merci à tous les lecteurs et reviewers !

bonne lecture !


Chapitre 5

John avait dormi comme une masse et s'était réveillé non pas au son de son réveil prévu à six heures (pour réviser), mais à sept heures et demie, alors qu'il avait cours dans une heure. Pourtant, il n'angoissa pas. Il se sentait plus reposé que jamais, et la longue nuit de sommeil lui avait fait un bien fou. Au moins serait-il d'attaque pour cette journée, et serait plus efficace dans ses révisions le soir. Le retard de sommeil accumulé depuis quelques mois commençait à attaquer sa santé.

Il se rendit à l'Imperial en sifflotant, saluant ses camarades avec entrain, plaisanta avec Peter, taquina Caitlin, checka Mike. Il prit ses cours avec joie, les notant avec plus de facilité. Il ne revit pas Sherlock, mais il ne s'inquiéta pas. Il reviendrait. Il l'avait promis. Il déjeuna avec ses amis de cours, révisa plus efficacement que ces derniers jours en préparant ses fiches de révisions.

Il espérait voir Sherlock en fin de journée, et il trouvait que cela avait un côté un peu magique. Décembre était presque là, et avec lui, Londres s'illuminait pour les fêtes de Noël à venir. John aimait le côté féérique que cela donnait aux rues, les guirlandes partout, la nuit qui tombait tôt, mais qui restaient si brillantes. Il était vrai qu'on ne voyait pas les étoiles, mais John avait grandi dans les quartiers nord de Londres. Là-bas non plus, on ne voyait pas les étoiles. Mais on ne voyait pas franchement de guirlandes non plus. Le centre-ville était très décoré et illuminé. Les quartiers pauvres n'avaient pas forcément droit à tant d'égards.

Maintenant qu'il ne faisait que vivre dans son quartier, en huis clos entre son appartement et la fac, il voyait toutes les lumières, et il aimait ça.

— John Watson ?

Il se retourna, interrompu dans sa rêverie. Il venait de finir son dernier cours, et avait laissé son groupe de camarades partir devant lui, les enjoignant à ne pas l'attendre, s'attendant à moitié que Sherlock le rejoigne sous peu. C'était le milieu de l'après-midi, et il n'avait plus qu'à réviser pendant plusieurs heures sur son planning.

Sauf que la voix qui venait de l'interpeller n'était assurément pas celle de Sherlock.

— Oui ?

Une étudiante, sans doute plus âgée que lui, en quatrième ou cinquième année, s'approchait de lui. Elle avait une masse de cheveux roux et bouclés flamboyant qui la rendait difficile à rater.

— On m'a demandé de te remettre ça.

Elle lui tendit un papier, plié en plusieurs morceaux.

— On ? demanda John.

Il se doutait que c'était Sherlock — qui d'autre ? — mais il ignorait qu'il connaissait d'autres gens sur le campus, personnes susceptibles de remettre un mot à Sherlock en retour.

— Je ne le connais pas, mais il a dit qu'il était ton ami. Et laisse-moi te dire que c'est un connard, ton pote. Et que tu ferais bien de mieux choisir tes amis. Je veux rien avoir à faire avec lui, qu'il me fiche la paix !

Elle avait l'air plutôt furax, et John eut une grimace désolée. Réflexion faite, Sherlock ne connaissait probablement personne sur le campus, mais il était capable de faire chanter n'importe qui sur n'importe quoi pour leur demander un service, et John n'aurait aucun intérêt à donner une réponse à cette jeune femme en espérant qu'elle atterrisse entre les mains de Sherlock à la fin.

— Je lui transmettrai le message, assura-t-il avec son sourire le plus désolé et compréhensif de sa collection. Je te promets qu'il ne t'embêtera plus.

Elle sembla surprise par son ton apaisé. Manifestement, elle s'était plus attendu qu'il se montre avec elle aussi connard que Sherlock avait dû l'être.

— Euh. Merci.

— Merci à toi... ?

— Neil.

Il la regarda, surpris.

— Je sais. C'est un prénom de garçon. Mes parents étaient des originaux.

Cette fois, elle souriait en lui répondait, la colère totalement disparue dans ses yeux bruns chauds.

— Je m'appelle John. Mes parents étaient l'antithèse des originaux. Comme quoi !

— T'es en quoi ?

Il fut surpris qu'elle relance la conversation. Il essayait juste de la calmer en lui parlant, mais ne s'attendait pas vraiment à ce qu'elle lui réponde.

— Médecine. Première année.

— Oh ! Le baptême de feu ! Marche ou crève ! Médecine, quatrième année.

— Donc on y survit, s'amusa John.

