Niwe anginn : Chapitre 4


Harry passa la journée entière enfermé dans les appartements qu'on lui avait attribués. Il resta longtemps immobile, perdu dans ses pensées, laissant les souvenirs de son époque défiler devant ses yeux. Une lourdeur pesait sur sa poitrine, un mélange d'angoisse et de tristesse qu'il n'arrivait pas à dissiper. Il aurait pu se laisser aller, rester prostré, figé dans cette douleur silencieuse… mais quand un elfe apparut avec un plateau de déjeuner, il se força à se lever.

Il n'avait jamais osé revivre la privation alimentaire, pas même dans ses pires moments de détresse. Même après cinq ans loin des Dursley, son corps gardait la mémoire des jours où il n'avait rien eu à manger, des semaines où il survivait sur les restes jetés à la poubelle. Ne pas manger, c'était prendre le risque de retomber dans cet état de faiblesse où son corps devenait trop lourd, où la faim vrillait son estomac jusqu'à lui faire perdre conscience.

Alors, malgré l'épuisement mental, malgré la douleur qui lui vrillait l'âme, il mangea. Une bouchée après l'autre, sans vraiment sentir le goût des aliments, mais en sachant qu'il en avait besoin.

Plus tard, quand le dîner arriva, il répéta ce même geste mécanique, bien qu'un peu plus lentement. Il se sentait vidé, son esprit oscillant entre le présent et les ombres du passé. Les abus physiques des Dursley appartenaient à une autre époque, mais ceux qu'il avait subis ensuite, sous la main de Dumbledore et de ses "enseignants", étaient d'un autre genre. Ils ne laissaient plus de traces visibles sur son corps… mais les cicatrices psychologiques, elles, étaient bien plus profondes.

Certaines phrases suffisaient à déclencher des tremblements incontrôlables, d'autres à le figer totalement, ses muscles tétanisés par une peur viscérale. Et puis, il y avait ces mots, ces intonations précises qui réveillaient en lui des souvenirs qu'il aurait préféré oublier.

"Tu es insignifiant."

Le ton sec de l'enseignant résonnait encore dans sa tête. Ce n'était qu'une phrase, un murmure même, mais elle avait suffi à l'envoyer des années en arrière, dans le placard sous l'escalier.

Il revoyait l'obscurité, le bois rugueux contre son dos, la faim tordant son ventre. Il se souvenait de sa respiration saccadée, de la façon dont il avait appris à se faire tout petit, à ne pas faire de bruit, à attendre que le temps passe en espérant que Vernon ne décide pas de rouvrir la porte pour une nouvelle punition.

"Tu crois que tu vaux mieux que les autres ?"

Une autre voix. Celle de Dumbledore, cette fois, chargée de froideur et de reproche.

Son dos heurta violemment le sol de pierre glacé, sa baguette lui échappa des mains. La douleur explosa dans son épaule, mais il n'eut pas le temps de reprendre son souffle qu'un nouveau sort l'atteignit. Un hurlement s'étrangla dans sa gorge, ses muscles se tordirent sous la brûlure insoutenable du Doloris.

Il avait cessé de compter les fois où le Directeur l'avait soumis à cette torture. À force, son corps avait appris à ne plus convulser aussi violemment, mais son esprit, lui, hurlait toujours autant.

Il ferma les yeux et inspira profondément, tentant de chasser les images. Ce n'était pas le moment de se laisser submerger. Il était dans une autre époque. Loin de Dumbledore. Loin des Dursley.

Ses doigts tremblaient légèrement lorsqu'il reposa ses couverts. Il serra les poings, comme pour s'ancrer dans le présent.

Ici, personne ne pouvait lui faire de mal.

Il se le répétait encore et encore, comme une prière silencieuse. Mais malgré cette certitude rationnelle, son cœur continuait de tambouriner contre sa cage thoracique, et l'ombre du passé planait toujours, prête à s'abattre à la moindre faille.


C'est ainsi que s'écoula presque une semaine. Personne n'était venu le voir, mais, dans ses rares moments de lucidité, lorsqu'il émergeait des ténèbres de ses souvenirs, il avait remarqué les elfes de maison qui apparaissaient furtivement. Ils restaient quelques minutes, l'observaient en silence, puis disparaissaient aussitôt.

Il savait pourquoi. Ils devaient rapporter son état aux adultes. Probablement à Helga ou à Salazar. Mais pour l'instant, il leur était reconnaissant de ne jamais être arrivés au mauvais moment—dans ces instants où la douleur du passé devenait insupportable, où il se perdait trop profondément dans ses souvenirs, et où sa magie… explosait.

Elle avait toujours été instable. Depuis cette nuit fatidique du 31 octobre 1981.

