Dans le monde, il y avait une vérité indubitable: l'empire eldien imposait sa volonté et personne ne pouvait s'y soustraire.
La nouvelle de la proclamation de la République mahr était absolument incongrue.
La nouvelle que sept des titans primordiaux étaient au service des Mahrs était encore plus invraisemblable.
De fait, si la chute de l'empire eldien semblait évidente, bien que personne n'en comprenne les raisons, l'idée que des titans primordiaux aient ouvertement défié l'autorité royale était absurde.
Des rumeurs couraient selon lesquelles les primordiaux s'étaient affrontés.
D'après les renseignements fragmentaires et contradictoires qu'ils avaient, les autres pays étaient arrivés à la conclusion que des rebelles avaient profité d'une guerre civile pour s'insurger et établir leur propre pays. Ils estimaient que la nouvelle allégeance des titans n'étaient que des mensonges des insurgés pour les intimider.
Aussi, ils décidèrent de s'emparer des vastes territoires qui étaient sans défense face à leurs petites armées.
Les provinces de l'empire éloignées de la République étaient également confuses face à la situation.
Le gouverneur de la province la plus éloignée pensa qu'il s'agissait peut-être d'une lubie des primordiaux. Pour une raison quelconque, peut-être avaient-ils décidé de faire semblant de libérer les peuples sous domination eldienne juste pour avoir le plaisir de réduire leur espoirs à néant. Quoiqu'il en soit, il voyait une opportunité. Il envoya une lettre accusant les primordiaux de rébellion contre le roi et les sommant de se soumettre s'ils ne voulaient pas être punis. Il espérait que l'Originel lui serait reconnaissant et donnerait à sa famille l'un des titans. Mais le temps passa et les nouvelles ne faisaient qu'empirer. Des provinces se soumettaient à la République mahr et de nombreux Eldiens fuyaient.
Ils posaient tous la même question: que faisait le roi?
Avec les nouvelles de plus en plus alarmantes, ils étaient de plus en plus nombreux à partir vers l'île de Paradis. Il n'y avait pas que des Eldiens qui partaient. Beaucoup qui craignaient pour leur vie ou leur fortune partaient avec ce qu'ils pouvaient embarquer. Le gouverneur ne fut pas le dernier à prendre la fuite. Il disait qu'il partait pour rencontrer le roi et lui faire un rapport de la situation mais personne ne se préoccupa de pointer la peur qui blêmissait son visage. Ils étaient tous dans le même cas.
Finalement, la dernière province tomba à son tour. Le territoire de la République Mahr était plus petit que celui de l'empire eldien. C'était en partie à cause de l'annexion de territoires des pays limitrophes mais aussi parce que la nouvelle de l'insurrection avait galvanisé la population dans d'autres provinces qui avaient déclaré leur indépendance dans la foulée.
Dans les colonies, la nouvelle de la chute de l'empire avait mit du temps à arriver. Dans certaines, la population se révolta violemment. Dans d'autres, les Eldiens tentèrent d'ignorer les nouvelles et de maintenir leur domination. Dans d'autres encore, les Eldiens comprirent qu'ils ne pouvaient lutter et cédèrent spontanément le pouvoir pour ne pas subir de vengeance.
À Paradis, les réfugiés étaient accueillis avec stupeur d'abord et crainte ensuite.
Ils arrivaient complètement paniqués et pour la plupart se calmaient instantanément. Seuls ceux qui n'étaient pas sujets d'Ymir n'arrivaient pas avec sérénité. Ils racontaient des choses étonnantes, parlaient de révoltes, de rébellion des primordiaux, de chute de l'empire.
‒ Qu'attendez-vous pour réagir? demanda vertement un vrai Eldien à Karl Fritz. Ils sèment le trouble avec leurs divagations et si la population grandit trop, il n'y aura pas assez de ressources.
‒ Tout ira bien! répondit Karl Fritz sereinement. Il en reste encore à arriver et après il sera temps que j'intervienne. Il n'y aura pas de famine. Soyez-en assuré! Mais si cela vous inquiète, vous êtes libres de partir veiller sur vos affaires. Il est encore temps.
Les Eldiens au sang pur étaient troublés mais Karl Fritz ne daignait pas s'expliquer.
Minato Azumabito, lui, commençait à s'inquiéter de la situation. Il voulait envoyer des missives à son pays pour le prévenir du peu de ce qu'il savait mais les seuls bateaux qui quittaient l'île n'allaient que chercher de nouveaux réfugiés.
