Bonjour à toustes,
Cet OS a été écrit dans le cadre de l'ASPIC Angst du serveur Potterfictions (lien dans mon profil). Il a été publié sur AO3 en novembre 2023 (je continue à rattraper mes retards de publi ici).
Il devait respecter les conditions suivantes :
- Max 10 000 mots
- Trois tropes angsty, imposés par les autres participants :
1 - Un personnage souffre d'une douleur insoutenable, qu'elle soit physique ou mentale, il pense avoir tout perdu
2 - Un personnage a des fantasmes peu sains
3 - Un adolescent voit son animal de compagnie être démembré vivant par ses pairs sans pouvoir l'empêcher, puis on le force à porter à sa bouche au moins une des parties de l'animal mort
Attention, ce texte est très angst. C'est très différent de ce que j'écris d'habitude, ne lisez pas si vous n'en êtes pas capables.
TW : pensées suicidaires, torture et mort d'animal, homophobie, fantasmes dérangeants, addiction médicamenteuse, harcèlement scolaire.
Il s'agit également de la préquelle de la mini fic "Aube" écrite 6 mois après (déjà publiée ici).
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture.
Lost in pain
Son réveil fut similaire à tous les précédents. Drago resta allongé dans son lit, à regarder le plafond beige pendant d'interminables minutes. Il réintégrait son corps et sa conscience en serrant les dents, la douleur pulsant de son bras gauche par vagues régulières. Comme chaque matin, il regrettait de ne pas être mort dans son sommeil, pour être enfin débarrassé de cette souffrance permanente. Ses désirs de quitter le monde des vivants étaient fréquents, tout autant que l'envie de s'arracher le bras, de le lacérer jusqu'à l'os. Il avait essayé et n'avait réussi qu'à se vider de son sang, rien de plus. Les médicomages étaient formels : aucun acte physique ne pourrait supprimer la souffrance créée par la Marque des Ténèbres et les tortures subies lors de ses sixième et septième années. Elle s'était infiltrée dans ses muscles, ses os, ses organes et rien ne la ferait disparaître. Rien, à part la mort.
Puis Drago pensa aussitôt à Scorpius et se fustigea. S'il mourait, qui s'occuperait de son fils ? Il approchait de sa majorité, mais cela ne voulait pas dire qu'il pourrait vivre seul. Drago n'avait pas d'autre choix que de s'accrocher à sa pitoyable existence.
Après une trentaine de minutes, Drago roula sur le côté et s'assit au bord de son lit. Une légère nausée le força à déglutir lentement et à prendre de grandes inspirations. Se lever était toujours le moment le plus difficile. Comme chaque jour, il jeta un regard au cadre posé sur sa table de chevet et sourit tristement. Astoria était si belle sur cette photo, rayonnante, les yeux pétillants de malice et d'amour. Son sourire avait eu le don d'embellir les pièces par sa simple existence. Elle avait redonné vie à ce lugubre Manoir quand elle y avait emménagé après leur mariage.
Drago se laissa aller quelques instants à repenser aux bons moments, aux premières années de leur vie de couple, quand tout ce qui leur importait était d'être ensemble et amoureux. Ils avaient passé tant de temps à rénover le Manoir, en riant nerveusement des découvertes parfois macabres dans certains endroits, pouffant joyeusement en retirant les tableaux défraîchis des ancêtres que Drago ne voulait plus voir exposés, en rêvant de ce qu'ils allaient construire. Puis, Scorpius avait encore embelli leur vie, par ses rires clairs et heureux, son regard neuf et naïf, ses petits pas incertains sur les tapis, ses jeux bruyants et pleins de vie.
Avec un soupir, Drago se mit debout et un pic de douleur pulsa de son bras à son épaule, descendant dans ses côtes, le faisant haleter. Il se força à rester droit, les pieds ancrés dans la moquette grise, en attendant que cela passe. Cela passait toujours une fois le changement de position terminé. Ensuite, la douleur demeurait sourde, lancinante, mais elle ne l'empêchait plus de respirer.
Une fois qu'il put marcher, Drago se rendit dans la salle d'eau attenante à leur chambre. Non, sa chambre, désormais. Il prit une douche et lava ses cheveux sans utiliser son bras gauche. C'était devenu une habitude avec le temps. Les années passant, la douleur s'installant, il avait diminué les mouvements de son bras, pour ne pas augmenter la souffrance qu'il ressentait déjà au quotidien.
Devant le miroir embué, Drago lança un sortilège pour ôter l'humidité et se regarda. Les rides au coin des yeux et sur son front se voyaient de plus en plus chaque année, témoin du temps. L'implantation de ses cheveux reculait, elle aussi, inexorablement et Drago se demanda s'il ne devrait pas les porter court. Il ouvrit le placard et hésita. Son hésitation ne fut que de courte durée, il ne savait pas pourquoi il continuait à espérer pouvoir se satisfaire de la potion standard. Cela faisait des années que celle-ci ne servait plus qu'au reste de la famille, pour les petits bobos du quotidien. Drago avait besoin d'un antidouleur puissant pour supporter sa journée et les effets secondaires inévitables étaient une normalité dans sa vie. Il déboucha le flacon d'un coup de baguette et en avala le contenu d'une traite, grimaçant au goût fort et piquant. L'habituel étourdissement le fit s'accrocher au lavabo et il attendit en comptant.
Un, deux, trois, quatre, cinq. Puis il inspira et cela devint un vague flottement. Drago referma le placard et retourna dans sa chambre pour s'habiller. De simples robes conviendraient aujourd'hui, il n'avait prévu de voir personne. Il prit un repas léger préparé par son elfe de maison et décida de lire un peu.
En passant devant le couloir menant à l'aile dans laquelle se trouvait son atelier de potions, Drago détourna le regard. Cela faisait bien trop longtemps qu'il n'y avait pas mis les pieds, mais il n'arrivait pas à s'y résoudre. Il se demanda ce qu'Astoria aurait pensé de lui et de sa lâcheté, elle aurait certainement été déçue qu'il ait abandonné ce qu'il aimait tant. Elle l'aurait fixé avec un regard dur et l'aurait poussé à se dépasser, elle l'aurait encouragé de sa voix douce, elle l'aurait accompagné chaque jour jusque devant les paillasses. Mais elle n'était plus là.
Deux ans que les lieux prenaient la poussière. Deux ans durant lesquels Drago s'était laissé engloutir par la dépression et la souffrance, n'arrivant plus à lutter contre la douleur quotidienne dans son bras pour continuer à travailler dans son atelier. Oh, il était doué, ça oui. Il était réputé et avait réussi à se créer un nom parmi les potionnistes de Grande-Bretagne, à la sueur de son front, année après année. Malgré l'opprobre jeté sur sa famille. Mais cela ne suffisait plus. L'envie s'était envolée avec le dernier souffle d'Astoria.
La journée s'écoula comme toutes les précédentes. Elle fut longue et inintéressante. La souffrance permanente, à peine jugulée par les potions que Drago prenait à heures régulières. Il soupira quand le soleil se coucha derrière les arbres du parc du Manoir et se dirigea vers la volière avant qu'il fasse complètement nuit. Des lumières s'allumèrent le long du chemin de cailloux, au fur et à mesure de son avancée. Le froid de décembre saisissait le visage de Drago et la buée sortait de sa bouche à chaque expiration. Il regretta de ne pas avoir pris son écharpe.
