L'après-match du côté de Scorpius et Dorian…

Dorian aperçut son père, assis dans les tribunes, la tête dans ses mains et le dos voûté. Il soupira, et monta les marches. Il tapait presque des pieds pour annoncer son arrivée.
Théodore Nott leva les yeux vers son fils et se leva pour aller à sa rencontre. Ni l'un ni l'autre ne firent de geste pour s'étreindre, se contentant d'un bref hochement de tête et d'un sourire hésitant et rapide de la part de Dorian.

"Ça fait longtemps", dit Théodore en posant une main sur l'épaule de son fils. "Tu as grandi."

"Qu'en sais-tu?"pensa Dorian, mais il acquiesça, tournant légèrement la tête en espérant que Drago viendrait les rejoindre. Mais celui-ci parlait avec Daphné Greengrass et Scorpius. Il ne regardait pas de leur côté.

Son père continua :

« Tu n'as pas répondu à mes lettres.

- J'ai répondu, au début.

Son père le lâcha et recula légèrement.

- Tu as réfléchi à ma proposition. J'aimerais…

- Tu as vu le match?» interrompit Dorian.

Il n'avait pas envie de discuter des lettres maintenant. Il avait l'impression de rencontrer un étranger qui lui demandait de vivre chez lui. De quoi vriller un estomac. Il connaissait mal l'homme et refusait de répondre à ses questions pour le moment.

Théodore sentit son recul, il ne pouvait en être autrement, mais à l'inspiration sèche qu'il prit, Dorian comprit que le changement de conversation n'était pas du goût de son père.

- Je t'ai vu jouer pour les Gryffondors. Tu aurais pu me dire toi-même que tu étais dans leur maison. Tu sais comment je l'ai appris ?

- Drago te l'a dit, dit Dorian d'un ton sans culpabilité.

Théodore leva le menton, ses yeux s'assombrirent et il pinça les lèvres en une colère silencieuse.
- Et tu trouves cela normal ?

Le ton était plus calme que son apparence outrée ne l'aurait suggéré. Dorian haussa les épaules.

" C'est lui qui t'a donné de mes nouvelles les six années que nous avons passées au château chez les moldus. Je ne pensais pas que les choses changeraient maintenant que je suis à Poudlard."

Nott encaissa les paroles de son fils sans mot et sans que ses yeux ne trahissent un malaise. Tout cela ne le touchait pas, Dorian en était sûr. Seules les apparences comptaient.

Le père s'assit et fit signe à son fils d'en faire de même, en désignant un siège près de lui. Dorian prit un siège plus éloigné et Théodore fit mine de l'ignorer.

"Le choix d'une maison est très important chez les sorciers", commença-t-il doucement, en regardant son fils dans les yeux. "Tu dois le savoir ?"

"Oh pitié ! Personne ne s'inquiète de ce genre de chose. Ma maison ne détermine pas mon avenir, c'est une école, tout le monde se fout de ce qui s'y est passé quand on sort de là !"

" Toute ma famille est passée par Serpentard !" grinça Théodore. Il serra le chapeau qu'il tenait sur ses genoux, le tordant comme un chiffon. Son visage perdit son calme et ses yeux s'affolèrent. Le brin de folie à nouveau, se dit Dorian. "Chez nous, tout cela est d'une grande importance, c'est la tradition !"

" Chez nous ?Tu veux dire chez les Sang-Purs intégristes et bigots ? Parce que je ne me reconnais pas du tout là-dedans."

"Tu vas rendre ton grand-père malade avec tout ça", souffla Nott.
Dorian sentit la colère s'insinuer dans son corps. Il se rappelait trop la cellule sombre que ses dessins d'enfants accrochés au mur n'arrivaient pas à égayer. Il se souvenait du personnage qui y déambulait, toujours plus fragile.

"Il est déjà malade, et il est même mourant ! Et si je peux lui donner le coup de grâce, j'en serais heureux. Même lui préférerait mourir que de pourrir encore une année dans sa cellule et il se fout bien de mon équipe à Poudlard."

