"-J'ai fais quelque-chose... de contre-nature, murmura le garçon. Et ce qui est flippant, c'est qu'en y repensant, ça me fait un bien fou."
Le retour à la maison se fit presque en silence. Personne n'avait la tête à échafauder des théories ou faire des suppositions sur la suite. Kris aurait voulu pouvoir leur dire qu'il était désolé – d'avoir attiré en ville des cinglés de la gâchette, ou au moins, genre, d'avoir fait exploser la mairie – mais s'il le faisait, il avait peur que la famille d'Henry se mette à cogiter, et qu'ils décident de le planter là.
Kris en était jaloux, de la famille d'Henry. Ils prenaient drôlement bien soin les uns des autres. Si l'un d'eux disparaissait, même deux secondes, ils ne s'arrêtaient pas de chercher avant de l'avoir retrouvé. James était comme dingue de ne plus avoir sa Blanche. Il brûlait de se lancer à sa recherche, mais les hommes en noir étaient leur seule piste, et jusqu'au moment où on les boucla au trou, dans la cellule du commissariat, pas moyen de leur arracher un mot. Au moins, en les fouillant, Emma trouva ce que l'un d'eux avait utilisé pour fuir.
C'était de la cendre. De la cendre de cheminée absolument ordinaire, voilà ce que le gars avait jeté par terre en emportant Blanche. Mais eux, elle ne les mena nul-part, même quand Régina essaya de s'en servir. C'était peut-être parce que la mère d'Henry était pas bien remise. Elle avait plutôt bien réussi à soigner Crochet – quel nom débile – mais la sorcière, elle avait perdu trop de sang, même si elle tenait debout pour l'instant.
-Je vais rester ici, déclara James le visage fermé en chargeant un revolver. Si le reste de leur petite bande cherche à récupérer ceux-là, ils trouverons à qui parler.
Il était inquiétant, le James. Il avait complètement changé de visage depuis l'instant où on avait enlevé sa femme. Tout le monde le regarda s'asseoir dans un coin de la petite pièce pour dévisager les hommes en noir dans la cellule du commissariat. Les agents derrière les barreaux s'étaient assis par terre, mais à part ça, ils auraient aussi bien pu être des statues de cire. Emma posa sur son père un regard prudent:
-Et Neal? On peut se relayer pour les surveiller, je crois que tu ne devrais p...
-Neal va rester chez Granny, murmura James d'une voix blanche. C'est là où il sera le plus en sécurité. Je ne bougerai pas d'ici sans une piste pour retrouver Blanche.
Kris ne maîtrisait pas ses pouvoirs, mais il commençait à comprendre un minimum. Il était toujours capable de déceler ce que souhaitait les gens qui l'entourait, il le ressentait jusqu'à l'insupportable, et cet homme là voulait que d'autres agents viennent libérer les prisonniers dans la cellule. James comptait là-dessus pour obtenir des informations – ou peut-être juste pour se défouler, il était plutôt incroyable avec cette épée qu'il portait à la ceinture.
Finalement, ils furent bien obligés de l'abandonner au commissariat, malgré la réticence d'Emma et d'Henry.
-Ne t'en fais pas, je serais dans le coin, chuchota Robin à Emma en lorgnant sur un haut bâtiment en face du commissariat. Je n'ai pas besoin d'être trop près de mes cibles pour garder un œil sur elles.
Emma hocha la tête, peut-être un peu soulagée. Ils avaient réussi à repousser l'ennemi et même choper des prisonniers, pourtant, quand ils se séparèrent, ça n'aurait pas pu moins ressembler à une victoire.
Régina passa à l'attaque dés qu'ils se retrouvèrent tous les cinq dans la voiture, elle, Emma, Crochet, Henry et Kris.
-Tu vas devoir retourner vivre avec moi, Henry, lança-elle en jetant un regard prudent à Kris dans le rétroviseur. Avec tout ce qu'il se passe en ville en ce mom...
-Pardon?, coupa Emma en donnant un brusque coup de volant. Tu plaisantes, pas vrai?
-Et c'est reparti, murmura Crochet à côté de Kris.
-Sa sécurité passe avant tout, fit Régina d'un ton sans appel. Et je te rappelles, Swan, que tu n'as même plus de maison.
-Henry peut tout à fait vivre à l'hôtel avec moi. Bon sang, tu viens de te faire tirer dessus, je n'arrives pas à croire que tu sois capable de pisser le sang et de nous jouer ton numéro en même temps!
Kris jeta un œil à Henry à côté de lui. Le brun ne disait rien, mais il serrait les dents, tête basse. Clairement, il avait l'habitude. C'était un spectacle presque fascinant, pour Kris. Personne ne s'était jamais battu pour l'emmener avec lui. Les mères du chouchou commençaient même à hausser le ton:
-On a déjà perdu Blanche, cracha Régina. Henry sera beaucoup plus en sécurité chez moi.
-Tu n'es pas en état, rétorqua sèchement Emma, tu le sais aussi bien que moi.
-Et qu'est-ce que ça veut dire?
-Régina, enfin! Tu es au bord de l'alcoolisme!
