Drago


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Drago avait rarement vécu une telle gueule de bois de sa vie. Même le sortilège "miraculeux" de Pansy s'avéra complètement inefficace contre sa migraine. Il passa sa journée de dimanche dans le dortoir à ruminer et à se passer de l'eau fraîche sur le visage toutes les demi-heures, sans succès.

C'était donc là que Drago se trouvait, allongé sur son lit en train d'essayer de faire ses devoirs sans y arriver, quand Théo fit son entrée fracassante : il ouvrit la porte à la volée, la faisant pratiquement sortir de ses gonds, et se précipita sur Drago en hurlant :

"TU ES AMOUREUX D'HERMIONE GRANGER ?!"

Drago eut deux réactions simultanées en entendant cette accusation : la première fut de grimacer quand le cri de Théo atteint ses tympans sensibles, la seconde fut de manquer de s'évanouir en comprenant ce qu'il venait de dire.

"Qu-quoi ?!" bégaya-t-il, frappé d'horreur.

Théo claqua la porte derrière lui et s'approcha du lit où Drago était allongé :

"EST-CE QUE TU ES AMOUREUX D'HERMIONE GRANGER ?"

"Merlin, moins fort, on va t'entendre !" glapit Drago en regardant autour de lui comme si quelqu'un d'autre que lui se trouvait dans ce dortoir.

Les yeux de Théo étaient tellement exhorbités que Drago se demanda s'ils n'allaient pas tomber d'une seconde à l'autre. Il prit ses cheveux bouclés dans ses mains et resta quelques secondes muet, le choc de la réalisation imprégné sur chacun de ses traits :

"Tu te fous de ma gueule ?!" cria Théo d'une voix toute étranglée. "Toi ?! Amoureux d'Hermione Granger ?!"

"Ta gueule !" dit Drago. "Baisse d'un ton, Nott !"

"Comment tu veux que je baisse d'un ton, putain ?!" répondit-il, toujours aussi fort. Le fait qu'il ne l'avait pas repris sur son nom montrait à quel point il était sous le choc. "Je viens d'apprendre que tu es amoureux d'Hermione Granger et je suis censé rester calme ?!"

"Comment tu peux savoir ça ?!" demanda Drago. Puis, plus doucement : "Elle te l'a dit ?"

Son estomac se retourna brutalement en imaginant Granger confier un tel secret à son meilleur ami. Elle lui avait pourtant clairement dit qu'elle ne le ferait jamais à sa place, qu'il le ferait quand il serait prêt à lui confier…

Théo n'entendit pas sa question, ou préféra l'ignorer.

"C'est donc vrai ?! Tu es amoureux d'elle ? Depuis quand ?!"

Drago se leva de son lit pour éviter d'affronter une seconde de plus le regard outré de Théo braqué sur lui et se mit à faire les cent pas dans le dortoir, surtout pour éliminer la nausée qui montait douloureusement en lui.

"Oui. Oui, c'est vrai." dit-il à voix basse, le poids de la révélation lourd sur ses épaules.

Il releva la tête férocement, comme s'il voulait défier Théo de faire la moindre remarque, mais ce dernier était toujours bouche-bée, les bras balants contre ses flancs.

"Putain de merde." lâcha-t-il dans un souffle. "Putain, ça, je m'y attendais pas."

Il s'assit lourdement sur le lit de Drago et fixa la porte en face de lui sans la voir. Il s'était assis sur les manuels de Potions que Drago avait éparpillé sur le lit mais n'avait pas remarqué.

"Comment tu peux le savoir, si elle ne te l'a pas dit ?" demanda Drago.

Son coeur battait tellement fort contre sa cage thoracique qu'il n'entendit presque pas la réponse de Théo :

"Son thé à la cannelle."

"Elle te l'a fait boire ?!" cria Drago, incapable de réfréner la pique de jalousie qu'il ressentit en imaginant la scène.

"Non." répondit Théo, imperturbable. "Elle m'en a proposé, et j'ai refusé, et je lui ai demandé à quel goût il était, et elle m'a répondu… à la cannelle, ses préférés… et je me suis rappelé…"

"De mon Amortentia." termina Drago en comprenant soudain.

Il se passa une main dans les cheveux. Il ne pouvait pas avoir cette conversation maintenant, pas dans cet état.

"Thé à la cannelle… livres de la Bibliothèque…" lista Théo dans un murmure. "Putain. Tu es amoureux d'Hermione Granger." Il laissa passer quelques secondes de silence, puis, il chuchota : "Ça fait tellement… sens."

Drago fronça les sourcils :

"Comment ça ?"

"Comment je n'ai pas pu le voir avant ?" demanda Théo, qui avait plus l'air de parler tout seul qu'à lui. "Tu es obsédé par elle depuis des années… j'ai cru que c'était de la haine, mais je n'arrivais pas à croire que toi, le Drago que je connais, puisse ressentir autant de rancoeur envers cette fille qui ne t'avais rien fait… mais c'est tellement clair, maintenant ! Tu es fou amoureux d'elle !"

Théo tourna la tête vers lui, ses yeux bleus dilatés par l'émotion :

"Depuis quand ?"

Il y a encore quelques mois, Drago aurait nié en bloc, mais aujourd'hui, il en était incapable. Il soupira et baissa les yeux vers le sol en pierre :

"Depuis…"

Il pensa à la table de la Bibliothèque, à sa peur quand il avait vu les Mangemorts envahir le champ à la Coupe du Monde de Quidditch, à son envie dévorante de la battre dans toutes les matières, à son obsession sur son Retourneur de Temps, à sa manie d'observer sans cesse la meilleure amie de Potter, à cette fille étrange dans le train qui lui avait demandé s'il avait vu un crapaud, et soupira :

"Depuis toujours, je crois."

Il s'attendait à ce que Théo pouffe de rire pour se moquer, mais il hocha la tête pensivement.

"Elle le sait, je présume ?" demanda-t-il.

Drago refit les cent pas pour se mettre dos à lui.

"Oui, elle est au courant." répondit-il vaguement. "On… on…" Il n'avait aucune idée du nom qu'il était censé donner à leur relation : un couple ? Est-ce que c'était vraiment un couple s'ils ne se voyaient qu'en secret ? "On se… fréquente."

Il grimaça en employant ce mot, qui n'avait rien à voir avec le lien qu'il partageait avec Granger. Ses doigts tremblaient furieusement, et il était à peu près sûr qu'il était en train de rougir.

"Où ?" questionna Théo, incrédule.

"À la Bibliothèque." avoua Drago à contre-coeur, peu désireux de partager ce genre de secret aussi ouvertement.

Théo fit un petit bruit dédaigneux :

"Ma Bibliothèque ?"

Drago fit volte-face et le fusilla du regard :

"Ce n'est pas ta Bibliothèque, c'est la Bibliothèque de Poudlard." rectifia-t-il entre ses dents.

"Putain." lâcha Théo. "Je m'en remets pas, amoureux d'Hermione Granger… Est-ce que c'est pour ça que tu as arrêté de coucher avec Pansy ?"

Drago eut le plus long soupir de sa vie. Il avait désespérement besoin d'un verre d'eau, ou de sa baguette pour s'arracher la cervelle. Où est-ce qu'il devait mettre ses mains ? Il n'avait jamais réalisé que ses mains le gênait quand il marchait. Dans ses poches ? Il s'assit à côté de Théo et se frotta le visage avec ses paumes.

"En quelques sortes." dit-il sans le regarder. "Elle a réalisé que je ne l'aimais pas parce que je l'aimais elle."

"Oh…" souffla Théo, qui semblait se remémorer cette période et aligner les points manquants. "Et Blaise ? Il est au courant ?"

"Oui et non." dit Drago évasivement. "Il ne me l'a jamais dit explicitement, mais… je pense qu'il l'a deviné depuis pas mal de temps, ouais."

Les traits de Théo s'affaissèrent soudain de déception :

"Ne me dis pas que je suis ENCORE le dernier à connaître un secret ?!" se lamenta-t-il.

Drago roula des yeux :

"Ce n'est pas une compétition !"

"Ah bon ? Comment tu réagirais si t'apprenais quelque chose sur moi que Pansy et Blaise savent déjà depuis longtemps ?!"

"Ça n'a rien à voir, c'est pas comme si je leur avais écrit une lettre pour leur annoncer !" répliqua Drago. "Ils l'ont deviné, c'est tout ! C'est de ta faute si tu n'es pas un bon observateur !"

Théo ouvrit grand la bouche de protestation :

"Je n'aurais jamais pu deviner un truc pareil !" rétorqua-t-il d'une voix étrangement aïgue. "Comment j'aurais pu comprendre que t'étais amoureux d'elle ? Il n'y avait aucun indice !"

Drago n'était pas vraiment d'accord. Il s'éclipsait tous les soirs depuis l'année précédente pendant de longues heures et il passait tout son temps à la regarder en biais depuis qu'il était entré à Poudlard, mais il préféra ne pas le faire remarquer à Théo, qui semblait attristé d'être relayé au second plan.

"Ce n'est pas un secret qu'on gardait tous dans ton dos, Théo." le rassura-t-il. "Pansy et Blaise ne m'en parlent jamais parce qu'ils savent à quel point je suis terrifié à l'idée de l'aimer, c'est encore très dur pour moi d'en parler comme ça."

Drago essuya ses mains moites contre son pyjama et osa tourner la tête vers lui. Théo le regardait sans comprendre :

"Pourquoi ?"

Drago eut un petit rire sans joie :

"Parce que mon père est un Mangemort et allié du plus grand mage noir de tous les temps qui veut la mort de tous les nés-Moldus ?"

Théo cligna des yeux comme s'il venait seulement de se souvenir de cette éventualité.

"Oh." dit-il simplement.
Ils restèrent quelques secondes plongé dans le silence, Théo perdu dans ses réflexions et Drago en train d'attendre anxieusement sa prochaine question. Soudain, Théo s'écria :

"Oh mon Dieu, est-ce que c'est pour ça que tu m'as demandé si j'étais amoureux d'elle ?!"

Drago contracta la mâchoire.

"Pourquoi, tu l'es ?" demanda-t-il sèchement.

Théo était visiblement partagé entre l'offense et l'envie d'éclater de rire.

"Non, pas du tout ! Putain, tu es jaloux ! C'est pour ça que tu détestes quand je passe du temps avec elle ? Je pensais que tu ne voulais pas que je sois ami avec elle parce que tu la détestais, à cause de sa relation avec Potter…"

"Je ne suis pas très fan de l'idée, effectivement." grommela-t-il.