Ce trajet était difficile, mais Drago se forçait tous les soirs à aller voir ses hiboux, malgré la douleur qui atteignait ses jambes en fin de journée. Ce soir, il était déçu : pas de courrier de Scorpius. La déception et l'inquiétude. Drago était toujours inquiet pour son fils, bien plus que ne le devrait n'importe quel parent. Mais dans deux jours, Scorpius serait là et il pourrait souffler le temps du week-end. Les élèves de Poudlard pouvaient retourner dans leur famille les week-ends en plus des vacances s'ils le souhaitaient et Scorpius avait désespérément besoin de s'échapper de l'école le plus souvent possible.
Le cœur serré, Drago rejoignit le Manoir en espérant que le manque de nouvelles n'était pas mauvais signe. Scorpius lui écrivait au moins deux fois par semaine et Drago n'aimait pas quand il ne recevait pas de courrier. Il y avait eu des précédents et Drago comptait les jours avant la fin de la scolarité de son fils, pour qu'il soit enfin débarrassé de ses harceleurs. Plus que six mois avant les ASPIC, plus que six mois avant la liberté.
OOOOOOOOOOOO
Il était seize heures et le train entra en gare en soufflant sa fumée blanche. Les roues crissèrent sur les rails en freinant et le Poudlard Express s'arrêta. Un flot d'élèves de tous âges sortirent des portes qui claquèrent en s'ouvrant. Drago scruta le quai à la recherche de la chevelure blonde de son fils. Il grimaça quand il aperçut d'abord les épis noirs et en bataille du garçon qui était son meilleur – et seul – ami : Albus Potter. Le garçon était plus grand que la plupart de ses camarades et se repérait aisément. À ses côtés, Scorpius tirait sa valise, le dos voûté, les cheveux mal coiffés et les yeux marqués par les cernes. Drago eut un mauvais pressentiment.
Il observa les deux garçons se diriger vers le couple Potter-Weasley et Drago retint un reniflement dédaigneux et une pointe de jalousie. L'Auror Potter, grand héros national, à qui tout réussissait, lui. Une carrière florissante, une épouse jolie et intelligente, des enfants appréciés par leurs pairs. Et contrairement à Drago, il ne perdait pas ses cheveux et il n'avait pas de douleurs chroniques invalidantes.
Le dos raide, Drago attendit que Scorpius le rejoigne. Il ignora les regards furieux ou écœurés sur sa personne, il en avait l'habitude. Malgré sa réputation de potionniste, le nom de Malefoy n'avait jamais pu être redoré. La guerre avait laissé des traces et Drago le comprenait, même si cela lui laissait un goût amer dans la bouche et un ressentiment vivace envers son père.
Scorpius arriva bientôt, accompagné d'Albus qui ne le quittait pas d'une semelle. Le mauvais pressentiment de Drago enfla. Même si les deux garçons étaient proches, Albus n'était jamais aussi proche de Scorpius que lorsqu'il allait mal. Et son visage reflétait une inquiétude qui n'aurait pas dû se trouver chez un enfant.
— Monsieur Malefoy…
— Bonjour Albus. Scorpius, est-ce que tout va bien ?
Scorpius hocha vivement la tête sans le regarder et enlaça son ami avant de se tourner de nouveau vers Drago.
— Je voulais vous dire que j'suis désolé, monsieur… balbutia Albus. Scorpius vous racontera… Mais, j'suis désolé de pas avoir été là quand c'est arrivé. J'avais une retenue et… Bref, j'suis désolé.
— Merci, Albus. On va y aller, maintenant.
Albus fit un signe de la main à Scorpius et retourna auprès de ses parents. Drago, un nœud dans la poitrine, posa sa main droite sur l'épaule de son fils, vérifia qu'il tenait sa valise et les fit transplaner. Il le laissa rejoindre sa chambre et installer ses affaires. Il l'attendit dans le salon avec un chocolat chaud, l'angoisse lui broyant le ventre. Quelque chose était arrivé, les courriers épars de Scorpius pendant les dernières semaines avant les vacances de Noël n'étaient pas un hasard ou une erreur. Et le jeune Albus avait l'air secoué, c'était la première fois que Drago le voyait ainsi. Il ne le connaissait que très peu, mais Scorpius parlait beaucoup de lui, de sa joie de vivre, de sa gaîté et de son énergie. Un enfant heureux et enjoué, sans problèmes dans sa vie. Le seul ami de Scorpius. Le seul qui avait bien voulu s'intéresser au rejeton Malefoy malgré son nom.
Cette amitié, bien que Drago n'en ait pas été ravi, était une bénédiction. Sans Albus, Scorpius aurait vécu sa scolarité seul contre tous, seul contre ses harceleurs, contre ses bourreaux. Et Drago ne doutait pas que sa présence avait sauvé la vie de Scorpius. Sans lui, la dépression dans laquelle Scorpius avait sombré dans les premiers mois à Poudlard aurait peut-être eu raison de lui. Et pourtant, son fils s'était relevé et avait affronté avec une force incroyable les épreuves de sa scolarité.
Drago ne comptait plus le nombre de fois où Scorpius était rentré pour un week-end ou pour les vacances avec des bleus, avec ses vêtements déchirés, avec ses affaires de cours abîmées. Il ne comptait plus les multiples courriers qu'il avait envoyés au directeur Londubat, qui lui assurait pourtant punir les coupables chaque fois que cela était possible. Mais cela ne les arrêtait pas, le petit groupe qui faisait de la vie de Scorpius un enfer était malin et bien organisé, ils se faisaient rarement attraper et c'était la parole de Scorpius – et Albus – contre celle des autres enfants. Et qui avait envie de croire un Malefoy ?
Il y avait cependant eu une expulsion une fois. La fois où Scorpius avait été projeté délibérément de son balai pendant un cours de vol en cinquième année. Un élève avait sorti sa baguette et avait visé Scorpius lancé à pleine vitesse pour une course autour du parc de l'école. Scorpius avait été éjecté dans les airs à plus de cent cinquante kilomètres-heure et ne devait la vie sauve que grâce aux réflexes de son professeur qui avait eu les yeux sur lui à ce moment-là. Un hasard qui avait fait la différence entre une jambe cassée et un cercueil. Drago avait porté plainte pour tentative de meurtre, mais cela n'avait pas abouti. L'enfant avait simplement été expulsé de l'école. Et le harcèlement avait continué.
Le dîner fut silencieux. Plus qu'à l'ordinaire et cela ne fit qu'augmenter l'angoisse de Drago. Scorpius avait le teint pâle et les traits tirés. Il n'ouvrit pas la bouche de tout le repas et retourna s'enfermer dans sa chambre dès qu'il put. Drago renvoya en cuisine deux assiettes à peine entamées. Scorpius avait joué avec sa nourriture et Drago avait l'appétit coupé par ses traitements, la douleur et l'inquiétude pour son fils.