Avant cela, il avait entendu dire qu'elle était paisible, fluide, presque trop calme pour un enfant de son âge. Mais chez les Dursley, elle s'était éveillée d'une toute autre manière. D'abord par de petits incidents : un pull trop serré qui disparaissait, une coupe de cheveux qui repoussait du jour au lendemain. Puis, à mesure que les coups et les cris pleuvaient, sa magie avait cessé d'être une simple réponse inconsciente. Elle était devenue sauvage. Défensive. Dangereuse.

Il revoyait Vernon, son souffle court et rauque, la main levée, son visage tordu par la colère. "Tu crois que tu peux nous défier, monstre ?"

Le souvenir frappa avec la force d'un poignard enfoncé trop brusquement. Son cœur se serra, et sa respiration se coupa un instant.

Un grincement strident résonna dans la pièce.

Les murs tremblèrent.

Les meubles craquèrent sous une pression invisible.

Le miroir accroché au mur se fendilla, une ligne fine et menaçante courant en travers de sa surface comme une cicatrice fraîche.

Harry se força à respirer, les poings crispés sur ses genoux. Il devait reprendre le contrôle. Il devait—

Mais un autre souvenir le happa, l'arrachant à la réalité.

Le bureau de Dumbledore.

Le froid de la pierre sous ses genoux.

La voix calme, implacable, déçue.

"Tu n'es qu'un outil, Harry. Ce que tu ressens n'a aucune importance."

Le froid de la pièce se fit mordant. Un craquement retentit, brutal.

Les chandeliers vacillèrent avant de s'éteindre d'un seul coup.

Une onde de magie brute déferla sur la pièce, envoyant valser la table basse contre le mur avec un fracas assourdissant. Un éclat de bois vola et érafla son bras, mais il ne réagit même pas. Son souffle s'accélérait, sa vision se brouillait.

La magie s'échappait. Incontrôlable. Féroce.

C'était toujours comme ça.

La rage, la peur, la douleur—tout s'accumulait, enfoui sous des années de contrôle forcé. Et quand la pression devenait trop forte, elle explosait sans prévenir, ravageant tout sur son passage.

Lentement, il ferma les yeux.

Il devait reprendre le dessus. Pas maintenant. Pas comme ça.

Il inspira profondément, forçant sa magie à se calmer, à se replier sur elle-même.

L'air vibra encore quelques secondes, avant de lentement retrouver son calme.

Les flammes des chandelles vacillèrent une dernière fois, puis se rallumèrent timidement.

Le miroir resta fendu. Le bois du meuble éclaté.

Mais la tempête était passée.

Pour l'instant.

Il savait que ce n'était que le début. Plus il replongerait dans son passé, plus la magie frapperait fort. Et un jour… il n'était pas certain de pouvoir l'arrêter.

Le jeune garçon prit une grande inspiration avant de se relever, ses jambes encore tremblantes sous l'effet résiduel de sa magie et de la tempête d'émotions qui l'avait traversé. Il ferma brièvement les yeux, recomposant sur son visage un masque neutre, parsemé d'une pointe de jovialité forcée. Ce sourire léger, bien qu'artificiel, suffirait à rassurer les elfes de maison qui venaient régulièrement vérifier son état.

Un regard circulaire à la pièce lui arracha un soupir discret. Il observa les traces de destruction que sa magie avait laissées dans un moment de perte de contrôle, puis, avec une lenteur presque méditative, il laissa son pouvoir couler hors de lui, cette fois en douceur. Comme une brise légère au lieu d'un ouragan. L'énergie invisible effleura les meubles fissurés, recousit les déchirures dans les tissus, fit se reformer les objets brisés. Sous ses yeux, le salon reprit son aspect initial, comme si rien ne s'était jamais produit. Il n'y avait plus aucun signe de la tempête qu'il avait libérée.

Harry observa le résultat avec un sourire fugace, presque amer, avant qu'un petit rire sans joie ne lui échappe. C'était une habitude qu'il avait prise depuis longtemps : faire disparaître les preuves, remettre tout en ordre avant que quelqu'un ne puisse poser des questions. C'était presque naturel, maintenant.

Il se frotta distraitement les mains, un geste machinal pour chasser l'engourdissement, avant de se détourner et de se diriger vers la salle de bain attenante. Il avait besoin de se détendre, d'échapper un instant à la tension qui se logeait dans chaque muscle de son corps.

Une fois à l'intérieur, il retira lentement ses vêtements, appréciant la sensation de soulagement que cela procurait. Son corps portait encore les stigmates de son passé, des cicatrices fines mais nombreuses parsemaient sa peau, souvenirs silencieux d'années de souffrance. Il les ignora du mieux qu'il put, déposant ses affaires dans le panier prévu à cet effet avant d'entrer dans l'immense baignoire enfoncée dans le sol.