Théo le regardait à travers ses longues boucles châtaignes comme s'il était en train de résoudre un mystère qui le hantait depuis des années.

"T'es vraiment un gros con, Drago." dit-il. "Si tu me l'avais dit avant, je t'aurais rassuré tout de suite, mais t'as préféré tout garder pour toi, comme d'habitude. Je ne suis pas amoureux d'Hermione, je te la laisse volontiers." ajouta-t-il avec un petit rire.

Drago leva les yeux au ciel pour cacher le fait que sa dernière phrase venait de lui calmer son mal de tête. Il n'avait certainement pas besoin de la bénédiction de Théo, Granger était déjà à lui depuis des mois, mais c'était toujours bon à entendre.

"Et vous vous êtes disputés, c'est ça ?" devina Théo.

"Comment tu le sais ?" demanda Drago, surpris.

"Elle me l'a dit." répondit-il en haussant les épaules. "Là, tout à l'heure, j'étais en train de réviser avec elle à la Bibliothèque. Elle ne m'a pas dit que c'était avec toi, bien sûr, mais elle m'a laissé entendre qu'elle était triste parce qu'elle avait blessé quelqu'un qu'elle aimait."

Le coeur de Drago tripla de volume dans sa poitrine.

"C'est vrai ?" demanda-t-il d'une petite voix. "Elle a vraiment dit ça ?"

"Ouais." dit Théo, les yeux voilés par la compassion. "Je crois qu'elle se sent vraiment mal. Qu'est-ce que t'as fait ?"

Drago se redressa, piqué dans son égo :

"Je n'ai rien fait ! C'est elle qui a fait une connerie !"

Théo arqua un sourcil :

"Vraiment ? Qu'est-ce qu'elle a fait ?"

"Elle a une correspondance cachée avec Viktor Krum depuis l'année dernière." cracha Drago avec véhémence.

"Aouch." dit Théo. "C'est dur."

Il lui tapa amicalement le dos. Puis, il ajouta :

"Mais tu es quand même un gros con."

Drago se releva du lit pour jauger Théo de haut :

"Pardon ?!"

Théo ne se laissa pas intimider, il se leva aussi, les bras croisés sur sa poitrine :

"Tu es un gros con." répéta-t-il. "Tu laisses la pauvre Hermione s'apitoyer sur son sort toute seule à la Bibliothèque, et tu restes ici en gueule de bois ?"

"Tu as entendu ce que je t'ai dit ?!" s'impatienta Drago. "Elle a une correspondance secrète avec Viktor Krum !"

"Et alors ?!" répliqua Théo sur le même ton. "Tu es avec elle dans ce Château toute l'année pendant qu'il est dans son coin perdu en Hongrie !"

"Bulgarie." corrigea Drago.

"Peu importe." grinça Théo. "Va la rejoindre ! Tu l'as dit toi-même, ton père est un Mangemort, bientôt ce sera la guerre, et toi, tu perds ton précieux temps avec elle pour des conneries de ce genre ?"

Drago ouvrit la bouche pour le contredire mais la referma bien vite quand il réalisa qu'il n'avait pas d'argument. Il ne répondit rien. Théo et lui se regardèrent pendant de longues secondes, et d'un coup, sans qu'il s'y attende, Théo s'approcha de lui pour l'étreindre. Drago resta immobile, parce qu'il n'avait pas trop l'habitude des câlins plein de sentiments débordants, mais Théo ne fut pas étonné par son manque de réaction. Il serra son épaule amicalement et s'éloigna aussi vite qu'il s'était avancé :

"Je suis content pour toi." dit-il.

"Ouais, merci." répondit Drago, dont la gorge était soudain serrée par une émotion qui n'avait rien à voir avec sa gueule de bois.

"Mais je suis quand même super vénère d'être le dernier au courant." reprit Théo.

"Et moi, je suis super vénère qu'elle t'ait proposé son thé à la cannelle." confessa Drago avec mauvaise humeur.

Il le regarda d'un air blasé :

"T'es vraiment un gros con."

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Hermione


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Harry et Ron terminaient leur montagne de devoirs sur l'une des tables d'étude de la Salle Commune quand Ginny s'approcha d'Hermione qui tricotait sur le canapé.

"Qu'est-ce qui ne va pas ?" chuchota-t-elle pour ne pas se faire entendre par les garçons à côté.

Hermione lui lança un drôle de regard par-dessus ses aiguilles.

"Comment tu peux savoir que…"

"Oh, arrête." coupa Ginny en levant les yeux au ciel. "Arrêtons de prétendre que je ne suis pas la personne la plus observatrice que tu connaisses et raconte-moi."

Hermione fut tellement prise de court qu'elle mit plusieurs secondes à trouver ses mots.

"On… on s'est disputés." dit-elle rapidement.

"Encore ?!" s'écria Ginny, bien trop fort comparé au silence de la Salle Commune.

Plusieurs élèves regardèrent dans leur direction, mais Harry et Ron étaient trop concentrés sur leur essai de Métamorphose pour lui prêter attention.

"Oui, mais cette fois-ci, c'est… différent." expliqua Hermione à voix basse.

"En quoi ?" demanda Ginny.

"C'est de ma faute."

La rouquine arqua un sourcil, comme si elle doutait de la véracité de ses propos.

"De ta faute ? Impossible."

"Je lui ai caché que j'entretenais une correspondance avec Viktor." dit Hermione d'un ton penaud.

Ginny plissa les lèvres et resta pensive quelques secondes. Hermione continuait son tricot pour faire quelque chose de ses mains, même si ça ne ressemblait plus à grand chose. Elle massacrait les mailles plus qu'elle ne les assemblaient.

"Il t'en veut parce que tu lui écris toujours, ou parce que tu lui as caché ?" demanda Ginny.

"Les deux." répondit Hermione. "Mais surtout parce que je lui ai caché, je crois. Je ne pense pas qu'il l'aurait bien pris si je lui avais dit qu'on était restés amis, mais la découverte a été encore plus douloureuse. Il m'en veut terriblement. Il m'a demandé de le laisser tranquille le temps qu'il digère tout ça."

Ginny roula des yeux comme si c'était une demande particulièrement puérile.

"Il est culotté." fit-elle remarquer. "Il t'en a fait voir de toutes les couleurs et à ta première "faute", il te fait la gueule. Tous ces allers-retours ne sont pas épuisants ?"

Hermione hocha la tête, parce que c'était le cas. Elle avait l'impression que le lien qui les unissait ne tenait qu'à un fil et que l'un des deux finissait toujours par tomber.

"Qu'est-ce que je dois faire, tu crois ?" demanda Hermione d'une petite voix.

"Et bien, je pense que tricoter ici à te morfondre n'est pas une bonne idée." asséna Ginny. "Je pense que tu devrais aller le retrouver, t'excuser, te faire pardonner, lui montrer que tu n'en as rien à faire de Krum. Tu es amoureuse de lui, non ?"

Hermione jeta un bref regard vers Ron et Harry pour vérifier qu'ils n'écoutaient pas et acquiesça timidement.

"Alors, vas-y." continua Ginny en montrant le passage de la Grosse Dame d'un geste de la main. "C'est trop bête de se disputer pour ça, vous devez vraiment apprendre à communiquer, vous deux."

"Mais il m'a spécifiquement demandé de le laisser…"

"Et depuis quand écoute-t-on les demandes de Drago Malefoy ?" interrompit Ginny dans un murmure, les yeux ardents. "Il a pris un coup dans son égo, pas de quoi en faire tout un plat. Tu as le droit d'avoir une correspondance avec un ami. Tu lui dis que tu n'avais pas l'intention de lui cacher, et s'il est aussi intelligent que tu le prétends, il saura que tu dis la vérité et vous vous pardonnerez en un clin d'oeil, au lieu de ruminer pendant des jours en vous évitant."

Hermione sentit l'enclume de la culpabilité qui lui contractait l'estomac s'alléger un peu en imaginant cette perspective.

"Allez, vas-y !" pressa Ginny en lui prenant les aiguilles qu'elle tenait toujours entre ses doigts.

"Quoi, maintenant ?!" s'égosilla Hermione. "Mais, Harry et Ron…"

Ginny balaya cette remarque d'un revers de la main :

"On s'en fiche, ils sont infects avec toi depuis une semaine, tu me l'a dit toi-même. Je dirai que tu es partie te coucher s'ils se demandent où tu es passée. Va le retrouver. C'est trop dommage de se prendre la tête pour des broutilles pareilles."

Hermione resta interdite quelques secondes, puis prit Ginny dans ses bras :

"Merci." dit-elle. "Tu es géniale."

"Je sais." répondit Ginny avec un petit rire. "Allez, dépêche-toi. Je suis sûre qu'il t'attend."

Hermione sourit, enfila le pull qu'elle avait laissé sur le canapé, et sortit discrètement de la Salle Commune avant de se poser plus de questions.

C'était presque l'heure du couvre-feu. Hermione dévala les escaliers en réfléchissant à ce qu'elle allait lui dire, essayant d'imaginer chaque réaction de ce garçon imprévisible. À la fin de sa descente, elle avait déjà une tirade toute prête à déballer. Elle courut pratiquement jusau'au banc, ignorant les bourrasques de vent glacé contre son visage, mais quand elle arriva, elle fut surprise de le trouver vide.

Elle s'était tellement attendu à le voir qu'elle resta quelques secondes figée.

Il l'attendait toujours sur le banc.

Mais il n'était pas venu.

Dans un geste automatique, elle prit sa baguette dans sa poche et la pointa en direction du banc :

"Calefacere."

Aussitôt, la neige fondit sur le bois et Hermione s'assit, sans trop savoir pourquoi. S'il n'était pas là, ça ne servait à rien de rester ici à se frigorifier. Elle était bien mieux dans la Salle Commune, avec le feu dans la cheminée. Elle ferait mieux de remonter. Discuter avec Ginny, prendre un thé avec Harry, jouer aux cartes avec Neville. Pas rester ici, dans le froid, à quelques minutes du couvre-feu.

Mais elle ne voulait pas parler à Ginny. Elle ne voulait pas retourner dans la Salle Commune. Elle voulait lui parler à lui, lui expliquer, faire disparaître la peine dans ses yeux. Elle voulait brûler les lettres de Krum et lui promettre de ne plus jamais lui adresser un mot si c'était ce qu'il voulait. C'était une maigre compensation au manque qu'elle ressentait.

