Précédemment : Une mission sur la planète mère a mal tourné, laissant Keith grièvement blessé et Lance devant se battre férocement pour le protéger. Akira, guidé par l'instinct du lion rouge, a réussi à traverser la flotte impériale en orbite autour de la planète. Il s'est écrasé à la surface, mais Red l'a récupéré et ils sont partis chercher Keith, Lance et Thace pour les mettre en sécurité. Val et Nyma se sont projetées astralement sur place (par accident) et Nyma a partagé sa quintessence avec Keith pour stabiliser son état.
Ailleurs dans l'univers, Hunk et Shay continuent à chercher les Balméras en liberté, Meri peine à garder sa couverture d'élève d'Haggar et le reste des paladins attendent avec angoisse des nouvelles d'Akira tout en préparant une mission de sauvetage si besoin.
Chapitre 38
Fébrilité
Shiro était assis dans la salle de communication à côté d'Allura, Matt faisant les cent pas derrière eux. Pour la énième fois, il eut l'impulsion de rejoindre Black pour aller voir ce qui se passait de ses propres yeux. Il savait cependant qu'ils n'auraient pas une assez grande portée et voulait être présent quand Akira les contacterait. Ils auraient dû y aller dès le départ, sans attendre son appel d'urgence.
— Il faut lui laisser le temps, dit Shiro, sa propre voix lui paraissant vide de sens. Ça va déjà lui prendre un moment pour s'y rendre et les trouver, et il ne va pas nous contacter avant d'avoir la situation sous contrôle.
— Red n'est plus en train de paniquer, ajouta Matt.
C'était comme s'il cherchait à les rassurer, mais l'inquiétude lui tordait la voix et il avait ignoré toutes les tentatives de Shiro pour le calmer.
— Du moins, plus assez pour que je le sente d'ici. C'est sûrement bon signe, non ?
Shiro aurait voulu pouvoir lui apporter une réponse. Il regarda Allura, puis réessaya d'appeler Akira pour la sixième fois. Le signal ne passait toujours pas. Cela faisait vingt minutes qu'Akira avait disparu de l'autre côté d'un trou de ver, ce qui était à la fois une éternité et rien du tout. Keith aurait pu mourir entre temps. Akira aussi. Ou ils étaient tous sur le chemin du retour actuellement.
Il en doutait, mais c'était possible.
Allura lui frotta le dos, sans pouvoir lui cacher son inquiétude. Elle percevait certainement que ses pensées commençaient à partir en vrille : d'abord, il s'en voulait de ne pas avoir empêché Akira de partir, puis il se rappelait qu'il avait promis à son frère de ne plus jamais faire ça. C'était la guerre. Ils prenaient tous des risques. Akira avait le droit de prendre ses propres décisions et avait les capacités de revenir en un seul morceau, Keith avec lui. Shiro devait lui faire confiance.
— Attendons encore une demi-heure, dit fermement Allura. Si nous n'avons pas de nouvelles d'ici là, nous enverrons quelqu'un rendre compte de la situation.
— Dans une demi-heure, il sera peut-être trop tard, s'exclama Matt, abattant son poing sur le mur. Et si Keith est blessé ? Et si Akira s'est écrasé ?
— Alors il serait déjà trop tard de toute manière, dit Shiro d'un ton plus brusque que voulu.
Il prit une inspiration, puis se prit la tête entre ses mains.
— Je sais que tu t'inquiètes, Matt. Moi aussi. Mais Allura a raison. Akira a dit qu'il devait y aller seul. Envoyer quelqu'un, même rien qu'un éclaireur, est déjà risqué. Alors une mission de sauvetage de grande envergure ?
Il secoua la tête.
— Laissons à Akira le temps de les trouver et de les mettre en sécurité avant d'envisager le pire.
Seul le silence lui répondit et il ne voulait pas se tourner vers Matt pour voir ce qu'il en pensait. Il avait certainement empiré les choses, mais son talent habituel pour les paroles de réconfort n'était nulle part en vue. Pas quand ses deux frères avaient disparu, l'un certainement en mauvaise posture, l'autre y allant à l'aveugle.
Ce sentiment d'impuissance était ce qu'il y avait de plus dur.
La porte s'ouvrit dans un sifflement, déversant la lumière du couloir dans la pièce, ce qui lui piqua les yeux. Il pivota et la tension que portait Val dans chacun de ses gestes le fit se relever d'un bond avant même qu'il ne remarque la présence de Nyma derrière elle.
Le regard de Val balaya la pièce, puis trouva celui de Shiro.
— Coran a dit qu'Akira était parti.
C'était un simple fait, mais Val y mit un poids immense et Shiro se prit à retenir son souffle tandis qu'il acquiesçait.
— Ça fait vingt minutes. Il s'est passé quelque chose–
— Sur la planète mère ? (Val ferma les yeux.) Merde. Ce n'était pas un rêve.
— Un rêve ? s'enquit Matt.
Allura s'approcha de Val, s'appuyant sur le dossier d'une chaise vide.
— De quoi est-ce que tu parles ? Il s'est passé quelque chose ?
— On a fait un rêve, cette nuit, dit Nyma d'un ton creux. Le même rêve. Au sujet de Lance. Ou de Meri ? Je ne sais pas trop.
Val se frotta le visage et carra les épaules.
— On est allées voir Blue et, pour faire court, je suis presque sûre qu'on s'est projetées astralement jusqu'à la planète mère.
Shiro cligna des yeux.
— Vous avez… quoi ?
— Ouais, j'essaie encore de comprendre, moi aussi.
Val joignit les mains, ses doigts effleurant le bout de son nez.
— J'espérais que ce n'était qu'un rêve, cette nuit comme maintenant, mais tout s'aligne, alors il va falloir partir du principe que c'était réel, je pense.
— Keith est blessé, dit Nyma, décidant visiblement que Val n'allait pas assez vite.
Matt cessa de respirer.
— Salement, continua Nyma. Lance et Thace étaient en train de repousser un tas d'Impériaux à notre arrivée. Ils ne sont pas trop en forme non plus, mais ça ne m'inquiète pas autant.
— Nyma a fait quelque chose, je ne sais pas trop quoi, pour aider Keith. Et puis Akira est arrivé, aux commandes de Red.
— Quoi ? s'exclama Matt.
Il avait le souffle coupé et Shiro alla le soutenir, remarquant combien sa main tremblait.
Val l'ignora.
— On n'a pas pu rester plus longtemps après ça, mais j'ai entendu Akira mentionner une flotte en orbite. Il ne pensait pas pouvoir la traverser. Ils avaient l'air de vouloir aller chercher un endroit où se cacher et se servir du kit de premiers secours du lion pour stabiliser l'état de Keith en attendant de pouvoir entrer en contact avec nous.
— C'était il y a combien de temps ? demanda Shiro.
— Si c'était en temps réel… (Val haussa les épaules.) Cinq minutes ? Peut-être un peu plus. Je ne sais pas combien de temps on est restées dans le plan astral entre le moment où on a quitté la planète mère et celui où on vous a rejoint.
Allura jeta un œil à Shiro.
— Ça n'a peut-être pas suffi à trouver un lieu sûr.
— Mais ils vont avoir besoin d'être évacués, dit Shiro.
Il se tourna à nouveau vers le poste de communication, mais plutôt que de chercher à joindre Akira, il entra le numéro du lieutenant-colonel Layeni.
— Je vais demander à la Garde de nous rapporter des informations sur la flotte. Ensuite, on prend Black ?
Allura n'eut pas besoin qu'il lui en dise plus, heureusement. Elle lui serra l'épaule, puis le laissa informer Layeni de ce qui se passait.
Tenez bon, pensa-t-il. On arrive.
— Toujours pas de réponse, dit Lance depuis l'avant du cockpit.
Akira tourna à moitié la tête vers lui, mais il ne pouvait détacher son regard de Keith, qui était allongé sur le ventre sur la couchette contre le mur, déshabillé de son armure, dans son justaucorps calciné et déchiqueté.
— L'Empire brouille le signal, dit-il, trop fatigué pour se demander d'où lui venait cette idée.
