Le silence les enveloppait, et aucun d'eux ne semblait vouloir le rompre. James n'avait pas bougé, les pieds cimentés dans le sol, le regard vague. Albus était assis sur le lit, la tête dans les mains, ses doigts crispés dans ses cheveux. James finit par soupirer, engourdi par le silence et son immobilité, et s'apprêta à sortir de la pièce.

« Alors ça… » La voix de son frère l'arrêta.

Albus releva la tête et continua :

« Je crois que c'est la première fois de ma vie que je te vois fuir.

— Je ne fuis pas, répliqua James avec fermeté en se tournant vers lui. »

Le garçon acquiesça, un sourire triste, las, sur ses lèvres. Ses yeux étaient rougis et humides.

« Oui, bien sûr, commença-t-il en joignant ses mains dont il tordit nerveusement les doigts. Pourquoi tu fuirais ? Tu n'as rien fait de mal, n'est-ce pas ? »

L'ironie dans sa voix était palpable, et James contracta ses lèvres, inspirant profondément.

« C'est vrai ? demanda Albus.

— Quoi ?

— Ce qu'a dit Finnigan, c'est vrai ? » Il ne regardait plus son frère. Il frottait ses mains comme si ce geste lui permettait de conserver son calme. « Tu as demandé aux Gryffondors de laisser Dorian et Scorpius tranquilles ?

— Oui. »

Sa voix n'avait pas tremblé, elle était égale, sans émotion, effroyablement vide de sentiment.

« Pourquoi ?

James claqua sa langue, énervé, et inspira avant de répondre :

— Tu as très bien compris pourquoi, Albus, arrête de jouer à l'imbécile.

— Non. »

Le garçon se leva et se posta devant son frère. Il se rendit compte qu'il avait grandi et que James le dépassait à peine maintenant. Il pouvait le regarder face à face, sans lever la tête.

« Non, je veux t'entendre le dire. Je suis peut-être con… Parce que je suis persuadé que mon frère, le type avec qui j'ai grandi et qui a été mon modèle depuis ma naissance, n'aurait jamais fait une chose pareille. »

James rit silencieusement, méprisant :

« Je ne suis peut-être pas aussi parfait que tu le penses.

— Là-dessus, on est d'accord. » Il ignora le flash mélancolique qu'il aperçut quand James détourna les yeux. Amer, il insista :

« James !

— Tu ne peux pas comprendre. » La voix était sèche, ses yeux brûlaient d'une flamme sombre. « Malfoy sait pourquoi. J'ai mes raisons. »

Un rictus triste se forma sur le bord de ses lèvres.

« C'est fini, de toute façon.

— Depuis quand ?

— Ce soir.

— Alors je suis arrivé sur un baiser d'adieu ? Si j'étais arrivé plus tôt, j'aurais vu quoi ? »

À nouveau, ce sourire mauvais.

« C'est une question rhétorique ou tu veux vraiment que je te dise sur quel lit on l'a fait ? »

Albus grimaça, un frisson de dégoût le secoua, mais un étrange calme froid l'engourdissait.

« Je savais qu'il voyait quelqu'un, dit-il doucement. Avant même qu'il ne me le dise clairement, je le savais. Il me disait que la situation était compliquée, qu'il ne pouvait rien me dire. Je ne pensais pas qu'une situation compliquée, c'était toi qui l'obligeais à… »

Sa voix s'étrangla.

« Ce n'est pas aussi glauque que ça en a l'air,» objecta James.
La colère enflait en lui, comme si le jugement d'Albus lui était inutile. Il n'avait rien à lui dire.

« Ah ouais ? Alors, explique-moi comment ça a pu arriver ?

James soupira, passant sa main sur ses yeux puis dans ses cheveux bruns :

— Je l'ai croisé dans un couloir, dit-il en haussant les épaules. »

Albus leva les sourcils, l'enjoignant à poursuivre.

« Il cherchait la tour des Gryffondors. Il voulait voir Nott. Il s'était battu dans son dortoir et McLaggan et deux autres Gryffondors l'avaient amoché. Je lui ai dit que s'il ne voulait plus que ça arrive, il devait se laisser faire… »

Sa voix devint un murmure.

« Je lui ai donné le choix.

— Dorian… c'est arrivé le premier jour de classe, ça ? Tu lui as fait du chantage ?