L'eau était tiède lorsqu'il y glissa un pied, puis une jambe, et enfin tout son corps. Un frisson parcourut son échine tandis qu'il s'immergeait lentement, la chaleur enveloppant ses muscles douloureux. Il avança d'un pas lent et tendit la main pour actionner le robinet, laissant la mousse se déverser dans l'eau en une cascade parfumée. L'odeur légère de lavande et de camomille emplit l'air, apaisante, réconfortante.

Il resta ainsi une minute, peut-être plus, observant distraitement les bulles s'accumuler à la surface. Puis, dans un soupir presque imperceptible, il se déplaça jusqu'aux marches immergées et s'y assit, posant sa tête contre le rebord derrière lui. Ses paupières se fermèrent d'elles-mêmes, et il se laissa porter par la sensation de flottement que procurait l'eau autour de lui.

Le temps s'étira, indéfini. Il n'aurait su dire combien de minutes – ou d'heures – s'étaient écoulées lorsqu'il finit par bouger. Ce fut la peau ridée de ses doigts qui l'arracha à sa léthargie. Il les contempla un instant, intrigué, avant qu'un rire inattendu ne s'échappe de sa gorge. Un vrai rire cette fois, franc et spontané, le secouant au point de lui faire mal aux côtes.

C'était absurde. Il riait à cause de mains fripées par l'eau, comme un enfant qui venait de découvrir un nouveau phénomène fascinant. Mais peut-être était-ce justement pour ça que c'était drôle. Pour cette rare illusion d'innocence, ce minuscule instant où il pouvait oublier tout le reste.

Un sourire sincère étira doucement ses lèvres tandis qu'il se redressait, s'apprêtant à sortir du bain. Pour la première fois depuis son arrivée ici, il se sentait... un peu plus léger.

Il sortit rapidement de la baignoire, l'eau glissant le long de sa peau en fines gouttelettes avant d'être absorbée par la serviette moelleuse qu'il attrapa. Il s'arrêta un instant, surpris par la tiédeur agréable du tissu, avant de se rappeler qu'il se trouvait dans un château empli de magie. Ici, rien n'était vraiment ordinaire. Un léger frisson parcourut son échine, plus par réflexe que par froid, et, dans un souffle presque inaudible, il osa chuchoter un merci.

Sa gorge encore engourdie ne lui permit même pas de prononcer le mot correctement, et il savait que si quelqu'un s'était trouvé à proximité, il n'aurait rien entendu. Mais il espérait que le château l'avait compris. Après tout, il lui avait déjà tant donné…

Chassant ces pensées, il reprit son séchage avec des gestes lents et méthodiques. Une fois sa peau débarrassée des dernières traces d'humidité, il se tourna vers le lavabo et remarqua un pyjama soigneusement plié qui n'y était pas plus tôt. Il esquissa un mince sourire en devinant sans peine l'auteur de cette attention. L'elfe qui venait discrètement vérifier son état avait dû le déposer là en voyant qu'il avait oublié de prendre de quoi se changer.

Attrapant le vêtement, il laissa ses doigts courir sur le tissu. Il était doux, mais avec une légère rugosité sous sa paume – probablement du coton fin ou une matière similaire. Certainement pas de la soie, ce qui ne l'étonnait pas. Il doutait que les Fondateurs fassent preuve de favoritisme à son égard, et il n'aurait de toute façon pas été à l'aise dans des habits trop luxueux.

Enfilant le pantalon puis le haut noir, il ajusta distraitement le col avant de jeter un coup d'œil à son reflet dans le miroir. Il paraissait fatigué, ses traits plus tirés qu'il ne l'aurait voulu, mais au moins, il avait l'air présentable. Il détourna les yeux et quitta la salle de bain, l'odeur d'eau chaude et de savon s'évaporant peu à peu derrière lui.

Le crépuscule teintait désormais la pièce d'une lueur tamisée. Le soleil, presque entièrement avalé par l'horizon, projetait des ombres longues sur les murs. Il savait que son repas l'attendrait sur la table, comme chaque soir depuis son arrivée. Les elfes s'étaient montrés d'une régularité impeccable.

Et, en effet, sur la table trônait une assiette fumante de pommes de terre accompagnée d'un morceau de viande tendre. À côté, un verre de jus de citrouille reflétait les derniers éclats de lumière, et une petite assiette contenait quelques sablés dorés.

Il s'approcha et s'installa silencieusement. La vue de la nourriture ne lui faisait plus envie depuis longtemps, mais il savait qu'il devait manger. Il coupa un morceau de viande, l'apporta à sa bouche et mâcha lentement, cherchant à retrouver les saveurs qu'il connaissait autrefois. Pourtant, comme toujours, il ne sentit presque rien. Seuls de vagues souvenirs gustatifs tentaient de combler ce vide, lui rappelant ce qu'il était censé percevoir.