Sûrement de Red. Le nombre d'impulsions affolées et de pensées aléatoires qui lui étaient venues durant la dernière heure pouvaient être nées de sa propre panique et paranoïa, mais il avait le sentiment que ça lui provenait en grande partie du lion rouge.
Surtout l'envie de s'approcher et d'aider Thace à administrer les premiers soins : une envie compréhensible, sauf qu'il se prenait à regarder autour de lui à la recherche de cristaux, d'outils multifonctions et de conduits Q. C'était parfait pour réparer un lion endommagé, mais pas vraiment pour aider Keith.
Le cockpit plongea dans le silence pendant que Thace pansait avec soin les blessures de Keith. Il s'agissait surtout de brûlures, mais il y avait aussi quelques entailles assez profondes aux endroits où son armure ne l'avait pas protégé. Lance avait déjà un bandage autour de la cuisse et un pack de quintessence collé à son flanc pour atténuer les dégâts causés par le laser qui l'avait touché pendant le combat.
— Comment il va ? demanda Lance.
— Son état est stable, dit Thace, appliquant une maille fine sur une grande partie du dos de Keith. Mais il a besoin d'un cycle de soin. Ce que nous avons suffit pour lui éviter une infection un petit moment et je peux mitiger sa douleur, mais mes options sont limitées. Sans des soins appropriés, il va mettre un long moment à s'en remettre.
Le regard d'Akira se posa à nouveau sur le visage de Keith. Il avait commencé à se réveiller quand Akira était en train de les ramener dans les étendues désertiques à la recherche d'un endroit sûr où se cacher, et sa respiration avait été lourde de douleur tandis que Thace donnait à voix basse des instructions à Lance, surtout pour l'empêcher de paniquer. Ils lui avaient administré une sorte d'anti-douleur pioché dans la trousse d'urgence de Red. Akira ne savait pas s'ils pouvaient comparer ça à quoi que ce soit sur Terre, mais même sans savoir ce qu'il y avait dedans, c'était visiblement très fort. Keith s'était tu depuis, sa respiration se calmant. Il semblait s'éveiller par moments, parlant d'une voix basse et pâteuse que même Thace avait du mal à comprendre. Akira ne pensait pas qu'il se souviendrait de quoi que ce soit à son réveil, ce qui était certainement pour le mieux.
Ça le démangeait de demander à Thace le degré de ses brûlures, mais les Galras ne devaient pas avoir le même système de classification que sur Terre et Akira n'avait pas assez de connaissances médicales pour trouver un équivalent fiable. L'armure de Keith semblait cependant lui avoir épargné le pire. Sa fourrure était brûlée par endroit, sa peau cloquée et ensanglantée, mais tout était tellement noirci que c'était difficile de dire ce qui était de la fourrure, du tissu ou de la chair.
Cela semblait cependant de moins en moins horrible au fur et à mesure que Thace nettoyait les brûlures. C'était… c'était un soulagement.
Akira se secoua. Rester sans rien faire à s'inquiéter pour Keith ne servait à rien ni personne. Il s'agenouilla près de lui, ravalant la nausée qui le prit en le voyant dans un tel état. Il détacha son regard de lui pour se tourner vers Thace.
— En quoi puis-je l'aider ?
Meri était à deux doigts de chercher la bagarre.
Elhete était sortie de nulle part, s'incrustant à sa table au réfectoire pour commencer à lui parler d'une nouvelle technique d'agriculture qui se servait de quintessence pour accélérer les récoltes. Meri la laissa radoter cinq minutes avant d'en avoir assez.
— Je peux savoir ce qui te rend si bavarde, ce matin ? grommela-t-elle, picorant la bouillie sans couleur qui servait de nourriture dans l'Empire. Tu t'es retourné le cerveau à la place de celui d'un prisonnier ?
Elhete s'interrompit, posant sa cuillère d'une manière qui laissait passer une menace implicite, bien qu'elle n'avait pas la prestance pour la rendre efficace.
— Je pensais que ça t'intéresserait, dit-elle, feignant la confusion. Tu n'as pas l'air d'être là pour apprendre à t'occuper des prisonniers. Les plantes, c'est peut-être plus à ton niveau.
Meri referma son poing sur sa cuillère et gronda : une sensation étrange qui lui devenait de plus en plus familière à mesure qu'elle passait du temps dans un corps galra. Elle était fatiguée, frustrée, faisait des cauchemars toutes les nuits sur la prisonnière qu'elle avait interrogée pour son test, et les remarques mesquines d'Elhete lui tapaient sur le système.
— As-tu déjà été au front, Elhete ? demanda-t-elle d'un ton froid.
Le sourire d'Elhete s'effaça. Ce n'était qu'ici, au réfectoire, que les druides retiraient leurs masques : ici et dans leurs chambres. Elhete était plus jeune que Meri ne l'avait cru : pas beaucoup plus vieille que Lance, sûrement. Ça lui retournait l'estomac.
— C'est pour ça que je suis là, répondit Elhete. C'est pour ça qu'on est tous là. Pour apprendre à servir l'Empire. Ça peut nous amener au front, ça peut nous amener ailleurs. Ça dépend de ce que Dame Haggar voit en nous.
Les lèvres de Meri s'ourlèrent d'un sourire.
— C'est donc un non.
Elle repoussa son assiette et se leva.
— J'ai tué plus de personnes que tu ne peux certainement l'imaginer. J'ai regardé des mondes s'effondrer. Je n'ai eu qu'un mot à prononcer pour condamner des hommes à mort.
Elle se pencha en avant, envahissant l'espace personnel d'Elhete, et se régala de l'expression de peur qui lui agrandit les yeux.
— Si tu ne me crois pas capable de faire le sale boulot, je serai ravie de te faire une démonstration.
Avant qu'Elhete ne puisse répondre à sa provocation, ce que Meri espérait grandement car elle avait besoin de décompresser un peu, Varrok apparut derrière elle, aussi silencieux et imposant que le jour où il lui avait demandé de se rendre à la salle d'interrogatoire. Il avait son masque et sa quintessence semblait prête à passer à l'action.
— Que se passe-t-il ici ? demanda-t-il de sa voix rauque.
La fourrure sur les bras et la nuque de Meri se hérissa, mais elle resta immobile, refusant de tressaillir.
— Nous menons juste un petit débat animé, railla-t-elle, défiant Elhete de la contredire.
Mais Elhete ne fit que baisser la tête en signe de respect face au druide plus âgé et murmura confirmation.
— Bien, dit Varrok. Gardez votre énergie pour le véritable ennemi.
Meri plissa les lèvres, mais tint sa langue tandis que Varrok les observait tour à tour. Elle savait parfaitement qui était le véritable ennemi, mais était allée se mettre dans une position où elle ne pouvait pas le combattre. Pas directement.
Elle attendit donc et, quand Varrok finit par se détourner pour s'éloigner, elle balança le reste de son déjeuner dans la poubelle et le suivit. La panique sans forme qui l'avait prise ce matin l'avait peut-être quittée, mais le besoin d'agir était toujours aussi fort et elle en avait assez d'attendre la bonne occasion. Si elle ne pouvait pas accéder au compte d'Haggar pour transférer Ulaz, elle pouvait peut-être passer au plan B.
Varrok était suffisamment haut placé pour que son compte détienne toutes sortes de secrets intéressants à déterrer.
Nous avons le temps.
Debout dans le cockpit du lion noir, les doigts serrés sur ses piédestaux de contrôle comme si elle était en pleine bataille, Allura sentit cette pensée se réverbérer autour d'elle. Son esprit était étroitement lié à celui de Shiro, tous les deux observant la planète mère à des années-lumière de distance pour évaluer la situation.
Ils avaient dû quitter le château-vaisseau et ouvrir un trou de ver quelques systèmes plus loin pour obtenir un visuel sur Lance et Keith. Ils pouvaient désormais y voir aussi clairement que s'ils s'étaient eux-mêmes projetés astralement dans le cockpit du lion rouge. Keith était allongé sur une couchette au fond du cockpit, Thace assis par terre à son chevet. Keith avait les pensées embrumées, certainement sous sédatif, mais l'anxiété tempétueuse de Lance suffisait à combler les vides.
