Auteur : Nat, qui poste un petit truc sans conséquence pour patienter entendant le chapitre de Entre chien et loup de la semaine prochaine.

Disclaimer : Comme d'hab', les personnages ne sont pas miens (hormis la bonne d'enfants, mais bon…)

Warning : Personnages OOC comme toujours, et chronologie absolument pas respectée. Je ne crois pas que tout ce petit monde se soit trouvé tous ensemble au même endroit, mais j'm'en fiche : c'est ma fic, j'en fais c'que j'veux. Voilà. : )

Résumé : D'accord, Círdan aurait pu tenir sa langue. Ou, du moins, tempérer ses propos. Après tout, il aurait dû prendre en compte le fait qu'il s'adressait à des enfants naïfs et inexpérimentés. Mais, honnêtement, tout était de la faute d'Elrond.

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Les cheveux dorés

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Círdan se lissa la barbe, contemplant avec consternation les quatre enfants assis devant lui. Celebrían, les yeux exorbités par l'angoisse, osait à peine respirer en attendant le verdict du charpentier naval. Les jumeaux, serrés l'un contre l'autre sur une même chaise, avaient pour une fois renoncé à se donner des coups de coudes dans les côtes et fixaient leurs pieds en silence, (presque) honteux. Le petit Thranduil remuait les jambes en suçant son pouce, l'air ailleurs. Il était sans doute trop jeune pour se rendre compte de la gravité de la situation et des conséquences néfastes que les prochaines minutes pourraient avoir sur sa réputation future. Dans le dos du vieil elfe, Galadriel tempêtait contre sa manie stupide de raconter des histoires sans queue ni tête qui n'apportaient que des ennuis aux propriétaires des innocentes oreilles dans lesquels il déversait ses billevesées.

Il y eut un instant de silence, et Círdan espéra que la belle dame se fut calmée. Non pas qu'il en eut peur, mais l'entendre fulminer à longueur de journée n'était pas une expérience particulièrement agréable. Surtout lorsqu'il devait s'adonner à une activité telle que celle qu'il allait bientôt devoir pratiquer…

Son regard gris retomba comme un couperet sur les quatre enfants. Elros et Elrond, qui avaient timidement levé la tête, la rabaissèrent bien vite. Derrière lui, Galadriel poussa un brusque soupir où teintait l'exaspération la plus profonde.

« Sortez tous, claqua sa voix claire habituellement si douce. Vous aussi, Ereinion. Faites en sorte que cette affaire humiliante ne s'ébruite pas et que cela serve de leçon aux enfants. Et à vous aussi, Círdan. »

Le vieux charpentier ne se retourna pas, mais il visualisa très bien dans son esprit le doigt accusateur que la plus belle des Noldor devait probablement pointer sur lui. Il perçut une certaine agitation dans son dos, entendit de nombreux bruits de pas s'éloignant et identifia un gloussement ravi promptement étouffé comme étant celui de Celebrimbor. A moins qu'il ne se fût agi d'Erestor –partant bien sûr du principe que ce strict jeune homme fût apte à rire. Peu importait, il aurait une discussion sérieuse avec ces deux-là dès que possible. Ils avaient une part de responsabilité dans toute cette histoire.

Une fois le dernier spectateur sorti et la porte refermée, Círdan reporta son attention sur les quatre petits bouts d'elfes assis devant lui. Il saisit le peigne posé sur la coiffeuse la plus proche, le trempa dans la bassine d'eau brûlante à proximité et s'avança résolument vers Celebrían. La fillette rentra instinctivement la tête dans les épaules et sembla au bord des larmes lorsque l'aîné des elfes posa sa large main sur le sommet de… ses… cheveux. Un petit sanglot lui échappa alors que Círdan essayait d'y glisser le peigne, et le vieux marin sentit une once de culpabilité pointer le bout de son nez.

Bon, d'accord, il aurait pu tenir sa langue ou, du moins, tempérer ses propos. Après tout, Galadriel avait raison sur ce point, il aurait dû prendre en compte le fait qu'il s'adressait à des enfants naïfs et inexpérimentés. Mais, honnêtement, tout était de la faute d'Elrond. C'était de lui qu'était parti l'ensemble du problème.

