— Tu pourras rester ici autant de temps que tu voudras.
— Tu es sûr ? Je ne veux pas que ma présence...
— Stiles est un garçon très compréhensif, répondit Derek.
— Hm, tu m'en diras tant. Je te pensais pas comme ça, tu sais ? On a passé trois ans ensemble, t'as jamais eu que des copines, j'aurais jamais pensé...

Derek serra les lèvres et déposa les clefs de l'appartement sur le comptoir.

— Honnêtement, je ne pensais pas non plus, mais lui et moi, on a une longue histoire qui remonte à bien avant que je ne me retrouve au Canada. Ma famille a toujours vécu à Beacon Hills, nous étions la famille de loups des environs. Jusqu'à ce qu'un Chasseur mette le feu au manoir et que toute ma famille y périsse, on contrôlait la région. Cette femme nous a forcés à fuir, les survivants se sont dispersés et dix ans ont passé. Quand je suis revenu, j'ai découvert que mon oncle, Peter, était vivant, mais il avait passé les dix années dans un hospice pour grands brûlés... Brusquement, il a totalement guéri et il s'est enfui de l'hospice. Il a retrouvé sa sœur, une survivante, qui avait hérité du gène d'Alpha de ma mère qui est morte dans l'incendie, et il l'a tuée pour s'en emparer. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré Scott et Stiles. C'était des gamins, ils avaient seize ans, ils étaient curieux, ils avaient trouvé un cadavre dans les bois, une moitié de cadavre, plus précisément, et ils faisaient leur petite enquête d'ados...
— C'était qui le cadavre ?
— Ma tante. Peter l'avait tuée et laissée là... Transformé en monstre, incapable de contrôler le gène Alpha, il s'est mis à dévaster les environs en tuant des innocents, jusqu'à ce qu'il s'attaque à Scott et le morde.

Jared demeura silencieux et Derek soupira.

— Je ne peux pas tout te raconter en détail, dit-il. C'est une trop longue histoire, néanmoins ma rencontre avec ces garçons, et avec leurs amis aussi, m'a rappelé combien être entouré et avoir une meute était important. J'avais vécu seul toute ma vie, j'étais un Omega, je n'avais personne sur qui me reposer et voilà que deux gosses entraient dans ma vie et ma simple présence leur a rendu la vie impossible. Beacon Hills est devenu le fief des trucs surnaturels en peu de temps, et rapidement, leur amie Lydia s'est révélé être une Banshee qui voit les esprits et qui ressent les morts à venir, puis Scott a mordu son premier Bêta pour lui sauver la vie, c'était ça ou le regarder s'écraser sur le goudron en bas de l'immeuble... En peu de temps, il s'est passé tellement de choses ici...
— Avec ce garçon, surtout ?
— Principalement, ouais, il m'a sauvé la vie... trois ou quatre fois, j'ai sauvé la leur plusieurs fois aussi, et pour être honnête, Scott m'impressionne. Il est devenu un Alpha uniquement par sa force de volonté à vouloir protéger les siens, il est, je crois, aujourd'hui, l'Alpha le plus respecté de tout le pays.
— Impressionnant, c'est un gosse pourtant.
— Plus maintenant, mais ouais, c'était un gamin et il a changé du tout au tout en devenant un Alpha, même si à l'époque il n'avait pas de meute et qu'il n'avait aucune envie d'en avoir une.

Jared opina, lèvres serrées, et s'assit sur l'accoudoir du canapé.

— Je vais préparer un truc à manger, dit soudain Derek. Tu peux aller prendre une douche si tu veux, tu trouveras ce qu'il faut dans les placards et je vais te trouver des fringues propres.
— Merci, ça serait pas de refus, je n'ai aucune idée de la dernière fois que j'ai pris une douche...
— Ça se sent, sourit Derek en plissant le nez.

Jared prit un air offusqué avant de se mettre à rire.