Raide, les muscles endoloris et la tête engluée dans le coton des potions de la journée, Drago rejoignit son lit de bonne heure. Il se couchait tôt désormais, il n'arrivait plus à veiller, épuisé par la souffrance constante dans son bras, son épaule, son dos, ses jambes. Le soir, ses nerfs étaient à vif, ses os tiraient, ses muscles pâtissaient de compenser une posture devenue anormale avec le temps. Passé une certaine heure, son cerveau ne fonctionnait plus assez bien pour lui permettre de lire ; de toute façon, sa concentration était atténuée avec les potions antidouleurs.
En plein milieu de la nuit, Drago se réveilla en sursaut. Il avalait toujours un philtre spécial avant de se coucher et rien ne le sortait jamais du sommeil. Puis un cri résonna dans le couloir. C'était la voix de Scorpius.
Drago incanta un Lumos et se leva en soufflant, la douleur était insoutenable s'il ne prenait pas le temps de réveiller son corps. Il s'appuya à l'un des poteaux de leur lit – son lit – et se recroquevilla sur lui-même, la bile lui remontant dans la gorge. Il retint à grand peine son dîner et se redressa. Scorpius hurlait toujours et Drago se hâta en titubant et en se tenant au mur.
La tête prise dans le brouillard, il ouvrit la porte d'un coup et se précipita au chevet de son fils. Ce dernier se débattait dans ses couvertures et criait si fort que cela lui fit mal aux tympans. Il se jeta aux pieds du lit et le secoua pour le réveiller.
— Scorpius ! SCORPIUS !
Scorpius ouvrit les yeux et se redressa dans la lueur bleutée de la baguette de Drago. Son t-shirt de pyjama était trempé de sueur et les cheveux collaient à son front.
— Papa ?
— C'est moi. Tu faisais un cauchemar, Scorpius.
— Je… Je…
Un haut-le-cœur le prit et il vomit sur son lit.
— Désolé, Papa…
— C'est rien, attends…
Drago appela Miru, leur elfe de maison, et se releva en s'appuyant à la table de nuit de son fils. Il inspira plusieurs fois pour juguler la douleur qui transperçait son bras comme s'il recevait des coups de couteau. Puis il tendit sa main droite à Scorpius pour le faire se lever et laisser l'elfe changer les draps.
— Tu es trempé, va prendre une douche et te changer, Scorpius.
Scorpius hocha la tête et s'éloigna. Drago s'adossa au mur en attendant que le lit soit fait puis s'y assit. Il remercia Miru et l'elfe disparut dans un petit pop. Quand Scorpius revint, propre et habillé d'un autre pyjama, il s'installa à côté de lui.
— Veux-tu en parler ?
— Non. Désolé de t'avoir réveillé, je sais que c'est dur pour toi.
— Ne t'excuse pas, voyons. Rien ne m'empêchera de venir si tu as besoin de moi, Scorpius. Rien.
— Merci, Papa…
— Veux-tu que je demande à Miru de rester pour te surveiller ?
— Je suis plus un bébé…
— Comme tu veux.
Drago se releva avec difficulté et serra les dents. Il rejoignit sa chambre à pas lents et ne se laissa aller à pleurer de souffrance qu'une fois revenu dans son propre lit, en sécurité, loin des yeux et des oreilles de son fils.
Les jours et les nuits suivantes furent presque identiques. Scorpius ne sortait presque pas et réveillait Drago en hurlant. Drago était épuisé, il n'arrivait jamais à se rendormir après s'être levé et somnolait dans un océan de douleurs jusqu'au lever du jour. Il faisait des siestes, mais il n'était pas assez reposé et végétait toute la journée dans sa bibliothèque ou dans son salon, à lire ou à faire des mots croisés. Depuis qu'il avait découvert les mots croisés moldus, il se faisait livrer des magazines toutes les semaines pour s'occuper.
Ce ne fut que le matin du réveillon de Noël que Drago s'aperçut que Scorpius n'avait plus son boursouflet. Cette petite bête, d'un violet pétillant, ne quittait jamais son épaule lorsqu'il était à la maison. Il lui avait acheté pour son anniversaire deux ans auparavant et il l'adorait. Il l'avait appelée Lilian et Drago était certain que cela avait un rapport avec la cadette Potter, même si Scorpius lui assurait que ce n'était pas le cas. Mais Drago avait des yeux et il avait été amoureux lui aussi, il avait remarqué les regards de son fils sur la jeune Lily, la sœur d'Albus. Cependant, il ne voulait pas interférer dans la vie sentimentale de Scorpius et ne l'importunait pas à ce sujet. Dans son for intérieur, il espérait tout de même que Scorpius choisisse une autre fille que celle de la famille Potter, surtout si c'était sérieux. Il n'avait pas la moindre envie que leurs familles soient liées plus qu'elles ne l'étaient déjà par l'amitié des deux garçons.
Il avait neigé toute la matinée et le parc du Manoir était recouvert d'un manteau blanc uniforme. Drago proposa à Scorpius de profiter du soleil qui brillait désormais pour faire un bonhomme dans la poudreuse. Il espérait le dérider un peu, il était rarement aussi taciturne depuis que sa dépression s'était achevée quelques années plus tôt. Et il voulait le faire parler, ce n'était jamais si compliqué habituellement.
Drago prit une potion supplémentaire pour supporter ses douleurs, même s'il savait que son médicomage désapprouverait et se lança dans la confection d'une boule de neige qu'il fit ensuite rouler au sol pour la faire grossir. Scorpius boudait, mais il finit par l'imiter et ils eurent finalement deux grosses boules blanches. Drago fit léviter la plus petite pour former la tête et demanda à Scorpius de partir en quête de cailloux pour lui faire un visage. Pendant ce temps, Drago lissa de sa main gantée la neige pour lui donner un bel aspect. Le bonhomme fut bientôt terminé, malgré la mauvaise volonté de Scorpius que rien ne semblait contenter.
— On fait une photo souvenir ?
— C'est débile, Papa.
— Tu seras bien content d'avoir des photos de ton vieux père quand je ne serai plus là, Scorpius.
— Tu vas pas recommencer !
Scorpius souffla et leva les yeux au ciel. Drago se mordit la lèvre pour ne pas répliquer. Le sujet de la maladie de Drago était source de tensions entre eux depuis quelque temps. Drago préparait son fils à sa mort qui serait forcément prématurée et Scorpius refusait de l'entendre.
— S'il te plaît, Scorpius. Pour Noël.
— Si tu veux, grommela Scorpius.
Drago fit venir leur elfe de maison et posa pour la photo, le bonhomme de neige entre lui et son fils. Il se força à sourire alors que la douleur irradiait dans son bras et dans son dos de la pire des façons. Puis il fit quelques pas jusqu'au banc de fer forgé installé non loin, retira la neige d'un coup de baguette et s'y assit. Il soupira de soulagement de pouvoir se reposer un peu. Il regarda Scorpius qui triturait la neige du bout de sa chaussure.
— Tu as laissé Lilian dans ta chambre ?
Le visage de Scorpius se figea et il devint plus pâle qu'un drap.
— Où est ton boursouflet, Scorpius ? insista Drago qui sentait que quelque chose s'était passé.