La reine – Kris avait cru comprendre que c'était un genre de reine – se rembrunit, les traits frémissants d'indignation. Soudain, la petite voiture jaune pencha vers l'avant avec une secousse et s'arrêta au beau milieu de la route.
-Merde!, s'écria Emma en tapant sur le volant. Ne me dis pas que c'est toi qui a fait ça?!
-Henry, lâcha Régina en sortant. Restes dans la voiture.
-Restes dans la voiture, Henry!, grogna Emma en claquant la porte à la suite de Régina.
Ok. Peut-être que Kris n'enviait pas Henry tant que ça, finalement. Emma et Régina continuèrent à se jeter des saloperies en pleine rue, devant la voiture, en tentant misérablement de baisser le ton. Apparemment, la voiture, elle avait deux roues crevées d'un coup, et c'était forcément un coup de la sorcière. La sorcière, elle voulait même pas en entendre parler, elle était en boucle sur le truc de l'alcool.
-Comment oses-tu me traiter d'alcoolique devant mon fils?, persifla-elle tout bas alors qu'Emma s'acharnait à retirer un pneu. Je... je n'en suis jamais arrivée là, tu m'entends?
-Tu es bien partie!, protesta Emma en balançant un pneu sur le trottoir. Tu n'es même pas venue au dîner d'Henry! On n'a aucune chance de redémarrer comme ça à moins de tout remplacer.
-Je ne serai pas remplacée!
-Je parle des pneus, Régina! J'en ai peut-être un de rechange dans le coffre, mais pas deux! Il faut que je regonfle l'autre, si on peut. Tu sais dans quel état ça l'a mit?
-Comment?
-Que tu ne viennes pas au dîner d'Henry, tu sais dans quel état ça l'a mit?! Il était absolument sûr que tu viendrais, Régina. Tu l'as abandonné.
Régina tressaillit comme si Emma venait de la frapper. Sa voix tremblotait quand elle répliqua:
-Il est tout ce qu'il me reste. Je ne voulais pas... je ne voulais pas qu'il me voit comme ça.
-Bourrée?
-Méchante, Emma!
Dans la voiture, on aurait entendu une mouche péter. Henry avait l'air au bord de la nausée, mais ç'aurait été pire de sortir. Pas besoin de traîner dans le coin depuis longtemps pour comprendre qu'il avait vécu cette situation mille fois, et qu'il avait fini par renoncer à s'en mêler.
-...elles savent qu'on entends tout ce qu'elles disent, là?, demanda Kris.
-Oh non, soupira Crochet. Quand elles font leur numéro de sœur jumelles, elles n'entendent plus rien.
-C'est un peu leur truc, renchérit sombrement Henry.
-Tu sais pourquoi je ne sortais plus de chez moi?, dit Régina à l'extérieur. Parce que si j'avais dû croiser l'un de vous, je ne sais pas ce que j'aurais fais. Combien de fois vous...
-Passe-moi le truc pour surélever la voiture, le cric...
-Combien de fois m'avez tous reproché d'être cette personne là? Ce que tu vois là, c'est moi qui essayes, d'accord? Tout le monde pensait que je redeviendrais le diable en personne, juste à cause de Robin. Et j'en ai envie. Rumple a raison, tu sais. Vous ne savez pas ce qu'il dégage. Ce garçon, ce... Kris, il faut être magicien pour comprendre à quel point il est étrange. Préoccupant.
Kris aurait voulu avoir un endroit où fuir, n'importe-où. Si c'était ça que vivait Henry sans cesse, ça craignait. Elles se turent à peine un instant, le temps d'ouvrir le coffre pour prendre un outil en jetant à Henry un sourire rassurant, puis le refermer, et les cris reprirent de plus belle:
-Mais je le ramène chez moi tout de même, là où va vivre mon fils, parce que c'est la bonne chose à faire, Emma!, fit Régina.
-Donne-moi ce cric, tu ne sais pas t'en servir.
-Tu crois qu'on t'a attendu pour savoir remplacer un pneu?!
-Tu es blessée!
-Je vais bien!
-Hé bien va-y, je t'en prie!
-Je me débrouillais comme une grande bien avant ton arrivée! Non? Je me débrouilles si mal que ça?!
-Tes efforts comptent, Régina, rétorqua Emma avec malaise. Ça compte réellement, mais... Henry ne peut pas être ta récompense pour tes trois mois sans méchanceté. Ça a été très difficile pour lui de s'acclimater quand il a dû venir avec moi, il commençait à aller mieux, et d'un coup, comme ça, tu reviens et tu m'annonces que tu le reprends?!Il n'est pas là pour combler tes manques affectifs.
Les trois hommes sursautèrent lorsqu'Emma – ou peut-être Régina – mit un coup de pied dans la petite voiture jaune.
-Bon sang, s'écria Emma en balançant le cric. On a tout, et il n'y a rien qui fonctionnes!
-Explique-moi comment tu compte le protéger, Emma!, s'exclama Régina. Dis-moi que tu sauras le défendre. Aujourd'hui, ces hommes ont embarqués ta mère, mais ça aurait aussi bien pu être lui. Tu peux l'imaginer disparaître de cette façon là, une fois encore?!
-Est-ce que tu as un pneu de rechange dans ton garage?