— Il aurait pu dire non. »

Albus cogna. Une pulsion. Son poing s'écrasa sur la mâchoire de son frère, la lèvre se brisa contre les dents. James porta la main à sa bouche et le sang coula entre ses doigts. Albus tremblait de tout son corps, le poing serré, sans se soucier de la douleur de ses jointures abîmées par le coup. Il regardait son frère, la respiration haletante, ses yeux emplis de larmes de colère.

« T'en as rêvé, hein ? dit-il, la voix brisée. Depuis le début, t'as eu envie que quelqu'un te tabasse. Tu es fier de toi ? Sérieusement ?

James retira sa main, le sang coula sur son menton.

— Fier, non… dit-il en crachant du sang sur le sol. Mais je ne regrette pas. »

Albus flancha et abattit à nouveau son poing sur son frère, mais celui-ci réagit plus vite et lui assena un coup dans le ventre. Albus cria, entourant son corps de ses bras, et ses jambes cédèrent. James le rattrapa avant que ses genoux touchent le sol et l'accompagna dans sa chute jusqu'à terre. Il le serrait contre lui.

« Arrête de cogner, lui murmura-t-il, le front enfoui dans ses cheveux noirs. Je suis encore plus fort que toi. »

Albus reprenait enfin son souffle alors que la douleur s'estompait. Les bras de James le serraient fort. Un liquide coulait dans son cou, et se redressant, il vit que la lèvre de James saignait sur lui. Il repoussa son frère, passa la main sur sa nuque et essuya le sang sur son pantalon. Il se recula et s'assit contre un coffre au pied d'un lit. James ne bougeait pas.

Albus frotta son estomac, lançant un regard noir à son frère.

« Tu ne peux pas t'en sortir comme ça, ça porte un nom, ce que tu as fait. »

En un éclair, James était sur lui et l'attrapa par le col, le souleva et le rejeta contre le lit, comme s'il ne pesait aucun poids, ce qui effraya presque le garçon :

— Ah ouais ? Alors, parle ! s'exclama James. Va voir nos parents, dis-leur ce qu'il s'est passé, va aussi voir les journaux, et n'hésite pas à prévenir les Malfoy sur ton passage. Je suis sûr que Scorpius te sera reconnaissant de crier sur tous les toits que je l'ai forcé à écarter les jambes pendant deux mois. »

Albus ouvrit les lèvres pour répliquer, mais il se sentait impuissant. Évidemment, Scorpius ne lui pardonnerait jamais s'il parlait de ce qu'il s'était passé.

« Ça t'arrange bien… murmura-t-il, honteux de ne pouvoir faire quoi que ce soit. Qu'il veuille que personne ne le sache.

James détourna les yeux, mordillant sa lèvre. Il serrait les poings.

— Aucun de nous deux n'est fier de ce qu'il s'est passé, crois-moi. »

Albus rit sans conviction, mais ne répondit rien. Tout cela lui semblait irréel. Depuis des mois, il vivait dans un mensonge. Tous les moments qu'il avait partagés avec Scorpius, tous ces instants lui semblaient une sinistre farce, une hallucination. On lui avait caché une double vie, et il se sentait trahi, écœuré et floué par son propre frère.

Et Scorpius…
Albus sentit sa gorge se serrer et son cœur se contracter. Un dégoût de lui-même, de n'avoir pas su interpréter les regards et les refus du garçon à son égard. Il y avait forcément eu des moments où Malfoy avait pensé à James alors qu'il était avec Albus. C'était son frère, son propre frère qui le touchait, qui l'obligeait à le rejoindre. Comme il s'était trompé, alors qu'il avait attribué dans les silences de Scorpius le désir de l'éloigner, de lui échapper. Il ne pouvait simplement pas parler. Et Albus l'avait rejeté pour cela, il l'avait haï pour cela.

La voix de James le tira de sa torpeur.

« Je te demande pardon. »

Le garçon scrutait James, sans parvenir à comprendre pourquoi il avait prononcé ces mots. Il secoua la tête.

« Ce n'est pas à moi que tu dois demander pardon, murmura-t-il.

— Oh si », James s'appuya contre le bois du baldaquin, les mains dans les poches. « Parce que je savais que tu étais déjà accro. J'ai vu la façon dont tu le regardais. Et Lily m'avait dit que tu collectionnais les photos dans les magazines qui parlaient de lui. Mais à aucun moment, je n'ai pensé à toi, ou à ce que ça te ferait. Je pensais que Scorpius se servait de toi comme d'un autre, et te voir devenir son chien, alors que je t'avais mis en garde, ça m'a bien énervé. »

Il baissa la tête, et sa voix devint un souffle profond.