Scorpius porta la main à sa bouche puis tomba à genoux en tremblant et vomit. Il se releva en haletant, les joues couvertes de larmes. Drago nettoya le sol d'un sortilège et invita son fils à s'asseoir à côté de lui. Il faisait bon au soleil et il espérait que l'air frais lui ferait du bien.
— Dis-moi ce qui s'est passé, s'il te plaît.
Scorpius éclata en sanglots, son corps agité de soubresauts. Drago le prit contre lui et le serra, une main posée dans son dos dans un geste apaisant. La voix étranglée de Scorpius finit par s'élever dans le froid de l'hiver.
OOOOOO
Il était vingt heures et le soleil était couché depuis longtemps. Pourtant, Scorpius était sorti pour envoyer une lettre à son père, comme il le faisait plusieurs fois par semaine. Il en avait besoin, pour sa santé mentale, il avait besoin d'un lien avec l'extérieur, avec sa famille. Pour s'échapper de l'enfer dans lequel il vivait depuis presque sept ans. Il revint dans le château avec plaisir, il faisait un froid polaire en ce début décembre. Il tapa des pieds sur les pierres du grand hall et frotta ses mains l'une contre l'autre alors qu'il se dirigeait vers les cachots. Il n'était pas pressé, Albus n'était pas encore revenu de la retenue dont il avait écopé pour avoir dansé sur les tables de la grande salle la veille pour impressionner Eliza.
Il y avait beaucoup de monde dans les couloirs, mais Scorpius ne regarda pas vraiment qui il croisait. Cela lui importait peu, personne ne l'appréciait de toute façon. Personne excepté Albus et dans une moindre mesure sa petite sœur Lily.
Au détour d'un couloir, il entendit qu'on l'appelait. Il ignora la voix et continua son chemin, personne ne s'intéressait jamais à lui pour de bonnes raisons.
— Hé Malefoy ! Viens-là ! On a quelque chose qui t'appartient.
Scorpius s'arrêta et ferma les yeux un instant, imaginant le pire. Laquelle de ses affaires avait bien pu disparaître cette fois ? Pourtant il verrouillait son placard et sa malle avec des sortilèges appris avec son père, mais peut-être que quelqu'un les avait déjoués… Les poings et la mâchoire serrés, il se retourna pour se retrouver face à Liam McLaggen. Une vraie plaie, ce type-là et toujours le premier à venir lui chercher des noises.
— Qu'est-ce que tu veux, McLaggen ?
— On a un truc à toi, si tu veux le récupérer, il va falloir obéir, sale serpent !
Scorpius déglutit et ravala sa fierté. Il ne répondit pas et emboîta le pas au garçon d'un an de moins que lui. Se laisser faire était encore la meilleure option la plupart du temps, plus il se rebellait, pire c'était. Il eut une pensée pour Albus qui était bloqué avec le professeur Bennett et regretta son absence. Lorsqu'Albus était là, on hésitait à s'en prendre à lui. Le cadet Potter ne cachait pas son amitié avec Scorpius et le protégeait autant qu'il pouvait.
Quelques mètres plus loin, McLaggen disparut dans une salle de classe non utilisée qui sentait la poussière et le renfermé. Quelques autres garçons étaient là et il les reconnut sans mal. Il était difficile d'oublier les noms et les visages des gens qui vous rabaissaient à longueur de temps et vous harcelaient quand personne ne regardait. L'un deux, Luke Barker, un élève de sa maison, ouvrit ses mains lorsque McLaggen ferma la porte derrière eux.
— Lilian ! s'exclama Scorpius en faisant un pas en avant pour récupérer son boursouflet.
McLaggen posa la main sur son épaule et le retint d'une poigne ferme. Scorpius grimaça sous la douleur du geste, il allait encore avoir un bleu…
— On te la rend si tu nous laisses mettre une Marque des Ténèbres sur ton bras, Malefoy ! annonça Kian Russell. Comme ça, tout le monde saura que t'es exactement comme ton père, un sale Mangemort !
Un désagréable frisson dévala le dos de Scorpius. Si l'idée venait de Russell, il craignait le pire. Ce garçon, du même âge que lui, réparti à Gryffondor, était le chef de la petite bande qui s'en prenait à lui depuis la première année. C'était lui qui poussait les autres à agir et il était en réalité responsable de l'accident que Scorpius avait eu en cours de vol en cinquième année, même si c'était un autre élève qui avait levé sa baguette.
— Paraît que tu te tapes Potter ? ricana McLaggen dans son dos.
— Albus est juste un ami ! se défendit Scorpius. Vous le savez très bien.
— C'est pas c'qu'on a entendu !
Scorpius se força à rester calme et ne pas fermer les yeux sous le dégoût que lui occasionnait McLaggen. Ces accusations étaient ridicules, c'était toujours la même chose, mais cela n'avait pas d'importance. Albus était son ami et personne ne comprenait pourquoi, ils inventaient n'importe quoi pour justifier ce qui les liait. Surtout si cela faisait du tort à Scorpius.
— Alors ? insista Russell.
Une nausée remonta de l'estomac de Scorpius et il serra les dents un peu plus fort pour se contrôler. Il n'allait sûrement pas se laisser faire par ces brutes ! Il n'était pas un Mangemort et son père non plus !
— Non. Rendez-la-moi.
— Comme tu voudras !
Le rire gras de McLaggen résonna dans la salle de classe désaffectée et il le saisit violemment par les bras pour l'immobiliser. Les autres garçons souriaient. Scorpius les détestait, il les haïssait du plus profond de son être, il les vomissait.
Barker tendit sa main à Russell et ce dernier attrapa sans douceur une partie du petit boursouflet violet. Barker referma ses propres doigts sur l'autre partie et serra. Un couinement s'éleva de la boule de poils.
— Laissez-la tranquille ! S'il vous plaît ! Je vais le faire, ok, je vais le faire !
McLaggen raffermit sa poigne sur Scorpius alors qu'il tentait de se débattre.
— C'est trop tard ! Arrête de bouger, Malefoy ou je te cogne. Et ferme ta gueule !
Scorpius se tut et fixa son regard sur Lilian qui émettait des sons de détresse. Son cœur se morcela, mais il cessa de gesticuler. Et, Scorpius assista, impuissant, à la torture de son animal. Lilian couinait de plus en plus fort à mesure que les doigts se resserraient sur elle. Son petit corps duveteux aux poils tout doux se comprimait. Puis, d'un coup, le boursouflet s'écrabouilla et du sang jaillit entre les mains des garçons. Des poils sanguinolents tombèrent à terre sous le regard ahuri de Scorpius. La nausée le reprit et son dîner ressortit de son estomac en jets acides, éclaboussant les vieilles pierres au sol et une chaise abandonnée.
— Lilian… hoqueta Scorpius, du vomi coulant sur son menton. Espèces de salauds !
Des exclamations écœurées jaillirent des bouches de ses détracteurs et ils se reculèrent tous. Même McLaggen le lâcha.
— Lilian…
Scorpius tomba à genoux dans la flaque de vomi et tendit des mains tremblantes vers son animal. Avec un rire mauvais, Russell lui jeta le reste du boursouflet dont les boyaux minuscules dépassaient, sanglants.