-Ne change pas de sujet!
-On n'est qu'à deux rues de chez toi, est-ce que tu as un pneu?!
-OUI!
Elles s'éloignèrent à grands pas sur le trottoir en continuant à crier, à croire qu'elles avaient complètement oubliés le reste de la famille.
-Ils ne sont pas faits pour fonctionner ensemble, ça ne marchera jamais!, s'écria Régina.
-Il le faudra bien, si on veut redémarrer!
Kris avait vu des spectacles de marionnettes moins animés que ça.
Le garçon aux cheveux blancs tressaillit lorsque Crochet posa doucement une main sur son épaule.
-Désolé, mon grand. Tu es passé par de sales moments. Dans n'importe-quelle autre ville tu serais au commissariat avec une couverture sur les épaules. Personne ne t'as vraiment demandé comment tu te sens, pas v...
Kris se dégagea et sortit de la voiture précipitamment, le cœur battant soudain la chamade. Il ne savait pas pourquoi. Il avait l'air gentil, ce gars. Et il avait raison, Kris souffrait sûrement d'une dizaine de traumatismes, il y a deux heures il galopait au hasard dans la ville, presque tout à poil, en baragouinant le patois de dieu-sait-où. Lui parler, là tout de suite, ça aurait sûrement dû être, genre, le métier de quelqu'un. Mais la gentillesse, ça faisait peur à Kris. Et il ne voulait pas qu'on lui rappelle à quel point il se sentait déboussolé et qu'il mourait de trouille. Il avait l'impression de tout ressentir à la fois, il avait peur, il voulait rentrer chez lui, et on avait essayé de le tuer plein de fois aujourd'hui.
Henry le rattrapa alors qu'il tournait au coin de la rue.
-Désolé, pour mes mères. Ça crie tout le temps, dans cette famille. C'est juste que... tu as, hum, fait disparaître la maison d'Emma. Ça demande un peu d'organisation, forcément.
-Ah ouais, les maisons..., balbutia Kris alors qu'Emma et Régina, un peu plus loin devant eux, s'engageaient dans le jardin de chez la sorcière. Hum, enfin... j'ai pas fais disparaître sa maison, à ta mère.
-Quoi?
Kris détourna le regard, mal à l'aise. Il se souvenait à peine de son réveil chez Emma. Mais donner vie à un vœu, c'était plutôt intense. Il s'en rappelait un peu.
-C'est pas trop mon truc, de détruire. Enfin... c'est un peu plus compliqué qu...
-SWAN!, hurla Régina dans la maison. QU'EST-CE QUE TU AS FAIS?!
Crochet jaillit de la voiture à son tour et Henry et lui se précipitèrent à l'intérieur. Mais finalement, ils se figèrent sur le pas de la porte. Kris les suivit plus lentement. Il n'était jamais venu, mais il savait ce qu'ils étaient en train de découvrir.
-Putain de Dieux, murmura Crochet.
Ils n'étaient pas chez Régina. Pas tout à fait. L'escalier n'était pas au bon endroit. Le papier peint n'avait jamais eu cette couleur là non plus. Il y avait sûrement toutes sortes d'objets qui n'avaient rien à faire là. Des meubles noir et blancs bien classieux cohabitaient avec un vieux rocking-chair et une déco définitivement plus simple et confort. L'ensemble aurait dû être terrible, mais le tout était harmonisé par une décoration de Noël digne d'un concours.
Noël était partout. Des guirlandes de guis s'entrelaçaient sur le mur, des figurines de Père Noël et des boules à neige étaient disposées dans tous les coins, de grosses chaussettes reposaient près de la cheminée – exactement la même cheminée que celle d'Emma, avec les mêmes chaussettes qu'Henry remplissait hier encore. Surtout, le plus beau sapin qu'on puisse souhaiter chatoyait de tous ses feux au milieu du salon, une étoile d'argent scintillant à la cime. Un petit train rempli de personnage souriant passa entre les pieds d'une Régina épouvantée, les yeux écarquillés au milieu du salon. Emma se tenait dans le hall d'entrée, à contempler la cuisine – sa cuisine, et définitivement ni son frigo ni son buffet.
C'était vraiment bien foutu, mais Kris était à peu près sûr que ça ne suffirait pas à lui épargner une bonne raclée.
-C'est dingue!, s'exclama Henry émerveillé (ce type était tout le temps émerveillé de toutes façons).
-C'est impossible, balbutia Emma.
-C'est une malédiction, cracha Régina.
Régina fulminait de rage.
-Ta maison n'a pas disparue, Emma. Elle est juste devenue... ma maison. Elles ont fusionnées. Tes affaires sont partout chez moi, même des photos de moments qu'on a passées ensemble où absolument personne n'a prit de photos! Et d'où vient cette insupportable chanson de Noël?!
-Je crois que j'exauce des vœux..., marmonna Kris en fourrant les mains dans ses poches. C'est ma magie. Enfin, je crois. Je ne me rappelles pas bien.
-De la magie de Noël, s'enthousiasma Henry. Je le savais!
-J'ai pas fais exprès, murmura le garçon aux cheveux blancs en reculant d'un pas. Je vous jure que j'ai pas fais exprès.