Seul le jus de citrouille parvenait encore à lui arracher une réaction. L'âpreté qu'il avait toujours associée à cette boisson persistait, tranchant avec l'absence de goût du reste. Il aurait presque souri de cette ironie.

Il baissa les yeux sur son assiette, une étrange tristesse s'installant en lui. Il regrettait de ne pas avoir pu apprécier ces repas avant que tout ne perde sa saveur, avant que chaque bouchée ne lui donne l'impression de mâcher de la cendre.

Mais il mangea quand même. Parce qu'il le fallait.

Lorsqu'il eut terminé son repas, il empila machinalement ses couverts sales, observant d'un regard vide la vaisselle soigneusement disposée devant lui. Un bâillement immense lui échappa, lui tirant une grimace alors qu'il sentait sa mâchoire protester sous l'effort. Son corps entier était lourd, vidé par la perte de contrôle de sa magie. Chaque muscle semblait peser une tonne, et un grognement d'épuisement lui échappa tandis qu'il se frottait les yeux d'un geste lent et maladroit.

Se levant avec difficulté, il traîna les pieds en direction de sa chambre, son esprit déjà embrumé par le sommeil qui le guettait. Il franchit le seuil et, sans la moindre grâce, se laissa tomber sur son lit rond. Le matelas épousa aussitôt les contours de son corps, absorbant son poids dans une étreinte moelleuse. Pourtant, il rassembla un dernier soupçon d'énergie pour se hisser un peu plus au centre du lit, tirant la lourde couette vers lui d'un geste fébrile.

Il s'enterra sous l'épaisse couverture, cherchant instinctivement à se protéger du froid insidieux qui parvenait à filtrer dans la pièce malgré les sorts de chauffage tissés dans les murs. L'hiver était traître, et même la magie ne pouvait totalement empêcher son souffle glacé de venir mordiller sa peau.

Son souffle ralentit peu à peu, son corps s'enfonçant dans la chaleur du lit. Il n'eut pas le temps de réfléchir davantage. Ses paupières se fermèrent sans qu'il ne s'en rende compte, et en l'espace de quelques minutes, il sombra dans un sommeil profond et silencieux, dépourvu du moindre rêve.


Ce fut un rayon de soleil tiède caressant sa joue et effleurant le bout de son nez qui le tira doucement du sommeil. Il enfouit un instant son visage dans l'oreiller avant d'étirer mollement un bras, passant un poing paresseux sous son œil gauche tout en bâillant à s'en décrocher la mâchoire. Il se sentait étonnamment reposé aujourd'hui, une sensation rare et bienvenue. Peut-être qu'il pourrait enfin sortir et explorer le château. Après tout, même si Poudlard restait familier, il y avait sûrement des endroits qu'il n'avait jamais pu visiter à son époque. L'idée le remplit d'une excitation légère et réconfortante, comme une promesse d'aventure dans un territoire pourtant connu.

Porté par cette nouvelle énergie, il se redressa et se leva d'un mouvement fluide. Sans perdre de temps, il se rendit à la salle de bain pour une toilette rapide, éclaboussant son visage d'eau fraîche pour chasser les dernières traces de sommeil. Une fois habillé chaudement, il rejoignit la table où l'attendait un petit déjeuner servi avec soin par les elfes de maison. Il mangea tranquillement, appréciant la chaleur du repas, bien que les saveurs lui paraissent toujours aussi fades, comme si ses papilles s'étaient engourdies au fil du temps.

Son regard se perdit un instant dans le vide. Une question lui traversa l'esprit. Pourquoi personne n'était-il venu le voir ? Était-ce par crainte de le brusquer ? Avait-on peur de lui ? Ou bien… s'en fichait-on tout simplement ? Une ombre passa brièvement sur son visage, mais il chassa ces pensées d'un léger mouvement de tête après avoir terminé son repas. Inutile de se laisser ronger par des doutes inutiles.

Il se dirigea vers la porte et attrapa l'écharpe noir et beige soigneusement posée sur le petit meuble près de l'entrée. D'un geste familier, il l'enroula autour de son cou et releva son col jusqu'à son nez, laissant échapper un léger sourire en sentant la douce chaleur du tissu. Puis, sans plus attendre, il ouvrit la porte et quitta ses appartements, prêt à partir à l'aventure dans un Poudlard encore inconnu.

Dès qu'il s'aventura dans les couloirs, il sentit la magie du château frémir autour de lui, comme un guide bienveillant veillant à ce qu'il ne se perde pas dans des impasses ou ne s'égare dans des passages dangereux. Parfois, il entendait presque un murmure résonner à son oreille, comme si les murs eux-mêmes lui indiquaient la meilleure direction à suivre. Il passa ainsi toute la matinée à explorer, arpentant des couloirs oubliés et longeant des escaliers qu'il n'avait jamais empruntés auparavant. Il croisait parfois des élèves, mais, sans même s'en rendre compte, il les évitait toujours, se faufilant dans des passages détournés avant qu'ils ne puissent le remarquer.