— Pour une bonne moitié d'entre nous, oui ! Ça se passe bien ? Ne néglige aucune matière. On peut croire que les sciences humaines et santé publique, c'est moins important, mais ce n'est pas vrai.

— C'est au deuxième semestre, ça.

— Oui, c'est vrai ! Mais ne le néglige pas quand même. Je te jure, ça va te sembler barbant et déconnecté de tout intérêt par rapport à l'anatomie, mais c'est hyper important.

— Je prends bonne note !

Ils discutèrent encore un moment, et quand elle le quitta, c'était avec la promesse de le revoir bientôt, à l'occasion. Pour l'aider dans ses révisions, en étant déjà passé par là.

Ce fut seulement quand il se retrouva seul que John se souvint du mot de Sherlock, dans son poing fermé, et le déplia pour le lire.

« Désolé John, je ne pourrai pas venir aujourd'hui. Je fais au mieux au plus vite. SH »

John fronça vaguement les sourcils. C'était le mot le plus absurde au monde. L'écriture était bien celle de Sherlock, il n'y avait aucun doute là-dessus. John en avait des tas d'échantillons sur ses cours d'anatomie. SH devait être ses initiales, mais John ne connaissait pas son nom de famille, alors ça ne le surprenait pas plus que cela.

Mais il ne précisait pas pourquoi il ne venait pas, quand est-ce qu'ils se verraient, quand il serait dispo. C'était gentil de sa part de l'avoir averti, histoire que John n'attende pas en vain, mais considérant qu'à la base, ils n'avaient pas conclu de lieu ou d'horaire, au fond, ça ne changeait pas grand-chose. Sherlock débarquerait au moment le plus surprenant, comme toutes les autres fois où il avait fait une apparition dans la vie de John. Il espérait quand même que ce ne serait pas trop tard, pour l'aider à rattraper son retard de révisions.

Il replia le papier, le fourra dans sa poche, ses pensées dérivant automatiquement sur ses révisions en question. Si Sherlock ne l'aidait pas, du moins pas aujourd'hui comme promis, il avait du boulot. La bibliothèque universitaire allait l'accueillir une grande partie de la soirée, assurément.

— Dis donc, le bourreau des cœurs, tu nous expliques ce qui vient de se produire ?

Sans s'en rendre compte, John avait rejoint sa bande de camarades, qui n'étaient pas partis bien loin. Une partie d'entre eux allait réviser à la bibliothèque, Caitlin et Peter rentraient chez eux, et ils s'étaient interrompus à un embranchement pour se dire au revoir, avaient continué à discuter, et au final étaient toujours là cinq minutes plus tard, leur permettant de voir John et la fille plus âgée.

— De quoi ? répondit John à l'attention d'Alec.

Il ne pensait déjà plus à Neil, uniquement au mot de Sherlock, et un sentiment de crainte indescriptible l'étreignit brièvement. Il avait conscience que ça n'avait aucun sens, mais Sherlock était en quelque sorte un secret. Son secret.

— La jolie fille plus âgée que nous qui est venue te filer son numéro ! renchérit Mike. Veinard ! Comment t'as fait ton compte ?

John s'empourpra. Il n'avait pas le numéro de la jeune femme. Une vague promesse de se revoir, convenir d'un café un jour, mais il n'avait pas pensé sincèrement que ça se ferait. Le campus était grand, même s'ils étaient tous les deux étudiants en médecine. John n'arrivait déjà pas à voir Sherlock, pourtant en même année qu'eux, et qui partageait certains de ses cours ! Alors quelqu'un avec un autre emploi du temps…

— Mais non, balbutia-t-il, c'est pas ça, je...

— Tu gères, John ! le félicita Peter. Bien ouej ! Monsieur Watson drague les étudiantes en médecine plus âgées, c'est quand même la classe !

— Mais j'ai rien fait ! se défendit-il.

— On l'a vue venir te parler, nota Caitlin.

— Oui ! Mais je n'avais rien demandé ! C'est elle qui est venue, mais c'était parce que...

Il s'interrompit, incapable de poursuivre. Il ne savait pas comment expliquer qu'elle avait juste joué les messagers pour le mec qui avait hurlé et insulté leur prof de biochimie, plusieurs jours plus tôt. En plus, il devait reconnaître qu'après la transmission du message, ils avaient naturellement discuté.

— Elle me draguait ? réalisa-t-il, abasourdi.

Mike et Peter ricanèrent, Alec soupira profondément, Judith et Caitlin sourirent narquoisement.

— Parfois les mecs, vous êtes vraiment aveugles, hein, se moqua Catilin. Évidemment qu'elle te draguait, abruti !