Ça se présentait mal, mais ils avaient le temps de mettre au point un plan. Keith était dans un état stable, même s'il n'allait pas être remis sur pied de sitôt. Lance, Thace et Akira étaient tous sains et saufs. Dans le ciel se trouvait une armada dont Lance ne savait rien et le lien adjuvant ne permettait pas à Allura et Shiro de puiser beaucoup d'informations dans la tête d'Akira.
Allura fit connaître sa présence à Lance, l'enjoignant à la reconnaître et à savoir que des renforts arrivaient. Ses pensées se calmèrent un instant et son front se plissa. Il l'avait donc reconnue, mais il se remettait en question, ce qu'Allura pouvait comprendre.
Shiro partageait son sentiment et il effleura l'esprit de Lance, puis celui de Keith, s'y attardant un long moment. Allura le sentit chercher un moyen d'apaiser sa douleur et la prise de conscience qu'ils ne pouvaient rien faire avant de les rejoindre les secoua tous les deux.
Nous y serons bientôt, lui assura Allura.
Shiro acquiesça, transmit un peu plus de réconfort à Keith, puis sa gratitude à Akira, même s'ils savaient tous les deux que ce dernier ne pouvait pas les percevoir de la même manière que Lance ou Keith.
Puis ils se retirèrent de la planète mère, retournant à leurs corps dans le lion noir. Shiro ouvrit aussitôt un trou de ver, des ébauches de plan plein la tête.
— Nous allons attendre le rapport de la Garde, dit-il. Demande à Val et à Nyma de bien se reposer en attendant. J'ai le pressentiment que nous allons mener une bataille difficile.
Hunk sentait la douleur à chaque pas qu'il faisait dans les tunnels d'Atsiphos. Elle se mêlait à la chanson, assourdissant chaque note, la rendant plus lente et sombre que d'habitude. Hunk n'était pas musicien, et même s'il l'avait été, il ne pensait pas qu'il aurait su retranscrire cette mélodie. Il ne trouva qu'une façon de décrire la variation : si d'habitude elle était chantée sur une note en majeur, alors dernièrement, elle était passée à la même note en mineur.
— Ça va mieux, dit Klex en menant Hunk et Shay vers les chambres migratoires nouvellement découvertes près du cœur d'Atsiphos.
Elle pencha la tête de côté en percevant l'incrédulité de Hunk dans son chant et lui offrit un faible sourire.
— Vraiment. Nous n'avons pas encore passé le pire, je pense, mais nous avons découvert plusieurs façons de contenir le parasite.
— Et vous n'avez pas encore trouvé d'informations à son sujet dans les archives de la Coalition ? demanda Shay.
Elle avait, si c'était possible, le cœur encore plus brisé que Hunk face à la situation de la Balméra. Hunk était frustré et ne pouvait se débarrasser de sa culpabilité quant au rôle qu'il y avait joué : c'était lui qui avait tué le robeast, après tout, et même s'il ne pouvait pas savoir que les Galras l'avaient placé là pour repousser le parasite, ça ne changeait rien au fait que c'était sa faute si l'espèce de quarantaine mise en place avait été brisée.
Shay tenta à nouveau de l'apaiser, comme la douzaine de fois précédentes qu'il avait été fait mention du parasite, mais elle ne pouvait dissimuler la douleur dans son chant. Elle était sensible à la souffrance de la Balméra, bien plus que Hunk, et ça lui faisait physiquement du mal d'être là. De sentir les créatures dévorer roche et cristal, d'entendre Atsiphos hurler à l'agonie.
Ils l'avaient libérée. C'était ça, le pire : ils l'avaient libérée, avaient chassé les Galras qui lui avaient causé tant de mal. Cela aurait dû mettre fin à sa souffrance. Au lieu de ça, ça ne faisait que s'empirer.
— Vous êtes sûre qu'on ne peut rien faire pour vous aider ? demanda Hunk, accélérant l'allure pour se mettre au niveau de Klex.
Elle lui sourit, son chant exprimant sa fatigue.
— Vous nous aidez déjà, dit-elle. Les autres ne croient peut-être pas tous aux migrations d'antan, mais moi oui. Si vous en trouvez une, si elle peut vous apprendre la manière de nous débarrasser de ce parasite, cela nous sera bien plus utile que deux personnes de plus assignées aux équipes de renforcement.
Elle avait raison, Hunk le savait. Les doyens avaient tous été mis au courant des efforts de reconstruction et Shay avait relayé l'information à Hunk. Il savait donc qu'ils ne soignaient pas l'infection, mais qu'ils renforçaient la Balméra de façon à ce qu'elle puisse combattre l'envahisseur. C'était long, mais ils avaient déjà plusieurs équipes de Balmérans de Metos et de Theros qui s'alternaient pour laisser les Balmérans d'Atsiphos se reposer.
— Pax, dit Klex, posant la main sur le bras de Hunk. C'est un fardeau, mais nous en avons supporté des centaines. Nous survivrons.
— C'est ce que nous faisons de mieux, dit Shay, la détermination illuminant sa chanson.
Elle et Klex échangèrent un sourire de souffrance partagée. Elles avaient toutes les deux été réduites en esclavage par l'Empire. Elles avaient toutes les deux observé le lent déclin de leur Balméra. Elles avaient toutes les deux perdu des amis et des voisins, mais s'étaient raccrochées à leur entêtement et leur espoir.
C'était une fierté que Hunk ne pouvait partager et son cœur se serra une nouvelle fois au souvenir de ce que le peuple balméran avait subi, ce que nombre d'entre eux subissait encore actuellement. Il fit taire son chant, cependant, ne voulant pas que sa compassion ne trouble ce moment. Shay et Klex semblaient tirer de la force de l'harmonie créée par leurs chansons et avançaient plus vite dans les tunnels qui commençaient à montrer un peu de cette chaleur qui avait été absente lors du temps passé par Atsiphos entre les mains de Zarkon. C'était moins décoré qu'à Metos et Theros et les cristaux n'étaient pas aussi lumineux, mais ces tunnels retrouvaient une atmosphère chaleureuse, et non plus de captivité.
La lumière se faisait de plus en plus forte alors qu'ils approchaient du cœur de cristal, mais ils quittèrent l'artère principale avant de l'atteindre. Hunk dut se baisser pour traverser le tunnel renforcé qui menait à la nouvelle section de galeries migratoires.
— Nous avons examiné les images reçues de Metos et de Theros, dit Klex. Et nous sommes certains qu'il s'agit d'un nouveau segment : nous avons ce que nous suspectons être une pouponnière et deux autres aires d'alimentation.
— Ça ne pouvait pas mieux tomber, dit Hunk, se forçant à instiller de la bonne humeur dans sa voix. On vient de visiter le dernier endroit de notre ancienne liste. Avec un peu de chance, ceux-là nous mèneront quelque part.
— On finira par trouver, dit Shay d'un ton assuré. Ce n'est qu'une question de trouver où sur les chemins migratoires se trouvent actuellement les Balméras libres.
Le doute infiltrait son chant, mais elle plissa les lèvres et prépara la caméra holographique pour prendre en photo les constellations de la première chambre d'un geste rapide et sûr.
Ils étaient tous au bord du désespoir, Shay plus que les autres. Chaque endroit auquel ils se rendaient sans la moindre trace de Balméras libres grignotait son espoir petit à petit. Hunk lui imposait des pauses fréquentes, cherchant à lui offrir d'autres choses sur lesquelles se concentrer, sur lesquelles elle pouvait y voir une avancée quand leur chasse au Balméra devenait trop frustrante. Ça pouvait être de petits projets sur un des Balméras, de temps en temps des missions de sauvetage avec la Garde. Même quelque chose de simple, comme des leçons de cuisine, l'aidait, et à la fin, Shay avait sa nourriture préférée pour se réconforter.
— On finira par trouver quelque chose, acquiesça Hunk, posant la main dans son dos avec une mélodie apaisante.
Elle pivota, les yeux brillants, et il l'intima à lui emprunter un peu de force.
— Ne baissons pas les bras, dit-il.
— Je n'en peux plus.