Hermione était sur le point de se relever et de rentrer bredouille quand elle crut entendre le bruit d'une porte qui s'ouvre. Elle resta aux aguets de longues secondes, guettant l'obscurité autour d'elle, les sens en alerte. Elle avait du entendre confondre avec le bruit du vent, il n'y avait personne…

Soudain, Drago se détacha de la pénombre. Il chargeait vers elle à toute vitesse, sa peau de la même couleur que les flocons de neige qui tombaient entre eux, ses cheveux presque blancs. Il avançait si vite qu'Hermione eut à peine le temps de se lever du banc qu'il était déjà à moins de trois mètres d'elle.

"Drago, je suis tellement…" commença-t-elle d'une voix chevrotante.

Il fit alors quelque chose qu'elle n'avait pas du tout anticipé : il s'approcha d'elle et écrasa ses lèvres contre les siennes avec force. Leurs deux corps s'entrechoquèrent violemment et elle aurait pu tomber en arrière s'il ne la retenait pas déjà, l'une de ses mains autour de sa taille et l'autre contre sa mâchoire. Hermione réagit au quart de tour, elle soupira de bonheur et passa ses bras contre son cou pour le rapprocher davantage. La boule de culpabilité se dissipa à l'instant même où elle entremêla ses doigts à ses cheveux.

Il l'embrassait comme si ça faisait des années qu'il ne l'avait pas fait. Ses lèvres n'avaient plus rien de la douceur des baisers au clair de lune, il était possessif, intense, ses mains se dédoublaient tant elles étaient partout : dans ses cheveux, autour de sa taille, contre son cou. Il ne lui laissa aucun répit, pas une seconde pour reprendre son souffle. Comme à chaque baiser, un flot d'émotions passaient entre eux, comme un message codé, et Hermione pouvait la sentir, la jalousie en lui, dans la manière dont il mordait sa lèvre inférieure et qu'il lui agrippait les hanches pour la presser contre lui. Et si quelqu'un lui demandait, elle dirait qu'elle trouvait ça malsain, que ce n'était pas normal, mais en réalité, elle frémissait de bonheur à l'idée de pouvoir procurer des sensations aussi fortes chez quelqu'un d'autre. Elle ressentait les mêmes.

Quand il rompit le contact, Hermione était trop essoufflée pour parler. Il enfouit sa tête contre son cou et embrassa le carré de peau fine qu'il adorait entre son oreille et sa mâchoire.

"Est-ce que Viktor Krum t'a déjà embrassée comme ça ?" murmura-t-il.

"Non." hoqueta Hermione. "Non, jamais."

"Tant mieux." répondit-il, et elle pouvait deviner son sourire en coin contre sa peau.

"Drago…" commença-t-elle, mais elle réalisa qu'elle avait complètement oublié son discours tout préparé. Le fait qu'il continuait de déposer des petits baisers dans son cou n'aidait pas. "Je suis désolée." finit-elle par glapir pathétiquement.

Quand il se mit face à elle, sa bouche était gonflée, ses joues étaient rouges et ses yeux étaient d'un bleu tellement profond qu'ils en étaient devenus presque noirs, comme de l'encre diluée. Ses cheveux étaient tout ébouriffés, et il n'avait jamais été aussi beau.

"Désolée de quoi ?" demanda-t-il.

"Pour Krum." dit Hermione sur un ton de supplique. "Je suis tellement désolée, je me sens atrocement mal, je ne lui écrirai plus jamais, je te le pro…"

Drago posa aussitôt son doigt contre ses lèvres pour la faire taire et elle s'interrompit en le regardant avec de grands yeux.

"Je suis furieux." admit-il. "Mais je suis plus en colère que tu ne m'ait rien dit que du fait que tu lui envoies des lettres."

"Je sais." dit Hermione tout doucement.

"Je te l'ai déjà dit, Hermione." dit Drago, et son prénom dans sa bouche lui donna la chair de poule. "Je n'en ai rien à foutre que tu sois amie avec Potter, Londubat, ou même avec Danny. Je sais qu'ils comptent pour toi et je n'interferai jamais. Weasley… tu sais déjà ce que j'en pense. Mais Krum, par contre, je ne l'ai jamais senti. Et je ne dis pas ça parce que vous êtes sortis ensemble, je te dis ça parce que c'est bizarre. Il a quatre ans de plus que toi, et il étudie dans l'école la plus sinistre du monde !"

"C'est juste un ami." se défendit-elle.

Drago leva ses beaux yeux bleus au ciel en entendant ça.

"Si tu le dis." dit-il, d'une voix un peu trop tendue pour être tout à fait sincère. "En tout cas, j'ai été scandalisé que tu lui parles par lettres, mais… je suppose que je n'ai rien à dire là-dessus. J'ai été tellement méchant avec toi, et tu m'as toujours pardonné, alors je ne vais pas te faire la gueule pour ça. Je n'ai pas le droit de t'interdire de lui écrire. Je te fais confiance."

Hermione fut choquée de l'impact de ces mots sur elle, comme une vague de réconfort qui s'écrasa contre elle de plein fouet.

"Par contre, je veux que tu me dises les choses." insista-t-il. "Je ne veux pas les apprendre comme ça, plus maintenant."

Hermione acquiesça et il pointa un doigt vers elle :

"Je suis sérieux, Hermione. Plus de secrets."

Elle pensa aux séances de l'A.D et fut pratiquement sur le point de tout lui avouer, mais se rappela au dernier moment que ce n'était pas son secret. C'était celui d'Harry. Et Hermione faisait confiance à Théo, mais elle n'était pas encore sûre de la manière dont Drago allait réagir, alors elle préféra se taire.

"Plus de secrets." chuchota-t-elle.

Il parut satisfait et posa un dernier baiser sur ses lèvres, le temps d'une seconde, mais assez longtemps pour que tout son corps se réchauffe subitement à son contact.

S'ils avaient été attentifs, ils auraient remarqué que leurs magies combinées avaient jailli pendant leur baiser : les feuilles glacées autour d'eux s'étaient éparpillés par terre, et la bourrasque violente de vent qu'ils avaient crée sans s'en rendre compte avait fait explosé quelques branches, mais ils étaient trop immergés dans les yeux de l'autre pour le réaliser. Ils s'assirent sur le banc.

"Théo sait tout." déclara Drago soudainement.

Hermione fit basculer sa tête vers lui :

"Quoi ?!" s'écria-t-elle. "Comment ?"

"Il l'a deviné." dit-il, sans aucune expression dans la voix.

"Je ne lui ai rien dit." se défendit Hermione aussitôt.

"Je sais." dit-il. "Il l'a deviné tout seul."

"Comment ?"

Elle essaya de se remémorer les derniers instants qu'ils avaient passé ensemble. Avait-elle laissé échapper son prénom sans le réaliser ? Un indice qui aurait pu lui faire comprendre qu'ils se voyaient en secret ?

Drago eut un sourire presque timide.

"Est-ce que tu connais l'Amortentia, Granger ?" demanda-t-il.

Hermione fouilla dans sa mémoire, mais rien ne lui vint.

"Non." admit-elle, quelque peu irritée par cette réalisation.

"Merlin, j'adore quand je sais quelque chose que tu ne sais pas." jubila Drago. "Je suis donc définitivement meilleur que toi en Potions. Quel bonheur."

Il ferma les yeux et fit semblant de prendre une grande inspiration. Hermione lui frappa le bras et il éclata de rire.

"Arrête ! Explique moi ce que c'est."

"Non." dit Drago, les yeux pétillants de malice. "Tu dois chercher toute seule, Granger."

Sa curiosité avait été piquée, elle se fit une note mentale de chercher tout ce qu'elle pouvait trouver sur la potion d'Amortentia. Si elle ne la connaissait pas encore, c'était qu'elle devait être rare et pas étudiée avant la sixième année, et Hermione aimait étendre son cercle de connaissances au-delà des programmes scolaires.

"Il a compris, donc." résuma Hermione. "J'imagine que ça a du être une conversation difficile."

Drago fronça les sourcils :

"En fait, non. Pas du tout. J'avais peur qu'il m'en veuille, mais… il m'a fait un câlin en me disant qu'il était heureux pour moi."

Hermione sourit légèrement. Elle avait été persuadée qu'il réagirait de la sorte.

"Je suis content qu'il le sache." dit Drago, comme s'il le réalisait qu'en le disant. "Je crois que ça me pesait beaucoup qu'il ne soit pas au courant."

"C'est l'un de tes meilleurs amis, c'est normal que tu sois soulagé."

Elle passa son pouce le long du dos de la main de Drago. Quand elle releva la tête, il la regardait d'un air triste.

"Ça te pèse que tes amis ne le sachent pas ?" demanda-t-il.

Hermione baissa les yeux. Elle pouvait sentir la boule de culpabilité remonter le long de sa gorge, comme à chaque fois qu'elle pensait à Harry et Ron.

"Oui." répondit-elle avec tristesse. "Oui, beaucoup."

"Tu réalises que mes amis, des enfants de suprémacistes de statut de sang, sont au courant, mais pas les tiens, qui sont supposés être les héros, les défenseurs de tes droits, les futurs vainqueurs de la guerre ?" demanda Drago.

Hermione hocha la tête en notant l'ironie.

"Je ne peux pas leur dire." dit-elle. "Ils m'en voudraient trop et je ne peux pas risquer de les perdre dans un moment aussi crucial."

Drago ne répondit rien, préférant s'attarder sur la main d'Hermione. Il suivit les lignes de sa paume avec son doigt distraitement.

"Mais je suis un peu jalouse, parfois." continua Hermione dans un murmure à peine audible à travers le vent.

Drago la regarda sans comprendre.

"Je les envie de pouvoir afficher leurs relations au grand jour. Les leurs ne posent pas de problème, elles sont saines. Ginny a parfaitement le droit de tenir la main à son copain quand ils se promènent dans le parc de Poudlard. Harry est totalement légitime d'inviter Cho à…"

"Quoi ? Potter et Chang ?" interrompit Drago avec surprise.

"Oui, il l'emmène en date à Pré-Au-Lard à la St Valentin pour officialiser leur couple." révéla Hermione. "Et il n'a pas peur des représailles lorsqu'il fait une chose pareille, il n'y a aucune raison pour que les gens crachent sur son passage ou s'indignent de les voir ensemble."

Hermione soupira et observa le croissant de lune qui luisait contre la noirceur du ciel.

"Et tu es triste de ne pas pouvoir faire ça ?" demanda Drago d'une voix étrangement lointaine.

"Oui, en quelque sorte." dit-elle. "Je suis jalouse qu'il puisse le faire. Nous, on est obligés de se cacher, et je ne peux pas montrer la personne qui me rend le plus heureuse au grand jour. C'est dommage, non ?"

Drago leva sa main à sa bouche pour embrasser ses phalanges et Hermione sourit faiblement.