— Mange-le ! ordonna le garçon d'un ton froid.
— Non !
Russell fit un geste et ses camarades s'approchèrent de Scorpius. Ce dernier, tremblant de tous ses membres, était paralysé, le regard fixé sur la moitié de Lilian. Quelques mots et les résidus de son repas disparurent, puis des mains s'emparèrent de lui. Des doigts durs attrapèrent violemment ses bras et sa chevelure. Une douleur fulgurante traversa le crâne de Scorpius quand McLaggen tira sa tête en arrière. Une larme s'échappa de l'œil droit de Scorpius et roula sur sa joue avec lenteur.
Barker tendit sa main qui tenait encore les restes du boursouflet et le plaqua sur la bouche de Scorpius. Ce dernier serra les mâchoires de toutes ses forces et ferma les yeux pour ne plus voir ses bourreaux. Un liquide chaud coula sur ses lèvres et le long de son menton, une odeur acide et ferreuse lui monta aux narines et lui souleva de nouveau le cœur. Son estomac se contracta douloureusement.
— Ouvre la bouche !
Scorpius serrait les dents tellement fort qu'il avait peur de les briser. La pression sur sa bouche disparut soudain et des doigts se refermèrent sur ses joues. Puis ils appuyèrent si fort que Scorpius fut obligé de lâcher prise. Ses lèvres s'ouvrirent sur le vide, son souffle court s'en échappant par saccades. Un objet duveteux et humide fut introduit dans sa bouche et l'estomac de Scorpius se tordit de nouveau douloureusement.
Un rire éclata aux côtés de Scorpius et les mains le relâchèrent. Il cracha le reste de Lilian et explosa en sanglots. Un poing lui donna un coup dans l'épaule et les garçons quittèrent les lieux en l'insultant de tapette.
Scorpius demeura prostré, à genoux sur le sol dur de la vieille pièce poussiéreuse, pendant une éternité. Il se vida de toutes ses larmes, le pantalon et le pull souillés par ses régurgitations, le cadavre de Lilian entre ses doigts amorphes.
OOOOOO
Les pleurs de Scorpius redoublèrent alors qu'il achevait son récit. Entre les bras de Drago, il tremblait violemment. La rage déferla dans le cœur de Drago et l'envie brutale de lancer un Doloris sur ces garçons le surprit. Il attendit que son fils s'apaise puis le regarda dans les yeux. Ses yeux bleus délavés par les larmes, défaits par la tristesse.
— On ne peut pas laisser passer ça, Scorpius.
— Je veux pas changer d'école, Papa, tu le sais…
Drago retint un soupir alors que l'agacement s'ajoutait à la colère. Son fils était si têtu ! Il avait abordé le sujet du changement d'école de nombreuses fois ces six dernières années, mais Scorpius avait été formel, il ne voulait pas quitter Poudlard. Drago soupçonnait qu'il refusait à cause d'Albus Potter et il en venait presque à détester ce pauvre gosse pour la simple raison qu'il existait. C'était mal, mais certains jours, Drago avait souhaité que le gamin se détourne de Scorpius pour qu'il accepte enfin d'aller à Beauxbâtons. Il se sentait coupable d'avoir ces pensées envers le jeune Potter qui était un gentil garçon. La détermination prit le dessus : si Scorpius ne voulait pas changer d'école à quelques mois des ASPIC, il pouvait au moins en référer aux autorités.
— On va porter plainte. On ne peut pas les laisser s'en sortir comme ça.
— Je… je sais pas, Papa…
— Je ne te demande pas ton avis, Scorpius. Ils méritent d'être sévèrement punis !
Scorpius baissa la tête vers ses genoux et acquiesça en silence. Une bouffée de satisfaction enveloppa Drago à l'idée que peut-être, leur plainte porterait cette fois ses fruits. Il rêvait d'une vengeance terrible et espérait que ses souhaits seraient exaucés.
OOOOOOOOOOOO
Le Bureau des Aurors bourdonnait d'activité. Drago se dirigea vers l'accueil, Scorpius à ses côtés. Une petite sorcière replète, au chignon strict, les regarda approcher avec un visage neutre.
— Bonjour, j'aimerais porter plainte, à qui dois-je m'adresser s'il vous plaît ?
— Veuillez remplir ce document et attendre dans cette salle, répondit la petite sorcière – Anna d'après son badge.
Drago attrapa la plume posée sur le comptoir et écrivit sur le parchemin avant de le rendre à la secrétaire. Puis il poussa Scorpius vers la salle d'attente dans laquelle se trouvait déjà une demi-douzaine de sorciers. Après de très longues minutes, une voix masculine le tira de sa lecture de la Gazette du Sorcier.
— Drago Malefoy ?
Drago releva la tête et faillit lâcher son journal. Harry Potter le regardait depuis l'entrée de la salle d'attente, un parchemin à la main.
— Je suis l'Auror en charge de votre… ta demande. Par ici.
Drago avait grimacé à la tentative de Potter à le vouvoyer sans y parvenir, il trouvait ça presque pathétique. Il soupira en silence et se leva en camouflant la douleur que cela lui occasionnait, puis il tira Scorpius par le bras pour qu'il l'accompagne. Ils suivirent Potter jusque dans une immense pièce contenant des dizaines de bureaux dans des boxes. Celui de Potter était sur la droite, entouré comme les autres de minces parois de bois sur deux côtés. Potter leur fit signe de s'asseoir et s'installa derrière la table puis il agita sa baguette. Le bruit ambiant disparut.
— Sort de confidentialité, tout ce dont nous parlerons restera entre nous.
Drago hocha la tête et s'assit. Scorpius, qui n'avait pas levé le nez, fit de même.
— Le formulaire indique que vous souhaitez porter plainte. J'ai besoin de savoir contre qui.
La main de Potter se figea au-dessus d'un parchemin.
— Scorpius ? appela Drago.
— Liam McLaggen, Kian Russell et Luke Barker, murmura Scorpius.
— Tu m'as dit qu'ils étaient six, protesta Drago.
— Les autres n'ont rien fait…
— Tu m'as dit qu'ils t'avaient tenu !
— Oui, mais…
Un raclement de gorge interrompit Scorpius et Drago releva le regard vers Potter.
— On va commencer avec ces trois-là, déjà, d'accord Scorpius ? demanda Potter d'une voix aimable avec un sourire rassurant.
— Oui, monsieur.
— Tu peux m'appeler Harry. Bon… J'ai besoin de savoir pourquoi tu veux porter plainte, Malefoy, continua Potter en reportant son attention sur Drago.
— C'est quelque chose qui est arrivé à Scorpius avant les vacances. Est-ce qu'il doit le raconter lui-même ?
— Ça serait mieux que ce soit lui, mais si tu préfères, on va commencer par toi. Je suppose qu'il t'a tout dit ?
Drago eut brutalement la crainte que Scorpius ne lui ait pas tout dit et il braqua son regard sur son fils. Scorpius avait la tête baissée vers ses genoux et se triturait les mains.