— Tu sais que vous, les loups, puez autant que moi je pue ? dit-il.
— Je sais, mais ce n'est pas parce que tu es une panthère que t'es plus mon pote, au contraire, j'ai bien envie de te garder à l'œil quelques temps. Tu sais, te voir mourir, ça a été terrible, je ne pensais jamais en arriver à une telle chose...
— J'aurais pu survivre ?
— Oui, tu aurais souffert, mais tu aurais survécu, mais quelqu'un en a décidé autrement et je n'ai pas eu le choix.
— Mais maintenant, je suis vivant, je suis là, même si je n'ai aucune idée de ce qu'il s'est passé ces six derniers mois.

Derek esquissa un sourire puis se détourna et Jared opina avant de quitter la pièce principale. Ils avaient été les meilleurs amis du monde pendant trois longues années, et pourtant, Derek ne lui avait jamais dit qui il était réellement. Il l'aurait sans doute fait un jour, et Jared comprenait maintenant que son ami était un solitaire à l'époque, qu'avoir des gens autour de lui, lui faisait plus de mal que de bien et peut-être qu'il serait parti du jour au lendemain sans rien lui dire non plus.

Entendant l'eau de la douche couler, Derek se mit en devoir de trouver un truc pour le dîner. Il n'avait pas fait les courses et, ne trouvant qu'un paquet de riz, il s'empara de son téléphone pour commander une livraison. Vivre trois ans avec la même personne assurait de savoir ce qu'elle préfèrait comme nourriture, il commanda donc du Thai à livrer, et alors qu'il reposait son téléphone, il émit un son et il reporta son regard sur l'écran.

— Salut, dit-il après avoir tapoté dessus.
Je te dérange ?
— Non, Jared prend une douche, il est un peu perturbé, mais j'imagine que c'est normal.
Tu vas t'en sortir avec lui ?
— Stiles, on a vécu trois ans ensemble...
Je sais, mais il était humain à l'époque, plus maintenant.
— C'est vrai. Mais ne t'en fais pas, je saurais le maîtriser, si jamais.
T'es sûr ?
— Stiles...
Ok, j'arrête... sourit le jeune homme.

Derek soupira et posa le téléphone contre une fleur en pot avant de s'asseoir sur le tabouret en face.

— Tu es jaloux, hein ? dit-il.
Jaloux ? Non. Inquiet, plutôt.
— Il n'y a pas lieu, je t'assure.
Tu as quand même essayé de le tuer...
— Je ne l'aurais pas fait, répondit Derek en secouant la tête. Même possédé il reste Jared, le gars avec qui j'ai vécu ma meilleure vie depuis la mort de ma famille.

Stiles fit la moue et Derek rigola.

— Toi c'est autre chose, dit-il.
Oui, je sais, sourit le brun, amusé. Si tu as le moindre souci avec lui, n'hésite pas, d'accord ?
— Il ne devrait pas y en avoir, mais je note. Merci.

Stiles sourit puis baissa le nez et raccrocha. Derek soupira.

— C'est... cordial, comme relation.
— Jared... T'as jamais appris à pas écouter les conversations des autres ?
— Si, mais je suis intrigué.

Simplement enveloppé dans une grande serviette, pieds nus, Jared était appuyé de l'épaule contre le mur du couloir donnant accès aux chambres et à la salle de bains. Derek remarqua rapidement la cicatrice en forme de demi-lune sur son épaule et il serra les mâchoires. Il nota également la vilaine cicatrice grossière en forme de Y qui lui découpait le tronc en trois parties, mais il ne releva pas.

— Tu n'y est pour rien, d'accord ? dit alors Jared en se redressant. Ces panthères étaient juste des ivrognes, on s'est retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment.
— Je sais, mais si j'avais été moins rouillé, j'aurais pu les dégommer en quelque secondes et te protéger.
— J'admets que ça aurait pu se passer autrement, mais poses-toi une question... Est-ce que tu serais revenu vivre ici si je n'avais pas été mordu et que tu ne m'avais pas achevé ?

Derek demeura muet puis secoua la tête.