"Très dommage, oui." confirma Drago.

Ils restèrent silencieux de longues minutes, les mains toujours entrelâcées. Hermione pensait à Harry et Cho. Ils ne mesuraient pas la chance qu'ils avaient de pouvoir s'exposer comme ils le faisaient. Même Ginny, qui trouvait pourtant Michael de plus en plus ennuyant, pouvait marcher à côté de lui dans les couloirs sans craindre la moindre représaille. Hermione les enviait secrètement pour ça.

"Enfin bref, arrêtons de nous focalisés sur les mauvaises choses et profitons des bonnes." reprit Hermione avec une touche de sagesse. "Je viens de te donner une confession, à toi de m'en dire une."

Drago réfléchit en regardant la façade, une habitude qu'il avait prise lors de ses moments solitaires du banc. Il ne restait que très peu de fenêtres allumées le long du Château, dont le bureau de Dumbledore, sur la plus haute tour.

"Tu veux savoir pourquoi je suis tellement jaloux de Krum ?" demanda-t-il à voix basse.

Hermione hocha la tête, avide d'entendre ce qu'il allait lui confier.

"Ce n'est pas parce que c'est un joueur de Quidditch connu, ce n'est pas parce qu'il a pu t'emmener dans des endroits pour être que tous les deux, ce n'est même pas parce qu'il t'a embrassé." lista Drago. Pourtant, sa main tressaillit lorsqu'il prononça ses derniers mots, et Hermione pressa instinctivement ses doigts autour des siens. "C'est parce que tu étais sa putain de cavalière du Bal."

Hermione haussa les sourcils, tellement surprise qu'elle oublia de lui reprocher son language grossier.

"Il s'est affiché avec toi devant tout le monde, et je ne pouvais rien faire d'autre que de regarder." poursuivit-il, sa voix vibrante de rancoeur. "Il a eu le droit de t'apprendre à danser et de valser avec toi et je ne pourrais jamais le faire, parce que je suis né dans la mauvaise famille. Je n'aurai jamais le droit de te montrer comme ça."

Hermione posa sa tête contre son épaule sans rien dire. Il n'avait pas besoin de mots de réconfort, elle connaissait cette sensation que trop bien et elle savait qu'ils étaient coincés. Pas d'échappatoire. Destinés à rester secrets, cachés des yeux des autres qui ne comprendraient pas.

"Ce n'est pas Viktor qui m'a appris à danser." corrigea-t-elle cependant. "C'est Fred et George."

"Vraiment ?" dit Drago, visiblement soulagé. "Putain, tant mieux. L'idée qu'il ait pu t'apprendre les pas de valse m'a hantée pendant des mois."

"Pourquoi ?" demanda Hermione.

Elle ne pouvait pas voir son visage mais elle était sûre qu'il venait d'arquer un sourcil.

"Krum et toi, dans une pièce étriquée, ses mains sur ta taille pour te guider ?" siffla-t-il. "Rien que de l'imaginer me rend malade."

"Il n'y a rien eu de tout ça." promit-elle. "Je ne lui aurais jamais demandé de m'apprendre. C'est Fred et George qui s'en sont chargés, sous les ordres de Ginny. C'était l'une des meilleures soirées de ma vie, d'ailleurs. On a dansé sur du rock sorcier comme des fous jusqu'au matin."

"Du rock sorcier ?" répéta Drago, ébahi. "Je ne t'imagine pas du tout danser sur du rock, sorcier ou moldu, d'ailleurs."

Hermione lui lança un sourire espiègle :

"Une nouvelle chose à découvrir de moi, alors."

"J'ai hâte de voir ça." dit-il. Son sourire s'évanouit et il se remit à contempler la façade avec un air maussade. "Je suis quand même jaloux que Krum ait pu t'offrir ta première valse. Dans la communauté sorcière, la première danse est un moment symbolique. La personne avec qui tu danses officiellement pour la première fois est censée te marquer à vie. Selon les vieilles traditions, tu es lié à lui d'une manière que personne ne pourra changer."

"Qui était ta première ?" demanda Hermione.

"Pansy." répondit Drago en un clin d'oeil. "Ma seule partenaire de danse à ce jour."

Hermione se mordit la lèvre et, prise d'une impulsion, se mit soudain sur ses pieds. Drago la regarda d'un drôle d'air.

"Qu'est-ce que tu fais ?" demanda-t-il, toujours assis sur le banc.

"Lève-toi. On va danser." décida-t-elle avec un grand sourire.

"Je te demande pardon ?"

"Montre-moi comment on danse." dit Hermione en tendant la main vers lui.

"Quoi, ici ?" demanda Drago d'une voix paniquée. "Mais, et si quelqu'un nous voyait ?"

Hermione ne put s'en empêcher : elle éclata de rire.

"Qu'on soit en train de danser ou de parler sur ce banc, si on nous voit, ça sera la même chose !"

"Il n'y a même pas de musique !" argumenta Drago.

Hermione sortit sa baguette et la fit tourner sur elle-même entre ses doigts :

"Justement, Ginny m'a appris ce sort… Je ne pensais pas qu'il me servirait un jour, et j'ai peut-être perdu le coup de main, mais je peux toujours essayer. Musica Lorem !"

Une musique grésillante sortit alors du bout de sa baguette et se diffusa dans l'air comme une radio pas très bien réglée. Le son qui en sortait était beaucoup plus lent qu'une valse, mais ils devaient s'en contenter, parce qu'elle n'avait pas retenu comment changer le rythme. Hermione posa sa baguette sur le banc et tendit sa main une nouvelle fois vers Drago. Ce dernier sembla réfléchir à une manière de s'échapper, mais n'en trouva aucune, et fut contraint de lui prendre la main pour se laisser guider.

Il se mit face à elle. Hermione n'avait pas réalisé à quel point il la dépassait, elle devait lever la tête pour le regarder. Il lui fit une brève révérence et Hermione gloussa bêtement.

"On a l'air ridicules." fit-il remarquer en regardant les alentours.

"On s'en fiche." répondit Hermione. "C'est que nous deux, ici. Apprends-moi à danser, Drago."

En entendant sa demande, son air grognon s'évapora et ses lèvres s'arquèrent dans un sourire impulsif.

"D'accord, alors… Est-ce que tu m'accorderais cette danse ?" demanda-t-il.

Hermione fut surprise par cette demande officielle. Il lui demandait l'autorisation alors que c'était elle qui lui avait proposé. Sûrement des traces de son éducation traditionnelle.

"Avec plaisir." dit-elle, bien moins sophistiquée.

Il s'approcha et posa sa main contre sa hanche gauche. Même si c'était un geste tout à fait anodin, elle avait l'impression que l'empreinte de ses doigts brûlait contre sa peau malgré les couches de vêtements. Il lui prit la main et il leva son bras droit, prêt à mener la danse.

Hermione posa sa paume contre son épaule mais Drago secoua la tête :

"Non, non, pas comme ça. Les Weasley t'ont appris la valse traditionnelle, mais moi, j'ai appris à danser la valse Hexenwalzer, la valse des sorcières."

Il lâcha sa main pour l'aider à se positionner :

"Tes doigts doivent à peine frôler mon épaule, comme si tu avais peur de me toucher." Il dirigea son poignet pour qu'elle ne touche son épaule que du bout des doigts. "Le haut de nos corps sont éloignés l'un de l'autre, ton cou doit rester droit, et tu ne dois jamais perdre le contact visuel de ton partenaire. Si tu regardes tes pieds, tu es considérée comme une débutante, et ta réputation en prend en coup. La valse est un symbole de noblesse, les seuls contacts entre les deux partenaires ne reposent que dans les mains et dans les yeux."

Hermione obéit et plongea son regard dans le sien. Comme à chaque fois, elle fut happée par leur couleur et oublia soudainement tout ce qui l'entourait, comme si elle n'était plus retenue par la gravité, mais par ses yeux.

"Je mène de l'extérieur, mais en réalité, c'est toi qui dirige la valse." dit Drago, à la manière d'un professeur de danse. "Tu dois être rigide et malléable à la fois, tu dois te faire laisser faire tout en anticipant mes pas. Si je tourne, tu dois tourner aussi."

Hermione fronça les sourcils :

"Un peu sexiste, ça. Comment je suis censée connaître tous tes mouvements sans même que tu me les dise ?"

Drago ébaucha son fameux sourire en coin :

"C'est justement toute la beauté de la danse, Granger. On dit que le choix du partenaire influence toute la danse. Il faut avoir une connexion, une entente, sinon, ça ne marche pas. Et on ne peut pas le savoir avant de le faire."

Hermione se mordit la lèvre d'appréhension à l'idée de lui marcher sur le pied au premier pas et de devoir affronter sa déception d'être tombé amoureux d'une empotée.

"Tu n'as qu'à me suivre au début." dit-il en notant son inquiétude. "Et tu t'y feras après quelques tours."

Elle acquiesça, bien qu'elle en doutait fortement. Elle n'avait pas pensé que la danse puisse être un sujet aussi complexe, elle ne s'y était jamais intéressée auparavant. Ses parents dansaient pendant les fêtes mais ça ne ressemblait pas à grand chose, seulement des tournoiements mal contrôlés. La seule personne avec qui Hermione avait dansé avant Poudlard était son père, quand elle était petite et qu'il s'amusait à la mettre sur ses pieds et danser autour de la cuisine. Peut-être que c'était une tradition plus ancrée pour les sorciers.

"Prête ?" demanda Drago, interrompant ses souvenirs. "On part vers la gauche. Un, deux, trois."

En même temps que son comptage, il posa son pied vers la gauche et les fit tourner dans un même mouvement. Le pied d'Hermione suivit tout seul sans qu'elle ne contrôle rien. Puis, il avança son pied droit et Hermione recula le sien en même temps, et ils tournèrent une seconde fois en parfaite synchronisation.

"Je- tu m'as ensorcelée ?!" questionna-t-elle. Ce n'était pas possible qu'elle puisse être autant en contrôle d'une danse qu'elle n'avait jamais pratiquée.

Drago éclata de rire et son souffle mentholé lui caressa la bouche.

"Avec ma magie, non." dit-il, toujours en valsant comme si ça ne lui coûtait pas le moindre effort. "Avec mon charme, je l'espère."

Il termina sa phrase en la faisant tournoyer sur elle-même et elle suivit le mouvement comme si c'était un automatisme inscrit quelque part dans sa tête. Il la réceptionna sans le moindre accroc et recommença la boucle.

"Dans les yeux, Granger." rappela-t-il lorsqu'elle fixait leurs pieds, médusée.