« Ça m'a même mis très en colère. »

Il se redressa et prit place aux côtés de son frère sur le matelas. Instinctivement, Albus se recula vers la tête du lit. La présence de James le révulsait, et il se rendit compte que cela faisait longtemps maintenant que son frère lui procurait cette sensation, cette ambiguïté intense, entre l'admiration fraternelle qui l'avait animé durant toute son enfance et le ressentiment devant l'homme qu'il était devenu.

« Mais ce n'est plus pareil maintenant, » dit James, les mains jointes, les coudes appuyés sur ses cuisses. Il expira doucement, puis baissa la tête et cligna plusieurs fois des yeux. Albus crut voir ses yeux briller comme s'il se retenait de pleurer, mais il devait se tromper.

« Je vous ai vus, toi et Scorpius, vous dégrader depuis la semaine dernière, et cela a empiré depuis que vous ne vous voyez plus. Et quand il a lâché le balai pour attraper le vif d'or… »

Sa voix s'étrangla. Il secoua la tête, une grimace de colère dénaturant son visage.

« Sors d'ici. Je n'ai pas d'explication à te donner. Et non, tu ne diras rien à personne.

— N'en sois pas si sûr, rétorqua Albus, le menton levé, défiant.

— Tu risquerais de le perdre pour toujours, rien que pour me faire payer ce que j'ai fait ? » James eut un rire triste, inconsolable. « Non, bien sûr que non. Ne feins pas de posséder un courage dont tu ne sais rien. »

Il tapota la jambe du garçon, comme on calme un enfant trop entêté.

« Au fond, tu es comme moi, » dit-il avec lassitude en se levant doucement du lit.

« Tu ne veux pas son bien, tu veux juste l'avoir pour toi. »

Albus tressaillit alors que quelque chose se déchirait dans sa poitrine. Il sentit la colère expirer par tous les pores de sa peau, un bouillon de haine.

James lui tournait le dos, prêt à partir. Tremblant, Albus attrapa le porte-bougie en bronze qui se trouvait sur la table de chevet et l'abattit violemment sur la nuque de son frère. Sous le coup, le garçon poussa un gémissement. Ses jambes cédèrent, et il tomba à genoux. Une douleur lancinante lui traversa le crâne et descendit dans sa colonne vertébrale. Son souffle se coupa, et il hoqueta alors que sa vue se troublait. Ses poumons s'emplirent à nouveau, mais il se sentit défaillir. Il fut sur le point de s'écrouler quand Albus l'attrapa par le bras, le ramenant brusquement vers lui. Leur visage était si proche qu'Albus sentit le souffle de James sur sa joue.

Quand il parla, sa voix était sombre, profonde et menaçante. Un instant, elle sonna étrange et bouleversante à ses propres oreilles.

« Je t'interdis de l'approcher, je t'interdis de lui parler, je t'interdis même de le regarder. Si jamais je te vois poser la main sur lui, James, je n'aurai pas besoin de prévenir qui que ce soit, car c'est toi qui appelleras à l'aide ! »

Les yeux de James cillèrent, et ses lèvres s'entrouvrirent, mais aucun son ne sortit. L'appréhension qui obscurcit son regard fut la seule réponse qu'Albus attendit.

Il le lâcha, méprisant, et sortit du dortoir.

« Si tu as besoin d'aller à l'infirmerie, appelle Finnigan, » dit-il en claquant la porte derrière lui.

Le vent était glacé, et Scorpius se demanda à nouveau pourquoi ils étaient dehors sur les remparts du château en pleine nuit, alors que celui-ci regorgeait de grandes salles chauffées au feu de bois et à la magie.

« J'ai besoin de m'aérer la tête »était la seule phrase que Dorian ait prononcée depuis qu'il avait quitté le dortoir des Gryffondors. Scorpius exécuta à nouveau le sort pour chauffer ses vêtements, car celui-ci s'était évanoui, preuve qu'ils étaient dehors depuis près d'une demi-heure.