‒ Votre majesté, je souhaite vous présenter mes respects avant de prendre congé. J'ai depuis trop longtemps quitté mon pays sans en recevoir de nouvelles. Je me dois de retourner auprès des miens.
Karl Fritz lui fit un sourire serein.
‒ Je comprends bien. Je ne voudrais pas vous retenir loin de votre devoir. Je me demandais combien de temps vous resteriez des nôtres.
‒ J'ose espérer que vous ne vous m'en tiendrez pas rigueur!
‒ Non, non! Partez en paix! Transmettez mes salutations à votre roi! Mais reste-t-il seulement des bateaux? Le temps passe si vite!
Karl Fritz ne ressemblait pas à ses prédécesseurs. Il semblait moins fier, moins présomptueux mais dans son œil brillait une volonté inébranlable. Malgré sa volonté affichée de bâtir une nouvelle capitale, il semblait se désintéresser de son empire.
Rassuré de pouvoir rentré chez lui, Azumabito prit le temps de préparer sa suite et de prendre congés des nobles les plus importants.
En quittant le chantier de la nouvelle ville, il croisa des groupes de réfugiés qui semblaient heureux et confus.
Enfin arrivé à l'extrémité de l'île, il vit qu'il n'y avait aucun bateau.
La population de Paradis grandissait à une vitesse folle. De nouveaux Eldiens arrivaient chaque semaine.
Dépité de devoir attendre, Azumabito laissa sa suite dresser une tente pour lui.
Il doutait de pouvoir aller directement vers sa patrie mais il devait y être en quelques mois.
Il n'eut pas longtemps à attendre avant d'apercevoir une voile à l'horizon après seulement quelques jours.
Quand il fut proche de la cote, plusieurs barques conduisirent sur la terre ferme les marins et leurs passagers.
Azumabito s'approcha de la première barque quand ils débarquèrent mais ils ne parurent pas remarquer sa présence.
‒ Holà marins! Menez-moi à votre capitaine. Je souhaite embarquer sur votre navire jusqu'au continent.
‒ Nous ne repartirons pas, répondirent-ils d'une voix monocorde. Nous n'avons plus rien à faire sur le continent.
‒ Mais pourquoi cela? Enfin, c'est ridicule!
‒ Ils se sont emparés du port. Nous ne pouvons rien faire sinon suivre notre roi.
‒ Je n'entends rien à ce que vous dites! Allons, menez-moi à votre capitaine!
Ils ne répondirent rien mais ne protestèrent pas quand il grimpa dans la barque.
Ils souquèrent ferme mais dès qu'ils arrivèrent sur le bateau, d'autres passagers descendirent dans la barque, sans bousculade. Ils prenaient paisiblement place sans signe d'impatience.
Enfin, Azumabito atteignit l'échelle et commença à grimper. En le voyant monter, les passagers qui attendaient leur tour s'écartèrent pour lui laisser la place et redescendirent dès qu'il posa un pied sur le pont.
Ayant reconnut le capitaine à sa tenue, Azumabito alla le voir.
‒ Capitaine! Prenez-vous des passagers dans l'autre sens?
L'homme se retourna et Azumabito sentit un frisson. Dans ses yeux, aucune lumière ne brillait.
‒ A quoi bon repartir? C'est ici que nous attendrons ce qui doit arriver. Il n'y a plus personne à récupérer. Ils ont pris le port. Allons au roi maintenant!
De manière parfaitement coordonnée, les marins et les passagers quittaient le bateau en emportant leurs bagages. Les femmes, les enfants et les vieillards étaient débarqués en premier. Les autres semblaient prêts à démonter le navire encore flottant après l'avoir vidé.
Ils répondaient toujours la même chose à Azumabito qui s'effrayait de leur comportement.
Quand ils ne furent que quelques uns sur le bateau, ils lui conseillèrent de revenir auprès du roi.
Comprenant qu'il n'y avait rien à faire, il suivit le conseil.
Avant de quitter le pont, les derniers marins mirent le feu au navire.
Sur la terre ferme, ils partirent en bon ordre.
L'ambassadeur de Heazul et son personnel contemplèrent, médusés, l'incendie.
‒ Quelle folie!
Les jours suivants, d'autres bateaux arrivèrent mais la même situation se répéta.
Comprenant qu'il ne s'agissait pas d'une simple crise de folie, Azumabito n'eut d'autre choix que de revenir où il était parti.