Akira se leva, la fébrilité lui secouant les os, et se tourna vers Lance, qui avait pris sa place au chevet de Keith après que Thace eut fini de traiter ses blessures. Ce dernier n'avait pas bougé depuis une heure : Akira ne savait pas s'il se remettait de ses propres blessures, s'il méditait ou autre. Il avait cependant eu son attention aussitôt, preuve qu'il ne dormait pas.
Un sentiment d'urgence battait aux tempes d'Akira, ne voulant plus le lâcher. Il avait réussi à le repousser un moment en aidant Thace à s'occuper de Keith et en s'assurant que la cave qu'ils avaient trouvée était bien cachée et protégée contre d'éventuelles patrouilles impériales, mais il n'avait plus rien de productif à faire et le sentiment qu'il devait agir ne voulait pas le laisser tranquille.
Lance se leva et suivit Akira en direction de la rampe.
— Tu vas où ?
— En ville, répondit Akira. Je ne peux pas rester là à attendre qu'on nous trouve.
— C'est dangereux, dit Thace.
Il resta cependant assis, alors Akira se dit qu'il devait le comprendre un peu.
Lance ramassa son casque, qu'il avait laissé tomber par terre à un moment donné, et le garda contre sa cuisse.
— Ben, à moins que l'un d'entre vous ne change d'avis et veuille bien essayer de forcer le passage en orbite…
— On ne peut pas.
C'était difficile de l'admettre, mais Akira avait conscience de ses lacunes en pilotage de lion. Red était maladroite entre ses mains et il y avait toute une série de bâtiments détruits pour le prouver. Et puis, il ne savait toujours pas comment la faire attaquer. Si la situation avait été inversée, si Keith était en mesure de piloter et que quelqu'un d'autre était blessé, Akira aurait jeté son dévolu sur ce plan risqué.
Mais tant qu'il était leur seul pilote viable, ils étaient foutus. Akira ne se faisait pas assez d'illusions pour croire le contraire.
Lance vit sa réponse sur son visage et acquiesça, enfonçant son casque sur sa tête.
— Ok. Alors on y retourne, histoire de se faire une idée de la situation et peut-être mettre la main sur d'autres fournitures médicales.
— « On » ? répéta Akira.
— Bah, je viens avec toi, dit Lance d'un ton moqueur. Allez, quoi. T'es pas le seul que ça rend fou de rester sans rien faire.
Akira hésita, jetant un œil à Thace.
— Allez-y, dit ce dernier. Je vais monter la garde. Je ne suis pas en état de retourner en ville et encore moins de voler, mais… Lance a raison. Vous devriez trouver quelque chose de plus utile que notre kit de premiers secours en ville, même si ce n'est pas une capsule cryogénique. Mais soyez prudents.
— Comme toujours, dit Lance, le doigt en pistolet pointé sur Thace.
Son sourire insouciant vacilla quand son regard tomba sur Keith, mais il se détourna rapidement, descendant au cargo de Red pour rejoindre la trappe qui menait à un petit speeder. Ils pouvaient y rentrer à deux, quoi qu'en étant un peu serrés, l'espace derrière le siège conducteur permettant d'accueillir un siège passager, même si ce n'était pas vraiment confortable.
— J'imagine que tu ne connais pas un endroit où trouver des fournitures médicales facilement, dit Akira, se penchant sur l'appui-tête de Lance.
Lance ricana.
— Ce serait le rêve. C'est dur de trouver des médicaments ici. Les cliniques ferment un peu partout parce que même le matériel le plus basique coûte un bras. Mais je sais une chose, c'est que les pontes de l'entourage du gouvernement ont toujours tout ce qu'il leur faut.
Akira pencha la tête.
— Tu… comptes retourner voir ceux qui t'ont presque tué quelques heures plus tôt pour voler leur matériel médical.
— Pour Keith ? fit Lance. Absolument.
Un sourire étira les lèvres d'Akira et il lui tapota l'épaule.
— Ça, c'est ce que j'aime entendre. Tu me dis où il faut aller et je ferais en sorte que tu trouves ce qu'il nous faut.
Lance lui sourit par-dessus son épaule et Akira s'installa pour le long trajet jusqu'à la ville. Ça n'avait pris que quelques minutes avec le lion rouge, mais Red était d'un tout autre niveau. Au moins, le speeder était déjà plus rapide qu'un vaisseau ordinaire, surtout avec Lance aux contrôles. Akira aurait sûrement pu le conduire, puisqu'il ne semblait pas dépendre du lien de paladin, mais il préférait laisser quelqu'un avec plus d'expérience s'en charger.
Au final, il leur fallut une heure pour atteindre la bordure du dôme. Lance trouva un endroit où cacher le speeder pour quelques heures et ils se dirigèrent vers le centre-ville à pied, plus précisément vers le district gouvernemental.
Ils traversèrent environ trois rues avant de remarquer quelque chose : chaque écran projetait des images perturbant les chaînes d'information, les bulletins de circulation et la propagande impériale.
La tête du lion rouge était partout, presque grandeur nature par endroits, ses yeux brillants aussi fort que les néons tout autour. Ici et là se trouvaient des images de Lance et de Keith, le sigle peint sur leur armure rougeoyant comme une flamme. Akira l'avait remarqué à son arrivée, mais il ne savait pas ce que ça voulait dire et n'avait pas pris la peine de poser la question.
Ça devait avoir une signification pour le peuple. Les rues étaient généralement vides, mais les quelques passants regardaient presque tous les écrans, certains sans se cacher, d'autres en y jetant des petits coups d'œil discrets en poursuivant leur chemin à la hâte. Akira et Lance ne s'attardèrent pas assez pour entendre ce qu'ils en pensaient, mais Akira sentait l'électricité dans l'air.
Le 301 était à cran et les présentateurs de plus en plus agités apparaissant de temps en temps à l'écran pour parler rapidement du hacker qui avait pris d'assaut les chaînes officielles indiquaient à Akira qu'il n'était pas le seul à le sentir.
— Arel a bien travaillé, marmonna Lance, jetant un dernier regard à une image de lui-même avant de guider Akira vers une allée. J'aimerais dire que ça m'impressionne, sauf que toute cette attention ne va pas nous faciliter la tâche.
Akira ricana, mais quand bien même Lance essayait de dire ça d'un ton léger, il avait raison : ils avaient espéré se faufiler dans le 301 sans se faire remarquer, mais ça devenait de moins en moins plausible à chaque quartier traversé. Lance avait prélevé une cape au coin d'une boutique pour couvrir son armure, mais ça ne le camouflait que très peu et on finit par le remarquer : une personne, puis une autre. Chacun échangeait à voix basse en le fixant, mais dès que Lance se tournait vers eux, ils se contentaient de hocher la tête ou de feindre le désintérêt.
— On dirait que tu as fait forte impression, marmonna Akira, le suivant de près alors qu'il montait dans un train.
Tous les regards se tournèrent vers eux et Lance pressa un doigt contre ses lèvres. D'un seul homme, presque tout le monde retourna à ses affaires, sauf une petite fille qui les dévisageait ouvertement, accrochée à la main de sa mère. Lance enfonça un peu plus sa capuche et s'accroupit devant elle.
— T'étais à l'holo, dit-elle, des étoiles dans les yeux.
— C'est vrai.
Lance lui titilla les côtes, souriant alors qu'elle tressaillait en gloussant.
— Et tu vas sûrement m'y revoir bientôt, mais il faut que je me cache en attendant. Tu peux m'aider ?
Elle acquiesça, imitant le geste de Lance en portant un doigt à ses lèvres, et Lance retourna vers Akira, qui haussa un sourcil.
— Pas de commentaire, dit Lance.
Akira sourit à pleines dents, un peu plus nerveux à chaque arrêt. La plupart des passagers s'enfuirent dès qu'ils en eurent l'occasion et les nouveaux arrivants reculèrent en les découvrant à l'intérieur. Il ne fallut qu'une dizaine de minutes pour qu'ils se retrouvent seuls dans le wagon, filant en direction du centre-ville.
— On descend là, dit Lance après un moment.
Il vérifia que sa cape le couvrait bien, fit un sourire à Akira, et descendit dès l'ouverture des portes.
