Isaac poussa la porte du foyer Stilinski avec un air si las qu'il rendait son visage, d'ordinaire extrêmement expressif, presque méconnaissable. Il était fatigué. Quoi de plus normal, à quatre heures du matin, après la journée et la nuit qu'il avait passée? Encore que le plus à plaindre, dans l'histoire, c'était Noah… Parce que c'était de son fils dont il était question… Ce fils avec qui il avait décidé de rester cette nuit – à raison. Stiles n'avait pas besoin de lui à proprement parler mais il apprécierait sans doute le fait de trouver son père à ses côtés à son réveil.
Le jeune homme aux cheveux bouclés alla se débarbouiller à la salle de bain et, le visage mouillé, ilse regarda dans le miroir. Il n'avait pas fière allure, ça, c'était clair… Mais quand il repensait à l'état de Stiles, il se considérait plutôt bien portant.
Isaac s'efforça à mettre de côté l'émotion qui l'avait pris dans la soirée, lorsqu'il avait entendu la voix de Jackson pour la première fois depuis des mois. En fait, s'il n'avait pas vu son nom marqué sur l'écran du téléphone de Noah, il n'aurait pas cru qu'il s'agissait bien de son compère loup-garou. Parce que sa voix, il l'avait presque oubliée et… Elle lui était apparue si étranglée qu'il aurait eu grand peine à la reconnaître.
Elle lui avait donné la chair de poule et ce serait mentir que de dire qu'il n'avait pas eu envie de se trouver près de lui pour le rassurer, endiguer la terreur qui transparaissait aisément dans sa voix. Par chance, suite aux informations qu'il leur avait données, Noah avait instantanément fait demi-tour: il s'agissait pour lui d'une urgence impossible à repousser – et Isaac était parfaitement d'accord avec lui.
Mais les indications de Jackson étant peu précises, Isaac s'était servi d'un petit quelque chose qui se trouvait dans le téléphone que l'on avait fourni à Jackson dès son arrivée au foyer Stilinski: une espèce de mouchard intégré qui n'était destiné à servir que dans ce genre de situation. En dehors de cela, on ne l'utilisait jamais, au point de carrément son existence. Le but n'était pas de traquer Jackson, qui gardait toujours son précieux sur lui, mais bien de pouvoir le retrouver en cas de problème.
Isaac secoua la tête: inutile de se refaire le fil de la soirée, c'était aussi inutile que déprimant. Pire encore, il s'inquiétait alors qu'il savait Stiles en sécurité – et entre de bonnes mains. La rage qu'il contenait depuis désormais plusieurs heures le titillait pour sortir et s'il ne savait pas garder son sang-froid, sans doute le miroir serait-il déjà en morceaux. L'envie de retourner sur ce lieu morbide le tiraillait, mais… Même si tout irait techniquement bien, il devait jouer au babysitter. En temps normal, la chose ne l'aurait pas dérangé, mais… Son meilleur ami était à l'hôpital, en observation. Il n'avait, a priori, rien de grave, cependant les médecins préféraient le garder cette nuit pour lui faire passer toute une batterie d'examens. Il ne fallait rien laisser passer car on lui suspectait un traumatisme crânien. De même, il fallait faire baisser sa fièvre rapidement.
Voilà la priorité de Noah, la priorité de l'hôpital également. La priorité d'Isaac, elle, était double.
Il se sécha mollement le visage et traversa le couloir pour s'arrêter devant la porte de la chambre que l'on avait désignée pour Jackson il y a plusieurs mois de cela. Il écouta un moment les deux cœurs battre au même rythme avant de poser sa main sur la poignée et d'oser l'abaisser.
La vue qui s'offrit à luimit aisément sa rage de côté, remplacée par une peine immense. Parce que Jackson, qui avait vraisemblablement senti sa présence avant qu'il n'ouvre la porte, s'était tendu comme un arc. Le voilà d'ailleurs replié sur lui-même, ses jambes ramenées contre lui sur son lit et le regard… Au sol, effrayé comme à son habitude. Ses mains, qui entouraient ses genoux, étaient toujours rouges. Rouges d'un sang monstrueux. Isaac se mordit la lèvre avant de jeter un coup d'œil au loup noir recroquevillé sur lui-même dans le coin opposé de la pièce. L'animal, lorsqu'ils étaient arrivés à l'endroit où bornait le téléphone de Jackson, n'avait pas fui. Au contraire, il s'était pressé contre le corps humain inanimé de Stiles, pour lui prodiguer un peu de chaleur… Avec dans les yeux la même terreur que ceux qui habitaient les prunelles céruléennes de Jackson.
Un autre métamorphe… Qui avait vraisemblablement choisi de se protéger en gardant sa forme animale, laquelle n'était accessible qu'aux métamorphes de sang pur.
Et ce loup noir, il le reconnaissait parfaitement mais, par souci de pudeur, choisit de ne pas lui parler tout de suite. Chaque chose en son temps. Isaac reporta son attention sur Jackson et s'approcha doucement de lui. Le pauvre blondinet se recula sur son lit, comme si Isaac représentait une menace. Le bouclé s'arrêta alors et choisit de lui tendre la main:
- Viens s'il te plaît, Jackson.
Il avait parlé lentement et articulé chacun de ses mots en les enveloppant de toute la patience dont il était capable. La douceur de Stiles, il ne l'avait pas, mais cela ne voulait pas dire qu'il était dépourvu de toutes les qualités nécessaires à l'appréhension de ce genre de situation. D'autant plus qu'il avait déjà eu à gérer Jackson récemment – pas assez souvent toutefois pour instaurer une réelle relation de confiance entre eux.
Parce que même si Jackson se montrait craintif en permanence, il commençait à baisser les barrières en présence de Stiles qui, doucement, l'apprivoisait.
La peur au ventre, le blondinet posa les pieds sur le sol et se leva avant de s'approcher péniblement de l'autre loup-garou. Ils faisaient la même taille mais son attitude lui donnait un air tout petit, d'autant plus qu'il n'avait pas l'air très solide sur ses appuis, ce qui conforta Isaac dans l'idée de lui tendre sa main. Il lui en expliqua la raison pour ne pas l'effrayer davantage et Jackson lui jeta un regard complètement perdu avant de finalement s'exécuter. Il ne le faisait peut-être pas de gaieté de cœur dans la mesure où il avait peur des conséquences qui pouvaient résulter d'un pauvre refus mais au moins, il ne perdait pas son temps en réflexions infinies. Le loup noir, toujours dans son coin, regarda la main recouverte de sang séché se lier avec l'autre, immaculée. Il y avait dans la poigne de ce jeune homme aux cheveux bouclés quelque chose de ferme, de fort: si Jackson trébuchait, il ne tomberait pas tant l'autre le retiendrait aisément.
- Je te le ramène très vite, fit Isaac à l'attention de l'animal juste avant de passer la porte.
Quoiqu'il ait pu se passer là où Jackson et Stiles s'étaient retrouvés, le loup noir avait participé et… Les regards qu'il jetait au blondinet étaient criants de vérité. Il était un peu… Une sorte de repère pour lui. La preuve en était que sitôt qu'ils avaient été amenés ici, il avait tout de suite suivi Jackson dans sa chambre. Mieux valait donc ne pas les séparer trop longtemps.
Juste le temps de lui faire faire un brin de toilette, d'enlever ce sang de ses mains tremblantes.