John rougit encore davantage. Il avait eu des tas de copines, n'avait jamais eu le moindre souci relationnel, créait des liens facilement, mais il n'avait jamais réellement connu ce type de drague, par quelqu'un de plus âgé que lui, a fortiori une femme. Dans son esprit étriqué, les femmes ne draguaient pas des gamins plus jeunes qu'elles, parce qu'elles étaient toujours plus matures que les mecs, et elles ne s'embarrassaient pas de gosses pour sortir avec.

— Mais non, se défendit-il, on parlait médecine, c'était anodin... Ça n'aurait aucun sens, pourquoi moi ?

— J'avoue que sur ce coup-là, c'est vrai que ça n'a pas de sens. Elle n'a simplement pas dû voir que j'étais juste à côté, sinon, elle aurait été frappée par ma renversante beauté, s'amusa Alec.

Ils s'esclaffèrent tous, ce qui détendit l'atmosphère. Alec avait raison, en un sens. Il avait cette carrure de magazine, de cliché du beau gosse sur pattes. Il ne faisait pourtant pas spécialement d'efforts pour ça, au contraire, ça lui pesait plus qu'autre chose. Il avait tellement eu l'habitude, au cours de son existence, qu'on le résume à sa beauté, ou qu'on lui fasse la remarque, qu'il avait pris l'habitude de prendre les devants et d'en plaisanter. Il disait souvent qu'il aurait pu jouer un rôle de Ken dans une publicité pour Barbie, dans une réflexion parfaitement lucide sur lui-même. Pour autant, il ne se servait pas de sa plastique pour jouer les connards, vivait plutôt son physique comme une malédiction, et préférait le tourner en dérision.

— Moi, je la comprends, intervint doucement Judith, la plus calme d'entre eux. John est le plus mignon de vous, le plus... doux. Loin de vos égos de mecs virils et abrutis.

C'était dit parfaitement sérieusement, et Caitlin, l'air songeur, acquiesça vivement en regardant les quatre garçons, dont trois parurent vexés, et un abasourdi. John n'avait jamais songé intéresser Judith. Si Alec était leur gravure de mode du coin, Judith avait cette classe qu'ont les aristocrates, et qui la rendait élégante, au-delà de simplement belle. Elle dégageait un charme très particulier, sans cocher les cases de la perfection physique féminine, et attirait bien des mecs, assurément. Que John, petit, trop carré d'épaules pour sa taille, et plutôt quelconque, puisse l'intéresser, était surprenant.

— Bon, on va arrêter là cette conversation vexante pour nous, trancha Peter, qui semblait davantage jaloux que Caitlin valide les propos de son amie plus qu'autre chose. Cait', on rentre ?

Ils habitaient dans le même quartier, chez leurs parents. Les autres habitaient tous sur le campus, à l'exception de John et son microscopique studio à proximité de l'Imperial.

Ils se séparèrent, et poursuivirent leur chemin. John quitta ses camarades en arrivant à la bibliothèque. Il n'aimait pas travailler à plusieurs, préférant le calme et la tranquillité.

Il se plongea dans ses révisions et oublia tout le reste.


John revit Sherlock trois jours plus tard, alors qu'il arrivait en retard en amphi d'anatomie. Il avait dû faire un bête détour prosaïque par les toilettes, et il y avait plus de monde que prévu, ce qui l'avait mis en retard. Il s'apprêtait à balayer la pièce du regard pour essayer de retrouver ses camarades et aller s'installer à proximité d'eux, quand une voix résonna à son oreille.

— Viens.

Il sursauta, surpris de ne pas avoir entendu quelqu'un arriver dans son dos. Mais presque instantanément, il reconnut la voix de Sherlock, son ton profond et inimitable, et obéit en le suivant vers le premier rang, sur le côté. Sherlock s'installa instantanément, en bout de rangée. Il semblait vraiment ne pas apprécier de partager son espace avec quelqu'un, n'aimait pas être assis à côté d'un autre. John se souvint aussi de son comportement, au café, quand il bougeait à travers la pièce en prenant grand soin de ne toucher personne.

— Salut, murmura-t-il en s'installant à côté de lui.

Il n'eut pas vraiment le temps d'en dire plus, sortant précipitamment stylo et feuilles, tandis que son enseignant entamait sa longue litanie qui était leurs cours. John, après un dernier coup d'œil à Sherlock, qui paraissait s'ennuyer à mourir et ne rien écouter, entama aussitôt sa prise de notes.

Sans aucune surprise, au bout de quelques minutes, quand il eut fini sa première copie et la posa à côté de lui, Sherlock l'attrapa, lui vola un stylo rouge, et entama sa correction.