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Le même jour, quelques heures plus tôt

L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, prétendait la sagesse populaire, et Círdan avait une fois de plus mis le vieil adage en œuvre en se levant avec la marée ce matin-là, bien avant l'aube. Il s'était rendu comme chaque jour sur le port afin d'assister au départ des pêcheurs, puis il était immédiatement rentré s'enfermer dans son atelier. Le vieil elfe ne s'était accordé qu'un rapide crochet par les cuisines avant de se mettre au travail, y commandant à une servante noctambule un demi-litre de thé bien infusé, une assiettée de salade de fruits et deux épaisses tranches de pain surmontées d'œufs pochés. La servante avait promis de lui porter le tout dans son atelier juste après l'aurore. Elle était passée, puis repartie depuis un bon moment déjà, mais le maître des navires n'avait pas encore touché à son repas. Toute son attention se trouvait absorbée par les croquis qu'il avait étalés devant lui, recouvrant son large plan de travail. Certains d'entre eux avaient été corrigés et modifiés tant de fois que le papier s'abîmait et perçait sous les mines de carbone, et pourtant Círdan n'y trouvait aucun motif de satisfaction.

Il avait dans l'idée de revoir la forme de la coque de ses navires longs courriers : il les désirait plus légères, moins profondes, permettant une meilleure pénétration dans l'eau afin de gagner en vitesse et en maniabilité, sans pour autant sacrifier la stabilité des bâtiments en eaux agitées. Hélas, il devait le reconnaître, ses réflexions sur le sujet présentaient une fâcheuse tendance à la stagnation. Il savait que ce qu'il voulait fabriquer était possible : le jeune Eärendil, pourtant nouveau dans le métier, n'avait-il pas réalisé l'exploit de construire le navire parfait à tous points de vue avant d'avoir l'idée saugrenue d'aller se perdre en mer avec ? Dommage qu'il eut ainsi signé la perte de son précieux chef-d'œuvre, ne laissant que leurs yeux pour pleurer à tous les charpentiers des docks à l'est de la Mer. Bien sûr, Eärendil avait certainement tracé des plans pour construire son fabuleux Vingilot. Mais, qu'il eut jugé pertinent de les emporter avec lui pour disparaître ou que les forces de Maedhros les aient détruits lors du sac de la cité portuaire du Sirion, Círdan n'avait jamais pu mettre la main dessus. Et ce n'était pourtant pas faute de les avoir cherchés, ces plans, ce qui…

Le bruit provoqué par l'ouverture de la porte le coupa dans ses réflexions. Le charpentier releva la tête, sourcils froncés. Il n'attendait aucune visite et était certain que le conseil du roi ne se réunirait pas ce matin-là. Qui donc venait le déranger dans son travail ?

Ce fut l'un des jumeaux semi-elfe à la garde de Gil-galad qui se glissa dans la pièce. Comme l'écrasante majorité de la population de la cité, Círdan était tout bonnement incapable de différencier Elros d'Elrond simplement par leur aspect physique. Toutefois, ce Peredhel-ci ne sautant pas dans toute la pièce tel un ressort fou mais transportant précautionneusement un livre de vulgarisation scientifique pour enfants, le charpentier pouvait raisonnablement supposer qu'il avait affaire à Elrond. Le fait que le gamin ne prononça pas un mot après ses formules de salutation et qu'il se contenta de fixer sa barbe argentée d'un air étrange le conforta dans cette hypothèse – Elros n'était rien sinon bruyant.

« Que veux-tu, Elrond ? finit par demander le vieux marin, le silence s'éternisant. »

Il devait avoir bien deviné l'identité du fils d'Eärendil, car celui-ci ne le reprit pas sur son nom. Le garçon sursauta, comme brusquement tiré de profondes réflexions, avant de lui adresser un sourire angélique – ce n'était pas bon signe, l'expérience des longs mois passés en compagnie des jumeaux lui avait au moins enseigné cela. Le jeune Noldo fit glisser son inestimable ouvrage sur le plan de travail, froissant au passage un schéma présentant une vue en coupe d'une coque de goélette qui avait nécessité quatre bonnes heures de travail.

« J'ai fini de lire ça hier soir, annonça le garçonnet, lorgnant fort peu discrètement sur les œufs pochés.

-…C'est bien, c'est bien, fit Círdan en rassemblant hâtivement les feuillets étalés sur ce qui lui tenait lieu de bureau dans une tentative de leur épargner le triste sort de son défunt schéma.

-C'est un ouvrage qui traite de l'ancienne faune et de l'ancienne flore, et des écosystèmes supposés de l'époque d'avant l'Age des Arbres, précisa l'enfant du ton docte de l'étudiant récitant une importante leçon. »

Valar, mais pourquoi ce gamin, du haut de ses dix ans, avait-il besoin de parler comme s'il était une encyclopédie universelle rédigée de la main même de Curufin Fëanorion ? C'était on ne pouvait plus déconcertant.