Lorsque le soleil atteignit son zénith, il se retrouva près du Hall d'entrée. Son regard se posa sur les immenses portes de bois qui menaient vers l'extérieur. Pendant quelques secondes, il hésita. Puis, à sa grande surprise, les battants s'ouvrirent d'eux-mêmes dans un grincement feutré, comme une invitation silencieuse à s'aventurer dehors.

Un éclat enfantin brilla dans ses yeux. Sans plus attendre, il trottina joyeusement vers l'extérieur enneigé, ses pas laissant de légères empreintes sur la poudreuse immaculée. Le spectacle qui s'offrait à lui était magnifique. L'hiver semblait plus pur, plus sauvage, plus vivant qu'à son époque. La forêt interdite, un peu plus loin, s'étendait comme une mer de givre, et le calme paisible du parc l'enveloppa d'une sensation de bien-être.

Emporté par l'enthousiasme du moment, il se mit à courir dans la neige, savourant la fraîcheur piquante contre ses joues rougies. Mais son élan fut brusquement interrompu lorsqu'il glissa sur une plaque de verglas, s'affalant sur le sol dans un froissement de tissu. Un éclat de rire léger et spontané lui échappa alors qu'il restait un instant assis, contemplant le ciel hivernal. Il se releva en chancelant légèrement et épousseta la neige accrochée à ses vêtements.

Puis, une idée germa dans son esprit. Il pouvait construire un bonhomme de neige. Ou mieux… une famille entière. Après tout, c'était triste d'être seul, même pour un bonhomme de neige.

Et c'est ce qu'il fit. Après une famille composée de deux grands bonshommes de neige et d'un plus petit, il s'amusa à dessiner des anges dans la neige, riant doucement en sentant la fraîcheur mordante s'infiltrer à travers ses vêtements. Il continua avec des constructions miniatures : un petit Poudlard de neige, dont les tours étaient fragiles mais élégantes, et enfin, avec l'aide de la magie, un chat assis, la queue enroulée autour de ses pattes, et un petit dragon lové sur lui-même, comme endormi.

Chaque création lui donnait une sensation étrange, un mélange d'accomplissement et de nostalgie, comme si, à travers la neige, il pouvait figer des fragments de souvenirs, les rendant aussi réels que l'instant présent.

Il se sentait bien. Mieux qu'il ne l'avait été depuis longtemps. Comme si, pour la première fois depuis des mois, il pouvait se laisser porter par l'instant sans craindre ce que l'avenir lui réservait. Ses peurs, ses angoisses, ses démons… tout avait été chassé loin, très loin, par cette joie simple et enfantine qu'il n'avait pas ressentie depuis trop longtemps.

Mais même si ce moment semblait hors du temps, il remarqua enfin que le soleil avait commencé à décliner. L'or du crépuscule teignait la neige d'une douce lueur rosée, et c'est à ce moment-là qu'il entendit des pas derrière lui, le craquement léger du givre sous les semelles.

Son corps se tendit instinctivement. Il n'osa pas bouger. Il craignait que ce moment de tranquillité ne soit brisé, balayé par une présence extérieure. Pourtant, à sa grande surprise, l'adulte qui venait d'arriver ne chercha pas à l'appeler, ni à le forcer à lui prêter attention. Il se contenta de s'installer à côté de lui, non sans un léger grognement agacé lorsque la neige humide imbiba légèrement son manteau.

Le silence régna entre eux. Un silence qui aurait pu être pesant, mais qui, étrangement, ne l'était pas.

Il fallut plusieurs minutes avant que l'homme ne parle enfin.

— Tes bonshommes de neige sont très beaux. Est-ce une famille ?

Harry tourna doucement la tête vers lui et croisa son regard. Il hésita un instant, puis hocha lentement la tête, remontant son écharpe pour cacher son nez rougi par le froid.

Salazar observa les trois figures enneigées devant eux, une lueur indéchiffrable traversant son regard.

— Tu as eu raison, c'est toujours plus agréable d'être accompagné… surtout lorsqu'on doit passer la nuit dehors, ajouta-t-il d'un ton pensif.

Il laissa ses yeux dériver vers le dragon de neige, recroquevillé sur lui-même, ses ailes repliées avec soin contre ses flancs.

— Et celui-ci… ? demanda-t-il doucement.

Harry ne bougea pas tout de suite, puis il tendit la main pour effleurer le museau du petit dragon. Il traça du bout des doigts les délicats reliefs des écailles enneigées, puis son regard se perdit un instant.