La respiration de Kris accélérait de façon incontrôlable, même s'il le cachait très bien. Le moindre centimètre de sa peau était comme parcourue d'un courant électrique. Ça, c'était quelque-chose qu'il connaissait, de si bien planté au fond de ses tripes que ça n'avait plus rien à voir avec la mémoire. Le moment où il comprenait qu'il avait merdé, et qu'il allait se faire casser la gueule. Ils allaient le cogner, c'était sûr. C'était quoi, le plus malin? Encaisser les coups? Parfois ça partait pas si loin si on faisait le dos rond, parfois se faire cogner c'était que pour l'éducation. Oui, peut-être qu'il pouvait se laisser faire, et comme ça, il aurait le droit de rester.
Non, décida malgré tout le garçon l'instant suivant en serrant les dents. Il en avait ras le cul d'encaisser. Y se battrait au moins un peu.
Kris faillit hurler lorsqu'Emma posa les mains sur ses épaules. Sauf que ça faisait pas mal. C'était...
Doux.
-Ok, souffla la jeune femme. Ok. Pourquoi tu as fais ça? Dis-moi que tu peux arranger ça. C'est un sort, un sort ça s'annule, pas vrai?
-...j'en sais rien, balbutia Kris en se dégageant le regard fuyant. Je sais même pas quel vœu j'ai exaucé, je... c'est ce que je fais, c'est tout. Je décides pas si je veux le faire ou pas. J'ai pas fais exprès.
Elle allait bien quand même finir par le frapper, nan? Peut-être que c'était Crochet qui le foutrait par terre pour le battre, vu que c'était un boulot d'homme. Kris avait eu sa chance et il avait fait son Kris, gravement, il avait fait disparaître toute une putain de maison rien qu'en la regardant, il allait forcément le payer.
Mais à sa grande surprise, Emma se contenta de soupirer en lui caressant distraitement les cheveux. Elle lui caressait les cheveux.
-Il faudra t'apprendre à maîtriser ça avant que tu ne te fasses mal avec.
-Que je me fasses... mal..., murmura Kris hébété.
-Je commences à comprendre pourquoi Rumple prétends qu'il a des choses à t'enseigner, renchérit Crochet en le jaugeant d'un air préoccupé.
-Et donc, Swan?, maugréa Régina les bras croisés. A quoi doit-je encore m'attendre? Tu peux m'expliquer les règles du jeu?
-Les règles du jeu?, articula sèchement Emma en écarquillant les yeux, outrée.
-Le gamin réalises des vœux! Tu as dû vouloir quelque-chose!
-Pourquoi j'aurais voulu que ta maison se change en... ça?! Je n'aime même pas Noël! Pourquoi ce ne serait pas toi?! Tu as peut-être souhaité qu'Henry n'ait plus d'autre choix que d'être avec toi!
-C'est toi que le magicien de Noël regardait!
-Pas du tout, il te fixait droit dans les yeux!
-Oui bon, si ça se trouve, je zieutais aucune des deux!, s'écria Kris plus pour les faire taire qu'autre chose.
-Plus tard, Kris!, s'exclamèrent les deux femmes en même temps.
Elles s'énervaient bien un peu, mais par contre les claques venaient toujours pas. Ça cachait forcément quelque-chose d'horrible, c'était sûrement une de ces baraques de bourges où le véritable enfer commençait que la nuit.
Régina allait encore hurler, quand soudain, toutes les couleurs quittèrent son visage. Elle commença à vaciller. Crochet la saisit juste à temps, mais elle le repoussa presque aussitôt pour s'asseoir dans le vieux canapé défoncé d'Emma, une main plaquée sur son flanc.
-Je me sens presque comme si on ne m'avait pas tiré dessus, fit Crochet. Pourquoi ça ne fonctionnes pas aussi bien sur toi?
-Parce que ma blessure était beaucoup plus inquiétante, haleta Régina. Mais ce n'est rien. Je... j'ai arrangé le plus gros.
-Mais tu as besoin de temps, s'inquiéta Emma. Il suffit de te regarder. Tu ne vas pas guérir d'un truc pareil d'ici juste un jour ou deux, pas vrai?
-Ca veut dire qu'on va rester ensemble?, réalisa soudain Henry avec un soulagement palpable. C'est génial!
-C'est, balbutia Régina, enfin...
-En plus, on sera en sécurité, comme ça! Avec tout ce qui commence à arriver en ville...
Kris eu presque envie de rire lorsque le regard horrifié d'Emma croisa celui de Régina. Elles se battaient sûrement pour avoir Henry chez elles depuis une éternité. Et maintenant, aucune des deux ne gagnait, parce qu'elles partageaient la même maison.
Mais presque aussitôt, le regard de Régina se fit prudent. Tout à l'heure dans la voiture, elle avait toutes les chances de perdre. C'était peut-être le moment de presser son avantage.
-Bien-sûr, mon chéri. Emma et toi vous... vous allez peut-être devoir rester ici quelques temps.
-Ca va être trop bien!, s'exclama Henry. En famille juste à temps pour Noël, vous réalisez?
-Oui. Depuis le temps..., articula lentement Régina en dardant sur Emma un regard ardent de rage, que j'attendais de récupérer ma famille...