Assis sur le mur de pierre, Dorian regardait au loin, comme un guerrier attendant l'arrivée de troupes ennemies qui viendraient assiéger son domaine, le regard sombre, une ride creusée entre les sourcils et la mâchoire serrée.

Scorpius ne supportait plus ce silence.

« Si tu as quelque chose à dire, Dorian, dis-le, qu'on puisse enfin rentrer au chaud ! »

Nott se tourna vers lui. Il ne semblait pas sentir le froid. En pull léger, le vent frappait son visage et sa gorge et soulevait ses cheveux pour révéler la cicatrice qui lui barrait l'œil. Scorpius se rendit compte qu'il était rare de voir ses deux yeux ainsi découverts. Et ces deux pupilles enflammées le scrutaient, sombres et furieuses.

« Y a-t-il eu un seul moment où tu as eu l'intention de m'en parler ? » demanda-t-il enfin à Scorpius.

« Non. »

Malfoy n'avait pas hésité avant de répondre, et Dorian détourna les yeux au moment où un râle de colère fit trembler sa gorge. Il coinça sa langue entre ses dents, comme s'il se retenait de hurler à la lune des paroles que Scorpius n'aurait pas la force d'entendre.

Il aurait voulu s'enfuir, dévaler en courant les escaliers qui les avaient menés aux remparts. Il avait craint cette confrontation, le moment où il devrait s'expliquer et raconter. Il avait prié silencieusement pour que ce moment n'arrive jamais.

« Quand ça a commencé ? »

En entendant la voix de Dorian, il se dit qu'il n'avait pas à répondre. Il pouvait toujours partir. Il pouvait toujours garder le silence sur ce qui s'était passé. Mais son ami ne laisserait pas cela arriver. Il en savait trop. Autant obtempérer.

« Le premier jour de classe.

— Pourquoi ? »

Scorpius grimaça. Il entoura son corps de ses bras, mais ce n'était pas le vent qui le faisait tressaillir.

« Tu n'as pas envie de savoir, Dorian.

— Alors là, tu te goures ! »

Dorian s'approcha soudain de lui, les yeux brillants, le dominant de sa hauteur.

« Je veux savoir. J'aimerais que tu me racontes tout. Mieux encore, j'aurais aimé que tu m'en parles le jour où c'est arrivé. Que tu n'attendes pas deux mois pour que je te surprenne dans un dortoir avec James Potter ! Tu aurais pu m'en parler, et on aurait fait front tous les deux.

— Non Dorian, on était noyés, plaida Scorpius. Le premier jour, tu t'es fait tabasser, et je te connais, tu n'aurais pas pu la fermer et moi non plus. On était seuls !

— Alors ta solution, c'était ça ? » dit-il en montrant d'une main le corps de Scorpius de haut en bas avec dégoût.
Il se détourna, ouvrant et fermant ses poings, secoué par la fureur.

« Je n'arrive même pas à formuler ce que tu faisais avec cet enfoiré ! Rien que d'y penser, j'ai envie de vomir. Mais je sais que tu l'as fait pour moi, et ça me dégoûte ! Tu croyais que je me sentirais comment en apprenant ce que tu faisais ? Putain, je devrais tout dire à ton père… »

Scorpius sentit le sang quitter son visage, et un frisson parcourut tout son corps.

« Quoi ? demanda-t-il faiblement.

« Oui, je devrais tout lui dire ! » répéta Dorian. « Pour Goyle, pour James, même pour ce… pour ce bâtard qui a osé te toucher. Je devrais tout lui dire ! »

Scorpius s'avança vers lui, le menaçant du doigt, tremblant de tout son corps.

« Je t'interdis de faire ça ! Et si tu tiens à moi, si tu tiens à notre amitié, tu abandonneras tout de suite cette idée !

— Notre amitié ? » dit Nott comme s'il crachait le mot, acerbe, la voix marquée par une désillusion acérée. « Tu te fous de ma gueule ? Tu appelles ça une amitié ? Ça fait deux mois que tu te fais sauter dans mon dos pour me protéger et tu voudrais que je la ferme !

— Si tu lui parles, Dorian, » dit Scorpius d'une voix douce et lente, alors que ses yeux s'emplissaient de larmes. « Je te jure que tu ne me reverras plus jamais. »

Dorian ne répondit pas, il regardait son ami, le visage empli de tristesse.

« Toi aussi, t'es bon en chantage… » finit-il par dire, vaincu, en s'asseyant sur le rempart.