"C'est ce que tu crois ! Jetez l'opprobre sur notre famille…"

"Vieux fou. C'est moi qui fais honte à cette famille ? Non, mais tu t'es regardé ? Ta chemise est froissée, ton manteau n'a plus de forme et ton pantalon est élimé. Tu devrais aller chez le tailleur ou même chez un coiffeur. Mais avoue-le, père, l'argent manque ! Ton château est pratiquement vide et sans elf de maison, il croule sous le poids de la poussière. Nos possessions ont été vendues pour payer les « dettes de guerre », voilà ce qui te met tellement en colère aujourd'hui. À l'époque, tout cela t'était indifférent. Tu te fichais bien de la guerre et tu faisais partie de ces serpentards qui ont fui Poudlard avant la bataille. Vous n'avez jamais eu à respirer votre propre merde."

"Parle autrement, mon garçon!"

"Drago a compris à quel point son rêve était pourri le jour où Voldemort s'est trouvé devant lui. Jamais tu n'as eu à remettre tes idées en jugement. Tu t'en es fait un lit dans lequel tu te vautres."

"Ils m'ont pris mon fils!"

Dorian ne sut de qui son père parlait : les Malfoys, les vainqueurs de la guerre qu'ils avaient fuis, les moldus ? Son père le savait-il lui-même ?

"Non, c'est toi qui m'as abandonné."

Théodore baissa la tête, inspirant profondément. Il passa la main sur son visage, insistant sur ses paupières fatiguées. Il ressemblait de plus en plus à un mort en mouvement, un être en sursis. Sa maigreur, son teint gris et terne, ses pommettes saillantes, la peau presque transparente qui entourait les os de ses doigts, un portrait effrayant dans la lumière blanche d'automne. Maintenant Dorian était plus grand que lui, de peu, mais assez pour qu'il le jaugeât sans crainte et ne parvenait pas à s'en priver. Cet homme ne lui inspirait même pas de la pitié.

" Je voudrais qu'on soit une famille", finit-il par dire.

"J'ai une famille."
Son père eut un rire sec et méprisant.

"Tu ne seras jamais l'égal de Scorpius."

"Je ne l'ai jamais voulu", répliqua Dorian, fixant son père avec assurance. "Je ne serais jamais le fils de Drago Malfoy, mais il a eu toutes les attitudes d'un père pour moi. Quelques-unes des rides qui strient son front sont le résultat du souci qu'il se fait pour moi. Les tiennes sont juste le reflet de ton égoïsme et de ta folie. Tu veux la vérité ? Tu as peur de finir seul et tu recherches un fils. Adopte donc un chien. Il te donnera plus que je ne le pourrais jamais."

Quand il vit les épaules de l'homme s'affaisser, Dorian regretta ses mots. Il se souvenait des paroles de Scorpius qui l'enjoignaient à la douceur. Malgré tout, cet homme était son père.

Il expira, et posa avec hésitation la main sur l'épaule de son père, un court instant, un court réconfort.

Il la retira, mais Théodore lui prit la main. Dorian voulut la dégager de l'étreinte, les doigts qui serraient sa main serraient trop fort.

" Passe Noël avec mo"i, implora son père. "Comme une famille. Je peux faire des efforts. Je peux être un père pour toi. Tu dois me donner une chance."

Il aurait voulu dire non, il aurait voulu s'enfuir. Dorian posa le regard sur leurs doigts qui se touchaient et il acquiesça, sans conviction. Car il voulait que son père lâche sa main.
Un peu plus loin, Nicolas Greengrass tirait sur les cheveux de Scorpius et Daphné faisait une mine horrifiée devant le peu de soin dans la coupe du garçon. Elle siffla quelque chose à l'attention de Drago qui repoussa la requête d'un signe négligé de la main. Elle proposait sans doute de couper elle-même les cheveux du garçon. Dorian aurait voulu être avec eux à ce moment-là.


"Par Merlin, quel horreur ! Tu ressembles presque à un garçon !"

Blaise Zabini jaugea Scorpius des pieds à la tête, les bras écartés en une posture indignée devant l'apparence du Malfoy.
Il se tourna brusquement vers Drago.
"Et tu le laisses s'abimer ainsi?"