Tous ceux qui n'étaient pas sujets d'Ymir furent approchés en même temps par des Eldiens qui leur donnaient une convocation du roi.
Karl Fritz alla personnellement voir les Ackerman pour les inviter à se joindre au rassemblement.
Pendant ce temps, les Eldiens étaient en transe.
Azumabito arriva et se joignit à tous ceux qui attendaient que le roi parle.
C'était des gens très différents. Il y avait les rejetons des anciennes familles nobles qui s'enorgueillissaient de ne pas descendre d'une esclave. Il y avait des gens qui étaient venus pour travailler au service de Karl Fritz pour bâtir sa capitale et l'administrer. Une partie d'entre eux croyait réellement être des sujets d'Ymir. Plusieurs ambassadeurs et leurs familles se trouvaient là.
En tout, il y avait moins d'une centaine de personnes sans compter les Ackerman qui restaient à part.
Karl Fritz se présenta devant eux. Les gens étaient étonnés de la sobriété avec laquelle il s'était habillé.
‒ Mesdames, messieurs! Ce que j'ai à vous dire est de la plus haute importance, aussi je vous demanderai de m'écouter avec la plus grande attention.
Il promena son regard sur tous les visages qui lui faisaient face. Tout le monde était troublé et un peu effrayé. Les Ackerman étaient perplexes mais ils avaient apprit que Karl Fritz était bien différent de ces prédécesseurs. Ils étaient sur le point de savoir à quel point. Pour l'instant, ils ne savaient que penser. Ils avaient vu l'état des Eldiens mais ils pensaient que l'Originel testait ses capacités.
‒ De tous les habitants de l'île de Paradis, vous êtes les seuls à être indépendants de ma volonté.
‒ Nous n'oserions remettre en cause votre pouvoir, dit l'un des ambassadeurs.
‒ Mais moi oui!
Tout le monde regarda Karl Fritz sans comprendre.
‒ Chacun d'entre vous est venu ici librement de son plein gré. Vous avez tous eu la possibilité de partir et vous êtes resté mais maintenant, il n'y a plus de bateau pour repartir. Il est temps de vous révéler la vérité.
Il prit une grande inspiration.
‒ Vous êtes les témoins d'un jour historique. Aujourd'hui, l'empire eldien est officiellement mort!
Il attendit quelques instants que le calme revienne.
Dieter Ackerman courut vers lui.
‒ Sire, qu'est-ce que ça veut dire? Un pays aurait-il profité de votre absence pour attaquer? Nous pouvons lui faire payer son insolence. Qu'en est-il des titans primordiaux?
‒ Laissez-moi vous expliquer!
Peu à peu, le silence se fit.
‒ Un groupe d'aventurier a réussi à vaincre les titans primordiaux sauf un et à s'emparer de leurs titans. Ils ont bouleversé l'empire et ont fondé leur propre pays.
‒ C'est insensé!
‒ Comment est-ce possible?
‒Trahison! Comment ont-ils oser se rebeller contre l'originel?
‒ Que des aventuriers aient prit les titans est difficile à croire mais l'Originel peut les mettre au pas, dit Dieter Ackerman. Qu'en est-il du dernier titan?
‒ Le dernier titan a aidé ces aventuriers.
‒ Qui est-ce? gronda Dieter Ackerman. Je m'en vais passer toute sa famille au fil de l'épée.
‒ En vérité, il s'agit pas d'une rébellion. C'est à ma demande que ce titan a aidé des aventuriers.
Cette fois la stupeur maintint la foule dans le silence avant qu'ils ne se mettent tous à parler en même temps.
‒ J'ai pris la décision de détruire l'empire eldien et de livrer le pouvoir des titans aux peuples qui vivaient sous la domination de l'empire.
‒ Sire, vous devez plaisanter? Vous n'avez quand même pas pu faire une chose pareille, fit Dieter Ackerman.