Elle releva la tête et son regard était tellement déstabilisant qu'elle s'attendait à trébucher, mais non, la valse continua sans même qu'elle ait besoin de baisser les yeux.

Hermione était pratiquement sûre que la magie était impliquée dedans, parce que c'était impossible de deviner les gestes de l'autre avec autant de précision. Elle ne rata aucun pas alors qu'elle ne les avaient jamais étudié de sa vie, et elle ne ressentait pas une once d'angoisse. Les mains de Drago étaient fermes, assez pour qu'elle se laisse aller.

À la fin de la cinquième boucle, au lieu de la faire tournoyer, il la fit basculer et elle se retrouva à l'horizontal dans ses bras. Elle lâcha un petit cri de surprise mais il l'embrassa avant qu'elle ne puisse lui reprocher son manque d'avertissement. Elle était persuadée qu'elle n'était pas censée garder la tête en arrière aussi longtemps, mais elle ne s'en plaint pas et répondit à son baiser, soudain consciente qu'elle n'était retenue que par lui et non plus par son propre équilibre. Il la remit sur ses pieds et lui lança un grand sourire.

"Je croyais que la danse était "un symbole de noblesse, et que les seuls contacts entre les deux partenaires ne reposent que dans les mains et les yeux" ?" cita Hermione d'un ton railleur.

"C'est le cas." dit-il, amusé. "Je crois que ma mère vient de s'évanouir quelque part dans mon Manoir."

Hermione eut un petit rire et ils continuèrent de danser, connectés par le regard. Drago la détaillait de long en large, elle pouvait le voir s'attarder sur des parties de son visage que personne d'autre ne regardait : son grain de beauté en dessous de son oeil droit, la courbure de ses lèvres, les boucles de son chignon qui tombaient devant ses yeux lorsqu'il la faisait tournoyer.

Quand la musique cessa de sortir de sa baguette, aucun des deux n'était essoufflé. Hermione se souvenait pourtant de la fatigue écrasante qu'elle avait ressenti les deux fois où elle avait dansé longuement : avec Fred et George, et avec Viktor le soir du Bal. Cette fois-ci, cependant, elle ne ressentait aucune douleur dans ses jambes. C'était tellement naturel qu'elle n'avait pas l'impression d'avoir produit le moindre effort.

"Voilà, maintenant tu sais danser la Hexenwalzer." conclut Drago lorsqu'il s'arrêta complètement. Il laissa sa main gauche contre sa hanche.

"Merci de me l'avoir apprise." dit-elle sincèrement.

"Et merci à toi de m'avoir invité." répondit Drago. "Si Pansy apprenait que c'était toi qui m'avait proposé de danser, elle serait offensée."

"On est des champions pour briser les traditions, non ?" lança Hermione d'un ton espiègle. "Maintenant, il n'y a plus rien que j'ai fait avec Viktor que je n'ai pas fait avec toi."

Le regard de Drago était toujours aussi brillant quand il lui répondit :

"Non, pas tout à fait. Reste là."

Et il s'éloigna, emportant avec lui sa chaleur et son odeur enivrante de cologne à la pomme. Hermione ne voyait pas grand chose à cause de l'obscurité, elle le perdit de vue en quelques secondes. Elle reprit sa baguette toujours posée sur le banc :

"Lumos. Drago ?"

Pas de réponse. Elle regarda autour d'elle mais ne reconnut pas sa silhouette. Elle se fit la réflexion que sans lui, le parc de Poudlard était bien plus effrayant la nuit. Chaque branche d'arbre qui se dessinait contre le ciel noir projetait une ombre mouvante sur la neige, et le sifflement du vent entre les troncs ressemblait à un faible cri. Ça lui faisait penser au soir où elle avait vu Lupin se transformer et elle enlaça ses bras autour d'elle-même pour essayer de se réchauffer.

"Drago ?" appela-t-elle une seconde fois, d'une voix un peu plus stridente.

"Je suis là." murmura-t-il derrière elle.

Elle fit volte-face. Drago tenait dans sa main un bracelet en tissu vert sur lequel il avait tressé des petites fleurs roses.

"Où as-tu trouvé ça ?" demanda Hermione en admirant son cadeau.

"Les fleurs, le long de la façade du Château, et j'ai Conjuré le bracelet." dit-il fièrement. "Me feriez-vous l'honneur de me présenter votre poignet ?"

Elle le fit instantanément et le regarda enrouler le bracelet improvisé autour de son poignet.

"Il est magnifique." souffla-t-elle. "Merci, Drago."

Pour toute réponse, il porta sa main à ses lèvres et effleura ses phalanges, ce qui lui envoya un frisson le long de ses bras.

"Tu es la meilleure partenaire de danse que j'ai eu." confessa-t-il avec un petit sourire.

Hermione fut touchée par ces mots, parce qu'elle savait l'importance qu'il plaçait dans ses souvenirs d'enfance avec Pansy.

"Toi aussi." dit-elle sincèrement. "Et de loin."

"Vraiment ?" demanda-t-il avoir espoir.

"Oui." Puis, se sentant courageuse ce soir, elle ajouta : "Je t'aime."

La quantité d'émotions qui passa sur son visage en entendant ces mots fut la chose la plus plaisante à observer pour Hermione. Ses yeux s'illuminèrent, littéralement, passant d'un bleu encre au bleu des cristaux. Il n'avait pas besoin de répondre, parce qu'elle pouvait voir qu'il l'aimait dans chacune de ses mimiques, dans chacun de ses gestes, de ses paroles, mais il lui répondit tout de même, tout bas :

"Je t'aime aussi, Hermione."

.

.

Le début de semaine se passa en un éclair. Les devoirs s'accumulaient à une telle vitesse qu'Hermione était obligée de passer ses pauses repas à la Bibliothèque pour terminer ses révisions. Harry et Ron étaient submergés, ils passaient leurs soirées dans la Salle Commune à rattraper leur retard, les paupières tombantes de fatigue.

Le jeudi, alors que Drago était en pleine séance d'Occlumancie avec Rogue, Hermione était en train de réviser son cours de Métamorphose en plein milieu de la Bibliothèque. Elle se doutait que Théo la rejoindrait, parce qu'il avait pris l'habitude de le faire depuis plusieurs semaines, mais pour la première fois, elle angoissait un peu à l'idée de le revoir. Elle ne lui avait toujours pas parlé depuis qu'il avait découvert la vérité sur Drago et elle, et elle n'avait aucune idée de comment aborder le sujet sans instaurer un malaise entre les deux. Peut-être qu'il éviterait d'en parler et prétendrait ne rien savoir.

Elle fut donc pour le moins étonnée quand Théo débarqua dans la Bibliothèque et lui lança en s'asseyant :

"Alors, quand est-ce que tu allais m'annoncer que tu sortais en secret avec Drago Malefoy ?"

Pour toute réponse, Hermione lui frappa le bras violemment avec son planning de révisions, rouge pivoine. Théo éclata de rire :

"Quoi, c'est pas vrai ?"

"Tu n'es pas obligé de l'annoncer à toute la Bibliothèque !" répliqua-t-elle dans un chuchotement.

Il regarda autour de lui avec un rire :

"Il n'y a pas une seule personne autour de nous dans un rayon de trois kilomètres, Hermione. Je pense qu'on ne craint rien."

Elle osa lui jeter un regard en biais et fut surprise de le voir rire. Son nez était rouge comme s'il revenait de dehors et de la neige parsemait ses cheveux bouclés. Ils tombaient devant ses yeux, tellement qu'elle se demandait souvent comment il pouvait lire ses notes. Il n'y avait pas une trace de rancoeur, de dégoût, de mépris, ou d'une quelconque émotion négative sur ses traits. Hermione compara, malgré elle, les réactions d'Harry et Ron s'ils apprenaient une telle nouvelle. Elle imagina leurs visages se tordre dans des expressions d'horreur et de colère et raya cette image rapidement de sa tête avant de s'y attarder plus longtemps.

"Qu'est-ce que… qu'est-ce que tu en penses ?" demanda-t-elle craintivement.

Elle évita de le regarder et prétexta lire sa leçon avec une désinvolture qu'elle n'avait pas du tout. La voix de Théo était douce quand il répondit :

"Je pense que c'est une très bonne chose, pour vous deux."

Hermione sentit, quelque part au niveau de son coeur, un poids considérable s'évaporer, comme si elle pouvait soudain mieux respirer. C'était la première fois que quelqu'un exprimait quelque chose de positif en apprenant cette relation. Les deux personnes à qui elle l'avait confié, Ginny et Fred, l'avaient tout de suite avertie des dangers qu'il représentait.

"Je connais Drago par coeur." continua Théo. "Maintenant que je sais ce qui se trame entre vous deux, je vois à quel point tu l'a changé. Il n'est presque plus rien du garçon insupportable de première année."

Hermione hocha la tête avec un petit sourire.

"Et je te connais moins, forcément…" poursuivit Théo. "Mais je sais qu'il est bénéfique pour toi, aussi. Vous vous complétez bien. Je ne sais pas comment je n'ai pas pu le voir avant, ça crève les yeux maintenant."

"Vraiment ?" demanda Hermione.

"Oui, c'est évident." dit Théo, sûr de lui. "Drago… Il ne le montre pas, mais il est très anxieux, à cause de sa famille et des conneries qu'ils revendiquent." Il prit une expression sombre, comme si des souvenirs pénibles venaient de ressurgir. "Il a toujours eu la pensée qu'il était prédestiné à devoir changer radicalement de vie d'un jour à l'autre, que son existence allait se terminer prématurément sans qu'il puisse dire son mot dessus. Il a tellement grandi avec cette idée qu'il y croyait dur comme fer quand il est arrivé à Poudlard. Puis, on est devenus amis, et il a aimé l'école, les cours, les professeurs, et il s'est rendu compte qu'il allait avoir beaucoup plus de mal à lâcher Poudlard qu'il ne l'aurait cru."

Hermione ne s'était pas rendue compte que ses mains agrippaient trop fort le rebord de la table en entendant cette description dramatique du garçon qu'elle aimait.

"Mais depuis quelques temps, j'ai remarqué qu'il se projetait dans le futur." dit Théo d'un air pensif. "Plus qu'avant. L'autre jour, il m'a dit "quand je serai alchimiste…", comme ça, sans y penser. Avec Blaise, on a rien dit, mais on était choqués. C'est la première fois que Drago n'inclue pas les croyances de son père dans sa destinée, comme si… comme s'il entrevoyait une autre voie."

Théo hocha doucement la tête dans la direction d'Hermione.