— J'espère que t'es prêt. J'ai l'impression que ça va bientôt chauffer.
Meri mit son plan à exécution dans la nuit. Elle avait suivi Varrok jusqu'à la salle d'archives, essayant d'avoir l'air de rien tandis qu'il donnait ses accès. La sécurité à bord de l'Eryth dépendait de la signature biologique pour les accès généraux et de la voix pour les comptes personnels. Meri ne pouvait rien faire contre les serrures biométriques : si elle avait la possibilité d'imiter la signature de quelqu'un, elle n'aurait jamais eu à passer le test d'Haggar.
Mais maintenant qu'elle avait accès aux archives, elle avait peut-être une chance.
Elle devait juste espérer qu'elle n'avait pas perdu la main. Elle n'avait pas eu beaucoup de temps pour s'entraîner, mais ça faisait des semaines qu'elle entendait la voix de Varrok : à part celle d'Haggar, c'était celle qu'elle connaissait le mieux.
Elle modifia ses cordes vocales en entrant dans la salle d'archives, cherchant un registre plus grave. Une transformation ne faisait pas tout, mais ça la plaçait dans la bonne fourchette. De là, il suffisait d'imiter les tenants plus subtils de la voix d'une autre personne. Ce n'était pas facile pour autant, mais il ne lui fallut que quelques essais avant que l'ordinateur ne valide l'accès au compte de Varrok.
Elle commença immédiatement ses recherches, bien consciente du silence qui l'entourait et de la porte juste derrière elle qui pouvait s'ouvrir à tout moment. Les druides semblaient suivre un horaire normal : les plus jeunes avaient tous le même emploi du temps pour leur entraînement et, bien que les plus âgés étaient plus ou moins livrés à eux-mêmes, ils semblaient tous se caler au rythme d'Haggar s'ils n'avaient aucune tâche à effectuer durant la nuit.
Il y avait donc de grandes chances que Meri ne soit pas dérangée.
Elle n'aimait pas croire en ses chances.
Le compte de Varrok, au premier regard, ne semblait rien contenir d'intéressant. Des données de prisonniers auxquelles Meri n'avait pas accès, un historique de recherches personnelles qui avaient pour la plupart trait aux interrogatoires et à la manipulation de quintessence. C'était assez horrible et Meri copia chaque fichier sur la puce mémorielle qu'elle dissimulait dans son injecteur de quintessence au cas où, sans perdre de temps à les lire pour le moment.
Il n'y avait qu'un projet qui l'intéressait et elle ne pouvait pas savoir si Varrok était impliqué. Il était délocalisé, mais ça restait un projet personnel d'Haggar. Il semblait donc raisonnable de penser que les membres de son cercle proche pouvaient être impliqués dans sa supervision.
Cinq minutes s'écoulèrent, puis dix. Meri avait commencé à s'adapter au système informatique impérial depuis le début de sa carrière d'espion, mais elle le trouvait toujours poussif et lent. Il n'avait rien de l'organisation intuitive de l'ancien système altéen et Meri ne trouvait aucune logique à son fonctionnement.
Elle continua son inspection, les minutes s'égrenant dans le coin de son écran. Personne n'allait se lever avant des heures, mais elle préférait ne pas traîner.
Elle finit par trouver ce qu'elle cherchait. Dans un dossier marqué « à étudier », dans lequel des projets étaient organisés par lieu, dans le sous-dossier « Ceinture d'astéroïdes Jessaranti »…
Revendication.
Le cœur de Meri rata un battement et elle ouvrit le dossier précipitamment, son regard traversant l'écran en diagonale pour en prélever toutes les informations importantes. Liste de prisonniers, rapports de recherches, coordonnées… rien que le nom de la chaîne d'astéroïdes, Jessaranti, était inestimable, mais ça ne disait rien à Meri, si bien qu'elle ne serait pas surprise qu'il n'apparaisse pas dans les données de navigation officielles. Haggar avait tendance à enfouir tout ce qui la concernait sous des tonnes de couches secrètes et cette fois-ci ne devait pas faire exception.
Elle commença avec le fichier le plus récent : une note sur un défaut dans la conception du « passe-partout » qui devait être réévalué. Le passe-partout a connu une défaillance durant le lancement inaugural. Des tests consécutifs ont suggéré une incompatibilité du lien. Saturation possible ? Decora recommande une conception neuronale plutôt que quintessentielle, ce qui sacrifierait quelques fonctions auxiliaires, mais permettrait de garder les fonctionnalités de base intactes. Le nouveau modèle peut être mis en œuvre d'ici la fin du mouvement.
Meri lut la note deux fois, cherchant un contexte qui pourrait clarifier ce dont ça parlait. Même sans rien trouver, ça lui laissait un arrière-goût amer dans la bouche. Tout ce qui était « neuronal » n'augurait rien de bon pour les sujets tests et elle ne pouvait qu'espérer que Sam Holt n'en était pas encore à ce stade des expériences.
Des pas résonnèrent dans le couloir en dehors de la salle d'archives et Meri s'empressa de tout refermer, se connectant plutôt sur son propre compte. Cette précaution s'avéra inutile puisque les pas passèrent devant la porte sans s'arrêter.
Les mains tremblantes, Meri retraça ses pas jusqu'aux fichiers de Revendication et les recopia sur sa puce de données, puis se déconnecta du système informatique et retourna dans sa chambre. Elle savait qu'elle ne trouverait pas le sommeil avec toutes ces informations lui remplissant la tête, mais elle ne pouvait rien faire de plus ce soir-là.
Elle allait devoir attendre le lendemain.
Le lendemain, elle pourrait trouver une excuse pour envoyer un message à Dez ou, mieux encore, pour quitter l'Eryth et contacter le château depuis son propre vaisseau.
En attendant, elle devait agir normalement.
Il était plus important que jamais qu'elle ne fasse rien qui puisse compromettre sa place auprès d'Haggar.
Il fallait qu'elle obtienne un poste à Ulaz dans le projet Revendication, et vite.
— T'es sûr de savoir ce que tu fais ? demanda Mateo, s'appuyant sur ses coudes sur la table.
Wyn ravala un sourire tandis que Maka jetait un regard noir à Mateo.
— Bien sûr que oui. J'ai presque fini.
Mateo haussa un sourcil et tapota son menton, mais ce fut Rowan qui prononça ce qu'il pensait certainement :
À ton avis, il serait pas en train d'appuyer sur des touches au hasard jusqu'à ce qu'il se passe un truc ?
Wyn dut se mordre la langue pour ne pas sourire pendant que Maka fronçait les sourcils, frappant la coque de leur nouvelle radio. Il avait annoncé qu'elle était terminée, grâce aux conseils que l'agent secret rebelle en visite, Arel, leur avait donnés avant de partir, et avec quelques composants volés dans l'atelier de Bee sous le couvert de la nuit.
Wyn, pour sa part, croyait en lui. Il était moins doué que Maka dans ce domaine, avec sa mémoire défaillante qui lui jouait des tours. Rowan arrivait mieux que lui à se souvenir de ce que chaque composant faisait, mais ça ne l'intéressait pas d'intercepter des transmissions impériales. Il disait à Wyn qu'il mettait le doigt sur des trucs qu'il valait mieux ignorer, comme si c'était plus sûr pour eux de ne pas savoir ce qui se passait dans le reste de l'univers.
Mateo ouvrit la bouche, mais il n'eut que le temps de prendre une inspiration avant que Maka ne se penche sur la table pour presser son doigt contre ses lèvres. Mateo sourit, mais comprit le message et garda le silence.
— Je vais y arriver, insista Maka. Faut juste que je– ha !
Le bourdonnement électronique qui remplissait la pièce se tut subitement, remplacé par une transmission brouillée qui contenait plus de friture que de mots. Mateo se pencha sur la radio, soudainement intéressé à nouveau, tandis que Maka se laissait tomber sur son siège pour affiner la fréquence. Rowan s'agitait au fond de l'esprit de Wyn, nerveux, essayant de le pousser à quitter la pièce, comme s'il pensait que Wyn allait s'en aller au moment même où tous ces mois de travail allaient porter leurs fruits.