-Mais uniquement pour la période de Noël, imposa Emma. Dés qu'on sera hors de danger et qu'on aura trouvé comment rompre ce sortilège, chacune retrouvera son espace.
Et on décidera qui garde Henry pour de bon, lut Kris dans les yeux des deux femmes.
Kris pouvait sentir entre elles des souhaits brûlants, presque palpable. Elles ne pouvaient pas s'entendre parce qu'elles voulaient toujours exactement la même chose, peut-être même pas seulement Henry. Ça ne datait pas d'hier, cette histoire. Mais cette fois-ci les choses seraient différentes. Elles avaient toujours cohabité avec leur fils chacune leur tour. En fait, elles avaient sûrement toujours profités de la moindre occasion de s'éviter, à croire qu'elles avaient toujours tout fait pour éviter précisément cette situation. Devoir être une famille. Être la mère d'Henry en même temps, et pas seulement parce qu'il fallait s'allier le temps de combattre quelque-chose.
-Tout ça est une bonne nouvelle, conclut froidement Régina en se redressant avec dégoût dans le vieux canapé recousue. Si ce... «souhait» n'était pas un bête de sort de destruction, c'est peut-être quelque-chose qu'on peut défaire. Tous les sortilèges ont des conditions. On n'a qu'à trouver ce qui fait tenir celui-là, et tout retournera à la normale.
Apparemment, Henry avait encore ses deux chambres, alors on offrit l'une des deux à Kris. On avait jamais offert autant de trucs à Kris en un jour, et il venait de chez le Père Noël – soit disant. L'endroit tout entier était imprégné de l'étrange aura d'Henry. Combien de vœux il avait bien pu faire dans cette piaule? Le garçon aux yeux rouges avait l'impression d'être un imposteur, assis sur le lit d'Henry, dans les vêtements d'Henry, avec sur la table de chevet une photo d'Henry encadré de ses deux mères, les vieux jouets d'Henry un peu partout. C'était comme jouer à la poupée.
Au bout d'un moment, il réalisa qu'il n'osait plus redescendre en bas avec les autres et qu'il n'avait rien de particulier à y faire, alors il s'assit juste dans l'encadrement de la fenêtre, et il attendit, en triturant son ticket du Pôle Express.
«Kris, Vrai Croyant
9 ans, Boston, aller-retour
00:00, Polar Express»
-Vrai Croyant..., murmura le gamin.
Il ne se sentait pas très Vrai Croyant, Kris. Ca ressemblait à quelque-chose de beau, de pur, quelque-chose comme Henry. Kris, lui, ne se fiait à rien ni personne. Soudain, il ne supporta plus la vue du ticket une seconde de plus et le fourra dans sa poche.
Il savait pas bien ce qu'il attendait. En fait, il se rendit compte qu'il guettait le bruit d'une voiture s'arrêtant dans l'allée, des pas précipités dans les gravillons, quelqu'un toquant fiévreusement à la porte. Ses parents qui viendraient le chercher. Ceux d'Henry le cherchait partout quand il s'éloignait. Si ça se trouve, ceux de Kris faisaient pareil en ce moment même, peut-être qu'eux aussi ils le retrouverait toujours. Des parents, ça ne pouvait jamais mettre bien longtemps à retrouver leur gamin, si? Il se souvenait bien qu'il n'en avait pas, au début, des parents. Kris avait été orphelin, ça, il se le rappelait vaguement. Mais tout avait changé ensuite. Il y avait eu un train. Un souhait. Il s'était passé plein de trucs. Et à la fin de cette histoire...
Il sursauta violemment quand Emma entra.
-Désolé, dit-elle doucement. J'aurais dû frapper. On n'a pas encore vraiment parlé, toi et moi. Et heu, apparemment tu as un atelier dans le garage. Si tu as envie de réparer ton traîneau, ou si tu es censé le faire ou je ne sais quoi.
-Pour partir?, osa demander le garçon.
-Non. Parce qu'il est à toi, c'est tout.
Kris haussa les épaules et détourna les yeux, la respiration soudain difficile. Pourquoi il était tellement tendu, méfiant? Est-ce qu'il avait toujours été comme ça?
«Respire, Christophe», fit une voix douce et bienveillante dans sa mémoire, «respire pour moi. Tout doux».
Il avait peur quand il était seul avec un adulte, il aimait pas qu'on lui parle doucement, c'était comme s'il était constamment sur le point de devoir se battre, et surtout, il ne voulait pas qu'on lui fasse parler de ce qu'il ressentait. Il avait l'impression d'avoir le corps rempli de coups de poings, et même s'il aurait mille fois crevé plutôt que de l'admettre, il se sentait si fragile qu'il ne comprenait pas comment il n'explosait pas en mille morceaux.
Emma s'assit sur le lit quand même. Kris croyait s'attendre à tout, mais il fut complètement pris de court quand elle dit:
-Je ne sortais jamais de ma chambre, mon premier jour dans une nouvelle famille d'accueil. Je ne descendais même pas dîner, parce que je n'étais pas sûr... je ne sais pas, d'avoir le droit. C'était pas ma place, ou ma maison, et je le savais.