"Je comprends mieux, maintenant. C'est toi." chuchota-t-il. "Tu lui as fait voir un autre champ de possibilités qu'il n'avait pas imaginé jusqu'alors. Et toi… tu as toujours été brillante, c'est évident depuis le premier jour où tu as posé un pied dans ce Château. Mais depuis que votre histoire a commencé, tu t'es révélée. Je ne te le dis pas assez, mais tu es phénoménale, Hermione. Tu es la personne la plus douée en magie que j'ai rencontré de ma vie, et j'ai passé mon enfance entouré les soit-disant sorciers les plus extraordinaires de la planète."

Hermione sentit ses joues brûler en entendant le compliment.

"Et je pense que Drago est la personne qu'il te faut pour te surélever. Ce n'est pas visé contre Weasley ou Potter, je sais que votre amitié est chère à tes yeux, et je la respecte, mais j'ai tendance à penser qu'ils ne te mettent pas à ta juste valeur. Tu mérites d'être hissée au plus haut, et je pense que Drago le fait bien. Tu prends confiance en toi de jour en jour. Regarde, tu as même produit un Patronus !"

Hermione ne sut quoi répondre, parce qu'il avait raison sur toute la ligne. Il avait réussi à analyser leur dynamique parfaitement. C'était troublant d'être perçue avec autant de précisions par un garçon qu'elle connaissait depuis si peu de temps.

Ils échangèrent un petit sourire et Hermione, qui se doutait pourtant qu'il réagirait de cette manière, fut surprise de constater le soulagement qu'elle ressentit en entendant sa bénédiction. Elle comprenait mieux pourquoi Drago se sentait mieux après lui avoir dit.

"J'en ai parlé à Pansy." déclara Théo soudainement, et Hermione dût se retenir de ne pas glapir de surprise. "Elle m'a dit que, bien que l'idée qu'il puisse être amoureux de toi a été très difficile à accepter pour elle au début, elle voit maintenant à quel point tu lui correspond bien."

"Pansy Parkinson a dit ça ?!" s'égosilla Hermione.

"Oui, mais elle ne te le dira jamais, parce que c'est la fille la plus rancunière que le monde ait porté." commenta Théo, tendrement malgré la reproche dans ses mots. "Je crois qu'elle commence à se faire à l'idée."

Hermione prit une grande inspiration pour encaisser tout ça.

"Et bien… Merci. De nous accepter. Pas tout le monde en serait capable." dit-elle, pensant à un certain rouquin.

"Je ne crois pas aux préjugés." trancha Théo. "Si Drago est heureux, alors je suis heureux. Et je suis d'autant plus heureux qu'il le soit avec toi, parce que je t'apprécie beaucoup."

Hermione lui sourit et fut sur le point de rebaisser la tête vers son cours quand Théo souffla :

"Il y a juste… Quelque chose, qui me turlupine un peu…"

"Quoi donc ?" demanda-t-elle.

"Je n'arrête pas de penser à ton regard en troisième année." dit Théo.

Hermione fronça les sourcils :

"Mon regard ?"

Les yeux en amande de Théo étaient rivés sur elle, comme pour scruter sa réaction :

"Quand Hagrid a perdu son procès contre l'hippogriffe qui a attaqué Drago, il y a deux ans." expliqua-t-il. "Tu avais appris qu'il avait été condamné à mort et tu as foncé sur nous, tu lui as hurlé dessus quand il a insulté Hagrid d'alcoolique, et ton regard… Merlin, je m'en souviens encore, il est ancré dans ma mémoire. J'avais rarement vu autant de colère dans les yeux de quelqu'un, tu le regardais comme si tu avais envie de le tuer de tes propres mains. Ça me paraît inimaginable qu'une personne qui ressente autant de haine à l'égard de quelqu'un puisse tomber amoureuse de lui ensuite."

Hermione se souvenait parfaitement de ce moment. Elle les avait croisés au détour d'un couloir après avoir reçu la lettre fatidique d'Hagrid qui lui annonçait qu'il avait perdu son procès, et que Buck avait été condamné à mort. La haine qu'elle avait ressenti à cet instant pour Drago, Malefoy, avait été destructrice. Où avait-elle trouvé la force de ne pas prendre sa baguette pour lui faire du mal, elle n'en avait aucune idée.

"J'étais furieuse." concéda-t-elle. "Mais… je crois que je ne l'ai jamais vraiment haï."

"Pourquoi ?" demanda Théo, très intéressé.

"J'en étais incapable." avoua Hermione. "Parce qu'au fond de moi, j'ai toujours su que ce n'était pas vraiment lui. Il était endoctriné, il ne croyait pas vraiment les horreurs qu'il répétait à longueur de journées. Bien sûr, il y a beaucoup de moments où il m'a fait du mal, là où je ne savais même pas qu'on pouvait être blessé, mais je ne lui en ai jamais voulu comme j'aurais dû. J'imagine que je voyais déjà le bon en lui quand il ne le montrait pas. Là où pour Crabbe et Goyle, je n'ai jamais pu voir par-dessus."

Théo grimaça à la mention de leurs deux noms :

"Crabbe et Goyle sont irrécupérables." cracha-t-il avec une véhémence rare chez lui. "Je ne sais pas comment Drago peut encore passer du temps avec eux."

C'était étrange d'entendre du dégoût dans sa voix si douce. L'accent de Drago rendait ses phrases lourdes, chaque lettre prononcée clairement, mais celui de Théo adoucissait tout. C'était sûrement pour ça que ça choquait plus Hermione quand il prononçait des mots vulgaires.

"En tout cas, je pense qu'on ne s'est jamais détestés." conclut-elle. "On a eu du mal à se trouver mais maintenant que c'est fait, j'ai l'impression que rien peut nous séparer."

Elle ne le dit pas, mais toute la tension de la guerre, qui se déroulait en ce moment-même derrière les murs de ce Château, semblait flotter au-dessus d'eux à cet instant. Théo lui fit un pâle sourire d'encouragement :

"Je vous le souhaite, en tout cas." dit-il. "Et je suis content pour toi. Sincèrement."

"Merci, Théo, ça me touche beaucoup." dit Hermione.

Ils se regardèrent quelques secondes, puis Théo se pencha pour ouvrir son sac.

"Bon, sinon… Pendant que vous étiez en train de vous rouler des pelles…"

Hermione reprit son planning de révisions pour lui fouetter l'avant-bras mais il riait tellement qu'il le remarqua à peine.

"... j'ai découvert quelque chose pour le sort du rythme cardiaque." finit-il avec un petit sourire espiègle.

"Quoi donc ?!" demanda Hermione.

"J'ai repensé à ce que McGonagall a dit lundi, quand tu lui as demandé si c'était possible d'ajouter des formules de Métamorphose à un sort déjà découpé." dit Théo, soudain très sérieux. "Elle a dit qu'en découpant le substrat du sort, on parviendrait à…"

"... Attends une seconde, comment tu as pu entendre ça ?" coupa Hermione. "Tu n'étais même pas dans la pièce quand je lui ai demandé !"

Si Théo avait des lunettes, il l'aurait sans doute jaugée par-dessus avec un air blasé.

"Parce que je suis un Serpentard." répondit-il, comme si ça expliquait tout. "Je suis rusé. Bref, j'ai fait quelques recherches."

Pour appuyer son propos, il déposa sur la table une pile de quatre énormes livres rouges. Le premier s'intitulait "Les Métamorphoses d'Objets Animés et Inaminés, en utilisant les deux physiques strictes qui lui sont liées, le corps et le psychisme, au profit de l'essence-même de la magie mathématique." Le titre recouvrait toute la couverture et même Hermione, qui avait pourtant une bâti une solide réputation de la première de classe de Poudlard, n'en comprenait pas la moitié.

Théo l'ouvrit à la page 811 et fit glisser son doigt sur les différents paragraphes. L'écriture était tellement minuscule qu'il devait plisser les yeux pour pouvoir lire quelque chose.

"Ah, voilà !" s'exclama-t-il. "Tiens, lis ça."

Il lui montra le livre et Hermione se pencha sur le texte en question :

Découpage de substrat pour un sort en contact avec un composant humain ou animal.

Les découpages d'un sortilège en contact avec un corps, humain ou animal, doivent se faire à partir du tronc arithmantique dont il est composé. Pour cela, il faut retranscrire son équation et en modifier les constituants.

"Du tronc arithmétique ?" lut Hermione à voix haute. "Qu'est-ce que ça veut dire ?"

"Aucune idée." répondit Théo, qui n'avait pas perdu son sourire pour autant. "Mais je sais à qui on peut demander."

.

.

Le lendemain, Hermione mit un temps considérable à ranger ses notes d'Arithmancie. Théo traînait autour du bureau de la Professeure Vector en attendant que les élèves sortent de la classe.

"Professeure Vector ?"

"Oui, Nott ?" répondit-elle sans le regarder, trop occupée à ranger son bureau.

Théo afficha l'habituelle crispation en entendant son propre nom de famille et s'approcha précautionneusement du bureau de Vector :

"Je voulais vous poser une question… sur l'Arithmancie." annonça-t-il maladroitement.

"Allez-y, demandez, demandez…" répondit la Professeure.

"Alors, voilà… je voulais savoir comment il était possible de retrouver le tronc arithmétique d'un sortilège de diagnostic de rythme cardiaque."

Vector leva la tête brusquement et contempla Théo, bouche-bée.

"Je… je vous demande pardon ?"

Hermione aperçut quelques rougeurs émerger sur les pommettes de Théo. Ses mains se crispèrent contre sa plume.

"Euh… Je voulais savoir si…"

"Je vous ai entendu correctement." interrompit Vector. "Mais… comment Merlin pouvez-vous connaître une telle pratique ?"

"Hum, je l'ai… je l'ai lu."

Hermione était sur le point d'intervenir, persuadée que Théo allait se faire incendier d'une minute à l'autre, mais un grand sourire éclata soudain sur le visage austère de Vector.

"Oh, Merlin ! Quelle question pertinente ! 30 points pour Serpentard !"

Hermione écarquilla grand les yeux et Théo balbuita un timide "merci".

"Les troncs arithmétiques ne sont pas vus avant la septième année, Nott…" continua la Professeure d'un ton précipité. "Une sottise, à mon humble opinion, parce que je trouve ça parfaitement accessible pour de brillants esprits comme le vôtre, malgré votre jeune âge." ajouta-t-elle fièrement. Théo rougit de plus belle. "Toujours est-il qu'un tronc arithmétique est la formule mathématique d'un sortilège, c'est-à-dire la succession de fragments magiques implantés dans l'essence-même du sort."