— Je peux raconter…
— Je t'écoute, Scorpius. Et si tu as besoin de faire une pause, ce n'est pas un problème.
Et Scorpius relata de nouveau ce qui s'était passé, des sanglots coincés dans la gorge et des larmes roulant sur ses joues. Drago serrait les poings, le désir violent de torturer ces adolescents le reprit et il se força à penser à autre chose. La douleur dans son bras augmentait et il essayait également de ne pas y songer. S'ils restaient longtemps ici, il raterait l'heure de sa potion et il n'avait pas envie d'expérimenter ce genre de chose. Comme un idiot, il l'avait oublié chez lui. Cependant, Scorpius avait besoin de temps pour expliquer et Potter aurait sûrement beaucoup de questions.
Et en effet, Potter posa beaucoup de questions. À la surprise de Drago, l'Auror était à l'écoute et gentil. Il ne bousculait pas Scorpius et lui laissait le temps de répondre sans l'interrompre, sans interpréter. Et il prenait la situation au sérieux, il ne se moqua pas de ce qu'avait vécu Scorpius ou des réactions de celui-ci à la torture de son boursouflet.
Cela rappelait à Drago la première plainte, celle qu'il avait déposée lorsque son fils avait été visé en cours de vol. Drago avait estimé qu'il y avait eu tentative de meurtre, mais malheureusement elle avait été classée sans suite. Il n'y avait pas de preuve que l'enfant avait vraiment voulu tuer Scorpius et c'était passé pour un simple accident. Poudlard avait décidé d'exclure le garçon pour usage inapproprié de la magie et mise en danger d'autrui, mais le Bureau des Aurors n'avait rien pu faire. Cette fois-là, déjà, Potter avait géré le dossier. Drago lui en avait voulu pendant des mois et son ressentiment était encore vif deux ans plus tard. Il avait conscience que Potter n'était pas au Magenmagot, mais il l'avait tenu pour responsable, injustement. Et il était de nouveau là, pour déposer plainte contre des enfants qui s'en étaient pris à son fils et l'avaient traumatisé. Et Potter était encore là, à écouter avec son visage compatissant et à sourire de façon bienveillante.
Une heure passa et la douleur dans le bras de Drago avait gagné son épaule et son dos. La position sur la chaise en métal était une torture. Ses nerfs étaient en feu, ses muscles brûlaient, ses os semblaient se briser en mille petits éclats. Drago serrait les dents et il avait perdu le fil de la conversation entre Scorpius et Potter.
— Papa ? Papa !
Drago sursauta à la sensation de la main de Scorpius sur son bras gauche. Il ne put retenir un rictus de souffrance, il avait l'impression qu'un tison chauffé à blanc venait de le transpercer.
— Papa, ça va ?
— Ça… Ça va. Ne t'inquiète pas.
Drago croisa le regard de Potter fixé sur lui. Son regard aimable et gentil l'agaça.
— Tu as besoin de quelque chose, Malefoy ?
— Non, merci, grinça Drago en se forçant à ne pas grimacer de douleur.
— Tu as pris ta potion, Papa ?
— Je verrai à la maison, Scorpius, ne t'inquiète pas.
Le regard de Potter sur lui se radoucit encore et Drago le détesta pour cela. Il n'avait pas besoin de sa pitié.
— Tu es sûr que ça va, Malefoy ? T'as vraiment pas l'air bien.
— J'ai… des... douleurs. Mais ça va aller. Peut-on finir rapidement ce pour quoi nous sommes venus ?
— Nous avions justement terminé. J'ai besoin de ta signature sur ce document.
Drago se pencha et signa le parchemin que Potter avait placé devant lui. Le mouvement lui occasionna une douleur fulgurante qu'il ne put camoufler. Il ferma un instant les yeux et se rassit dans le fond de sa chaise trop dure.
— La procédure est enclenchée. Je vais sûrement avoir besoin de revoir Scorpius et toi aussi.
— Tu n'auras qu'à nous convoquer.
— Je peux venir chez vous, si c'est mieux pour toi.
— Comme tu voudras, Potter.
Potter se leva et Drago fit de même en serrant la mâchoire à s'en briser les dents. Il tendit sa main, Drago la prit brièvement.
— Merci, monsieur… murmura Scorpius.
— Ne me remercie pas, mon grand, c'est mon travail.
Drago fit un signe de tête et sortit du périmètre de confidentialité, Scorpius sur les talons.
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Drago était assoupi sur le canapé du petit salon quand Miru vint l'informer qu'il y avait un visiteur à la grille du Manoir.
— Monsieur Harry Potter veut vous voir, Maître Malefoy.
— Laisse-moi cinq minutes, le temps de me réveiller. Et fais-le venir ici. Je veux bien du thé et des biscuits, s'il te plaît.
Miru s'inclina et disparut dans un pop bruyant. Drago se rassit avec difficulté et passa une main dans ses cheveux pour les discipliner. Puis il lissa ses robes, il ne voulait pas avoir l'air de sortir de son lit.
Pour se donner contenance, Drago attrapa le journal et il se déplaça dans un fauteuil de l'autre côté de la pièce, proche de la cheminée. Puis il avala une potion supplémentaire pour ne pas souffrir pendant la visite de Potter, même si l'heure n'était pas encore arrivée. Quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit sur l'elfe de maison qui faisait léviter un plateau, Potter à sa suite, en uniforme d'Auror.
— Bonjour Malefoy. Désolé de te déranger, mais j'ai pensé que ce serait mieux ici qu'au Bureau.
— Potter. Scorpius est retourné à Poudlard hier, tu es venu pour rien.
Drago désigna cependant d'une main le deuxième fauteuil, il ne voulait pas paraître inhospitalier.
— Je te sers un thé ?
— Je veux bien, merci, répondit Potter en s'asseyant.
Il tenait une pochette cartonnée rigide qu'il posa sur ses genoux.
— Je suis venu pour te parler, pas pour voir Scorpius.
Drago tendit une tasse à Potter. Il avait encore ce regard gentil et aimable, cet air sérieux et concerné. Drago trouvait cela agaçant.
— Que veux-tu savoir ?
— J'ai ressorti la première plainte et j'ai remis les choses dans le contexte que ton fils a décrit l'autre jour. Je pense que c'est bien plus grave que ça n'en a l'air. Il se passe quoi pour Scorpius à Poudlard, Malefoy ?
— Albus ne t'en a jamais parlé ? s'étonna Drago.
— Je sais que Scorpius n'est pas apprécié, mais Albus n'a jamais voulu me raconter quoi que ce soit. Je crois qu'ils se sont entendus pour ne pas en parler aux adultes. Mais j'ai l'espoir que Scorpius t'ait dit des choses quand même.
Drago hocha la tête et réfléchit un instant. Il but une gorgée de son thé puis il commença à parler. Il raconta les bleus, les coups, les insultes, les brimades, le vol et la destruction de ses affaires… Le calvaire que Scorpius vivait depuis le premier jour, parce qu'il s'appelait Malefoy et qu'il avait le malheur de ressembler à Drago, de ressembler à ses ancêtres. Il raconta ce qu'il savait et il se doutait que Scorpius ne lui avait jamais tout relaté. L'idée même lui brisait le cœur. Il ne se passait pas une journée sans qu'il pense à son fils, là-bas à l'école. Loin de lui et proche de ses harceleurs.