« C'est… tout aussi bien, je suppose, marmonna Círdan en réponse. »

L'aîné des elfes se retourna et s'éloigna, un instant à peine, le temps de déposer ses liasses de papier sur une étagère contre le mur. Lorsqu'il revint faire face à son petit visiteur, celui-ci présentait des joues gonflées comme celles des rongeurs. L'un des œufs pochés avait mystérieusement disparu de sa tranche de pain. Círdan fronça les sourcils.

« J'ai connu un homme qui gobait toujours ses œufs sans les mâcher, lança-t-il. »

Elrond déglutit précipitamment et ses joues retrouvèrent leur volume habituel.

« Un jour, il s'est étouffé, poursuivit le constructeur de navires. Mais je suppose que tu n'es pas venu me voir de si bon matin uniquement pour me voler mon petit-déjeuner ? »

Elrond secoua la tête.

« Non, j'ai une question. Cousin Tyelp… je veux dire, maître Celebrimbor dit que vous êtes l'elfe le plus ancien du monde. Est-ce que c'est vrai ?

-A l'est de la mer, oui, ronchonna le charpentier, qui détestait qu'on lui rappelât son âge avancé dès le matin. Je ne suis pas allé dans l'Ouest pour vérifier.

-Donc, vous êtes le plus vieux ? »

Un tic nerveux agita la paupière gauche de Círdan au mot "vieux", mais Elrond ne le remarqua pas.

« C'est possible, articula l'ancien elfe. »

L'air absolument ravi, Elrond tapota la couverture de son livre sur les écosystèmes antiques. Il ouvrait de grands yeux scintillants de joie typiquement enfantine.

« Alors, dites… Vous étiez ami avec des dinosaures, quand vous étiez petit ? »

A défaut d'œufs à gober, Círdan manqua de s'étouffer avec sa propre salive. Remarquant enfin son air indigné et se méprenant sans doute sur son origine, le fils d'Elwing s'accorda une demie seconde de réflexion avant de s'enquérir, dardant un regard méfiant sur la barbe et les rides du marin d'âge respectable :

« …Vous avez été petit un jour, n'est-ce pas ? »

C'en fut trop pour le malheureux Círdan. Vexé comme un prince des Noldor (au moins), il réagit pour ainsi dire instinctivement. Sans même y réfléchir, pointant un index menaçant sur le front du garnement, il déclama d'une voix forte et autoritaire :

« Thriqui fan elethui qui padh i celibreth manisuë lingua ! Fuidon soleth i ! »

Elrond le considéra avec attention, sourcils haussés. Círdan, affectant l'air grave et satisfait de lui-même, baissa lentement son bras.

« Ça ne veut rien dire, fit l'enfant Noldo, ni en Quenya, ni en Sindarin. »

Círdan esquissa un sourire moqueur.

« Que tu crois, mon petit, que tu crois. C'est une incantation datant des âges perdus, bien avant la naissance de la Soleil et le retour sur ces terres de ton peuple parti à l'Ouest. Je viens de te jeter un terrible sort. Vois-tu, quand tu auras seulement la moitié de mon âge, tu auras déjà perdu la moitié de tes cheveux. Et nous verrons bien, alors, qui paraîtra le plus vieux. »

L'idée fit lentement son chemin dans l'esprit du semi-elfe, et ses yeux gris s'élargirent d'horreur lorsqu'il en réalisa les conséquences. Il balbutia quelque chose qui n'avait aucun sens, soudain pâle comme un linge, et il tourna les talons. Il eut tout de même le réflexe de récupérer son livre (en déchirant ce qui restait du malheureux schéma de coque) avant de s'enfuir aussi vite que ses courtes jambes le lui permettaient.

Círdan éclata d'un rire sardonique, ce qui eut pour effet de faire fuir le petit garçon encore plus vite. Ricanant dans sa barbe, le vieux marin alla fermer la porte de l'atelier et revint s'installer à son plan de travail. Il se saisit d'une feuille vierge, s'arma de sa mine de carbone et s'en retourna à ses croquis, ses calculs et ses schémas. Faire tourner Elrond en bourrique était certes infiniment distrayant, mais il n'avait pas que cela à faire. Ses coques n'allaient pas s'affiner toutes seules, n'en déplaise aux Valar.

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La formule récitée par Círdan n'est absolument pas de l'elfique. C'est juste du charabia.

Il y a trois courts chapitres pour cette historiette que je posterai en alternance avec les prochains chapitres de Entre chien et loup. J'espère que les légers soucis générationnels de ce pauvre Círdan (et les embrouilles capillaires qui s'ensuivent) auront su vous divertir un peu ! Bonne semaine !