Ça n'était arrivé qu'une seule fois, mais pourtant John ressentit une curieuse sensation d'habitude réconfortante en vivant cette situation. Cette fois, il ne perdrait pas du temps à aller vérifier si Sherlock avait raison dans ses corrections. Il savait que ce serait le cas.

Ils passèrent les deux heures suivantes ainsi. Quand, enfin, leur professeur annonça une pause d'une quinzaine de minutes, John reposa son stylo et massa son poignet endolori. Sherlock récupéra la feuille en cours, et l'annota à son tour.

— Tu t'améliores, nota le jeune génie. Tu as écrit de toi-même la nouvelle nomenclature à certains endroits, au lieu de bêtement noter ce que tu entendais.

— Je fais ce que je peux, répondit John en rosissant sous le compliment. Mais je ne suis pas certain que ça soit une bonne idée. Je veux dire, si c'est lui qui me corrige aux partiels, si ça se trouve, il trouvera tout ça complètement faux.

Sherlock secoua la tête.

— Il y a au moins quatre professeurs d'anatomie dans cette université, ils se partagent les cours et les copies à corriger, et les trois autres utilisent la même nomenclature. D'ailleurs, même cet abruti-là connaît la nouvelle, c'est juste qu'il ne l'a jamais employée, et cela fait quinze ans qu'il prend la poussière sur sa chaire de professeur à réciter exactement la même chose tous les ans. Mettre à jour son discours ne lui viendrait pas à l'esprit.

L'arrogance et le mépris de Sherlock auraient dû être exaspérants. John eut juste envie de rire.

— Je suis content de te voir. Tu vas bien ? Que s'est-il passé il y a deux jours ? Tu n'es pas venu...

Sherlock haussa les épaules, comme si c'était parfaitement négligeable.

— Rien. Quelques aléas imprévus. Je t'avais fait parvenir un mot.

— Je l'ai eu. Mais je me suis inquiété quand même. Tu n'expliquais rien.

— Parce qu'il n'y avait rien à expliquer.

Sherlock était totalement fermé, et John préféra ne pas insister. Il n'en tirerait rien de plus, et il n'avait aucune intention d'ajouter à l'agacement du jeune homme, dont il percevait la tension dans ses muscles tendus et ses poings fermés. Quoi qu'il en disait, ce n'était pas rien, mais John n'avait pas le droit d'être mis au courant.

— Okay. Tu comptes honorer ta promesse, maintenant ? J'ai du retard dans mes révisions.

— Bien sûr, bâilla Sherlock. C'est quoi ton programme du jour ?

— On a encore deux heures d'anat', jusqu'à midi, et je finis à quinze heures trente, après deux heures de biomathématiques, tout à l'heure.

Sherlock ne semblait pas l'écouter, perdu dans ses pensées.

— On se voit cet aprem, alors. Chez moi ?

John ouvrit des grands yeux surpris. Il avait envisagé aller réviser à la bibliothèque universitaire, ou ailleurs, comme chez Leandro, vu la familiarité de Sherlock avec le vieil aveugle. Il était hors de question qu'ils aillent chez John, parce qu'au fond il n'avait pas envie qu'il voit son appartement et déduise de lui encore plus que choses que nécessaire. Du coup, en miroir, pas une seule seconde, il n'avait envisagé aller chez Sherlock.

— La maison sera vide, précisa Sherlock. Je viendrai te chercher. À tout à l'heure.

Leur professeur revenait, et s'apprêtait à reprendre son exposé. Sous ses yeux surpris, Sherlock bondit hors de son siège et glissa hors de la salle, sans que personne ne semble le remarquer, comme un fantôme. John se demandait pourquoi il ne restait pas. Pourquoi il ne semblait rien écouter, ne prenait aucune note. Il avait fini par se dire qu'il n'était pas étudiant en médecine, mais dans un autre cursus, même si John ne savait pas quel autre parcours pouvait contenir des cours d'anatomie et de biochimie. Mais qu'il parte en plein milieu d'un cours ? Ça n'avait aucun sens.

Un bref instant, John envisagea que Sherlock n'ait enduré les deux premières heures que pour avoir la possibilité d'échanger quelques mots avec John par la suite, mais il chassa la pensée bien vite. Ça n'avait pas de sens. Et puis, il n'avait pas le temps d'y penser.


La journée défila rapidement. Il rejoignit ses amis après l'amphi d'anatomie, leur indiquant qu'étant arrivé en retard, il avait pris la première place disponible sans réfléchir. Ils déjeunèrent ensemble rapidement, à la cantine, puis allèrent enchaîner des équations et calculs différentiels en biomaths. John avait toujours aimé les maths. Il y était très bon. C'était logique, pour lui. Les deux heures passèrent rapidement, et le professeur marqua la fin du cours.

