D'aussi loin qu'il se souvienne, Stiles avait toujours considéré Scott comme un frère et trouvé Jackson horriblement arrogant. Détestable lui semblait d'ailleurs être le terme le plus approprié pour désigner ce sportif de bas étage qui se pensait plus fort que tout le monde. On pouvait même dire que ce côté de lui avait empiré avec son entrée fracassante dans le monde surnaturelle en tant que kanima. Quoiqu'il fallait bien avouer qu'il aidait ceux qui en avaient besoin, peu importe qu'il les apprécie ou pas. Il l'avait d'ailleurs déjà sorti, lui, Stiles Stilinski, de situations bien fâcheuses. Mais il ne l'appréciait pas pour autant.

Et Scott, de son côté, commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs. Stiles, dans un geste agacé, chassa à nouveau cette main qu'il qualifierait de baladeuse de sa cuisse. Non pas qu'il n'était pas friand de contacts – il adorait ça. Mais ceux qu'il considérait comme intimes… Non, juste non. Scott avait depuis un moment déjà, quelques jours, cette attitude on ne peut plus irritante qui avait le don de l'énerver tout autant qu'elle le mettait mal à l'aise.

Parce que Scott était son frère, hein. Pas plus. Il ne serait jamais plus.

Stiles perçut un léger ricanement sur le côté et lança un regard noir à Jackson qui semblait s'amuser de la situation… Sans doute parce qu'il ne la comprenait pas. L'hyperactif l'imaginait fort bien penser que les deux meilleurs amis de toujours avaient une relation et cherchaient à la cacher – ce qui n'était absolument pas le cas. Rien que songer à cette possibilité le répugna. Ainsi, il grimaça et se détourna de Jackson pour… A nouveau éloigner la main de Scott qui, définitivement, l'agaçait. Stiles ne savait pas ce qu'il lui prenait, mais c'était dans ce genre de moments qu'il maudissait son meilleur ami. Et après, c'était lui, Stiles Stilinski, qu'on trouvait bizarre ? Désireux de pouvoir suivre sereinement son cours et de ne pas avoir à faire attention à ses cuisses toutes les trente secondes, l'hyperactif déchira discrètement un bout de sa feuille et lui écrivit ses quatre vérités – de manière à la fois douce et crue. Disons qu'il ne tenait pas à le blesser, mais qu'il ne se laissait pas faire non plus.

Scott le laissa ensuite tranquille tout le reste du cours et Stiles put enfin souffler un coup. S'il y avait bien quelque chose qui l'énervait chez Scott, c'était le fait qu'il arguait le connaître mieux que personne, alors que s'il le connaissait réellement, il n'aurait pas eu ces gestes déplacés – et pas seulement parce qu'ils étaient indécents. Stiles détestait les contacts de ce type, parce qu'il complexait. Il adorait qu'on lui touche l'épaule, le bras, le dos… Parce qu'il s'agissait de gestes normaux, amicaux. Mais il y avait des parties de son corps qui lui donnaient la nausée, au point qu'il était incapable d'envisager se sentir à l'aise avec quelqu'un un jour. Ainsi, il s'évertuait à limiter le peu de relations qu'il avait eues à quelque chose d'extrêmement platonique. Et d'ailleurs, Scott devrait aussi savoir que lorsqu'il disait non à quelque chose, c'était non, point barre. Le latino avait toujours eu ce défaut et ça, Stiles avait beau le lui rappeler, il ne semblait pas en faire cas. Pour preuve, il ne s'excusa pas de son comportement, ne chercha pas non plus à lui parler et tant mieux, parce que Stiles n'était pas d'humeur. Et même si Scott prenait la peine – quel effort ! – de s'excuser, l'hyperactif n'était même pas certain qu'il serait sincère. Un autre défaut du beau et gentil True Alpha ? Son déni. Il avait tendance à penser qu'il faisait toujours tout bien et que ses décisions étaient forcément les bonnes. Si Stiles le trouvait souvent égoïste à ce sujet, il ne le disait pas. Parce qu'à côté, Scott avait de grandes qualités et… Le châtain trouverait inconvenant de le critiquer alors qu'il n'était lui-même pas tout blanc. Pire encore : sa personne était tout autant constellée de défauts que de grains de beauté.

Même s'il ne le critiquait pas ouvertement, Stiles ne cautionnait pas ces gestes un peu trop poussés, dont il lui reparlerait. Evidemment, il connaissait la rengaine : Scott irait lui dire qu'il n'avait aucune arrière-pensée, qu'il se sentait juste parfaitement à l'aise avec lui et que ce n'était pas grave parce qu'ils se connaissaient presque depuis le berceau. C'était un peu comme ces moments-là, dans les vestiaires. Malgré ses nombreux complexes par rapport à son corps, l'hyperactif se douchait en même temps que les autres. Et, forcément, il s'agissait de douches à l'italienne, tout le monde se voyait. S'il faisait l'effort, c'était pour se forcer à travailler sur lui-même. Il n'aimait pas celui qu'il était, tout comme il n'aimait pas la manière dont il se pourrissait la vie avec ses angoisses et complexes. Ainsi, il faisait au mieux pour s'imposer des situations inconfortables pour s'y habituer – sans se rendre compte du fait qu'il ne s'y prenait pas forcément de la bonne manière.