La transmission s'éclaircit d'un coup, une voix nasillarde déclamant son rapport.
…projet Robeast continue de générer des bénéfices. De récents comptes-rendus indiquent qu'il existe déjà une centaine de super-armes déployées sur le terrain et un nombre non précisé qui seront prêtes au lancement plus tard dans l'année…
Le torse de Wyn se comprima, la sensation étrangement distante, comme si ce n'était pas tant son souffle qu'on retirait de son corps, mais lui-même. Les bruits parasites de la radio s'élevèrent jusqu'à rugir dans ses oreilles, noyant tout ce qui aurait pu être dit ensuite.
Puis ce fut le silence.
— Hé ! Il s'est passé quoi ?
— T'as dû toucher à un truc. Fais gaffe à tes pieds !
— Mais j'ai fait gaffe !
— Bah– Euh, Wyn ? Ça va ?
Non,voulut répondre Wyn, mais il ne réussit pas à parler. Ses pieds s'animèrent tous seuls et l'amenèrent vers la sortie, sa quintessence lui picotant les doigts, agitée comme–
Oh.
Oh, Rowan lui en avait parlé.
Son champ de vision s'assombrit un moment alors qu'il tentait automatiquement de pousser son frère aux contrôles, mais Rowan n'était pas là et Wyn n'avait pas les commandes de toute manière.
Son estomac fit un bond quand cette pensée lui vint, mais ce bond ne fit que mettre plus en évidence son altérité. Rowan lui avait dit qu'ils étaient plusieurs, seulement, Wyn n'était d'ordinaire pas là quand les autres sortaient. Sauf que là, il était bien présent, et il reconnaissait cette sensation d'avoir quelqu'un d'autre aux contrôles.
Du moins… il pensait la reconnaître. Ce n'était pas aussi clair qu'avec Rowan, si bien qu'il n'était pas tout à fait certain de ne pas être en train de tout imaginer. Peut-être qu'il était toujours aux commandes et qu'il paniquait simplement parce que la voix à la radio avait parlé de–
Leth.
C'était comme ça que Rowan l'appelait, leur alter qui repoussait toujours Rowan à son réveil. Rowan ne savait pas grand-chose à son sujet, si ce n'est qu'iel pouvait manipuler les machines comme Wyn, ou plutôt Leth, l'avait fait durant les batailles d'Arus et de la Terre.
Comme iel venait de le faire à présent, quand iel avait paniqué et éteint la radio.
Leth ? sonda Wyn.
Mais il eut beau essayer et réessayer de contacter la personne qui contrôlait son corps, il n'obtint pas de réponse. Il ne put que s'accrocher et s'efforcer de ne pas céder à l'affolement tandis que Leth les ramenait à leur chambre, éteignant toutes les lumières d'une pensée avant de s'enfermer dans la salle de bains.
La respiration angoissée d'un étranger s'échouait dans l'air, puis celle de Wyn, puis celle de Leth, jusqu'à ce que ni l'un ni l'autre ne parvienne plus à identifier la ligne invisible qui les séparait.
Le lion jaune émergea de son trou de ver au milieu d'un champ d'astéroïdes non cartographié.
Shay poussa un cri en se penchant en arrière sur son siège, pressant les mains plus fortement sur son panel de contrôle. Yellow vira brusquement sur le côté, mais son arrière-train percuta quand même un astéroïde tout proche, et Shay sentit l'écho d'une douleur, qui tenait peut-être plus de la surprise, d'ailleurs : Hunk ne s'était pas attendu à cette manœuvre et avait été projeté contre ses sangles si fort qu'il s'était démis l'épaule.
Shay s'excusa mentalement, mais les astéroïdes étaient encore bien groupés et il lui fallait toute sa concentration pour les éviter.
Elle finit par apercevoir un endroit dégagé et s'y précipita, le cœur battant à tout rompre. Ils sortirent du champ d'astéroïdes et Shay laissa Yellow dériver, appuyant sur son sternum en cherchant à réguler sa respiration.
— Ça, c'était pas censé être là, dit Hunk.
Sa voix tremblait autant que la respiration de Shay, mais il la rassura par le biais du lien qu'il n'était pas blessé avant qu'elle ne puisse former une pensée cohérente.
— Ça m'a juste surpris, dit-il. Tu as bien piloté.
Shay parvint à sourire, mais ne ressentait aucune joie. Elle fit pivoter Yellow pour observer les astéroïdes, le froid et l'incertitude pesant sur son chant. Hunk n'avait pas tort : rien dans les archives ne mentionnait la présence d'une ceinture d'astéroïdes dans la région, ni de planètes ou de petits corps stellaires qui auraient pu en être la source.
Hunk sentit la direction que prenaient ses pensées et frémit.
— Non, allez, dit-il en lui prenant le poignet. On n'en sait rien.
— Que veux-tu que ce soit d'autre ? demanda Shay. Ce qu'on aurait dû trouver ici, ce sont des Balméras.
Des Balméras que l'Empire pourchassait. Zarkon avait peut-être trouvé une Migration en passant dans les environs. Il avait peut-être essayé de la soumettre. Cela devait s'être passé bien après la soumission du peuple de Shay, si bien que les Balméras de la Migration avaient su ses intentions. Ils s'étaient rebellés et avaient été détruits. L'Empire avait certainement récupéré parmi les débris les cristaux et autres ressources les plus utiles, puis le temps et le vide de l'espace avaient fait leur œuvre sur ce qui restait des êtres qui avaient perdu la vie ici, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des morceaux de roches froids et stériles.
Hunk lui serra le poignet et elle arracha son esprit de ces pensées morbides pour rencontrer son regard.
— On n'en sait rien, répéta-t-il fermement. Ne tirons pas de conclusions hâtives.
La peur qui faisait écho à la sienne dans le lien diminuait la conviction de ses paroles, mais Shay fit de son mieux pour l'écouter. Hunk avait raison, même s'ils ne croyaient à aucune autre explication.
Il fallait au moins qu'ils fouillent les environs pour voir ce qu'ils pouvaient trouver. Peut-être des preuves d'un désastre moins dur à entendre ou quelque chose qui permettrait de se souvenir des victimes oubliées de l'empire de Zarkon.
Shay poussa donc Yellow à avancer, le cœur dans la gorge, essayant de ne pas penser à ce qu'elle pourrait trouver.
Val jura en se tirant de la rivière pour la sixième fois consécutive.
— Blue, je t'en prie ! lança-t-elle en direction du ciel. C'est quoi, le problème ? Ce n'est pas là que tu m'as emmenée la dernière fois !
Seul le silence lui répondit, bien sûr. Elle ne savait pas où elle se trouvait, mais ce n'était pas le Cœur de Blue. Val en était de plus en plus persuadée à chaque seconde qui passait. Cette rivière, avec ses rapides, ses berges escarpées et les taches lumineuses qui filtraient des arbres, était le premier endroit qu'elle avait visité dans le plan astral, et elle avait toujours cru que c'était le Cœur. C'était ce que Meri et Lance avaient dit et elle avait pensé qu'ils en savaient plus qu'elle sur le sujet, mais il était devenu clair qu'aucun d'entre eux n'était un expert en la matière.
Ils cherchaient tous à comprendre au fur et à mesure.
Ça n'aidait en rien le dilemme de Val. Elle trépidait depuis son retour de son voyage astral avec Nyma et qu'elle avait eu la confirmation que ce n'était pas qu'un drôle de rêve.
Elle avait voyagé.
À travers plusieurs galaxies.
Jusqu'à Lance.
Ce n'était pas tout à fait ce qu'elle cherchait à faire depuis des semaines. Elle était presque sûre que c'était le lien de paladin qui l'avait menée à Lance, donc elle ne pourrait pas le reproduire avec Sam, Rolo ou Rax. Et elle n'avait pas été présente physiquement. Elle n'avait pu ni parler à Lance, ni l'aider.
Mais c'était la preuve qu'elle pouvait se servir de sa bilocation pour trouver une personne spécifique à travers de vastes distances, du moment qu'elle avait un moyen de l'identifier.