‒ Mon objectif est de mettre fin à la peur des titans. Les Eldiens vivant sur le continent subiront des gouvernements qui leur seront hostiles. Les Eldiens au Paradis seront dans l'ignorance. J'effacerai leur mémoire et leur ferai croire qu'ils sont le dernier reste de l'humanité et que les titans ont tué tous les autres. Vous ne pouvez plus repartir. En compensation, je vous laisse le pouvoir ici. Vous serez respectez et jouirez des richesses dont vous bénéficierez. Si l'un de vous révèle la vérité aux Eldiens alors j'effacerai de nouveau leur mémoire mais avant cela ils risquent de se révolter et de vous tuer. Vous devez donc les encourager dans l'idée qu'il n'y a plus d'humains en dehors de cette île. Bien sûr, pour que l'illusion soit maintenue, je vais utiliser le pouvoir de l'Originel pour bâtir de hauts murs. Ils seront le rempart de l'humanité contre les titans. J'apprendrai également aux Eldiens à leur vouer un culte. Cela les dissuadera de chercher la vérité.
‒ Votre majesté, déclara un ambassadeur. Je ne comprends pas bien vos projets mais laissez-nous repartir dans les pays. Si vous souhaitez détruire votre empire, c'est votre affaire mais nous avons nos familles là-bas.
‒ Je ne peux pas vous laissez partir pour votre propre sécurité. Il y aura des titans à l'extérieur que je ne contrôlerai pas. Je vous ai dits que j'avais livré le pouvoir des titans. Ceux qui le détiennent maintenant ce pouvoir s'en serviront.
‒ Mais qu'est-ce ça veut dire?
‒ La situation est très simple. Les Eldiens de Paradis seront convaincus d'être les derniers humains sur terre. Vous serez les nobles au-dessus d'eux. Si la vérité éclate, une révolte pourrait tous vous tuer. Vous avez donc intérêt à tout faire pour maintenir cet état. Le monde extérieur a peur d'une attaque de ma part donc je ne peux vous laisser leur révéler la vérité. Sinon, ils viendront pour nous détruire.
‒ Nous détruire! Mais aucune armée ne peut espérer nous vaincre!
‒ Je souhaite vivre dans la paix. Si je dois faire croire au monde entier que je les exterminerai, alors ils resteront à distance.
‒ Mais qu'arrivera-t-il aux Eldiens sur le continent? demanda Dieter Ackerman.
‒ Hélas, je ne peux plus rien pour eux! Ils seront sans doute traités comme des esclaves ou des armes. C'est le prix à payer pour la fin de la peur des titans.
‒ Que signifie cette folie?
Le brouhaha s'apaisa devant ce cri. Ils étaient peu à oser regarder de haut le titan Originel.
Les descendants des compagnons d'arme de l'antique roi Fritz avaient soigneusement maintenu leur statut à travers les siècles. Ils s'étaient toujours considérés comme supérieurs aux sujets d'Ymir.
‒ Avez-vous oublié qui vous êtes? Vous êtes à notre service à nous les vrai Eldiens! Les titans doivent nous servir à dominer le monde.
Karl Fritz le regarda bien en face avant de répondre.
‒ C'est terminé! Par respect pour la volonté du premier roi, je vous laisse dominer ce royaume. Vous aurez toujours la richesse et les honneurs mais uniquement à l'intérieur des Murs.
Se détournant brusquement de la petite foule, il prit sa forme de titan et ils reculèrent.
Il convoqua dans l'axe dans les Eldiens de Paradis à l'exception des Ackerman et de son épouse.
«Le temps est venu, enfants d'Ymir!»
Il effaça les souvenirs qu'ils avaient de leurs vies, leur laissant juste la connaissance de leurs liens familiaux et le savoir-faire qu'ils avaient appris.
Les titans qu'il avait déjà transformé depuis son arrivée sur l'île se disposèrent en un grand arc de cercle. Des Eldiens complétèrent le cercle et en formèrent deux autres bien plus grands plus loin. Ils étaient de tout age. Il y avait même des femmes qui déposèrent leurs petits enfants. Aux points cardinaux de chaque cercle, les Eldiens formèrent quatre demi-cercles.
Karl Fritz poussa un long cri et les Eldiens disposés en cercle se transformèrent soudainement en titan de taille équivalente à celle du Colossal. Par le pouvoir du durcissement, ils furent tous recouvert par une couche de matière solide.
Ils formaient une barrière presque infranchissable et ne laissaient qu'une porte à chaque point cardinal.
«L'humanité a été détruite. Un nouveau prédateur est apparu. Les titans sont des monstres dévoreurs de chair humaine. Aucun moyen n'a été découvert pour les tuer. Ils guérissaient de toute blessure, même des plus graves. Alors, trois déesses furent saisies de pitiés devant la détresse de l'humanité. De leurs corps, elles firent trois Murs pour protéger le reste de l'humanité maintenant, vivez en paix. Respectez le roi et la noblesse. Vous êtes protégés par les des portes et honorez les Murs»
Chaque Eldien se retrouva confus et rempli de peur pour l'extérieur des Murs.