— J'ai un truc à demander au prof, indiqua-t-il au petit groupe qui se préparait à partir, débattant comme d'habitude de qui restait, qui rentrait chez soi, qui allait bosser à la bibliothèque, qui était d'accord pour un café avant d'y aller. M'attendez pas, je rentre chez moi juste après. À demain !

Il avait la vague impression de se justifier, mais personne ne remarqua rien. Peter et Caitlin se chamaillaient, Mike discutait gaiement avec Alec, Judith les observait silencieusement comme toujours. Aucun d'eux ne faisaient attention à John.

Au demeurant, ce n'était pas vraiment une excuse. Il avait réellement un détail à demander au professeur, et il dévala les marches de l'amphithéâtre pour s'approcher du bureau de ce dernier. John était réellement bon en maths, et il était sûr qu'à un certain point du cours, l'utilisation d'une autre formule aurait été plus rapide et plus efficace. Il allait demander confirmation, sûr de la réponse, mais lui donnant une excuse pour discuter avec le professeur et valider l'excuse donnée à ses amis.

— En effet, indiqua l'enseignant une fois qu'il lui eut exposé sa question. Mais ce théorème n'est que rarement étudié au lycée. La plupart de vos camarades ne le connaissent sans doute pas.

— J'étais en maths avancé, marmonna John, un peu gêné, sur un ton d'excuses.

Il savait que cela faisait partie des choses qui lui avait permis d'obtenir sa bourse et sa place à l'Imperial en première année de médecine.

— Ceci explique cela, répondit gentiment son professeur avec fierté. Même en l'ayant étudié, peu d'étudiants arrivent à l'appliquer valablement, cela dit. Vous pouvez être fier de vous. Et l'utiliser en examen, bien sûr. Personne ne vous le reprochera, tant que vous parvenez au bon résultat.

— Merci, monsieur.

— Continuez comme ça, monsieur Watson, le salua-t-il.

John s'était présenté en l'abordant, et il fut bêtement ravi de voir que son enseignant avait retenu son nom. Il ramassa son sac et reprit ses feuilles. L'amphi était désormais totalement désert, et John avait le cœur battant, espérant que Sherlock serait là comme prévu, qu'il l'avait attendu.

— Bonne fin de journée, monsieur ! salua John en quittant la pièce, tandis que son professeur rassemblait ses affaires et lui adressait un signe de la main.

L'étudiant franchit les portes, et sentit son cœur s'envoler. Négligemment adossé au mur du couloir, les mains enfoncées dans les poches de son blouson informe, Sherlock l'attendait.

— Pas mal, l'excuse du professeur. Ça a bien fonctionné.

Il souriait doucement, un peu narquoisement, et John se dit qu'il devait avoir l'air idiot, à avoir un tel sourire plaqué sur le visage que ça lui faisait mal aux joues. Il se sentait aussi stupide qu'une midinette dans un téléfilm, quand elle découvre que le garçon dont elle est amoureuse est venu la chercher en voiture à la sortie du lycée. John était simplement heureux de voir ce garçon improbable au génie inégalé, et de passer du temps avec lui.

— J'avais vraiment une question, se défendit-il en arrivant à sa hauteur.

— Et à propos de quoi ? demanda Sherlock en se mettant en marche.

John le suivit, lui exposant avec un air de défi ses capacités et son utilisation d'un théorème d'un niveau supérieur.

— Brillant, laissa échapper Sherlock à la fin de son exposé. Au moins, je n'aurai rien à t'apprendre en maths, c'est un soulagement.

John leva les yeux au ciel en rosissant. Il n'y avait que Sherlock pour, dans une seule et unique phrase, faire sonner un compliment comme une insulte, et que ça soit réellement les deux à la fois.

— Je vais donc te dire merci, espèce d'abruti, en guise de réponse. Sinon, tu sais qu'on ne va pas du tout vers la sortie ?

Il avait suivi Sherlock par réflexe, et venait de réaliser qu'ils s'étaient davantage enfoncés dans les entrailles du bâtiment qu'en direction de la sortie du campus.

— Bien sûr. Ça fait un détour, sinon.

— Un détour ? demanda John, perplexe.

Sherlock s'arrêta, et le regarda, le regard inquisiteur.

— Dis voir... à quel point es-tu regardant de la loi et des règles du campus, au juste ?

— Hum... Assez respectueux, je dirais. Pourquoi ?

John avait une vague idée de la réponse, mais il préférait vraiment l'entendre de la bouche de Sherlock. Ce dernier le regarda un peu trop intensément, au point qu'il commença à rougir.

— Tu mens, trancha soudainement Sherlock en se détournant.