Puisqu'elle était déjà sur place, elle réessaya, se concentrant sur l'image de Lance dans son esprit, essayant de se représenter le lien, de le suivre dans l'horizon lointain… même si elle ne savait pas comment fonctionnait la distance dans cet espace. Elle s'était transportée jusqu'à Matt et Allura quand ils s'étaient tous retrouvés dans le plan astral, mais elle n'avait qu'une vague idée de comment elle s'y était prise. Elle avait trouvé Matt plus ou moins par accident et était presque certaine qu'Allura, ou peut-être le lion noir, l'avait appelée.
Il y avait un truc. Elle avait le temps de le saisir. Elle devait déjà trouver comment fonctionnait la familiarité, pour voir si elle pouvait cibler Sam ou Rolo. (Peut-être Rolo en premier. Ce serait plus simple de se servir du lien pour emprunter la familiarité de Nyma.)
Mais ce serait pour plus tard. Pour le moment, elle voulait juste retrouver Lance. Elle se disait qu'elle avait plus de chance de l'atteindre, puisque, après tout, elle l'avait déjà fait une fois. Et puis, c'était son cousin et aussi un paladin bleu. On pouvait le présenter comme on voulait, mais elle aurait dû être capable de le repérer dans l'univers sans problème.
Sauf qu'elle n'y arrivait pas.
Elle se maintint dans le plan astral autant qu'elle le put, cherchant, s'épuisant, mais cet endroit lui filait entre les doigts à chaque fois. Que ce soit parce que Blue n'était pas là pour l'y ancrer ou parce qu'elle était toujours épuisée après son voyage impromptu pour la planète mère, elle n'en savait rien, mais elle ne pouvait rester qu'une dizaine de minutes par visite. Elle aurait dû être en train de se reposer, comme le faisait Nyma, pour être en forme si Shiro et Allura leur demandaient de se rendre sur la planète mère, mais elle n'en était pas capable. Elle n'arrêtait pas de penser au phare sur l'île au milieu de la mer. C'était le véritable Cœur de Blue, elle en avait la conviction. Et, puisque c'était le seul endroit depuis lequel elle avait pu se projeter, il paraissait logique qu'elle allait devoir y retourner si elle voulait recommencer.
Le problème, c'était qu'elle ne savait pas comment s'y rendre.
Tout était une question de familiarité.
Nyma l'attendait à son retour sur le plan physique. Val prit conscience de sa présence avant même de reprendre conscience de son corps et sentit un rougissement envahir ses joues alors qu'elle chassait le brouillard du plan astral.
— Salut, dit-elle avec un sourire innocent. Je ne t'ai pas entendue entrer.
Nyma haussa délicatement un sourcil, ne bougeant pas de son perchoir sur le tableau de bord en face de Val. Une jambe était croisée par-dessus son genou, son pied se balançant doucement. Elle s'appuya en arrière sur ses mains, ses intenses yeux violets clouant Val à son dossier.
— Tu as essayé de dormir un peu, au moins ?
Val fit la grimace, mais refusa de se laisser intimider.
— Ce que je fais est plus important.
L'espace d'un instant, Nyma eut l'air de vouloir la contredire, mais finalement, elle ne fit que soupirer, regardant le plafond.
— Et je peux savoir ce que tu fais, au juste ?
— J'essaie de rejoindre Lance.
Elle se précipita de poursuivre avant que Nyma y aille de son commentaire :
— Tu ne comprends pas ? C'est ce qu'on cherchait à faire ! Si je peux retourner auprès de Lance, si je peux le faire à volonté et pas seulement quand Blue est en train de paniquer, alors qu'est-ce qui m'empêche de nous amener jusqu'à Rolo ?
Le souffle de Nyma se coinça dans sa gorge et Val réalisa soudain que l'idée ne lui était pas venue. Elle se figea, les doigts serrés sur les coins de la console, les yeux fixés sur Val.
— Je… Je n'ai pas encore réussi, avoua Val, l'anxiété lui nouant l'estomac. J'ai essayé de le refaire depuis le Cœur et d'ici, mais je n'arrive pas à retourner au phare. Je ne sais pas si c'est vraiment le phare qui m'a permis d'y arriver, mais ça ne marche nulle part ailleurs. Et puis, on doit toujours trouver comment cibler Rolo. Le lien devrait nous aider, ou peut-être une fusion de l'esprit. Mais je me dis qu'on voudrait déjà savoir si je peux me projeter à volonté avant de passer à l'étape supérieure, et je… Est-ce que ça va ?
Nyma releva brusquement la tête. Elle avait commencé à se replier sur elle-même, une main venant couvrir sa bouche. Val voyait les larmes qui humidifiaient ses yeux et l'espoir désespéré qu'elles contenaient.
— Ça va, murmura-t-elle. Est-ce que tu… ?
Elle s'interrompit avec une moue mécontente, puis sauta du tableau de bord et tendit les mains pour aider Val à se lever.
— On verra ça plus tard.
— Mais–
— Plus tard, répéta Nyma. Lance et Keith ont besoin qu'on soit en forme, ce qui veut dire que tu dois te reposer. On s'occupera du reste quand on pourra se concentrer dessus à cent pour cent.
Val voulait protester. Elle y était presque, vraiment. Si elle arrivait à comprendre, ce serait bon, elle le savait. C'était ce que le sage lui avait suggéré à Oriande : ça ne pouvait rien être d'autre. Elle devait juste persévérer jusqu'à ce qu'il y ait un déclic, puis…
Puis Shiro et Allura les appelleraient au combat et Val serait fatiguée et distraite, ce qui pourrait coûter la vie à quelqu'un.
La poitrine comprimée, elle laissa Nyma la tirer pour se relever. Elle voyait bien que Nyma aussi était tiraillée. Elle voulait que Val trouve, elle aussi, peut-être encore plus qu'elle. Rolo était sa famille, avait pratiquement été son monde. Elle ferait tout pour le récupérer.
Mais elle donnait la priorité à Lance et Keith, parce qu'elle se faisait du souci pour eux et savait que les autres aussi. Val lui serra la main, acquiesçant quand Nyma rencontra son regard.
— Ça va marcher, dit-elle. Là, tu as raison, ce n'est pas le bon moment. Mais plus tard, quand on aura le temps ?
Elle fit s'arrêter Nyma en bas de la rampe de Blue, voulant qu'elle sente sa certitude.
— On va le trouver.
Pidge vit le message en premier.
Iel avait paramétré des alertes sur le système de messagerie du château pour tout élément qui passerait par les canaux de l'Entente ou se servirait de sa clé de cryptage. Coran était occupé à aider Shiro, Allura et la Garde à peindre une image de ce qui se passait autour de la planète mère, alors Pidge afficha le message sur son propre écran, cherchant à ravaler une vague d'espoir. C'était sûrement un simple rapport de Dez sur les prochains plans de Zarkon. Utile, mais pas ce qu'iel souhaitait.
Iel se figea quand iel reconnut l'identificateur de Meri, c'est-à-dire la phrase codée qu'elle utilisait à chaque début de message.
Je n'ai pas encore accès au projet, mais ça ne pouvait pas attendre.
La ceinture d'astéroïdes Jessaranti.
Je n'ai pas les coordonnées, mais c'est là qu'est mené le projet Revendication.
Bonne chance.
Pidge sentait son cœur battre à tout rompre alors qu'iel frappait le panel de contrôle, ses doigts tremblants créant plusieurs messages d'erreur avant qu'iel ne parvienne à appeler Shiro.
Il répondit aussitôt.
— Pidge ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— Je–
La gorge de Pidge se coinça. Merde. Keith et Lance.
— Merde, Shiro. Je sais que ce n'est pas le bon moment. Je sais que vous allez avoir besoin de moi, mais je– Meri vient d'envoyer un message.
Une voix étouffée lui parvint de l'autre bout de la ligne : c'était Allura, qui répétait le nom de Meri.
— Elle est allée directement à l'essentiel, précisa rapidement Pidge. Mais elle– Shiro, je crois qu'elle a trouvé où était retenu mon père.
Il y eut un silence de mort. Pidge fixa le message de Meri, les larmes aux yeux.