Zabini portait un manteau de velours noir, à doublure de soie vert émeraude. Ce simple manteau coûtait le prix d'un appartement dans Knightsbridge.

Tailleur hors pair, il avait repris une galerie de prêt-à-porter que sa mère avait créé et gérait en dilettante, plus pour martyriser les employées et jouer les véritables dictatrices que par réel intérêt.

Rapidement, Blaise avait transformé la boutique en un véritable empire de mode et une industrie de couture florissante. Black widow ou Veuve noire - une appellation relative à sa mère qui avait eu sept maris, tous morts dans des circonstances mystérieuses, lui laissant toujours plus de richesse - était devenue une marque de luxe et de qualité en Grande-Bretagne.

Et au grand dam de Drago, Scorpius était une de ses égéries depuis qu'il avait 5 ans.
"Il n'y a que toi qui voulais qu'il reste ambivalent", répliqua Drago. "C'était amusant un temps. Je ne pense pas que Scorpius soit encore intéressé."
"Pourquoi tu dis cela !?"

"Toutes ces histoires de photos, c'était ton idée. Scorpius était d'accord. Mais maintenant, ça suffit. Je veux qu'il ait une adolescence normale."

"Une adolescence normale?" dit Blaise en levant un sourcil dubitatif. "Rappelle-moi comment tu t'appelles?"

Il ignora le roulement des yeux de Drago et continua :

"Je sais que tout était mon idée, mais ces moldus faisaient des prises de vues dans un cottage à deux pas de chez toi! La mode moldue a de plus en plus d'aficionados chez nous. C'était le meilleur moyen de lancer la carrière de Scorpius dès son plus jeune âge et après j'aurais pris le relais!"

"Cela aurait pu attendre quelques années."

"L'âge requis pour poser chez les sorciers est 17 ans. Je n'apprécie pas les moldus, mais ils ont la décence de comprendre que l'âge d'or d'un garçon c'est de 12 à 16 ans et c'est tout. Après ils sont trop hommes! Très tôt, les petites filles sont trop comme les femmes, mais les garçons ne ressemblent pas à des hommes. C'est un genre à part ! Une mine d'or ! Et tu es en train de tout gâcher !"

"Je ne gâche rien, la puberté s'en charge."

Blaise soupira en secouant la tête, l'air réellement navré.

"Au moins, il garde des formes parfaites."

"Ne l'encourage pas là-dedans. On dirait un squelette sur pattes."

"Je vous entends !" intervint enfin Scorpius, signalant aux adultes qu'il se trouvait juste en face d'eux et que le tact serait de mise. "Merci pour ses compliments sur mon poids, papa. Et Blaise, je suis désolé, c'était amusant, mais ça ne m'intéresse plus."

"Mais tout le monde veut être célèbre !" s'indigna Blaise, d'autant plus vexé que Drago souriait en acquiesçant aux paroles de son fils.

Scorpius haussa les épaules.

"Réfléchis mon garçon, tu as un grand potentiel. Je sais que la vie à Poudlard est réconfortante, on a même du mal à imaginer qu'on en partira un jour. Mais quand les grilles se refermeront sur toi, tu seras perdu parmi la foule et tu trouveras un job minable dans une boutique de Diagon Alley ou au Ministère de la Magie."

"Blaise", grinça Drago.

"Et tu découvriras un jour que ta vie n'a pas de sens et que tu aurais pu devenir la célébrité la plus courtisée de cette foutue île."

"Blaise", insista Drago, élevant la voix. Zabini soupira, secouant la tête.

"Et peut-on savoir quelle carrière est si importante pour toi pour que tu abandonnes l'idée de devenir modèle pour mon enseigne ?"

Scorpius mordilla sa lèvre, nerveux, et haussa à nouveau les épaules.

Blaise lâcha une acclamation outrée.

"Tu veux dire que tu repousses mon offre alors que tu n'as aucune idée de ce que tu veux faire après Poudlard !"

"Blaise s'il te plait ! Fiche-lui la paix !"