Il reprit aussitôt sa marche, laissant John derrière lui.

— Hein ?

Par réflexe, il se précipita derrière lui, le rattrapant rapidement.

— Je ne mens pas ! se défendit-il.

— Pas consciemment. Ou si tu préfères, tu te mens à toi-même.

— Mais non !

Ils continuaient de marcher, John à moitié en train de courir pour suivre les grandes enjambées de Sherlock.

— Pourquoi tu dis ça ? reprit John.

Sherlock s'arrêta de nouveau brutalement, et John manqua de le percuter. Il le frôla, et fit de son mieux pour ne surtout pas le toucher. Il ne voulait pas qu'il réagisse mal. Son ami le regarda bizarrement, comme surpris qu'il soit si près, dans son périmètre d'intimité. Il était vraiment plus grand que John, et il devait baisser les yeux pour le regarder. Bien évidemment, Sherlock était parfaitement calme, sa respiration égale, lente et profonde, alors que John expirait bruyamment pour reprendre son souffle, et pendant un instant, John eut l'impression que leurs respirations se mêlaient, et que cela lui plaisait pour une raison inconnue. Ça ne dure qu'une fraction de seconde, avant qu'il n'ait la présence d'esprit de reculer de deux pas.

— Pourquoi tu dis ça ? répéta-t-il, plus calmement.

— À cause de la dernière fois, répondit Sherlock. Tu m'as vu crocheter la serrure, passer par un endroit interdit. Et tout ce que tu as ressenti, c'est de l'excitation. Exactement comme maintenant.

Il avait dit cela en regardant John droit dans les yeux, et ne semblait absolument pas conscient du double sens potentiel du terme « excitation ».

— Regarde-toi, poursuivit Sherlock. Tes pupilles dilatées, ton souffle court, tes muscles tendus.

— Tu viens de me faire courir !

— Faux, répliqua le génie. Tu as accéléré sur une quinzaine de mètres pour me rattraper alors que je marchais. Ce n'est pas courir. Tu as fait du sport, au lycée, du rugby. Tu ne t'es peut-être pas entraîné depuis longtemps, mais tu es en bien meilleure condition que ça. Quand tu montes les étages de la fac pour aller en cours, ça ne te coupe pas le souffle. Me rattraper ne devrait pas le faire non plus. Mais tu es essoufflé. Excité. Par l'adrénaline. Par le frisson de l'interdit. Tu n'as jamais rien fait d'illégal, pas vrai ? Mais tu aimes ça, John Watson, je peux te l'assurer. Si tu refuses de le reconnaître, tu te mens à toi-même.

Il ne l'avait pas lâché du regard durant toute sa tirade, et John était incapable de détourner ses yeux de ceux mortellement sérieux de Sherlock. Et lentement, John prit conscience que cet homme le connaissait mieux qu'il ne se connaissait lui-même, simplement en le regardant, en évaluant son rythme cardiaque et respiratoire.

— La dernière fois, quand tu as crocheté la serrure, c'était la première fois que je faisais quelque chose d'illégal, avoua-t-il.

Il ne reconnut pas qu'il avait une très bonne raison d'être aussi respectueux des règles, que son avenir en dépendait.

— Et ça m'a... c'était tellement... Je n'avais jamais ressenti ça.

— L'adrénaline, trancha Sherlock.

John secoua la tête.

— Tu l'as dit toi-même, j'ai fait du rugby. En plein match, je ressentais de l'adrénaline. Ce n'était pas comparable à ça.

Le génie haussa les épaules.

— Sans doute que ça n'était pas assez pour te générer de la bonne adrénaline. Allez viens. Je t'apprendrai à crocheter des serrures, tu verras. Ce n'est pas si compliqué. Celles de l'Imperial sont même ridiculement faciles.

John le suivit, le cœur encore battant. Pour la première fois, il songea que Sherlock avait totalement tort. Ce n'était pas de l'adrénaline. Pas que. Ce n'était pas seulement le fait de transgresser les règles, c'était de le faire avec Sherlock.

Ils poursuivirent leur chemin dans des couloirs déserts, empruntèrent des chemins de service, franchirent des portes verrouillées que Sherlock ouvrit avec une facilité insolente. Ils pénétrèrent enfin dans les cuisines de la cantine désertes à cette heure-ci, et une porte plus tard, ils étaient dans la rue, en plein soleil.

John cligna des yeux, surpris de voir la forte luminosité du soleil froid de novembre.

— Et maintenant ?

— On marche, indiqua Sherlock. Je n'habite pas très loin.