Le visage de Potter s'était fermé au fur et à mesure du récit de Drago. Ses mains s'étaient crispées sur la tasse de porcelaine et ses yeux s'étaient animés d'une colère froide qu'il connaissait bien. Une colère qu'il avait vue à de multiples reprises et qui lui avait été souvent destinée. À raison. Cependant, cette fois, cette colère était dirigée contre ces enfants qui maltraitaient Scorpius et cela toucha Drago. Il ne pensait pas Potter insensible, mais sa réaction le rendait plus appréciable à ses yeux.
— C'est bien ce que je pensais… conclut Potter gravement en reposant sa tasse de thé à peine entamée. Il faudra que je revoie Scorpius.
— Il rentre tous les week-ends en général.
— Est-ce que tu serais d'accord pour étendre ta plainte à d'autres évènements que tu viens de me dire ? Je pense que ça appuierait le dossier auprès du Magenmagot.
— S'il le veut bien alors je le ferai. Merci, Potter.
— C'est normal. Putain, je suis vraiment atterré par ce que tu m'as raconté…
— Merci de m'avoir cru.
Potter haussa un sourcil avec un air surpris.
— Je vois pas pourquoi je te croirais pas ! Bon… je vais y aller. Merci pour le thé.
Il se leva et Drago l'imita en se préparant à une douleur intense dans le côté. Il le raccompagna jusqu'à la porte du Manoir en silence, leurs pieds foulant les épais tapis ouvragés avec un bruit assourdi.
Miru tendit sa cape à Potter qui l'enfila d'un geste presque gracieux, couvrant son élégant uniforme d'Auror, puis l'elfe ouvrit la porte en s'inclinant. Un vent glacial et quelques flocons pénétrèrent dans le hall et Drago frissonna.
— Je reviendrai samedi pour parler avec Scorpius. Je peux amener Albus pour qu'ils se voient après ?
— Avec plaisir.
Potter lui sourit puis s'avança sous la neige fondue qui tombait paresseusement sur le parc du Manoir. Drago le regarda s'éloigner en grelottant de froid dans l'air de l'hiver, sans réussir à fermer la porte, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas. Il attendit que Potter ait passé les grilles et ait transplané pour retourner au chaud.
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Les garçons montèrent dans la chambre de Scorpius, tout excités de pouvoir se voir en dehors de l'école. Scorpius avait passé plus d'une heure à parler avec Potter pendant que Drago tenait compagnie au jeune Albus. Il lui avait demandé de l'aide pour préparer un pain d'épices. Cela devenait rare, mais Drago aimait faire de la pâtisserie. Les années passant et les douleurs s'installant, il ne s'y adonnait plus. Mais ce jour-là, Drago n'avait pas trop mal. Depuis quelques jours, il avait augmenté la fréquence de ses potions antidouleurs, et même si cela lui embrouillait l'esprit et lui donnait des cauchemars, cela valait le coup pour ne plus souffrir trop. Par ailleurs, il avait laissé Albus faire la plus grosse partie du travail manuel. Drago pâtissait comme un moldu : sans la magie. Simplement pour le plaisir de le faire lui-même, comme lorsqu'il préparait encore des potions.
— Ça sent bon ici, déclara Potter qui venait d'être amené dans la cuisine par Miru.
— C'est du pain d'épices. Il faut attendre que ça refroidisse, sinon je t'en aurais donné un morceau.
— Merci quand même.
Drago versa un vin chaud aux épices dans deux mugs et en tendit un à Potter. Ce dernier s'installa sur l'un des tabourets du bar qui séparaient la cuisine de la salle à manger et le remercia d'un geste de la tête. Il avait encore ce sourire aimable qu'il avait arboré en repartant la dernière fois. Drago trouva que ça éclairait son visage et le rendait beau. Il se demanda soudain comment serait Potter dans un autre contexte, les traits déformés par la jouissance et les mains couvertes du sang de Drago. Puis il se tança mentalement pour avoir de pareilles pensées, il ne comprenait pas d'où ça venait.
— Ça a été ? questionna-t-il d'une voix peu assurée.
— Je sais pas s'il m'a tout dit, mais c'est édifiant… Je pense que ça sera utile pour la plainte, vraiment.
— Tant mieux…
Drago but un peu de son vin chaud pour s'occuper les mains. Cela n'occupa malheureusement pas son esprit qui se focalisait sur l'homme assis dans sa cuisine. Potter s'était déplacé chez lui pour la déposition de Scorpius sur son jour de repos et Drago était touché qu'il prenne sur son temps personnel pour leur plainte. Il ne savait pas s'il se comportait toujours de cette façon, mais c'était appréciable de se sentir considéré.
Un silence inconfortable s'installa et Drago fixa son mug, gêné par ses pensées intrusives qui ne voulaient pas s'en aller. Potter se racla la gorge et but son vin chaud avec de petits bruits de déglutition.
— Je vais y aller… Faut que je mette au propre la déposition de Scorpius. Tu me renvoies Al' par cheminette ce soir ?
— Oui bien sûr. Merci.
— Pas de problème. Je passerai la semaine prochaine pour te faire signer les papiers.
Drago posa son mug et ramena Potter à la porte cette fois encore. Puis il le regarda s'éloigner de nouveau. La cape de Potter se balançait à chacun de ses pas et ses cheveux noirs étaient ébouriffés par le vent. Il les imagina teintés d'un rouge vermillon par une main passée dedans dans un moment intime. Il frissonna et il n'était pas certain que c'était entièrement dû au froid.
Cette nuit-là, les rêves de Drago furent peuplés d'Aurors en uniforme aux cheveux de jais et aux yeux brillants comme des émeraudes qui l'écoutaient avec un air aimable et un sourire étincelant. Des microcoupures sur des bras pâles dont l'un arborait une tête de mort et du sang qui gouttait sur une peau plus mate. Et pour la première fois depuis le décès d'Astoria, Drago se réveilla avec une érection qu'il eut bien des difficultés à faire passer sans se toucher.
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Dans les semaines qui suivirent la signature de Drago, ce dernier n'eut pas de nouvelles de Potter ni du Magenmagot. L'Auror lui avait dit que cela pourrait être long, mais Drago s'impatientait. Scorpius rentrait tous les week-ends, mais ne demandait rien à son père. Drago avait l'impression qu'il préférait ne pas en parler.
Drago s'occupait comme il pouvait et s'était remis à cuisiner. Il y avait désormais du pain d'épices et du vin chaud en permanence, embaumant les couloirs vides du Manoir de leurs fragrances douces et sucrées. Cette odeur lui faisait penser à Potter et il ne pouvait se le sortir de la tête. Il entendait sa voix le complimenter sur ce qu'il avait préparé malgré une insoutenable douleur dans son côté gauche, il imaginait cette même voix le féliciter sur d'autres choses.