Salazar suivit le mouvement, observant l'attention presque tendre avec laquelle le garçon touchait la créature.

— Un dragon, murmura-t-il, son ton trahissant un soupçon d'intérêt.

Il croisa les bras et ajouta après une courte pause :

— Les dragons sont fascinants… Indomptables et redoutés, mais pourtant, ils ne cherchent que la chaleur et la protection de leur nid lorsqu'ils sont jeunes.

Il laissa planer un silence avant d'ajouter, comme en aparté :

— Celui-ci semble attendre quelque chose.

Harry baissa les yeux vers son dragon de neige, mais ne répondit pas.

Salazar ne chercha pas à insister. Son regard s'attarda encore un instant sur l'animal sculpté, puis il soupira légèrement et se redressa, s'époussetant distraitement le bas de son manteau noir.

— Il est temps de rentrer, insista-t-il d'une voix calme.

Harry releva lentement la tête vers lui, ses grands yeux émeraude brillant faiblement sous la lumière déclinante. Il resta immobile quelques secondes, puis hocha la tête en sentant l'humidité glacée s'accrocher à ses vêtements. Ses joues étaient rouges, ses mains engourdies, et à mesure qu'il bougeait, il se rendait compte à quel point le froid s'était infiltré sous ses couches de tissu.

Il se redressa, mais à peine eut-il fait un pas que ses jambes tremblèrent sous lui. Son corps entier grelottait violemment, secoué de frissons incontrôlables.

Salazar le fixa un instant, haussant un sourcil face à son état. Puis, après un léger ricanement amusé, il s'approcha de lui.

— Voyons, tu es trempé et transi de froid, fit-il remarquer d'un ton mi-exaspéré, mi-diverti.

Harry cligna des yeux, incertain de ce qu'il comptait faire, jusqu'à ce que deux mains se posent délicatement sur lui. Il se raidit instinctivement, mais Salazar ne brusqua rien. Ses gestes restaient mesurés, presque hésitants, comme s'il s'attendait à ce que l'enfant refuse tout contact.

— Ne bouge pas, dit-il simplement.

Et, avec une douceur surprenante pour un homme à la réputation aussi austère, il le souleva sans effort.

Harry ne réagit pas immédiatement, trop surpris pour protester. Il sentit la chaleur du manteau de Salazar contre lui, contrastant vivement avec la morsure du froid. Son corps grelottant trouva rapidement un semblant de réconfort dans cette étreinte inattendue.

Salazar, lui, ne fit aucun commentaire supplémentaire et se mit en marche vers le château, le tenant fermement contre lui.

Le trajet fut silencieux, bercé uniquement par le craquement feutré de la neige sous leurs pas.

Lorsqu'ils atteignirent enfin les appartements de Harry, Salazar ne le lâcha pas immédiatement. Au lieu de le déposer au sol, il avança d'un pas sûr à travers la pièce principale et entra directement dans la salle de bain attenante.

Il s'accroupit légèrement pour poser l'enfant tout près de la grande baignoire encastrée dans le sol, prenant soin de ne pas le brusquer.

— Tu es gelé, commenta-t-il en défaisant délicatement l'écharpe noire et beige enroulée autour du cou du garçon.

Il sentit Harry tressaillir légèrement sous ses gestes, mais l'enfant ne recula pas. D'un mouvement fluide, il retira aussi le long manteau trempé et le posa sur un porte-manteau avant de s'attaquer aux chaussures humides, qu'il enleva une par une.

Quand il eut terminé, il redressa légèrement le menton et croisa le regard émeraude du jeune garçon.

— Je te laisse t'occuper du reste, déclara-t-il calmement.

Harry acquiesça silencieusement, et Salazar ajouta, son ton plus doux :

— Si tu as besoin de quelque chose, tu peux utiliser ta magie pour projeter ta voix dans mon esprit.

Il savait que l'enfant n'oserait peut-être pas appeler à l'aide autrement. Lui offrir cette possibilité était une façon discrète de s'assurer qu'il ne se retrouverait pas en difficulté sans pouvoir prévenir qui que ce soit.

Après une dernière hésitation, il quitta la salle de bain en refermant la porte derrière lui, laissant à Harry son intimité.

Mais avant de s'éloigner complètement, il fit un détour par la chambre de l'enfant pour récupérer un pyjama chaud. De retour devant la salle de bain, il entrouvrit à peine la porte, assez pour y glisser le vêtement sans jamais poser les yeux à l'intérieur.

— Tiens, mets ça, il te tiendra chaud, dit-il simplement avant de refermer.

Puis, enfin, il s'installa dans un fauteuil près du feu. Il appela un elfe de maison et lui demanda de préparer un repas chaud, quelque chose de nourrissant mais léger.

— Et apporte-moi aussi ce livre sur les créatures magiques, celui qui est sur mon bureau, ajouta-t-il après réflexion.