Elle sortit un parchemin de nul part, une grande plume grise et se mit à écrire frénétiquément :

"Mettons, par exemple, votre sortilège de rythme cardiaque… Pulsatio Reprehendo, je présume ? Il suffit d'aligner chaque élément magique impliqué dans la réalisation de ce sort. Le premier étant le diagnostic, Laguz, le second étant la captation de la fréquence cardiaque, Wunjo…"

Hermione aperçut quelques runes écrites ici et là sur son parchemin gribouillé. Quelques minutes plus tard, quand elle ne put faire semblant de ranger une nouvelle fois son manuel dans son sac, elle sortit de la classe. Théo la rejoignit juste après.

"J'ai réussi !" s'écria-t-il. "J'ai réussi, elle ne m'a même pas demandé pourquoi j'avais besoin d'un sort pareil !"

"Bravo !" répondit Hermione. "Tu as compris ce qu'elle a dit ?"

"Oui, tout ! C'est bien la première fois que je comprends une leçon d'Arithmancie du premier coup, d'ailleurs." dit Théo avec un léger froncement de sourcils. "En tout cas, elle était ravie que je lui pose la question. Elle me considère comme l'élève le plus intelligent de Poudlard, maintenant."

Hermione essaya tant bien que mal de réfréner la jalousie qui s'insinuait en elle en entendant ça.

"Elle m'a demandé de garder cette réponse pour moi, par contre." continua-t-il. "Et de ne pas surtout pas la partager à Ombrage, parce qu'elle pourrait avoir des problèmes."

Il eut un petit rire à cette idée.

"Bien sûr." dit Hermione ironiquement. "Il ne faudrait pas qu'elle apprenne qu'une professeure enseigne quelque chose à un de ses élèves."

"En tout cas, j'ai la formule." dit Théo en agitant le parchemin sous son nez. "Ça te dit de se faire une session demain soir ?"

Hermione hocha la tête tout de suite. Elle adorait percer un mystère, surtout lorsque ce dernier était basé sur des connaissances, de la logique, et de magie. Théo avait l'air de ressentir la même chose qu'elle, Hermione pouvait voir la hâte danser dans ses pupilles.

"À demain, alors !" lança-t-il gaiement, avant de disparaître dans l'un des couloirs adjaçents.

.

Le soir, à la Bibliothèque, Hermione apprit ses runes et Drago révisa ses leçons de Sortilèges. Il disait que ce n'était pas une matière qui méritait de révisions, parce qu'elle était "tellement simple qu'un bébé Botruc pouvait avoir toutes ses BUSES", mais Hermione pouvait voir qu'il avait du mal. Elle l'entendait parfois marmonner des formules sans le vouloir, ce qui la faisait sourire.

Elle rentra assez tôt à la Salle Commune. Ron faisait une partie d'échecs sorciers avec Dean, un jeu auquel Hermione avait juré de ne plus jamais participer, et Harry lisait un magazine de Quidditch que Ginny lui avait prêté la veille, près du feu. Elle s'approcha de lui et s'assit dans l'autre fauteuil.

"Longue session ?" demanda Harry lorsqu'il la vit se frotter les paupières.

"Non, ça va, je suis juste un peu fatiguée." dit-elle avec petit sourire. "Et toi ?"

"Tous les jours où nous n'avons pas Ombrage est une bonne journée pour moi." dit Harry.

Hermione acquiesça, mais elle pouvait voir qu'il mentait. Il avait des cernes plus marqués que d'habitude, ça lui faisait penser à son état avant les épreuves du Tournoi des Trois Sorciers. Lorsqu'il tourna une page de son magazine, Hermione aperçut les cicatrices blanchâtres sur sa main, Je ne dois pas dire de mensonges, et son estomac se contracta douloureusement.

Il leva les yeux vers elle.

"Qu'est-ce qu'il y a ?"

"Rien." mentit Hermione.

"Si." insista Harry. "Dis-moi."

"Si je te le dis, tu vas t'énerver." murmura-t-elle.

Le regard d'Harry s'adoucit et Hermione retrouva soudain le visage juvénile de son meilleur ami, celui qui n'était pas creusé par les traumatismes.

"Non, je ne m'énerverai pas, promis."

Hermione repensa à son regard vacant pendant le cours de Soin aux Créatures Magiques, un cours qu'il affectionnait pourtant particulièrement, et se lança maladroitement :

"Tu n'avais pas l'air en forme aujourd'hui. Quelque chose te tracasse ?"

Harry eut un petit rire sans joie et la regarda sans rien dire. Il n'avait pas besoin de parler pour qu'elle comprenne ce qu'il pensait. Tout le tracassait. Mais au lieu de lui faire remarquer, il montra du menton la table basse en face d'eux.

Hermione n'avait pas vu qu'un exemplaire de la Gazette des Sorciers était posé là. Le journal était plié en deux, et elle pouvait apercevoir la moitié d'une photo d'Harry qui datait de l'année dernière, vêtu de son t-shirt de la première épreuve brûlé par endroits. Les lettres du titre brillaient à la lueur du feu dans la cheminée :

"LA MARIONNETTE DE DUMBLEDORE."

Hermione fut tentée de prendre le journal, mais elle ne bougea pas.

"Tu ne le lis pas ?" demanda Harry.

Elle secoua la tête :

"Non."

"Tu ne veux pas savoir quelle nouvelle histoire invraisemblable Dumbledore m'aurait mis dans la tête ?"

"C'est un ramassis de conneries, et tu le sais." asséna Hermione.

Les sourcils d'Harry sautèrent derrière ses lunettes en l'entendant utiliser un tel language. Hermione ne parlait jamais vulgairement, c'était clairement une habitude qu'elle avait pris de Drago sans le réaliser. Elle s'éclaircit la gorge et désigna la Gazette d'un geste de la main :

"Ils inventent des bêtises sur toi pour te décrédibiliser et pour éloigner l'attention des sorciers sur le retour de Voldemort. Fudge est dans le déni, il préfère t'utiliser plutôt que de faire face à ses responsabilités. Tu le sais, non ?"

"Oui." dit Harry avec un soupir épuisé. "Mais c'est toujours difficile. De voir une photo de soi dans le journal, et de lire un article complètement faux. Personne ne me croit, Hermione."

"Moi, je te crois." contredit-elle aussitôt.

Harry lui sourit faiblement.

"Je crois que tu es la seule." dit-il.

"Ce n'est pas vrai. Les Weasley te croit. Neville te croit, Luna te croit, toute l'Armée de Dumbledore te croit, excepté cet abruti de Smith, et…" Hermione baissa la voix et vérifia que Ron était toujours focalisé sur sa partie d'échecs avant d'ajouter : "... Théodore Nott te croit, aussi."

Harry lui lança un regard interloqué :

"Le Serpentard ?" demanda-t-il, stupéfait. "Le pote de Malefoy ?"

Hermione grinça des dents en entendant une pareille description d'un garçon bien plus profond et intéressant que ça, et faillit lui faire remarquer que Drago était ironiquement l'une des seules personnes de ce Château à le croire également, mais elle se retint et répondit plutôt :

"Oui, lui-même. Il sait que son père était présent ce soir-là, mais il ne nie pas comme les autres."

Harry hocha la tête. Son regard se perdit sur la couverture du journal et il posa son magazine contre ses genoux.

"J'aimerais faire quelque chose." souffla-t-il après plusieurs secondes de flottement.

"Quoi ?" demanda Hermione.

Harry se leva et marcha jusqu'à la fenêtre, à côté de la cheminée. Il observa les flocons qui tombaient avec un air maussade.

"N'importe quoi, Hermione." dit-il. "J'ai l'impression de ne rien faire, et ça me rend fou. Je les laisse raconter un ramassis de conneries, comme tu dis, et je ne fais rien pour les empêcher."

"Dumbledore t'a dit…"

"Dumbledore ne me dit rien." trancha Harry, les yeux toujours rivés vers le dehors. "Il ne fait rien pour moi et je suis seul, Mione."

Hermione reçut sa dernière phrase comme un coup de poing dans le ventre. Elle voulut répondre, mais elle ne savait pas quoi dire, alors elle regarda Harry poser son front contre le carreau de la vitre. Il observa la vallée de Poudlard et Hermione l'observa depuis son fauteuil. De longues secondes s'écoulèrent. Harry faisait des petits ronds de buée contre la fenêtre avec sa respiration. Ses épaules étaient affaissées par le stress et la fatigue. Hermione cherchait quelque chose à lui dire, n'importe quoi pour le voir sourire, mais rien ne lui venait.

"Harry !"

Harry et Hermione se tournèrent en même temps vers Ron.

"J'ai gagné !" lança-t-il joyeusement en montrant l'échiquier. Dean grogna quelque chose entre ses dents et alla s'asseoir sur le canapé à côté d'Hermione. "On se fait une partie ?"

Harry accepta, et Hermione était sûre que c'était parce qu'il voulait se changer les idées, et Ron remit le jeu en place, et Hermione était persuadée qu'il lui avait proposé pour lui changer les idées. Parfois, il n'y avait pas grand chose à dire. Il fallait simplement proposer une partie d'échecs.

Hermione réfléchit silencieusement à un moyen d'aider Harry.

Dean jeta la Gazette dans le feu.

.

Elle eut une idée une heure après. Harry et Ron étaient déjà montés, et Ginny discutait avec Dean dans un coin de la Salle Commune. Neville s'était endormi sur l'une des tables d'étude. Fred et George montraient leur dernière invention à des premières années.

Hermione prit un parchemin et rédigea quelques lignes.

Elle savait, au fond d'elle, que c'était une bonne idée. C'était pour Harry, ça pouvait l'aider. Mais son coeur, depuis l'année précédente, était partagé. Divisé en deux parties d'elle-même. Amour et raison. Serpentard et Gryffondor. Drago et Harry. Elle savait que c'était le bon choix, celui qui s'alignait dans ses valeurs, celui qu'elle aurait pris sans hésiter il y a encore deux ans. Mais en écrivant sa lettre, elle avait l'impression que quelqu'un lui murmurait à l'oreille : "Que va-t-il en penser ?"

Elle ne connaissait pas la réponse à cette question, et en toute vérité, elle ne savait même plus à quel "il" elle se référait.

Hermione enfila sa cape d'hiver et sortit par le portrait en veillant à ce qu'aucun Gryffondor ne la remarque. Elle croisa quelques élèves mais personne ne l'arrêta, pas même dans le Hall lorsqu'elle sortit par les portes principales du Château.