Karl Fritz retourna à son corps humain et revint vers les autres.
‒ Mon unique souhait est de vivre paisiblement. Je laisse le titre de roi à qui le prendra. Aux yeux des Eldiens, je ne serai qu'un simple noble de province. J'ai conscience que la situation vous déplaît mais vous n'avez pas le choix. Vous ne pouvez que tout faire pour maintenir cet état de fait. Mais je pense que serez satisfait de votre statut de noble. N'oubliez pas que seuls moi et mes descendants auront le pouvoir de garder les Eldiens sous votre contrôle. Ne faites rien d'inconsidéré. Désormais, mon nom est Karl Reiss.
‒ Mais enfin, pourquoi aller jusque là? s'exclama l'un des vrais Eldiens.
‒ C'est le meilleur moyen de préserver le monde des titans.
Sur ses paroles, il partit. Il avait demandé à sa femme de se rendre dans l'une des fermes qui avait été construite et qu'il prévoyait de s'approprier. Elle serait probablement surprise par la situation mais elle ne pourrait rien y faire. Il avait besoin d'avoir plusieurs enfants pour être sûr que son plan se maintienne dans l'avenir. Au pire, si elle se refusait à lui, il trouverait facilement une femme acceptant de porter un enfant pour lui. Il n'y avait aucun besoin de faire usage de violence. Il suffisait de lui verser une pension à vie.
La petite foule que Karl Reiss avait laissé derrière lui était dépassée par la brusque tournure des événements jusqu'à ce que Dieter Ackerman décide de prendre les choses en main.
‒ Mesdames, messieurs, notre roi a manifestement perdu l'esprit! Je crains qu'il n'y ait rien que nous puissions faire dans l'immédiat. Nous ne pouvons qu'attendre l'échéance des treize ans. Le fils du roi qui est né il y a peu pourra prendre la succession.
‒ Mais c'est de la folie, s'exclama Azumabito. J'ai voulu partir de l'île de Paradis. Les Eldiens ont brûlé leurs bateaux en débarquant. Il n'y a aucun moyen de partir.
‒ De toute façon, même si nous construisions des bateaux, il serait difficile de les faire naviguer et même si nous parvenions par chance à arriver sur le continent qu'y trouverions-nous? Si l'empire s'est effondré, ce doit être l'anarchie!
‒ Je crains que nous n'ayons pas le choix. Nous ne pouvons que laisser cette folie s'accomplir. De toute façon, nous gardons le statut de nobles alors que nous importe le reste? Profitons de la vie! Si le prochain Originel reprends ses esprits, il sera temps de rappeler au monde ce qu'il en coûte de défier Eldia.
Peu à peu, ils se rallièrent à cette opinion sous le regard dédaigneux des Ackerman. Même ceux qui n'étaient pas des vrais Eldiens étaient tentés par le nouveau statut qui leur était offert. Ils ne pouvaient pas quitter l'île alors autant profiter de ce que le destin leur offrait.
Ils s'habituèrent vite en effet à être traité avec déférence. Eux qui craignaient les Eldiens leur étaient désormais supérieur. C'était très agréable.
Ils s'étaient répartis les rôles.
L'un d'eux jouait le rôle du roi. Les vrais Eldiens s'attribuèrent les postes les plus importants. Le culte d'Ymir fut remplacé par le culte de ses trois filles, désormais réduites au rôle de Murs. Le but était de s'assurer que personne ne toucherait aux Murs au risque de réveiller les titans endormis mais aussi de garder un œil sur la population.
Minato Azumabito ne pouvait se résoudre à cet exil forcé.
Il décida de tenter le tout pour le tout.
Après un mois, il quitta de nuit le domaine qui avait été laissé aux siens et prit la direction de l'extérieur. Il passa facilement les deux premiers Murs.
Au cours de son trajet, il voyait à quel point la population avait été réduite.
Enfin, il put entrer au district de Shinganshina à l'extrême sud. Une centaine de personne habitaient là mais il en viendraient d'autres.
Les nobles, connaissant la nature des titans, envisageaient de réduire les impôts des habitants des districts du Mur Maria. Ils pensaient que le roi avait, pour donner du poids à son histoire, transformé d'autres Eldiens en titans ordinaires et les avait laissé en liberté en-dehors des Murs.