Pour en revenir au problème des douches, Stiles surprenait régulièrement le regard de son meilleur ami sur lui et autant dire qu'il trouvait cela dérangeant. Les premières fois, il n'y avait pas vraiment fait attention, mais à force… C'était pesant. Scott lui avait, au début, dit que tout le monde faisait ça en justifiant ça par la curiosité masculine : chaque jeune homme regardait ses semblables et certains s'amusaient à comparer la taille de leur saucisse, ce qui était pour eux le symbole et la représentation de leur virilité. Stiles trouvait ce concept complètement idiot et redoutait chaque fois un peu plus d'aller se doucher avec son équipe de crosse. Il continuait cependant de faire l'effort, histoire de ne pas attirer l'attention. On savait toujours qui venait ou ne venait pas et Scott, qui prônait pourtant la bienveillance et le droit à la vie privée, ne se gênait pas pour le regarder. Stiles frissonna. Son presque frère était vraiment bizarre.

Néanmoins, il ne l'embêta pas durant tout le reste du cours, ni même les suivants. En fait, pour le dernier de la journée, Stiles fit en sorte de se mettre à côté de Lydia, l'air de rien, histoire de pouvoir suivre tranquillement sans devoir faire attention à de potentiels gestes indésirables. Au bout de quelques minutes, la banshee lui glissa un petit mot sous forme de papier.

« Tu vas t'habiller comment, pour ce soir ? J'ai hâte de voir ce que tu vas mettre ! Il faut que tu brilles. »

Stiles retint un sourire. Elle au moins, elle ne le mettait pas mal à l'aise. Disons que la jeune femme essayait peu à peu de le faire sortir de sa zone de confort, sans jamais forcer le trait. Au courant de ses insécurités et complexes, elle y allait petit à petit afin de le mettre en confiance. Elle était comme ça, Lydia : toujours un peu brute de décoffrage, mais elle avait généralement de bons conseils à donner. Et surtout, elle voulait le pousser à devenir la meilleure version de lui-même… Celle qu'elle sentait derrière ce sourire souvent de façade et ces paroles qui avaient vocation à camoufler ses peurs.

En fait, c'était un peu elle, sa meilleure amie. Disons qu'elle faisait pour lui tout ce que Scott ne faisait pas et Stiles le lui rendait bien : il l'aidait dès qu'elle avait besoin de lui. Bon, il se démenait aussi pour son presque frère, mais… Avec beaucoup moins de bonne volonté qu'autrefois. En fait, il cherchait doucement à commencer à s'éloigner de lui… Tandis que Scott amorçait d'étranges rapprochements. Peut-être Stiles aurait-il dû se réveiller avant…

« Je ne sais pas, j'ai rien d'intéressant. On va essayer de tabler sur quelque chose de potable. »

Il lui rendit le papier discrètement et vit la moue boudeuse qu'esquissa la banshee qui griffonna de nouveaux mots.

« Bon, on va faire simple. Je connais ta garde-robe. Il suffit que tu mettes ton jean gris clair, tu sais, celui qui est un peu serré. Je t'assure qu'il mettra tes fesses en valeur. Pour le haut, tu combines un t-shirt blanc avec une chemise et ce sera super. Les couleurs claires te vont super bien. Alors non, Stiles, tu ne vas pas tabler sur quelque chose de potable. Tu vas être sublime. »

Stiles sourit doucement, la gêne et la timidité peintes sur son visage. Être sublime ? Il n'y croyait pas vraiment, tout simplement parce qu'il n'avait pas le physique adéquat. Ensuite… On en parle, de ses vêtements ? L'hyperactif s'habillait toujours plus ou moins de la même manière, de sorte à dissimuler ce qui, pour lui, était la honte. C'était pour ça qu'il se forçait à se doucher dans les vestiaires avec les autres : pour apprendre à normaliser ses cuisses, ses très légères poignées d'amour, son torse plat, ses bras fins… Mais comment normaliser des choses qu'il était le seul à avoir ? Autour de lui, tout le monde était bien formé et parfois, musclé. Et lui, il était le seul à garder ce qu'il nommait non affectueusement un « corps de lâche ». C'était d'ailleurs pour cela que Stiles n'envisageait absolument de réellement plaire à quelqu'un jour, du moins pas physiquement. On pouvait tomber sous le charme de ce personnage qu'il s'était en quelque sorte créé, mais pas de ce corps qui lui donnait parfois la nausée.

Et on ne pouvait pas dire que les contacts de Scott le mettaient à l'aise avec ce corps qu'il exécrait. Il provoquait même l'inverse : Stiles avait juste envie de rentrer, se doucher et frotter aussi fort qu'il le put, juste pour effacer cette sensation dérangeante sur sa peau pourtant protégée par ses vêtements.