John ne répondit rien, mais il n'était pas franchement surpris. Le campus n'était pas situé dans les quartiers les plus défavorisés de Londres, au contraire. C'était même le très grand luxe par rapport aux banlieues nord de la ville, dont était originaire John. Que Sherlock vive dans le coin, qui devait compter un certain nombre de baraques cossues, ça ne le surprenait pas.

Et puis, à titre personnel, ça arrangeait John. C'était toujours un trajet en métro d'économisé sur son budget.

Ils marchèrent une vingtaine de minute à travers la ville, John suivant Sherlock sans faire attention au trajet absurde emprunté.

Puis, il s'arrêta soudain devant une maison et John sentit sa mâchoire se décrocher.

— Tu vis là ?

— À mon corps défendant, répondit Sherlock avec une tristesse et une honnêteté évidente.

— Avec qui ?

— Mes parents ne sont pas là, si c'est ce que tu te demandais. Ils ne vivent pas ici, mais dans un village pas très loin de Cambridge. Je ne pense pas que tu connaisses.

John secoua la tête. Il n'avait jamais appris la liste de toutes les petites villes et villages du Royaume-Uni. Il était sûr que c'était typiquement un truc que Sherlock aurait pu faire, pas lui. Ça ne l'empêcha pas de noter que Sherlock ne répondait pas à sa question sur qui vivait avec lui. La maison était bien trop grande pour une personne seule. De style victorien, il fallait traverser un jardinet pour rejoindre le porche de l'entrée, et monter cinq marches pour atteindre la porte. Haute de trois étages, elle n'était pas forcément très large, mais elle respirait un luxe auquel John n'avait eu droit.

Sherlock ne paraissait même pas s'en rendre compte, et il franchit les derniers mètres en bondissant presque, sortant des clés de sa poche et les enfonçant dans la serrure. Il semblait y avoir tellement de choses au fond de ses poches que John se demandait comment il faisait pour toujours sortir le bon truc au bon moment, sans perdre de temps à fouiller.

Il entra dans la maison, John sur ses talons, et s'arrêta rapidement, ouvrant un boîtier, sur lequel il tapa un code. Un long bip se fit entendre, et Sherlock sourit, satisfait.

— L'alarme est désactivée. On est tranquilles. Entre.

John ne se fit pas prier, découvrant le vestibule, desservant un salon, une salle à manger, une salle de bains, et une cuisine équipée qui, à elle seule, devait faire la taille de l'appartement de John. La décoration était typiquement ce qu'on pouvait attendre d'une maison victorienne, comme semblant bloquée dans cette époque. Le regard de John fut irrémédiablement attiré par l'immense bibliothèque du salon, qui couvrait tout un mur, du sol au plafond.

— C'est... balbutia-t-il.

— N'est-ce pas ? Je ne suis pas responsable de la déco, soupira Sherlock.

John allait dire quelque chose qui ressemblait à « waoh, hyper impressionnant », mais Sherlock semblait plutôt avoir l'adjectif « de mauvais goût » à l'esprit, et John pouffa.

Sherlock le regarda bizarrement, comme s'il cherchait la blague. Pour autant, il ne paraissait pas blessé, comme s'il savait avec certitude que John ne se moquait pas de lui, alors il ne chercha pas à lui expliquer.

— L'escalier dessert les étages, bureau, chambres et salle de bains à chaque étage. La mienne est tout là-haut. Tu viens ?

John le suivit sans une once d'hésitation dans l'escalier et son tapis de velours rouge. Ils gravirent sans effort les volées de marches, parvinrent au dernier étage. Ils n'avaient croisé que des portes fermées en montant, et Sherlock en ouvrit une sans hésitation, après l'avoir déverrouillée avec une nouvelle clé sortie de sa poche.

— Et voilà chez moi, annonça-t-il en entrant dans la pièce, et s'effaçant de l'embrasure pour laisser entrer John.

Ce dernier avança prudemment. Il observa, lentement, l'immense pièce dans laquelle il se trouvait, tandis que Sherlock abandonnait à même le sol son blouson, et se débarrassait de ses chaussures.

Dans cette pièce aussi, on aurait pu installer tout le studio de John, ou presque. Du moins, on aurait pu, si l'intégralité de la pièce ne semblait pas recouverte de bazar. Sur chaque centimètre carré du sol, des étagères, des meubles, et même des murs, il y avait quelque chose : des feuilles, des tasses, des livres, des vêtements, des couverts, du matériel de chimie, des tableaux blancs recouverts de calculs, des stylos, et un tas de bric-à-brac hétéroclite et incompréhensible. John n'était même pas sûr de savoir nommer certaines choses, mais il était en revanche certain que ce qu'il apercevait un peu plus loin sur le bureau aussi encombré que le reste était un scalpel.