La voix grave de Potter l'accompagnait toute la journée, disséminant des encouragements et des louanges sur la façon dont Drago était vêtu, sa démarche dans les couloirs de son immense maison, comment il se déshabillait le soir venu. Drago détestait ça. Ces mots le faisaient frissonner d'horreur alors qu'il revivait les susurrements du Seigneur des Ténèbres qui avaient habité ces mêmes couloirs pendant des mois, complimentant ses fidèles, encourageant Nagini à dévorer ceux qui l'avaient déçu. Et pourtant, à chaque réminiscence de la voix de Potter dans ses pensées, Drago se mettait à bander.
La voix de Potter, ses mains disgracieuses, son sourire penché hantaient ses nuits. Drago se réveillait presque chaque matin en haletant, le corps tendu et douloureux, les draps parfois poisseux d'une jouissance nocturne involontaire. Des bribes de rêves accompagnaient son retour à la conscience et il vérifiait avec angoisse si son lit n'était pas imbibé de son sang. Il inspectait fiévreusement sa peau sur laquelle il cherchait les traces des coupures qui dégoulinaient sur le corps de Potter pour mieux lubrifier leurs ébats imaginaires.
Chaque matin, Drago se levait avec une nausée plus forte que le jour précédent et après trois semaines, déposa une bassine au pied de son lit pour éviter de souiller une fois de plus le tapis de laine de mouton.
Les semaines se transformèrent en mois et la vie de Drago devint une sorte de cauchemar éveillé. Il était dans une attente tendue toute la journée, il s'occupait en cuisinant pour une famille complète et jetait les restes chaque soir en pestant sur l'absence de son fils et de son amant. Les douleurs étaient si insupportables qu'il avait encore augmenté la fréquence de ses potions. Son esprit n'était jamais vraiment clair et ses nuits étaient horribles, peuplées de cauchemars érotiques dont il s'éveillait épuisé et malade.
Des cicatrices fines décoraient désormais son bras droit, vestiges des blessures qu'il s'infligeait sous la douche, il était fasciné par l'écoulement rouge mêlé à l'eau qui tombait en pluie sur son corps. La langue encore lourde de l'acidité des régurgitations matinales, Drago se caressait avec violence, la main pleine de sang, en fermant les yeux pour imaginer d'autres doigts à la place des siens. Il se haïssait et il haïssait Potter et son intrusion dans sa vie.
Par un beau matin du mois de mai, Drago fut réveillé d'une sieste par Miru. Il s'était assoupi sur une chaise longue au bord de la piscine. Il faisait déjà chaud pour sa saison et il était épuisé, il passait une partie de ses journées à dormir pour rattraper ses nuits, assommé par les potions. Un vin chaud aux épices posé sur la table à côté de lui avait refroidi pendant son sommeil et il renvoya la tasse avec son elfe.
Drago se redressa et remit de l'ordre dans ses vêtements, passa une main dans ses cheveux avant de se rappeler qu'il n'avait plus besoin de le faire. Il n'avait plus des mèches folles en se réveillant depuis qu'il les avait coupés très court une semaine plus tôt. Il avait complètement craqué en se regardant dans le miroir, constatant une fois de plus l'œuvre du temps sur sa calvitie naissante.
Il vit Potter s'approcher d'une démarche souple, son uniforme d'Auror flottant autour de ses jambes à chaque pas. Une brusque bouffée de chaleur traversa Drago et il repoussa avec précipitation sur ses bras les manches qu'il avait remontées quelques heures avant. Une sourde colère s'empara de lui alors que Potter s'installait sur l'autre chaise longue avec un léger sourire penché. Il était insupportable à avoir l'air aussi aimable !
— Salut Malefoy. J'espère que je te dérange pas.
— Non, non, grommela Drago.
— Je suis venu te dire que la plainte a été prise en compte. On a interrogé les accusés et le Magenmagot a décidé d'une date de procès.
— Quand ?
— Le dix août.
Le soulagement balaya brièvement la colère qui faisait trembler Drago sans qu'il en comprenne la raison. Il pensa à Scorpius et aux quelques semaines qui lui restaient avant la fin de sa scolarité. Ses harceleurs n'auraient même pas le temps d'être punis que Scorpius aurait déjà disparu de leur vie.
— Tu t'es déplacé juste pour ça ?
Potter eut l'air blessé puis ses sourcils se froncèrent.
— Je voulais simplement être sympa ! Qu'est-ce qui te prend, Malefoy ?
— Rien.
Drago détourna la tête. Regarder Potter était trop douloureux. Les innombrables rêves nocturnes et ses pensées impures le frappaient durement lorsqu'il posait ses yeux sur son visage, sur ses iris trop verts derrière ses affreuses lunettes. L'envie de se couper le bras et de laisser le sang couler sur lui était insupportable. Il avait la tête qui tournait et une nausée remonta le long de sa gorge. Il ferma les paupières et serra les dents.
— Ça va Malefoy ? T'es tout pâle… T'as toujours des douleurs ?
Drago hocha la tête en silence sans le regarder. Il entendit un soupir. Du soulagement ? De la pitié ? La colère refit surface avec violence. De quel droit se permettait-il de ressentir ce genre de choses alors qu'il l'avait laissé sans nouvelles pendant des mois ‽ Qu'il n'était plus venu le voir alors que Drago se languissait de la maigre gentillesse dont il avait preuve à son égard ‽ Qu'il était le premier être humain depuis deux ans à lui sourire vraiment ‽
— Tu n'es pas venu… murmura Drago d'une voix rauque.
— Quoi ?
— Tu n'es pas revenu ! cria alors Drago en fixant son regard droit dans celui de Potter. Tu m'as fait signer ces putains de papiers et tu m'as oublié ! Tu n'es pas revenu me voir !
Le choc sur le visage de Potter ébranla Drago. L'Auror se leva et Drago en fit de même en grimaçant de douleur.
— J'avais pas de raison de revenir, Malefoy. Je suis déjà bien gentil de me déplacer pour t'éviter de venir au Bureau !
— Si ça te coûtait, il ne fallait pas le faire en premier lieu !
— Mais qu'est-ce que t'es con ! J'ai bien vu la première fois que tu allais pas bien, je suis pas aveugle ! Et je voulais faciliter les choses pour Scorpius, je savais qu'il serait plus à l'aise chez lui qu'au Ministère.
— Alors tu l'as fait pour Scorpius ?
— Oui. Pour toi aussi. Je suis pas un connard insensible, moi !
— C'est bon, tu as fini ? Si oui, tu peux quitter ma maison, Potter.
Des éclairs de fureurs dans les yeux, Potter se détourna et repartit en marchant vite. Drago se rassit, étourdi, nauséeux. Il ferma les paupières alors qu'une violente douleur lui transperçait le bras gauche. Haletant, il posa une main sur son ventre et se pencha pour vomir.
Il s'écarta de la flaque et s'allongea, des larmes brûlantes lui couvrant les jours. Il chercha d'une main tremblante une potion dans sa poche sans la trouver et hoqueta. La douleur était insupportable et remontait dans son épaule, dans tout son côté gauche. Drago serra les dents pour s'empêcher de crier.
Les vagues de souffrance pulsaient dans son corps qui s'arquait violemment sur la chaise longue, laissant son souffle court et son esprit embrouillé.
Son agonie dura une éternité.
Puis tout devint noir.