-Sauf que c'est pas une famille d'accueil, rétorqua Kris en ramenant ses genoux contre sa poitrine.
-Non, c'est vrai. Mais peut-être que ça peut être quelque-chose de mieux?
Kris ne répondit pas. Il y eu un moment de silence gênant.
-Est-ce que tu... manges comme un humain?, finit par demander Emma. Est-ce que tu as faim? Désolé, je vois bien que tu ne vas pas bien, c'est juste que je ne sais vraiment pas quoi faire pour t'aider. Tu es tombé du ciel. Il n'y a pas de manuel pour ça.
-J'ai faillis tuer votre fils. Et votre mère s'est faite enlever à cause de moi. Pourquoi vous m'avez amené ici?
-Parce que jusqu'à preuve du contraire, ton seul délit est d'être un catastrophique pilote de traîneau.
-Vous allez continuer à avoir des ennuis tant que je serai dans le coin. Pas seulement les gars en noir. Il y a... des choses qui vont me suivre. Des choses de mon monde, qui me ressemble.
-Bienvenu à Storybrook, petit. Tout le monde arrive ici avec une grosse hotte rempli d'ennuis.
-J'ai le droit de rester combien de temps?
-Tu peux rester le temps qu'il faudra, c'est tout.
-Ce n'est pas la peine d'espérer que je vous rende votre baraque, vous savez. C'est de votre faute si c'est comme ça, z'auriez pu souhaiter d'avoir votre Henry rien que pour vous, ou la sorcière aurait pu souhaiter ça aussi, mais quelqu'un a demandé ce merdier. Quand c'est fait, c'est fait, vous pouvez vous en prendre qu'à vous même.
-Tu as un côté casse-couille, on te l'as déjà dis?
Kris haussa les épaules avec défi, mais ne put s'empêcher de rougir.
-Mais tu n'es pas un méchant garçon, remarqua Emma avec un sourire en coin. Tu te souviens de quelque-chose, maintenant?
Kris la dévisagea un instant. Emma ne cilla pas, malgré le regard rouge particulièrement perturbant du garçon.
-...Emma Swan, lâcha l'adolescent.
-Oui?...
-Vous étiez sur la liste.
Les yeux d'Emma s'agrandirent. Kris réalisa qu'il avait soudain un vieux parchemin corné à la main, surgi de nul-part. Une liste couverte de nom. Il y en avait des milliards. Ça aurait dû être impossible, mais c'était comme si Kris pouvait plonger le regard dans le parchemin et y voir flotter des noms derrière les noms, bien plus qu'on aurait dû pouvoir en fourrer sur une seule page. Certains noms étaient tout vieux et inertes, à peine des souvenirs, des cicatrices. Mais d'autres palpitaient sur le papier, rayonnants de vie et de foi. Instinctivement, Kris en repéra un qui brillait plus fort que tous les autres.
«Henry Mills».
Il avait sûrement des cadeaux tous les ans, celui-là. Kris chercha plus loin, parmi les vieux noms qui ne bougeaient plus, et il trouva, avec une facilité déconcertante:
«Emma Swan».
-C'est celle des enfants sages, fit pensivement Kris en passant les doigts sur la liste. Vous vouliez un baladeur mp3 et une poupée.
-Ok, lâcha Emma. Tu as le pouvoir de savoir tout ce qu'on a demandé au Père Noël. On va dire que ça peut toujours servir.
C'était davantage que ça. En effleurant l'un des noms, ou en le prononçant à voix haute, Kris était capable de sentir la présence des enfants. Où qu'il soit dans le monde. Savoir ce qu'ils avaient fait, au moins cette année, et le genre de personne que leurs actes semblaient pour l'instant les appeler à devenir. Ce n'était pas une liste pour les cadeaux. C'était une liste pour tenter de mettre chacun sur la meilleure voie possible.
La voie sur laquelle ils auraient toutes leurs chances.
Kris lâcha la feuille, et la regarda disparaître sans étonnement. Il avait utilisé ce sort des milliers de fois, il en était quasiment sûr.
-Je sais tout ce que les gens veulent, dis-il. En permanence. Près des adultes, c'est souvent horrible. Ils ne veulent que baiser et gagner de l'argent.
-Justement, parlons-en, déclara Emma en croisant les bras. Tu sais ce que veulent les gens, pas vrai? Les types qui ont enlevés ma mère, qu'est-ce qu'ils voulaient?
Kris frissonna.
-...moi, avoua-il. Ils me voulaient moi. Désespérément.
-Désespérément?, fit Emma en fronçant les sourcils.
-Ils ont peur. Et très mal. J'ai pris quelque-chose qui est à eux, et ils essayent de le récupérer depuis incroyablement longtemps. J'ai... je me suis mal comporté.
-Tous les gosses se comportent mal. On ne leur envois pas le FBI pour autant.
-Pas mal comme ça. Mal comme un vrai méchant.
Emma se tendit un peu.
-Non, rétorqua-elle. Ces types-là ne sont pas les gentils de l'histoire. Ça, je ne pourrais pas le croire.
Kris l'entendit à peine. Plus il parlait, et plus des images lui revenaient, des voix, tout un tas de trucs qui émergeaient comme à la surface d'une boue répugnante.