Sur un mur, il y avait une immense bibliothèque, qui n'avait rien à voir avec celle du salon. Elle croulait sous les livres aussi, mais posés pêle-mêle, entassés, rajoutés çà et là au gré des envies et des lubies de son propriétaire, alors que celle du rez-de-chaussée devait être classé par auteur, titre et année, assurément.

Dans le coin opposé, un lit deux places, avec une couette roulée en boule, bien trop d'oreillers, et plus de bazar fragile et de béchers pleins sur plus de la moitié du matelas que John n'aurait trouvé sage d'en poser sur une surface molle susceptible d'accueillir un corps endormi.

— John ? s'inquiéta Sherlock en le voyant examiner la pièce sans rien dire.

Il s'était perché sur sa chaise de bureau, miraculeusement vide, dans sa drôle de manière de s'assoir, avec les pieds qui ne touchaient pas le sol.

— C'est impressionnant... murmura finalement John. Je crois que c'est exactement ce à quoi je m'attendais. Ça te ressemble totalement.

— Ah bon ? s'ahurit Sherlock.

— Bien sûr. C'est l'exact reflet de ta tête, non ? C'est ordonné, pas vrai, au milieu de tout ce bazar ? Un ordre que tu es le seul à comprendre, mais je suis sûr que tu sais exactement où sont les choses dont tu as besoin, quand tu en as besoin.

L'expression peinte sur le visage de Sherlock, en cet instant précis, était totalement inédite, et John en fut soufflé. C'était un bonheur, une extase comme jamais il n'en avait vu chez quelqu'un. Quand il y réfléchirait, des mois, des années plus tard, John daterait le jour où il était tombé irrémédiablement amoureux de Sherlock à ce jour-là, cette expression-là, ce visage extatique, ses yeux écarquillés de bonheur, sa bouche ouverte de surprise, ses prunelles dévorées par une passion intense, une reconnaissance sans nom. En cet instant précis, cependant, John ne sut pas le sentiment qui l'anima alors, et se contenta de sourire à son nouvel ami.

— Au boulot ? proposa-t-il timidement en entrant dans la pièce.

Sherlock le regarda avancer prudemment, en essayant de ne pas marcher sur quelque chose, et chercher des yeux où s'installer, poser ses affaires, son manteau.

Il sembla réaliser en plein milieu de son avancée dans la pièce que la chambre de Sherlock était recouverte d'une moquette épaisse, et qu'il avait toujours ses chaussures. Il se figea, incertain sur la chose à faire. Fort heureusement, Sherlock décryptait manifestement tout ce qui se passait dans sa tête.

— Installe toi comme tu veux, où tu veux, pousse les affaires si tu as besoin, enlève tes chaussures si tu as envie. Agis comme tu le veux.

— Mais si je déplace tes affaires... Tu vas les retrouver ?

Le génie haussa les épaules.

— Je m'en remettrai, tant que tu ne décides pas à tout ranger. La femme de ménage n'entre plus ici. De toute manière, la porte est fermée à clé dès que je sors. Ne t'en fais pas, installe-toi.

Il déplia subitement sa grande carcasse et traversa la pièce sans rien toucher, et alla fermer la porte derrière John, qui avança prudemment jusqu'au bureau, déposant son manteau sur le dossier de la chaise, son sac par terre, et sortit ses révisions.

La bruit de la clenche et du verrou résonnèrent plus longtemps dans l'esprit de John que dans la réalité. Il y avait quelque chose de bizarre à être enfermé dans une chambre avec un homme si étrange, qu'il connaissait depuis si peu de temps et tellement longtemps tout à la fois.

Sherlock revint vers lui, ne fit pas un geste pour récupérer sa chaise, poussa et décala ce qu'il y avait sur le bureau, et s'assit dessus, comme si c'était une place parfaitement normale et acceptable, tout en ménageant un espace pour les feuilles et stylos de John.

— T'as promis de m'aider à réviser, et travailler plus efficacement, attaqua John. Je suis à la bourre en biochimie. J'ai cru comprendre que t'étais bon à ça...

Le regard de Sherlock s'illumina de plaisir. Même sans l'avoir vu en cours, John aurait pu le deviner que c'était un de ses sujets de prédilection. Il y avait des béchers partout dans la pièce, de tubes à essai, des bouteilles sur toute une étagère, fermées convenablement et avec des mentions aussi absurdes que « acide chlorhydrique », et John avait même aperçu un bec bunsen, dans un coin.

— Vas-y, fais-moi rêver, génie. Aide-moi à réviser.

Sherlock eut un immense sourire, puis il commença à parler.


prochain chapitre : Me 04/09. Reviews, si le cœur vous en dit ? :)