Ils restèrent ainsi sans un mot, écoutant le vent hululer entre les fissures de pierre. Puis Dorian eut un rire méprisant alors qu'il levait les yeux vers les étoiles.

« Quoi ? » demanda Scorpius avec appréhension.

Nott se mordilla la lèvre en le regardant avant de répondre :

« Pourquoi est-ce que j'ai pu entrer dans l'équipe des Gryffondors ? »

Un instant, Scorpius ne comprit pas la question et haussa les épaules.

« Parce que tu as réussi les essais, parce que tu es le meilleur.

— C'est vraiment pour ça ? » le coupa Nott. « Où est-ce que tu lui as demandé de me laisser entrer ? »

Irrité, Scorpius fut sur le point de répliquer sur le même ton cinglant, mais il hésita. Il n'était pas certain de sa réponse, car il lui revenait en mémoire une conversation qu'il avait eue dans la Salle sur Demande, alors que les murs étaient rouges et la chaleur étouffante, James à ses côtés dans des draps pourpres.

« Je lui ai... demandé d'être impartial, » dit-il doucement.

Dorian cilla des yeux et les détourna.

« C'était quand ? » demanda-t-il, son regard fixant la pierre.

« Le jour des essais.

— Avant ou après ?

— Quoi ? » hésita Scorpius. Sa voix tremblait maintenant.

« Tu lui as demandé d'être impartial avant ou après qu'il te baise ? » insista Dorian, sans ménagement.

Scorpius grimaça et déglutit péniblement, des larmes emplissaient ses yeux, mais il ne savait pas si c'était la honte ou la colère qui le faisait trembler ainsi.

« Avant, murmura-t-il.

— Et tu as eu sa réponse ?

— Après.

— Putain, Scorpius…

— Tu n'es pas dans l'équipe parce que j'ai couché avec James ! » s'exclama Scorpius, indigné.

« Ah ouais ? Parce que ça y ressemble beaucoup !

— Si tu ne me crois pas, tu peux toujours lui demander, » dit Scorpius en montrant la tour des Gryffondors qu'on apercevait du rempart.

« C'est ça, ironisa Dorian, un sourire mauvais aux lèvres. La prochaine fois que je le vois, je lui éclate la tête.

— Non, tu ne feras pas ça ! J'en ai fini avec James, je n'ai pas envie que tu interviennes.

— Tu vas me dire que ça ne me regarde pas ?

— Exactement !

— Putain, mais tu t'entends ? Tu ne vas pas le défendre !

— Je ne le défends pas !

— Alors, laisse-moi lui donner ce qu'il mérite ! » Sa voix suppliait maintenant, elle se brisait en un murmure. « Il n'avait pas le droit de te faire ça…

— Si tu lui casses la figure, Dorian, ce sera pour soulager ta conscience et non pour moi ! Je n'ai pas besoin que tu interviennes, c'était terminé avant que tu ne rentres dans ce dortoir ! Si vous n'aviez pas passé cette porte, l'affaire serait déjà réglée et nous n'aurions même pas cette conversation.

— Pour soulager ma conscience ? Pour soulager ma conscience ?! » cria Dorian en se levant, fou de rage. « Oui, putain, j'ai besoin de soulager ma conscience ! J'en ai besoin ! Tu me rends dingue ! La prochaine fois, ce sera quoi ? »

Scorpius eut un rire sans joie, méprisant.

« Quelle prochaine fois ? De quoi tu parles ? Ça n'arrivera plus jamais ce genre de chose.

— Qu'est-ce qui n'arrivera plus ? Que tu gardes le silence au lieu d'appeler à l'aide ? Que tu tombes plus bas que terre et que tu me demandes de la fermer et de ne surtout rien faire ? »

Il imita la voix de Malfoy, singeant ses gestes :

« Oh non, ce n'est rien Dorian, un élève m'a tabassé et abandonné dans un couloir, baignant dans mon sang. Mais surtout, ne dis rien. Ça ? Ce n'est rien Dorian, ton capitaine d'équipe me tringle depuis deux mois pour t'éviter de prendre des coups. Mais surtout, ne dis rien. Ça ? Ce n'est rien Dorian, le professeur de transfiguration a voulu me donner un cours particulier ! Mais surtout, ne dis rien ! »

Dorian avait crié les dernières phrases, et maintenant il haletait, désespéré à la vue de Scorpius. Le garçon avait plaqué ses deux mains sur sa bouche et étouffait ses sanglots. Ses épaules se soulevaient par à-coups alors qu'il pleurait. Des larmes roulaient sur ses joues, il hoquetait et serrait davantage ses doigts pour éviter que ses plaintes ne passent ses lèvres.