-J'ai fais quelque-chose... de contre-nature, murmura le garçon. Et ce qui est flippant, c'est qu'en y repensant, ça me fait un bien fou. Vous comprenez? J'ai fais un truc atroce, je peux entendre les hurlements, j'entends qu'on me supplies d'arrêter. Et tout ce que je ressens, c'est ce... ce putain de soulagement. Elle avait des règles, cette magie, et je les aient toutes enfreintes. Sauf que j'ai pas payé le prix. J'ai essayé de le prévenir, vot' fils. Si je ne payes pas, alors tout le monde devra payer avec moi.
Il haussa des épaules tremblantes. Soudain, il se sentait terriblement fatigué.
-Je suis qu'une étape de leur plan. Et votre mère aussi, c'était qu'une autre étape du plan. Il leur fallait l'un de vous, dans tous les cas, ils vous auraient kidnappés quelqu'un plus tard s'ils l'avaient pas fait ce soir. Mais même si ce n'est pas dans le bon ordre, tout se passe comme ils le voulaient. Y a qu'un seul truc dont je suis sûr. Faut que vous partiez.
-Qui ça?
-Tout le monde. Il faut que vous partiez loin. Vous n'avez aucunes chances de combattre ce qui arrive. Ils se rapprochent de leur souhait, même là tout de suite.
-Quel souhait, Kris?
-Je ne suis pas sûr. C'est juste... des impressions que j'ai. Et je n'ai pas pu bien voir quand on était là-bas, je n'arrive pas à me concentrer sur les autres avec votre fils à côté, à certains moments il croit trop fort, comme s'il m'éblouissait.
Kris sentit quelque-chose changer presque imperceptiblement dans l'esprit d'Emma.
-Tu as prononcé son nom quand tu t'es écrasé pas vrai?, demanda-elle l'air de rien. Est-ce que tu sais pourquoi? Vous avez l'air proches.
-J'en sais rien. Je... je ne sais plus rien du tout. Sur quoi que ce soit. Et Henry, il est toujours certain de savoir. J'aime bien, c'est tout.
-Il fait cet effet là, opina prudemment Emma.
Kris lui rendit son regard sans ciller.
-Et il n'a pas peur de moi, lui, ajouta le garçon.
-Mais il est trop jeune pour être mêlé à cette histoire, rétorqua aussitôt Emma. Pourquoi mon instinct me hurle que je ne pourrais pas l'empêcher d'être mêlé à tout ça? Tu as dis son nom quand tu t'es écrasé, comment tu pouvais le connaître? Tu as utilisé la liste pour trouver où il vivait?
Soudain, Kris se rappela qu'Emma était aussi le shérif de la ville. Et il commença à se demander s'il n'était pas juste dans une très chouette salle d'interrogatoire.
-Vous êtes en train de me dire de ne plus toucher à votre fils, ou un truc comme ça?
-Ce n'est pas ce que j'ai dis, protesta Emma mal à l'aise. Mais il en a fait suffisamment, tu ne trouves pas?
Emma ne le regardait plus, et soudain, elle semblait emplie d'une tension entièrement différente. Déjà oubliée, la gentille famille d'accueil. Kris plissa les yeux.
-Vous voulez que je m'en aille, lâcha-il.
-Je n'ai pas dis ça.
-Je n'ai pas besoin que vous le disiez. J'entends ce que vous voulez, même les trucs que vous voulez pas vouloir. Peut-être qu'Henry se trompe complètement sur vous, au final. Il dit que vous sauvez toujours tout le monde, mais vous n'arrivez même pas à l'aider, lui. Vous ne le connaissez même pas. Peut-être que vous n'êtes pas aussi douée pour aider que ce que vous croyez.
-Henry va parfaitement bien.
-Il est pédé, votre petit ange, vous le saviez?
-Hey, s'exclama Emma en se levant brusquement. Je te conseilles de revenir à un style un peu plus conte de fée tout de suite, c'est clair?!
-Je sens ses vilaines petites envies de tapette d'ici. Ça lui arrive même de penser à votre mec, le soir, quand il...
Le cou de Kris craqua sous la force de la gifle qu'Emma lui asséna. Une belle taloche de niveau compète'. La blonde ramena vivement sa main contre elle comme si elle n'en revenait pas elle-même de ce qu'elle venait de faire, les yeux écarquillés, mais elle ne se démonta pas.
-Je me fiches que la moitié du ciel nous tombe sur la tête, haleta-elle. Parle encore comme ça d'Henri, et je te jette dehors avec les agents secrets.
«la gratitude s'apprend. Et vous l'apprendre fait partie de mon travail», murmura un souvenir dans l'esprit de Kris.
«si tu parles, je te brises les deux genoux.»
Un sentiment aussi étrange que malsain brûlait la joue de Kris, un mélange de profonde déception et de satisfaction. Voilà, la famille d'Henry était comme partout ailleurs, au final. Ils cognaient, ils avaient peur, ils donnaient à Kris ce qu'il méritait. Le garçon n'avait pas envie de se faire du mal à espérer quelque-chose de différent. C'était peut-être horrible, mais au moins la violence c'était quelque-chose qu'il connaissait, quelque-chose de familier.