Des coordonnées.
Iel avait besoin des coordonnées.
Pidge se jeta sur son clavier, lançant une recherche sur la ceinture d'astéroïdes Jessaranti dans la base de données de navigation et de tout ce qu'iel avait trouvé dans les archives galras.
— Tu es sûr·e ? demanda Shiro, le souffle court.
Pidge poussa un petit rire pitoyable.
— Pas du tout. Mais Meri dit que c'est là qu'est mené Revendication et la vidéo qu'on a vue à Renxora dit que mon père a été transféré à ce projet il y a presque un an. Il faut que j'aille voir.
L'ordinateur bipa.
Un résultat apparut : ceinture d'astéroïdes Jessaranti. Quatre-vingt-cinq pour cent de chance que cela désigne un endroit mieux connu sous son code impérial, V-28-BYK. La conversion depuis le code impérial aux coordonnées altéennes était complexe, mais iel avait plus ou moins compris comment ça marchait.
— Vas-y, dit Shiro.
Pidge avala la boule qui s'était logée dans sa gorge.
— T'es sûr ?
— On va gérer ce qui se passe sur la planète mère. Prends Ryner. Prends Matt.
— Non.
Pidge inspira pour reprendre contenance, essayant de calmer son cœur qui battait trop vite.
— On ne peut pas y aller à l'aveugle.
Iel avait très envie de foncer la tête dans le tas, au diable les missions de reconnaissance, mais iel savait que ce n'était pas une bonne idée.
— Et puis, ce n'est pas juste de demander à Matt de choisir entre papa et Keith. Je vais y aller avec Ryner. On va faire du repérage. Avec un peu de chance, le temps qu'on soit prêts à agir, vous aurez déjà récupéré Keith et Lance.
Shiro inspira, marquant une pause.
— Ok. Soyez prudents et appelez-nous au moindre problème.
Pidge mit fin à l'appel sans rien ajouter, puis appela Ryner en se précipitant vers l'ascenseur qui menait au hangar de Green.
— Ryner ? dit-iel. Rejoins-moi devant Green. J'ai trouvé une piste sur mon père.
Le carnage s'étendait jusqu'à l'horizon. Des bouts de pierre et de glace se mélangeaient au fond étoilé ou étaient avalés par la lumière du soleil proche. Hunk sentait son estomac se retourner devant la scène et essayait constamment de se convaincre que ce n'était pas les restes d'un Balméra pulvérisé.
L'Empire n'avait rien d'assez puissant pour réduire un Balméra dans un état pareil. Il aurait dû rester quelque chose, certainement.
Mais il y avait des cristaux. Pas beaucoup, et pas souvent, mais çà et là, Yellow percevait des anomalies de quintessence sur ses radars et les affectait à de petits corps caillouteux où des cristaux brisés perçaient de fissures dans la roche.
— Ce sont des cristaux balmérans, dit Shay après la troisième trouvaille.
Elle avait immobilisé Yellow et était sortie chercher un échantillon. Elle en avait été convaincue avant même de retourner au cockpit, Hunk le savait, mais elle avait attendu d'avoir retiré son gant et de l'avoir examiné de plus près avant de rendre son verdict. Le lien vrombissait de douleur pour ce Balméra inconnu et ses habitants.
— Il y a toujours un peu de quintessence à l'intérieur, dit Hunk, sa langue lui donnant l'impression de s'être changée en plomb.
Il ne voulait rien dire, mais ils avaient besoin de savoir ce qui s'était passé.
— Ça… Ça veut dire que c'est récent, non ? Je ne sais pas au bout de combien de temps les cristaux perdent leur énergie dans l'espace, mais ça ne prendrait pas des milliers d'années, pas vrai ?
Shay secoua la tête.
— Même pas un an. Je ne peux pas te donner de durée exacte, mais…
Elle laissa sa phrase en suspens, mais sa culpabilité était évidente. Si c'était arrivé durant l'année, peut-être même au cours des derniers mois, alors c'était sûrement en représailles de la libération de Metos, de Theros et maintenant d'Atsiphos. C'était peut-être une Migration que l'Empire avait trouvée depuis longtemps. Ou peut-être des Balméras mourants que les Impériaux avaient menés ici pour une sorte d'exécution.
En tout cas, c'était un message.
Ce fut de l'autre côté du soleil qu'ils trouvèrent le pire. La confirmation, finalement, que leurs soupçons étaient bien fondés, même s'ils avaient espéré le contraire.
Un Balméra.
Contrairement aux débris restants dans la zone, il était en grande partie entier, son corps dérivant doucement, son orbite s'effondrant et l'attirant vers le soleil. Un gros bout manquait sur le côté, la blessure si profonde qu'elle laissait un trou jusqu'au cœur de la créature, un cristal sombre et brisé brillant à la lumière de l'étoile.
Hunk sentit son sang se glacer dans ses veines et Shay retint sa nausée.
— C'est–
Le chant de Shay devint paniqué, empêchant Hunk de prononcer les mots.
Il ne pouvait cependant pas se les sortir de la tête, résonnant entre eux, froids et horrifiants à un niveau qui surpassait tout ce qu'ils avaient vu ces dernières heures. Il n'ajouta rien tandis qu'il passait un appel urgent au château-vaisseau, attachant un fichier vidéo du carnage, se concentrant surtout sur le dernier Balméra trouvé.
Coran avait le visage pâle quand il retourna leur appel.
Hunk vit toutes les émotions qui se succédèrent sur son visage en regardant les images défiler et son cœur sombra un peu plus à chacune d'entre elles. D'abord vint le choc, et Hunk se demanda s'il aurait dû prévenir Coran de ce qu'il s'apprêtait à voir. Mais il ne pensait pas que quiconque pouvait être préparé à une chose pareille.
Après le choc vint la douleur, mais seulement un bref instant, rapidement avalée par la prise de conscience et l'horreur.
— Je sais de quoi ça à l'air, dit Hunk à voix basse. J'ai vu à quoi ressemble la planète mère. Mais ça ne peut pas… enfin, tu l'as dit toi-même, on n'en a pas vu depuis dix mille ans et Haggar n'a pas eu l'œuf en sa possession assez longtemps pour qu'il grandisse autant… pas vrai ?
Coran s'humidifia les lèvres.
— J'espère que tu as raison, dit-il. Et d'ailleurs, tu devrais l'être. Il ne devrait plus y avoir de vkullor en mesure de chasser les Balméras.
Ce nom enferma le cœur de Hunk dans une coquille de glace, mais ce fut Shay qui frissonna, les bras enroulés autour de son corps tandis qu'elle poussait une petite note plaintive.
— Vous êtes certains que ça s'est passé récemment ? demanda Coran, cherchant clairement du réconfort.
Hunk leva les yeux vers les étoiles. Ils s'étaient un peu éloignés du terrain de chasse, mais la scène s'était incrustée sur ses paupières.
— Il y a encore de la quintessence, Coran, dit-il. Dans le cœur de cristal, mais aussi dans les petits fragments. Shay dit que ça ne mettait pas si longtemps à se dissiper dans l'espace.
— C'est vrai. Quiznak.
Coran porta une main à son menton, se lissant la moustache en réfléchissant. Après un moment, il secoua la tête et rencontra le regard de Hunk.
— Ne tirons pas de conclusions hâtives. Cela ressemble effectivement à une attaque de vkullor, mais c'est peut-être une mise en scène. Zarkon n'a jamais hésité à se servir des pires bassesses pour inspirer la peur.
— Tu crois ? demanda Hunk.
Ce n'était pas beaucoup plus réconfortant de se dire que Zarkon disposait d'une arme aussi destructive, mais tout lui paraissait mieux qu'un véritable vkullor.
Coran sourit, aussi faiblement soit-il.
— C'est une éventualité et il ne faut pas céder à la panique avant d'en savoir plus. Je vais demander à l'Entente de se pencher dessus et trier les appels de détresse récents. Si ça ne vous dérange pas, pouvez-vous me ramener quelques échantillons ?
Hunk jeta un œil à Shay, puis hocha la tête.
— Je vais ramasser tout ce que je peux. On te rejoint au plus vite.