Dehors, c'était une véritable tempête de neige. Hermione eut du mal à marcher entre le vent violent et la grêle qui lui martelait la tête malgré sa capuche. Le sol était recouvert d'une plaque de givre dissimulée par une couche impressionnante de neige. Quand elle arriva au pied de Volière, ses jambes étaient trempées et elle tremblait de la tête au pied. Elle lança un Sortilège de Séchage sur le bas de sa cape et de Chaleur sur le corps et grimpa les centaines de marches jusqu'à la pièce ovale.

Elle était en train de choisir l'hibou qui allait devoir affronter la tempête quand elle entendit des pas dans les escaliers, derrière elle. Elle n'eut pas le temps de cacher la lettre quand Drago entra dans la pièce.

"Hermione ?" appela-t-il. "Qu'est-ce que tu fais là ?"

"Je poste une lettre." répondit-elle bêtement. "Comment tu as su que j'étais ici ?"

Le regard de Drago la détailla de haut en bas, s'attardant quelques secondes sur l'enveloppe qu'elle tenait entre ses doigts. Il portait le bonnet qu'elle avait lui avait offert à Noël, et ses cheveux qui dépassaient étaient mouillés. Il n'était, comme d'habitude, absolument pas assez couvert pour le temps dehors.

"Je t'ai vue." répondit-il évasivement. "À qui tu envoies ça ?"

Elle vit une lueur de panique dans ses yeux et elle comprit enfin. Elle fit quelques pas vers lui :

"Ce n'est pas pour Viktor." le rassura-t-elle.

Il lâcha un soupir entre ses dents et s'appuya sur la porte pour reprendre son souffle. Visiblement, son ascension des escaliers avait été un peu trop précipitée. Elle lui prit la main et la serra affectueusement.

"À qui, alors ? Tu n'envoies jamais de lettres aussi tard."

Hermione se mordit la lèvre inférieure :

"Celle-ci est plutôt urgente." dit-elle doucement.

Drago l'analysa silencieusement :

"Oh non." maugréa-t-il. "Je connais ce regard. C'est ton regard de Gryffondor. Qu'est-ce que tu as encore manigancé ?"

Au lieu de lui répondre, elle lui tendit l'enveloppe encore ouverte. Drago la prit sans comprendre.

"Lis." dit Hermione.

Drago eut l'air étonné qu'elle le mette dans la confidence. Pourtant, ils s'étaient promis qu'ils n'auraient plus de secrets. Drago retira la lettre de l'enveloppe, l'ouvrit, lut la première phrase, et s'écria :

"Rita Skeeter ?! Tu plaisantes ?"

"Continue de lire." intima Hermione, qui était de plus en plus nerveuse.

Les yeux bleus de Drago parcoururent les lignes qu'Hermione avait écrit. À la fin de sa lecture, il releva brusquement la tête :

"C'est quoi cette connerie ?" demanda-t-il. "Pourquoi tu demandes un date à Rita Skeeter ?"

"Un quoi ?!"

"Une rencontre le 14 février" ?" lut Drago à voix haute. "Le jour de la St Valentin ? Pour "discuter" ? Il y a quelque chose que tu veux m'avouer, Granger ?"

Il avait un grand sourire. Hermione leva les yeux au ciel et lui reprit la lettre des mains, gênée au possible :

"N'importe quoi ! Je lui ai proposé cette date parce que c'est la prochaine sortie prévue à Pré-Au-Lard !"

"Et pourquoi tu veux voir Rita Skeeter à Pré-Au-Lard ?" demanda Drago, à la fois rieur et inquiet.

"Pour aider Harry." avoua-t-elle d'une petite voix en rangeant la lettre dans l'enveloppe.

Les sourcils de Drago se froncèrent et il se pencha subtilement vers elle :

"Qu'est-ce que tu fabriques, Granger ?"

Hermione prit une petite inspiration et lui expliqua, en fixant le parquet sale de la Volière :

"Je veux… Je veux qu'elle publie un article dans lequel Harry explique ce qu'il s'est passé le soir où Tu-Sais-Qui est revenu. Un vrai article, pas les torchons que la Gazette publie depuis la rentrée, où Harry peut raconter les évènements qu'il a vécu sans être moqué ou être perçu comme un fou. Et je comptais te prévenir avant de le faire, je te le promets, je n'ai pas prévu de faire ça derrière ton dos, mais je pense que ça peut beaucoup aider Harry, et ça pourra peut-être faire réaliser à des gens qu'il n'est pas le menteur que Fudge veut faire croire…"

Quand elle osa lever la tête pour regarder Drago, son expression était dure, ses yeux froids.

"Tu ne peux pas faire ça, Granger." dit-il.

Hermione se prépara mentalement à la dispute qui allait suivre : Drago allait protéger l'honneur de sa famille, Hermione allait défendre Harry. Une liste d'arguments défila déjà dans sa tête. Elle commença d'une voix sûre :

"Je ne…"

"Tu as enfermé cette femme dans une jarre pendant un mois entier." coupa Drago. "Tu l'as menacée de la dénoncer au Ministère si elle écrivait encore. Elle t'en veut, et je sais qu'elle est pathétique, mais c'est aussi une sorcière, adulte, expérimentée, capable de te blesser pour se venger."

Hermione ne s'attendait tellement pas à cette réponse que lorsqu'elle ouvrit la bouche, aucun son n'en sortit.

"Il est hors de question qu'elle te fasse du mal." dit Drago fermement, la voix menaçante.

Hermione n'avait même pas pensé à cette probabilité. Elle avait été tellement occupée à trouver un moyen de consoler Harry qu'elle n'avait pas mesuré ce qu'elle était en train de faire : un chantage. Envers la journaliste la plus célèbre du pays.

"Elle ne me fera pas de mal, Drago." dit-elle du ton le plus convaincant possible. "En plus, Harry sera là !"

"Ce n'est pas une perspective très rassurante." grommela-t-il.

"Fais-moi confiance, je n'ai pas peur de Rita Skeeter." dit-elle en lui serrant la main pour le calmer. "En fait, pour être tout à fait honnête, ce qui me fait le plus peur dans cette histoire… c'est toi."

"Moi ?" répéta Drago, effaré. "Pourquoi ?"

"Et bien, si Rita et Harry acceptent de faire l'interview, et qu'Harry déballe toute la vérité sur ce soir-là… Ce qu'il s'est passé, qui était là… il va forcément parler de ton… de Lucius."

Un muscle tressaillit dans la mâchoire contractée de Drago. Son regard s'assombrit tout à coup, et sa main se crispa contre la sienne.

"J'imagine, oui." dit-il gravement.

"Je pensais que… je pensais que tu m'empêcherais de le faire, à cause de ça." glapit Hermione.

Ses doigts et ses oreilles picotaient d'appréhension. Les yeux de Drago virèrent au gris, ce qui n'était jamais un bon présage. Mais, à sa grande surprise, il leva la main d'Hermione et déposa un baiser contre son poignet.

"Non. Je te fais confiance, Hermione." murmura-t-il.

"Tu ne m'en voudras pas ?" demanda-t-elle.

"Je ne t'en voudrai pas." confirma Drago. "Ça ne va pas être une partie de plaisir de voir le nom de mon père affiché sur un article comme ça, mais je vais prendre sur moi. J'ai parlé à Skeeter de Potter dans ton dos l'année dernière, on a qu'à dire qu'on est quittes. D'accord ?"

Hermione accepta et enroula ses bras autour de son cou pour lui faire un câlin. Elle sentit ses muscles se détendre quand elle se rapprocha de lui. Il passa ses mains sous sa cape pour enlacer sa taille, fort, et lui embrassa doucement le front.

"Merci de me faire confiance." dit-elle.

"Merci de m'avoir prévenu." répondit Drago. "On commence à être doués en communication, non ?"

Hermione eut un petit rire et enfouit son visage contre la cape de Drago. Elle sentait l'eau de cologne à la pomme verte. Il posa son menton contre le haut de sa tête, et ils restèrent longuement dans cette position, serrés l'un contre l'autre. Les hiboux les observaient curieusement.

"Hermione…" chuchota Drago. "Tu sais que si tu fais cette interview, tu ne dois pas seulement me prévenir moi."

Elle sut tout de suite à qui il voulait faire référence et elle soupira contre le tissu de sa cape.

"Oui, je sais. Je lui en parlerai en fonction de la réponse de Skeeter."

Drago acquiesça contre ses cheveux tandis que sa main jouait avec le bas de son pull sous sa cape. Il avait raison, ils s'amélioraient en communication, surtout lui. Quand il était entré dans la Volière, Hermione avait été persuadée qu'ils allaient se hurler dessus jusqu'à ce que l'un des deux parte en courant.

Drago retira sa main et prit l'enveloppe qu'Hermione tenait toujours, la ferma, et s'approcha d'un grand hibou blanc écru. Il attacha le courrier à sa patte et l'emmena vers la fenêtre :

"Envoie ça à Rita Skeeter, et n'hésite pas à lui donner un petit cadeau en plus, si tu vois ce que je veux dire. Courage." dit-il à l'adresse de l'oiseau, avant qu'il ne décolle et disparaisse dans la nuit.

Il revint vers Hermione qui riait doucement en imaginant la réaction de Skeeter si l'hibou faisait ce que Drago venait de lui demander. Il rangea sa mèche derrière son oreille :

"Tu as pensé où tu pourras publier l'article ?" demanda-t-il. "La Gazette ne le publiera jamais, Fudge ne voudra jamais se compromettre."

"Je ne sais pas trop, peut-être une tribune, qu'on pourrait faire distribuer aux hiboux dans tous les foyers d'Angleterre ?"

"Ça va coûter cher, et c'est facilement traçable." dit Drago, pensif.

Hermione essaya de réfléchir à un moyen de diffuser l'interview d'Harry à grande échelle. Si Skeeter acceptait le rendez-vous, elle devait avoir un plan solide. La pièce ronde était traversée par des vents glacés de toutes parts, la faisant frissonner. Sans dire un mot, Drago retira sa cape et la posa sur ses épaules pour ne pas qu'elle ait froid.

"Et si tu demandais à ton amie, Lovegood ?" proposa-t-il. "Ce n'est pas son père qui dirige le Chicaneur ?"

Elle ouvrit grand les yeux :

"Mais oui, tu as raison !" s'écria-t-elle. "Quelle bonne idée ! Tout le monde pourra le lire comme ça ! Drago, c'est une idée brillante !"

Drago eut un petit sourire en la voyant si excitée. Il lui fit un nouveau baiser sur le front, juste sous la racine de ses cheveux, et prit sa main pour la diriger vers les escaliers de la Volière :

"Avec plaisir, Granger."