Par contre, la suite, il l'avait pas vu venir.
Emma allait dire quelque-chose lorsque, brusquement, elle écarquilla les yeux avec effroi, comme si Kris venait de se métamorphoser sous ses yeux. Le garçon porta la main à sa bouche en sentant quelque-chose perler au coin de ses lèvres... et ramena ses doigts couverts de suie noirâtre.
-Non, s'étrangla-il.
Kris hoqueta de surprise lorsqu'un frisson lui secoua toute la colonne vertébrale, se cabra violemment en arrière. Il pouvait sentir quelque-chose en lui, comme un poison immonde qui envahissait tout son corps, surgi de nul-part. Il s'effondra par terre en tentant de se lever, tremblant de douleur.
-Kris, balbutia Emma en bondissant sur ses pieds. Qu'est-ce qui t'arrive?! Parle-moi.
On aurait dit que quelque-chose tentait de sortir de lui, ou de le tuer de l'intérieur. Le garçon tenta de dire quelque-chose, mais une fumée noire jaillit de sa bouche aussi sûrement que si Kris était une cheminée de locomotive.
-Kris!, hurla Emma lorsque le garçon tenta de se mettre à genoux.
Kris ne l'écoutait même pas. Un autre souvenir lui revenait, un autre geste qu'il faisait sans arrêt avant. D'un claquement de doigt, il fit apparaître un parchemin. Mais pas le même que celui d'avant. Emma recula. Quelque-chose de malsain émanait du rouleau, comme une aura de désespoir, et la même odeur de charbon que celle qui remplissait la bouche du garçon aux cheveux blancs. La liste des enfants mauvais. Il devait vérifier sur quelle liste il se trouvait, tout dépendait de la liste. Kris la déplia fébrilement, les doigts tremblants, et parmi des milliers, cette fois, il trouva son nom, vacillant.
«Kris Kringle.»
Le nom vacilla encore quelques instants, et quand il s'effaça presque entièrement, Kris fut capable de respirer normalement, le pétrole qui montait dans sa gorge reflua, non sans laisser un répugnant arrière-goût de mauvaise action.
-C'est fini, balbutia le garçon les lèvres encore barbouillées de pétrole. C'est... c'était pas si grave.
Une seule méchanceté. C'était tout ce qui avait été nécessaire pour que son nom change de liste et apparaisse brusquement sur celle des sales gamins. Mais pourquoi ça lui faisait cracher du charbon et de la fumée? Pourquoi Kris était le seul que la liste punissait comme ça pour ses mauvaises actions, parmi les milliards de gamins et d'ados écrits dessus?
-C'était quoi, ça?, haleta Emma en s'agenouillant près de lui.
Je mérites rien de tout ça, c'est tout, songea le garçon en serrant le parchemin dans son poing. La belle maison, les vêtements chauds, les parents. Je mérites rien de rien, je suis qu'un rat.
Kris se leva brusquement.
-Qu'est-ce que ça peut vous faire, à vous?, cracha-il. On commence à peine, là. Allez-y, cognez. Pourquoi vous vous arrêtez alors que c'est ce que vous voulez?! Je l'entends dans votre tête!
-...on dîne dans une demie-heure, lâcha finalement Emma avant de se redresser pour faire volte-face. Et si tu es si doué avec les souhaits, tu sais très bien que je veux te voir en bas avec tout le monde.
Et elle parti en claquant la porte, le laissant seul.
Kris resta planté au milieu de la pièce, haletant. Il n'osait pas s'asseoir sur le lit, ou ailleurs. Rien ici n'était à lui. Qu'est-ce qui arriverait encore s'il prenait quelque-chose qui n'était pas à lui? Ou qu'il disait quelque-chose de méchant, ou qu'il faisait juste une de ces conneries qu'il faisait sans arrêt?
Il était mauvais par nature, Kris. Ça, maintenant, il s'en rappelait.
Il leva la main, mais la liste des mauvais enfants et son odeur de charbon avait disparue. A la place, il tenait à nouveau la liste des enfants sages. Le nom de Kris y était revenu, mais il était ténu comme une esquisse, à peine discernable. Est-ce qu'il allait revenir entièrement? Il devait revenir, à tout prix. Kris ne comprenait pas, il ne comprenait même rien du tout à tout ce qu'il venait de se passer, mais il se souvenait qu'avoir son nom sur la liste des enfants sages était une question de vie ou de mort. S'il faisait quelque-chose de mal, s'il passait sur la liste des enfants mauvais, il souffrait atrocement. Et s'il finissait par faire une saloperie de trop, et qu'il passait sur la mauvaise liste, pas pour quelques secondes mais pour toujours? Peut-être qu'il en mourrait.
Le garçon s'assit dans un coin. Il n'irait pas manger et n'arrêterait pas de regarder tant que son nom ne serait pas entièrement revenu sur la bonne liste, même si ça mettait des heures. Ce serait sa punition.
-Désolé, murmura-il tout bas. Je suis qu'un crétin. Je suis désolé.
De grosses larmes se mirent à lui dévaler les joues sans un bruit. Elles étaient noires comme du pétrole.