— Non, avoua-t-il alors. Non, je ne serais pas revenu, il y a trop de souvenirs peu agréables dans cette ville, cependant, il y a Scott et sa meute et...
— Et c'est aussi ta meute, c'est ça ?
— En quelque sorte. Je suis un Alpha Supérieur, je n'appartiens à personne et je n'ai pas de meute à moi, je suis condamné à vivre seul jusqu'à la fin de ma vie, sauf si, comme l'a fait ma mère, je décide de mettre mon combat en pause et que je fonde une famille, une vraie famille.
— Tu aurais eu largement le temps de le faire depuis sept ans que tu as quitté Beacon Hills. Cette jolie fille avec qui tu es resté presque six mois, là, Natalia, non ?

Derek esquissa un sourire et haussa les épaules.

— Je pense qu'au fond de moi, Stiles a toujours été là, tapis dans l'ombre, quelque part, attendant son heure, répondit-il. Je...

Le brun s'ébroua soudain et quitta son tabouret en disant à Jared de le suivre dans le dressing pour qu'il s'habille.

— Raconte-moi ton histoire, dit-il en retournant dans la salle de bains.
— Laquelle ?
— Toute ta vie.

Jared revint, simplement vêtu d'un caleçon et s'assit sur un meuble à tiroirs pendant que Derek fouillait dans la large penderie appartenant à son oncle.

— C'est long, tu sais ?
— Tu as vingt-six ans, ce n'est pas si long que ça.
— Non, certes, mais c'est long parce qu'il se passe beaucoup de choses dans une famille de loups-garous. Je suis né loup, tout comme mon oncle, Peter, et sa fille, Malia. Enfin, elle c'est un coyote-garou, on ne sait pas trop pourquoi, mais... Tiens, ça devrait t'aller.

Jared récupéra un jean noir et un t-shirt blanc que lui tendait Derek et il les enfila rapidement.

— Quand je suis mort, tu as... tu as erré, tu m'as dit, mais tu as fait quoi ces derniers deux mois ? demanda-t-il en tirant sur le t-shirt pour passer la tête.

Derek serra aussitôt les mâchoires et son poing droit se crispa.

— Longue histoire ? demanda Jared. Ou, douloureux ?
— Douloureux. Quand je suis parti d'Oshawa après t'avoir achevé, je me suis enfui, j'ai tout laissé en plan et je suis parti. J'ai erré au Canada, en Alaska, j'ai fait des petits jobs ici et là, je suis redescendu aux Etats-Unis, jusqu'au Mexique. Et puis au bout de trois mois, trois mois et demi environ, j'ai décidé de rentrer à Beacon Hills, qu'ici, les feds auraient plus de mal à me chercher puisque c'est le bastion des créatures surnaturelles et ma ville de naissance.
— Ils pensaient que tu ne retournerais sans doute pas là où tout a commencé, répondit Jared.
— C'est ce que je me suis dit, et aussi que Scott allait pouvoir me protéger quelques temps, suffisamment pour que ma piste refroidisse et que le dossier d'assassinat soit un peu oublié.
— Mais ?

Derek s'adossa à la penderie en regardant ses mains.

— Mais je n'étais pas revenu depuis deux jours que le SWAT a défoncé la porte du manoir... J'ai été neutralisé à coup de gaz d'aconit jaune, de matraques électriques, mais j'ai réussi à tuer trois soldats avant qu'ils n'aient le dessus sur moi. Quand je me suis réveillé, j'étais dans un laboratoire médical, suspendu au mur par les poignets et deux humains m'étudiaient...
— Non... Derek, je suis désolé...

Le brun secoua la tête.

— Comment t'es sorti de là ?
— Stiles.

Jared haussa les sourcils, étonné.