Si c'était bien le cas, les titans erreraient là où ils sentiraient la présence d'humains. La vue de ces titans serait vite connue par tous entre les Murs.
Azumabito séjourna dans une auberge. Il put voir un vin qui venait du continent. Il se demandait combien de réserves ils avaient.
Une garnison avait été formée pour rassurer la population. Les soldats montaient la garde avec zèle mais il suffisait de chercher le maillon faible.
Les soldats allaient souvent boire à l'auberge. Azumabito essaya de les sonder. Il en repéra un qui avait une lueur particulière dans le regard. Il lui disait que des réfugiés s'étaient plaints d'avoir dû abandonné toutes leurs affaires peu avant d'atteindre les Murs. Il suffisait d'un peu d'audace pour s'en emparer.
Enfin, le soldat manifesta de l'intérêt.
Azumabito retint un sourire de triomphe.
Le soir même, il attendit que le calme s'installe avant de sortir de l'auberge avec sa suite.
Comme convenu, le soldat était proche de la porte pour faire sa ronde et seul.
Quand les Asiatiques entrèrent dans la place juste devant la porte qui avait été aménagée, des soldats sortirent de l'ombre et braquèrent leurs fusils sur eux. Le soldat avec qui Azumabito avait un accord leva son fusil également.
‒ Au nom du roi, je vous arrête pour tentative de corruption et tentative de sortie des Murs!
‒ Vendu! marmonna Azumabito.
‒ Je me demande bien qui a été vendu, ricana le solda. Mais je dois vous remercier, continua-t-il en chuchotant. Je peux m'attendre à une belle promotion pour ma loyauté.
Les Asiatiques furent ramenés à la capitale sous bonne garde.
Leur première visite fut l'un des vrais Eldiens. Il éloigna les soldats pour éviter toute oreille indiscrète.
‒ Vous êtes fous! s'écria-t-il. Si vous partez, vous ferez douter du récit de la fin de l'humanité. Votre exemple poussera d'autres à tenter l'aventure. Pour maintenir la population, nous devons leur faire peur de l'extérieur.
Il leva les bras comme pour prendre le ciel à témoin.
‒ Enfin, je peux comprendre votre désir mais il est impossible de le réaliser. Nous pouvons encore étouffer l'affaire. Tous les soldats impliqués seront affectés dans les autres districts. Vous devez comprendre que nous devons nous serrer les coudes pour assurer notre avenir. Mais en cas de récidive, il n'y aura plus aucune pitié possible.
Emporté par la colère, Azumabito réagit vivement:
‒ Je suis un homme libre! Je n'admettrai pas que l'on m'enchaîne!
‒ Soit! Vous l'aurez voulu! Au fond, c'est peut-être pour le mieux. Vous servirez d'exemple!
Le procès eut lieu deux semaine plus tard. Il était présidé par le faux roi Fritz et les jurés étaient tous des nobles.
Azumabito reçut le soutien inattendu de plusieurs Ackerman qui parlèrent pour lui mais il n'avait pas d'avocat.
‒ Un crime aussi infâme doit être puni avec la plus grande sévérité! C'est un véritable blasphème envers les déesses qui nous ont bénis!
‒ Qu'est-ce que vous me chantez là? De quel blasphème parlez-vous?
‒ Des déesses aussi miséricordieuses pardonneraient, déclara Gustav Ackerman. Ou si elles sont en colère, elles peuvent se charger elles-même de la punition. Ne serait-il pas justement blasphématoire de se substituer à leur volonté?
‒ Vous oubliez qu'en rejetant la protection offerte par Maria, Rose et Sina, c'est toute l'humanité qui a été mise en péril! Les déesses pourraient considérer que l'humanité préfère se débrouiller seule et alors les Murs nous seront retirés.
Le procès étant public, une foule curieuse était présente et huait copieusement les Asiatiques.
Si Azumabito niait publiquement l'existence de ces déesse, il ne savait pas quelles seraient les réactions.
‒ Et même si les déesses décident dans leur miséricorde d'épargner ces fous, alors d'autres pourraient être tentés de les imiter. Êtes-vous prêts à voir des hommes, des femmes, des enfants partir pleins d'espoir pour être dévorés par des titans?
Sans surprise, ils furent condamnés mais la peine n'était pas décidée.
Dans sa cellule, Azumabito tournait en rond comme un ours.