« Mais qu'importe ce que tu mettras, ce qui compte, c'est que tu sois à l'aise. Si tu préfères faire plus dans la discrétion, vas-y. Essaie simplement d'arrêter de te voir comme un indésirable. »

Avait-il déjà dit que Lydia était un ange ? Sans doute ne se le répéterait-il jamais assez. A nouveau, il lui sourit de manière assez timide en écrivant à son tour qu'il allait faire de son mieux. Bon, il ne suivait certes pas son cours dans son intégralité, mais… Dans un sens, il avait besoin de se changer les idées, d'oublier les mains étrangement baladeuses de Scott et…

… Cette soirée meute qui se profilait.

Stiles adorait retrouver son petit clan dans un cadre détendu, il trouvait cela agréable tout simplement parce que cela changeait des fois où chacun risquait sa vie pour faire survivre les autres. Dans leurs vies, rares étaient les moments où ils pouvaient se poser et profiter. Alors, pour une fois qu'aucune menace ne se profilait à l'horizon… La meute avait décidé d'en profiter pour décompresser un peu.

Mais malgré tout, Stiles appréhendait. Il appréhendait parce que ce genre de moments favorisait sa stupide tendance à se comparer aux autres. A lister ses défauts, lister leurs qualités. Parce que ses mauvaises habitudes reprenaient le pas lorsqu'il se détendait, tandis que le travail et l'adrénaline les contenaient. La meute… Ils étaient tous toujours bien habillés sans faire le moindre effort ! Cette injustice avait tendance à paralyser Stiles, à l'empêcher de se laisser complètement aller… Tant et si bien que, très vite, il avait arrêté de boire lors de ces soirées. Disons qu'il avait l'alcool bavard et qu'il était hors de question pour lui d'imposer à ses amis toutes ces vérités qu'il gardait au fond de lui. Enfin, il y avait aussi toutes ces conneries qu'il faisait, pour lesquelles il n'avait pas besoin d'être alcoolisé, pour la simple et bonne raison qu'il était de nature maladroite. L'éthanol faisait simplement grandement ressortir cette facette de lui… Un peu trop, même.

Ainsi, les cours passèrent et se terminèrent. Stiles salua Lydia, n'accorda pas un regard à Scott qui tenta de l'apostropher et s'engouffra dans sa Jeep en pensant qu'il avait bien fait. Ça lui ferait les pieds, à cet alpha qui se croyait tout permis ! Peut-être qu'il comprendrait alors que tout ne lui était pas accordé et que son statut n'était rien de plus… Qu'un nom. Pour les loups, c'était bien plus que ça mais pour lui qui était humain… Cela ne voulait pas dire grand-chose. Stiles détestait les ordres et les attitudes de chefs. Scott était son ami, son « frère », pas son supérieur et ça, il allait falloir qu'il le comprenne. Il n'avait pas à lui imposer les moindres recherches – Stiles décidait de les faire tout seul, ces temps-ci ! – et encore moins de toucher son corps à loisir, d'autant plus que l'hyperactif trouvait cela on ne peut plus malsain. Oui, il faudrait vraiment qu'il mette les choses au clair avec lui et la soirée lui permettrait de le faire dans un contexte agréable et détendu. Plus qu'à espérer que Scott l'écoute pour de bon.

Une fois rentré chez lui, Stiles passa un bon moment à se doucher. Sans doute se frotta-t-il un peu plus fort que nécessaire. S'il fit attention aux traces rouges qu'il laissait sur sa peau blafarde ? Pas vraiment mais de toute manière, elles disparaîtraient d'ici quelques minutes. Ensuite, il noua une serviette autour de sa taille et s'en alla ouvrir la grande armoire dans sa chambre. Stiles n'était pas fier de son corps, mais il appréciait se déplacer ainsi lorsque son père n'était pas là. Disons… Qu'il était à l'aise seul – plus ou moins –, mais que la présence d'autrui le gênait. Noah se trouvant actuellement encore au poste, ça allait.

Stiles esquissa une grimace. S'habiller n'avait jamais été une passion, tout simplement parce qu'il ne s'aimait pas et qu'il ne faisait donc, par conséquent, pas énormément d'efforts lorsqu'il devait renouveler sa garde-robe… Toujours semblable. Son objectif, c'était de pouvoir se déplacer dans des vêtements confortables et éventuellement cacher certaines parties de son corps qui le gênaient. Mais parfois, il lui arrivait de faire des folies. Le pantalon dont lui avait parlé Lydia en faisait partie. Et Stiles hésita. Il hésita parce que… Oui, dans un sens, il aimerait bien se faire plaisir même si dans un sens, il avait peur. Peur de la critique.

Mais Stiles savait qu'il devait passer au-devant de cela.

Alors il se saisit du jean gris clair et suivit le conseil de Lydia, dont il se souvenait parfaitement. Ce soir, il n'allait pas briller, mais il essaierait de sortir partiellement de l'ombre.

Pas à pas.