— Stiles a quitté Beacon Hills il y a cinq ans pour devenir agent du FBI, une nouvelle section a été créé, le Bureau de Protection des Créatures Surnaturelles, mais il y a quinze jours, on a prévenu Stiles que son père avait disparu pendant une mission banale de reconnaissance. Les loups de Scott l'avaient déjà cherché pendant plusieurs jours avant que Stiles ne débarque, et comme ils ne trouvaient rien, il a demandé si des gens avaient des nouvelles de moi ou de mon oncle, mais comme personne ne nous avait vu depuis des années, il a commencé à faire des recherches sur internet en se disant que plus il y aurait de loups sur le terrain, mieux se serait.
— Et il a découvert le mandat d'arrêt international.
— Voilà. Il a alors contacté une amie qui bosse avec lui pour qu'elle lui fournisse plus d'informations, et quand elle a découvert que j'étais retenu captif dans un laboratoire d'études de la Zone 51, il...
— Il s'est effondré ? souffla Jared.
— Beth, sa mère, m'a dit qu'elle ne l'avait jamais vu comme ça, il était au bout de sa vie, Jared, il pleurait, secoué de hoquets, comme quelqu'un qui vient de perdre un membre de sa famille...
— Ça en dit long sur ce qui le lie à toi, en effet... Qu'est-ce qui s'est passé ensuite, pour que tu sois devant moi ?
— Il a demandé à son amie, Léna, s'il y avait un moyen d'accéder à la Zone 51. Quand j'ai appris qu'en une heure le Pentagone leur avait autorisé l'accès, je n'en revenais pas, puis Léna a expliqué que quelqu'un de là-haut lui devait un service...
— Je vois... Ils t'ont fait quoi là-bas, pendant deux mois ?
— Biopsies, prélèvements sanguins, cutanés, musculaires, osseux, ils ont testé ma force... Tout ça, à vif, bien entendu.

Derek haussa les épaules en passant sa langue sur ses lèvres. Il secoua ensuite la tête.

— Quand j'ai vu Stiles, à l'hôpital, qui dormait au bord de mon lit, j'ai cru que je rêvais, puis je l'ai touché et j'ai compris que mon calvaire avait enfin cessé. Plus tard, Scott m'a raconté qu'il avait rugit tellement fort dans ce labo que toute la base de Nellis avait cru qu'un F-14 Tomcat faisait du rase-mottes au-dessus de la zone !

Jared se mit à rire et Derek sourit.

— Le lendemain, j'étais totalement guéri et on est rentrés à Beacon Hills pour retrouver le père de Stiles, reprit-il ensuite. J'ai fureté dans les bois un moment en suivant la piste que le Voltron avait repérée, et je suis allé jusqu'à la frontière du territoire de Scott. Au-delà, c'est un autre Alpha qui possède cet endroit, donc je suis revenu, j'ai fait mon rapport puis on y est retournés le lendemain avec Stiles.
— Tu es rentré sur un autre territoire quand même ?
— J'étais avec Stiles et il pouvait appeler Scott n'importe quand avec son téléphone.
— Et pas toi ?
— J'étais sous ma forme de loup complet. Je ressemble à un gros chien et personne n'aurait embêté un jeune homme qui se promène dans les bois avec son chien-loup.

Jared fronça les sourcils. Derek tendit alors le bras et sa main se couvrit de poils noirs un court instant.

— Tu peux devenir un vrai loup ?! s'exclama Jared.
— Ma mère en était un aussi. Mais le plus important de l'histoire, c'est qu'on a retrouvé le Shérif totalement hors de lui, qui errait sur une plate-forme de parapentes, à quelques centaines de mètres de la frontière. Il était enragé, il voulait morde son fils, mais il l'aurait tué en faisant ça... Stiles était prêt à le tuer, il avait un chargeur d'argent dans son revolver, mais il n'a pas pu. Quand le Shérif l'a saisi par le cou, il était prêt à mourir, et il m'a demandé de rugir pour calmer son père, mais je n'ai pas pu.
— Pourquoi ? Désolé si je pose des questions, mais je suis une panthère esseulée, je ne connais rien aux règles d'une meute de loups et...
— Tu apprendras. Malgré ton odeur, je pense que Scott t'autorisera à rester dans sa meute le temps que tu te fasses à ta nouvelle vie.

Jared fit la moue et Derek esquissa un sourire. On sonna alors à l'interphone et les deux garçons quittèrent le dressing.

— Tu as commandé Thai, j'espère ! s'exclama Jared.

Derek sourit largement puis lui demanda de sortir des couverts pendant qu'il descendait chercher les repas.