Il entendit un bruit de lutte et Dieter Ackerman apparut devant lui.
‒ Je suis là pour vous évader!
‒ Pourquoi? Vous vous mettez en danger!
‒ Moins de bruit! Quand le roi laissera la place à son successeur, tout devrait revenir à la normale. Heazul n'apprécierait pas d'apprendre que son ambassadeur a été condamné à mort. On trouvera bien où vous cacher.
‒ Je ne sais comment vous remercier!
‒ Eh bien, vous pourrez suggérer au prochain roi d'augmenter mon salaire, plaisanta-t-il.
Mais ils n'eurent pas le temps de libérer tout le monde avant que l'alarme ne soit donnée et durent s'enfuir.
Certains des Asiatiques durent rester dans leur cellule.
Le lendemain, un décret fut promulgué pour condamner à mort les Asiatiques et les Ackerman. La traque commença.
Sur le continent, d'autres procès eurent lieu.
Des historiens, des médecins, des romanciers, des bourgeois et tant d'autres, tous Eldiens, furent traînés devant les tribunaux.
Ils étaient accusés d'avoir aidé l'odieux roi Fritz à oppresser la population.
Des témoins improvisèrent des récits d'horreur qu'ils prétendaient avoir subi.
La foule grondait, attendant le verdict.
‒ Il est juste de faire payer tous ceux qui ont opprimé le peuple. Vos biens ont été saisis et seront distribués à vos victimes! Quand à vous, vous subirez le sort que vous avez fait subir à tant d'innocents!
Des bateaux furent affrétés et les conduisirent jusqu'à l'île de Paradis. Là, sous surveillance, ils furent forcés de bâtir un grand mur.
Ligotés en haut du mur, ils ne purent qu'attendre en sanglotant. Ils imploraient en vain la pitié.
Une aiguille fut enfoncé dans le cou de chacun et injecta le liquide cérébro-spinal.
Après s'être transformés en titans, ils se tournèrent vers les humains les plus proches et réussirent à en dévorer plusieurs avant que les autres ne s'enfuient. Pour faciliter leur fuite, ils laissèrent sur place les autres prisonniers qui devaient subir le même sort. Ils étaient assez nombreux pour distraire les titans.
Ils se dispersèrent par la suite jusqu'à atteindre les Murs.
Des années plus tard, Karl Reiss profitaient du temps qui lui restait à vivre. Tout s'était bien déroulé. Il regrettait la décision de traquer les Asiatiques et les Ackerman. Les nobles avaient décidé de marquer le coup. Mais il avait apprit les faits après leur dénouement. Il avait vécu une paisible retraite depuis l'érection des Murs et maintenant, il était temps de passer le flambeau.
Il était seul, bien sûr. Ses enfants refusaient de lui parler mais c'était le prix qu'il était prêt à payer.
Quand le temps fut venu, il fit venir sa famille dans la caverne qu'il avait aménagé.
‒ C'est moi qui prendrait le titan, proclama Henri, son fils aîné avec détermination. Je déférai tout ce que vous avez fait.
Il lui sourit.
‒ Tu comprendras ma sagesse, promit-il.
Il frémit à peine en voyant le titan approcher pour le dévorer.
Henri se réveilla sur du sable. Devant lui, un arbre de lumière se dressait et une petite fille attendait.
Il eut conscience d'un coup de l'histoire de son peuple et de son destin. Il sentit la peur des Eldiens du Paradis et la détresse de ceux du continent.
Une chaîne sortit du sol et l'enchaîna alors il entendit la voix grave de son père.
«Il est temps de mettre fin à la peur des titans. Trop d'hommes sont morts dévorés et trop d'hommes ont eu peur d'eux. Il est impossible de réparer les souffrances du passé mais nous pouvons empêcher d'autres massacres même au prix de notre vie»
Henri hurla mais il ne put échapper à la voix qui martelait avec force la volonté de son père enfin il baissa la tête, vaincu.
Dans la caverne, il ouvrit les yeux et se leva au milieu de sa mère et de sa fratrie.
‒ Alors, tu as dompté les titans?
‒ Nous devons accepter le destin qui est le notre. C'est le seul moyen de mettre fin à la peur des titans. Au moins, nous pouvons faire de cette île un paradis pour notre peuple.
Alors sa mère frémit d'horreur en reconnaissant la voix et en voyant ses yeux prendre une nouvelle teinte.