L'elfe s'inclina avant de disparaître dans un pop sonore.

Salazar se cala plus confortablement dans le fauteuil, ouvrant le livre à une page au hasard. Il allait attendre patiemment que l'enfant sorte, sans rien presser.

L'important, c'était que Harry se réchauffe et se repose.

Un léger bruit feutré attira l'attention de Salazar, le tirant de sa lecture. Il releva la tête et posa son regard sur la silhouette discrète qui venait d'apparaître dans l'encadrement de la porte.

Harry se tenait là, vêtu du pyjama qu'il lui avait laissé. Le tissu épais, d'un vert forêt délicat, contrastait doucement avec la pâleur de sa peau. Ses cheveux, encore humides, tombaient en mèches désordonnées sur son front. Il était pieds nus, et le contact de ses pas sur le sol produisait de petits sons étouffés.

Salazar referma lentement son livre, le posant sur l'accoudoir du fauteuil. Il observa un instant le garçon, attentif au moindre signe de malaise.

— Tu vas mieux ? demanda-t-il d'une voix calme et posée.

Harry hésita, puis hocha doucement la tête.

— Tu t'es bien réchauffé ?

Un autre hochement de tête, un peu plus affirmé cette fois.

Salazar esquissa un sourire discret avant de lui faire un léger signe de la main pour l'inviter à approcher.

— Bien. Viens manger, cela te fera du bien.

Sur la table basse, un plateau attendait, recouvert d'un repas chaud préparé avec soin. Une assiette fumante, une soupe parfumée, quelques tranches de pain et une tasse de tisane légèrement sucrée.

Harry s'approcha lentement, s'asseyant sur le canapé sans bruit. Son regard se posa sur le plateau, mais à peine eut-il respiré l'odeur du repas qu'une sensation désagréable s'installa dans sa bouche.

Le goût de cendre.

Il ne s'y habituerait jamais.

Par réflexe, il serra un instant les poings sur ses genoux et baissa légèrement la tête, tentant de masquer la grimace qui venait d'apparaître sur son visage. Il ne voulait pas inquiéter Salazar.

Mais ce dernier ne rata rien.

Ses yeux perçants observèrent avec attention la tension subtile qui venait de s'installer chez l'enfant. Quelque chose le contrariait, il en était certain. Pourtant, il choisit de ne pas relever.

Briser ce moment de calme risquerait d'effrayer Harry, de le refermer sur lui-même.

Alors, plutôt que de poser des questions, il prit son livre et rouvrit doucement une page au hasard, laissant à l'enfant le temps dont il avait besoin pour manger à son rythme.

Harry prit lentement sa cuillère et toucha du bout des lèvres le liquide chaud de la soupe. Il s'attendait à ce que la sensation de cendre prenne aussitôt le dessus, à ce que le goût fade et désagréable lui gâche ce moment. Mais… il y avait quelque chose de différent.

Un goût. Léger, subtil, presque timide, mais bel et bien présent.

Il hésita un instant avant de reprendre une autre bouchée, testant avec précaution chaque arôme qui caressait son palais. La chaleur de la soupe lui fit du bien, réchauffant son corps encore engourdi par le froid extérieur. Légèrement surpris, il continua, appréciant cette sensation qu'il n'avait plus ressentie depuis si longtemps.

Salazar, silencieux, observait la scène d'un œil attentif. Il remarqua aussitôt le changement infime dans l'attitude de l'enfant. Ce n'était pas grand-chose : une légère détente dans ses épaules, un mouvement moins hésitant en portant la cuillère à sa bouche. Il mangeait avec plus d'aisance, presque comme un enfant normal.

Un mince sourire – ou du moins ce qui s'en rapprochait chez lui – étira le coin de ses lèvres.

— Ce n'est pas si terrible, n'est-ce pas ? fit-il d'un ton calme.

Harry sursauta légèrement, relevant la tête vers lui. Son regard émeraude se posa sur l'homme, comme s'il hésitait à répondre. Puis, lentement, il secoua la tête. Non, ce n'était pas terrible.

Un bref éclat d'amusement passa dans les yeux de Salazar.

— Voilà qui est rassurant. J'aurais été vexé si tu avais repoussé le plateau. J'ai personnellement demandé aux elfes de te préparer quelque chose de plus doux… Il semblerait qu'ils aient suivi mes instructions.

Harry baissa un instant les yeux vers son assiette, comme s'il assimilait l'information. Alors, Salazar avait fait attention à cela ?

Il ne savait pas quoi en penser.

Lentement, il prit une tranche de pain et mordit dedans. La texture était agréable, moelleuse à l'intérieur, légèrement croustillante à l'extérieur. Ce n'était pas aussi flagrant que la soupe, mais il pouvait presque en percevoir le goût.