Dorian courut à lui et le prit dans ses bras.

« Pardon, » murmura-t-il, obligeant le garçon à retirer les mains qui couvraient sa bouche. Scorpius pleura librement, le visage blotti contre sa poitrine, le corps secoué de sanglots, poussant des gémissements à déchirer le cœur.

Nott le serrait très fort, un bras entourant sa taille, son autre main parcourait son dos. Il s'en voulait d'avoir mis le garçon dans cet état, mais c'était aussi ce dont il avait besoin. Ils restèrent longtemps ainsi, jusqu'à ce que les pleurs de Scorpius cessent et que sa respiration se calme. Dorian attendit que les battements de cœur qui animaient la poitrine du garçon se calquent sur les siens, apaisé.

Mais c'est Malfoy qui brisa l'étreinte. Il ne repoussa pas les bras qui l'entouraient, mais il leva son visage rougi et larmoyant vers son ami.

« Tu es injuste, Dorian.

— Bien sûr que je suis injuste, je suis en colère ! » dit-il en caressant les cheveux du garçon. Il posa un baiser sur son front.

Malfoy reposa sa tête contre lui et Dorian continua :

« Comment je peux te faire confiance après ça ? Je ne peux pas avoir peur pour toi sans arrêt, Scorpius. Tu ne sais pas te protéger, et tu ne me laisses pas le faire. Je pourrais te jeter du haut des remparts, ce serait moins dangereux que de te laisser seul avec toi-même !

— Mais maintenant je te parlerai, » murmura Scorpius, la voix étouffée. Il renifla et continua : « La prochaine fois, je te dirai tout.

— La prochaine fois… » Dorian hésita et resserra un peu plus ses bras autour de Malfoy. « Pourquoi tu ne me racontes pas ce qui s'est déjà passé ?

— Tu sais ce qui s'est passé, » dit la voix étouffée.

« … Je ne parle pas de James Potter. »

Il sentit Scorpius se contracter entre ses bras, raide, perdant toute douceur. Il avait cessé de pleurer, et sa respiration était silencieuse, presque éteinte.

Il releva la tête et le regard qui plongea dans celui de Dorian était sombre.

« Tu sais déjà ce qui s'est passé, » dit-il d'une voix monocorde, son visage inexpressif.

« Non. J'ai dû interpréter. Je veux… j'ai besoin que tu me racontes. »

Scorpius le repoussa, les deux mains plaquées sur son torse. Il essuya les larmes, ses yeux et ses joues humides avec les manches de son pull, en reniflant. Il se tourna vers le vide, montant sur les créneaux, son regard fixait l'horizon noir.

Sa gorge se serrait. Il avait encore plus froid maintenant qu'il avait pleuré.

Dorian se plaça à ses côtés, adossé à la pierre. Il regardait Scorpius. Ses yeux étaient rougis par les larmes, mais le reste de son visage était maintenant austère, et un pli cruel se dessinait au coin de sa bouche. La colère donnait une lueur douce dans ses yeux. Nott voyait sa poitrine se soulever et se rabaisser avec un peu plus de force et il savait que Scorpius rassemblait les souvenirs de ce jour et de fait, il se livrait à une lutte intérieure alors qu'il s'obligeait à se remémorer, et à affronter sa propre répulsion et la peur du souvenir.

Cette nuit était si calme, si différente de la souffrance qui animait son corps, qui se propageait comme un poison dans ses veines. Dorian détourna ses yeux de lui, portant lui aussi le regard par-delà les remparts. Il distinguait la forêt interdite, tendit l'oreille pour percevoir le son de créatures de nuit qui s'y terraient, monstres de légende, terrifiants, à quelques pas des portes de Poudlard. Et combien d'autres monstres à visage d'homme se cachaient à l'intérieur même de ses murs.

C'est la voix de Scorpius le sortit de sa contemplation.

«Je ne peux pas te raconter », dit-il alors qu'une unique larme glissait sur sa joue blanche. Il se tourna vers lui. « Mais je peux te montrer. »

Fin du Chapitre 23


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