Sa mère avait parlé. La mère de Scorpius. Le garçon fut surpris qu'elle intervienne. Il fut même surpris qu'elle ait écouté une conversation le concernant. Sa présence même à ce match était exceptionnelle

"Que dire ? …" finit par dire Blaise, visiblement intimidé par la femme grande et svelte qui se dressait derrière son fils. "Ma porte est toujours ouverte !"

"Viens avec moi", dit sa mère, en le précédent dans les escaliers des tribunes. "On va faire quelque chose pour ses cheveux."

Scorpius hésita et il finit par suivre Astoria en bas des tribunes.

Arrivé aux vestiaires, Scorpius hésita encore. Il se retrouvait rarement seul avec sa mère. Il n'arrivait même pas à se rappeler quand cela était arrivé pour la dernière fois.
L'indifférence, la froideur d'Astoria l'avaient toujours inquiété. Il se demandait presque si son appréhension envers le sexe opposé ne lui était pas venue de cette femme. Douceur et prévenance n'avaient jamais été son modèle féminin.

"Assis-toi",dit-elle en désignant le banc central.

"Tu as des ciseaux sur toi ?"

"Des petits ciseaux de couture. Ainsi que des fils, des aiguilles, tout pour des reprises rapides."

"Ils sont minuscules ces ciseaux", dit-il à la vue de la petite paire (en or bien sûr) que sa mère sortit de son sac à main.

"Puisqu'il faut seulement égaliser, ce sera parfait." Astoria se plaça derrière lui, passant ses longs doigts fins dans ses cheveux. "C'est du grand n'importe quoi."

"Je n'avais pas l'intention de faire une coupe élaborée", répliqua Scorpius sèchement.

"Non, puisque tu l'as fait sous le coup de la colère."

Scorpius se contracta et Astoria continua :

"Ou de la tristesse ou de la frustration. Tout sauf consciemment. J'essaie de garder une certaine longueur tout de même. Aux épaules ça te va ?"

Elle n'attendit pas la réponse et coupa. Les mèches tombaient sur ses épaules. Certaines tombèrent sur ses cuisses et Scorpius les ramassa, les fit rouler dans sa main en une petite boule qu'il jeta le plus loin possible. Il recommença avec les autres cheveux coupés.

"Je ne suis pas une mauvaise mère."

Il cessa de bouger, raidit.

Seul le bruit des ciseaux résonnait dans la pièce et Scorpius ne dit rien.

Astoria continua d'une voix anormalement douce :
"Je ne suis simplement pas «mère». Je n'ai pas l'instinct. Et toi, tu n'as jamais été un enfant normal. Trop intelligent, pas défini. Tu ne tenais pas ton rôle et je ne tenais pas le mien. C'est aussi simple que cela. Je me sens plus à l'aise depuis que tu grandis. Tu demandes moins d'attention. Et pourtant depuis que tu es parti... je m'inquiète ».

Sa voix baissa, jusqu'à devenir un murmure. « Oui, je m'inquiète. »

Elle passa devant lui. Elle joua un instant avec sa mèche qu'elle mit sur le côté et souffla sur son visage pour enlever les derniers cheveux coupés. Presque une attitude de mère.

"Cela fera l'affaire".

Le garçon fit tomber les cheveux de son pull et de son pantalon.

"Scorpius." Il se tourna vers sa mère qui remettait ses gants de velours mauve. "Ce que je voulais dire, c'est que je suis là. Si tu as besoin de moi."

Scorpius acquiesça. Il tint la porte pour que sa mère sorte et prit sa suite. Avant qu'il ait pu la fermer, Astoria fit volteface, pointant un doigt ganté sur la poitrine de son fils.

"Une dernière chose. Laisse-toi encore tomber dans le vide comme tu l'as fait, et tu auras deux morts à déplorer, celle de ton père dont le cœur aura lâché et la tienne quand je t'aurais étripé. C'est clair ?"

"Très clair", dit-il, la voix serrée.

Scorpius se demanda comment sa propre mère voulait lui donner de telles sueurs froides. Mais il y avait quelque chose chez elle dont il ne pouvait s'empêcher d'être fier.

Fin du Chapitre 20