Le silence s'installa à nouveau, seulement ponctué par le bruit des couverts et des pages du livre que Salazar tournait de temps en temps.

Lorsque Harry eut terminé, il posa prudemment sa cuillère et se redressa légèrement. Il sentait son estomac bien plus apaisé qu'avant, et surtout, agréablement réchauffé.

Il hésita un instant, puis leva timidement les yeux vers l'homme en face de lui.

Il lui sourit.

C'était un sourire discret, presque timide, mais sincère.

Salazar, qui ne lâchait pas totalement le garçon des yeux, perçut immédiatement l'intention derrière ce geste. Il posa son livre sur ses genoux et inclina légèrement la tête avant de lui renvoyer un sourire en coin, plus mesuré, mais non moins présent.

— Je suis ravi que cela t'ait plu, déclara-t-il simplement, sans briser la quiétude du moment.

Son ton était posé, presque doux, dénué de cette sévérité habituelle qu'il affichait face aux adultes.

Dans ses prunelles sombres brillait cette lueur étrange, ce mélange de curiosité et d'attention discrète, celle d'un homme qui observait un enfant brisé retrouver, ne serait-ce qu'un peu, un fragment de normalité.

Harry baissa de nouveau les yeux, ramenant ses jambes contre lui sur le canapé.

Il ne savait pas pourquoi, mais cette sensation, cette ambiance si paisible, lui donnait envie de rester là encore un peu.

Le silence s'étirait doucement, bercé par le crépitement apaisant du feu dans la cheminée et le bruissement des pages tournées par Salazar. L'ambiance était douce, presque irréelle, une bulle de calme et de chaleur dans laquelle Harry se laissait peu à peu happer.

Ses paupières devinrent de plus en plus lourdes. Il se laissa aller contre le dossier du canapé, le corps détendu par la chaleur qui enveloppait la pièce. L'odeur du bois brûlé, le son lointain des flammes qui dansaient… tout cela lui donnait une étrange sensation de sécurité.

Son souffle se fit plus lent, plus profond.

Salazar, absorbé dans sa lecture, n'en perdit pourtant rien. Il releva légèrement la tête et observa l'enfant d'un regard attentif. Son visage d'ordinaire si fermé s'adoucit légèrement en voyant Harry lutter inconsciemment contre le sommeil, ses cils papillonnant alors qu'il somnolait à moitié.

Avec une délicatesse rare, il referma son livre et le posa sur l'accoudoir avant de se lever lentement.

S'approchant sans un bruit, il s'agenouilla près du canapé et observa un instant le jeune garçon. Les ombres dansaient sur son visage, illuminant sa peau pâle de reflets dorés. Il semblait si paisible ainsi, si vulnérable aussi…

Dans un geste qu'il n'aurait sans doute pas imaginé faire un jour, Salazar tendit une main et caressa du bout des doigts la joue de l'enfant. Un effleurement à peine perceptible, semblable à une plume caressant la soie.

Harry ouvrit légèrement les yeux, une lueur encore floue y brillant sous la fatigue. Pourtant, il ne sursauta pas, ne s'éloigna pas. Il se contenta d'observer l'homme à travers son voile de somnolence.

L'ambiance l'enveloppait comme un cocon. Il n'avait pas peur.

Un sourire fin et tendre étira les lèvres de Salazar. Il glissa ensuite un bras sous les jambes de l'enfant et un autre derrière son dos pour le soulever en douceur. Harry ne protesta pas, trop épuisé pour réagir autrement que par un léger bruit endormi.

Salazar l'amena jusqu'à la chambre, prenant soin de ne pas le réveiller complètement.

Déposant l'enfant avec précaution sur le lit rond, il le borda d'une couverture moelleuse, tirant doucement les coins pour l'envelopper dans une chaleur rassurante.

Harry bougea légèrement, cherchant instinctivement une position confortable avant de se rouler en boule. Dans un réflexe inconscient, il attrapa un coin de son oreiller et le porta à sa bouche, un geste purement enfantin qui contrastait avec le poids de ce qu'il avait vécu.

Salazar l'observa un instant avant de lever la main pour effleurer ses cheveux en bataille.

Puis, du bout des doigts, il commença à masser doucement le cuir chevelu de l'enfant, un geste lent et régulier, presque hypnotique.

Harry soupira faiblement, sa respiration se fit plus paisible, plus profonde.

Bientôt, il s'endormit totalement, bercé par cette présence calme et inébranlable à ses côtés.

Salazar le contempla un instant de plus, son regard empli d'une douceur que peu de personnes avaient jamais pu voir en lui.

Puis, sans un bruit, il se leva et quitta la pièce, laissant derrière lui un enfant qui, peut-être pour la première fois depuis longtemps, dormait sans crainte.